Notes
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[1]
La présente étude s’appuie sur l’édition des Pensées diverses de Rivarol établie par S. Menant (Paris, Desjonquères, 1998).
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[2]
Chamfort, Maximes, Pensées, Caractères, éd. J. Dagen, Paris, Garnier-Flammarion, 1968, fr. 1222, p. 316.
-
[3]
Ibid., fr. 1038, p. 278.
-
[4]
Ibid., fr. 1121, p. 299.
-
[5]
Ibid., fr. 1283, p. 332.
-
[6]
On peut aussi se demander si ce n’est pas une schizophrénie ludique qui dicte la dissociation entre je auctorial citant et il cité, dans ce type de morceau : « J’ai connu un misanthrope qui avait des instants de bonhommie, dans lesquels il disait : “Je ne serais pas étonné qu’il y eût quelque honnête homme caché dans quelque coin et que personne ne connaisse.” » (ibid., fr. 951, p. 264).
-
[7]
Ibid., fr. 820, p. 234.
-
[8]
Ibid., fr. 1225, p. 316.
-
[9]
Ibid., fr. LX, p. 359.
-
[10]
Ibid., fr. 1250, p. 320.
-
[11]
Ibid., fr. 1020, p. 275.
-
[12]
E. Jünger, Rivarol et autres essais, trad. de l’allemand par J. Naujac et L. Eze, Paris, Grasset, 1974, p. 14 et 17.
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[13]
Op. cit., p. 35.
-
[14]
Ibid., p. 44.
-
[15]
On se souvient de saint Paul : « exhortamini invicem » (« pratiquez l’exhortation mutuelle ») dans la Deuxième Épître aux Corinthiens, 13, 11. Or on retrouve ce thème chez saint Augustin : « Tu es pire en te taisant que lui en fautant » (Sermon 82, 7, trad. de l’abbé Raulx, cité dans J. Plainemaison, Pascal polémiste, Presses universitaires de Clermont-Ferrand, 2003, p. 177). L’influence augustinienne est sensible dans la question du dire (faut-il ou non révéler à l’autre ses défauts ?), que l’on retrouve chez La Rochefoucauld : « Le plus grand effort de l’amitié n’est pas de montrer nos défauts à un ami, c’est de lui faire voir les siens » (Réflexions ou sentences et maximes morales, éd. L. Plazenet, Paris, Champion, 2005, max. 410, p. 184) ; et chez Pascal : « On a bien de l’obligation à ceux qui avertissement des défauts, car ils mortifient ; ils apprennent qu’on a été méprisé, ils n’empêchent pas qu’on ne le soit à l’avenir, car on a bien d’autre défauts pour l’être. Ils préparent l’exercice de la correction, et l’exemption d’un défaut. » (Pensées, éd. Ph. Sellier, Paris, Librairie Générale Française, 2000, fr. 680, p. 465).
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[16]
Cet appel n’a rien à voir avec l’enseignement d’une philosophie de la liberté humaine. Ainsi que nous l’avons déjà montré, il y a chez Rivarol une méfiance instinctive envers toute relation de type pédagogique, qui s’inscrit dans le refus, plus large, d’adhérer à la foi des Lumières, irrationnelle mais tenace, qu’est la croyance dans le progrès. Lire sur ce point I. Molard-Riocreux, « Moralistique de la crise : un didactisme paradoxal (Rivarol, Chamfort) », dans Maîtres et élèves de la Renaissance aux Lumières, Actes de la journée du CELFF 17-18, 16 juin 2012, http://www.cellf.paris-sorbonne.fr/documents/texte_59.pdf, p. 64-71.
-
[17]
Op. cit., p. 43.
-
[18]
S. Menant, « L’œuvre inachevée de Rivarol ou la crise des Lumières », dans A. Rivara et G. Lavorel (éd.), L’Œuvre inachevée, Lyon, CEDIC, 1999, p. 224.
-
[19]
É. Callot, « Rivarol ou l’apprentissage de la liberté », dans Six philosophes français du XVIIIe siècle : la vie, l’œuvre et la doctrine de Diderot, Fontenelle, Maupertuis, La Mettrie, D’Holbach, Rivarol, Annecy, Gardet, 1963, p. 154.
-
[20]
C. Le Meur, Les Moralistes français et la politique à la fin du XVIIIe siècle. Le prince de Ligne, Sénac de Meilhan, Chamfort, Rivarol, Joubert, Hérault-Séchelles devant la mort d’un genre et la naissance d’un monde, Paris, Champion, 2002, p. 261.
-
[21]
« Tout en nous laissant apercevoir l’homme d’esprit qui résuma en lui les plus brillants attraits de la conversation du XVIIIe siècle, ces “pensées diverses” nous révèlent l’envers secret du personnage, l’homme de “la retraite”, selon sa propre expression, qui juge les hommes et mesure le champ étroit de sa propre liberté et de son propre pouvoir. » (S. Menant, « Présentation », dans Rivarol, op. cit., 1998, p. 20). Voir aussi l’analyse que fait S. Menant de la datation des carnets dans « Rivarol au travail », dans R. Lathuillière (dir.), Langue, littérature du XVIIe et du XVIIIe siècles. Mélanges offerts à M. le Professeur Frédéric Deloffre, Paris, SEDES, 1990, p. 575-587 : le carnet contenant les « Pensées diverses » est entamé en 1789 et utilisé jusqu’en 1799 ; S. Menant en déduit qu’il « correspond à des périodes de retraite au milieu de la vie agitée de Rivarol » (p. 577).
