Lignes 2012/3 n° 39

Couverture de LIGNES_039

Article de revue

Europe : risques existentiels ; nouveaux défis politiques

Pages 174 à 185

Notes

  • [1]
    Directrice d’Espaces Marx (Paris), membre de la coordination de Transform ! Europe. Membre de la direction nationale du PCF.
  • [2]
    De nombreux articles dans la revue semestrielle Transform ! édité en plusieurs langues analysent et commentent régulièrement les évolutions économiques, sociales, politiques, idéologiques. Le numéro 10/2012 publie un dossier sur la démocratie. Tous les articles sont disponibles sur le site en plusieurs langues www.transform-network.org
  • [3]
    H. Kempf, « From Oligarchy to the New Challenge of Global Politics », in Transform ! 10/2012.
  • [4]
    Le Monde, 26/5/2012.
  • [5]
    Francisco Louça, économiste et coordinateur de Bloc de gauche portugais, décrit précisément les conséquences néfastes qu’aurait une sortie du Portugal de l’Euro, in Transform ! 10/2012
  • [6]
    Voir Joachim Bischoff, « Dauerzustand Schuldenkrise. Die endlose Kurzfrist-“Reparatur” des Euro-Systems », supplément de la revue Sozialismus, 7-8/2012.
  • [7]
    Voir Armando F. Stinko, « Le 15 mai et la révolution espagnole », in Transform !, 09/2011, p 110.
  • [8]
    Cécile Braconnier démontre dans ses enquêtes que l’abstention en France a aujourd’hui un caractère de classe.
  • [9]
    Gerassimos Moschonas, « Shooting horses in cold blood », 06 July 2012 http://www.policy-network.net/pno_detail.aspx?ID=4217&title=Shooting-horses-in-cold-blood
  • [10]
    Michalis Spourdalakis, contribution à l’occasion de l’université d’été organisée par le Parti de la gauche européenne et Transform ! à Portaria, en Grèce, juillet 2012.
  • [11]
    Gerassimos Moschonas, « Shooting horses in cold blood », 06 juillet 2012 http://www.policy-network.net/pno_detail.aspx?ID=4217&title=Shooting-horses-in-cold-blood
  • [12]
    Voir Gerassimos Moschonas, « L’Union européenne et les dilemmes de la gauche radicale. Réflexions preliminaires », in Transform ! 09/2011
  • [13]
    Bob Jessop, « Left Strategy », in Transform !, 10/2012
  • [14]
    Voir Gerassimos Moschonas, « The European Union and the Dilemmas of the Radical Left : Some Preliminary Thoughts », in Transform !, 09/2011.
  • [15]
    Le réseau regroupe actuellement 22 organisations membres de 16 pays. Il organise des conférences, participe à de nombreuses initiatives européennes, édite une Newsletter mensuelle et une revue semestrielle, en plusieurs langues.
  • [16]
    Armando F. Steinko, « Contribution à l’occasion de l’université d’été organisée par le Parti de la gauche européenne et Transform ! », à Portaria, Grèce, juillet 2012.
  • [17]
    Voir Gerassimos Moschonas, « L’Union européenne et les dilemmes de la gauche radicale. Réflexions préliminaires », art. cit., p. 21.
  • [18]
    Felipe van Keirsbilck (animateur de la Joint Social Conference), « Cinq réflexions sur le processus Altersummit. Contribution à l’occasion de l’université d’été organisée par le Parti de la Gauche européenne et Transform ! », à Portaria / Grèce, juillet 2012.
  • [19]
  • [20]
    Un espace de travail européen fonctionnant depuis plusieurs années où des syndicalistes sont très présents. http://www.jointsocialconference.eu

1En Europe, nous sommes dans une nouvelle étape de confrontation de classes. Malgré la crise systémique non seulement de la finance, mais de l’ensemble du mode d’accumulation et de reproduction du « financial market capitalism », ce système de domination a pu se maintenir. Son pouvoir transnational – largement soutenu par la nature de l’intégration et les politiques européennes – n’a pas été sérieusement fracturé, malgré la destruction massive de biens publics et privés qui ne cesse de s’accentuer et d’approfondir la grande crise.

