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Article de revue

Réécrire Montaigne au XVIIe siècle : remarques sur les enjeux de l'imitation linguistique des Essais

Pages 49 à 69

Notes

  • [1]
    J.-.P. Camus, Les Diversités, Paris, C. Chappelet, 1612, t. VIII, livre XXIX, Lettre CVII dite « À Acanthe », p. 429 : « mirez-vous dans les Essays ».
  • [2]
    Dictionnaire de Michel de Montaigne, Paris, Champion, 2007.
  • [3]
    Voir J. Brody, « La première réception des Essais de Montaigne : les fortunes d’une forme », Lectures de Montaigne, Lexington, French Forum, 1982, p. 13-27 ; O. Millet, La Première réception des Essais de Montaigne (1580-1640), Paris, Champion, 1995.
  • [4]
    Voir sur ce point O. Millet, op. cit., p. 15-16.
  • [5]
    L’examen des éditions des Essais publiées entre 1595 et 1676 fait apparaître que, très tôt, dès 1617, les citations latines sont accompagnées de traduction tandis que dès 1608 des annotations marginales viennent synthétiser le propos développé dans le corps du texte et guider le lecteur dans le labyrinthe montaignien.
  • [6]
    « Le langage Latin m’est comme naturel : je l’entends mieux que le François » (III, 2, p. 851 dans l’édition donnée par J. Balsamo, M. Magnien et C. Magnien-Simonin, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2007). Les Essais seront cités dans cette édition dans la mesure où elle se fonde sur le texte de 1595, publié par Marie de Gournay, qui a été lu durant tout l’âge classique.
  • [7]
    « On ne peut representer que les conceptions communes par les mots communs. Quiconque en a d’extraordinaires doit chercher des termes à s’exprimer » (Préface des Essais, éd. cit., p. 8).
  • [8]
    III, 13, p. 1161.
  • [9]
    Voir sur ce point J. Brody, op. cit., p. 22.
  • [10]
    Sorel évoque « la rudesse de ses paroles et la confusion de ses discours, qui ne pouvaient partir que d’un mauvais grammairien et rhétoricien » (Bibliothèque française, Paris, Compagnie des Libraires du Palais, 1664, p. 70).
  • [11]
    Mme de Sévigné, Lettre du 26 juillet 1691, au marquis de Coulanges, Correspondance, éd. R. Duchêne, Paris, Gallimard, 1973-1978, t. III, p. 973.
  • [12]
    Pensées, éd. Ph. Sellier, fr. 618, Paris, Classiques Garnier, 1999. Voir le commentaire de ce texte par G. Magniont, « Montaigne et Pascal : d’une parole l’autre », dans F. Argod-Dutard (éd.), Des signes au sens : lecture du livre III des Essais, Paris, Champion, 2003, p. 121-130.
  • [13]
    J.-P. Camus, op. cit., p. 168.
  • [14]
    A. Volpihac, La « contagieuse sirène ». La figure de Montaigne et la réception critique des Essais au XVIIe siècle (1613-1721), mémoire de D. E. A., Université Lumière - Lyon II, 2004.
  • [15]
    J.-L. Guez de Balzac, « De Montaigne et de ses écrits » et « Qu’au temps de Montaigne notre langue était encore rude », Entretiens [1657] éd. B. Beugnot, Paris, STFM, 1972, t. I, p. 284-299.
  • [16]
    L’image est déjà présente chez Montaigne pour traiter du phénomène de l’intertextualité : « Que nous sert-il d’avoir la panse pleine de viande, si elle ne se digere, si elle ne se transforme en nous ? » (I, 24, p. 142).
  • [17]
    L’Ombre de la Damoiselle de Gournay, cité par O. Millet, op. cit., p. 209.
  • [18]
    J. Brody, op. cit., p. 23.
  • [19]
    P. Aron, Histoire du pastiche, Paris, PUF, 2008, p. 32. Cf. A. Compagnon, La Seconde main ou le travail de la citation, Paris, Éd. du Seuil, 1979.
  • [20]
    J.-P. Camus, op. cit., « Lettre à Acanthe », p. 427 et 423-424.
  • [21]
    B. Pascal, Pensées, éd. Sellier, fr. 559.
  • [22]
    A. Volpihac, op. cit., p. 166.
  • [23]
    Voir les conseils prodigués à Pascal par M. de Sacy : « Il ajouta que, quoiqu’il vît bien, par ce qu’il venait de lui dire, que ces lectures lui étaient utiles, il ne pouvait pas croire néanmoins qu’elles fussent de même avantageuses à beaucoup de gens dont l’esprit se traînerait un peu, et n’aurait pas assez d’élévation pour lire ces auteurs-là en juges […] » ; « ces lectures doivent être réglées avec beaucoup de soin, de discrétion et d’égard à la condition et aux mœurs de ceux à qui on les conseille » (Entretien avec M. de Sacy sur Épictète et Montaigne [1655], éd. P. Mengotti et J. Mesnard, Paris, Desclée de Brouwer, 1994, p. 128 et 131).
  • [24]
    B. Croquette, Pascal et Montaigne. Étude des réminiscences des Essais dans l’œuvre de Pascal, Genève, Droz, 1974.
  • [25]
    J.-P. Camus, op. cit., p. 412-413.
  • [26]
    J.-P. Camus, op. cit., p. 409. Nous soulignons.
  • [27]
    Ibid., p. 421-422.
  • [28]
    J. Gombaud, seigneur de Plassac, Lettres, XC, Paris, Antoine de Sommaville, 1648.
  • [29]
    J. de La Bruyère, Les Caractères ou les mœurs de ce siècle, « De la société et de la conversation », 30, éd. M. Escola, Paris, Champion, 1999, p. 255-256. Sur cette culture de l’archaïsme par La Bruyère, voir les remarques d’É. Tourrette, « Plaisir du doute : Sur un pastiche de La Bruyère », dans Les Supercheries littéraires et visuelles, Peter Lang, Bern, 2006, p. 299-310.
  • [30]
    III, 1, p. 835.
  • [31]
    « Parquoy je m’abandonne à la nayfveté, et à tousjours dire ce que je pense, et par complexion, et par dessein » (II, 17, p. 688).
  • [32]
    J. de La Bruyère, op. cit., « De quelques usages », 73, éd. cit., p. 551-555.
  • [33]
    Ch. Sorel, La Bibliothèque française, éd. cit., p. 87.
  • [34]
    B. Pascal, Entretien avec M. de Sacy […], éd. cit., p. 110. Nous soulignons.
  • [35]
    Ibid., p. 111.
  • [36]
    Ibid., p. 102.
  • [37]
    III, 8, p. 970.
  • [38]
    B. Croquette (op. cit., p. 122) analyse plusieurs exemples de ce processus de condensation dans les Pensées de Pascal, en particulier du fragment « Imagination », mosaïque composée à partir de fragments épars des Essais.
  • [39]
    B. Pascal, Entretien avec M. de Sacy […], éd. cit., p. 102.
  • [40]
    III, 13, p. 1114.
  • [41]
    III, 10, p. 1050.
  • [42]
    I, 51, p. 324.
  • [43]
    Plassac, op. cit., Lettre XC.
  • [44]
    Voir J. Mesnard, « Montaigne, maître à écrire de Pascal », La Culture du XVIIe siècle : enquêtes et synthèses, Paris, PUF, 1992, p. 74-94.
  • [45]
    B. Croquette, op cit., p. 147-148.
  • [46]
    Il est utile de comparer à ce propos le passage de l’Entretien, éd. cit., p. 102 : « C’est là que, quand il dit qu’il vaudrait autant […] toute la clarté se dissipe » et celui du chapitre « De l’Expérience », p. 1113-1114 : « car en subdivisant ces subtilitez, on apprend aux hommes d’accroistre les doutes […]. Les hommes mescognoissent la maladie naturelle de leur esprit. Il ne faict que fureter et quester ; et va sans cesse, tournoyant, bastissant, et s’empestrant, en sa besongne ».
  • [47]
    B. Croquette analyse le phénomène avec précision dans le texte des Pensées de Pascal (op. cit., passim).
  • [48]
    III, 7, p. 960.
  • [49]
    Mme de Sévigné, Lettre du 5 janvier 1674, Correspondance, éd. cit., t. I, p. 658.
  • [50]
    Id., Lettre du 31 mai 1680, op. cit., t. II, p. 955.
  • [51]
    J.-P. Camus, op. cit., « Lettre à Acanthe », p. 457.
  • [52]
    La « récitation » est précisément le mode de discours qui permet la chronique objective des événements de la conscience, peinture qui se contente de reproduire sans vouloir théoriser pour « former l’homme ». Voir aussi la notion de « contrerolle » évoquée dans le chapitre « Du repentir ».
  • [53]
    J.-P. Camus, loc. cit.
  • [54]
    II, 18, p. 703.
  • [55]
    J.-P. Camus, op. cit., p. 458-459.
  • [56]
    III, 5, p. 918 : « Je l’eusse faict meilleur ailleurs, mais l’ouvrage eust esté moins mien : Et sa fin principale et perfection, c’est d’estre exactement mien ».
  • [57]
    J.-P. Camus, op. cit., p. 191. Nous soulignons.
  • [58]
    B. Croquette, op. cit., p. 152.
  • [59]
    La Rochefoucauld, Maximes, éd. J. Lafond, Paris, Gallimard, « Folio », 1976.
  • [60]
    III, 2, p. 858 : « Elle [la vieillesse] nous attache plus de rides en l’esprit qu’au visage : et ne se void point d’ames, ou fort rares, qui en vieillissant, ne sentent l’aigre et le moisi ».
  • [61]
    I, 47, p. 307-308 : « Ainsi nous avons bien accoustumé de dire avec raison, […] noz discours ont grande participation à la témérité du hazard ».
  • [62]
    III, 8, p. 978-979 : « Les dignitez, les charges, se donnent necessairement, plus par fortune que par mérite […] : Ma raison a des impulsions et agitations journalières, et casuelles ».
  • [63]
    R. Descartes, Discours de la méthode [1637], éd. F. Alquié, Œuvres philosophiques, t. I, Paris, Classiques Garnier, 1997, p. 568. Voir sur ce point E. Caron, « Montaigne au xviie siècle », Papers on French Seventeenth-Century Literature, vol. XIX, n° 37, 1992, p. 367-385.
  • [64]
    II, 17, p. 696-697.
  • [65]
    R. Decartes, op. cit., p. 577. Nous soulignons.
  • [66]
    Ibid., p. 597-598. Nous soulignons.
  • [67]
    II, 5, p. 386. Nous soulignons.
  • [68]
    L. Brunschvicg, Descartes et Pascal lecteurs de Montaigne, Neuchâtel, Éd. de la Baconnière, 1942, p. 107.
  • [69]
    R. Descartes, op. cit., p. 583-584.
  • [70]
    Cf. II, 12, p. 529 : « L’ignorance qui se sçait, qui se juge, et qui se condamne, ce n’est pas une entiere ignorance : Pour l’estre, il faut qu’elle s’ignore soy-mesme ».
  • [71]
    Cf. I, 50, p. 322 : « et me rendre au doubte et incertitude, et à ma maistresse forme, qui est l’ignorance ».
  • [72]
    Cf. II, 12, p. 556-557 : « Je voy les philosophes Pyrrhoniens qui ne peuvent exprimer leur generale conception en aucune maniere de parler : car il leur faudroit un nouveau langage. Le nostre est tout formé de propositions affirmatives, qui leur sont du tout ennemies. De façon que quand ils disent, Je doubte, on les tient incontinent à la gorge, pour leur faire avouer qu’aumoins assurent et sçavent ils cela, qu’ils doubtent. Ainsin on les a contraints de se sauver dans cette comparaison de la medecine, sans laquelle leur humeur seroit inexplicable. Quand ils prononcent, J’ignore, ou, Je doubte, ils disent que cette proposition s’emporte elle mesme quant et quant le reste : ny plus ny moins que la rubarbe, qui pousse hors les mauvaises humeurs, et s’emporte hors quant et quant elle mesmes. Cette fantasie est plus seurement conceue par interrogation : Que sçay-je ? comme je la porte à la devise d’une balance ».
  • [73]
    B. Pascal, Entretien avec M. de Sacy […], éd. cit., p. 100-101.
  • [74]
    J.-P. Camus, op. cit., « Lettre à Acanthe », p. 460.
  • [75]
    Pascal, Pensées, éd. Sellier, fr. 568.
  • [76]
    Mme de Sévigné, Lettre du 6 octobre 1679, Correspondance, éd. cit., t. II, p. 697.

