Notes
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[1]
Émile Durkheim, Les Règles de la méthode sociologique, Paris, Alcan, 1895, table des matières.
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[2]
Id., lettre à Henri Hubert du 14 janvier 1901 in « Documents. Lettres de Emile Durkheim à Henri Hubert présentées par Philippe Besnard », Revue française de sociologie, 1987, n° 3, p. 513.
-
[3]
La répartition du travail fut la suivante : à Robert Galera est revenue la tâche de programmer sur R, de produire des tableaux excel, d’aider au bon codage des données et au rappel des bonnes règles de la logique. À Matthieu Béra est revenu, en amont, le travail de recueil des données (dépouillement des dossiers administratifs des étudiants aux archives départementales de la Gironde, collecte et saisie des 5000 emprunts à partir des registres de prêts de la Bibliothèque universitaire, etc.), et en aval la rédaction de l’article. Cette collaboration scientifique a permis d’associer un docteur en chimie, agrégé de physique-chimie, enseignant dans le secondaire et un docteur en sociologie, enseignant chercheur à l’université. Elle est l’aboutissement d’une rencontre qui remonte à 1997, époque où les deux auteurs enseignaient au lycée Maurice Ravel de Paris, l’un en sciences économiques et sociales, l’autre en physique chimie.
-
[4]
Un peu forcé, il est vrai, par le travail d’exégèse réalisé par Deploige sur son œuvre.
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[5]
Quand il répondit à Deploige, Durkheim avait 49 ans. Titularisé en 1906 à la Sorbonne, il venait de dispenser son premier cours de sociologie sur l’origine de la religion.
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[6]
Lettre publiée par la Revue néo-scholastique du 8 novembre 1907, rééditée dans S. Deploige, Le conflit de la morale et de la sociologie, Louvain, Institut supérieur de philosophie et Paris, Alcan, 1911, p. 401. Notons le procédé de Durkheim : il relie le principe enseigné par son maître à des prédécesseurs illustres (Auguste Comte) ou un classique grec (Aristote), comme s’il ne pouvait s’empêcher de minimimer sa dette à l’égard de Boutroux.
-
[7]
En 1907, Durkheim venait d’être élu par la commission des enseignants de la Faculté de lettres de la Sorbonne dans laquelle siégeaient Boutroux, ainsi qu’Espinas. Sur cette élection, on peut consulter en ligne notre intervention au colloque « Durkheim au Collège de France » (Collège de France, juin 2019).
-
[8]
René Maublanc (1891-1960).
-
[9]
Ce que l’on savait déjà, via un autre étudiant, Georges Davy (1883-1976). À la mort de son maître, celui-ci écrivit : « L’empreinte que l’auteur de La science de la morale (1869) laisse sur le jeune normalien est si forte qu’elle ne s’effacera jamais » (G. Davy, « Durkheim, l’homme », 1919).
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[10]
R. Maublanc, « Durkheim, professeur de philosophie », Europe, n° 23, février 1930, p. 299.
-
[11]
Durkheim n’écrivit-il pas d’ailleurs, dans ce même courrier adressé à la Revue néo-scolastique : « Je ne revendique nullement je ne sais quelle impossible originalité. Je suis bien convaincu que mes idées ont leurs racines dans celles de mes devanciers ; et c’est même pour cela que j’ai quelque confiance dans leur fécondité ».
-
[12]
A ce sujet, Deploige écrivit : « S’il lui advient d’indiquer les auteurs dont il s’écarte, il a l’habitude de ne pas nommer ceux qu’il suit. » (1911, p. 397). Dans la réponse à son contradicteur, Durkheim fit une sorte d’aveu maladroit qui trahissait une tendance à la dissimulation qui pouvait lui être reprochée à juste titre : « Je ne songe pas à attribuer une trop grande importance à la question de savoir comment s’est formée ma pensée ».
-
[13]
Pour reprendre Pierre Bourdieu et Monique de Saint-Martin, « Les catégories de l’entendement professoral », Actes de la recherche en sciences sociales, 1-3, 1975, p. 68-93.
-
[14]
Pour le lexique un peu spécialisé, on peut se référer à M. Béra, 2017.