2En Europe, une « oligarchie » s’empare de plus en plus des pouvoirs ; elle se « radicalise » et considère que le moment est venu d’accélérer brutalement le démantèlement des acquis sociaux et démocratiques en profitant de la crise notamment de « la dette publique » et en généralisant les politiques d’austérité qui, à leur tour, nourrissent la crise [2].

3La stratégie de dé-démocratisation systématique vise à créer les conditions d’une politique d’austérité brutale dont l’ampleur des dégâts et souffrances pour les populations commence à être visible, notamment dans les pays du sud de l’Europe. On peut en effet se demander, comme le fait Hervé Kempf dans le n° 10 (2012) de la revue de Transform ![3] si nous vivons encore en démocratie. La nature même de la construction de l’UE étant profondément néolibérale, la crise y prend un caractère particulièrement aigu et destructeur. « Beaucoup de politiques actuelles en Europe ont pour effet de réduire la dette, mais en détruisant dans le même temps un capital humain beaucoup plus important », constate Jean Paul Fitoussi [4]. La fuite en avant vers l’austérité et des formes de plus en plus autoritaires nous amène au bord du gouffre, avec des risques d’effondrements pouvant entraîner des sociétés dans des turbulences chaotiques. Mais la sortie de l’euro, voire la désagrégation de l’UE ne constituent en aucun cas une alternative [5] dans la mesure où les logiques régissant l’euro et l’UE et plongeant les sociétés dans la grande crise – telles que la financiarisation de l’économie, la mise en concurrence des salariés et des territoires, le démantèlement social et l’appauvrissement des sociétés, la privatisation et la marchandisation, la transformation autoritaire des ensembles étatiques – sont également à l’œuvre au niveau des États, des régions, des entreprises. Les causes profondes de la grande crise du « financial market capitalism » sont à rechercher dans la suraccumulation du capital argent qui se développe simultanément avec une faiblesse chronique du point de vue de l’accumulation et de la croissance [6]. L’euro dans sa conception actuelle relaie cette logique, mais nous pourrions parfaitement imaginer un autre euro, une autre banque centrale européenne, un autre traitement du problème de la dette publique, un autre ensemble de régulations et de traités favorisant non la mise en concurrence mais la coopération.

4Nous ignorons les moments et les formes des tremblements de terre à venir. Mais nous savons que nous devons accumuler le plus possible de pouvoir d’interprétation, de force, de capacité de coopération, d’intelligence politique pour savoir résister et ouvrir en même temps le chantier d’une profonde refondation de l’Europe. Pour savoir refuser une approche nationaliste qui permettrait de masquer la véritable nature du conflit avec les forces du capital et risquerait d’opposer entre elles des populations qui souffrent pourtant de la même logique. L’histoire du démantèlement de la Yougoslavie montre combien les ruines peuvent générer des dangers mortels. Dans une période où, dans les différents pays, les catégories de populations en situation de fragilisation et se sentant toujours plus dépréciées socialement et culturellement, perdent confiance dans les institutions, les représentations politiques, le « vivre ensemble » et la solidarité comme concepts régissant les sociétés, les droites extrêmes et populistes trouvent avec les divisions grandissantes à explorer un terrain très favorable à leur progression. Les stratégies des marchés financiers et des grands actionnaires tout comme les politiques européennes intensifient les asymétries régionales à l’échelle européenne, ce qui ne manque de rajouter des clivages entre grandes régions et de nourrir des postures nationalistes. La transformation des « market state » de nature néolibérale en « États autoritaires » crée par ailleurs un terrain favorable aux droites extrêmes et populistes.