-
[22]
Dans L’Esprit de Rivarol (1808), cité dans L. Loty, « Forme brève et pessimisme. Le cas de Chamfort », La Licorne, n° 21, 1991, p. 232.
-
[23]
Op. cit., p. 61.
-
[24]
Ibid., p. 41.
-
[25]
Ibid., p. 41.
-
[26]
Ibid., p. 55.
-
[27]
Ibid., p. 56 (nos italiques).
-
[28]
Ibid., p. 64.
-
[29]
Ibid., p. 93.
-
[30]
Ibid., p. 72.
-
[31]
Ibid., p. 76-77.
-
[32]
Ibid., p. 40.
-
[33]
Ibid., p. 78.
-
[34]
Ibid., p. 80.
-
[35]
Chamfort, op. cit., p. 15.
-
[36]
Ibid., Lettre à M. l’abbé Roman, Paris, 4 avril 1784, p. 379-380.
-
[37]
J. Renwick, « La retraite selon Chamfort », dans J.-M. André, J. Dangel et P. Demont (éd.), Les Loisirs et l’héritage de la culture classique, Bruxelles, Latomus, 1996, p. 642.
-
[38]
A. Morellet, Mémoires, Paris, 1821, II. 20-27, cité dans J. Renwick, ibid.
-
[39]
S. Menant, « Présentation », dans Rivarol, op. cit., p. 12.
-
[40]
C. Le Meur fait le lien entre cette pratique du recueil comme réserve de bons mots et celle, très académique, des cahiers de citations telle qu’elle avait cours dans les collèges (op. cit., p. 289).
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[41]
Op. cit., p. 60
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[42]
Ibid., p. 67.
-
[43]
Ibid., p. 74.
-
[44]
Ibid.
-
[45]
Ibid., p. 43.
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[46]
Ibid., p. 73.
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[47]
Ibid., p. 75.
-
[48]
Ibid., p. 76.
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[49]
Ibid., p. 78.
-
[50]
Ibid., p. 75.
-
[51]
Ibid., p. 82.
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[52]
Ibid., p. 85.
-
[53]
Ibid., p. 44.
-
[54]
Ibid., p. 63.
-
[55]
Ibid., p. 43.
-
[56]
Chênedollé, op. cit.
-
[57]
C. Le Meur, « Rivarol moraliste impur », Cahiers de l’Association Internationale des Études Françaises, n° 59, mai 2007, p. 237-249.
-
[58]
L’Esprit de Rivarol, Paris, 1808, p. 85.
1Cette courte étude entend offrir un prolongement aux analyses proposées dans le cadre des journées d’étude Usages et enjeux de l’apophtegme dans les littératures européennes, en livrant le bref examen d’une pratique scripturaire que je prends le parti de considérer comme une héritière bâtarde de l’apophtegme. Je désigne par là une remobilisation tardive et, par certains aspects, pervertie de cet exercice littéraire, à travers l’exemple si particulier que constitue la pratique rivarolienne de l’autocitation. De fait, ce qui caractérise traditionnellement le dit notable en tant que régime de discours spécifique, c’est, d’une part, l’attribution explicite d’une parole à une personne reconnue comme – ou constituée en – auctoritas, et d’autre part, la valeur édifiante conférée à cette parole, adossée précisément à la notoriété de son énonciateur. Ce sont ces deux caractéristiques définitoires que Rivarol fait jouer dans ses carnets [1]. Nous entendons montrer ici que la scénographie énonciative de l’apophtegme tel que le pratique Rivarol désamorce la portée didactique du propos, témoignant ainsi d’une crise profonde de la moralistique.
2L’originalité de l’écriture de Rivarol apparaît nettement dans le contraste avec son aîné le plus immédiat : Sébastien Roch Nicolas, dit Chamfort. Chez ce dernier également, la pratique de l’apophtegme trouve un écho, sans être explicitement désignée sous cette dénomination ; mais elle est réinvestie de manière beaucoup plus conforme aux modèles hérités de l’antiquité et des XVIe-XVIIe siècles. Il s’agit bien d’enregistrer une parole dont l’émetteur est une personne dotée d’un prestige susceptible de conférer à ses mots une autorité particulière : « Un homme disait à M. de Voltaire qu’il abusait du travail et du café, et qu’il se tuait. “Je suis né tué”, répondit-il [2]. » Sans soulever la question de l’authenticité des citations, notons que le moraliste se présente en général uniquement comme le récepteur de la parole citée, avec ou sans la médiation d’un autre locuteur :
Je pressais M. de L… d’oublier les torts de M. de B… (qui l’avait autrefois obligé) ; il me répondit : « Dieu a recommandé le pardon des injures, il n’a point recommandé celui des bienfaits. » [3]
L’abbé Dangeau, de l’Académie française, grand puriste, travaillait à une grammaire et ne parlait d’autre chose. Un jour on se lamentait devant lui sur les malheurs de la dernière campagne (c’était pendant les dernières années de Louis XIV). « Tout cela n’empêche pas, dit-il, que je n’aie dans ma cassette deux mille verbes français bien conjugués. » [4]
5Provocation chamfortienne, il arrive que le discours cité soit attribué à un anonyme, discrédité en raison de sa sagesse par la société dénaturée dans laquelle il évolue, mais que la vérité profonde de ses propos réhabilite aux yeux du moraliste : « J’ai entendu parler d’un fou de cour, apparemment très sage, et qui disait : “Je ne sais comment cela se fait mais il ne vient jamais de bons mots que contre les gens disgraciés” [5]. » Lorsque le moraliste se cite lui-même, ce n’est jamais explicitement. Seul le lecteur qui connaît bien Chamfort peut le reconnaître dans les fragments suivants, au discours indirect, puis direct, sous les traits de M… puis de B. [6] :
M… disait que le grand monde est un mauvais lieu que l’on avoue. [7]
M… disait, à propos de la manière dont on vit dans le monde : « La société serait une chose charmante, si on s’intéressait les uns aux autres. » [8]