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[15]
Pour cette raison, il peut s’avérer maladroit de s’en tenir à la seule connaissance de la bibliothèque des professeurs qui sont souvent amenés à effectuer des lectures sans les partager avec les étudiants – ce qu’on nomme ici leur « bibliothèque de recherche ». Voir la dernière colonne du tableau 7. On y découvre que certains professeurs ne partagent pas 73% de leurs emprunts avec les étudiants (c’est le cas d’Espinas).
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[16]
Pour le repérage nominatif des étudiants de licence, voir Béra, 2017 (chapitre 2, p. 70-72) et, pour le décompte et les noms des étudiants agrégatifs, voir Béra, 2017 (chapitre 3, p. 95-96).
-
[17]
À cette occasion, on a constaté que seulement la moitié des étudiants enregistrés dans les registres administratifs de la Faculté effectuèrent (au moins) un emprunt. On peut qualifier les autres « d’étudiants fantômes ».
-
[18]
Voir Béra, 2017, p. 160-161. Un tiers seulement des étudiants de licence décrochait le diplôme et, à une ou deux exceptions près, aucun de ceux qui l’ont eu n’avait évité le travail en bibliothèque (mesuré par les emprunts). Ceci permet de dire deux choses : 1) pas de réussite dans les études sans travail en bibliothèque, ce qui paraît évident en philosophie ; 2) concernant l’archive des registres de prêts, elle est presque à 100% un indicateur parfait de mesure du travail étudiant.
-
[19]
M. Mauss (1872-1950) fut son étudiant bordelais entre 1890 et 1895 (voir Marcel Fournier 1994). Il obtint sa licence en 1892 à 20 ans. Il passa une année à Paris à la Sorbonne (1893-94). Cachin resta étudiant plus longtemps (environ 7 ans) et à ce titre emprunta davantage.
-
[20]
Le corpus d’actes d’emprunts – ou d’emprunts, dirons-nous plus simplement – a dû être transformé dans la mesure où il comportait des redondances : un même ouvrage pouvant être emprunté plusieurs fois par la même personne, on a gommé cette répétition qui ne nous intéressait pas. Dans la mesure où les étudiants avaient le droit de sortir un ouvrage un mois seulement, ils renouvelaient souvent leur prêt. Il est plus pertinent de raisonner en termes de « cotes distinctes ». Tous les raisonnements seront donc effectués dans ces termes.
-
[21]
Ce parti-pris pourrait être discuté à l’infini. Existe-t-il des lectures étudiantes au niveau licence et agrégation qui soient autonomes, indépendantes de celles que prescrivaient les enseignants ? Nous supposons que non. La partie 3 de l’article visera à vérifier cette hypothèse en partant des emprunts des professeurs (et en les distinguant les uns des autres) afin de repérer d’éventuels chevauchements significatifs.
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[22]
Né en 1844, agrégé en 1871, docteur es-lettres en 1877 avec une thèse sur les sociétés animales.
-
[23]
Né en 1856, agrégé en 1883.
-
[24]
Né en 1858, agrégé en 1882. Il fut nommé à la faveur d’une demande insistante d’Espinas auprès de Liard, son prédécesseur à Bordeaux, pour être secondé dans son service.
-
[25]
Le rapprochement avec les dénominations actuelles peut être trompeur : le maître de conférences (statut créé en 1877) n’avait pas de doctorat et il n’était pas titulaire. Quant au chargé de cours, dont le statut ne semblait pas très différent du précédent, il se rapprochait davantage de celui d’aujourd’hui : absence de titularisation et thèse en cours. Hormis le salaire plus faible que ceux des professeurs titulaires, les maîtres de conférences et chargés de cours bénéficiaient du même service que les professeurs titulaires : trois cours d’une heure par semaine, de décembre à mai, ce qui les plaçait dans une situation favorable pour l’avancement de leur thèse.
-
[26]
Né en 1864 et agrégé en 1886.
-
[27]
Hamelin suivit Durkheim, en 1903, en partie grâce au soutien de celui-ci. De même, Rodier en 1907 après le décès accidentel d’Hamelin, très aidé lui aussi par Durkheim.
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[28]
On a exclu les thèses et les revues de notre corpus. Il faut savoir que les enseignants empruntaient beaucoup de revues et bénéficiaient d’un accès libre à celles-ci dans leur salle particulière de la Bibliothèque universitaire (M. Béra 2014 et 2016). En revanche, il était exceptionnel que les étudiants en empruntent. Même chose pour les thèses. Ceci explique en partie que les chiffres indiqués dans cet article ne correspondent pas à ceux de nos publications précédentes (M. Béra, 2013, 2014, etc.) qui incluaient les thèses et revues.