1Tout le XVIIe siècle « se mire [1] » dans les Essais. Gilles Banderier, dans l’article du Dictionnaire de Montaigne consacré à la réception de Montaigne au XVIIe siècle [2], affirme que tracer la réception des Essais, c’est tracer l’histoire littéraire du XVIIe siècle entier. Cette ombre des Essais amplement portée sur l’époque se traduit par l’importance du nombre des éditions tout au long du siècle. La réception du texte lui-même, telle que la critique la retrace, suit deux orientations parallèles, que Jules Brody et Olivier Millet dissocient en une réception idéologique centrée sur l’héritage intellectuel et philosophique des Essais (Charron, Naudé, La Mothe le Vayer, Descartes, Pascal, Malebranche) et une réception esthétique sensible à l’originalité formelle, stylistique et linguistique des Essais (inaugurée par Marie de Gournay, perpétuée par Jean-Pierre Camus, Guez de Balzac, Charles Sorel) [3]. Dans les deux cas, les lecteurs du XVIIe siècle interrogent le rapport des Essais à la norme linguistique en cours d’élaboration plutôt qu’à la doxa philosophique. Les premiers débats suscités par les Essais, pour Jules Brody, portent en effet à peu près exclusivement sur des questions de style. Marie de Gournay, dans les versions successives de la préface qu’elle adjoint à son édition des Essais, défend la pratique linguistique de son « père » contre trois reproches des puristes : le recours aux latinismes, aux néologismes et aux gasconismes [4]. Elle ne peut empêcher néanmoins que la langue des Essais ne vieillisse à une allure telle que ses lecteurs éprouvent très tôt la nécessité de l’adapter, de la rénover, voire de la traduire [5].

2À ce vif sentiment d’étrangeté historique et culturelle s’ajoute la perception de l’irréductible singularité de la langue de Montaigne. Le français des Essais surprend, fascine ou indigne par sa liberté et son inventivité. Sans doute Montaigne a-t-il maintes fois revendiqué le latin comme sa langue maternelle et souligné son défaut de familiarité avec le français [6]. Le choix du français est le fait de l’écrivain et du styliste : il travaille cette langue en la pensant comme langue littéraire à doter des qualités d’expressivité et de densité du latin. Cette langue, précisément, convient à une pensée elle-même puissamment originale : c’est là l’argument principal que Marie de Gournay oppose à ceux qui condamnent la liberté lexicale des Essais[7], défense qui prolonge la revendication de Montaigne lui-même, d’une motivation lexicale singulière : « J’ay un dictionaire tout à part moy [8]. »

3Or la première réception des Essais témoigne du fait que les lecteurs ont paradoxalement perçu ce français littéraire comme une langue orale [9] : cette perception réduit en partie l’étrangeté ressentie au contact de la rudesse [10] linguistique de Montaigne et explique la facilité avec laquelle les Essais sont entrés dans la mémoire des lecteurs pour habiter ensuite leurs écrits. Aussi Mme de Sévigné introduit-elle un souvenir textuel de Montaigne par la locution verbale « j’ai ouï dire que [11] » tandis qu’un très célèbre fragment pascalien rend témoignage de ce paradoxe d’une écriture qui se fait citer et réécrire parce qu’elle possède des caractéristiques orales [12]. Cette figuration orale du texte des Essais est encore en jeu dans la catégorie de la « naïveté », utilisée avec prédilection pour caractériser le style de Montaigne et qui traduit précisément cette concordance spontanée entre la pensée et la parole soulignée par Jean-Pierre Camus dans la « Lettre à Acanthe » :

4

L’on doit parler de l’abondance des pensées, non pas remplir la stérilité des raisons, come Cicero avec des paroles vaines, et exsangues ; ce n’est que brouet, escume, bave, sans nerfs, sans sang, sans soustien : Et où paroist mieux ceste vraye naïfveté qu’aux Essais ? Un galand homme qui a veu cest autheur, et conféré avec luy souvent, m’a dict qu’il parloit tout de mesme qu’il escrit, d’une façon brusque, avec des clauses serrées, et persuadoit vivement et puissamment ce qu’il vouloit, en termes forts clairs, expressifs, et énergiques. […] Son parler est viril, masle, vigoureux, succulent, et comprend beaucoup en sa briefveté : ce n’est que sens et mouelle, il ne donne rien aux paremens du langage, chose mesprisée de tout galand esprit, amusement impertinent. Si n’est-ce pas que ceste sienne confusion, parte d’un manque de jugement, estant l’autheur le plus judicieux qui se puisse dire, c’est la partie en quoy il excelle le plus, il est tout jugement. [13]

5Cette représentation dont fait l’objet la langue de Montaigne, support des imitations suivantes, justifie que l’on puisse aborder la question de l’héritage du point de vue de la conscience linguistique qu’elle révèle : objet de fascination et de répulsion parallèles, c’est la langue même des Essais qui provoque et rend nécessaire, du fait même de sa singularité, la réécriture. Car, paradoxalement encore, c’est bien parce que les Essais témoignent d’un état de langue périmé qu’ils deviennent l’objet d’un irrésistible mouvement d’imitation. Aude Volpilhac souligne ainsi que la figure de Montaigne se situe au centre des préoccupations sur l’évolution de la langue, et apparaît comme l’instrument d’une prise de conscience de la dimension historique du français [14]. En datant explicitement la langue de Montaigne comme une langue pré-malherbienne dans son XIXe Entretien, Guez de Balzac inscrit les Essais dans le devenir historique du français et désigne le texte comme un objet à rénover [15]. Quant à Camus, il insiste sur la « contagion » anachronique que le contact avec le texte de Montaigne dégage puissamment. Concurremment, parmi les images que suscite le rapport au texte de Montaigne, celle de la digestion [16] linguistique est récurrente : « Aussi peu se trouve capable le commun des François, de digérer en sa propre langue l’intelligence des Essais, ou d’autre ouvrage de pareille vigueur, grâce et brèveté, s’il s’en trouve », écrit Marie de Gournay [17]. Les Essais exigent de tout lecteur un effort d’appropriation, de traduction personnelle, qui trouve son modèle dans la pratique montaignienne de la réécriture elle-même. Montaigne est un réécrivain célèbre ; la « savante chimie montaignienne où lecture et écriture fusionn[ent] [18] » fournit au lecteur l’exemple même de ce que Paul Aron appelle une « imitation non servile [19] ». C’est un des éléments de l’éloge que Camus prononce de la « mode » de Montaigne « de citer ainsi sans citer » :