A. – Vous avez trop mauvaise opinion des hommes ; il se fait beaucoup de bien.
B. – Le diable ne peut pas être partout. [9]
9Une exception toutefois, la dernière des Anecdotes, où Chamfort s’autocite à la troisième personne sous son propre pseudonyme :
M. de Vaudreuil se plaignait à Chamfort de son peu de confiance en ses amis. « Vous n’êtes point riche, lui disait-il, et vous oubliez notre amitié. – Je vous promets, répondit Chamfort, de vous emprunter vingt-cinq louis quand vous aurez payé vos dettes. » [10]
11On remarque que, dans ces exemples, la réplique-clef est bien plus proche du bon mot (aux thématiques moralistes stéréotypiques : méchanceté humaine, règne de l’intérêt dans les amitiés, etc.) que du dit notable profond qui constitue l’essence de l’apophtegme. En outre, il est extrêmement rare chez Chamfort que la subjectivité de l’énonciateur-moraliste prenne explicitement à son compte, en tant que je, la pointe qui constitue le sel de l’anecdote :
M. Thomas me disait un jour : « Je n’ai pas besoin de mes contemporains, mais j’ai besoin de la postérité » ; il aimait beaucoup la gloire. Beau résultat de philosophie, lui dis-je, de pouvoir se passer des vivants, pour avoir besoin de ceux qui ne sont pas nés ! [11]
13Enfin, comme nous allons le voir, ce sont les conditions mêmes de diffusion des fragments de dialogues qui distinguent les deux moralistes.
L’autorité du je
14Ernst Jünger loue en Rivarol un moraliste extrêmement différent des contemporains auxquels on le mêle souvent : il n’a ni le cynisme d’un Chamfort, ni la légèreté ludique à l’excès des faiseurs de bons mots à la chaîne comme le marquis de Bièvre et le prince de Ligne [12]. De fait, dans ses carnets, Rivarol théorise la posture de l’homme d’esprit en des termes qui rappellent le vrai chrétien de l’anthropologie pascalienne, capable de voir derrière les apparences et de saisir la « raison des effets » : « Un grand esprit voit les principes dans les conséquences, les conséquences dans les principes ; il les exprime de la manière qu’il les voit et les fait entendre comme il les exprime [13]. » Le fragment suivant peut être lu comme une réponse à la doxa métalittéraire qui fait de l’écriture moraliste un miroir tendu à la société pour lui montrer ses propres travers. La définition du miroir par la négative contient, en creux, le portrait du moraliste tel que veut l’incarner Rivarol :
Un miroir n’est point ébranlé par les images et ne les retient pas ; quand il en reçoit plusieurs à la fois, il ne les compare pas ; enfin il ne donne la préférence à aucune : il n’a ni sentiment, ni mémoire, ni jugement, etc. [14]
16Rivarol enregistre, sélectionne, juge. On ne peut comprendre ce moraliste étrange tant qu’on cherche à en faire un éveilleur de conscience au même titre que les La Rochefoucauld et autres Pascal : la charité, ressort profond de la correction fraternelle [15], les mettait en devoir de redresser les travers de leurs semblables, conscients qu’ils étaient de ne guère valoir mieux, au regard de leurs propres faiblesses, trop humaines. Il y a chez le génie de la formule que Rivarol a conscience d’être une volonté de bousculer, un goût de la liberté qui est en même temps un appel à la liberté [16], une haute idée de soi qui ne peut tolérer la proximité de la médiocrité et de la sottise, sinon comme cibles perpétuelles à travers les personnes qui s’en rendent coupables car « il ne faut pas des sots aux gens d’esprit comme il faut des dupes aux fripons [17] ». Le sot ne peut être l’interlocuteur de l’homme d’esprit : il est le perpétuel délocuté. Rivarol a besoin d’un auditoire, d’un public, bien plus qu’il n’ambitionne d’enseigner à des disciples. Ce scepticisme pédagogique est, certes, un trait d’époque :
Le scepticisme de Rivarol est nourri par l’esprit critique des philosophes des Lumières mais il va plus loin en remettant en question aussi l’entreprise de la philosophie des Lumières. Nulle idéologie, nul système, nul ensemble de connaissances utiles ne paraît plus mériter d’être diffusé. […] Rivarol […] ne veut ou ne peut plus rien dire d’utile aux hommes. Il se trouve au nœud de la crise des Lumières, ce moment où l’esprit critique fait la critique de sa critique et tombe dans l’aporie. Au lieu de servir à la construction d’un monde nouveau, à la définition d’un homme nouveau en déployant l’architecture achevée d’une philosophie positive, d’une nouvelle morale, d’une nouvelle politique, d’une nouvelle attitude religieuse, d’une nouvelle éducation, la raison ne peut plus inspirer qu’un discours ironique, forme philosophique de l’inachèvement. [18]
18Toutefois, cette attitude trouve aussi sa raison d’être dans le rapport au monde qu’établit Rivarol d’après son expérience personnelle :
Rivarol ne jugeait pas [ses contemporains] capables d’apprécier à sa juste valeur le fruit de ses méditations ; il leur en dérobait l’essentiel en ne leur en livrant que de brefs aperçus sous une forme rare et elliptique ; mais ce mépris tient à son orgueil, et son orgueil au sens très vif de sa liberté et de son originalité dans le monde qui l’entoure. [19]
20Comme l’a rappelé Cyril Le Meur, Rivarol espérait obtenir de manière durable la reconnaissance du monde avec son Discours sur l’universalité de la langue française qui lui a permis de remporter le concours de l’Académie de Berlin en 1784 et d’en devenir membre associé sur désignation de Frédéric II de Prusse. Mais il a constaté amèrement que dans les salons, des années encore après ce succès, il n’était toujours connu et admiré que pour un poème satirique, Le Chou et le Navet, paru en 1782 et dirigé contre Les Jardins de l’abbé Delille [20].
