Notes
-
[1]
Voir les travaux de G. Mori : « Interpréter la philosophie de Bayle », dans H. Bost et P. de Robert (dir.), Pierre Bayle, citoyen du monde. De l’enfant du Carla à l’auteur du « Dictionnaire », Paris, Champion, 1999, p. 303-324 ; Bayle philosophe, Paris, Champion, 1999, p. 13-53 ; « Anonymat et stratégies de communication : le cas de Pierre Bayle », La Lettre clandestine, n° 8, 1999, p. 19-34.
-
[2]
P. Bayle, Avis aux réfugiés. Réponse d’un nouveau converti, éd. G. Mori, Paris, Champion, 2007.
-
[3]
Id., Continuation des pensées diverses, § 106, Œuvres diverses, t. III, 333b.
-
[4]
Id., Dictionnaire historique et critique, art. « Pyrrhon », rem. B ; je souligne.
-
[5]
M. Serres, Le Système de Leibniz et ses modèles mathématiques, Paris, Puf, 1968.
-
[6]
Voir É. Argaud, « Bayle’s defence of Epicurus : proof and counterproof of Malebranche’s Méditations chrétiennes », dans Epicurus in the Enlightenment, Oxford, Voltaire Foundation, 2009, p. 13-30 ; « “C’est le plaisir qui est le caractère du bien” : le versant “pyrrhonien” de la querelle “épicurienne” sur le plaisir », dans Polémiques autour du scepticisme : usages paradoxaux et caricatures, Paris, Champion, 2013 ; « Malebranche épicurien : Bayle lecteur du Traité de la nature et de la grâce. La “disposition”, un concept épicurien ? », dans D. Kolesnik (dir.), Malebranchismes des Lumières, Paris, Champion, 2013 ; Le Paradoxe dans la pensée de Pierre Bayle, thèse de doctorat, Université de Saint-Étienne, 2012.
-
[7]
P. Des Maizeaux, Vie de M. Bayle, dans Dictionnaire historique et critique, Amsterdam, P. Brunel et al., 1740, t. I, p. LXXVII.
-
[8]
Voir P. Bayle, Lettre du 17 avril 1696 à Sir William Trumbull, Correspondance, éd. É. Labrousse et A. McKenna, Oxford, Voltaire Foundation, t. X, 2013, lettre n° 1104.
-
[9]
Sur le réseau limousin de Baluze, voir J. Boutier, Stephanus Baluzius tutelensis. Etienne Baluze (1630-1718). Un savant tullois dans la France de Louis XIV, Tulle, Éd. de la Rue Mémoire, 2006 ; id. (dir.), Étienne Baluze, 1630-1718. Érudition et pouvoirs dans l’Europe classique, Limoges, PULIM, 2008 ; P. Gillet, Étienne Baluze et l’histoire du Limousin, Genève, Droz, 2008.
-
[10]
Voir la lettre de Leibniz à Nicaise, 28 mai 1697.
-
[11]
Art. « Perrot », rem. A.
-
[12]
Art. « Abelli (Antoine) », rem. A.
-
[13]
Ibid.
-
[14]
Art. « Épicure », rem. M, cit. 119.
-
[15]
Art. « Vérone », rem. A.
-
[16]
Art. « Lotichius (Pierre) », rem. E.
-
[17]
Selon la définition de M. Mülsow, « Qu’est-ce qu’une constellation philosophique ? Proposition pour une analyse des réseaux intellectuels », Annales, Histoire, Sciences sociales, n° 64, 2009, p. 81-109. Voir aussi id. et M. Stamm (éd.), Konstellationsforschung, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2005.
-
[18]
Voir D. N. Livingstone, Putting science in its place, Chicago, University of Chicago Press, 2003, p. 145.
-
[19]
Dictionnaire historique et critique, art. « Agrippa (Henri Corneille) », rem. Q. Voir aussi Pensées diverses sur la comète, § 200 : « Nous raisonnâmes sur tout cela avec cette liberté si précieuse aux honnêtes gens, que l’on se donne quand on n’est point troublé ni par la présence du Peuple, ni par celle des Docteurs bigots, deux sortes de gens qu’il faut soigneusement ménager ; les premiers, de peur d’ébranler leur foi ; et les autres, de peur de devenir l’objet de leurs ardentes persécutions ».
-
[20]
Voir Matthieu, X, 34-35 : « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu séparer l’homme d’avec son père, la fille d’avec sa mère, et la belle-fille d’avec sa belle-mère » ; Luc, XII, 51-53 : « Croyez-vous que je sois venu pour apporter la paix sur la terre ? Non, je vous assure, mais, au contraire, la division. Car désormais, s’il se trouve cinq personnes dans une maison, elles seront divisées les unes contre les autres, trois contre deux, et deux contre trois. Le père sera en division avec le fils, et le fils avec le père, la mère avec la fille, et la fille avec la mère, la belle-mère avec la belle-fille, et la belle-fille avec la belle-mère » (trad. Lemaître de Sacy).