6

Quant à notre homme, il sait si dextrement coudre les sentences des poètes dans le tissu et entresuite de son propos, que vous diriez que Virgile, Lucrèce son favori, Horace, Catulle & les autres, n’ayent parlé que pour luy, signe qu’il les avoit bien digérés et transformés en sa substance. Arrache-il quelque lopin de Sénèque ou Plutarque, ce n’est plus Plutarque, ny Sénèque, c’est luy. [20]

7Ceux auxquels le texte des Essais s’impose se livrent de fait à des types d’imitation qu’il s’agit de distinguer nettement parce que chacune de ces pratiques, dans sa différence, implique un rapport singulier au texte-source de Montaigne ainsi qu’au texte produit au terme du processus d’imitation. Outre le plagiat, auquel les lecteurs contemporains ont témérairement identifié au traité De la sagesse de Charron, on peut en effet rendre compte de deux formes d’imitation : le pastiche, imitation sans fragment hypotextuel précis, création originale « à la manière » de Montaigne (type La Bruyère) ; la réécriture, imitation avec support hypotextuel identifiable, citation et appropriation (type Pascal). Le second type d’imitation est, de loin, le plus répandu. On peut tirer de ce constat deux remarques : si le texte de Montaigne donne lieu à des réécritures sur la base privilégiée de sa propre persistance, c’est que la matière textuelle des Essais marque profondément ses héritiers, s’inscrit dans leur mémoire sans invalider leurs capacités d’écriture ; le type d’imitation particulier auquel les Essais donnent lieu, du fait de leur résistance linguistique, autorise un déplacement de sa propre singularité, vers celle de l’auteur secondaire.

8La deuxième remarque concerne l’objet même de l’imitation de Montaigne. La question cruciale qui se pose à ceux qui réécrivent Montaigne est en effet la suivante : céder à la réécriture montaignienne, est-ce nécessairement repenser Montaigne ? et cette question elle-même se dédouble : repenser Montaigne, reprendre ses raisonnements, ses catégories et ses jugements, est-ce prendre le risque de penser comme Montaigne ? ou bien est-ce le moyen de dépouiller Montaigne des vices de sa pensée comme de ceux de sa langue ? L’usage des « mots lascifs » que Pascal dénonce dans les Essais[21] enferme la condamnation de la complaisance du penseur à l’égard des conceptions épicuriennes et sceptiques, potentiellement athées et libertines : il n’y a pas de licence verbale sans négligence intellectuelle. Aude Volpilhac rend compte clairement de cette nécessaire association chez ceux qui choisissent de reprendre, à tous les sens du terme, le texte de Montaigne : « Toute critique linguistique des Essais vise un au-delà de la langue, qui est la pensée et le système qui y président [22]. » C’est là une nouvelle marque de fidélité au texte même des Essais qui fait de la relation entre la pensée et son expression l’une de ses problématiques essentielles. Montaigne vante en effet les qualités d’une langue substantielle, capable de surmonter l’écart entre le mot et la chose par une coïncidence vigoureuse avec le mouvement et le sens de la pensée :

9

Je veux que les choses surmontent, et qu’elles remplissent de façon l’imagination de celuy qui escoute, qu’il n’aye aucune souvenance des mots. Le parler que j’aime, c’est un parler simple et naïf, tel sur le papier qu’à la bouche : un parler succulent [i. e. nourrissant] et nerveux, court et serré, non tant si délicat et peigné, comme vehement et brusque.
(I, 25, p. 178)

10Les choix stylistiques des Essais (abondance des images concrètes, des expressions pittoresques, des effets sonores, préférence accordée aux verbes de mouvement) se trouvent déterminés par une telle conception qui entend assurer la plénitude sémantique de la langue littéraire. Il est donc particulièrement significatif que ce lien « consubstantiel » entre la langue et la pensée montaigniennes soit lui-même devenu un enjeu des réécritures, enjeu dont témoigne notre corpus ici, (Camus, Plassac, Descartes, Pascal, La Rochefoucauld, Mme de Sévigné à titre plus anecdotique). Ces textes témoignent d’une curieuse oscillation qui fait de l’hypotexte le témoignage d’une pensée dangereuse traduite dans une langue fautive ou d’une pensée singulière et puissante portée par une expression inégalable.

11Ainsi l’investissement de nos auteurs dans la réécriture montaignienne est-il hautement problématique. Montaigne est inimitable en droit (on ne doit pas l’imiter parce qu’il contrevient à la norme idéologique) et en fait (on ne peut pas l’imiter parce qu’il excède ou précède la norme linguistique en cours de fixation). Réécrire Montaigne s’apparente donc à une transgression d’ordre philosophique, moral et esthétique. Conjointement à cette illégitimité dramatisée s’énonce pourtant la nécessité de réécrire Montaigne. On l’a dit, cette nécessité est d’ordre culturel et historique : les Essais, très abondamment diffusés, sont en passe de devenir illisibles ; il faut donc les réécrire, c’est-à-dire les adapter à un nouvel état de langue et, ce faisant, donner prise aux tentatives de restauration intellectuelle puisque le texte de Montaigne est alors aussi dangereux que difficile [23]. C’est dire si ce dilemme constitue en soi la réécriture des Essais en objet théorique pour ceux qui s’y adonnent : comme si le texte de Montaigne faisait l’objet d’une mise en mention générale au XVIIe siècle, son usage devenant trop problématique, trop ambivalent, trop suspect intellectuellement pour faire l’objet d’une imitation naïve. Imiter les Essais, c’est immédiatement assumer une problématique linguistique. Réécrire Montaigne, c’est penser la langue de Montaigne et sa propre langue, c’est continuer l’œuvre métalinguistique de Montaigne lui-même. Ambivalente quant à son objet, la pensée et/ou la langue, l’imitation de Montaigne l’est encore quant à sa fonction : illustration, correction, traduction, récitation du texte des Essais, la réécriture témoigne toujours d’une prégnance manifeste des mots de Montaigne dans le texte d’autrui, texte s’appuyant sur ces « réminiscences littérales » que Bernard Croquette a analysées dans les Pensées de Pascal, et dont il faut commenter à la fois la présence, le mode d’insertion et la modification [24]. Toute réécriture est déplacement des énoncés premiers et c’est dans ce geste de déplacement que peut se mesurer la manière dont Montaigne se fait médiateur de la conscience linguistique de ses propres réécrivains.

12Lorsqu’un auteur, au XVIIe siècle, entretient un rapport d’intertextualité avec les Essais, la question de l’imitation proprement linguistique du texte de Montaigne se trouve fréquemment mise en scène. La lettre que Camus adresse à un certain Acanthe, dans le volume VIII de ses Diversités, et où il propose un « jugement » de Montaigne, en donne un exemple manifeste. La reprise des mots de Montaigne permet à Camus de procéder à une mise en abyme ludique de sa réécriture : la nécessité de se déprendre de l’emprise stylistique des Essais sur sa propre écriture, emprise qui l’aurait détourné de ses propres préoccupations, s’exprime dans les termes mêmes de Montaigne. Ainsi, quand on lit la dénégation de Camus :

13

Voilà une des causes pourquoi j’ai intermis de le lire et étudier plus fréquemment, de peur que par l’imitation, et l’accoutumance, je n’allasse extravagant en mes sermons […]. Or je suis d’une nature imitatrice au possible, et des défauts encore plus : nous retenons communément mieux les grimaces et singeries que le port grave et sérieux. [25]

14On entend le passage du chapitre « Sur des vers de Virgile » :

15

Or j’ay une condition singeresse et imitatrice : Quand je me meslois de faire des vers (et n’en fis jamais que des Latins) ils accusoient evidemment le poëte que je venois dernierement de lire : Et de mes premiers Essays, aucuns puent un peu l’estranger. À Paris je parle un langage aucunement autre qu’à Montaigne. Qui que je regarde avec attention, m’imprime facilement quelque chose du sien. Ce que je considere, je l’usurpe : une sotte contenance, une desplaisante grimace, une forme de parler ridicule. Les vices plus : D’autant qu’ils me poingnent, ils s’acrochent à moy, et ne s’en vont pas sans secouer.
(III, 5, p. 918-919)

16Certes la phrase est plus ramassée, l’expression condensée et le lexique modernisé ; mais le calque trahit le plaisir du déni qui n’empêche que les termes qui supportaient le portrait que Montaigne faisait de lui-même (« nature imitatrice », « grimaces ») se trouvent « imprimés » dans le texte de Camus qui fournit alors la meilleure illustration de cette imprégnation stylistique décrite par Montaigne. De fait, Camus imite Montaigne autant pour exhiber que pour exorciser son rapport au texte des Essais. En témoigne encore une belle phrase où Camus joue du terme essai et d’un verbe de mouvement concret comme ceux qui abondent chez Montaigne :

17

Pourquoy je ne me propose tout à faict, à imiter ce rare esprit que je vous ay tant recomandé, loüé, prisé, & à qui je donne la palme sur tous nos escrivains François, pourquoy je ne m’essaye d’avoisiner ses Essays, comme si j’en estois incapable, pourquoy je donne des advis à autruy, que je ne prends pas moy-mesme, c’est pour quelques raisons, cher Achante, qui me sont plus particulières qu’à d’autres. [26]

18La belle expression « pourquoy je ne m’essaye d’avoisiner ses Essays » donne corps à la réticence si féconde de Camus à l’égard du texte de Montaigne. La réminiscence s’appuie sur la reconnaissance de marqueurs stylistiques qui renvoient immédiatement aux Essais : l’écho ludique au titre même de l’œuvre et à la manière dont Montaigne approfondit la signification étymologique du terme en témoigne nettement. Camus va jusqu’à souligner la valeur pédagogique de l’exemple imitatif : parfaitement conscient de sa démarche, il entend montrer en acte comment se produit la contagion stylistique d’un discours par l’autre et en souligner ainsi la dangereuse puissance : « Mais jugez, Acanthe, comme je m’enfonce insensiblement dans la confusion, en parlant de la sienne, pour vous faire reconnaître, comme une vue bandée et attentive transforme notre nature par l’imitation [27]. » Évoquer sa lecture de Montaigne, c’est écrire irrésistiblement comme Montaigne.