-
[29]
Hors revues et thèses, pour des raisons énoncées plus haut.
-
[30]
Nous connaissons la bibliographie de ses ouvrages publiés jusque 1902 (pour la Division du travail social, voir l’édition scientifique de Myron Achimastos et Dimitris Foufoulas, Paris, Classiques Garnier, 2018). Nous connaissons aussi les emprunts qu’il a pu réaliser dans toutes les bibliothèques publiques où il a laissé des traces (n > 1200) depuis ses études à l’ENS en 1879. Nous connaissons, enfin, les comptes rendus qu’il a publiés jusqu’en 1902, essentiellement pour L’Année sociologique, à partir de 1898 (n > 200). Ces trois sources permettent d’avoir une idée assez précise des auteurs qui ont contribué à « faire » Durkheim.
-
[31]
On pourrait évidemment pousser plus loin en partant de l’analyse des cours de Durkheim – ce qu’il en reste, par exemple dans L’Éducation morale – pour y trouver une lecture spécifique de Kant qui se démarquerait d’autres lectures possibles. Nous n’avons pas la compétence philosophique pour nous engager dans cette voie.
-
[32]
Cependant, les emprunts estudiantins de Spencer se prolongent au-delà de 1893, ce qui permet d’attribuer à Durkheim une partie de cette influence. Il faudrait cependant approfondir la question du rapport d’Hamelin à Spencer : il l’empruntait aussi, sans doute pour connaître celui que critiquait Renouvier. On y reviendra plus loin (résultat 4, annexe 5).
-
[33]
M. Béra, 2013 pour la liste complète.
-
[34]
Notre article abordera à la marge cette question pour des raisons de place. Mais il est méthodologiquement possible d’isoler la « bibliothèque de recherche » des enseignants en ne conservant que les emprunts réalisés par eux, et seulement par eux (c’est-à-dire sans intersection avec leurs collègues ou leurs étudiants).
-
[35]
M. Béra, 2014 ; N. Sembel et M. Béra, 2013.
-
[36]
Nos allusions à la chimie sont deux fois justifiées : d’abord, on l’a dit, Robert Galera est docteur en chimie. Ensuite, Durkheim fut un lecteur de Marcelin Berthelot duquel il consulta (entre autres ouvrages) la Synthèse chimique. On y trouve une parfaite idée de ce que Durkheim entendait par « synthèse » quand il présentait la sociologie comme une science sociale synthétique (M. Béra, 2017).
-
[37]
Annexe 1 (n=144).
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[38]
Les sciences sociales qui, selon Durkheim, plaisaient à la jeune génération.
-
[39]
Cité in M. Béra, 2019b.
-
[40]
Ernest Denis serait aujourd’hui un homme heureux : l’heure est à la suppression de ce concours et des concours en général (voir la parution récente – décembre 2019 – du rapport du Haut Conseil de l’évaluation nommé par le ministre Blanquer, qui se conclut ainsi : « l’agrégation n’a plus d’objet »).
-
[41]
Au singulier ici, comme dans l’intitulé de la charge de cours de Durkheim : « Cours de science sociale et de pédagogie ». Puis, à sa titularisation de 1896, au singulier encore : « Professeur de science sociale ».
-
[42]
Nous n’avons pas abordé directement cette question et la réservons pour un autre article : il existe des lectures « gagnantes » et des lectures « perdantes ». Pour le déterminer, il faut comparer les bibliothèques des étudiants ayant réussi avec celles de ceux qui ont échoué (Béra, 2017).
-
[43]
Voir l’annexe 12 du présent article. Pour un commentaire antécédent, M. Béra, 2014a et 2014b.
-
[44]
Ce qui est un sujet en soi. Voir Giovanni Paoletti, 2012. On a ici les outils méthodologiques pour le faire, ne serait-ce qu’en comparant entre elles les bibliothèques spécifiques des professeurs.
