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Article de revue

Pédagogie et sciences de l’éducation : pas facile !

Pages 11 à 27

11967. Lancé par l’Institut Pédagogique National, le premier numéro, paru en octobre 1967, de la Revue Française de Pédagogie, sort l’année même de l’institutionnalisation des cursus universitaires de Sciences de l’éducation. Pédagogie… Sciences de l’éducation… Comment s’y reconnaître ? Le tout premier article de la revue, sous la plume de Jean Château, qui se présente comme « Professeur de pédagogie à la Faculté des Lettres de Bordeaux », se veut fort explicite sur la question ; sous le titre « Pour une éducation scientifique », voici ce qu’il déclare : « Toujours nous nous heurtons au manque de critères solides. La seule pédagogie reste ici impuissante, car elle ne connaît point le matériau sur lequel elle travaille, ni les instruments dont elle use. La recherche manque donc de base sûre… Il nous faut donc nous tourner vers la psychologie… elle seule peut fournir les bases d’une pédagogie valable… Sans suffisante psychologie, je ne peux qu’errer au hasard… Psychologie d’abord, pédagogie ensuite, telle est donc la règle logique » (1967, p. 10). Autrement dit, la pédagogie doit désormais devenir une application de la psychologie scientifique des sciences de l’éducation. Il est grand temps que son évidente insuffisance soit comblée par la « suffisante psychologie ».

2Or qui est Jean Château ? En 1962, professeur de psychologie à Bordeaux, il propose la création d’une « licence de pédagogie » dans le cadre de la faculté des Lettres (4 certificats : histoire, psychologie, philosophie et pédagogie, pédagogie psychophysiologique et clinique). Cette licence serait créée pour les professeurs d’école normale chargés de la formation des instituteurs. Il hésite entre licence de sciences de l’éducation, licence de psychopédagogie et licence de pédagogie. En 1963, Maurice Debesse, professeur de psychologie à La Sorbonne, remanie le projet et propose 4 certificats (philosophie, histoire, psychologie, méthodologie). Il veut aussi ouvrir la licence aux inspecteurs et à la direction des établissements de rééducation.

3En 1966, la Réforme Fouchet est favorable à la diversification des disciplines universitaires. On ne parle plus seulement d’une licence, mais aussi d’une maîtrise devant la « nécessité d’une base à la recherche pédagogique française, actuellement très mal encadrée ». Il s’agit de donner un nom et un contenu à une discipline universitaire nouvelle centrée sur la pédagogie. En octobre, Maurice Debesse élabore un texte de synthèse fondateur intitulé « Projet de création d’une licence et d’une maîtrise de sciences de l’éducation », qui servira de référence à la discussion avec le Ministère. Pour éviter un double emploi avec la licence de psychologie, on écarte le terme de psychopédagogie. Et de nouveaux champs apparaissent : la sociologie de l’éducation, la législation de l’éducation, l’éducation comparée. Et c’est ainsi qu’en 1967 sont créées une licence et une maîtrise de sciences de l’éducation à Bordeaux (Jean Château, 1908-1990), Caen (Gaston Mialaret, 1918-2016) et Paris (Maurice Debesse, 1903-1998). Les sciences de l’éducation ont alors rompu définitivement les liens avec l’enseignement universitaire traditionnel de pédagogie générale et son public. Mais la question de la pédagogie reste plus que jamais présente si l’on se réfère aux objectifs de cette formation : former à la recherche en éducation sur une base interdisciplinaire ; donner une formation pédagogique approfondie aux enseignants à tous les niveaux ; répondre aux besoins qui s’expriment dans tous les domaines de l’éducation ; s’inscrire dans une perspective internationale (par l’intermédiaire de l’éducation comparée). Bref, comme nous avons déjà eu l’occasion de le montrer dans diverses publications (Houssaye, 1997, 2010, 2007 par exemple), l’imbrication pédagogie – sciences de l’éducation est fondamentale et il n’est pas facile de s’y retrouver…

De la pédagogie aux sciences de l’éducation : au fil du temps

4Essayons d’abord de démêler les fils de cette imbrication au fil des siècles. Dans l’Antiquité et au Moyen Âge, on voit bien que les questions éducatives se posent dans le seul cadre de la philosophie et de la théologie (Marrou, 1948). Elles n’ont pas d’autonomie propre et, si elles sont importantes, elles ne sont pas prévalentes. Ce qui ne signifie pas qu’elles soient inintéressantes, loin de là. On s’en persuadera aisément en prenant connaissance de ce qu’ont écrit les auteurs majeurs de ces périodes. (Riché, 1979) Mais il est clair que, pendant très longtemps, la pédagogie était incluse directement dans la philosophie et qu’elle se présentait en quelque sorte comme un élément indistinct de la philosophie et de la théologie. A la Renaissance, les choses vont changer : il devient possible d’autonomiser la question de l’éducation et de son champ de réflexions et de pratiques. En prônant la libre découverte et l’appropriation du patrimoine commun humaniste immanent à l’œuvre écrite de l’Antiquité gréco-latine, la Renaissance est parvenue à manifester un engouement sans bornes pour les problèmes d’éducation. Ce qui se marquera, d’une part, par l’abondance, la richesse et la variété de la production pédagogique, d’autre part, par la création accélérée d’établissements d’enseignement de différents niveaux et types dans la plupart des pays. La pédagogie se constitue comme théorie systématique et spécifique du fonctionnement et des fondements de l’éducation. Les mots mêmes d’éducation et d’institution vont apparaître, à cette époque, de façon équivalente. Ne disons pas pour autant que la pédagogie ou l’éducation naissent avec la Renaissance. Posons plus simplement qu’elles se constituent de plus en plus en secteur reconnu et indépendant dans l’ensemble des savoirs. La pulsion éducative repose alors chez tous, optimistes ou pessimistes, sur la proclamation de la possibilité et de la valeur de la formation de l’homme.

