Notes
-
[1]
S.H. Preston, « The changing relation between mortality and level of economic development », Population Studies, 29 (2), 231-248, 1975.
-
[2]
N. Blanpain, «L’espérance de vie s’accroît, les inégalités sociales face à la mort demeurent », Insee Première, 1372, 2011.
-
[3]
F. Jusot, « The shape of the relationship between mortality and income in France », Annales d’économie et de statistique, numéro spécial « Health-Insurance-Equity », 83-84, 89-122, 2006.
-
[4]
M.H. Brenner, « Mortality and the national economy: a review, and the experience of England and Wales 1936-1976 », Lancet, II, 568-573, 1979.
-
[5]
H.S.E Gravelle, G. Hutchinson, J. Stern, « Mortality and unemployment: a critique of Brenner’s time series analysis », The Lancet, 318, 8248, 675-679, 1981.
-
[6]
A.A. Wagstaff, « Time series analysis of the relationship between unemployment and mortality: a survey of econometric critiques and replications of Brenner’s studies », Social Science and Medicine, 21, 9, 985-996, 1985.
-
[7]
C.J. Ruhm, « Are recessions good for your health? », The Quarterly Journal of Economics, 115 (2), 617-650, 2000.
-
[8]
A. Laporte, « Do economic cycles have a permanent effect on population health? Revisiting the Brenner hypothesis », Health Economics, 13, 767-779, 2004.
-
[9]
C.J. Ruhm, « Healthy living in hard times », Journal of Health Economics, 24 (2), 341-363, 2005.
-
[10]
C.J. Ruhm, « A healthy economy can break your heart », Demography, 44, 4, 829-848, 2007.
-
[11]
C.J. Ruhm, « Good times make you sick », Journal of Health Economics, 22, 637-658, 2003.
-
[12]
D. Stuckler, C. Meissner, P. Fishback, S. Basu, M. McKee, « Banking crises and mortality during the Great Depression: evidence from US urban populations, 1929-1937 », Journal of Epidemiology and Community Health, 66 (5), 410-419, 2012.
-
[13]
T. Buchmueller, M. Grignon, F. Jusot, « Unemployment and mortality in France, 1982-2002, » Centre for Health Economics and Policy Analysis, Working Paper Series 2007-04, 2007.
-
[14]
C.J. Ruhm, « Are recessions good for your health? », art. cité.
-
[15]
D.L. Miller, M.E. Page, A.H. Stevens, M. Filipski, « Why are recessions good for your health? », The American Economic Review, 99, 2, 122-127, 2009.
-
[16]
C.J. Ruhm, « Are recessions good for your health? », art. cité.
-
[17]
Ibid. ; C.J. Ruhm, « Healthy living in hard times », art. cité.
-
[18]
Voir par exemple : B. Apouey, A.E. Clark, « Winning big but feeling no better? The effect of lottery prizes on physical and mental health », IZA DP No. 4730, 2010 ; C. Scodellaro, M. Khlat, F. Jusot, « Intergenerational transfers and health: Evidence from the national Generation and Gender Survey, France 2005 », Social Science and Medicine, 75, 7, 1296-1302, 2012.
-
[19]
B. Apouey, A.E. Clark, « Winning big but feeling no better… », art. cité.
-
[20]
S.E. Snyder, W.N. Evan, « The effect of income on mortality: evidence from the social security notch, » The Review of Economics and Statistics, 88, 3, 482-495, 2006.
-
[21]
C.J. Ruhm, « Good times make you sick » et « Healthy living in hard times », art. cités.
-
[22]
E. Cambois, F. Jusot, « Contribution of lifelong adverse experiences to social health inequalities: findings from a population survey in France », European Journal of Public Health, 21, 5, 667-673, 2011.
-
[23]
D. Bricard, F. Jusot, « Milieu d’origine, situation sociale et parcours tabagique en France », Économie publique, à paraître.
-
[24]
M. Khlat, F. Jusot, I. Ville, « Social origins, early hardship and obesity: a strong association in women, but not in men? », Social Science and Medicine, 68, 9, 1692-1699, 2009.