21De la même manière que Chamfort, Rivarol se désigne comme un homme « de la retraite [21] ». Pourtant, si la plupart des fragments de Chamfort datent effectivement d’une période d’environ deux ans (1782-1784) de véritable prise de distance avec la société, et plus particulièrement des six mois passés chez Mme Buffon (jusqu’à la mort de celle-ci), Rivarol, lui, n’a jamais cessé de fréquenter le monde, en dépit du mépris dans lequel il le tenait, et d’y briller comme « le dieu de la conversation » (selon l’expression de son éditeur Chênedollé [22]). C’est que cette retraite est avant tout une attitude à l’égard du monde, celle d’une profonde déception transformée en mépris. L’impression d’être, pour ainsi dire, trop bien pour les autres et de devoir être perpétuellement incompris par un public ignare s’exprime ainsi sous sa plume : « Je vise, dans ce que j’écris, à une perfection qui fait que je n’influe pas sur mon siècle [23]. » Dès lors, le je auctorial devient le garant de sa propre autorité dans un discours apophtegmatique centré sur l’autocitation. Rivarol s’auto-promeut en référence et écarte ostensiblement la vénération due aux grands noms auxquels il entend se substituer, au premier rang desquels Voltaire. Rivarol lui dénie de manière explicite la capacité à produire des formules dignes de mémoire, donc à servir d’autorité pour la constitution d’apophtegmes : « Voltaire. On l’a loué de ce que ses pensées et ses expressions ne commandaient jamais l’attention… Aussi ne commandent-elles pas le souvenir [24]. » Dès lors que les autorités ne sont plus sacralisées en tant que références citées, elles deviennent des cibles, au même titre que n’importe quel sot : « Sur Mirabeau dont on me vantait la fortune et la grande dépense : “Je ne l’admire point ; l’argent ne lui coûte que des crimes et les crimes ne lui coûtent rien” [25]. » Et seule subsiste l’autorité de l’auteur-énonciateur, le je autocité qui se donne à entendre en maître pour la vérité de son propos et à admirer pour le brio de sa formule.
La parole mise en scène
22La Rochefoucauld avait introduit la subjectivité du moraliste dans la maxime à travers la multiplication des modalisateurs. Ses lointains héritiers du dernier XVIIIe siècle assument la présence du je et donnent à lire l’écriture du fragment comme celle d’un discours qui se dit. La parenté avec l’apophtegme est donc plus évidente que dans les recueils de maximes et sentences du siècle précédent. C’est le cas chez Rivarol, ici dans le cadre de procédés d’écriture qui mettent en relief le rapport de l’énonciateur à son propre discours (une épanorthose puis une prétérition) :
Le malheur de l’homme est de prendre souvent des moyens pour des buts, que dis-je ! de se croire lui-même un but. [26]
Je ne dis pas que les grands esprits et les grands talents ne soient également rares. Mais généralement il y a plus d’esprit que de talent en ce monde. [27]
25Mais la véritable spécificité de Rivarol tient à la scénographie énonciative qui entoure la parole moraliste. Ainsi, il est intéressant de remarquer selon quel régime de discours est convoquée la parole de l’autre. Quand ce propos est restitué au discours direct, donc apparemment mis sur le même plan que la réponse de Rivarol, il ne bénéficie pas du même statut au sein du fragment. Il intervient en premier, comme prétexte à la formule brillante qui lui répond :
« Vous conviendrez, me disait un jour un abbé très connu, que c’est l’esprit qui nous a perdus »
« Et pourquoi, lui-répondis-je, ne nous avez-vous pas sauvés ? » Il y avait en effet plus d’antidote que de poison en France, tout comme ailleurs. [28]
27Dans cet extrait, l’énonciateur de la réplique-prétexte est réduit à sa fonction sociale (abbé) et à sa notoriété (très connu) qui rehausse le prestige de la repartie. Mais il n’a pas le privilège de voir citer son nom. En revanche, le je qui lui répond (répondis-je) est transparent. En outre, le propos de l’abbé ne bénéficie pas de l’explicitation à visée argumentative qui développe celui de Rivarol. Il n’est pas étayé, justifié ni consolidé par une phrase ancrée dans le présent de l’écriture et non dans le temps de la parole rapportée, et qui fait tout le sel de la repartie en même temps qu’elle entend dénoncer un état de faits condamnable, présenté comme heureusement révolu, contre la position de l’abbé.
