Les réflexions de Lévi-Strauss sur l’histoire font, sans aucun doute, partie intégrante de la pensée de l’auteur et ont toujours été l’une des cibles préférentielles des critiques, innombrables et persistantes, faites à cette pensée. Ces critiques ont tendu, en général, à produire et à propager une version particulièrement peu conforme à ce que Lévi-Strauss avait effectivement à dire à propos de l’histoire. En vérité, je crois même que tout s’est passé comme dans l’un des essais de Stephen Jay Gould sur l’histoire de la biologie, dans lequel l’auteur suit la piste d’une analogie récurrente employée pour décrire un de ces petits ancêtres du cheval contemporain. Effectivement, Gould fut intrigué par le fait qu’un grand nombre d’auteurs, en Europe, en Amérique, en Asie et un peu partout, ont soutenu que ce cheval préhistorique avait approximativement la taille d’un fox-terrier. Il finit par découvrir que cette apparente invention — une image tout compte fait loin d’être évidente — occultait le fait que toutes les formulations faites par ces auteurs trouvaient leur origine dans un unique texte, transmis d’ouvrage en ouvrage, de génération en génération, cité en seconde, troisième ou quatrième main, sans que personne jamais n’ait ressenti le besoin de recourir à l’original — ni au texte original ni à l’animal qui était à l’origine de cette analogie.
L’objectif de ce texte n’est pas, cependant, de mener une enquête de limier à la façon de Gould. Il s’agit plutôt d’explorer quelques aspects de la pensée de Lévi-Strauss sur l’histoire et, partant d’une critique des lectures réductrices de son œuvre, de démontrer deux choses…