Notes
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[*]
Maître de Conférences, Université de Caen Basse-Normandie, CERSE EA 965.
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[1]
Pierre Viansson-Ponté, Le Monde, 15 mars 1968.
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[2]
Berthaut F. (censeur du lycée Hélène Boucher de Paris). J’en connais les détours. Paris : Debresse, 1970, p. 209, cité par Ludivine Bantigny. Bantigny L. De la modernité dans le lycée des années 1950. In : Caspard P., Luc J.-N. & Savoie Ph. (dir.). Lycées, lycéens, lycéennes, deux siècles d’histoire. Paris : INRP, 2005, p. 274.
-
[3]
« La jeunesse n’est qu’un mot », entretien de Pierre Bourdieu avec Anne-Marie Métaillé. Les jeunes et le premier emploi. Paris : Association des âges, 1978, p. 147.
-
[4]
Bourdieu P. & Passeron J.-C. Les héritiers : les étudiants et la culture. Paris : Minuit, 1964. En 1962, l’enquête de l’INED montre que 55 % des enfants de cadres sont classés « bons élèves » à la fin du CM2 ; c’est 30 % chez les enfants d’ouvriers. Conséquence : 16 % des enfants d’ouvriers accèdent au second cycle du second degré contre 75 % des enfants de cadres.
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[5]
Khayati M. (Internationale situationniste). De la misère en milieu étudiant, considérée sous ses aspects économiques, politiques, psychologiques, sexuels et notamment intellectuels et de quelques moyens pour y remédier, AFGES, Strasbourg, 1966, p. 27.
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[6]
Cité par Philippe Labro. Ce n’est qu’un début. Paris : Éditions et publications premières, 1968, p. 4. Le rapport établissait que 72 % des jeunes n’estimaient pas nécessaire d’abaisser à moins de 21 ans le droit de vote.
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[7]
Georges Pompidou. Le nœud gordien. Paris : Plon, 1974, p. 176. L’ouvrage a été rédigé en 1969.
Introduction
140 ans après, Mai 68 n’a pas révélé tous ses secrets. Le plus important mouvement social français de la fin du xxe siècle conserve une part d’énigme. Tout d’abord, ses origines restent en débat. Certes, il s’agit bien d’une vague qui secoue alors les pays occidentaux et même certains pays communistes. L’événement s’inscrit ainsi dans une crise des pays industrialisés. Néanmoins, par son intensité et son dénouement, la crise française conserve des caractéristiques spécifiques. Ainsi, son déroulement en trois crises emboîtées – universitaire, sociale, politique – reste original. Pour la première fois dans l’histoire du pays, un vaste conflit social prend directement naissance dans le monde éducatif. Mais le déclenchement ne signifie pas la direction. Si le mouvement étudiant est bien le détonateur de la grève générale, le monde ouvrier n’a pas été « à la traîne ». D’où la pluralité des acteurs et des points de vue. La crise de Mai voit l’interaction et la coïncidence entre plusieurs crises particulières, ce qui ne facilite pas une analyse globale.
2Ensuite, la portée de l’événement paraît encore incertaine. Michel de Certeau et Edgar Morin comparaient Mai 68 à 1789. Pourtant, Mai 68 n’accouche pas d’un nouveau régime politique, ni même d’un bouleversement des structures sociales. C’est plutôt d’ « esprit » qu’il est question. Dès lors, on peut s’interroger sur le statut de cet événement. Est-il pertinent d’accentuer la singularité de Mai 68 et de l’établir comme origine de la post-modernité ? Certes, lorsqu’ils arpentaient les pavés (sous lesquels se trouvait la plage), les manifestants de Mai scandaient : « Ce n’est qu’un début… ». Mais l’analyse historique tend plutôt à replacer l’événement dans une séquence plus longue, c’est-à-dire à revenir sur les transformations des années 1950-1960. Autre question : de quels effets est-il légitime de créditer ce qui est devenu, au fil des ans, une référence contradictoire de la mémoire collective ? Là encore, l’analyse historique permet d’avancer quelques pistes sur les conséquences à court et à moyen terme.