5La modernité va considérablement amplifier ce mouvement. Rousseau, avec son utopie naturiste (1762), les Encyclopédistes, avec leur souci éclairé de partage des connaissances, et bien d’autres ont inspiré les révolutionnaires et les réformateurs qui voudront substituer à la pédagogie humaniste des siècles précédents une éducation élargie, capable de préparer l’homme à ses fonctions sociales. D’où cette émergence de l’idée fondamentale de la responsabilité de l’Etat en matière d’éducation, qui débouchera sur l’institution de l’éducation nationale. Une alliance va pouvoir se nouer entre l’éducation, le progrès et l’institution.

6Mais, auparavant, il faudra que le progrès et l’éducation deviennent équivalents. C’est bien le xviiie siècle qui va réaliser cette jonction (Texier, 1985). Et c’est la philosophie qui, une fois de plus, va instaurer cette évolution. Désormais éducation et progrès vont de pair, témoignant du souci de concevoir l’humanité de la raison et la raison de l’humanité, nouant dans le même mouvement l’individuel et l’historique. Ni linéaire, ni nécessaire, le progrès oriente désormais le sens de l’humanité et de l’éducation, le sens de la nécessaire éducation de l’humanité. Si tout ceci devient possible et pensable, c’est que s’installe au cœur des idées éducatives du xviiie siècle, une idée principielle : la perfectibilité (on parlerait aujourd’hui d’éducabilité). À l’instar de la tolérance, de la liberté de pensée et de l’anti-esclavagisme, la perfectibilité va faire partie de l’arsenal des philosophes et des pédagogues. Elle se présente à la fois comme l’attribut positif de la nature humaine et comme le signe de son insuffisance.

7Instruction universelle, humanisme intégral, liberté promise, égalité requise… le xviiie siècle ne sera pas à cours d’ouvertures et de grandeurs. En éducation, il se présente comme un tournant capital, dans la mesure où les idées dominantes qu’il génère, défend et promeut (pédagogie, pouvoir de l’éducation, progrès, primauté des sens, perfectibilité) ont permis de construire l’essence même de la modernité. La combinaison des philosophes et des pédagogues va autoriser cette construction au xviiie siècle, un peu comme un combat et une promesse. Ce combat sera gagné. Alors, au xixe siècle, la modernité pourra quitter le statut d’élaboration pour s’installer dans un épanouissement remarquable. La promesse se transformera en évidence (Gauthier, Tardif, 1996).

8Le xixe siècle est un siècle pédagogique majeur. Le xviiie a beaucoup pensé, le xixe a beaucoup réalisé. La domination des philosophes et des religieux est moins forte, celle des politiques et des pédagogues est plus visible. Fille de la religion et de la philosophie, la pédagogie se retrouve dans sa majorité fille de l’État et de la science. Après avoir parlé d’éducation rationnelle au début du siècle, le terme pédagogie va s’imposer sur la scène éducative et en arriver à signifier une éducation fondée sur les lois de la raison, sur la science psychologique (au sens large du terme psychologie). La pédagogie se mue en science pédagogique, en science de l’éducation. Pour parvenir enfin à être véritablement, justement et efficacement maîtres des enfants, les instituteurs plus particulièrement vont devoir devenir des professionnels de l’éducation grâce au savoir pédagogique (et aux valeurs républicaines).

9Logiquement, dirait Jean Château, la pédagogie passe sous la coupe de la psychologie. Car cette dernière, en nous révélant les lois de la nature humaine, nous fournit du même coup les moyens à employer pour agir correctement, scientifiquement et moralement. Quittant le monde des tâtonnements empiriques, des procédés dogmatiques et des superstitions religieuses, les nouvelles pratiques éducatives sont censées devenir rationnelles, vérifiées, réglées par la science. Tant et si bien que la psychologie et la pédagogie sont intimement liées : théorie de la pratique pédagogique, la psychologie est inséparable de la pédagogie qui, elle, est application des lois psychologiques. Et ce n’est sans doute pas pour rien que ces deux « sciences » sont institutionnalisées en France pratiquement au même moment : en 1887, Marion assure à la Sorbonne un « Cours magistral sur la science de l’éducation » ; en 1889, est fondé à l’Ecole des hautes études de Paris le « Laboratoire de psychologie ». Validée par la psychologie, la pédagogie sert de caution à la psychologie en tant que terrain privilégié d’observations, loin des abstractions métaphysiques, des spéculations philosophiques et d’une scolastique vide. Durkheim, père de la sociologie, essayera bien d’arracher la pédagogie à la psychologie spiritualiste, mais il réclamera lui-aussi une psychologie plus scientifique aux côtés de la sociologie pour fonder la pédagogie (Durkheim, 1985). Il faudra, plus tard, aux débuts du xxe siècle, que la pédagogie expérimentale et l’Éducation nouvelle se déploient pour que la pédagogie revendique un statut autonome par rapport aux autres disciplines et aux sciences devenues humaines.