-
[21]
Dictionnaire historique et critique, art. « Catius », rem. D.
-
[22]
Ibid., art. « Usson », rem. F.
-
[23]
Voir B. Barret-Kriegel, L’Histoire à l’âge classique, Paris, Puf, 1988.
-
[24]
Voir S. Shapin et S. Schaffer, Leviathan and the air-pump. Hobbes, Boyle and the experimental life, Princeton, Princeton University Press, 1985.
Citer cet article
- McKenna, A.
- McKenna, Antony.
- MCKENNA, Antony,
https://doi.org/10.3917/licla.080.0237
Notes
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[1]
Voir les travaux de G. Mori : « Interpréter la philosophie de Bayle », dans H. Bost et P. de Robert (dir.), Pierre Bayle, citoyen du monde. De l’enfant du Carla à l’auteur du « Dictionnaire », Paris, Champion, 1999, p. 303-324 ; Bayle philosophe, Paris, Champion, 1999, p. 13-53 ; « Anonymat et stratégies de communication : le cas de Pierre Bayle », La Lettre clandestine, n° 8, 1999, p. 19-34.
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[2]
P. Bayle, Avis aux réfugiés. Réponse d’un nouveau converti, éd. G. Mori, Paris, Champion, 2007.
-
[3]
Id., Continuation des pensées diverses, § 106, Œuvres diverses, t. III, 333b.
-
[4]
Id., Dictionnaire historique et critique, art. « Pyrrhon », rem. B ; je souligne.
-
[5]
M. Serres, Le Système de Leibniz et ses modèles mathématiques, Paris, Puf, 1968.
-
[6]
Voir É. Argaud, « Bayle’s defence of Epicurus : proof and counterproof of Malebranche’s Méditations chrétiennes », dans Epicurus in the Enlightenment, Oxford, Voltaire Foundation, 2009, p. 13-30 ; « “C’est le plaisir qui est le caractère du bien” : le versant “pyrrhonien” de la querelle “épicurienne” sur le plaisir », dans Polémiques autour du scepticisme : usages paradoxaux et caricatures, Paris, Champion, 2013 ; « Malebranche épicurien : Bayle lecteur du Traité de la nature et de la grâce. La “disposition”, un concept épicurien ? », dans D. Kolesnik (dir.), Malebranchismes des Lumières, Paris, Champion, 2013 ; Le Paradoxe dans la pensée de Pierre Bayle, thèse de doctorat, Université de Saint-Étienne, 2012.
-
[7]
P. Des Maizeaux, Vie de M. Bayle, dans Dictionnaire historique et critique, Amsterdam, P. Brunel et al., 1740, t. I, p. LXXVII.
-
[8]
Voir P. Bayle, Lettre du 17 avril 1696 à Sir William Trumbull, Correspondance, éd. É. Labrousse et A. McKenna, Oxford, Voltaire Foundation, t. X, 2013, lettre n° 1104.
-
[9]
Sur le réseau limousin de Baluze, voir J. Boutier, Stephanus Baluzius tutelensis. Etienne Baluze (1630-1718). Un savant tullois dans la France de Louis XIV, Tulle, Éd. de la Rue Mémoire, 2006 ; id. (dir.), Étienne Baluze, 1630-1718. Érudition et pouvoirs dans l’Europe classique, Limoges, PULIM, 2008 ; P. Gillet, Étienne Baluze et l’histoire du Limousin, Genève, Droz, 2008.
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[10]
Voir la lettre de Leibniz à Nicaise, 28 mai 1697.
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[11]
Art. « Perrot », rem. A.
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[12]
Art. « Abelli (Antoine) », rem. A.
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[13]
Ibid.
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[14]
Art. « Épicure », rem. M, cit. 119.
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[15]
Art. « Vérone », rem. A.
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[16]
Art. « Lotichius (Pierre) », rem. E.
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[17]
Selon la définition de M. Mülsow, « Qu’est-ce qu’une constellation philosophique ? Proposition pour une analyse des réseaux intellectuels », Annales, Histoire, Sciences sociales, n° 64, 2009, p. 81-109. Voir aussi id. et M. Stamm (éd.), Konstellationsforschung, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2005.
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[18]
Voir D. N. Livingstone, Putting science in its place, Chicago, University of Chicago Press, 2003, p. 145.
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[19]
Dictionnaire historique et critique, art. « Agrippa (Henri Corneille) », rem. Q. Voir aussi Pensées diverses sur la comète, § 200 : « Nous raisonnâmes sur tout cela avec cette liberté si précieuse aux honnêtes gens, que l’on se donne quand on n’est point troublé ni par la présence du Peuple, ni par celle des Docteurs bigots, deux sortes de gens qu’il faut soigneusement ménager ; les premiers, de peur d’ébranler leur foi ; et les autres, de peur de devenir l’objet de leurs ardentes persécutions ».