3Afin de répondre à ces questions, la présentation se focalisera sur les relations des jeunes avec les structures éducatives. Ce thème, bien connu il est vrai, paraît d’autant plus approprié que Mai 68 débouche sur la contestation globale du système d’enseignement. De plus, au cours des années 1960, la jeunesse est érigée en problème de société et bientôt en acteur social. Dès 1962, Edgar Morin fait figure de pionnier en soulignant le phénomène social nouveau qu’est la constitution de l’adolescence en « nouvelle classe d’âge » (Morin, 1962). Il insiste ainsi sur les facteurs de rapprochement des jeunes, en particulier les consommations culturelles. Cette thématique permet d’isoler trois traits caractéristiques de Mai 68. L’événement sert de révélateur, de catalyseur et d’accélérateur à des tendances déjà en germe.
1 – L’événement comme révélateur du décalage entre la modernisation et l’ennui dans les écoles françaises
4À la veille de Mai 68, ce n’est pas seulement « la France (qui) s’ennuie » [1], ce sont aussi les élèves dans leurs classes et les étudiants dans leurs amphis. Ce n’est pas tant que le monde scolaire soit immobile. Bien au contraire, une lecture attentive montre qu’un modèle éducatif se substitue à un autre au cours des années 1960.
5Comme le remarque Antoine Prost, « l’École de Jules Ferry » est bien morte avant même l’explosion de Mai (Prost, 1997). Mais la crise de croissance du système éducatif, faute d’une mise à plat des pédagogies et des habitudes corporatives, s’accompagne d’un malaise croissant chez les élèves et les étudiants.
1.1 – La crise de croissance du système éducatif
6Les chiffres de l’explosion scolaire des années 1960 sont impressionnants. Entre 1958 et 1968, le nombre d’étudiants a triplé (+180 %) ; il avoisine les 500 000 en 1968. Durant la même période, les effectifs du second cycle du second degré ont été multipliés par environ 2,5 (+140 %). En fait, ce changement d’échelles est la conséquence des mutations introduites par les réformes structurelles précédentes, en particulier la réforme Berthoin de 1959.
7La réforme Berthoin prévoyait à l’horizon 1966-1967 le passage à la scolarité obligatoire à 16 ans. Or, l’annonce a provoqué une anticipation des familles. Dès 1967, plus de 60 % des jeunes Français poursuivent leurs études au-delà de 16 ans. Les seuils sont donc repoussés jusqu’à 16-18 ans, avec le BEPC et le CAP pour les uns, le baccalauréat et l’entrée en faculté pour les autres.
8Mais cette croissance des effectifs révèle l’inadaptation des structures et des méthodes pédagogiques (Prost, 2004). L’explosion universitaire a fait pousser des colonies étudiantes massives et anonymes (notamment à Nanterre, plus de 11 000 étudiants, et foyer de départ de la crise). Or, Antoine Prost remarque que cet ébranlement s’est fait à moyens administratifs constants. À cet égard, le problème de l’exiguïté des locaux s’avère central. Dans le secondaire, la croissance s’est déversée dans des établissements préexistants. « On imposa d’occuper à fond toutes les classes, tous les jours et à toute heure en entassant les élèves comme harengs en caque » [2]. Or, cet encombrement freine directement les aspirations à une modernisation pédagogique dans les collèges et les lycées. Les propositions exprimées dans la lignée du plan Langevin-Wallon (1947) et des « classes nouvelles » continuent dans les années suivantes à susciter des expérimentations (Bantigny, 2005). Inspirées par le courant de « l’Éducation nouvelle », elles visent à promouvoir des méthodes actives pour éviter le divorce entre le savoir livresque et les exigences socioprofessionnelles, entre l’École et la vie. Mais même des lycées pilotes comme celui de Sèvres sont progressivement contraints de renoncer aux méthodes actives et à l’autodiscipline, lorsque les effectifs par classe sont portés de 25 à 35. D’autres transforment les foyers culturels des élèves en salles de classe.
9Pourtant, cette pression sur les locaux impose quand même une nouveauté pédagogique : la mixité. Présente dans les annexes des lycées et les nouveaux CES, la coéducation des sexes est introduite davantage par nécessité que sous l’effet d’une réelle réflexion. Cette entrée des filles conduit cependant à renforcer l’identité du groupe des jeunes.