-
[25]
P. Dourgnon, F. Jusot, R. Fantin, « Payer nuit gravement à la santé : une étude de l’impact du renoncement financier aux soins sur l’état de santé », Économie publique, à paraître.
-
[26]
F. Jusot, C. Perraudin, J. Wittwer, « L’accessibilité financière à la complémentaire santé en France : les résultats de l’enquête budget de famille 2006 », Économie et Statistique, n° 450, à paraître, 2012.
-
[27]
M. Riva, C. Bambra, S. Easton, S. Curtis, « Hard times or good times? Inequalities in the health effects of economic change », International Journal of Public Health, 56, 1, 3-5, 2011.
1Selon les dernières prévisions de l’Insee, l’économie française devrait connaître en 2012 un fort ralentissement, avec une croissance estimée à 0,4 % contre 1,7 % en 2011. Le taux de chômage est en augmentation et devrait continuer à croître et le pouvoir d’achat pourrait enregistrer son plus fort recul depuis 1984. Quelles sont les conséquences à attendre sur la santé des populations de cette récession qui touche la France depuis plusieurs années déjà ? Faut-il mettre en œuvre de manière urgente des politiques spécifiques ou n’y a-t-il pas lieu de s’alarmer ?
2Il ne fait pas de doute que le niveau de vie est l’un des déterminants essentiels de l’état de santé. Au niveau international tout d’abord, l’état de santé des populations des pays est corrélé à leur niveau de développement. Dès 1975, Preston mettait ainsi en évidence l’existence d’une courbe liant les revenus moyens dans différents pays et leur espérance de vie [1]. Cependant, cette courbe est concave : la pauvreté aurait un effet fortement délétère et le développement économique des pays les plus pauvres serait associé à une forte diminution de la mortalité. Mais, à partir d’un certain niveau de revenu par tête, l’augmentation des revenus ne serait plus associée qu’à une faible augmentation de l’espérance de vie.
3Par ailleurs, il existe dans l’ensemble des pays d’importantes inégalités sociales de santé, c’est-à-dire des différences d’état de santé entre groupes sociaux. Ainsi en France, où ces inégalités sont particulièrement marquées, un cadre de 35 ans a encore en moyenne plus de 47 ans à vivre, contre seulement moins de 41 ans pour un ouvrier [2], et un doublement des revenus est associé à une réduction de 43 % de la probabilité de décéder dans l’année [3]. Ce phénomène, connu sous le nom de « gradient social de santé », ne semble pas cette fois se limiter à un simple effet de la pauvreté. Si la mortalité des 20 % d’individus les plus pauvres est supérieure de 40 % à la moyenne, la mortalité des 20 % les plus riches est, quant à elle, de 45 % inférieure à la moyenne.
4Partant de ce constat, on pourrait donc supposer que la contraction des revenus et de l’emploi durant les périodes de récession est nécessairement néfaste à la santé des populations. C’est l’hypothèse que formula Brenner dans les années 1970. Pourtant, si les effets protecteurs à long terme du revenu sur la santé semblent clairement établis, les conséquences des fluctuations de court terme sont plus débattues.
Les récessions seraient bonnes pour la santé
5Les travaux de Brenner vinrent tout d’abord à l’appui de cette hypothèse. Il montra, notamment à partir du suivi des taux de mortalité ajustés par l’âge en Angleterre et au pays de Galles sur la période 1936-1976, un effet délétère des fluctuations économiques, caractérisées par les variations du revenu par tête autour de sa tendance de long terme, et une augmentation de la mortalité durant les périodes de récession, mesurée par l’augmentation du taux de chômage [4]. Selon lui, l’instabilité économique et l’insécurité financière induites par la montée du chômage seraient à l’origine de stress, qui affecterait la santé directement ou au travers d’une augmentation des comportements à risque, et conduirait en outre à une rupture des liens sociaux, également délétère. Plusieurs travaux confirmèrent alors l’existence de cette relation positive entre le taux de chômage et la mortalité générale, la mortalité infantile, la mortalité par maladie cardiovasculaire, par cirrhose, les suicides et homicides ou encore le taux d’admission dans les hôpitaux psychiatriques.