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[20]
Voir Matthieu, X, 34-35 : « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu séparer l’homme d’avec son père, la fille d’avec sa mère, et la belle-fille d’avec sa belle-mère » ; Luc, XII, 51-53 : « Croyez-vous que je sois venu pour apporter la paix sur la terre ? Non, je vous assure, mais, au contraire, la division. Car désormais, s’il se trouve cinq personnes dans une maison, elles seront divisées les unes contre les autres, trois contre deux, et deux contre trois. Le père sera en division avec le fils, et le fils avec le père, la mère avec la fille, et la fille avec la mère, la belle-mère avec la belle-fille, et la belle-fille avec la belle-mère » (trad. Lemaître de Sacy).
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[21]
Dictionnaire historique et critique, art. « Catius », rem. D.
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[22]
Ibid., art. « Usson », rem. F.
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[23]
Voir B. Barret-Kriegel, L’Histoire à l’âge classique, Paris, Puf, 1988.
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[24]
Voir S. Shapin et S. Schaffer, Leviathan and the air-pump. Hobbes, Boyle and the experimental life, Princeton, Princeton University Press, 1985.
1Il est bien connu que Bayle adopte des masques et qu’il est toujours très difficile de déterminer s’il dit ce qu’il pense. Ses premiers ouvrages polémiques sont anonymes ; les ouvrages suivants – aux ambitions plus philosophiques – sont publiés sous différents pseudonymes qui sont autant de rôles qu’il endosse (le catholique qui adresse sa Lettre sur la comète à un docteur de Sorbonne) ; le quaker socinien, pour ainsi dire, du Commentaire philosophique, « traduit de l’anglais de Jean Fox de Bruggs ». Le Dictionnaire historique et critique est le premier ouvrage qui paraît sous son nom, mais son biographe Des Maizeaux explique que cela s’est produit contre son gré (nous y reviendrons). C’est un auteur qui se cache donc et qui joue un jeu de rôles qui lui permet de donner le change [1], de pratiquer l’ironie à plusieurs niveaux.
2Dans ses ouvrages polémiques anti-catholiques : la Critique générale de l’Histoire du calvinisme du P. Maimbourg, les Nouvelles lettres, le pamphlet Ce que c’est que la France toute catholique sous le règne de Louis le Grand, on conçoit que l’anonymat était nécessaire, puisque Bayle savait que sa famille était exposée aux représailles du pouvoir : cela s’est confirmé d’ailleurs lors de la découverte malencontreuse qu’il était l’auteur de la Critique générale de Maimbourg, des Nouvelles lettres et des Pensées diverses, puisque son frère Jacob fut aussitôt emprisonné et mourut au Château-Trompette de Bordeaux.
3Dans ses ouvrages polémiques qui ont été lus comme des ouvrages anti-protestants – j’entends la Réponse d’un nouveau converti et l’Avis aux réfugiés – l’anonymat était encore plus nécessaire et bien mieux gardé. Jusqu’à sa mort, Bayle refusait de reconnaître qu’il en était l’auteur ; ses meilleurs amis (les Basnage en particulier) n’ont pas voulu croire qu’il en était responsable, car ils lisaient ces deux ouvrages comme des trahisons de la cause de la Réforme et des huguenots réfugiés en particulier. Bayle a laissé croire que Paul Pellisson-Fontanier (commodément mort au début de 1693) les avait composés ; la tradition critique a voulu croire que Daniel de Larroque y avait mis la main après son abjuration. Ce n’est que tout récemment que l’anonymat a été levé sans ambiguïté par Gianluca Mori [2].
4Mais ce sont là des cas particuliers : par l’anonymat Bayle comptait manifestement échapper à la persécution. Il y aurait beaucoup à dire sur l’Avis aux réfugiés et sur la manière narquoise dont Bayle promet explicitement d’y répondre et y renonce publiquement en fin de compte pour de bien mauvaises raisons, mais je me permets de renvoyer sur ce point aux travaux de Gianluca Mori, qui a parfaitement mis en évidence les contorsions ironiques de Bayle et retracé toutes les péripéties des fausses attributions.