-
[45]
Nous admettons sans peine que notre démarche n’est pas purement inductive – à supposer d’ailleurs que cette option méthodologique soit possible. Dans l’idéal, il aurait été bon de découvrir le substrat durkheimien en le faisant émerger à la faveur de tris successifs. Mais dans la réalité, nous avons utilisé la connaissance préalable que nous avions de sa bibliothèque pour les reconnaître et les identifier dans la masse des emprunts d’étudiants. En outre, nous avons dû nous résoudre à adopter ce parti-pris « présentiste » qui pose Durkheim en fondateur de la sociologie et en initiateur des sciences sociales alors qu’on le sait a posteriori. À l’époque, Durkheim était un enseignant de philosophie dans un département de philosophie, qui publiait dans la Revue philosophique, et cela au moins jusque 1898 (date de la parution du numéro 1 de L’Année sociologique).
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[46]
G. Paoletti, 2012, annexe 1. C’est en troisième année à l’ENS (1881-82) que Durkheim commence à emprunter Renouvier et sa revue La Critique philosophique qui paraît à un rythme hebdomadaire (!) et traite des ouvrages récents. D’une manière générale, on aurait pu mettre en vis-à-vis les emprunts de l’étudiant Durkheim (1879-1882, n=250) et les emprunts de ses étudiants dix ans plus tard. Les intersections sont très fréquentes. La tradition se transmet ainsi : le professeur prescrit à ses propres étudiants ce qui lui avait été prescrit dix ans plus tôt par ses maîtres, qui le devaient eux-mêmes de leurs maîtres, etc. La culture philosophique évolue peu, il est vrai. Mais est-ce un défaut ? Nous ne le pensons pas. Et nous ne voyons nullement là les signes de la « fin de la philosophie » ou de sa « dé-fonctionnalisation », (Marc Joly, Après la philosophie, Paris, CNRS éditions, collection « interdépendances » dirigée par lui-même, 2020).
-
[47]
Celle-ci fut méditée pendant vingt ans et finalement soutenue en Sorbonne en 1907 sous le titre Essai sur les éléments principaux de la représentation. Elle fut dédiée « à la mémoire de Renouvier », avec lequel il avait un peu correspondu. Son cours de 1906 a également été publié. Dispensé à la Sorbonne et intitulé Le Système de Renouvier, il fut édité en 1927 par Pierre Mouy (1888-1946), l’un de ses étudiants.
-
[48]
On est loin de la lecture buissonnière décrite par Michel de Certeau. Cependant, une analyse minutieuse permet de constater que certains étudiants d’exception, sans doute riches et brillants – on pense au rentier russe Eugène Kolbassine agrégé en 1890, qui fit ensuite carrière au lycée de Bastia et qui fut un ami de Paul Valéry jusqu’à l’affaire Dreyfus – s’autorisaient des lectures en dehors des sentiers battus, sans compromettre pour autant leur réussite au concours.
-
[49]
Annexe 2, n=173.
-
[50]
Que nous avions exclue dans un premier temps pour isoler les auteurs qui leur étaient propres.
-
[51]
57% des 160 étudiants.
-
[52]
Malheureusement, nous n’avons pas pu retrouver les listes d’auteurs au programme de la licence de philosophie. Cela étant, il serait possible de la reconstituer, année par année, en se référant aux emprunts des étudiants.
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[53]
Symétriquement, on peut s’interroger sur le fait que des agrégatifs lisent des auteurs hors concours et suivent les étudiants de licence. Il ne faut pas oublier que les agrégatifs sont des anciens étudiants de licence et qu’ils ont contracté des habitudes de lecture, ceci pouvant expliquer cela. Mais il existe d’autres motivations que seule l’analyse des correspondances privées pourrait mettre au clair, autrement que par la voie de cette archive à la fois bavarde et muette.
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[54]
Voir l’annexe 12 qui présente de manière exhaustive et inédite les auteurs au programme de 1889 à 1902.
-
[55]
Voir la dernière colonne de l’annexe 2 : les emprunts sont parfois partagés avec les professeurs.
