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Article de revue

D’intruses à invitées, l’accès des femmes à la ville d’Alger et leur appropriation des espaces urbains

Pages 83 à 94

Notes

  • (1)
    Il s’avère en effet que cette « petite mosquée » ne contient pas de salle de prière pour les femmes, alors que c’est le cas de la « grande mosquée » de cette ville, dont il m’indique la direction avec son bras.
  • (2)
    Cette expression est utilisée en français.

1Appréhender l’espace public par ses figures indésirables interroge d’emblée sa qualité hospitalière et sa capacité à constituer un lien civil entre tou·te·s. Cette notion, qui mêle le registre du trouble préréflexif (inquiétude, dégoût) à celui de la hantise induite par la transgression d’une norme, conduit à interroger l’« ordre de l’interaction » (Goffman, 1974) sous l’angle de l’« institutionnalisation » spatiale (Löwe, 2015) d’un processus de marginalisation : qui détient l’autorité légitime pour définir une catégorie d’« indésirable » et le seuil de tolérance des lieux vis-à-vis de ces présences qui dérangent ? Quelles sont les « impropriétés situationnelles » (Goffman, 1974) qui perpétuent cette frontière, et comment celle-ci se traduit-elle dans « la disposition de biens sociaux et des personnes » (Löw, 2015) ? Quelles sont les perceptions de l’espace en jeu dans les pratiques des individus ? Approcher l’espace (public) par ses marges permet d’envisager sa constitution comme un processus, non plus absolu mais relationnel, cadrant l’action et produit par elle. Mon cas d’étude interroge doublement l’évidence apparente de l’expression espace public : en raison, d’une part, de la « résilience autoritaire » caractéristique du régime politique algérien auquel je m’intéresse (Dris-Ait Hamadouche & Dris, 2012 ; Dris-Ait Hamadouche, 2014) ; et d’autre part, de la perspective féministe que j’adopte et qui a déjà mis en évidence les limites de la conception même de sphère publique (Fraser, 2001).

2Partant des rapports de genre pour étudier de manière transversale la reconfiguration du champ du pouvoir dans l’Algérie contemporaine, mon enquête porte plus spécifiquement sur la « motilité » (Kaufmann & Jemelin, 2008) de femmes, majoritairement jeunes, résidant en périphérie d’Alger. Lors d’une ethnographie menée pendant 14 mois entre 2014 et 2016, j’ai observé leurs accès, déplacement et formes d’appropriation relatifs à la ville, afin de comprendre les structures spatiales et genrées à l’œuvre dans leurs réalités sociales. Pour rendre compte du poids de la structure familiale sur la vie des femmes rencontrées, je différencie tout d’abord l’espace domestique – celui des relations familiales – de l’espace extradomestique, qui met en jeu des étrangers au groupe familial (barrani, qui vient de bara, « le dehors »). Le fait pour une femme de quitter l’espace domestique et de s’approprier les espaces du « dehors » (Dris, 2004 ; 2007) fait l’objet d’une dissuasion résultant de l’incorporation d’une « peur sexuée » (Lieber, 2008) qui ne se limite pas au cas de la société algérienne. Cependant, le renforcement de la « centralité » (Rémy, 2016) du domestique par un ordre public qui puise sa légitimité dans le lien religieux est corrélé spécifiquement à la reconfiguration du champ du pouvoir dans l’Algérie postcoloniale, et sa réaffirmation à partir des années 2000 (Addi, 1999 ; Carlier, 1995 ; Moussaoui, 2006). C’est la raison pour laquelle j’emploie l’expression « espace urbain », qui permet de mieux déceler la multiplicité des espaces en jeu et leurs rapports entre eux (communautaire, marchand et public), et non pas de postuler d’emblée la prégnance de l’espace public.