19L’entreprise de Plassac diffère quelque peu mais éclaire également le fait que l’un des enjeux de la réécriture de Montaigne est bien la conscience de la spécificité de sa propre langue et de la norme à laquelle on se réfère alors. Dans la lettre 90 à Mitton, Plassac annonce vouloir « ôter » du texte de Montaigne les défauts « de son temps » et c’est sur la conception même que Montaigne se fait de la langue et de son usage qu’il s’appuie pour justifier son entreprise :

20

Lui qui méprisait tant les paroles, je m’assure que s’il revenait au monde, il ne trouverait pas mauvais que vous en eussiez mis d’excellentes pour les siennes, qui ne sont pas toujours les meilleures. Sans doute vous êtes capable de l’éclaircir, et de l’ajuster sans l’affaiblir, ni l’étendre. Vous en pouvez retrancher de petites comparaisons, et des superfluités qui ne font rien à son sens, et vous conduire dans les choses essentielles, avec autant de scrupule que vous feriez aux mystères d’une religion. […] Pour revenir à Montaigne, lisant ce matin le chapitre qu’il a fait « De la vanité des paroles », j’ai voulu voir s’il ne leur faisait point d’injustice, et connaître en m’essayant sur le même chapitre, si le changement de quelques paroles ne le pourrait pas embellir.[28]

21Le jeu appuyé sur la digression, pastichant une pratique montaignienne très controversée dans le cadre de la promotion contemporaine de la cohérence logique et thématique des textes, introduit précisément à l’entreprise de traduction à laquelle se livre Plassac. Comme chez Camus, le détour permet la rencontre et ce n’est sans doute pas gratuitement que Plassac a choisi de traduire un chapitre à portée métapoétique, « De la vanité des paroles » (I, 51), où Montaigne s’en prend aux déformations que la rhétorique permet du réel et du jugement, c’est-à-dire au pouvoir du langage sur la construction des représentations.

22Plus tard encore dans le siècle, lorsque La Bruyère choisit de pasticher Montaigne, c’est au moment où il prend position d’une part pour défendre une éthique de la franchise, éthique immédiatement référée et conjointe à la pratique linguistique de Montaigne, et d’autre part pour illustrer ses propres jugements en matière de langue. S’adonnant à l’exercice de style inverse de celui de Plassac, il cultive l’archaïsme et accuse la rudesse caractéristique de la langue de Montaigne. Il défend ainsi, parallèlement, et très fidèlement aux convictions poétiques professées par Montaigne, la correspondance entre un ethos linguistique et un caractère moral :

23

Je n’aime pas un homme que je ne puis aborder le premier, ni saluer avant qu’il me salue, sans m’avilir à ses yeux, et sans tremper dans la bonne opinion qu’il a de lui-même. MONTAIGNE dirait : Je veux avoir mes coudées franches, et estre courtois et affable à mon point, sans remords ne consequence. Je ne puis du tout estriver contre mon penchant, & aller au rebours de mon naturel, qui m’emmeine vers celui que je trouve à ma rencontre […]. [29]

24La réécriture n’engage pas ici une traduction mais bien l’entreprise inverse puisque La Bruyère cultive ce que les autres supprimaient ou corrigeaient quelques décennies auparavant, alors que la norme était encore en cours de fixation. C’est ainsi qu’on peut comprendre la multiplication des mots vieillis et la complaisance du pasticheur à l’égard d’une syntaxe archaïque. La Bruyère entend faire référence à la persona montaignienne, synthétisée dans la valeur de la sincérité et de la bonne foi anti-courtisane, incarnées dans un style direct dépourvu d’affectation. À l’orée des Essais, Montaigne annonce en effet à son lecteur que « c’est icy un Livre de bonne foy » et que son auteur n’y a « eu nulle consideration de [s]on service [celui du lecteur], ny de [s]a gloire ». La recherche de la « franchise, simplesse et naïveté [30] », la pratique libre de la spontanéité [31] s’enveloppent dans l’idéal de transparence de soi à l’autre, qui fait l’objet d’un chapitre dont le titre apparaît, sous forme d’allusion, dans le pastiche de La Bruyère, « Du démentir » (II, 18) où la question de la franchise et de la confiance accordée à la parole est centrale. La figure de Montaigne s’entend et s’illustre simultanément au moment où La Bruyère donne en pratique un exemple des choix linguistiques qu’il a affichés dans le chapitre « De quelques usages » (remarque 73) : « Qui pourrait rendre raison de la fortune de certains mots, et de la proscription de quelques autres ? » ; il y exprime le regret de mots disparus au gré des décisions, jugées arbitraires, de l’usage : « Tous mots qui pouvaient durer ensemble d’une égale beauté, et rendre une langue plus abondante » se voient rayés des pratiques linguistiques : « et cela sans que l’on voie guère ce que la langue française gagne à ces différences et à ces changements [32] ». Contre cette altération, le pastiche de La Bruyère cultive à dessein le style montaignien, multipliant les archaïsmes, les structures redondantes et les reprises terme à terme. Il s’agit bien cette fois de conserver une langue pour traduire une éthique dont Montaigne est le meilleur exemple. Le pastiche fait de la langue le meilleur reflet d’un auteur qui, précisément, se rapporte lui-même à sa langue comme à un miroir.

25Ces trois exemples montrent que la réécriture de Montaigne s’installe, naturellement, dans un dédoublement d’elle-même qui se comprend et se désigne comme un objet textuel secondaire. Cet objet linguistique et littéraire se construit sur des déplacements auxquels le texte-source de Montaigne est soumis et dont on peut tenter de donner une synthèse dans un deuxième ensemble de réflexions. La réécriture en acte mobilise en effet des procédures de traduction, correction et adaptation. C’est alors, du discours montaignien, la substance que l’on cherche à transcrire, comme s’il était possible de la dissocier de son mode d’expression. Une telle entreprise, dont Plassac fournit un exemple radical, apparaît aux yeux de Sorel comme une mutilation : « Ce n’est plus le discours de Montaigne, mais une imitation de ses raisonnements en autre style [33]. » Faire disparaître la langue de Montaigne, en faire un style étranger, c’est renoncer au « discours » de Montaigne, au texte même de Montaigne, qui ne se résout pas en raisonnement. La surprise de M. de Sacy, à la présentation que Pascal lui fait des Essais, dans l’entretien inséré dans les Mémoires de N. Fontaine, en témoigne encore : « M. de Sacy, comme il me le redit après, écoutait paisiblement M. Pascal, se croyant vivre dans un nouveau pays et entendre une nouvelle langue[34]. » Cette dernière expression est remarquable : Pascal aurait restitué l’idiome montaignien et sa singularité en le racontant dans la résistance qu’oppose à toute désolidarisation la consubstantialité de la langue à la pensée. À l’image de Montaigne récitant l’homme, Pascal, en effet, « possédant » et sachant « bien tourner » Montaigne, a fait des « récits de ses écrits », selon les termes mêmes de Sacy :

26

Je vous suis obligé, Monsieur. Je suis sûr que si j’avais longtemps lu Montaigne, je ne le connaîtrais pas autant que je fais depuis cet entretien que je viens d’avoir avec vous. Cet homme devrait souhaiter qu’on ne le connût que par les récits que vous faites de ses écrits ; et il pourrait dire avec saint Augustin : Ibi me vide, ibi me attende. [35]

27Cependant, la langue de Montaigne est bien « nouvelle » à l’issue de ses réécritures et c’est ce transfert qui permet la saisie du texte montaignien, dans l’altération nécessaire. Les déplacements affectent principalement trois aspects principaux de la langue : la syntaxe, le lexique, l’expression figurée.