-
[56]
G. Paoletti, 2012, annexe 1 (sur les emprunts de Durkheim à l’ENS, p. 415). Les voici : Ribot, Psychologie anglaise et Psychologie allemande contemporaine, novembre 1881, en même temps que Comte (Philosophie positive) ; la thèse de Ribot sur l’hérédité ; Spencer, Classification des sciences. La Revue philosophique, n° 1 et 2 de 1876 et 1877. Comme le signale G. Paoletti (2012, note 1 p. 416), les sommaires de la Revue philosophique de 1876 et de 1877 sont éloquents : on y trouve Wundt, Spencer sur la psychologie, Spencer (Principes de sociologie), Espinas, Marion (sur Espinas). Tous ces auteurs furent décisifs pour Durkheim et ils vont devoir l’être pour ses étudiants. C’est encore en 1882 qu’il découvre Hartmann, Philosophie de l’inconscient (Paoletti, p. 420). Il poursuivra ensuite ses lectures psychologiques et sociologiques en empruntant à la Bibliothèque municipale de Sens (1883) Spencer, Introduction à la science sociale, Les premiers principes, De l’éducation ; Ribot, Psychologie allemande, La Revue philosophique, John Stuart Mill sur Hamilton. Il lut encore de la psychologie pendant son année sabbatique (1885-86) avant de partir en Allemagne : Despine, Dumont ; il les reprit encore à la bibliothèque municipale de Troyes en 1886-87 à son retour d’Allemagne pour sa dernière rentrée dans le secondaire (M. Béra 2017b).
-
[57]
Voir Serge Nicolas (2001) qui rappelle que Ribot occupa la première chaire de psychologie expérimentale de la Sorbonne (1885) puis du Collège de France (1888), chaire à laquelle lui succèdera Pierre Janet, condisciple et ami de Durkheim, qui tenta de le faire entrer aussi au Collège en 1902 sans succès.
-
[58]
Appréciation datée d’octobre 1882 qui figure au dossier Durkheim (citée par Marcel Fournier, 2007, p. 56.). Durkheim impressionnait ses camarades pour son aptitude à la métaphysique, à la rhétorique, mais aussi le directeur de l’Ecole par ses affinités toutes spéciales avec la psychologie.
-
[59]
Voir la bibliographie de S. Lukes, 1973.
-
[60]
F. Alcan fit ses études à l’ENS en même temps que Ribot (ENS 1862-1865, agrégé en 1866 après un premier échec), mais dans la section Science et sans obtenir l’agrégation ; en même temps aussi qu’Espinas (ENS 1864, agrégé en 1871 pour des raisons inconnues), intime de Ribot. Leur correspondance abondante a été publiée dans la Revue philosophique en plusieurs livraisons par l’ancien étudiant Lenoir (voir Wolf Feuerhahn et Thibaud Trochu, « Autoportraits de Théodule Ribot en correspondant », Revue philosophique, 2016/4, p. 521-540 sur les échanges de correspondances entre Ribot et divers interlocuteurs, dont Espinas). Ajoutons que Liard (1846-1917) est passé à l’ENS en 1866 et fut agrégé en 1869. Il put croiser Espinas et Ribot à cette époque.
-
[61]
Il effectua lui-même un voyage en Allemagne en 1879 (W. Feuerhahn et T. Trochu, 2016, p. 528.)
-
[62]
On pense aux passages bien connus des Règles de la méthode sociologique, publié en 1894 dans la Revue philosophique de Ribot.
-
[63]
Ce point serait à éclaircir (M. Fournier 2007, p. 125 et M. Béra, 2014). Il semble que Durkheim ait proposé un cours de psychologie appliquée à l’éducation en 1892 et 1893, sans doute pour renouveler ses cours de pédagogie dont il semblait se lasser. Il a ensuite dispensé des conférences de psychologie en 1894 et 1895 (avec cette précision pour la seconde année : « Les émotions et l’activité »), puis 1896 et 1897, avant de devoir reprendre ses cours d’éducation morale pour les instituteurs et institutrices et directeurs d’école. Il aurait donc dispensé des cours de psychologie six années sur quinze. Ses lettres à M. Mauss établissent que Durkheim appréciait cet enseignement dont il ne nous reste plus de trace, mais qui devait être assez « conventionnel », au sens où il devait surtout compiler des auteurs de psychologie.
-
[64]
On peut consulter la 6e édition de 1892 sur Gallica. La première remonte à 1870.
-
[65]
La fiche des options ne présente pas explicitement l’épreuve de psychologie. Elle pouvait se dissimuler derrière la pédagogie ou la science sociale.