10Les gouvernements de l’Europe du xixe siècle, s’appuyant sur les transformations économiques et politiques, vont ainsi donner forme aux idées du xviiie siècle. Tant et si bien que l’éducation est devenue une affaire d’État. En faisant un projet de gouvernement, l’État élabore, organise, encadre des programmes scolaires. Sur quelles bases ? Celles de l’efficacité. Comment l’atteindre ? En fondant l’éducation sur des critères stables et définitifs. Où les trouver ? Dans les principes scientifiques et universels tirés de la nature humaine. L’éducation répond désormais au critère du vrai, puisqu’elle découle d’un ordre immuable, la Nature, que les pédagogues peuvent scruter et restituer. Un système scolaire solide, fondé sur une pédagogie liée à la science, favorisera, nous dit-on, l’éclosion de lendemains meilleurs que font naître les multiples découvertes du siècle.

La pédagogie dans les sciences de l’éducation : la disparition ?

11Désormais les sciences humaines font la loi. Elles vont prendre, avec une extrême vigueur, la relève d’une philosophie qui assurait jusque-là une fonction globalisante et coordinatrice du savoir. Psychologie, psychanalyse, sociologie, ethnologie, économie, linguistique s’installent au cœur de la compréhension et de l’action, s’instaurant en quelque sorte au cœur des questions pédagogiques, expertes à signifier le sens et à régir l’action. Se posant comme émancipatrices, ces sciences nouvelles ne se contentent pas de donner à connaître les choses humaines, elles mobilisent et offrent motifs et moyens d’action. La fin du xixe siècle avait donné le coup d’envoi ; le début du xxe siècle va accélérer le processus et l’installer définitivement. Seulement, plus les sciences humaines se déploient, plus elles se mettent à se soupçonner entre elles, chacune revendiquant finalement contre les autres sa légitimité. Il n’y a plus l’homme, il n’y a plus que des sciences humaines. Il n’y a plus l’éducation, il n’y a plus que des sciences de l’éducation (Hameline, 1986).

12Dès lors, on comprend bien que la conclusion s’impose : la pédagogie devient une discipline sous influence. Ce qui est dire à la fois qu’elle ne peut revendiquer qu’un statut subalterne et qu’elle ne peut prétendre développer un corps de connaissances et de pratiques constitutive d’une véritable spécificité intellectuelle. Les sciences de l’éducation, elles, s’inscrivent en droite ligne dans la logique de la science de l’éducation que l’on a vu émerger progressivement au fil des siècles. Cette science de l’éducation en projet va rapidement éclater sous plusieurs influences. Le modèle expérimentaliste qui s’impose exige la suspension de la croyance et substitue la science indéfiniment parcellaire des faits d’éducation à établir à la science pédagogique unitaire des ensembles pensés (que la philosophie représentait bon gré mal gré). La pratique et les praticiens vont être récusés comme pouvant ouvrir le chemin de la science ; la théorie pédagogique va quitter le monde des pratiques éducatives. Les aspects normatifs de la pédagogie vont être renvoyés hors de la science ; l’ordre des fins est désormais discrédité ; la philosophie de l’éducation est cependant intégrée dans les sciences de l’éducation, comme une subsistance historique qui se veut un complément à la démarche scientifique à laquelle elle ne peut prétendre. La démultiplication des sciences humaines va aller de pair avec la volonté de chacune d’inscrire l’éducation dans leur champ propre. La pédagogie, conçue comme cette discipline nécessaire pour articuler ce qui se dit et ce qui se fait dans le champ de l’éducation, disparaît au profit d’un modèle déductif qui prétend réduire le faire au dire, le savoir-faire au savoir scientifique. De la rigueur de la science doit découler épistémologiquement la rigueur du savoir de l’action et, par-là, directement la rigueur de l’action. L’action doit devenir sûre, assurée, pleine d’assurance, car la science fait la loi (cf. ce qu’écrivait Jean Château).

13Ce passage de la pédagogie aux sciences de l’éducation a certes pris du temps. Le vocabulaire a louvoyé avant de se fixer, puisqu’on a employé successivement les mots suivants entre 1890 et 1970 (sans parler de l’éphémère pédologie) :

  • pédagogie scientifique (Binet, Bouchet, Bovet, Claparède, Fabre),
  • pédagogie expérimentale (Binet, Claparède, Dottrens, Simon),
  • la science pédagogique (Claparède),
  • la science de l’éducation (Bain, Buyse, Compayré, Marion, Lapie, de la Vaissière),
  • les sciences de l’éducation (Debesse, Malche, Mialaret… et tous les autres).