3Ainsi, dans cette recherche, je décris tout d’abord les cercles d’attachement domestique qui tentent de freiner le mouvement des femmes vers le dehors, puis les obstacles qu’elles anticipent et/ou rencontrent dans les espaces extradomestiques, qui agissent comme une extension de l’« enserrement » par l’espace communautaire se traduisant par l’injonction faite aux femmes de se couvrir (setra) (Djelloul, 2018). En franchissant le seuil des espaces domestiques et en s’engageant dans des situations de coprésence avec des hommes du dehors, le mouvement des femmes est lu comme une intrusion dans le territoire masculin qui les expose à la violence sexuée (Bekkar, 1995 ; Oussedik, 1996). Et cela d’autant plus si ce trouble aux rapports de genre (Butler, 2006) est aggravé par d’autres transgressions, comme adopter des comportements censés être réservés aux hommes (ex. : fumer une cigarette, conduire une voiture). Ainsi, la vulnérabilité des femmes et la déréalisation de leurs expériences de violence sera exacerbée par l’inversion de la culpabilité, puisque le « harcèlement public » (Lieber, 2008) dont elles feront l’objet sera revendiqué comme un rappel à l’ordre rendu nécessaire par leur déviance manifeste (Djelloul, 2017).

4Cette contribution se propose d’esquisser le processus de marginalisation des femmes dans les « espaces urbains » par leur stigmatisation en tant que déviantes, au gré des dynamiques d’enserrement/desserrement de l’espace domestique. À partir d’anecdotes tirées de mon terrain, j’évoquerai les rares circonstances déculpabilisantes qui leur permettent de passer du statut d’intruses à celui d’invitées – lorsqu’elles constituent une cible de l’espace marchand –, ainsi que les fréquentes circonstances aggravantes qui les muent en indésirables – lorsqu’elles ne donnent pas assez de gages à l’ordre patriarcal.

1. Une approche genrée de l’engagement dans la ville à partir de ses marges

5Depuis son accès à l’indépendance, l’Algérie n’a cessé de faire face à une croissance démographique dont la pression, qui s’exerce sur les centres urbains, fut amplifiée par un exode forcé lié à la violence politique des années 1990 (Bendjelid et al., 2010). Dans ce contexte, Alger, la capitale, constitue une destination privilégiée pour des populations issues de diverses régions du pays, qui viennent en partie y grossir des poches d’habitat précaire au centre et en périphérie (Djerbal, 2001 ; Kateb, 2003/4). Des politiques d’« urbanisation périphérique » entraînent des plans de relogement nécessitant le déplacement de populations issues des marges des centres urbains vers les périphéries et des quartiers « non réglementaires » (Semmoud, 2010, 2015). Les trajectoires résidentielles diverses qui mènent à ces périphéries débouchent sur différentes configurations urbaines allant de la « mixité » à des formes de fractures ou de microségrégations, selon le degré de paupérisation et de déficit d’équipements (Semmoud, 2009 ; Msilta, 2009). Mais, depuis les années 2000, des projets « structurants » se sont également développés, pour mieux répartir les pôles urbains par la création de « nouvelles centralités » (Cattedra, 2010 ; Sarazin & Rahmani, 2016 ; Lakehal, 2017).

6C’est à partir de ces marges urbaines que j’ai commencé à suivre des femmes dans leur mouvement allant des périphéries aux centres, et que j’ai pu observer l’épreuve quotidienne de leur indésirabilité. En effet, leur accès aux espaces urbains et leur fréquentation quotidienne de ceux-ci, conséquence de la scolarisation massive et de la nécessité de l’emploi salarié extradomestique (Addi, 1999 ; Oussedik, 2014), sont perçus comme une « intrusion » dans l’espace masculin et « un danger remettant en question [le] pouvoir [des hommes] sur l’espace extérieur et l’ordre social » (Bekkar, 1995, p. 227). Alors que, petites filles, la majorité d’entre elles pouvait se mouvoir « dehors », l’objectivation sexuelle et le continuum de violences masculines qui l’accompagne démarrent à partir de l’adolescence (Hanmer, 1977 ; Papadaki, 2012). Leurs familles resserrent alors leur emprise spatiale en les exhortant à se déplacer rapidement, à dissimuler leur corps par le vêtement islamique, ou à éviter les lieux peu fréquentés par des femmes. Si les cloisons visant à les séparer des hommes ne sont pas déjà institutionnalisées dans une configuration spatiale (Lazreg, 1998) – comme de nombreuses salles d’attente, bureaux de vote ou restaurants avec salles familiales –, mieux vaut les constituer par un placement dans l’espace visant à « rester groupées ». En effet, conscientes de leur vulnérabilité en raison de la menace que constitue l’exposition de leur corps féminin – « temple » de l’honneur du groupe familial (Oussedik, 1996) – au regard d’hommes qui lui sont étrangers, les femmes choisissent de sortir « couvertes » (mestoura). De la sorte, elles se préservent de l’engagement dans une interaction en face-à-face avec ces hommes grâce à des cloisons, symbolisées par le port d’un habit sombre et ample. De même, le maintien de l’enserrement du groupe familial à travers l’accompagnement par un enfant, un membre masculin de la famille ou un groupe de femmes, leur garantit une relative protection.

