1Le dossier thématique que vous tenez entre les mains constitue une des suites données au colloque intitulé La mécanique de l’analyse qualitative, qui s’est tenu à Bruxelles en octobre 2018 et fut organisé par le Groupe de Travail 15 « Analyse qualitative interdisciplinaire » de l’Association internationale des sociologues de langue française (AISLF). Ce colloque fut l’occasion de présenter des mécaniques aussi bien en lien avec la recherche fondamentale qu’avec la recherche appliquée. C’est ce second volet qui est plus particulièrement abordé dans le cadre du présent dossier. Vous y trouverez des contributions faisant suite à certaines communications orales présentées lors du colloque, mais aussi le travail de collègues qui se sont manifestés lors de l’appel à contributions diffusé en 2019. Les articles repris balaient quatre secteurs dans lesquels la recherche appliquée fut mise en œuvre, à savoir la pédagogie et l’enseignement supérieur, la psychologie, le travail social et la santé. Il est à relever que ce dernier secteur est plus particulièrement représenté dans les pages qui suivent.
2Parmi les contributions présentées, certaines témoignent de l’intérêt de conclusions tirées de la mise en oeuvre de démarches qualitatives académiquement reconnues et validées pour penser l’action. C’est le cas de Christophe Dargère et de Gina Aït Mehdi qui, dans leurs articles respectifs, soulignent l’opportunité de la méthode ethnographique pour, d’une part, tenter d’analyser ce qui se joue dans des institutions totales (Goffman, 1968) se déployant dans le paysage du travail social et de la santé mentale (en France et en Belgique) ; et d’autre part, penser l’action des acteurs de terrain en lien avec ces institutions. Shia Manh Ly et Thomas Zannin questionnent ensuite la posture des chercheurs se situant dans une démarche ethnographique, et l’impact potentiel de celle-ci sur les résultats de la recherche. Letícia Renault nous offre quant à elle une mise en perspective de deux démarches qualitatives au départ de deux champs disciplinaires considérés comme distincts : la psychologie et l’anthropologie. Elle y interroge notamment deux dichotomies : celle entre subjectivité et objectivité et celle entre singularité et collectivité.
3Par ailleurs, au-delà du fait de s’inscrire dans la recherche fondamentale et de soutenir la réflexivité des chercheurs et l’action des professionnels de terrain, des éléments des démarches qualitatives peuvent également être insérés dans des dispositifs de recherche appliquée ; cette dernière ne renonce alors pas aux méthodes classiques de la recherche universitaire. Marjorie Lelubre considère de la sorte que les entretiens individuels et collectifs – les focus groups – et l’observation participante sont des outils essentiels dans la mécanique de la recherche-action. Jésabel Robin souligne, pour sa part, l’intérêt des postures et des outils des approches socioanthropologiques en lien avec le terrain de la formation initiale d’enseignants, dans le cadre d’une didactique des langues et des cultures.
4À côté des méthodes traditionnelles ressortant de démarches de recherche qualitative employées pour penser l’action ou soutenir une recherche-action, des éléments constitutifs spécifiques peuvent davantage être articulés avec les méthodes relatives à la recherche-action, à la recherche collaborative et à la recherche participative. L’article de Marcel Plenchette propose ainsi de rendre compte d’une démarche de recherche collaborative et participative associant des professionnels français du secteur de la santé. Florence Bernard, Jonathan Collin et Sophie Duvillier reviennent, de leur côté, sur la mécanique d’une recherche-action menée dans l’enseignement supérieur belge afin de construire des contenus de cours. Tout comme Marcel Plenchette avec des professionnels de santé, ils mettent en évidence l’intérêt d’associer des étudiants dans la définition d’un dispositif – en l’occurrence pédagogique – qui concerne directement les participants et leur pratique professionnelle future.
5Enfin, le dossier revient sur le compte rendu de deux actions qui ont fait l’objet, dans un second temps, d’une recherche. Ces deux dernières contributions nourrissent la réflexion quant à une inversion du processus de recherche appliquée : dans ce cadre, l’action précède la démarche de recherche et cette dernière évalue la première. Les conclusions de telles recherches visent ensuite à adapter l’action. Marie Friedel présente la recherche menée à la suite de la mise en place d’un séminaire interdisciplinaire, dispositif pédagogique associant des étudiants en soins infirmiers et en médecine autour d’un cas pratique nécessitant une délibération éthique. Quant à Olivier Vallerand, Amélie Charbonneau, Kévin Lavoie et Marie Houzeau, ils soulignent l’opportunité de la démarche de recherche communautaire pour penser l’intervention dans le cadre d’ateliers de démystification de la diversité sexuelle et de genre. La recherche intervient après l’action, mais est destinée à repenser l’action ; en cela, la méthode nous semble emprunter, pour une bonne part, la voie méthodologique de la recherche-action.
6Différents formats se dessinent donc lorsqu’on parle de recherche appliquée. La mécanique identifiée n’est pas unique et uniforme. Les dispositifs de recherche choisis dépendent autant du profil des chercheurs, de leurs affinités méthodologiques, que des caractéristiques des terrains dans lesquels ils s’inscrivent (Ghasarian, 2004). C’est sans doute la raison pour laquelle, tout en étant rigoureuses (Olivier de Sardan, 2008), les méthodes qualitatives, y compris celles qualifiées d’appliquées, sont à ce point diversifiées.
7Nous vous souhaitons une agréable lecture.
Bibliographie
- Ghasarian, C. (dir.). (2004). De l’ethnographie à l’anthropologie réflexive. Nouveaux terrains, nouvelles pratiques, nouveaux enjeux. Paris : Armand Colin, coll. « U ».
- Goffman, E. (1968). Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux. Paris : Les Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun ».
- Olivier de Sardran, J.-P. (2008). La rigueur du qualitatif. Les contraintes empiriques de l’interprétation socio-anthropologique. Louvain-la-Neuve : Academia-Bruylant, coll. « Anthropologie prospective ».