6Cependant, la méthodologie mobilisée dans ces premiers travaux fut largement critiquée [5] [6] [7] [8] [9]. Faute d’une mobilisation de techniques économétriques appropriées à l’analyse des données de panel et des séries temporelles, ces résultats pouvaient être le simple reflet de caractéristiques temporelles ou géographiques inobservées, ou encore être artificiellement dus à une régression fallacieuse entre deux séries non stationnaires. De nombreux travaux se sont alors attachés à tester l’hypothèse de Brenner à l’aide d’une méthodologie adaptée et ont mis en évidence des résultats pour partie contradictoires, mais qui semblent aujourd’hui converger vers des résultats contraires à l’hypothèse de départ.
7Christopher Ruhm s’est notamment attaché à démontrer dans différents travaux que la mortalité était globalement procyclique, c’est-à-dire augmentait pendant les périodes de croissance économique et diminuait pendant les récessions. Le suivi sur la période 1972-1991 des taux de mortalité ajustés par l’âge des cinquante États américains et du district de Columbia lui permit en particulier de montrer que, si l’augmentation permanente du revenu par tête est associée à une meilleure santé, les périodes de récession sont également associées à une baisse significative de la mortalité [7]. Ainsi, une augmentation du taux de chômage de un point serait associée à une réduction d’environ 0,5 % du taux de mortalité, soit de 4,6 décès pour 100 000 habitants. Il réalise le même constat pour la plupart des causes de décès considérées. La relation semble être la plus forte pour la mortalité accidentelle, qui concerne en premier lieu les jeunes adultes. Ainsi, une augmentation du taux de chômage de un point serait associée à une réduction de 3 % du taux de mortalité par accident de voiture, de 1,6 % du taux de mortalité par autres types d’accidents et de 1,9 % du taux de mortalité par homicide. De même, le taux de mortalité par grippe et pneumonie serait réduit de 0,7 %, le taux de mortalité par maladies cardiovasculaires de 0,5 %, le taux de mortalité par maladies coronariennes, plus sensibles aux comportements à risque à court terme, étant, lui, réduit de 0,75 % [7] [10]. Une augmentation du chômage serait également associée à une forte diminution de la morbidité aiguë et de plusieurs maladies chroniques, comme les maladies ischémiques et les troubles musculosquelettiques [11]. La mortalité par cancer serait par contre peu affectée par les fluctuations économiques de court terme. Enfin, la mortalité par suicide, seule exception notable, serait contracyclique, c’est-à-dire plus importante pendant les périodes de difficultés économiques. Ainsi, une augmentation de un point du taux de chômage serait associée à une augmentation de 1,3 % du taux de décès par suicide.
8Cette relation négative entre le taux de chômage et la mortalité au niveau agrégé a été par la suite confirmée par d’autres études, menées sur des données américaines avec d’autres méthodologies et pour d’autres périodes. Par exemple, la crise de 1929 se serait accompagnée d’une augmentation des suicides aux États-Unis mais d’une diminution de la mortalité par accidents [12]. Le même constat a été établi dans d’autres pays, comme l’Allemagne, l’Espagne, un sous-ensemble des pays de l’OCDE ou encore la France. Le suivi sur la période 1982-2002 des taux de décès et du taux de chômage à l’échelle des départements français a ainsi permis de montrer une relation entre la mortalité et les conditions macroéconomiques, après contrôle par des effets fixes temporels et géographiques [13]. De manière cohérente avec la littérature internationale, cette étude a montré qu’une augmentation du taux de chômage de un point est associée à une réduction de 6 décès pour 100 000 habitants. Une augmentation de un point du taux de chômage serait également associée à une réduction de 1 % de la mortalité cardiovasculaire. Une forte relation négative est également mise en évidence entre le chômage et la mortalité par accidents de la route et autres accidents, qui comprennent donc les accidents professionnels. En revanche, aucune relation claire n’est mise en évidence pour la mortalité par cirrhose, par cancer ou encore par suicide.