7Du point de vue spatial, la pratique de la « couverture » (setra) constitue donc une « synthèse » (Löwe, 2015) de l’espace domestique qui permet, du point de vue genré, de maintenir la frontière entre les dedans et dehors ; frontière nécessaire à la reproduction des « arrangements de genre » patriarcaux (Macé, 2015) qui reposent sur la centralité de l’espace domestique – c’est-à-dire l’emprise du groupe familial sur la sexualité de ses membres féminins. Pourtant, les femmes développent des stratégies pour profiter de l’extension de l’espace marchand et du mode de vie urbain et desserrer leur confinement spatial dans les espaces du « dedans », grâce à des occasions quotidiennes de sortie (études, emploi, courses, administration) (Oussedik, 2014). C’est pourquoi, bien que je m’intéresse aux routines spatiales quotidiennes des femmes, je souhaiterais démarrer la réflexion menée sur la construction de figures déviantes de femmes par un type de situation extraordinaire : les célébrations organisées à l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, que j’ai pu observer dans des quartiers du centre-ville d’Alger, en 2014 et 2015. En me basant sur ce cas de partage de l’espace urbain, rendu possible parce que délimité dans le temps, je défends l’hypothèse que le desserrement de l’espace domestique se produit grâce à l’espace marchand ; autrement dit, que c’est en vertu de leur statut de consommatrice que les femmes passent du statut d’« intruse » à celui d’« invitée » dans les espaces extradomestiques (desserrement). Je montre ensuite comment l’indésirabilité de leur présence est au contraire exacerbée à des moments de prégnance de l’espace communautaire, lors de célébrations religieuses comme le mois de ramadan ou autour de moments de prière (enserrement).

2. D’intruse à invitée : l’espace marchand comme levier de desserrement

8Depuis quelques années, et jusqu’au soulèvement massif de la population qui a démarré le 22 février 2019 (Djelloul, 2020), le jour du 8 mars fait l’objet d’un investissement commercial important. Par-delà les rencontres organisées par quelques collectifs et associations féministes, cette journée fait exception par le nombre de fêtes, concerts, spectacles et autres activités de consommation spécialement destinées aux femmes. Rebaptisée « Fête de la femme », ce moment me semble heuristiquement très intéressant car on y voit une forme d’inversion des normes spatiales, pour mieux les instituer, comme lors d’un carnaval (Augier, 1974). En effet, j’ai été particulièrement étonnée d’observer la perception différente qu’ont les femmes des espaces urbains ce jour-là – perception reflétant l’ambiance hospitalière qu’ils revêtent –, ainsi que la mise en scène du caractère extraordinaire de cette situation qui offre un contraste saisissant avec l’hostilité dont les femmes font quotidiennement l’expérience dans la ville. La présence féminine, qui vient habituellement importuner l’« homosocialité » des espaces du dehors (Bekkar, 1995 ; Dris, 2004 ; 2006), semble alors temporairement admise, et la coprésence possible. Ainsi, en cette occasion, non seulement les femmes accèdent davantage à ces espaces, mais elles se les approprient d’une manière assumée, en flânant, s’installant à des terrasses, investissant les salles de fête des hôtels, les centres de loisirs, etc.