5Le masque catholique de la Lettre sur la comète nous retiendra, comme aussi celui du quaker socinien dans le Commentaire philosophique, car ce sont là des rôles créés par Bayle : il y adopte une posture argumentative qu’il croit utile, non seulement parce que le masque le cache mais parce qu’il lui permet de dire les choses autrement qu’il ne pourrait le faire sous son propre nom. À mon sens, ces rôles mettent en évidence l’importance que Bayle accorde à l’argument ad hominem d’une part, et d’autre part à la rétorsion, autrement dit à la dialectique du débat philosophique, constituée de concessions provisoires (concesso non dato), de réfutations, de nouvelles concessions et de nouvelles réfutations, jusqu’à ce que le cheminement argumentatif nous conduise nécessairement aux conclusions qu’il vise. Dans un tel débat – et Bayle est passé maître dans l’art de ramener les conséquences à leurs prémisses et dans celui de démontrer les conséquences absurdes de prémisses mal conçues et les contradictions internes des doctrines –, dans un tel débat philosophique donc, Bayle accorde une importance primordiale à la rétorsion : il ne faut pas que l’adversaire puisse retourner nos arguments contre nous-mêmes. Dans toute dispute philosophique, insiste-t-il, il faut que les arguments de l’attaquant soient tels que son adversaire ne puisse les retourner contre lui, « car tout argument qui frappe le dogme de l’attaquant aussi bien que celui du soutenant, prouve trop, et dès-là il ne prouve rien [3] ». Adopter un masque est donc un moyen de multiplier les positions philosophiques, les points de vue sur une problématique donnée, et de tester les réponses proposées. Est-ce qu’il ne s’agit pas de pétitions de principe ? N’y a-t-il pas de contradictions internes ? Le proposant a-t-il bien perçu les conséquences de ses prémisses ? Est-ce que ses arguments résistent à la rétorsion ? Est-ce qu’on accepterait cet argument si on l’entendait dans la bouche d’un catholique, d’un socinien, d’un quaker ? On pense évidemment au scandale de l’Avis aux réfugiés, où Bayle montre que les réformés ne sauraient reprocher aux catholiques les persécutions dont ils font l’objet depuis la Révocation puisqu’ils viennent de démontrer par la « Glorieuse Révolution » qu’ils accordent au souverain politique le droit d’interdire telle ou telle conviction religieuse.
6De façon plus abstraite, dans l’article « Pyrrhon », Bayle se contente d’esquisser une rétorsion à l’égard de la démonstration cartésienne de la vérité de l’évidence garantie par la véracité divine :
Le cartésianisme a mis la dernière main à l’œuvre ; et personne parmi les bons philosophes ne doute plus, que les sceptiques n’aient raison de soutenir que les qualitez des corps, qui frappent nos sens, ne sont que des apparences. Chacun de nous peut bien dire, je sens de la chaleur à la présence du feu, mais non pas je sai que le feu est tel en lui-même qu’il me paroit. Voilà quel étoit le style des anciens pyrrhoniens. Aujourd’hui la nouvelle philosophie tient un langage plus positif : la chaleur, les odeurs, les couleurs, etc. ne sont point dans les objets de nos sens ; ce sont des modifications de mon ame ; je sai que les corps ne sont point tels qu’ils me paroissent. On auroit bien voulu en excepter l’étendue et le mouvement ; mais on n’a pu ; car les si les objets des sens nous paroissent colorez, chauds, froids, odorans, encore qu’ils ne le soient pas, pourquoi ne pourroient-ils point paroitre étendus et figurez, en repos et en mouvement, quoiqu’ils n’eussent rien de tel ? Bien plus, les objets des sens ne sauroient etre la cause de mes sensations : je pourrois donc sentir le froid et le chaud ; voir des couleurs, des figures, de l’étendue, du mouvement, quoiqu’il n’y eût aucun corps dans l’univers. Je n’ai donc nulle bonne preuve de l’existence des corps. La seule preuve qu’on peut m’en donner doit etre tirée de ce que Dieu me tromperoit, s’il imprimoit dans mon ame les idées que j’ai du corps, sans qu’en effet il y eût des corps ; mais cette preuve est fort foible ; elle prouve trop. Depuis le commencement du monde tous les hommes, à la réserve peut-etre d’un sur deux cens millions, croient fermement que les corps sont colorez, et c’est une erreur. Je demande, Dieu trompe-t-il les hommes par rapport à ces couleurs ? S’il les trompe à cet égard, rien n’empêche qu’il ne les trompe à l’égard de l’étendue. Cette derniere illusion ne sera pas moins innocente, ni moins compatible que la premiere avec l’Etre souverainement parfait. [4]
8Il faut donc multiplier les points de vue sur une question pour s’assurer qu’on ne donne pas le bâton pour se faire battre.