1.2 – Un système éducatif producteur d’anxiété et d’ennui chez les jeunes
10La massification et les transformations du système éducatif accentuent la cohésion du groupe des jeunes. Avec l’allongement de la scolarité, le délestage des « petits lycées » et les progrès de la mixité, les populations du secondaire et du supérieur gagnent en cohérence [3]. L’entre-soi scolaire s’allonge et engendre de nouveaux codes et rites communs. L’expérience des adolescents les coupe ainsi des adultes qui n’ont pu faire des études aussi longues. Même les enfants les plus reconnaissants s’estiment différents de leurs parents. Jean-François Sirinelli insiste ainsi sur la mue radicale et accélérée des Baby-boomers (Sirinelli, 2003). Ces adolescents sont en effet contemporains des « Trente glorieuses », de l’amélioration des modes de vie, de l’amplification de l’exode rural et de l’urbanisation, du déclin de l’institution religieuse et de l’accélération de l’évolution des mœurs.
11La croissance scolaire a également provoqué un profond renouvellement des publics. Les étudiants et les lycéens des années 1960 n’appartiennent plus majoritairement aux familles des classes dirigeantes. Ils sont le plus souvent issus des classes moyennes et populaires. Vu leur nombre et la complexification des filières, la hantise du diplôme et le souci des débouchés deviennent plus prégnants qu’autrefois. Les jeunes ne peuvent plus compter sur l’avantage d’appartenir à des classes creuses ou sur la position favorisée de leurs parents. Les études sont devenues une aventure angoissante, les redoublements le chemin de la relégation et le baccalauréat un couperet. D’où la crainte du déclassement social et plus généralement l’anxiété de ne pouvoir obtenir la promotion sociale que le diplôme était censé assurer (Chauvel, 2002).
12Ainsi, à défaut d’avoir lu Les héritiers parus en 1964 [4], les inégalités intuitivement perçues alimentent une rancœur chez les lycéens et les étudiants. Le malaise est surtout sensible dans les facultés de Sciences humaines. Dans ces filières à l’avenir incertain et vouées par définition à l’analyse sociale, se diffusent les critiques contre la culture « bourgeoise » et contre les professeurs « chiens de garde du capitalisme ». Il faut bien sûr relativiser ces remises en cause en observant qu’elles sont encore minoritaires et que le marxisme est loin d’être dominant dans les universités. Mais l’incertitude générale rend les jeunes plus réceptifs.
13Face à ces inquiétudes, les réformes mises en œuvre par le pouvoir gaulliste s’avèrent insuffisantes et maladroites. La réforme Fouchet sur les universités de 1966 ne fait qu’ajouter au trouble, en suscitant des problèmes d’équivalences entre ancien et nouveau régime des études. Elle rigidifie le système en accentuant la spécialisation des filières, ce qui désavantage les facultés généralistes qui ont accueilli les plus gros effectifs. Le pouvoir gaullien laisse également planer le doute sur une orientation imposée aux étudiants (Prost, 1997).
14Plus grave, l’État enseignant a manqué une occasion historique au cours des années 1960. Le renouvellement des corps professoraux, qui résulte de la croissance, n’a pas débouché sur une réforme de la formation professionnelle, du fait des pressions des corporatismes disciplinaires. Aux jeunes enseignants n’est donc proposée que la reproduction des pratiques pédagogiques de leurs aînés (Prost, 2004).
15Ces déséquilibres ne sont pas ignorés par les spécialistes du monde éducatif et de la recherche, ni même par les décideurs. Les colloques de l’AEERS (Association pour l’étude et l’expansion de la recherche scientifique) à Caen en 1966 et à Amiens en mars 1968 soulignent justement l’urgence de rénover les méthodes d’enseignement. Mais le mode dominant continue à être la consommation passive de savoirs par les élèves. En somme, il n’est guère étonnant que le ronron des habitudes inchangées secrète l’ennui quotidien et des appels à « vivre sans temps mort et à jouir sans entraves » [5].