14En fait, le mouvement d’ensemble est très consensuel : il s’agit de récuser la « vieille pédagogie » pour assurer l’assomption de la « vraie pédagogie » par la science. Il est d’usage, sur ce sujet, de se référer à Bain qui publie, en 1894, La science de l’éducation. Or que se propose Bain ? De considérer « l’art d’enseigner d’un point de vue scientifique » (p. VII), soit de déduire les méthodes d’enseignement de chaque discipline, d’une part d’un ordre psychologique obtenu par l’étude rigoureuse des facultés de l’intelligence, d’autre part d’un ordre logique inhérent aux contenus eux-mêmes. On voit donc que la pédagogie, délivrée des définitions philosophiques trop vagues et trop générales, devient la science de l’éducation si elle s’appuie sur la science psychologique. La pratique pédagogique, car pratique il y a, trouve sa raison d’être et sa vérité en dehors d’elle. C’est ainsi que la pédagogie va progresser : en s’ordonnant à la science et même aux sciences ; le savoir va venir d’ailleurs : le « comment faire » ne trouve plus sa vérité et sa rigueur dans le faire, mais dans des savoirs externes qui, tous, vont se dire scientifiques. Après les philosophes (mais en fait en leur sein si l’on se souvient de la naissance de la psychologie par exemple), les scientifiques ont donc tenté de (et réussi à) refuser la spécificité de la pédagogie, et ce par assomption scientifique.

15Ce mouvement de dilution-assomption-domination de la pédagogie qui caractérise la naissance des sciences de l’éducation va se renouveler à partir des années 1990 à travers l’émergence des didactiques. Après tout, la didactique a bien raison de tenir à se distancer de la pédagogie, ne serait-ce que parce que cette dernière a toujours servi de répulsif quand il s’est agi de « faire science » : à l’émergence de la science de l’éducation dans les années 1880, à l’instauration des sciences de l’éducation dans les années 1960, à la poussée de la didactique dans les années 1990.

16En même temps, le terme pédagogie n’a jamais disparu. Historiquement évidemment il est prévalent car il désigne tout ce qui tourne autour de l’éducation. Historiquement aussi, comme nous l’avons vu, ce qui est évident c’est la volonté de scientificiser la pédagogie, quitte à la remplacer. Déjà Coménius, dès 1649 dans La grande didactique, tentait de constituer la pédagogie comme science autonome (« Didactique signifie : art d’enseigner », écrit-il). Et la didactique là-dedans ? Elle est là dès le départ, sous le nom de « pédagogies spéciales » (des mathématiques, du français, etc.). De même qu’on se doit d’exiger des sciences de l’éducation d’assumer leur histoire… pédagogique, on se doit d’exiger des didactiques d’assumer leur histoire… pédagogique. Quitte à leur permettre de faire un procès à certains pédagogues comme Freinet (1927), qui ne trouvaient rien de mieux que de traiter de didactisme la mauvaise pratique pédagogique, ou comme Cousinet (1945), qui traite de didactique l’enseignement magistral !

17Il reste que, dans les années 1980, au sein des sciences de l’éducation, les didactiques apparaissent comme de « nouvelles disciplines » (De Corte, 1979). Il n’est plus question de pédagogie. Oui, mais comment montrer que la nouveauté est réelle ? Par un double processus. En premier lieu, vous vous délimitez un secteur spécifique, en repoussant comme pédagogie ce qui ne l’est pas. A la didactique les contenus, à la pédagogie les relations. Ou bien : à la didactique la mise en pensée, à la pédagogie la mise en acte. Inutile d’ajouter que ces distinctions n’ont aucun sens au regard de l’histoire de la pédagogie. En second lieu, vous substituez « naturellement » les termes habituels de la pédagogie par des termes didactiques. Et vous parlez alors de relation didactique, de communication didactique, de procédés didactiques, de dispositifs didactiques, de matériels didactiques, etc.

18Bref le débat, ou plutôt la querelle, entre pédagogie et didactique relève d’un jeu de dupes. Mais qui est loin d’être innocent, car il s’inscrit dans un enjeu institutionnel capital : qui est habilité à former les futurs professionnels, en particulier les enseignants ? Et on peut considérer que les didacticiens sont parvenus à s’imposer dans le domaine (on ne parle plus de pédagogues d’histoire-géographie par exemple) ; ils sont même parvenus dans bien des cas à se substituer aux psycho-pédagogues en tant que spécialistes de ce que l’on appelait la pédagogie générale. Bien entendu, il est indéniable que les didactiques ont produit et produisent des savoirs importants et nouveaux en éducation. Tout comme les différentes sciences de l’éducation. Là n’est pas la question. Ce qu’il s’agit de relever, ce sont les ambiguïtés du rapport conceptuel et historique entre pédagogie et didactique. Quoi qu’il en soit, ce que l’on peut aussi remarquer, c’est que, dans les débats actuels, les adversaires de la pédagogie s’ingénient, eux, à amalgamer les pédagogues, les didacticiens et les spécialistes des sciences de l’éducation, au grand dam des uns et des autres, le tout en les traitant, tant les uns que les autres, de pédagogues.

