L’attraction qu’exerce sur Hannah Arendt la spontanéité des mouvements révolutionnaires a été peu commentée par les philosophes. Les relations complexes, intellectuelles et personnelles, qu’elle entretient avec Heidegger sont en général l’objet de leurs dissertations. Pourtant, l’émotion dont elle a fait preuve dans son approche de la révolution hongroise de 1956 est indiscutable. Et ce ne fut pas le seul moment où elle a adopté ce style contrairement à ce que nous dit à demi-mot Pierre Bouretz dans sa préface à l’édition française des Origines du totalitarisme :
Voici l’un des rares textes lyriques qu’on lira sous sa plume, peut-être le seul…
En fait, Hannah Arendt a continué sur sa lancée. Dans son livre De la révolution, son ardeur n’a pas baissé lorsqu’elle fait le panégyrique de l’État américain à ses débuts ou quand elle esquisse la longue durée du moment révolutionnaire. Elle se défend pourtant de tout sentimentalisme. Elle stigmatise la compassion que les Montagnards français, après Rousseau, ont théorisée, mais elle s’emballe littéralement à propos de la résurgence sporadique des Conseils, Soviets, Räte. Elle s’autorise même des comparaisons historiques presque incongrues, dans tous les cas inédites, tant son adhésion au spontanéisme hérité de Rosa Luxemburg est puissante.
Enfin, dans son ouvrage intitulé Du mensonge à la violence, composé par des textes écrits après 1968, elle engage une réflexion sur « les événements et les discussions de ces toutes dernières années »…