-
[66]
Nous nous sommes arrêtés ici à la fréquence 10. Dans les fréquences plus basses, on continue de trouver des psychologues et biologistes : Romanès, Évolution mentale chez les animaux (emprunté par 7 étudiants) ; Luys, Le cerveau et ses fonctions (par 3) ; Bouiller, Du plaisir et de la douleur (par 4) ; Sergi, La psychologie physiologique (par 2) ; Ferri (Louis), La psychologie de l’association, 1883 (par 3) ; Spencer, Principes de biologie (par 3). Rappelons que les données portent sur 13 années, ce qui relativise la force de cette influence quand on se représente qu’un ouvrage fut emprunté seulement 3 fois en 13 ans (parmi une centaine de lecteurs potentiels et un total de 3 000 actes d’emprunts, soit une probabilité de 3/3000 = 0,001).
-
[67]
Rappel : l’influence du maître ne présuppose pas qu’il y ait un chevauchement des emprunts entre lui et ses étudiants.
-
[68]
Voir Béra, 2019b.
-
[69]
Voir Béra, 2019b. Durkheim proposera à Foucault de faire le compte rendu d’un ouvrage d’H. Hoffding.
-
[70]
Sur la naissance de la psychologie, voir Wolf Feuerhahn (dir.) 2017.
-
[71]
Tableau où l’on a isolé leurs emprunts (annexe 1).
-
[72]
Nous ne disons pas « inexistantes » en nous appuyant sur ce que Durkheim écrivit en 1895 : « Parmi les auteurs que les candidats doivent étudier au programme de l’agrégation de philosophie – par laquelle on recrute les professeurs de lycée – figurent depuis quelques années des œuvres de sociologues [fait-il allusion à Comte, Mill, Spencer ?] et on a même appelé à la présidence du jury des spécialistes renommés de sociologie [de qui parle-t-il, sinon de lui-même pour les deux années 1891 et 1892 ? Mais il n’était pas le président ! C’était Pierre Janet] afin de représenter ces nouvelles études et d’indiquer aux candidats ce dont ils doivent s’occuper ». Texte publié en 1895 dans la Riforma sociale et réédité dans Karady 1975, Texte 1 p. 73 et s.
-
[73]
Sans parler du fonds de la Bibliothèque universitaire.
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[74]
Pour reprendre une expression de S. Mosbah-Natanson (2017).
-
[75]
Les treize leçons qui composent ce cours, contiennent une soixantaine de références directes, dont aucune – à part Ferri, Sociologie criminelle – n’a été empruntée par un étudiant ! Voici un test grandeur nature, aussi éloquent que possible, sur la tendance des étudiants à ne pas approfondir les cours de leurs enseignants (y compris de Durkheim en science sociale) en n’allant pas emprunter les soixante références citées par le professeur pendant le cours !
-
[76]
M. Béra, 2014.
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[77]
Exemple de mail reçu par l’une de nos étudiants de L1 AES à propos de notre cours d’introduction à la sociologie, qui rejoint exactement ce qu’on cherche à illustrer ici : « Je voulais vous demander si, pour les notions clés que l’on [a] à apprendre et que vous nous avez données sous forme de fiches, on doit seulement se tenir à celles-ci et le contenu de votre cours. Ou bien devons-nous aussi les développer en faisant des recherches de notre côté ? J’ai presque fini de réviser la sociologie mais je trouve les notions assez courtes alors je [ne] sais pas si elles suffisent pour l’examen ou non ». (Amandine B, 3 décembre 2019). Réponse du professeur : « Le cours suffira », sous-entendu : ne lisez pas en bibliothèque – ce qui va à l’encontre du principe de notre représentation idéale de l’étudiant modèle. C’est aussi le principe de réalité qui nous guide, considérant ce qui est exigible des étudiants de L1 AES pour un cours « d’éveil ».
-
[78]
M. Béra, 2014, 2017a, N. Sembel et M. Béra, 2013.
-
[79]
Au sens mathématique : A + B + C + D = le total.
-
[80]
Pour première analyse de cette partie de la bibliothèque partagée par Durkheim et ses étudiants, voir Béra, 2017b chapitre 12.
-
[81]
Annexe 6, colonne lecteurs LA.