19De facto, la didactique relève de manière nouvelle le flambeau de la révolution scientifique (s’estimant continuatrice de la pédagogie expérimentale), en prétendant combiner le savoir disciplinaire et le savoir sur le savoir-faire. On retrouve bien ici la logique scientifique qui a présidé à l’émergence et à la reconnaissance des sciences de l’éducation. Tout se passe comme si les savoirs « pour » la pratique se voulaient une traduction des savoirs « sur » la pratique, tout en écartant les savoirs « de » la pratique. On assiste ainsi à une substitution de la pédagogie par la didactique, au nom d’une approche plus scientifique. Approche qui va se justifier par de « nouveaux concepts ». Or, en dehors du fait que la didactique tend à recouvrir les termes habituels de la pédagogie, de nouveaux concepts apparaissent continuellement dans un champ sans pour autant que l’on parle de nouvelle science. Les notions de projet, de contrat, de conflit socio-cognitif, de différenciation, d’objectifs ont beau avoir envahi assez récemment la pédagogie, on ne parlera pas pour autant de nouvelle science à son sujet. Et il en est de même, pour la didactique, pour transposition, représentation, objectif-obstacle par exemple. Il faut d’ailleurs souligner que les concepts privilégiés par la didactique ont été empruntés à d’autres champs. La transposition didactique vient de la sociologie ; le contrat et la médiation viennent de la philosophie et de la psychologie ; la situation-problème de la psychologie cognitive ; la représentation de la psychologie sociale ; la dévolution du droit, etc. Les concepts didactiques ne sont donc nullement spécifiques. Leur éventuelle « supériorité scientifique » est sujette à caution. La question n’est pas là : il s’agit en tout état de cause du processus habituel de dilution-assomption-domination de la pédagogie.

20Ce processus va même trouver une déclinaison plus récente dans les années 2010, celle de la « révolution » des neurosciences. Dans le sillage de la défunte psychopédagogie, la neuropédagogie prétend désormais régenter scientifiquement la pédagogie (Dehaene, 2018). La connaissance fine et objective par les neurosciences des mécanismes de notre cerveau nous permettrait, enfin, de définir les bons outils pour enseigner et apprendre. L’efficacité serait garantie. Certes la plupart des neuroscientifiques restent prudents en la matière et ne prétendent pas fonder cette neuropédagogie. Mais certains, et même des responsables politiques de l’éducation (sinon certains formateurs), franchissent aisément le pas. Ils n’hésitent pas à déduire des connaissances fournies par l’imagerie cérébrale (qui semblent rendre enfin accessibles notre activité mentale) des prescriptions pédagogiques précises. Quitte à combiner les découvertes scientifiques récentes et le retour préconisé aux « bonnes vieilles méthodes ». Le débat sur la condamnation de la méthode globale en lecture est caricatural comme illustration. Il va de soi que la pédagogie se doit de prendre en compte les « découvertes » des neurosciences, tout en replaçant bien des éléments dans l’histoire de la pédagogie. Mais, si l’ensemble des connaissances du développement de l’enfant, qu’elles viennent des neurosciences ou des autres approches scientifiques, permettent de mieux saisir les conditions d’apprentissage, elles ne nous éclairent pas, par exemple, sur les causes de l’apprentissage, soit sur ce qui fait qu’un apprenant a plus ou moins envie d’apprendre. Prétendre arriver à « une science de l’enseignement », c’est retomber, une fois de plus, dans la « suffisante psychologie » que Jean Château prônait en 1967 pour, déjà, combler l’insuffisante pédagogie.

Pourquoi la pédagogie ne disparait-elle pas ?

21Parce qu’il y a bien des savoirs pédagogiques et parce que précisément leur statut épistémologique est spécifique. Un savoir pédagogique naît à l’articulation de la théorie et de la pratique éducatives par l’acteur lui-même dans sa pratique éducative. Et, à ce titre, la tradition pédagogique s’est construite au cours des siècles, en lien avec et à côté des savoirs philosophiques, théologiques puis scientifiques de l’éducation. La pédagogie n’est pas aveugle, mais elle articule dans le même mouvement actions, conceptions scientifiques de référence et convictions. La maïeutique de Socrate n’est pas du même ordre que le livre 7 de La République de Platon. Les Lettres de Stans de Pestalozzi (1799) ne sont pas du même ordre que Emile, ou De l’éducation de Rousseau (1762). L’imprimerie à l’école de Freinet (1927) n’est pas du même ordre que Le langage et la pensée chez l’enfant de Piaget (1923). Qui c’est l’Conseil ? de Oury (1979) n’est pas du même ordre que La reproduction : Eléments d’une théorie du système d’enseignement de Bourdieu et Passeron (1970). Les deux types de savoirs sont respectables, mais ils ne sont pas identiques et ils n’ont pas la même origine ni la même fonction. D’où l’impossibilité épistémologique de réduire les uns aux autres, que ce soit dans un sens ou dans un autre.

22Si la pédagogie est l’enveloppement mutuel et dialectique de la théorie et de la pratique éducatives par la même personne, sur la même personne, le pédagogue est avant tout un praticien-théoricien de l’action éducative. Le pédagogue est celui qui cherche à conjoindre la théorie et la pratique à partir de sa propre action. C’est dans cette production spécifique du rapport théorie-pratique en éducation que s’origine, se crée, s’invente et se renouvelle la pédagogie. Par définition, le pédagogue ne peut être ni un pur et simple praticien, ni un pur et simple théoricien. Il est entre les deux, il est cet entre-deux. Le lien doit être à la fois permanent et irréductible. Car le fossé entre la théorie et la pratique ne peut que subsister. C’est cette béance qui permet la production pédagogique. En conséquence, le praticien en lui-même n’est pas un pédagogue, il est le plus souvent un utilisateur plus ou moins conscient d’éléments, de cohérences ou de systèmes pédagogiques. Mais le théoricien de l’éducation comme tel n’est pas non plus un pédagogue, car penser l’acte pédagogique ne suffit pas. Seul sera considéré comme pédagogue celui qui fera surgir un « plus » dans et par l’articulation théorie-pratique en éducation. Tel est le chaudron de la fabrication pédagogique (Houssaye, 1996).