9Or la multiplication des points de vue était au XVIIe siècle une méthode bien connue en mathématique. Pascal l’a pratiquée, par exemple, dans ses recherches sur les coniques, où il montre que toutes les ellipses, les paraboles et les asymptotes sont autant de sections de cône. Le cône permet d’adopter en quelque sorte un point de vue privilégié qui explique tous les autres ou qui en rend compte. Chaque ellipse, parabole et asymptote est, en quelque sorte, un point de vue particulier que le cône permet de percevoir comme tel. Leibniz avait bien saisi la portée de cette méthode, comme l’a montré Michel Serres [5]. En philosophie, une telle méthode s’apparente, non pas au cartésianisme, bien entendu, puisque Descartes déduit avec évidence les conséquences de ses premiers principes, mais bien au gassendisme, qui pratique l’expérience, qui accumule les observations, qui sont autant de points de vue sur les phénomènes. Selon Gassendi, nous ne connaissons pas les substances et nous sommes donc réduits à proposer des hypothèses vraisemblables qui rendent compte des phénomènes observés sous ces différents angles tels qu’ils nous apparaissent. Il me semble qu’on pourrait rapprocher la pratique philosophique de Bayle de cette méthode : il multiplie les points de vue, il teste les uns contre les autres, il élimine les contradictions internes et il cherche les hypothèses qui rendraient compatibles des positions apparemment contradictoires. Ainsi s’expliquerait sa prédilection pour le masque philosophique, qui lui permet d’être partout et nulle part.
10Dans le Dictionnaire historique et critique, les renvois d’un article à l’autre remplissent un rôle semblable : ils multiplient les points de vue, ils rapprochent de façon inattendue telle position philosophique de telle autre, ils permettent ainsi la synthèse. Et cette synthèse consiste à percevoir le statut privilégié de tel système philosophique qui sert de clef à la lecture des autres. L’épicurisme gassendiste et le prétendu « néo-épicurisme » de Malebranche lui servent de grille de lecture de la doctrine augustinienne de la grâce, par exemple, et lui permettent de brandir contre Antoine Arnauld le principe de plaisir du philosophe de Samos [6].
11Mais le Dictionnaire, nous l’avons déjà indiqué, est le premier ouvrage de Bayle publié sous son nom :
C’est ici le premier et le seul ouvrage où Mr Bayle ait mis son nom. Ce n’étoit pas son dessein : il avoit dit en toutes rencontres, pendant le cours de l’impression, qu’il ne s’y nommeroit point ; et il avoue à la fin de sa Préface que ses amis s’étoient efforcez en vain de le faire changer de sentiment ; mais qu’enfin il avoit été obligé de consentir que son nom y parût. « Ce n’est point par instance, dit-il, mais pour obéir à l’autorité souveraine, que je fais ce que j’ai dit si souvent que je ne voulois point faire. On a trouvé à propos pour appaiser le differend de quelques libraires, que je me nommasse. Sans cela, le sieur Leers n’eût pu obtenir le privilege, dont il avoit, à ce qu’il a cru, un besoin indispensable. J’obéis donc aveuglément. » [7]
13En effet, l’affaire de la dédicace du Dictionnaire montre bien que Bayle entendait le publier de façon anonyme. Lors de son passage à Rotterdam en 1694, Michel Le Vassor avait logé chez Bayle ; arrivé en Angleterre, il avait obtenu, grâce à la recommandation des huguenots réfugiés, la protection de Lord Portland et de Sir William Trumbull, secrétaire d’État. Le Vassor espérait bien obtenir pour son nouveau « patron » la dédicace du Dictionnaire, mais Bayle se dérobait et finit par lui opposer un refus précisément parce que l’ouvrage devait paraître anonyme [8].
14D’ailleurs, la préparation du Dictionnaire témoigne bien de la conception que Bayle a de son rôle : cet ouvrage monumental constitue paradoxalement un excellent exemple de son intention d’anonymat et jette une lumière sur la signification de l’anonymat. En mai 1692, Bayle a lancé publiquement (et anonymement) le Projet de son Dictionnaire, qu’il réalise à partir de 1693, en en modifiant considérablement l’esprit et l’ambition, tout en respectant la méthodologie exposée dans la préface du Projet – dont les principes sont expliqués dans l’article « Beaulieu », rem. F. Comme le révèle incidemment Basnage de Beauval, Bayle exploite à cette fin les « recueils » qu’il détient et qu’il développe depuis de longues années, mais, au moment de la rédaction définitive des articles du Dictionnaire, les « recueils » s’avèrent parfois incomplets, et Bayle doit avoir recours à ses amis et à leurs réseaux de correspondants.
15Bien entendu, le premier cercle de ses amis fidèles est mis à contribution : Vincent Minutoli et Jacques Du Rondel fournissent, l’un des informations généalogiques sur sa famille, très ancienne, l’autre des références érudites sur l’Antiquité. À ceux-ci s’ajoute un ami néerlandais, Théodore Jansson van Almeloveen, qui réside à Gouda et qui met sa très riche bibliothèque à la disposition de Bayle. Bayle compose également un article « Achille » fondé sur une publication de son ami Charles Drelincourt, professeur de médecine à Leyde.