Guerre de positions

5Face à la soumission de la vie publique et politique aux exigences des marchés financiers, faire grandir l’exigence d’un changement de logique et proposer des chemins politiques inédits pour ouvrir une telle perspective constituent des défis de grande ampleur pour la gauche. Malgré l’importance des luttes et des mouvements de ces dernières années dans un grand nombre de pays, malgré leur créativité, leur énergie, ceux-ci n’obtiennent que très rarement des succès. Les forces dominantes tentent partout de diviser et désarmer les classes subalternes. Dans nos pays, la place et le rôle des syndicats sont l’objet d’attaques politiques et idéologiques sans précédent dont l’impulsion vient souvent des orientations européennes. Mais en même temps, des grèves importantes et parfois générales se multiplient. Les mouvements de type « occupy » en Espagne, en Grèce et ailleurs ont montré les potentiels de résistance, de mobilisation pour relever la tête face à la pression politique et idéologique dans un contexte social de plus en plus tendu, pour rechercher des logiques alternatives, des pratiques politiques nouvelles.

6Je ne partage pas l’avis de ceux qui caractérisent la période actuelle de « période d’insurrection » comme on l’avance parfois, notamment en prenant appui sur les mouvements de type « occupy » qui, certes, savent poser des questions de fond, mobiliser, influencer l’opinion publique, mais sans (pour l’instant) être en capacité de développer une lutte durable pour la défense d’intérêts communs [7]. La phase actuelle de confrontation semble plutôt marquée par la coexistence de phénomènes très contrastés : d’un côté des protestations, des résistances, l’émergence de luttes nouvelles et d’acteurs nouveaux, des recherches multiples de re-faire société, de re-construire de la solidarité et du collectif ; de l’autre côté un fort sentiment d’impuissance et d’angoisse, d’isolement, tout ce qui produit des ressentiments, du repli et notamment le sentiment, parmi les populations les plus appauvries, que la politique ne peut / ne veut plus rien pour elles [8]. L’actualité en Grèce montre à quel point on ne peut savoir si c’est l’espoir ou la peur qui l’emporte, tout comme les élections françaises ont révélé un véritable potentiel pour le Front de gauche, mais aussi sa fragilité.

7La Grèce est le premier pays où – dans ce contexte – une « élection de rupture » s’est produite, bouleversant brutalement et profondément le système politique jusqu’à présent stable [9]. Ce n’est pas seulement une élection, mais la montée d’un mouvement enraciné dans la société, porté par des acteurs politiques, des mouvements, des citoyens, qui a su poser la question du pouvoir dans un moment où les partis jusqu’alors dominants se sont effondrés en raison de leur bilan (sur le plan national et européen) désastreux pour la société. Syriza a su construire son programme et sa démarche en s’associant de façon originale à de nombreuses forces dans la société, pour devenir à la fois une coalition politique, un mouvement portant des exigences de représentation politique, un programme intégrant de nombreuses questions développées par des mouvements et l’espace d’unité populaire [10]. « Les élections grecques étaient des élections d’un réalignement de classe. Syriza avait obtenu les pourcentages les plus élevés parmi la population active et particulièrement parmi les salariés du secteur privé, du secteur public, les chômeurs, les étudiants et les habitants des villes les plus pauvres d’Attique… Jamais durant la période après la fin de la dictature (1974-2012) n’a existé un moment électoral avec un niveau si élevé de polarisation sociale[11]. » En obtenant un très large soutien à ses propositions alternatives, Syriza a su modifier le rapport de force de façon spectaculaire. C’est ainsi que la stratégie de la troïka a, pour la première fois, pu être sérieusement menacée.