23Prenons quelques exemples parmi les auteurs bien connus. Le premier sera Rousseau. Or Rousseau, contrairement à ce que l’on trouve affirmé un peu partout, n’est pas un pédagogue : il ne fut jamais un praticien à proprement parler ; sa pratique n’a pu, dès lors, être productrice de sa théorie. Rousseau est un théoricien-philosophe de l’éducation. Ceci ne dévalue en aucune façon son propos, il en désigne le genre tout simplement. A l’inverse, Pestalozzi (1799), Freinet (1927), Korczak (1920), Freire (1967), Oury (1979) et bien d’autres sont des pédagogues. Voici affirmée la voie spécifique et historique de la pédagogie. Entendons-nous bien : ce qui doit rester en pédagogie, c’est certes une proposition pratique, mais en même temps une théorie de la situation éducative référée à cette pratique, soit une théorie de la situation pédagogique.

24Il faut donc affirmer la spécificité du savoir pédagogique. Il y a bien une posture intellectuelle spécifique à la pédagogie (Meirieu, 1995). Celle-ci mobilise aussi bien la réflexion philosophique (les convictions) que les savoirs positifs (les conceptions) et que les savoirs empiriques (les actions). Mais elle ne se réduit pas à eux. Elle les conjugue à partir de sa propre démarche que l’on va considérer comme une modalité de la recherche. Les sciences de l’éducation sont « utiles » et « nécessaires » à la démarche pédagogique : cette dernière se doit de tenir compte des approches philosophiques de l’éducation (les convictions), tout autant que des savoirs scientifiques sur l’éducation (les conceptions). Pour autant, ni les unes ni les autres ne peuvent prétendre définir et régenter les actions pédagogiques. A l’inverse, la pédagogie peut très bien devenir un « objet » d’observation et de recherche pour la philosophie et les sciences de l’éducation, mais cet objet ne peut se dissoudre dans leurs approches. Pour quelle raison ? Parce que la pédagogie n’est pas de l’ordre de la raison pure, mais elle s’inscrit plus simplement dans l’ordre de la raison pratique. Poser la question de la pédagogie, c’est en fait poser la question de la raison pratique, de sa structure, de son sens et de ses rapports à la raison pure (donc aux sciences de l’éducation). La raison pratique concerne l’action sensée en général. L’action sensée peut-elle échapper à l’irrationalité sans pour autant se réduire au technico-scientifique ? Entre le rationnel et l’irrationnel, peut-on dégager un domaine du raisonnable ?

25Construire la raison pratique sur le modèle de la raison pure reviendrait à suggérer que l’on peut construire une science de la « praxis » (la praxis étant l’action qui vise à transformer le monde) (Ricœur, 1986). La praxis n’est pas réductible à une « poiesis » (une production, une fabrication) transparente et scientifiquement fondée, elle relève de l’imprévisibilité et de l’opacité. La pédagogie conçue comme praxis exige certes lucidité et réflexion, mais elle ne peut se concevoir comme une application d’un savoir antérieurement formé et complet (ou même d’un savoir suffisamment formé, didactique par exemple, qu’il n’y aurait qu’à adapter aux circonstances de l’action). Dans la praxis, la théorie, car production théorique il y a, loin de constituer un préalable, émerge plutôt de l’activité elle-même dans une dialectique entre élucidation et transformation du réel.

26Ce qui signifie que la praxis échappe radicalement à un savoir de type scientifique. D’abord parce que la praxis crée du nouveau, alors que la science concerne ce qui est déjà là. Ensuite parce que, dans la praxis, le sujet se fait en faisant, et il y a donc modification continue du sujet et de l’objet, alors que la science, au contraire, tente de préserver la distinction entre le sujet et l’objet. Enfin parce que la praxis relève du sens, alors que la science ne veut pas se charger du sens, elle formalise mais ne finalise pas. La pédagogie relève davantage du Bien, les sciences de l’éducation relèvent principalement du Vrai. Donc, s’il y a bien une raison pratique qui génère des théories, il n’y a pas épistémologiquement une science de la raison pratique (Castoriadis, 1975). La pédagogie est ontologiquement de l’ordre des choses contingentes et elle relève épistémologiquement du vraisemblable. Au principe de l’action sensée se trouve la prudence (cf. Aristote) et non la science. L’action sensée effectue la synthèse de quatre moments : le moment psychologique de la préférence raisonnée ; le moment dialectique de l’argumentation contre les excès contraires, qui aboutit au choix du juste milieu ; le moment axiologique de la règle morale ; le moment esthétique du flair personnel.