16Mais c’est le réseau parisien qui est le plus intéressant de notre point de vue. Depuis longtemps, Bayle est en rapport avec François Janiçon, intermédiaire clef dans les réseaux huguenots. Or Janiçon est en contact avec d’autres « secrétaires » de la République des Lettres qui ont chacun son propre réseau : Claude Nicaise, François Pinsson des Riolles, Jean-Baptiste Dubos et Jean-Alphonse Turrettini (pendant son séjour parisien) sont en première ligne ; derrière eux, on sent la présence d’Étienne Baluze [9] au Collège royal, d’Antoine Galland, l’orientaliste accompli, de Bernard de La Monnoye à Dijon, de Jacob Le Duchat à Metz, de l’abbé Jean Gallois, directeur du Journal des savants, d’Adrien Baillet, bibliothécaire des Lamoignon, de Pierre Bonnet Bourdelot, le neveu du bibliothécaire des Condé, de Charles René d’Hozier, le généalogiste et fils de généalogiste, et des bibliothécaires du collège des Quatre Nations (bibliothèque Mazarine) Louis Picques, Pierre de Francastel et Antoine Lancelot.
17Ce groupe s’étend, au cours de la préparation de la deuxième édition du Dictionnaire, car Bayle prend contact avec plusieurs autres savants : Hervé Simon de Valhébert, l’ancien secrétaire de Gilles Ménage et bibliothécaire de l’abbé Jean-Paul Bignon ; Mathieu Marais, avocat au Parlement de Paris, érudit passionné qui vouera un véritable culte à la mémoire de Bayle ; Pierre Des Maizeaux, qui vient d’arriver à Londres ; et, de façon plus sporadique et plus ponctuelle, l’ami d’Almeloveen, Antonius van Dale, le célèbre Johannes Fredericus Gronovius, l’historien Gisbert Cuper, Louis T homassin de Mazaugues – qui à Aix-en-Provence dispose de la correspondance de Peiresc –, enfin Mathurin Veyssière de La Croze, ancien bénédictin converti au protestantisme, désormais réfugié à Berlin, où il est actif comme bibliothécaire, précepteur puis professeur et membre de l’Académie des sciences.
18Ensemble, ces savants et ces érudits constituent une formidable équipe, dont la contribution au Dictionnaire sera cruciale. D’autres relations restent dans l’ombre. Quelques indices discrets permettent de constater que Bayle a rencontré Locke lors de son séjour à Rotterdam, sans doute chez Benjamin Furly. Une fois retourné en Angleterre, il reste en correspondance avec Furly, qui lui donne parfois des nouvelles de Bayle ; à celui-ci Furly peut, en échange, relayer les informations qu’il glane dans les lettres de Locke. Or Locke a un réseau de correspondants très étendu. À l’époque qui nous concerne (1693-1696), il entre en relation avec Pierre Coste ; il suit de près les mouvements de John Toland ; il récolte les commentaires de William Molyneux et d’autres sur son Essai et sur ses Pensées sur l’éducation ; il reçoit les nouvelles de Nicaise, de Thoynard et de Dubos de Paris ; il échange avec William Popple et avec Shaftesbury ses idées sur la tolérance ; il suit les publications de Jean Le Clerc et de Philip van Limborch à Amsterdam… Bayle est donc indirectement en contact avec le « monde » de Locke et de Lady Masham à Oates.
19Enfin, Jean Robethon – le polémiste qui soutient Jurieu dans sa bataille contre Bayle – est depuis quelque temps déjà en correspondance avec Leibniz, et c’est lui qui recommande au philosophe de Hanovre les ressources d’Henri Basnage de Beauval, le journaliste de l’Histoire des ouvrages des savants, qui se tient bien informé par ses correspondants à Londres (Shaftesbury, Des Maizeaux, Daniel de Larroque, Hans Sloane), à Florence (Magliabechi) et à Paris (Mathieu Marais, Janisson du Marsin, Louis Ellies du Pin, Nicolas Thoynard). De son côté, Nicaise met Leibniz en contact avec Pinsson des Riolles [10] et il sert d’intermédiaire entre Leibniz et Huet. Une correspondance assez dense s’établit ainsi entre Hanovre, La Haye, Paris et Londres, où sont relayées les informations que Basnage tient de Bayle et que Bayle tient de ses réseaux parisien et genevois. À Deventer, Gisbert Cuper sert de relai pour les lettres de Nicaise à Grævius, Basnage de Beauval, Le Clerc, Bayle… Tout un enchevêtrement de réseaux permet ainsi aux nouvelles de circuler entre Paris, Bordeaux, Beauvais, Dijon, Rotterdam, Amsterdam, La Haye, Deventer, Londres, Salisbury, Hanovre, Berlin. Ces nouvelles apportent souvent des informations vitales pour la rédaction du Dictionnaire, parfois même des articles complets. Bayle signale scrupuleusement ses sources :
[Ces informations généalogiques sont] tiré[es] d’une lettre que Mr Frémont d’Ablancourt m’écrivit le 14 d’avril 1693. [11]
Cet éclaircissement m’a été communiqué par Mr de La Monnoie. [12]
Mr l’abbé Baudrand m’a fait savoir que cette abbaye de Livri « est à trois lieues de Paris, en allant vers Meaux, dans un petit quartier qu’on appelle l’Aulnoy, où il y a dix ou douze villages, et dont on ne sait plus les confins ». [13]