2 – L’événement comme catalyseur
16Mai 68 est bien le catalyseur de tendances déjà en germe. Comme l’indique Antoine Prost, les conditions paraissent réunies pour un conflit de générations. Signe des temps, Pierre Grappin, le doyen de Nanterre et ancien résistant, est taxé de « nazi ». Le vocabulaire des pères est retourné contre eux. Mais, au-delà de la violence verbale, les manifestations de Mai 68 expriment l’exigence d’une reconnaissance de la part des jeunes.
2.1 – La demande d’autonomie des jeunes
17Dans le monde scolaire comme dans le monde ouvrier, Mai 68 n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Le mouvement étudiant et lycéen est précédé de nombreuses alertes. Celles-ci se focalisent sur deux domaines qui soulignent l’exigence d’autonomie des jeunes : la liberté sexuelle et la liberté d’expression. Ainsi, les premiers troubles universitaires éclatent à partir de 1966 à propos des visites des garçons dans les résidences universitaires des filles. Les autorités réagissent par l’interdiction. Le moralisme et le paternalisme du régime apparaissent alors plus pudibonds que les souhaits des familles. Dans le second degré, la critique des « lycées casernes » et des « lycées usines » est à l’origine des premiers Comités d’action lycéens en janvier 1968 (Morder, 2005). À la veille des manifestations de Mai, on compte une cinquantaine de CAL.
18Dans les deux cas, les revendications sont concrètes : essentiellement la demande d’une liberté d’expression et d’une reconnaissance collective. Mais ces demandes ont du mal à être relayées par les voies habituelles, du fait de la crise que traversent alors les syndicats étudiants. Depuis la fin de la guerre d’Algérie, l’UNEF et l’Union des étudiants communistes (UEC) connaissent en effet des luttes intestines et une fonte des effectifs. Cela laisse le champ libre à des petits groupes d’étudiants radicaux. La protestation contre l’intervention américaine au Vietnam contribue d’ailleurs à une flambée de politisation et de mobilisation en dehors des structures traditionnelles. On va appeler ces groupes radicaux les « enragés ». Leur composition est loin d’être homogène : on y trouve des situationnistes, des marxistes-léninistes, des maoïstes et des trotskystes. Mais ils se font remarquer en utilisant la dérision et l’irrespect pour critiquer les atteintes à l’imaginaire et à la liberté. Les vieilles structures de l’Alma Mater sont une cible toute trouvée. À partir du 22 mars 1968, les « enragés » enclenchent le mécanisme provocation-répression-solidarité-mobilisation. C’est bientôt l’extension du domaine de la lutte lorsque la Sorbonne est occupée, puis fermée par le ministre Peyrefitte. Le Quartier latin s’embrase le 10 mai.
2.2 – La part de contingence dans le déroulement
19Pour comprendre les événements de Mai, on avance souvent la métaphore de l’éruption : du fait d’un gigantesque glissement des plaques tectoniques du système éducatif, des petits séismes ont commencé à constituer des alertes. Mais le bouchon des traditions corporatives obstruait tant la cheminée volcanique que la pression s’est accumulée, déclenchant finalement une gigantesque explosion libertaire, dont les nuées ardentes ont transgressé l’autorité traditionnelle du professeur ex cathedra. Mais il faut prendre garde au déterminisme et restituer la part de contingence de l’événement. Pour la plupart de ses participants eux-mêmes, Mai 68 fut une « divine surprise ». Ainsi, il ne faut pas s’exagérer la détermination des facteurs et le caractère iconoclaste de l’ensemble de la génération du Baby-boom.
20Un exemple. En mai 1967 est publié Le livre blanc de la jeunesse, fondé sur une étude faite auprès de 280 000 garçons et filles de 15 à 24 ans. C’est ce fameux rapport qui provoqua l’échange bien connu entre l’étudiant en sociologie Cohn-Bendit et le secrétaire d’État à la Jeunesse François Missoffe lors de l’inauguration de la piscine de Nanterre. Il en ressort un portrait édifiant :
« Le jeune Français songe à se marier de bonne heure, mais a le souci de ne pas mettre d’enfants au monde avant d’avoir les moyens de les élever correctement. Aussi son objectif n° 1 est-il la réussite professionnelle. En attendant, sur ses gains modiques, il fait des économies, le jeune homme pour s’acheter une voiture, la jeune fille pour constituer son trousseau (…) » [6].