28Les variations qui affectent la syntaxe se produisent dans deux sens inverses mais dans le même but : il s’agit de faire apparaître la syntaxe du raisonnement que l’ordre du discours montaignien paraît occulter ou diluer dans la confusion, l’accumulation, le détour. On se propose donc d’écrire du Montaigne en donnant la priorité à la réécriture logique sur la réécriture stylistique, comme si le raisonnement n’était plus consubstantiel à la langue de Montaigne et comme si cette dernière faisait désormais écran devant la pensée de Montaigne. Dans ce cadre, la première tendance affichée est celle qui privilégie la concision et la condensation, l’élagage des syntagmes jugés superflus parce que redondants. Pascal, en particulier dans l’Entretien avec M. de Sacy, illustre la pratique du raccourci logique qui permet la constitution d’une allusion, forme-limite de la réécriture, allusion qui est immédiatement une interprétation, et même une déformation stratégique :

29

Dans ce génie tout libre, il lui est entièrement égal de l’emporter ou non dans la dispute, ayant toujours, par l’un ou l’autre exemple, un moyen de faire voir la faiblesse des opinions ; étant posté avec tant d’avantage dans ce doute universel qu’il s’y fortifie également par son triomphe et par sa défaite. [36]

30Le passage reprend le texte de Montaigne : « Il me chaut peu de la matiere, et me sont les opinions unes, et la victoire du subjet à peu près indifferente. Tout un jour je contesteray paisiblement, si la conduicte du débat se suit avec ordre [37]. » L’allusion, qui substitue à la succession coordonnée chez Montaigne une organisation logique causale, se construit à partir de la phrase de Montaigne, pour, par une sorte de phénomène d’aimantation, développer l’idée du « doute universel », sacrifiant le propos du chapitre montaignien, à savoir la question de la méthode à suivre dans l’échange intellectuel, afin d’orienter l’interprétation du texte en en radicalisant le pyrrhonisme. Les transformations de ce type peuvent se produire sur la reprise de termes qui assurent le processus de condensation du texte-source à partir de plusieurs passages éloignés, pouvant même appartenir à des chapitres distincts, pour nourrir, dans une intention apologétique, la constitution d’un ordre logique très ferme [38]. Ainsi en va-t-il de l’extrait suivant de l’Entretien :

31

De ce principe, dit-il, que hors de la foi tout est dans l’incertitude, et considérant combien il y a que l’on cherche le vrai et le bien sans aucun progrès vers la tranquillité, il conclut qu’on en doit laisser le soin aux autres : Quaerite quos agitat mundi labor, et demeurer cependant en repos, coulant légèrement sur les sujets de peur d’y enfoncer en appuyant ; et prendre le vrai et le bien sur la première apparence, sans les presser, parce qu’ils sont si peu solides que, quelque peu qu’on serre la main, ils s’échappent entre les doigts et la laissent vide. [39]

32Pascal réutilise et réécrit en les fusionnant, c’est-à-dire en les interprétant, un passage du chapitre « De l’expérience » (en particulier le questionnement « Trouvons nous pourtant quelque fin au besoin d’interpreter ? s’y voit-il quelque progrez et advancement vers la tranquillité ? [40] » ainsi que la citation de Lucain), un passage du chapitre « De mesnager sa volonté » où Montaigne conseille d’« un peu legerement et superficiellement couler ce monde : et le glisser, non pas l’enfoncer [41] », un passage enfin de l’Apologie de Raimond Sebond où réapparaît le verbe couler dans un développement à forte coloration pyrrhonienne fournissant l’image finale susceptible d’unifier ce qui n’est plus seulement une réécriture mais s’impose comme une relecture :

33

Finalement, il n’y a aucune constante existence, ny de notre estre, ny de celuy des objects : Et nous, et nostre jugement, et toutes choses mortelles, vont coulant et roulant sans cesse : Ainsi il ne se peut establir rien de certain de l’un à l’autre, et le jugeant, et le jugé, estans en continuelle mutation et branle. Nous n’avons aucune communication à l’estre, par ce que toute humaine nature est tousjours au milieu, entre le naistre et le mourir, ne baillant de soy qu’une obscure apparence et ombre, et une incertaine et debile opinion. Et si de fortune vous fichez vostre pensée à vouloir prendre son estre, ce sera ne plus ne moins que qui voudroit empoigner l’eau : car tant plus il serrera et pressera ce qui de sa nature coule par tout, tant plus il perdra ce qu’il vouloit tenir et empoigner.
(II, 12, p. 639)

34Ce premier principe d’économie et de saillance de la syntaxe n’est cependant pas exclusif de la tendance inverse qui consiste à se saisir du texte de Montaigne pour en corriger le caractère elliptique. Il s’agit encore de gagner en clarté et en fermeté logiques par le développement de relations implicites, par la recherche des conditions d’une claire compréhension des raisonnements. La réécriture de Plassac en fournit de nombreux exemples. L’un des plus significatifs peut se tirer de la deuxième phrase de la lettre à Mitton qui transforme la phrase suivante de Montaigne :

35

Et croy qu’Archidamus qui en estoit Roy, n’ouït pas sans estonnement la response de Thucydidez, auquel il s’enqueroit, qui estoit plus fort à la luicte, ou Pericles ou luy : Cela, fit-il, seroit mal-aysé à vérifier : car quand je l’ay porté par terre en luictant, il persuade à ceux qui l’ont veu, qu’il n’est pas tombé, et le gaigne. [42]

36pour la restituer ainsi :

37

Je m’assure que leur prince fut fort surpris de la réponse de Thucydide, quand il lui demanda lequel était le plus fort à la lutte de Périclès, ou de lui : c’est, dit-il, une question difficile à résoudre. Car quand nous luttons tous, il me semble bien que je le mets bas, et le renverse sans beaucoup de peine ; mais nous ne sommes pas relevés, qu’il regarde l’assemblée avec un visage riant, et ne cesse point de parler qu’il n’ait fait croire à tout le monde qu’il m’a vaincu, et souvent il me le persuade à moi-même. [43]

38La formulation initiale, jugée trop allusive, fait l’objet d’un développement qui fluidifie et clarifie le propos en restituant tous les jalons de la logique factuelle ; la formule d’affirmation négative (« n’ouït pas sans étonnement ») est remplacée par une expression renforcée, directement assertive (« fut fort surpris ») ; l’intellectualisation du propos justifie l’introduction de catégories plus abstraites. La phrase se trouve ainsi renforcée dans sa visée sémantique qui est de manifester le pouvoir de la rhétorique en opposant la réalité et sa transformation par le langage de la conviction. Le même passage manifeste également à quel point le texte de Plassac est emblématique du traitement que les réécritures imposent au lexique de Montaigne. Le lexique des Essais fait l’objet d’une modernisation systématique qui provoque substitutions (par un mot plus précis ou plus actuel) et suppressions (d’un mot sans équivalent ou devenu inutile ou encore redondant). Pascal pratique lui aussi la modernisation systématique du vocabulaire de Montaigne dans les Pensées[44], à tel point que, comme le constate Bernard Croquette, ne subsiste souvent du texte cité que l’armature syntaxique [45]. Enfin, l’expression figurée réécrite fait globalement l’objet d’une correction vers plus d’abstraction, la langue de Montaigne dérangeant parce qu’elle cultive l’image concrète. Aussi Plassac, dans la première phrase de sa réécriture, fait-il disparaître une comparaison triviale de Montaigne (celle du « rhétoricien » avec « un cordonnier qui sait faire de grands souliers à un petit pied ») ; et Pascal, dans l’Entretien avec M. de Sacy, obtient un effet de radicalisation du propos philosophique de Montaigne en instituant plus de sobriété dans l’expression, notamment dans sa paraphrase d’un passage du chapitre III, 13 [46].

39Un élément cependant résiste à ce type de reprise : la constitution de syntagmes montaigniens en îlots textuels crée des noyaux discursifs qui assurent la saisie du texte et sa pérennité comme trace persistante dans le discours et le style de l’autre [47]. La résistance de ces fragments citationnels leur permet de rester intacts en tant que syntagmes au sein de la réécriture tout en participant néanmoins à défaire l’hypotexte d’où ils proviennent. En témoigne par exemple la manière dont Mme de Sévigné cite à deux reprises, dans des contextes différents, une même formule dont la mention entraîne pour profit essentiel de donner la parole à Montaigne et de se dispenser de chercher à exprimer la même idée tout aussi vigoureusement. La marquise utilise donc le trait que Montaigne appliquait à la grandeur dans l’incipit frappant du chapitre « De l’incommodité de la grandeur » (« Puisque nous ne la pouvons aveindre [i.e. atteindre], vengeons nous à en mesdire [48] ») pour désigner deux objets différents :

40

On a tantôt dénigré les dames du palais d’une manière qui m’a fait rire. Je disais, comme Montaigne : “Vengeons-nous à en médire.” Il est pourtant vrai que leur sujétion est excessive […]. [49]

41

Mon fils dit qu’on se divertit fort à Fontainebleau ; les comédies de Corneille charment toute la cour. Je mande à mon fils que c’est un grand plaisir que d’être obligé d’être là, d’y avoir un maître, une place, une contenance, que pour moi, si j’en avais une, j’aurais fort aimé ce pays-là, que ce n’était que par n’en avoir point que je m’en étais éloignée, que cette espèce de mépris était un chagrin, que je me vengeais à en médire, comme Montaigne de la jeunesse […]. [50]

42C’est l’identité formelle qui témoigne de la souplesse paradoxale de la réminiscence, d’autant plus apte à s’insérer dans de nouveaux contextes que sa cohésion textuelle est forte. Au moment où Camus entend achever sa « diversion de cet auteur » en abordant le cœur même du projet des Essais, la peinture de soi, devant la singularité d’un tel projet et son inimitable valeur anthropologique il ne peut que reprendre encore les mots de l’auteur évité. L’éloge de la lucidité et de la profondeur du portrait que Montaigne produit de lui-même s’énonce dans les termes les plus significatifs des Essais :

43

Il ne forme pas l’homme, il le récite : il ne se dépeint pas tel qu’il devroit être, mais tel qu’il est. [51]