27Théorie-pratique, la pédagogie est à distinguer de la science de l’éducation ou des sciences de l’éducation, qui décrivent l’histoire, la structure ou le fonctionnement des faits éducatifs. Mais il faut aussi la distinguer de l’art ou de l’expérience pratique de l’éducateur. La pédagogie est une théorie qui vise moins à décrire la réalité comme telle qu’à éclairer l’action et construire des programmes d’action qui sont dans le même temps des théories de l’homme et de la société. C’est une théorie-pratique qui a pour fonction d’orienter et de réguler la pratique. Entre art et science, la pédagogie se constitue un espace intermédiaire qui a un statut particulier, spécifique et original de réflexion sur l’éducation (Houssaye, Fabre, Soëtard, Hameline, 2002).

28Ce qui justifie la posture de pensée spécifique des pédagogues. Car ces derniers ne s’y trompent pas : ce qu’ils nous donnent, c’est bien une théorie de l’éducation conçue comme une élaboration de leur propre pratique. Le cas est flagrant pour Freinet, chez qui on ne peut dissocier techniques et philosophie générale de l’homme dans l’univers. Le cas est probant chez Dewey (2004), qui ne préconisa jamais de recettes pédagogiques, mais dont la pédagogie repose sur une philosophie de l’expérience ayant pour principe la continuité et pour méthode issue de ce principe l’expérience. Le cas est exaltant chez Freire (1967), qui a toujours cherché à approfondir les conditions d’une unité dialectique entre action et réflexion, théorie et pratique, à tel point que, pour lui, il ne peut y avoir de praxis authentique en dehors de cette unité dialectique pratique-théorie, de même qu’il ne peut y avoir de contexte théorique véritable si ce n’est dans une unité dialectique avec le contexte concret.

29***

30Répétons-le : à côté de la pédagogie, les sciences de l’éducation, la philosophie de l’éducation et les didactiques produisent bel et bien des savoirs « vrais », importants et pertinents sur l’éducation. Là n’est pas le problème. Le problème commence quand elles veulent, dans le même mouvement, dire le vrai de l’action éducative, c’est-à-dire transformer le vrai sur l’action en vrai de l’action. Le problème s’amplifie quand, faisant cela, elles en arrivent à nier la spécificité du savoir pédagogique. Désolé Jean Château, mais, pour combler les manques de « l’insuffisante pédagogie », la solution n’est certes pas de se référer à « la suffisante psychologie » (comme symbole des sciences de l’éducation). Attention cependant : la question n’est pas seulement de l’ordre de l’histoire ou de l’épistémologie, elle est aussi de l’ordre de l’institution.

31Car la question centrale est peut-être celle-ci : la formation des professionnels de l’éducation en général et des enseignants en particulier ne tient pas compte de la nature même de la pédagogie. Le caractère initial de la formation pédagogique est marqué par un trait essentiel : les apprentis-professionnels ne peuvent croire ce qu’on leur dit et profiter de ce qu’on leur montre que si cela rejoint directement et s’inscrit dans ce que eux font. Seul le faire, le leur, peut faire foi et faire sens. Ne sont-ils pas là pour être mis en demeure de faire et donc pour acquérir ce savoir-faire problématique, pour élaborer leur savoir à partir de leur savoir-faire ? La formation pédagogique initiale ne peut donc pas déroger à la nature de la pédagogie, si l’on veut bien considérer, rappelons-le, que celle-ci est l’enveloppement mutuel de la théorie et de la pratique par la même personne, sur la même personne.

32Un futur professionnel ne peut constituer son savoir-faire qu’à partir de son propre faire ; ce n’est que sur cette base que le savoir, en tant qu’élaboration théorique cette fois, se constitue. On ne peut court-circuiter cette base, sauf à s’étonner ensuite que la formation ne produise pas les effets escomptés (Huberman, 1987). Les futurs enseignants sont à la recherche de « recettes », de « routines », d’outils pédagogiques qui leur permettent de se reconnaître un premier savoir-faire, un certain savoir-faire. Car les jeunes en formation, pour se professionnaliser, ont besoin d’acquérir ce qu’ils n’ont pas, à savoir « de l’expérience », entendue comme la connaissance acquise par l’épreuve personnelle que l’on fait des choses de l’éducation. La spécificité d’une formation pédagogique, qu’elle soit initiale ou continuée, n’est pas de réfléchir à ce que l’on va faire ni à ce que l’on doit faire, mais plutôt de réfléchir à ce que l’on a fait. C’est sur cette base que fonctionnent les mouvements pédagogiques, qu’il s’agisse de Jean-Baptiste de La Salle (1720) ou d’Oberlin (Chalmel, 1999) autrefois, de Freinet (1927), Oury (1979) et bien d’autres aujourd’hui. En pédagogie l’expérience est première, même pour un débutant, surtout pour un débutant. Sera donc moteur et utile tout ce qui suscite chez un apprenti-professionnel de l’expérience, soit un savoir-faire qui recouvre au moins trois éléments que l’on peut considérer comme un processus de professionnalisation : premièrement un savoir du savoir-faire (dans telle situation, pour telle notion, je m’y suis pris comme cela et ça a donné telle chose) ; deuxièmement un savoir pour le savoir-faire (telle expérience faite dans telle circonstance est peut-être transposable dans telles autres occasions) ; troisièmement un savoir à partir du savoir-faire, savoir qui renvoie à cette réflexion et cette théorisation propres à l’articulation théorie-pratique en pédagogie.