-
[82]
Cependant, la méthode n’est pas infaillible. Par exemple, M. Mauss, emprunteur de rang moyen (en termes quantitatifs), apparaît, de ce fait, comme peu marqué par son oncle, ce qui est absurde. On sait que la réalité fut tout autre. Pour ce qui le concerne, l’indicateur mobilisé n’est pas pertinent. Il ne vaut que pour le tout venant des étudiants.
-
[83]
Au sens de Callon, 1989 et de la sociologie de l’acteur réseau.
-
[84]
Il est vrai que 28 sur 79 étudiants emprunteurs représentent le tiers des effectifs actifs en bibliothèque. En prenant le problème dans l’autre sens, on pourrait dire que la bouteille était « un tiers pleine ».
-
[85]
Futur recteur.
-
[86]
René Hourticq, Leçons de logique et de morale, Paris, Delagrave, 1924.
-
[87]
Voir Béra, 2019c.
-
[88]
Cette « bibliothèque » a été déjà établie, sinon en elle-même, du moins à l’intérieur de la bibliothèque des étudiants partagés avec les universitaires. Le cadre de cet article ne permet pas d’explorer tous les cas.
-
[89]
Se reporter à l’article de S. Goux-Diétlin dans ce dossier.
-
[90]
Idem.
-
[91]
Le ministère titularise Durkheim en juin 1896 à la chaire de science sociale créée pour lui, à la condition expresse qu’il reprenne à sa charge le cours de pédagogie qu’il avait cédé à Rodier depuis le départ d’Espinas « par suite d’un arrangement personnel ». Il dut rétrocéder la psychologie à Rodier.
-
[92]
Nous sommes en relation avec ses descendants, agrégés de philosophie sur trois générations (Jeanne incluse) ! Ils ne possèdent malheureusement aucun document ayant appartenu à leur brillante aïeule, première agrégée de philosophie en France en 1905, une génération avant Simone de Beauvoir qui ne fut donc pas la première comme on peut le lire ici ou là (elle naquit en 1908 et décrocha l’agrégation – non mixte – en 1929). Jeanne Baudry prépara une thèse sur Kant qu’elle interrompit pour accompagner son mari polytechnicien en Amérique du Sud. Elle n’enseigna qu’à la fin de sa vie alors qu’elle était devenue veuve, et remplaça un collègue pendant l’Occupation.
-
[93]
Rappelons que nous n’avons pas transcrit les registres au-delà du départ de Durkheim. On ne peut donc pas suivre les liens tissés par Rodier et ses étudiants entre 1902 et son propre départ à Paris en 1908.
-
[94]
Les appréciations de son dossier personnel insistent sur l’immense « emprise » qu’il exerça sur ses étudiants, « l’infini dévouement » qu’il démontrait. Dans un article à écrire, on pourrait en fournir de multiples preuves. Nous aimerions pouvoir éditer la correspondance des 50 lettres conservées par Marcel Foucault de 1885 à 1907 qui démontrent tout le dévouement de l’enseignant pour son étudiant. À force de se dévouer, il sacrifiait le temps qu’il aurait dû consacrer à écrire sa thèse, qu’il porta comme un fardeau pendant 20 ans, de 1887 (au moins) à 1907. Le doyen Stapfer s’en attristait tous les ans dans ses rapports.
-
[95]
Signalons qu’Hamelin empruntait régulièrement les numéros de La Critique philosophique.
-
[96]
Les bibliothèques présentées ici apportent une foule de données qui n’ont jamais été travaillées par les spécialistes de la genèse des travaux de Durkheim, ou les spécialistes de la genèse de la sociologie tout court. Comment prétendre pénétrer l’esprit de Durkheim sans avoir lu Renouvier, Kant, Hobbes, Descartes, et, pour ses contemporains, Fouillée, Guyau, Spencer ? On doit rendre hommage ici à Paoletti (2012), l’un des rares philosophes contemporains capable de réaliser ce travail puisqu’il connaît l’œuvre de Durkheim et les philosophes. Egalement à Susan Stedman Jones et Marie-Claude Blais sur Renouvier.
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[97]
Leurs noms figurent dans notre fichier général qui contient tous les individus ayant emprunté un ouvrage à la Bibliothèque, y compris ceux non identifiés dans les dossiers administratifs des étudiants inscrits en philosophie.