44C’est là une citation directe du chapitre « Du repentir » :

45

Les autres forment l’homme, je le recite : et en représente un particulier, bien mal formé : et lequel si j’avoy à façonner de nouveau, je ferois vrayement bien autre qu’il n’est.
(III, 2, p. 844)

46Inimitable était en effet le singulier usage du verbe réciter, seul propre à rendre compte fidèlement du projet poétique et anthropologique de Montaigne [52]. Et Camus poursuit ainsi le parallèle :

47

Pour moi je le crois en ce qu’il dit de soi, mieux que si un autre me le disoit : et un bel esprit qui l’a connu, m’a dit que sa parole et sa vie étoit toute telle qu’il la dépeint ; livre uniforme à son auteur, portrait très-rapportant à son patron. [53]

48L’écho est net cette fois au chapitre « Du démentir » :

49

Moulant sur moy cette figure, il m’a fallu si souvent me testonner et composer [i. e. me coiffer et m’arranger], pour m’extraire, que le patron s’en est fermy, et aucunement formé soy-mesme. […] Je n’ay pas plus faict mon livre, que mon livre m’a faict. Livre consubstantiel à son autheur. [54]

50Camus adhère tant à la bonne foi montaignienne qu’il ne se risque précisément pas à être lui-même cet « autre » qui pourrait dire autrement ce que Montaigne dit plus fermement que personne. C’est pourquoi il reprend l’argument dans le tour choisi par Montaigne en s’appuyant sur les mots précis de l’« Avis au lecteur » où on lit : « je suis moy-mesme la matiere de mon livre » ; « Je veux qu’on m’y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans estude et artifice : car c’est moy que je peins » ; et Camus retrouve :

51

De manière que par cet aveu qui est au frontispice, que son livre est une image de soi, tirée au plus près qu’il a peu du naturel, pour renouveller après sa mort, sa souvenance à ses amis, doit assez suffisamment rembarrer ces superficiels lecteurs des Essais, qui le reprennent d’avoir trop parlé de soi : car comment eut-il autrement fait, étant lui-même le sujet de son livre ? [55]

52L’auteur fait aussi ici allusion à la « perfection » de l’essai, qui est d’« estre exactement mien [56] » comme le dit Montaigne au chapitre « Sur des vers de Virgile » et fonde sur cette nouvelle citation directe la nécessaire distance qu’il entend garder à présent avec le texte de Montaigne :

53

Or Achante, c’est dans cette perfection pour lui, que j’attirais de l’imperfection pour moi : car cette douce contagion, commençait déjà à se fourrer dans mes écrits, comme il ne paroit que trop en mes premières Diversités, c’est ce qui m’a fait faire le divorce entier : car le lire, et ne se tacher point de cette marque, est autant impossible, comme de ne se blanchir point dans un moulin, ou sentir bon étant toujours dans une cuisine, ou une étable : lui voulait écrire de soi, moi nullement de moi ; je désire me former, non me réciter, et m’instruire en enseignant autrui, non pas me représenter. [57]

54Très ironiquement, ce n’est que dans les mots mêmes de Montaigne que peut se faire entendre le « divorce entier » qui se produit sur la base du projet des Essais, celui de la peinture de soi. Or c’est en effet le je de Montaigne qui confère sa signification au projet philosophique comme à l’entreprise littéraire des Essais. Toute réécriture doit composer avec la présence au premier plan du texte de l’énonciateur Montaigne. C’est là le lieu crucial sur lequel se concentrent les réécritures qui entendent être aussi de nouvelles élaborations intellectuelles : pour repenser Montaigne, il ne suffit pas de le réécrire ; il faut, d’une certaine manière, le faire taire comme sujet de son discours.

55Comment faire taire Montaigne en le réécrivant ? La solution au dilemme suscité par l’imitation d’un auteur imparfait ou insatisfaisant est trouvée par un certain nombre d’auteurs qui reprennent le texte de Montaigne en en modifiant l’organisation énonciative et en faisant de cette modification l’instrument du développement de leur propre réflexion. Le premier procédé dans ce cadre pourrait se définir comme une annexion du discours de Montaigne à l’énonciation moraliste. Dans les Pensées, l’énonciation est le lieu privilégié de l’appropriation intellectuelle du texte : Bernard Croquette montre comment Pascal nie à Montaigne la responsabilité de ses énoncés, en omettant l’usage des guillemets mais aussi en procédant à quelques substitutions révélatrices : « il dilue le sujet Montaigne dans la généralité d’un “on”, ou remplace par une première personne une forme impersonnelle [58] » de sorte que le discours, en changeant d’énonciateur, change de portée.

56On trouve chez La Rochefoucauld une fréquente tendance à la généralisation à partir du sujet Montaigne ; le moraliste interprète de manière extensive l’universalité du portrait de lui-même revendiquée par Montaigne. Tout comme le je, disparaît aussi parfois le nous pour ne donner place qu’à des notions abstraites, coupées même du raisonnement qui les avait préparées dans le chapitre montaignien. Ainsi en est-il de la maxime 112 (« Les défauts de l’esprit augmentent en vieillissant comme ceux du visage [59] »), qui réécrit un passage du chapitre « Du repentir [60] » où la comparaison trouvait son sens comme conclusion d’un développement sur les défaillances respectives du corps et de l’âme, l’âge venant. Ailleurs, son énonciateur premier neutralisé, le texte de Montaigne se trouve démantelé pour nourrir plusieurs maximes éparpillées : ainsi des maximes 323, 470, 449 et 61, qui réécrivent deux passages prolongés des chapitres « De l’incertitude de nostre jugement [61] » et « De l’art de conferer [62] ». D’un discours suivi, où il prélève et isole des éléments, le moraliste disperse les arguments, absorbant l’instance énonciative dans une collectivité sans contour ni référence possible, accentuant le tour moralisant conféré à des énoncés strictement constatifs ou descriptifs dans le texte source.

57Autre geste de substitution énonciative, celui qu’opère l’autobiographie intertextuelle de Descartes. Car plusieurs chapitres des Essais informent le Discours de la méthode où les énoncés de Montaigne sont repris mais de telle sorte que leur responsabilité se trouve transférée à l’énonciateur René Descartes. Ce dernier, forgeant sa méthode au creuset de Montaigne, en reprend en particulier l’ironie originelle, ce dédoublement énonciatif qui repose sur une distanciation entre locuteur et énonciateur, et introduit une inversion entre sens de l’énoncé et jugement de l’énoncé. C’est ainsi que l’incipit du Discours de la Méthode se présente comme une réécriture du chapitre « De la présomption », une réécriture impersonnelle, dans laquelle la présence ironique de l’énonciateur est pourtant la marque même de son investissement dans le propos repris :

58

Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes […]. [63]

59La présence de l’énonciateur était beaucoup plus appuyée dans le texte de Montaigne :

60

On dit communément, que le plus juste partage que nature nous aye fait de ses graces, c’est celuy du sens : car il n’est aucun qui ne se contente de ce qu’elle luy en a distribué […]. Ceste capacité de trier le vray, quelle qu’elle soit en moy, et cett’ humeur libre de n’assubjectir aysément ma creance, je la dois principalement à moy : car les plus fermes imaginations que j’aye, et generalles, sont celles qui par maniere de dire, nasquirent avec moy : elles sont naturelles, et toutes miennes […] depuis je les ay establies et fortifiées par l’authorité d’autruy, et par les sains exemples des anciens, ausquels je me suis rencontré conforme en jugement : Ceux-là m’en ont asseuré de la prinse, et m’en ont donné la jouyssance et possession plus claire. [64]

61Descartes a repris l’expression « trier le vrai » en la modifiant, en y ajoutant « d’avec le faux », c’est-à-dire en faisant place, dans les mots de Montaigne, à la discrimination scientifique qui est la marque de sa propre méthode. À la déclaration d’indépendance individuelle de jugement formulée par Montaigne, Descartes substitue une assertion anthropologique sur l’égalité de la capacité de jugement entre les hommes. Il reprend ensuite le je pour, à la manière de Montaigne, retracer un itinéraire intellectuel qui lui est propre mais sur lequel s’étend l’exemple de la récitation montaignienne. Martelant sa différence (distinguer le vrai du faux et pas seulement discerner le vrai) tout en se frayant un chemin à la suite de l’essai montaignien, Descartes forge son individualité de philosophe sur la reprise des mots de Montaigne, ceux qui disent précisément la nécessaire coïncidence de la pensée avec elle-même, sans fuir les images du prédécesseur mais en les habitant à nouveau, d’un autre pas, comme ces deux passages du Discours de la méthode le montrent encore :

62

Et j’avais toujours un extrême désir d’apprendre à distinguer le vrai d’avec le faux, pour voir clair en mes actions, et marcher avec assurance en cette vie.[65]

63

Dieu nous ayant donné à chacun quelque lumière pour discerner le vrai d’avec le faux, je n’eusse pas cru me devoir contenter des opinions d’autrui un seul moment, si je ne me fusse proposé d’employer mon propre jugement à les examiner, lorsqu’il serait temps. [66]

64Descartes réécrit là deux phrases du chapitre « De la conscience » :

65

Comme elle [la conscience] nous remplit de crainte, aussi fait elle d’asseurance et de confiance. Et je puis dire avoir marché en plusieurs hazards, d’un pas bien plus ferme, en consideration de la secrette science que j’avois de ma volonté, et innocence de mes desseins. [67]