33La formation pédagogique relève ainsi d’un modèle expérientiel de formation. Ce dernier ne donne pas la priorité (au sens de premier moment du dispositif) au savoir sur la réalité à prendre en charge, mais à une confrontation avec cette même réalité (Fabre, 1994). Loin d’être chassé, le formateur a au moins une double fonction : empêcher que la réalité soit oubliée, recouverte par le factice (même savant) ; mettre le formé en contact avec une réalité, et autrement que sur le mode de l’anticipation, de la prévision ou de la projection. Ce qui signifie que, dans l’acte de formation lui-même, on a affaire à une triade immédiatement présente : formateur/formé/réalité. C’est cette dernière qui énonce les termes du problème, non le formateur. La formation pédagogique suppose donc que l’on reste dans l’ordre de la raison pratique. Il s’agit bien de tenir les deux termes, raison et pratique, et non pas réduire l’un à l’autre. Par contre, ceci signifie que la formation n’est pas d’abord de l’ordre de la raison théorique, c’est-à-dire qu’elle n’est pas d’abord du côté des savoirs élaborés par les diverses sciences (même par les sciences de l’éducation). La raison pratique concerne l’action sensée en général et la formation en particulier.

34Mais subsiste une redoutable question : le savoir expérientiel peut-il se transmettre, être partagé ? L’expérience, en pédagogie et ailleurs, a un curieux statut : elle est à la fois préalable, moyen et but de la formation. C’est ce qui fait que la formation pédagogique est d’abord action et non pas discours. En même temps, l’expérience est toujours confrontation, sinon elle fonctionne de manière autistique, non référée. D’où la question centrale en formation : avec qui dialoguer, avec qui se construire ? Le formé en pédagogie a besoin d’un autre « crédible », d’un autre qui lui permette à la fois de relier et de dissocier la théorie et la pratique. La différence, sur ce point, est sensible entre la formation initiale et la formation permanente. Pour la seconde, la pratique est déjà là et la théorie du tiers (formateur, spécialiste) peut parfois être intégrée si le formé peut s’y référer dans sa démarche de construction de ses propres savoirs pédagogiques. Pour la première, là encore, pour construire le savoir pédagogique, la pratique est première ; et pourtant, cette fois, elle n’est pas déjà là, même si rien ne pourra « servir » sans elle. Ce qui signifie que, dans chaque cas, mais tout particulièrement en formation initiale, la pratique est première.

35La formation est bien entendu une question de formés, mais aussi une question de formateurs (Altet, 1994). Au nom de quoi veut-on former ? Au nom de quoi peut-on former ? Qu’est-ce qui qualifie ou disqualifie un formateur ? En formation initiale, ce qui qualifie le formateur, c’est son expérience « crédible » pour le formé et sa capacité à « accompagner » (soit ce qu’il fait et pourquoi il le fait). En formation continue, ce qui qualifie le formateur, c’est sa capacité à faire rentrer ce qu’il dit en résonance avec l’expérience des formés. Il ne s’agit donc pas d’être spécialiste de la théorie des uns (les théoriciens) que l’on adresse à la pratique des autres (les praticiens). Il ne s’agit donc pas de substituer les sciences de l’éducation à la pédagogie (Charlot, 1995). Il s’agit de distinguer, de respecter et d’articuler les apports et les démarches des unes et de l’autre. Ne serait-ce que pour éviter de revenir au principe mis en œuvre par Deligny, ce pédagogue de l’extrême, lorsqu’il était en charge de Graine de crapule (1945) : surtout ne jamais confier l’éducation aux professionnels formés pour cela !

Bibliographie

Bibliographie

  • Altet M. La formation professionnelle des enseignants. Paris : PUF, 1994.
  • Bain A. La science de l’éducation. Paris : Alcan, 1894.
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  • Castoriadis C. L’institution imaginaire de la société. Paris : Seuil, 1975.
  • Chalmel L. Le pasteur Oberlin. Paris : PUF, 1999.
  • Charlot B. Les sciences de l’éducation : un enjeu, un défi. Paris : ESF, 1995.
  • Château J. Pour une éducation scientifique. Revue française de pédagogie, 1967, n° 1, pp. 9-16.
  • Comenius. La grande didactique. Pari : Éditions Klincksieck, 1992 (1949).
  • Cousinet R. Une méthode de travail libre par groupes. Paris : Fabert, 2011 (1945).
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  • Deligny F. Graine de crapule. Paris : Éditions du Scarabée, 1960 (1945).
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  • Freinet C. L’imprimerie à l’école. ICEM, 1927.
  • Freire P. L’éducation : pratique de la liberté. Paris : Éditions du Cerf, 1967.
  • Gauthier C. & Tardif M. (Dir.). La pédagogie. Théories et pratiques de l’Antiquité à nos jours. Montréal : Gaëtan Morin éditeur, 1996.
  • Hameline D. Courants et contre-courants dans la pédagogie contemporaine. Sion : ODIS. 1986.
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  • Houssaye J. « Révolution, professionnalisation et formation des maîtres ». Education et révolution. Colloque international francophone. Suisse : Yverdon-les-Bains, 2010.
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