22Un tel portrait offre la photographie d’une réalité moyenne dominante, minorant les mouvements qui ont entamé le travail de sape contre ce conformisme.
23En fait, plusieurs circonstances imprévisibles ont conduit à donner au mouvement son ampleur. Citons les maladresses du doyen Pierre Grappin, l’irruption brutale de la police à la Sorbonne le 3 mai et les arrestations qui s’ensuivent, la réouverture de la Sorbonne le 13 mai (la Sorbonne devenant dès lors le centre de la « Commune étudiante » et l’une des principales tribunes avec l’Odéon), ou encore le flop des déclarations présidentielles sur la « chienlit » et sur la participation (24 mai). A contrario, d’autres circonstances ont conduit au désamorçage de la crise. Citons la relative souplesse du préfet de police Maurice Grimaud (d’une manière générale la violence fut contenue des deux côtés), la temporisation du Premier ministre Pompidou, les réserves de la CGT à l’égard de l’UNEF et l’échec de la fusion entre le mouvement ouvrier et le mouvement étudiant. Enfin le ralliement de la grande majorité des forces politiques et syndicales au principe des élections législatives de juin 1968 fut décisif pour dénouer la crise.
3 – Les conséquences de l’événement
24À l’été 68, la nette victoire électorale de la droite et le retour progressif à l’ordre dressent un bilan en demi-teinte. « Révolution trahie » pour les uns, « révolution introuvable » (R. Aron) et sans lendemain pour les autres.
25Le champ scolaire, qui reste agité par des mouvements étudiants et lycéens jusqu’en 1976, montre également des effets inégaux. La question des acteurs est ici primordiale.
3.1 – À court terme, l’accélérateur
26Le séisme de Mai 68 n’a pas permis à la dynamique étudiante d’accéder au pouvoir mais il donne raison aux réformateurs et pousse le nouveau ministre de l’Éducation nationale à intégrer certaines formules. Plutôt libéral, Edgar Faure était convaincu de la nécessité d’accéder à certaines aspirations de la base, dès lors qu’elles apparaissaient modernes et conformes à ce qu’il avait observé à l’étranger. Deux idées-forces l’animaient : l’autonomie et la participation. La seconde lui assurait la confiance du général de Gaulle. Le nouveau ministre et son équipe s’engagèrent donc dans une série de consultations, afin de proposer de nouvelles orientations et de hâter des réformes qui n’avaient que trop tardé. On peut y distinguer trois volets, même si la brièveté de l’expérience ne permit pas de les mener tous à bien.
27Le premier est la liquidation de certains symboles de distinction des filières élitistes. On peut citer le report du latin en 4e, la fin des compositions trimestrielles et des classements ou encore l’extension de la mixité. À ces mesures s’ajoutèrent spontanément les abandons dans les établissements de certaines interdictions symboliques (fumer, porter des pantalons et se maquiller pour les filles).
28Le deuxième volet consiste dans la relance de la rénovation pédagogique sous l’impulsion du directeur de la pédagogie au ministère : Henri Gauthier. La généralisation du tiers-temps pédagogique (arrêté du 7 août 1969) et la tentative d’introduction de la notation par groupes de niveau (la circulaire du 6 janvier 1969 propose une évaluation sous forme de lettres A, B, C, D, comme aux États-Unis) constituent des effets de Mai 68. Néanmoins, rappelons à nouveau qu’il s’agit davantage d’une extension d’expériences antérieures que d’une véritable naissance.
29Enfin, le troisième volet concerne la participation des acteurs locaux, y compris les jeunes, au fonctionnement de leur établissement. Le décret du 8 novembre 1968 reconnaît ainsi l’existence des délégués de classe et les foyers socio-éducatifs dans le second degré. De même, la loi Faure, votée à la quasi-unanimité en octobre 1968, entérine la représentation des étudiants et des différents corps enseignants dans les conseils universitaires. La loi remodèle également le système universitaire en regroupant les anciennes facultés dans des unités d’enseignement et de recherche (UER). Néanmoins, c’est davantage un desserrement du centralisme napoléonien qu’une véritable autonomie des universités. De plus, le contenu de l’enseignement est à peine remis en cause par la généralisation du contrôle continu. Quant aux Grandes Écoles, leur statut n’est pas modifié.