Les curieux ne me sauront pas mauvais gré de trouver ici un plus long éclaircissement touchant cette apologie [d’Épicure par André Arnaud]. J’en suis redevable à l’obligeant et très-docte Mr Minutoly (pasteur et professeur à Genève). Voici ce qu’il m’écrivit au mois de novembre 1693 […]. [14]
Mr Baluze, l’un de ces hommes rares qui sont nez pour le bien de la République des Lettres, et qui outre les productions dont ils l’enrichissent, se plaisent encore à fournir aux autres auteurs toute sorte d’assistances, a eu la bonté de m’envoyer ce qu’on va lire […]. [15]
25Et ce souci de transparence va parfois jusqu’à la caricature :
J’avois cru que l’édition des poésies de Lotichius procurée par Camerarius l’an 1561 étoit la première ; mais Mr [Sébastien] Kortholt a eu la bonté de m’avertir que l’on imprima à Paris en 1551 chez Vascosan Petri Lotichii secundi Elegiarum liber [….]. La lettre qu’il m’écrivit là-dessus s’est tellement égarée parmi mes papiers, que je n’ai pu la retrouver quand je l’ai cherchée en travaillant à la révision de cet article ; mais je me souviens qu’elle marquoit en détail plusieurs caractères de cette édition […]. [16]
27On peut ainsi dresser une liste complète des correspondants qui ont contribué au Dictionnaire – à la première et à la deuxième édition.
28La correspondance de Bayle nous permet ainsi d’assister de très près à la constitution d’un « lieu intellectuel » au XVIIe siècle qui se fonde sur les « ruines » des mercuriales de Ménage (mort le 23 juillet 1692) – c’est-à-dire sur le cercle des anciens membres de son salon. C’est un lieu constitué par un agencement de réseaux qui est une véritable configuration intellectuelle ou constellation, caractérisée par un groupe de savants et d’érudits qui partagent une culture et une problématique communes et qui œuvrent à l’avancement d’un projet philosophique [17]. Il s’agit donc de l’élaboration par une communauté de savants d’un objet emblématique du « savoir » historique : le Dictionnaire historique et critique. Tous les correspondants qui collaborent à ce projet se conçoivent comme membres de la République des Lettres : ils partagent une même culture, respectent une même déontologie, s’imposant les règles et les contraintes du partage du savoir.
29Le savoir en question étant essentiellement historique, il se fonde sur les témoignages proposés par Bayle lui-même et par ses correspondants sous forme de citations et de références bibliographiques : chacun apporte sa contribution, son témoignage glané dans les archives et dans les bibliothèques. Bayle les enregistre scrupuleusement, et la précision avec laquelle il signale l’apport de ses correspondants démontre avec transparence sa propre honnêteté et précise le statut – de seconde main – de l’information qu’il ajoute. Sur ce plan, il importe donc que les témoins cités jouissent d’un statut qui donne à leur apport savant une certaine crédibilité [18] : en l’occurrence, la garantie sociale est mise en évidence par le fait que les correspondants sont proches des institutions du savoir : universités, académies, Collège royal, bibliothèques.
30Dans ce contexte, l’intention d’anonymat de Bayle revêt une signification particulière. D’une part il nomme scrupuleusement ses correspondants et met en avant leur contribution au Dictionnaire, en les nommant explicitement et en citant leurs titres. D’autre part il reste lui-même anonyme : il récolte les informations et les références bibliographiques ; il les insère dans les articles pertinents ; il organise le savoir, mais reste en quelque sorte à l’arrière-plan, comme un simple secrétaire de la République des Lettres. Il reprend, semble-t-il, le rôle qu’il avait joué quelques années auparavant en tant que journaliste anonyme de la République des Lettres. L’esprit de cet anonymat mérite d’être étudié de plus près.
31En effet, l’esprit qui règne dans cette pratique du partage culturel est celui d’un débat critique permanent : une guerre des esprits, en quelque sorte, où chacun peut exprimer ses doutes, ses objections et apporter son contre-témoignage sous forme de nouvelles références bibliographiques. Il s’agit d’érudition critique et non pas de compilation : il faut peser les témoignages. De même, dans les articles philosophiques règne un esprit de débat permanent, symbolisé par les renvois dans le Dictionnaire d’un article à l’autre : il y a débat, controverse, contestation des idées, arguments opposés (infiniment) les uns aux autres, mais – c’est le trait caractéristique essentiel – sans mise en cause des personnes. Autrement dit, sur le plan du savoir historique et philosophique, le Dictionnaire historique et critique constitue un modèle de débat intellectuel selon les normes de la République des Lettres.