9En effet, si le fait que des activités leur soient spécifiquement destinées ne perturbe pas la norme de ségrégation spatiale des sexes, les femmes semblent toutefois, ce jour-là, jouir de la ville d’une manière différente, car légitime (même sans être accompagnée d’un homme), passant ainsi d’un statut de public minoritaire à majoritaire. Certaines figures religieuses ne manquent d’ailleurs pas de condamner publiquement le relâchement moral induit par la célébration de cette fête qui relève de l’« imitation » d’un mode de vie non islamique. En effet, la « couverture » que fournit aux femmes l’ordre d’interaction de l’espace marchand les desserre de l’emprise de l’espace domestique et communautaire et permet leur appropriation des espaces urbains.

10Au-delà de la journée du 8 mars, les espaces marchands offrent une destination quotidienne légitime à la sortie des femmes ; comme, par exemple, les centres commerciaux (Ardis, Bab Ezzouar) et les marchés découverts (El Hamiz, El Jorf) récemment établis en périphérie. Ces lieux où elles peuvent flâner ou parader ne constituent pas pour autant une parenthèse comme le 8 mars, c’est-à-dire une situation d’inversion des catégories par la mise en scène de ce desserrement. En effet, je suis frappée visuellement non seulement par la proportion de femmes présentes dans les espaces urbains du centre-ville d’Alger, mais également par la saturation de l’espace par des signes qui mettent en scène le caractère exceptionnel de cette hospitalité ; et, un comble, je me retrouve destinataire de vœux de « bonne fête » et même de roses, par des inconnus ! C’est dire si le « harcèlement public » (Lieber, 2008) qui accompagne généralement le déplacement des femmes dans les espaces urbains se transforme ici en une galanterie hospitalière qui ne manque pas, toutefois, de rappeler qui se sent maître des lieux.

3. D’intruse à indésirable : l’espace communautaire comme levier d’enserrement

11En plus de fournir une couverture, l’espace marchand opère donc lors de la fête de la femme une institutionnalisation éphémère d’un style de vie citadin pour les femmes (Le Renard, 2011), caractérisé par la consommation et la mobilité (Rémy, 2016). De ce fait, cet espace desserre l’emprise de l’espace domestique et communautaire, remplaçant temporairement le contrôle social non par une « indifférence civile » (Goffman, 1974), mais par un relâchement consumériste. À l’inverse de ce spectre, je vais à présent révéler comment l’espace communautaire, à travers ses rythmes (quotidien par la prière et annuel par les fêtes et lors du mois de ramadan), participe quant à lui à renforcer l’institutionnalisation de la norme de non-mixité spatiale. À travers la description de deux situations vécues lors de mon terrain, je souhaite souligner que la perception d’indésirabilité est accrue par la prégnance d’une connotation religieuse de l’espace urbain.

12Dans ces deux situations, des hommes évitent ou refusent une interaction en face-à-face ou une coprésence avec moi en raison de mon statut de femme. La première se déroule un vendredi, aux abords d’une mosquée se trouvant dans une commune au sud d’Alger, peu avant le moment de la prière de l’après-midi qui réunit en principe tous les fidèles. Accompagnée de ma mère, nous nous rendons pour la première fois à cette mosquée. Couverte d’un long voile et vêtue d’une jupe longue et ample, je remplis parfaitement les canons de la féminité islamique en vue d’accomplir la prière. Ne trouvant pas la salle dédiée aux femmes et n’en voyant aucune à l’horizon, je choisis de poser la question à un homme qui m’inspire confiance en raison de son âge mûr, et lui demande où se trouve la salle de prière pour les femmes. Son visage se crispe, il semble mécontent du fait que je l’aie interpellé et, après un moment d’hésitation, fait mine de me répondre par des gestes, m’indiquant un autre quartier de la ville  (1) ; ensuite, sans prononcer un mot, il tourne les talons pour entrer dans la mosquée. J’étais vraiment étonnée par la réaction hostile qu’il avait affichée et qui m’était incompréhensible : pourquoi n’avait-il pas simplement répondu oralement à ma question ? Et s’il était muet, pourquoi sembler si fâché de m’indiquer la direction ? Qu’est-ce qui dans ma tenue, mes propos, la manière dont je l’avais abordé, avait bien pu le déranger ? Ce n’est que plus tard que j’ai pu m’expliquer de manière plausible ce comportement, en découvrant l’existence de discours religieux assimilant tout contact avec une femme à une souillure qui annule les ablutions faites en vue de prier.