8Dans d’autres pays européens, on ne peut parler « d’élection de rupture », mais les recherches se multiplient pour dépasser le fractionnement de la gauche alternative et investir l’espace à gauche de la social-démocratie dont la crise se poursuit. Certes, la social-démocratie réussit à gagner certaines élections nationales, lorsque, refusant les politiques d’austérité, les électeurs sanctionnent la droite au pouvoir. Dans ces cas, la social-démocratie constitue certes un recours face à la droite, mais son retour au pouvoir ne signifie aucunement un « nouveau départ » vers une alternative, d’autant plus qu’elle ne dépasse nulle part l’horizon du social-libéralisme et de la construction européenne sur les bases néolibérales. De ce fait, elle n’arrive pas à imposer des thèmes différents de ceux de la droite ni à inventer des réponses nouvelles face à la grande crise. Dans plusieurs pays, étant au pouvoir et ayant mis elle même en place le régime « austéritaire » de rigueur en Europe, la social-démocratie est lourdement sanctionnée comme en Grèce, en Espagne, au Portugal… La crise durable de la social-démocratie et de ses choix politiques prédominants ouvre d’un côté un espace pour une gauche critique, alternative, radicale, mais bloque en même temps toute perspective d’une majorité de gauche de changement.

9La gauche alternative peut en effet tenter de relever le défi d’une « fenêtre historique [12] » qui se présente dans ce contexte de rejet grandissant des logiques néolibérales et de non-réponse de la social-démocratie aux besoins de changement. Elle est confrontée à la nécessité de se positionner en toute autonomie vis-à-vis de la social-démocratie, mais doit en même temps développer une stratégie visant à constituer de nouvelles majorités culturelles et politiques qui ne peuvent exister sans une partie significative de citoyens, d’électeurs, de militants se situant à la proximité de la social-démocratie. Dans de nombreux pays, une des conditions pour créer un mouvement d’agglomération dynamique est la capacité de dépasser l’atomisation qui caractérise le champ de la gauche critique. C’est ainsi que cherchent à se constituer non seulement des alliances électorales ponctuelles, mais des formes de « fronts » communs sachant générer de nouvelles dynamiques politiques, au-delà des seuls adhérents des partis impliqués. Depuis quelques années, des processus de constructions nouvelles se sont mis en place dont les plus visibles sont actuellement Syriza en Grèce et le Front de gauche en France. Le fait que ce soit le Front de gauche et non le NPA qui émerge dans le paysage politique français fournit une indication qu’il y a besoin, à gauche du PS, d’une dynamique politique qui ne se limite pas à l’organisation de la protestation, qui ne se définit pas comme anti-PS, qui cherche à peser directement sur le terrain des rapports de force politiques.

10La dureté de la confrontation, l’extrême difficulté d’obtention de résultats dans les luttes, les rapports de force défavorables aux forces de résistance et de luttes motivent nombre d’acteurs dans la recherche de nouvelles alliances, au-delà des voies traditionnelles, et cela dans l’espace national et européen.

Enjeux stratégiques

11À partir d’une analyse de la conjoncture économique, sociale, idéologique et politique correcte, Bob Jessop propose [13] de définir les possibilités stratégiques pour les acteurs visant la transformation sociale dans cette période spécifique. La relative faiblesse des forces de contestation avant l’explosion de la grande crise n’a pas permis, dans cette crise, de mettre en échec l’hégémonie néolibérale. Par conséquent, nous nous situons, par rapport à l’objectif du dépassement du système, dans une phase défensive de la lutte et cela nous amène à définir nos objectifs stratégiques en termes de « guerre de positions ». La critique des véritables causes de la grande crise peut et doit être développée de façon plus radicale et plus audible, ce qui a, par exemple, été fait lors de la présidentielle en France, avec un grand succès des « meetings pédagogiques » du candidat du Front de gauche, Jean Luc Mélenchon. Non seulement la sphère financière était l’objet d’une critique radicale, mais aussi l’ensemble du mode d’accumulation et de reproduction dans le cadre du « financial market capitalism » avec les conséquences pour l’espace public, l’économie réelle, l’état des finances publiques, la démocratie, la situation sociale, le travail, l’individu. Il s’agit également d’oser poser la question des pouvoirs, ce que Syriza a su faire et ce qui est un facteur de crédibilité et de mobilisation.