28La parole de l’autre peut être restituée au style indirect, comme c’est le cas dans ce fragment, où elle apparaît dans le contenu d’une incise :
« Que croyez-vous, répondis-je à une duchesse qui disait qu’elle voulait qu’on fouettât la Reine, mais qu’il ne fallait pas que la Révolution allât plus loin, que croyez-vous qu’on fera des duchesses, si les reines sont fouettées ? » [29]
30La veulerie, la bêtise et l’égoïsme qui dictaient la concession de l’interlocutrice à ses ennemis sont dévoilés par la réplique du moraliste, en forme de question rhétorique. La réaction de la duchesse n’est pas indiquée, et pour cause : ce qui compte, nous y reviendrons, c’est celle, hic et nunc, du public à qui l’échange est rapporté. Dans le fragment suivant, une « anecdote sur Voltaire », le discours du philosophe est relégué au rang de discours narrativisé :
Anecdote sur Voltaire qui vantait La Mothe Le Vayer, Bayle, etc. pour avoir si bien attaqué la religion, et qui s’attendait que son auditoire allait le complimenter sur ce qu’il l’avait encore plus victorieusement attaquée… « Ce n’est pas pour attaquer les religions qu’il faut de l’esprit, lui dis-je, mais pour les fonder et pour les maintenir ; car toute épigramme contre Jésus-Christ est toujours bonne. Quant au courage, il n’en faut pas plus, et souvent pas autant à un philosophe qu’à un apôtre. » [30]
32La parole de Voltaire n’est même pas donnée à entendre de manière indirecte : on ne peut pas la reconstituer. En revanche, la réplique assez longue (de Rivarol) se déploie au style direct. L’absence d’allusion à la réaction du public, et notamment de l’interlocuteur premier, suggère, par le pouvoir énigmatique du blanc, la puissance du propos de Rivarol, auquel personne ne trouve rien à répondre, comme s’il laissait littéralement sans voix son auditoire. C’est, bien entendu, un choix d’écriture, que de ne pas redonner la parole au philosophe. Qui peut dire s’il a répondu ? Qui peut dire ce qu’il aurait pu répondre ? L’apophtegme autocitationnel réduit l’autorité au silence en consacrant l’avènement d’une autre autorité : celle du fragmentiste.
33Paradoxalement, c’est précisément cette scénographie qui désamorce la portée didactique du propos et le réduit à l’apparence du bon mot. Il faut s’y arrêter pour en saisir la profondeur, la vérité universelle. Elle n’est pas exhibée comme elle l’aurait été dans la nudité lumineuse d’une maxime. Ainsi, là où l’on eût pu lire que l’ignorance ne sauve pas plus du vice que le vice ne sauve de l’ignorance, l’on trouve un fragment dialogué ridiculisant nommément une célèbre actrice lesbienne :
– Que signifie ce mot de tribade ? me disait Mlle Raucourt.
– Quoi ! lui répondis-je, l’ignorance ne vous [a] pas sauvé [sic] du vice, et le vice ne vous a pas sauvé [sic] de l’ignorance ? [31]
35De même, dans le fragment suivant, le complément du nom déterminatif particularise une leçon pourtant typiquement moraliste sur l’incompatibilité des vices qui fait parfois agir vertueusement sans que la vertu y soit pour quelque chose : « Je répondis à une folle qui me menaçait de se prostituer à Bruxelles : “Madame, l’avarice du Belge s’oppose aux mauvaises mœurs” [32] ». On pourrait encore citer cette réponse à Sieyès, en forme de regressio (ou épanode), derrière laquelle on entend le topos larochefoucaldien de la parole pénible qui gâche les conversations, et que l’on aimerait à dépouiller de son enrobage de lourdeurs :
L’abbé Sieyès qui s’exprime avec disgrâce me disait un jour : « il faut que je vous dise ma façon de penser ». « Épargnez-moi la façon, lui répondis-je, et dites-moi tout simplement votre pensée ». [33]
37L’intérêt de ces lignes tient au fait que le contenu du propos de Sieyès est tout bonnement oblitéré. Il n’en subsiste que le préambule à fonction purement phatique, avant l’interruption soudaine de Rivarol. L’absence de réponse peut suggérer à elle seule que, délestée de ses disgrâces, la parole de l’abbé apparaît pour ce qu’elle est : un néant sans intérêt. La leçon moraliste est noyée dans l’exigence de faire rire, de sorte qu’il y a peu de différence entre ces fragments où l’on décèle une réelle profondeur, et ce qui relève purement et simplement du bon mot, voire du jeu de mots, comme ici, où Rivarol feint de recevoir l’expression « sans faute » (sans faire d’erreurs de grammaire ou d’orthographe) dans un sens autre qu’elle n’a dans le discours de son allocutaire (« demain sans faute ») :
– Je vous écrirai demain sans faute.
– Ne vous gênez pas, lui répondis-je, écrivez-moi comme à votre ordinaire. [34]
39Et l’on remarque que la désignation de l’interlocuteur se réduit à un pronom (« lui ») qui n’anaphorise aucun élément du discours antérieur. « Lui », c’est l’autre, celui que l’on ridiculise, nommément ou anonymement, beaucoup moins pour les besoins de la leçon que pour ceux de l’effet. Effet totalement calculé par celui qui ne craint pas d’assumer le rôle étrange de l’histrion intelligent.