Les mécanismes de la mortalité procyclique
9Quels sont les mécanismes à l’œuvre pouvant expliquer que la mortalité soit procyclique, c’est-à-dire diminue pendant les récessions ?
10Plusieurs facteurs ont été proposés pour expliquer l’effet bénéfique des récessions sur la santé [14] [15]. D’une part, l’intensité du travail serait plus importante dans les périodes d’activité économique forte, ce qui augmenterait les risques de maladies professionnelles et les accidents du travail. Au contraire, la réduction de la durée d’exposition à des conditions de travail dangereuses dans les périodes de baisse de la production de biens et services serait bénéfique à la santé. De plus, le trafic automobile diminuerait avec la contraction de l’emploi, ce qui mécaniquement réduirait les accidents de la route et la pollution. D’autre part, l’augmentation du chômage et la diminution du temps de travail permet aux personnes de disposer de davantage de temps libre dans les récessions que dans les périodes de boom économique. La réduction des opportunités d’emploi et de leur niveau de rémunération réduit en outre le coût de la décision de ne pas travailler. Cette réduction de ce que les économistes appellent le « coût d’opportunité de temps » va permettre aux personnes de prendre plus facilement le temps d’investir dans leur santé. La diminution de l’activité économique pourra ainsi être l’occasion de prendre le temps d’aller chez le médecin, d’avoir une activité physique, ou encore de passer plus de temps à cuisiner afin d’avoir une alimentation plus équilibrée. À court terme, la contraction du revenu entraînée par la crise pourrait enfin être bénéfique à la santé au travers d’une réduction des consommations à risque, comme l’alcool et le tabac.
11À l’appui de ces hypothèses, la récession réduit de manière plus marquée la mortalité des personnes âgées de 20 à 44 ans, qui ont un taux de participation élevé au marché du travail et sont les plus touchés par la mortalité accidentelle [16]. Toutefois, le risque de décès des plus de 65 ans est également réduit durant les périodes de récession. Au total, c’est même chez les seniors que la réduction du nombre de décès est la plus importante compte tenu du risque élevé de mortalité à cet âge. La réduction de la mortalité des seniors pourrait alors être due à une réduction des accidents de la route, à une réduction de la pollution ou encore à une augmentation des soins informels fournis par les personnes d’âge actif, consécutive à la réduction de l’activité économique.
12Les récessions sont également associées à une amélioration des styles de vie [17]. Cette diminution des comportements à risque est plus importante chez les personnes les plus à risque : la diminution du poids toucherait de manière plus marquée les personnes sévèrement obèses, la diminution de la consommation de tabac serait plus importante parmi les gros fumeurs et l’augmentation de l’exercice refléterait principalement des passages de l’inactivité à la pratique d’exercice physique, plus qu’une augmentation de l’intensité de l’activité physique chez les personnes physiquement actives. Au total, une réduction de un point de l’emploi serait associée à une réduction de 0,6 % de la prévalence du tabagisme, de 0,4 % de la prévalence de l’obésité, de 0,7 % du taux d’inactivité physique et de 1,1 % de la prévalence des comportements à risques multiples.
13Ces résultats, bien que surprenants, sont en fait assez cohérents avec les résultats de quelques études s’étant intéressées à l’influence d’une augmentation temporaire des revenus sur la santé et les comportements à risque. Plusieurs études ont mis en évidence un effet bénéfique sur la santé perçue ou la santé mentale des gains de revenu transitoires comme les gains de loterie ou les transferts de revenus des ascendants [18], mais il a également été montré que ces gains supplémentaires de revenu pouvaient s’accompagner d’une augmentation des comportements à risque [19]. De plus, Snyder et Evans ont par exemple montré, à partir d’un changement de législation des droits à la retraite aux États-Unis, que la diminution des pensions de retraite perçues par les individus nés juste après 1917 était associée à une diminution du risque de décès par rapport aux individus nés juste avant cette date et bénéficiant de pensions plus élevées [20].