12Le nécessaire changement des pouvoirs, la refondation de la démocratie sur des bases nouvelles, un nouveau type de développement social et écologique sont des défis pour toute la société et ne peuvent être délégués aux seules organisations politiques. Mais les acteurs sociaux et politiques sont appelés à aider les citoyens à gagner un véritable pouvoir d’interprétation qui conditionne pour une large part leur capacité à se positionner, à dépasser leur sentiment d’impuissance, à s’unir, à agir collectivement. La formation d’un bloc social et idéologique en capacité de porter le changement est au cœur de l’enjeu stratégique. Aujourd’hui, les victimes de la crise sont socialement et politiquement éclatées, divisées, parfois opposées. Un projet politique alternatif doit pouvoir cristalliser les intérêts de groupes, de fractions de la société qui ne sont certes pas identiques mais peuvent converger. C’est à partir d’un premier noyau que Syriza a su concevoir un programme en s’appuyant sur des élaborations de mouvements sociaux et politiques et d’intellectuels, et agglomérer ainsi des forces multiples. Entre critique radicale et propositions alternatives, le « missing link » d’une stratégie politique concrète a commencé à trouver, dans le contexte d’une confrontation particulièrement dure, un début de réponse.

13La constitution d’un espace commun européen se superposant à des espaces nationaux pose évidemment des questions tout à fait inédites du point de vue de la stratégie politique. En effet, le terrain transnational, avec un système de gouvernance « multilevel », un système d’autorités multipolaire prête à des divisions, mais offre aussi des opportunités pour la construction d’une gauche radicale pluraliste en favorisant le dépassement de longues traditions de clivages dans la sphère nationale [14]. Depuis sa fondation en 2004, le Parti de la gauche européenne (PGE) regroupant plus d’une trentaine de partis (membres et observateurs) d’une grande diversité et d’un grand nombre de pays (y compris hors UE) cherche à gagner en efficacité en tant que sujet politique européen qui développe une critique radicale du mode d’intégration et des politiques néolibérales européennes, tout en portant l’idée d’une « autre » Europe, d’une Europe sociale, solidaire, démocratique, féministe, écologiste. Au niveau du Parlement européen, c’est le groupe GUE/NGL qui rassemble les députés de la gauche critique. Le réseau Transform ! rassemble depuis une dizaine d’années des instituts, centres de recherche et revues de différents pays liés à la gauche alternative et exerce la fonction de fondation européenne du PGE [15]. En effet, au moment où l’hégémonie néolibérale s’effrite, l’analyse précise des contradictions et potentialités à partir desquelles une stratégie de gauche peut se concevoir, la recherche de convergences entre forces sociales et politiques contestant la logique dominante, la formation d’un sujet politique européen de transformation sociale ainsi que d’alliances inédites deviennent des enjeux de grande importance et demandent des outils pour avancer.

Agglomérer des forces au niveau national et européen

14Face à la crise et ses conséquences dramatiques, la recherche de l’union, la formation de nouvelles alliances – au niveau national et européen – deviennent des questions essentielles pour l’ensemble des acteurs sociaux et politiques se positionnant à gauche. Une nouvelle dynamique sociale et politique est indispensable pour contrer le découragement et la progression de l’extrême droite, pour proposer la formation de coalitions en faveur de « ruptures démocratiques ». Si au sein de sociétés complexes organisées au niveau d’États-nations, la constitution d’un bloc culturel et politique pouvant porter une nouvelle hégémonie (aux classes subalternes peu homogènes) suppose un processus de longue haleine rythmé d’initiatives politiques d’en haut et d’en bas [16], une telle perspective, au niveau européen, n’est à présent pas encore pensée.