Une littérature recyclable
40Ici encore, partir de la comparaison avec Chamfort est un exercice fructueux. En vérité, ce qui semble gêner Chamfort dans l’écriture, c’est précisément le fait d’écrire pour être lu, c’est l’ouverture implicite à l’altérité. Si Ginguené, le premier éditeur des Maximes de Chamfort, dit avoir trouvé la structure prévisionnelle du livre sur un petit papier de la main de l’auteur [35], prouvant par-là que celui-ci écrivait bien l’ouvrage en vue de sa publication, la manière dont Chamfort, au moment de se retirer du monde, annonce l’activité littéraire qu’il va mener, laisse penser qu’il n’avait pas l’intention de publier ses fragments :
Jugez, mon ami, si […] je n’ai pas dû trouver plaisante la phrase de votre lettre, où vous me dites de vous donner quelques pages au lieu de livrer à l’impression. L’impression ! Si vous saviez des gens de lettres le quart de ce que j’en sais et que j’en ai vu, vous ne me soupçonneriez pas de songer à elle. J’en ai une si grande aversion, que je n’ai de repos que depuis le moment où j’ai imaginé un moyen sûr de lui échapper, et de faire en sorte que ce que j’écris existe, sans qu’il soit possible d’en faire usage, même en me dérobant tous mes papiers. […] Je n’ai qu’à me taire et ce que j’aurai écrit sera mort avec moi. [36]
42Ce que nous avons à lire, ce sont donc les fragments du silence, des cris de rage contre le monde jetés sur des petits bouts de papier dans la noirceur de la solitude et ces petits papiers jetés en vrac dans des boîtes en carton. Chamfort écrit d’abord et avant tout pour lui-même, pour se faire du bien, pour enfin « donner libre cours aux imprécations qu’il avait naguère fulminées dans son cœur [37] ». L’amertume tournée en sarcasme est loin de n’être qu’une posture littéraire : les gens qui ont pu fréquenter Chamfort lorsqu’il logeait chez Mme Helvétius, puis chez Mme Buffon parlent d’un personnage « sombre », à la « fatigante âcreté », dont la conversation n’est qu’enfilage de saillies « anti-sociales [38] ».
43Rivarol non plus n’a pas eu l’intention de publier ses carnets mais l’ouverture à l’altérité intervient bien dans son projet scripturaire, dans la mesure où ses mots d’esprits ont pour vocation l’oralisation. Certains d’entre eux rapportent des anecdotes vécues où l’auteur se donne à entendre comme porteur d’une réplique dont il est manifestement fier et qu’il a voulu consigner afin de donner ultérieurement à goûter le bon mot à un autre auditoire. Les critiques qui ont pu consulter le manuscrit ont relevé en marge des notes de la main de Rivarol signalant que tel ou tel passage avait été « employé [39] » ! Cela tend à prouver que Rivarol s’imposait une exigence de variation et d’invention afin de ne pas lasser, afin de ne pas tomber dans la caricature du faiseur de bons mots trop fier de ses saillies, et qui en vient à radoter. Mais on peut aussi penser que la diversité des récepteurs (cercle familial, société mondaine, lettres, propos privés) autorisait la réutilisation d’une même citation. Le seul but de telles historiettes est de nourrir la conversation (et la réputation de leur auteur), pour amuser la galerie [40]. Et c’est ici que Rivarol rejoint Chamfort, avec cette différence que le premier assume le projet de faire rire, quand le second ressemble déjà beaucoup plus au surhomme de Nietzsche, qui rit du monde depuis les hauteurs de sa solitude. Chez Rivarol, l’apophtegme n’est donc pas la conservation morte d’un dit notable : c’est un dit, noté – au sens propre du terme – par son propre énonciateur, afin d’être redit dans un autre cadre énonciatif, à titre d’autocitation.
44Mais ici, il faut, pensons-nous, établir une distinction entre les propos manifestement consignés après un échange réel (mais dont l’authenticité reste incertaine) et ceux qui sont peut-être de pures inventions, dont il est impossible de déterminer si ce sont des énoncés à dire ou déjà dits. Dans la première catégorie, on peut classer, par exemple, les fragments suivants :
« Pourquoi, me disait un jour d’Alembert en parlant de Buffon, ce comte de Tuffière a-t-il peint si emphatiquement le cheval, cette noble conquête de l’homme etc., au lieu de dire simplement le cheval ? »
« Vous avez raison, lui répondis-je, c’est comme ce misérable J.-B. Rousseau qui dit :
Des lieux sacrés où naît l’aurore
Aux bois enflammés du couchant,
Au lieu de dire tout uniment de l’est à l’ouest. » [41]
À un mauvais écrivain qui en partant de Paris me donnait ses ouvrages : « Je ne gagne rien à votre absence. » [42]
Je dormais. L’évêque dit à cette dame : « Laissons-le dormir, ne parlons plus. » Je lui répondis : « Si vous ne parlez plus, je ne dormirai pas. » [43]
Florian passait avec un manuscrit qui sortait à moitié de sa poche ; je lui dis : « Si on ne vous connaissait pas, on vous volerait. » [44]
49On remarque que, souvent, un élément suggère l’authenticité, voire le caractère potentiellement vérifiable du propos rapporté, puisque le nom d’un protagoniste au moins est indiqué. Mais ce n’est pas toujours le cas. Ainsi de l’emploi marqué des déterminants dans le fragment « Je dormais » : l’ et cette suggèrent des référents identifiables mais rien ne permet, dans le fragment en l’état, de restituer leur nom aux personnages. De même, le mauvais écrivain est peut-être le même dans l’anecdote de la page 67 et dans celle de la page 74 mais il n’est nommé que dans la seconde. Rien ne permet de déterminer en contexte pourquoi Rivarol choisit, tantôt, de préserver l’anonymat de ses cibles, tantôt, de le lever, sinon éventuellement le fait que c’est leur notoriété qui justifie la mention de leur nom. L’absence de précision sur leur identité suggérerait qu’il s’agit de personnes moins connues. L’on peut aussi faire l’hypothèse que Rivarol restituait leur patronyme aux dites cibles lorsqu’il employait les fragments dans lesquels, à l’écrit du moins, il n’avait pas pris la peine de les nommer, et inversement.
50La seconde catégorie est constituée, entre autres, des pseudo-apophtegmes suivants, fragments de dialogues sans indications contextuelles ni précisions quant à l’énonciation :
Langue. « Moi, Monsieur, je sais quatre langues… » « Eh bien, vous avez quatre mots contre une idée. » [45]
– Monsieur, vous ne savez donc pas l’orthographe ?