3.2 – À moyen terme, le frein
30Après cet épisode conciliateur intervient un choc en retour sous la présidence de Georges Pompidou. Le président est persuadé du risque encouru lors de la « crise de civilisation » de 68, qu’il explique par « une sorte de désespérance de la jeunesse » provoquée par un excès de liberté [7]. Cette interprétation ne milite pas en faveur de la rénovation pédagogique. Tout nouveau bouleversement de l’école apparaît en effet subversif. Dès lors, les ministres Guichard puis Fontanet adoptent une attitude plutôt immobiliste. Mai 68 a ainsi politisé les choix pédagogiques et conditionné les réformes à l’alternance politique. C’est encore le traumatisme de Mai 68 qui détermine le président Giscard d’Estaing et son ministre René Haby à verrouiller le pilotage de la réforme du collège et à freiner le mouvement d’autonomie des établissements.
Conclusion
31Dans le domaine éducatif comme dans le domaine social, la crise de Mai n’est pas un début. Ce n’est pas non plus un aboutissement car les réformes éducatives et les évolutions culturelles se poursuivent durant cette période que Pascal Ory a baptisé « L’entre-deux-mai » (1968-1981). Au final, Mai 68 a agi à partir de tendances de fond et d’événements contingents, comme un révélateur et un catalyseur, étalant dans un extraordinaire happening les problèmes d’une société en pleine mutation. Mai 68 est également fondateur, mais avant tout de nouveaux pouvoirs universitaires.
Bibliographie
Bibliographie
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- Prost A. Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation, tome 4. Paris : Perrin, 1re édition 1981, réédition 2004, (coll. : « Tempus »).
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Mots-clés éditeurs : croissance scolaire, rénovation pédagogique, histoire de l'enseignement, autonomie, mai 68
Mise en ligne 17/01/2013
https://doi.org/10.3917/lsdle.413.0013Notes
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[*]
Maître de Conférences, Université de Caen Basse-Normandie, CERSE EA 965.
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[1]
Pierre Viansson-Ponté, Le Monde, 15 mars 1968.
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[2]
Berthaut F. (censeur du lycée Hélène Boucher de Paris). J’en connais les détours. Paris : Debresse, 1970, p. 209, cité par Ludivine Bantigny. Bantigny L. De la modernité dans le lycée des années 1950. In : Caspard P., Luc J.-N. & Savoie Ph. (dir.). Lycées, lycéens, lycéennes, deux siècles d’histoire. Paris : INRP, 2005, p. 274.
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[3]
« La jeunesse n’est qu’un mot », entretien de Pierre Bourdieu avec Anne-Marie Métaillé. Les jeunes et le premier emploi. Paris : Association des âges, 1978, p. 147.
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[4]
Bourdieu P. & Passeron J.-C. Les héritiers : les étudiants et la culture. Paris : Minuit, 1964. En 1962, l’enquête de l’INED montre que 55 % des enfants de cadres sont classés « bons élèves » à la fin du CM2 ; c’est 30 % chez les enfants d’ouvriers. Conséquence : 16 % des enfants d’ouvriers accèdent au second cycle du second degré contre 75 % des enfants de cadres.
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Khayati M. (Internationale situationniste). De la misère en milieu étudiant, considérée sous ses aspects économiques, politiques, psychologiques, sexuels et notamment intellectuels et de quelques moyens pour y remédier, AFGES, Strasbourg, 1966, p. 27.
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[6]
Cité par Philippe Labro. Ce n’est qu’un début. Paris : Éditions et publications premières, 1968, p. 4. Le rapport établissait que 72 % des jeunes n’estimaient pas nécessaire d’abaisser à moins de 21 ans le droit de vote.
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[7]
Georges Pompidou. Le nœud gordien. Paris : Plon, 1974, p. 176. L’ouvrage a été rédigé en 1969.