15Depuis des années, les discussions et recherches dans les mouvements, au sein des syndicats, dans la gauche tournent autour de la question de l’articulation entre les luttes au niveau national et européen. Une des grandes complications réside dans le système de pouvoir multipolaire de l’UE ainsi que dans le défi pour la gauche radicale d’élaborer une stratégie originale, et cela dans le contexte de « la double crise actuelle, celle du capitalisme et celle de l’Europe, [qui] ouvre une fenêtre d’opportunité historique pour l’ensemble de la gauche, pour la gauche radicale en particulier[17]. »

16Depuis une dizaine d’années, les contre-sommets et forums sociaux correspondant à un consensus antilibéral minimum ont fait avancer, mais nous ne pouvons pas en rester à créer des espaces de dialogue pour les progressistes européens, il nous faut regrouper toutes les forces capables de se rassembler dans la défense des intérêts des populations et en faveur d’une autre logique en Europe. Il ne s’agit pas d’un débat général – entre syndicats, mouvements, partis - mais de la recherche de coopération entre des forces dont l’orientation, notamment quant aux enjeux européens, est convergente pour réellement modifier les rapports de force, pour contribuer à l’émergence d’une nouvelle dynamique. Le modèle du Forum social mondial est devenu insuffisant dans l’espace européen où la confrontation avec une oligarchie très constituée, des pouvoirs concentrés, des institutions communes est quotidienne sur le plan social, politique, idéologique. La multiplication des protestations est certes indispensable, mais leur addition ne suffit pas pour modifier les rapports de force de façon sensible. La constitution de véritables coalitions d’une nouvelle puissance est indispensable ce qui demande un saut qualitatif en ce qui concerne la création d’espaces de travail et de lutte. L’expérience récente avec les élections grecques a montré que la modification des rapports de force dans un pays, comme Syriza a su le faire, a des conséquences pour toute l’Europe, mais demande en retour des processus de la même nature ailleurs.

17C’est parce qu’elle répond aux besoins actuels que l’idée d’un altersommet fait rapidement son chemin. Nous voulons, en définissant clairement la ligne de confrontation, « réaliser la convergence des forces, et leur unité concrète dans l’action[18] » créer un événement politique important, visible à l’échelle européenne, construit avec une multitude d’acteurs dans nos pays, relayé par des voix qui comptent, afin de dire haut et fort que la seule façon de continuer de « faire Europe » est de la refonder, et que nous savons proposer les axes majeurs de cette nouvelle logique dont les peuples ont besoin. Un processus de construction [19] associant des acteurs différents de toutes les parties de l’Europe – syndicats, mouvements sociaux et altermondialistes, féministes, réseaux d’intellectuels, Appels pour une autre Europe émanant de différents pays ainsi que des représentants de la gauche européenne – a commencé à se mettre en route en s’appuyant notamment sur l’espace que constitue la « Joint Social Conference[20] ». C’est en faisant vivre une nouvelle ambition, en exigeant le changement de politique et des pouvoirs que nous pourrons favoriser des prises de consciences, des rassemblements, des mobilisations. Ces dernières années, nous avons constaté la proximité des analyses et propositions de nombreuses forces en Europe. Il s’agit aujourd’hui de faire en sorte que ces convergences se traduisent dans des actes politiques concrets, afin de pouvoir modifier le cours des choses. Dans ce bras de fer entre résistances politiques « austéritaires » en Europe, la Confédération européenne des syndicats rejette pour la première fois un traité et montre une disponibilité un peu plus grande pour coopérer avec des mouvements sociaux.

18La coopération entre les forces sociales et la gauche politique, même s’il y a une grande convergence de vues, est une question difficile. Et on en comprend parfaitement les raisons. Mais compte tenu du caractère dramatique de la situation et des convergences fortes entre différents acteurs, le moment est venu d’inventer des rapports nouveaux, évidemment dans le plein respect de l’autonomie de chacun, ce qui suppose d’inventer des formes nouvelles.