– Monsieur, vous êtes un sot en deux lettres ! [46]
– Vous parliez beaucoup à des gens bien ennuyeux.
– Je parlais de peur d’écouter. [47]
– Que pensez-vous de mon ouvrage ?
– Je fais comme vous, je ne pense pas. [48]
– Quelles raisons a-t-il eu [sic] de se tuer ?
– Il faut de si fortes raisons pour vivre qu’il n’en faut pas pour mourir. [49]
56Parfois, seuls les guillemets suggèrent qu’il s’agit peut-être de l’enregistrement d’une parole authentique, sans que l’énonciateur en soit précisé. C’est le caractère percutant du propos qui laisse penser que son auteur est bien Rivarol :
« Il y a une chose qui lui déplaît dans le sommeil, c’est le repos. » [50]
« Eh quoi ! vous permettez à votre estomac de troubler votre cerveau ! » [51]
« Vous avez beau le louer, vous ne m’empêcherez pas de le lire. » [52]
60Toutefois, quel que soit le statut initial du propos, quels que soient aussi les contextes de son utilisation ou de sa réutilisation, Rivarol ne se fait manifestement aucune illusion sur ce qu’il advient des belles formules en littérature : « À la fin tout s’use, tout devient lieu commun en littérature. Il n’y a que les arts et les sciences qui s’ouvrent toujours des routes nouvelles [53]. »
61Compiler les paroles qui en valent la peine reste la pratique la plus économique en énergie et la plus légitime au vu de leur triste destinée. Inutile de consacrer trop de temps et de travail à les élaborer : Rivarol parle ainsi de la « fatigue malsaine que cause l’écriture, opposée à la fatigue très saine du laboureur ou du bûcheron [54] ». Et quant à la garantie d’authenticité ou d’exactitude des dits rapportés, là non plus, aucune illusion à se faire. Il suffit d’avoir raconté une anecdote à quelques reprises pour s’être soi-même persuadé qu’elle est vraie : « On croit volontiers ce qu’on a beaucoup dit : “Credidi propter quod locutus sum” [55]. » Pas plus que dans l’apophtegme traditionnel, consigné par un tiers qui n’en est pas l’énonciateur premier, on ne peut considérer comme véridiques les reparties rivaroliennes. On peut seulement les regarder comme des traces du fameux « esprit de Rivarol [56] ».
62Avec Rivarol, on observe donc le cas, peu banal, d’un moraliste qui s’érige lui-même en autorité et constitue sa propre parole en apophtegme. En même temps, celui qui a mérité le nom de « moraliste impur [57] » n’est pas dupe du prestige associé aux apophtegmes. S’il peut se permettre de s’ériger en référence littéraire, c’est avant tout parce qu’il a, par avance, dégonflé toute l’autorité des références littéraires et remis à sa place le labeur d’écrire dans la variété et la diversité des activités humaines, dont il n’ignore pas que certaines sont plus dignes et plus utiles à l’humanité que l’écriture. Ou comment légitimer une paresse devenue légendaire car paradoxalement revendiquée :
Mon épitaphe :
La paresse nous l’avait ravi avant la mort. [58]
Notes
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[1]
La présente étude s’appuie sur l’édition des Pensées diverses de Rivarol établie par S. Menant (Paris, Desjonquères, 1998).
-
[2]
Chamfort, Maximes, Pensées, Caractères, éd. J. Dagen, Paris, Garnier-Flammarion, 1968, fr. 1222, p. 316.
-
[3]
Ibid., fr. 1038, p. 278.
-
[4]
Ibid., fr. 1121, p. 299.
-
[5]
Ibid., fr. 1283, p. 332.
-
[6]
On peut aussi se demander si ce n’est pas une schizophrénie ludique qui dicte la dissociation entre je auctorial citant et il cité, dans ce type de morceau : « J’ai connu un misanthrope qui avait des instants de bonhommie, dans lesquels il disait : “Je ne serais pas étonné qu’il y eût quelque honnête homme caché dans quelque coin et que personne ne connaisse.” » (ibid., fr. 951, p. 264).
-
[7]
Ibid., fr. 820, p. 234.
-
[8]
Ibid., fr. 1225, p. 316.
-
[9]
Ibid., fr. LX, p. 359.
-
[10]
Ibid., fr. 1250, p. 320.
-
[11]
Ibid., fr. 1020, p. 275.
-
[12]
E. Jünger, Rivarol et autres essais, trad. de l’allemand par J. Naujac et L. Eze, Paris, Grasset, 1974, p. 14 et 17.
-
[13]
Op. cit., p. 35.
-
[14]
Ibid., p. 44.
-
[15]
On se souvient de saint Paul : « exhortamini invicem » (« pratiquez l’exhortation mutuelle ») dans la Deuxième Épître aux Corinthiens, 13, 11. Or on retrouve ce thème chez saint Augustin : « Tu es pire en te taisant que lui en fautant » (Sermon 82, 7, trad. de l’abbé Raulx, cité dans J. Plainemaison, Pascal polémiste, Presses universitaires de Clermont-Ferrand, 2003, p. 177). L’influence augustinienne est sensible dans la question du dire (faut-il ou non révéler à l’autre ses défauts ?), que l’on retrouve chez La Rochefoucauld : « Le plus grand effort de l’amitié n’est pas de montrer nos défauts à un ami, c’est de lui faire voir les siens » (Réflexions ou sentences et maximes morales, éd. L. Plazenet, Paris, Champion, 2005, max. 410, p. 184) ; et chez Pascal : « On a bien de l’obligation à ceux qui avertissement des défauts, car ils mortifient ; ils apprennent qu’on a été méprisé, ils n’empêchent pas qu’on ne le soit à l’avenir, car on a bien d’autre défauts pour l’être. Ils préparent l’exercice de la correction, et l’exemption d’un défaut. » (Pensées, éd. Ph. Sellier, Paris, Librairie Générale Française, 2000, fr. 680, p. 465).