13Une autre fois, au milieu d’une chaude après-midi de ramadan, je me trouve dans un marché découvert accompagnée par de mon père et habillée de manière dite civilisée(2), c’est-à-dire rappelant des standards européens, et avec des cheveux découverts. Un homme, passant près de nous et revêtu des habits religieux, récite une prière d’expiation assez fort pour être clairement entendu. Offusqué par ce comportement, mon père réagit immédiatement en l’interpellant et en lui recommandant de s’adresser directement à lui s’il a un problème. Je compris alors que mon père tentait de la sorte de réparer une offense faite à ma face, car cette prière m’était destinée en tant que reproche prenant la forme d’un rappel religieux, et avait pour but de tenir éloignées les forces du mal que j’attirais par ma présence, en tant que femme évoluant dans cette tenue. En effet, le mois de ramadan étant caractérisé par l’abstinence (sexe, nourriture, boisson et autres substances), du lever au coucher du soleil, ma présence constituait un trouble à l’espace communautaire, et cette prière tentait de ramener l’ordre et de prémunir les jeûneurs de la contamination induite par ma coprésence. Discréditable par mon manque d’observation des « obligations religieuses », je passe ainsi du statut d’intruse à celui d’indésirable, en raison du moment – le mois de ramadan – auquel se déroule cette situation, qui est structurant de l’espace communautaire. En effet, le fait que les espaces urbains soient alors fortement connotés religieusement par le rappel à la piété (ex. : magasins d’alcool et bars fermés) semble constituer une circonstance aggravante au fait que je sois perçue comme une femme qui ose, qui franchit les limites (mutabarija, qui s’oppose à « couverte », mutahajiba), et semble induire que je sois traitée non seulement comme un objet sexuel, mais aussi démonisée, représentant une menace pour l’ordre moral.

Conclusion

14La faible légitimité morale de la présence des femmes dans les espaces du dehors, produite par un ethos familialiste et rappelée par le discours religieux, les fragilise, en les plaçant spatialement à la marge comme des intruses dont la vulnérabilité peut rapidement dégénérer en indésirabilité si elles menacent l’ordre patriarcal en ne lui donnant pas assez de gages. Le fait d’observer l’inversion des normes lors de la journée du 8 mars ne fait que renforcer le constat de l’institutionnalisation de la marginalisation des femmes le reste du temps, et plus fortement encore lors de moments intenses de vie religieuse ; ce qui à mon sens souligne que l’on ne peut en aucun cas parler d’une qualité publique des espaces urbains. En partant des perceptions et usages de la ville par les femmes rencontrées (Coutras, 2008), les espaces extradomestiques me semblent plutôt constitués d’espaces marchands et communautaires (dont les hauts lieux sont la mosquée et le centre commercial), non pas hermétiques l’un à l’autre, mais s’interpénétrant continuellement par la consommation de signes identitaires d’un « individualisme communautaire » (Moussaoui, 2015) – en particulier lors du mois de ramadan. En l’absence d’un espace public dont la constitution mettrait en jeu la citoyenneté, la religion et le marché semblent donc constituer deux voies de médiation entre le régime et la société depuis la fin de la « guerre civile » des années 1990. Ainsi, l’« ordre moral urbain » (Addi, 1999) permet à la communauté religieuse de domestiquer l’espace marchand, véhiculé par un style de vie citadin, afin de préserver l’espace domestique du desserrement des femmes en assimilant tout écart de conduite à une forme de déviance qui peut conduire à un trouble à l’ordre public.

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Date de mise en ligne : 20/07/2021

https://doi.org/10.3917/lps.211.0083

Notes

  • (1)
    Il s’avère en effet que cette « petite mosquée » ne contient pas de salle de prière pour les femmes, alors que c’est le cas de la « grande mosquée » de cette ville, dont il m’indique la direction avec son bras.
  • (2)
    Cette expression est utilisée en français.

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