Les conséquences néfastes à plus long terme des difficultés économiques
14Faut-il alors en déduire que la récession n’aura pas de conséquences délétères, voire qu’elle pourrait être à l’origine d’une amélioration de la santé des populations ? Cette conclusion serait un peu rapide. Les travaux de Ruhm montrent que seules les augmentations temporaires du chômage et les diminutions temporaires du revenu pourraient être bénéfiques. De manière plus intuitive, l’état de santé des populations se détériore si la crise devient durable.
15De plus, certains soins seraient, comme les consommations à risque, un bien que les économistes qualifient de « normal », c’est-à-dire un bien dont la consommation augmenterait lorsque le revenu augmente. Ruhm [21] montre ainsi que les dépistages, les visites de médecins et le nombre de séjours hospitaliers sont globalement plus faibles dans les périodes de récession. Même si l’on ne peut exclure que cette diminution de la consommation de soins soit due à l’amélioration de l’état de santé pendant ces périodes, elle est sans doute la conséquence de la montée du chômage et de la faible croissance du niveau de vie.
16Par ailleurs, plusieurs études menées à l’échelle individuelle montrent que les fluctuations des revenus et les épisodes de précarité sont associés à une dégradation de l’état de santé, et ce même à long terme. En France, la survenue d’épisodes de précarité, y compris pendant l’enfance, est associée à des problèmes de santé deux fois plus fréquents, que ces derniers soient mesurés par un mauvais état de santé perçu, une déclaration plus fréquente de maladies chroniques ou la déclaration de limitations dans les activités de la vie quotidienne, et ce après contrôle par la situation sociale actuelle appréciée par le niveau d’éducation, la profession et le niveau de revenu [22]. Il a également été montré que les épisodes de précarité vécus pendant l’enfance étaient associés à l’âge adulte à un risque de 50 % supérieur d’être fumeur, en raison d’une initiation tabagique plus fréquente [23] et, chez les femmes, à un risque deux fois plus élevé d’être obèse [24].
17La précarité, les difficultés économiques et l’insécurité financière sont également les principaux déterminants des renoncements aux soins pour raisons financières. La probabilité d’avoir renoncé à des soins pour raisons financières au cours de l’année des 4 % de la population présentant les plus hauts niveaux de précarité atteint plus de 60 %, alors qu’elle est en moyenne de 16 %. Ces renoncements aux soins concernent non seulement les soins dentaires et d’optique mais également les séances de généralistes et de spécialistes, et il a été montré qu’ils étaient associés à une dégradation ultérieure de l’état de santé [25].
18Pour les personnes ne pouvant pas bénéficier de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), qui ne concerne que les personnes disposant de moins de 661 euros par mois sur les douze derniers mois, ces renoncements s’expliquent en partie par l’absence de couverture complémentaire ou par le fait de bénéficier d’une couverture de moindre qualité, laissant donc aux patients des restes à charge importants. Or, il est fort probable que le taux de non-couverture ou de faible couverture augmente pendant les périodes de récession, ce qui pourrait expliquer que la consommation de soins soit globalement plus faible durant ces périodes. En effet, les personnes se retrouvant au chômage risquent, par là même, de perdre leur couverture complémentaire si celle-ci était fournie par leur employeur, et les personnes en recherche d’emploi risquent de ne pas se couvrir dans l’attente d’une couverture fournie par leur futur employeur. En outre, pour les personnes non couvertes par leur employeur ou par la CMU-C, il a été montré que le niveau de revenu était le déterminant essentiel, bien avant les besoins de soins, de la décision d’achat d’un contrat de complémentaire et du montant des dépenses de complémentaire santé et donc de sa qualité. Cela se comprend aisément, compte tenu du coût des contrats de complémentaire. Parmi les ménages couverts, les plus modestes consacrent 8,5 % de leur revenu disponible à l’acquisition d’un contrat de couverture complémentaire lorsqu’ils sont couverts par un contrat individuel et 10,7 % lorsqu’ils sont couverts par le biais de leur employeur, contre seulement respectivement 2,3 et 3,3 % pour les plus riches. On estime ainsi que l’assurance complémentaire est inaccessible financièrement à 18,5 % de la population française, et à 10,3 % de la population non couverte par la CMU-C, dans la mesure où l’achat d’un contrat de complémentaire santé les conduirait à tomber en dessous du seuil de pauvreté [26].