66Cette marche assurée dans le sillage du je montaignien fait dire à Léon Brunschvicg que « c’est dans le style des Essais que Descartes dégage la moralité de ses expériences [68] ». Dans la deuxième partie du Discours, en effet, évoquant ses voyages, Descartes se met à écrire comme Montaigne à l’écoute des récits de son serviteur revenu du Nouveau Monde lui peignant la simplicité des mœurs d’outre-Atlantique :

67

En voyageant, ayant reconnu que tous ceux qui ont des sentiments fort contraires aux nôtres ne sont pas pour cela barbares ni sauvages, mais que plusieurs usent autant ou plus que nous de raison ; et ayant considéré combien un même homme, avec son même esprit, étant nourri dès son enfance entre des Français ou des Allemands, devient différent de ce qu’il serait s’il avait toujours vécu entre des Chinois ou des cannibales ; et comment, jusques aux modes de nos habits, la même chose qui nous a plu il y a dix ans, et qui nous plaira peut-être encore avant dix ans, nous semble maintenant extravagante et ridicule ; en sorte que c’est bien plus la coutume et l’exemple qui nous persuadent qu’aucune connaissance certaine.[69]

68Car on lisait dans le chapitre « Des Cannibales » :

69

Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté : sinon que chacun appelle barbarie, ce qui n’est pas de son usage. Comme de vray nous n’avons autre mire de la vérité, et de la raison, que l’exemple et idée des opinions et usances du païs où nous sommes. Là est tousjours la parfaicte religion, la parfaicte police, parfaict et accomply usage de toutes choses. […] Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu esgard aux regles de la raison, mais non pas eu esgard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie.
(I, 30, p. 211 et 216)

70Et au chapitre « De la coustume » :

71

J’estime qu’il ne tombe en l’imagination humaine aucune fantasie si forcenée qui ne rencontre l’exemple de quelque usage public, et par consequent que nostre raison n’estaye et ne fonde. […] La raison humaine est une teinture infuse environ de pareil pois à toutes nos opinions et mœurs, de quelque forme qu’elles soient : infinie en matiere, infinie en diversité.
(I, 22, p. 114-115)

72C’est la référence à la raison qui prime pour la définition de la barbarie et qui permet de fusionner le propos des deux chapitres de Montaigne dont Descartes retient le relativisme – jusqu’à la comparaison dévalorisante pour ses propres contemporains, comparaison qui était pourtant fortement dépendante du contexte historique dans lequel Montaigne écrivait puisqu’elle faisait allusion aux guerres de religion. Ainsi Descartes voyage et parle un langage devenu celui de sa propre expérience depuis qu’il a lu et démarqué Montaigne.

73Du discours cité au discours rapporté, le cas de la réécriture pascalienne dans l’Entretien avec M. de Sacy mérite encore quelque considération. Contrairement aux textes que nous venons de lire, au lieu de citer sans citer, l’Entretien signale fréquemment la référence au texte des Essais en recourant au discours rapporté qui désigne clairement Montaigne comme l’énonciateur du discours. Mais cet usage du discours rapporté est loin d’être neutre. Il autorise un autre type de déplacement énonciatif : l’énonciation seconde sert encore d’instrument pour repenser le propos montaignien. C’est ainsi que Montaigne se voit attribuer l’argumentaire pyrrhonien qu’il présente mais ne revendique ni n’assume formellement en propre dans les Essais, et notamment dans l’Apologie de Raimond Sebond. La réénonciation sert la reformulation de la pensée. Ainsi, quand Montaigne présente un énoncé attribué aux pyrrhoniens, Pascal fait de Montaigne lui-même un énonciateur pyrrhonien :

74

C’est dans ce doute qui doute de soi et dans cette ignorance qui s’ignore [70], et qu’il appelle sa maîtresse forme [71], qu’est l’essence de son opinion, qu’il n’a pu exprimer par aucuns termes positifs. Car, s’il dit qu’il doute, il se trahit en assurant au moins qu’il doute ; ce qui étant formellement contre son intention, il n’a pu l’expliquer que par interrogation ; de sorte que, ne voulant pas dire : « Je ne sais », il dit : « Que sais-je ? » dont il fait sa devise, en la mettant sous des balances qui, pesant les contradictoires, les trouvent dans un parfait équilibre [72] : c’est-à-dire qu’il est pur pyrrhonien. [73]

75La surcharge dans l’accumulation des verbes introducteurs du discours amène naturellement la conclusion du passage, révélatrice de l’efficacité du procédé : une fois le discours massivement rapporté à un énonciateur, il est logique d’identifier ce dernier à son discours. En réécrivant le texte de Montaigne, Pascal crée un discours-de-Montaigne qui n’a de sens pourtant que dans le cadre du projet philosophique personnel de Pascal.

76Paradoxale, ambivalente, la réécriture de Montaigne l’est d’autant plus qu’elle met en jeu le rapport de l’héritier à son propre univers linguistique. L’altérité de la langue littéraire de Montaigne, perçue avec acuité, a stimulé la réécriture et rendu son dépassement nécessaire. On réécrit Montaigne, comme Plassac, pour s’inscrire dans une nouvelle époque esthétique et linguistique ; on le dépasse, comme Pascal ou La Rochefoucauld, pour s’inscrire dans sa propre époque intellectuelle. Réécrire Montaigne, c’est donc chercher à s’écrire soi-même dans un contexte réactualisé. On comprend que Camus ait considéré Montaigne comme particulièrement encombrant et qu’il ait souligné avec complaisance l’ambivalence de sa propre réécriture, entre éloge et blâme, hommage et critique, aux prises avec « le chant de cette douce, et contagieuse sirène [74] ». Suivre ou ne pas suivre Montaigne ? Il apparaît que l’on n’ait pas véritablement le choix au XVIIe siècle. Le texte des Essais est si prégnant que ses héritiers doivent accepter son autorité d’auteur avant de le récuser comme modèle d’écrivain. Avant d’en venir à la ferme affirmation de Pascal, « Ce n’est pas dans Montaigne, mais dans moi que je trouve tout ce que j’y vois [75] », ces héritiers doivent en passer par la dialectique sévignéenne : « C’est mon ancien ami, mais à force d’être ancien, il m’est nouveau [76] » ; et doivent faire l’essai de la réécriture pour devenir eux-mêmes nouveaux et bientôt, modernes.