19Concrètement l’Altersommet est envisagé pour le printemps 2013 à Athènes. Avant cela, un grand rendez-vous européen aura lieu à Florence du 8 au 11 novembre, à l’initiative des mouvements sociaux italiens, 10 ans après le premier Forum social européen, en 2002. Ce sera un rendez-vous de travail pour aller plus loin dans l’établissement des convergences, l’approfondissement des analyses, l’élaboration des alternatives, la construction des alliances.


Date de mise en ligne : 25/03/2014

https://doi.org/10.3917/lignes.039.0174

Notes

  • [1]
    Directrice d’Espaces Marx (Paris), membre de la coordination de Transform ! Europe. Membre de la direction nationale du PCF.
  • [2]
    De nombreux articles dans la revue semestrielle Transform ! édité en plusieurs langues analysent et commentent régulièrement les évolutions économiques, sociales, politiques, idéologiques. Le numéro 10/2012 publie un dossier sur la démocratie. Tous les articles sont disponibles sur le site en plusieurs langues www.transform-network.org
  • [3]
    H. Kempf, « From Oligarchy to the New Challenge of Global Politics », in Transform ! 10/2012.
  • [4]
    Le Monde, 26/5/2012.
  • [5]
    Francisco Louça, économiste et coordinateur de Bloc de gauche portugais, décrit précisément les conséquences néfastes qu’aurait une sortie du Portugal de l’Euro, in Transform ! 10/2012
  • [6]
    Voir Joachim Bischoff, « Dauerzustand Schuldenkrise. Die endlose Kurzfrist-“Reparatur” des Euro-Systems », supplément de la revue Sozialismus, 7-8/2012.
  • [7]
    Voir Armando F. Stinko, « Le 15 mai et la révolution espagnole », in Transform !, 09/2011, p 110.
  • [8]
    Cécile Braconnier démontre dans ses enquêtes que l’abstention en France a aujourd’hui un caractère de classe.
  • [9]
    Gerassimos Moschonas, « Shooting horses in cold blood », 06 July 2012 http://www.policy-network.net/pno_detail.aspx?ID=4217&title=Shooting-horses-in-cold-blood
  • [10]
    Michalis Spourdalakis, contribution à l’occasion de l’université d’été organisée par le Parti de la gauche européenne et Transform ! à Portaria, en Grèce, juillet 2012.
  • [11]
    Gerassimos Moschonas, « Shooting horses in cold blood », 06 juillet 2012 http://www.policy-network.net/pno_detail.aspx?ID=4217&title=Shooting-horses-in-cold-blood
  • [12]
    Voir Gerassimos Moschonas, « L’Union européenne et les dilemmes de la gauche radicale. Réflexions preliminaires », in Transform ! 09/2011
  • [13]
    Bob Jessop, « Left Strategy », in Transform !, 10/2012
  • [14]
    Voir Gerassimos Moschonas, « The European Union and the Dilemmas of the Radical Left : Some Preliminary Thoughts », in Transform !, 09/2011.
  • [15]
    Le réseau regroupe actuellement 22 organisations membres de 16 pays. Il organise des conférences, participe à de nombreuses initiatives européennes, édite une Newsletter mensuelle et une revue semestrielle, en plusieurs langues.
  • [16]
    Armando F. Steinko, « Contribution à l’occasion de l’université d’été organisée par le Parti de la gauche européenne et Transform ! », à Portaria, Grèce, juillet 2012.
  • [17]
    Voir Gerassimos Moschonas, « L’Union européenne et les dilemmes de la gauche radicale. Réflexions préliminaires », art. cit., p. 21.
  • [18]
    Felipe van Keirsbilck (animateur de la Joint Social Conference), « Cinq réflexions sur le processus Altersummit. Contribution à l’occasion de l’université d’été organisée par le Parti de la Gauche européenne et Transform ! », à Portaria / Grèce, juillet 2012.
  • [19]
  • [20]
    Un espace de travail européen fonctionnant depuis plusieurs années où des syndicalistes sont très présents. http://www.jointsocialconference.eu

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