19Les effets à attendre sur la santé d’une récession ne sont enfin pas les mêmes pour tous [27]. Si l’augmentation du taux de chômage est associée à une amélioration de la santé générale, elle s’accompagne d’une détérioration de la santé des plus défavorisés et d’une augmentation de leur risque de mortalité. Enfin, les comparaisons internationales montrent que les fluctuations conjoncturelles de la mortalité sont plus importantes dans les pays où les dépenses publiques sont faibles et au contraire réduites dans les pays où ces dépenses sont élevées.
20Contrairement à l’idée reçue, la littérature récente montre ainsi que la mortalité et les problèmes de santé auraient tendance à se réduire durant les récessions, en raison d’une amélioration de la santé au travail et des comportements bénéfiques à la santé. Ces effets bénéfiques ne sont bien sûr à attendre que si la récession reste temporaire et ne conduit pas à une dégradation des revenus à long terme. Il convient en outre de préserver l’accès de tous à des soins de qualité et de mettre en place des politiques protectrices pour les plus défavorisés afin d’éviter une aggravation des inégalités sociales de santé, qui sont déjà très élevées en France. Une attention particulière devrait notamment être portée à la situation assurantielle et à la limitation des restes à charge des plus modestes afin d’éviter une aggravation de leurs renoncements aux soins et, à terme, de leurs problèmes de santé.
Notes
-
[1]
S.H. Preston, « The changing relation between mortality and level of economic development », Population Studies, 29 (2), 231-248, 1975.
-
[2]
N. Blanpain, «L’espérance de vie s’accroît, les inégalités sociales face à la mort demeurent », Insee Première, 1372, 2011.
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[3]
F. Jusot, « The shape of the relationship between mortality and income in France », Annales d’économie et de statistique, numéro spécial « Health-Insurance-Equity », 83-84, 89-122, 2006.
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[4]
M.H. Brenner, « Mortality and the national economy: a review, and the experience of England and Wales 1936-1976 », Lancet, II, 568-573, 1979.
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H.S.E Gravelle, G. Hutchinson, J. Stern, « Mortality and unemployment: a critique of Brenner’s time series analysis », The Lancet, 318, 8248, 675-679, 1981.
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[7]
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[8]
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[13]
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[16]
C.J. Ruhm, « Are recessions good for your health? », art. cité.
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[17]
Ibid. ; C.J. Ruhm, « Healthy living in hard times », art. cité.
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[18]
Voir par exemple : B. Apouey, A.E. Clark, « Winning big but feeling no better? The effect of lottery prizes on physical and mental health », IZA DP No. 4730, 2010 ; C. Scodellaro, M. Khlat, F. Jusot, « Intergenerational transfers and health: Evidence from the national Generation and Gender Survey, France 2005 », Social Science and Medicine, 75, 7, 1296-1302, 2012.
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[19]
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[20]
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[21]
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[22]
E. Cambois, F. Jusot, « Contribution of lifelong adverse experiences to social health inequalities: findings from a population survey in France », European Journal of Public Health, 21, 5, 667-673, 2011.
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[23]
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[24]
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[25]
P. Dourgnon, F. Jusot, R. Fantin, « Payer nuit gravement à la santé : une étude de l’impact du renoncement financier aux soins sur l’état de santé », Économie publique, à paraître.
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[26]
F. Jusot, C. Perraudin, J. Wittwer, « L’accessibilité financière à la complémentaire santé en France : les résultats de l’enquête budget de famille 2006 », Économie et Statistique, n° 450, à paraître, 2012.
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[27]
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