-
[16]
Cet appel n’a rien à voir avec l’enseignement d’une philosophie de la liberté humaine. Ainsi que nous l’avons déjà montré, il y a chez Rivarol une méfiance instinctive envers toute relation de type pédagogique, qui s’inscrit dans le refus, plus large, d’adhérer à la foi des Lumières, irrationnelle mais tenace, qu’est la croyance dans le progrès. Lire sur ce point I. Molard-Riocreux, « Moralistique de la crise : un didactisme paradoxal (Rivarol, Chamfort) », dans Maîtres et élèves de la Renaissance aux Lumières, Actes de la journée du CELFF 17-18, 16 juin 2012, http://www.cellf.paris-sorbonne.fr/documents/texte_59.pdf, p. 64-71.
-
[17]
Op. cit., p. 43.
-
[18]
S. Menant, « L’œuvre inachevée de Rivarol ou la crise des Lumières », dans A. Rivara et G. Lavorel (éd.), L’Œuvre inachevée, Lyon, CEDIC, 1999, p. 224.
-
[19]
É. Callot, « Rivarol ou l’apprentissage de la liberté », dans Six philosophes français du XVIIIe siècle : la vie, l’œuvre et la doctrine de Diderot, Fontenelle, Maupertuis, La Mettrie, D’Holbach, Rivarol, Annecy, Gardet, 1963, p. 154.
-
[20]
C. Le Meur, Les Moralistes français et la politique à la fin du XVIIIe siècle. Le prince de Ligne, Sénac de Meilhan, Chamfort, Rivarol, Joubert, Hérault-Séchelles devant la mort d’un genre et la naissance d’un monde, Paris, Champion, 2002, p. 261.
-
[21]
« Tout en nous laissant apercevoir l’homme d’esprit qui résuma en lui les plus brillants attraits de la conversation du XVIIIe siècle, ces “pensées diverses” nous révèlent l’envers secret du personnage, l’homme de “la retraite”, selon sa propre expression, qui juge les hommes et mesure le champ étroit de sa propre liberté et de son propre pouvoir. » (S. Menant, « Présentation », dans Rivarol, op. cit., 1998, p. 20). Voir aussi l’analyse que fait S. Menant de la datation des carnets dans « Rivarol au travail », dans R. Lathuillière (dir.), Langue, littérature du XVIIe et du XVIIIe siècles. Mélanges offerts à M. le Professeur Frédéric Deloffre, Paris, SEDES, 1990, p. 575-587 : le carnet contenant les « Pensées diverses » est entamé en 1789 et utilisé jusqu’en 1799 ; S. Menant en déduit qu’il « correspond à des périodes de retraite au milieu de la vie agitée de Rivarol » (p. 577).
-
[22]
Dans L’Esprit de Rivarol (1808), cité dans L. Loty, « Forme brève et pessimisme. Le cas de Chamfort », La Licorne, n° 21, 1991, p. 232.
-
[23]
Op. cit., p. 61.
-
[24]
Ibid., p. 41.
-
[25]
Ibid., p. 41.
-
[26]
Ibid., p. 55.
-
[27]
Ibid., p. 56 (nos italiques).
-
[28]
Ibid., p. 64.
-
[29]
Ibid., p. 93.
-
[30]
Ibid., p. 72.
-
[31]
Ibid., p. 76-77.
-
[32]
Ibid., p. 40.
-
[33]
Ibid., p. 78.
-
[34]
Ibid., p. 80.
-
[35]
Chamfort, op. cit., p. 15.
-
[36]
Ibid., Lettre à M. l’abbé Roman, Paris, 4 avril 1784, p. 379-380.
-
[37]
J. Renwick, « La retraite selon Chamfort », dans J.-M. André, J. Dangel et P. Demont (éd.), Les Loisirs et l’héritage de la culture classique, Bruxelles, Latomus, 1996, p. 642.
-
[38]
A. Morellet, Mémoires, Paris, 1821, II. 20-27, cité dans J. Renwick, ibid.
-
[39]
S. Menant, « Présentation », dans Rivarol, op. cit., p. 12.
-
[40]
C. Le Meur fait le lien entre cette pratique du recueil comme réserve de bons mots et celle, très académique, des cahiers de citations telle qu’elle avait cours dans les collèges (op. cit., p. 289).
-
[41]
Op. cit., p. 60
-
[42]
Ibid., p. 67.
-
[43]
Ibid., p. 74.
-
[44]
Ibid.
-
[45]
Ibid., p. 43.
-
[46]
Ibid., p. 73.
-
[47]
Ibid., p. 75.
-
[48]
Ibid., p. 76.
-
[49]
Ibid., p. 78.
-
[50]
Ibid., p. 75.
-
[51]
Ibid., p. 82.
-
[52]
Ibid., p. 85.
-
[53]
Ibid., p. 44.
-
[54]
Ibid., p. 63.
-
[55]
Ibid., p. 43.
-
[56]
Chênedollé, op. cit.
-
[57]
C. Le Meur, « Rivarol moraliste impur », Cahiers de l’Association Internationale des Études Françaises, n° 59, mai 2007, p. 237-249.
-
[58]
L’Esprit de Rivarol, Paris, 1808, p. 85.