32La seule exception à cette règle permet de mieux en apprécier la portée. Bayle ponctue en effet de nombreux articles par des remarques très critiques à l’égard de Jurieu. C’est précisément que Jurieu ne partage pas la culture commune des savants : il n’est pas un membre digne de la République des Lettres, parce qu’il aborde la contestation avec un esprit de « zèle ». Le débat d’idées – religieuses, philosophiques, politiques – est toujours, pour lui, prétexte à une mise en accusation : mise en cause de ses confrères huguenots sur le plan religieux, mise en accusation de Bayle sur les plans religieux, philosophique et politique. Jurieu pratique en permanence l’argument ad hominem ; comme en témoigne son ouvrage L’Esprit de Mr Arnauld, il manie l’invective, s’attaquant non pas aux idées mais à la personne. Il cherche ainsi à mettre en œuvre dans la République des Lettres l’esprit d’intolérance qui est le sien au sein de l’Église réformée :
Il n’est point rare que des zélateurs laissent long-tems en repos un livre et celui qui l’a composé […] pourvu qu’il n’attaque pas personnellement ces zélateurs. Mais si au bout de 10, 15, 20 ans, ils se brouillent avec l’auteur ; si quelque nouvel ouvrage vient faire des descriptions où l’on puisse recon[n]oitre ce que l’on cache le plus soigneusement que l’on peut au peuple ; le premier livre ne peut plus jouir de son repos, il devient hérétique, impie, brûlable […]. On commence alors d’être rongé du zêle de la maison de Dieu : on le persuade aux bonnes gens ; mais ceux qui ne sont point dupes voient bien quelle est la passion honteuse que l’on couvre sous le beau masque des intérêts de la piété. [19]
34Ce passage, où Bayle cite indirectement le Psaume 69 (verset 10 : « le zèle de ta maison me dévore »), fonde d’ailleurs la comparaison de Jurieu avec Tartuffe (I, 5, v. 354-379), l’une des constantes de la polémique baylienne. L’auteur du Dictionnaire lui rétorque implicitement la formule proférée à l’égard des dragons convertisseurs : « vous dégoûtez un honnête homme d’avoir du zèle, par le mauvais usage que vous faites du vôtre, supposé que vous en aiez ».
35Ainsi, contrairement à l’Église, « pays » du zèle religieux marqué par une division violente [20], Bayle constitue le Dictionnaire en monument emblématique de la « guerre pacifique » des esprits, c’est-à-dire du débat critique, permanent et pacifique, qui caractérise la République des Lettres, cet « État extrêmement libre » où l’on ne reconnaît « que l’empire de la vérité et de la raison [21] ». C’est dans cette même perspective que Bayle définit les qualités de l’historien :
Insensible à tout le reste, [l’historien] ne doit être attentif qu’aux intérêts de la vérité, et il doit sacrifier à cela le ressentiment d’une injure, le souvenir d’un bien fait et l’amour même de la patrie. Il doit oublier qu’il est d’un certain païs, qu’il a été élevé dans une certaine communion, qu’il est redevable de sa fortune à tels et à tels, et que tels et tels sont ses parens ou ses amis. Un historien en tant que tel est comme Melchisedec, sans père, sans mère et sans généalogie. Si on lui demande « D’où êtes-vous ? » il faut qu’il réponde : « Je ne suis ni François, ni Allemand, ni Anglois, ni Espagnol, etc., je suis habitant du monde, je ne suis ni au service de l’empereur, ni au service du roi de France, mais seulement au service de la Vérité ; c’est ma seule reine, je n’ai prêté qu’à elle le serment d’obéïssance : je suis son chevalier voué ». [22]
37L’anonymat que Bayle avait l’intention de maintenir pour son Dictionnaire me semble correspondre à cette conception idéale du savoir : l’historien est le secrétaire d’une communauté, il enregistre un savoir qui n’est pas entaché par ses passions et ses intérêts. L’historien ne s’appartient plus, pour ainsi dire : il est au service du savoir et l’anonymat symbolise ce sacrifice du moi. C’est à ce prix que l’on peut aspirer à atteindre la certitude dans le domaine de l’histoire. Il s’agit donc d’un anonymat « universel », abstrait, critique, historique, politiquement, religieusement et philosophiquement irréprochable, qui est très loin du pyrrhonisme, puisqu’il exprime au contraire une aspiration à saisir – lorsque cela est possible, lorsque les témoignages le permettent – la vérité de fait. Pierre Bayle participe ainsi, au même titre que les mauristes autour de Jean Mabillon et de Bernard de Montfaucon à Saint-Germain-des-Prés [23], à la « construction sociale » de la certitude historique, au même moment où les fellows de la Royal Society autour de Robert Boyle – avec qui Bayle avait été en correspondance – définissaient les critères de la construction sociale du « fait » dans le domaine de l’expérimentation scientifique [24].