Notes

  • [1]
    J.-.P. Camus, Les Diversités, Paris, C. Chappelet, 1612, t. VIII, livre XXIX, Lettre CVII dite « À Acanthe », p. 429 : « mirez-vous dans les Essays ».
  • [2]
    Dictionnaire de Michel de Montaigne, Paris, Champion, 2007.
  • [3]
    Voir J. Brody, « La première réception des Essais de Montaigne : les fortunes d’une forme », Lectures de Montaigne, Lexington, French Forum, 1982, p. 13-27 ; O. Millet, La Première réception des Essais de Montaigne (1580-1640), Paris, Champion, 1995.
  • [4]
    Voir sur ce point O. Millet, op. cit., p. 15-16.
  • [5]
    L’examen des éditions des Essais publiées entre 1595 et 1676 fait apparaître que, très tôt, dès 1617, les citations latines sont accompagnées de traduction tandis que dès 1608 des annotations marginales viennent synthétiser le propos développé dans le corps du texte et guider le lecteur dans le labyrinthe montaignien.
  • [6]
    « Le langage Latin m’est comme naturel : je l’entends mieux que le François » (III, 2, p. 851 dans l’édition donnée par J. Balsamo, M. Magnien et C. Magnien-Simonin, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2007). Les Essais seront cités dans cette édition dans la mesure où elle se fonde sur le texte de 1595, publié par Marie de Gournay, qui a été lu durant tout l’âge classique.
  • [7]
    « On ne peut representer que les conceptions communes par les mots communs. Quiconque en a d’extraordinaires doit chercher des termes à s’exprimer » (Préface des Essais, éd. cit., p. 8).
  • [8]
    III, 13, p. 1161.
  • [9]
    Voir sur ce point J. Brody, op. cit., p. 22.
  • [10]
    Sorel évoque « la rudesse de ses paroles et la confusion de ses discours, qui ne pouvaient partir que d’un mauvais grammairien et rhétoricien » (Bibliothèque française, Paris, Compagnie des Libraires du Palais, 1664, p. 70).
  • [11]
    Mme de Sévigné, Lettre du 26 juillet 1691, au marquis de Coulanges, Correspondance, éd. R. Duchêne, Paris, Gallimard, 1973-1978, t. III, p. 973.
  • [12]
    Pensées, éd. Ph. Sellier, fr. 618, Paris, Classiques Garnier, 1999. Voir le commentaire de ce texte par G. Magniont, « Montaigne et Pascal : d’une parole l’autre », dans F. Argod-Dutard (éd.), Des signes au sens : lecture du livre III des Essais, Paris, Champion, 2003, p. 121-130.
  • [13]
    J.-P. Camus, op. cit., p. 168.
  • [14]
    A. Volpihac, La « contagieuse sirène ». La figure de Montaigne et la réception critique des Essais au XVIIe siècle (1613-1721), mémoire de D. E. A., Université Lumière - Lyon II, 2004.
  • [15]
    J.-L. Guez de Balzac, « De Montaigne et de ses écrits » et « Qu’au temps de Montaigne notre langue était encore rude », Entretiens [1657] éd. B. Beugnot, Paris, STFM, 1972, t. I, p. 284-299.
  • [16]
    L’image est déjà présente chez Montaigne pour traiter du phénomène de l’intertextualité : « Que nous sert-il d’avoir la panse pleine de viande, si elle ne se digere, si elle ne se transforme en nous ? » (I, 24, p. 142).
  • [17]
    L’Ombre de la Damoiselle de Gournay, cité par O. Millet, op. cit., p. 209.
  • [18]
    J. Brody, op. cit., p. 23.
  • [19]
    P. Aron, Histoire du pastiche, Paris, PUF, 2008, p. 32. Cf. A. Compagnon, La Seconde main ou le travail de la citation, Paris, Éd. du Seuil, 1979.
  • [20]
    J.-P. Camus, op. cit., « Lettre à Acanthe », p. 427 et 423-424.
  • [21]
    B. Pascal, Pensées, éd. Sellier, fr. 559.
  • [22]
    A. Volpihac, op. cit., p. 166.
  • [23]
    Voir les conseils prodigués à Pascal par M. de Sacy : « Il ajouta que, quoiqu’il vît bien, par ce qu’il venait de lui dire, que ces lectures lui étaient utiles, il ne pouvait pas croire néanmoins qu’elles fussent de même avantageuses à beaucoup de gens dont l’esprit se traînerait un peu, et n’aurait pas assez d’élévation pour lire ces auteurs-là en juges […] » ; « ces lectures doivent être réglées avec beaucoup de soin, de discrétion et d’égard à la condition et aux mœurs de ceux à qui on les conseille » (Entretien avec M. de Sacy sur Épictète et Montaigne [1655], éd. P. Mengotti et J. Mesnard, Paris, Desclée de Brouwer, 1994, p. 128 et 131).
  • [24]
    B. Croquette, Pascal et Montaigne. Étude des réminiscences des Essais dans l’œuvre de Pascal, Genève, Droz, 1974.
  • [25]
    J.-P. Camus, op. cit., p. 412-413.
  • [26]
    J.-P. Camus, op. cit., p. 409. Nous soulignons.
  • [27]
    Ibid., p. 421-422.
  • [28]
    J. Gombaud, seigneur de Plassac, Lettres, XC, Paris, Antoine de Sommaville, 1648.
  • [29]
    J. de La Bruyère, Les Caractères ou les mœurs de ce siècle, « De la société et de la conversation », 30, éd. M. Escola, Paris, Champion, 1999, p. 255-256. Sur cette culture de l’archaïsme par La Bruyère, voir les remarques d’É. Tourrette, « Plaisir du doute : Sur un pastiche de La Bruyère », dans Les Supercheries littéraires et visuelles, Peter Lang, Bern, 2006, p. 299-310.
  • [30]
    III, 1, p. 835.
  • [31]
    « Parquoy je m’abandonne à la nayfveté, et à tousjours dire ce que je pense, et par complexion, et par dessein » (II, 17, p. 688).
  • [32]
    J. de La Bruyère, op. cit., « De quelques usages », 73, éd. cit., p. 551-555.
  • [33]
    Ch. Sorel, La Bibliothèque française, éd. cit., p. 87.
  • [34]
    B. Pascal, Entretien avec M. de Sacy […], éd. cit., p. 110. Nous soulignons.
  • [35]
    Ibid., p. 111.
  • [36]
    Ibid., p. 102.
  • [37]
    III, 8, p. 970.
  • [38]
    B. Croquette (op. cit., p. 122) analyse plusieurs exemples de ce processus de condensation dans les Pensées de Pascal, en particulier du fragment « Imagination », mosaïque composée à partir de fragments épars des Essais.
  • [39]
    B. Pascal, Entretien avec M. de Sacy […], éd. cit., p. 102.
  • [40]
    III, 13, p. 1114.
  • [41]
    III, 10, p. 1050.
  • [42]
    I, 51, p. 324.
  • [43]
    Plassac, op. cit., Lettre XC.
  • [44]
    Voir J. Mesnard, « Montaigne, maître à écrire de Pascal », La Culture du XVIIe siècle : enquêtes et synthèses, Paris, PUF, 1992, p. 74-94.
  • [45]
    B. Croquette, op cit., p. 147-148.
  • [46]
    Il est utile de comparer à ce propos le passage de l’Entretien, éd. cit., p. 102 : « C’est là que, quand il dit qu’il vaudrait autant […] toute la clarté se dissipe » et celui du chapitre « De l’Expérience », p. 1113-1114 : « car en subdivisant ces subtilitez, on apprend aux hommes d’accroistre les doutes […]. Les hommes mescognoissent la maladie naturelle de leur esprit. Il ne faict que fureter et quester ; et va sans cesse, tournoyant, bastissant, et s’empestrant, en sa besongne ».
  • [47]
    B. Croquette analyse le phénomène avec précision dans le texte des Pensées de Pascal (op. cit., passim).
  • [48]
    III, 7, p. 960.
  • [49]
    Mme de Sévigné, Lettre du 5 janvier 1674, Correspondance, éd. cit., t. I, p. 658.
  • [50]
    Id., Lettre du 31 mai 1680, op. cit., t. II, p. 955.
  • [51]
    J.-P. Camus, op. cit., « Lettre à Acanthe », p. 457.
  • [52]
    La « récitation » est précisément le mode de discours qui permet la chronique objective des événements de la conscience, peinture qui se contente de reproduire sans vouloir théoriser pour « former l’homme ». Voir aussi la notion de « contrerolle » évoquée dans le chapitre « Du repentir ».
  • [53]
    J.-P. Camus, loc. cit.
  • [54]
    II, 18, p. 703.
  • [55]
    J.-P. Camus, op. cit., p. 458-459.
  • [56]
    III, 5, p. 918 : « Je l’eusse faict meilleur ailleurs, mais l’ouvrage eust esté moins mien : Et sa fin principale et perfection, c’est d’estre exactement mien ».
  • [57]
    J.-P. Camus, op. cit., p. 191. Nous soulignons.
  • [58]
    B. Croquette, op. cit., p. 152.
  • [59]
    La Rochefoucauld, Maximes, éd. J. Lafond, Paris, Gallimard, « Folio », 1976.
  • [60]
    III, 2, p. 858 : « Elle [la vieillesse] nous attache plus de rides en l’esprit qu’au visage : et ne se void point d’ames, ou fort rares, qui en vieillissant, ne sentent l’aigre et le moisi ».
  • [61]
    I, 47, p. 307-308 : « Ainsi nous avons bien accoustumé de dire avec raison, […] noz discours ont grande participation à la témérité du hazard ».
  • [62]
    III, 8, p. 978-979 : « Les dignitez, les charges, se donnent necessairement, plus par fortune que par mérite […] : Ma raison a des impulsions et agitations journalières, et casuelles ».
  • [63]
    R. Descartes, Discours de la méthode [1637], éd. F. Alquié, Œuvres philosophiques, t. I, Paris, Classiques Garnier, 1997, p. 568. Voir sur ce point E. Caron, « Montaigne au xviie siècle », Papers on French Seventeenth-Century Literature, vol. XIX, n° 37, 1992, p. 367-385.
  • [64]
    II, 17, p. 696-697.
  • [65]
    R. Decartes, op. cit., p. 577. Nous soulignons.
  • [66]
    Ibid., p. 597-598. Nous soulignons.
  • [67]
    II, 5, p. 386. Nous soulignons.
  • [68]
    L. Brunschvicg, Descartes et Pascal lecteurs de Montaigne, Neuchâtel, Éd. de la Baconnière, 1942, p. 107.
  • [69]
    R. Descartes, op. cit., p. 583-584.
  • [70]
    Cf. II, 12, p. 529 : « L’ignorance qui se sçait, qui se juge, et qui se condamne, ce n’est pas une entiere ignorance : Pour l’estre, il faut qu’elle s’ignore soy-mesme ».
  • [71]
    Cf. I, 50, p. 322 : « et me rendre au doubte et incertitude, et à ma maistresse forme, qui est l’ignorance ».
  • [72]
    Cf. II, 12, p. 556-557 : « Je voy les philosophes Pyrrhoniens qui ne peuvent exprimer leur generale conception en aucune maniere de parler : car il leur faudroit un nouveau langage. Le nostre est tout formé de propositions affirmatives, qui leur sont du tout ennemies. De façon que quand ils disent, Je doubte, on les tient incontinent à la gorge, pour leur faire avouer qu’aumoins assurent et sçavent ils cela, qu’ils doubtent. Ainsin on les a contraints de se sauver dans cette comparaison de la medecine, sans laquelle leur humeur seroit inexplicable. Quand ils prononcent, J’ignore, ou, Je doubte, ils disent que cette proposition s’emporte elle mesme quant et quant le reste : ny plus ny moins que la rubarbe, qui pousse hors les mauvaises humeurs, et s’emporte hors quant et quant elle mesmes. Cette fantasie est plus seurement conceue par interrogation : Que sçay-je ? comme je la porte à la devise d’une balance ».
  • [73]
    B. Pascal, Entretien avec M. de Sacy […], éd. cit., p. 100-101.
  • [74]
    J.-P. Camus, op. cit., « Lettre à Acanthe », p. 460.
  • [75]
    Pascal, Pensées, éd. Sellier, fr. 568.
  • [76]
    Mme de Sévigné, Lettre du 6 octobre 1679, Correspondance, éd. cit., t. II, p. 697.
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