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[98]
Nous avons choisi de conserver dans les tableaux les numéros des cotes pour permettre aux lecteurs qui seraient intéressés de se rendre sur le site de la BU de Bordeaux, Babord+. En outre, des options numériques permettent « de flâner » sur les étagères virtuelles, ce qui donne une idée du fonds (passé et présent) et de ses logiques de classement.
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[99]
En gras, auteurs qui correspondent à des emprunts et certainement à des cours dispensés par Durkheim.
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[100]
Rectificatif, BA n° 773, p. 973
« La méthode comparative ou expérimentation indirecte est la méthode de la preuve en sociologie. » [1]
« Il faut chercher à avoir de l’influence. » [2]
1La question de l’influence d’un enseignant sur ses étudiants est récurrente. Mais comment l’appréhender, comment la mesurer [3] ? Le plus souvent, on se situe du point de vue des étudiants qui, ayant atteint une certaine maturité et une certaine renommée, se retrouvent dans la position de raconter l’influence que put avoir sur eux tel ou tel maître. Durkheim n’échappa pas à cet usage [4]. En 1907 [5], répondant à Simon Deploige qui avait tenté un bilan de sa sociologie plutôt malveillant, il confia qu’Émile Boutroux l’avait imprégné de certains principes fondamentaux trente ans plus tôt :
Ce serait à Wundt que j’aurais emprunté la distinction que j’ai essayé d’établir entre la sociologie et la psychologie (…). Mais l’idée venait d’ailleurs. Je la dois d’abord à mon maître M. Boutroux, qui, à l’Ecole normale supérieure, nous répétait souvent que chaque science doit s’expliquer par « des principes propres » comme dit Aristote, la psychologie par des principes psychologiques, la biologie par des principes biologiques. Très pénétré de cette idée, je l’appliquai à la sociologie. Je fus confirmé dans cette méthode par la lecture de Comte. [6]
3Durkheim fit rarement de telles incises sur les influences de ses propres maîtres, qui sont des reconnaissances publiques de dettes intellectuelles [7]. On sait aussi, cette fois par un témoignage précieux livré vingt ans plus tard par l’un de ses étudiants normaliens [8] auquel il avait dû se confier jadis en privé, qu’il avait travaillé Renouvier et que cela avait contribué à former sa pensée [9]. Il avait alors conseillé à son jeune interlocuteur de choisir lui aussi un maître, quel qu’il soit, pourvu qu’il l’étudiât à fond :
Si vous voulez mûrir votre esprit, attachez-vous à l’étude scrupuleuse d’un maître, démontez un système dans ses rouages les plus secrets. C’est ce que j’ai fait, et mon éducateur fut Renouvier [10].
5Les reconnaissances de dettes abondent dans le monde intellectuel – souvent rétrospectivement : certaines sont faites post mortem. Elles permettent aux historiens des idées de retracer les filiations entre les courants et les écoles de pensées, entre les penseurs. Mais il existe d’autres méthodes – si l’on veut bien se représenter le témoignage ex post comme une méthode – pour « mesurer » l’influence d’un maître. Celle qui consiste à entrer dans l’œuvre des uns pour chercher les traces des autres n’est pas la moins usitée. Il n’est pas difficile de repérer chez un auteur les influences de ses prédécesseurs – à condition toutefois de bien les connaître toutes les deux pour les placer en vis-à-vis [11]. Cependant, la méthode n’est pas toujours fiable : nombre d’auteurs masquent les influences qu’ils ont reçues, les inversent, les contestent, les dissimulent ou les refoulent [12]. Toutes ces méthodes philologiques travaillent ex post en partant de l’œuvre publiée ; elles ne prétendent pas décrire l’influence du maître en train de se faire, pendant qu’elle s’exerce.
6Comment procéder pour repérer l’influence in vivo ? Est-ce même possible ? Les sociologues du monde contemporain ont pour eux, comme les ethnologues, la possibilité d’observer l’influence du professeur en action. Ils peuvent l’observer en classe, travailler sur l’impact du discours professoral, sur les « catégories de l’entendement professoral » [13], lire les copies des élèves et les comparer aux cours des professeurs. Les étudiants ne sont-ils pas contraints de s’imprégner des enseignements qu’ils reçoivent, étant évalués sur leur capacité à les restituer ? Mais, existe-t-il un moyen de prendre en compte l’influence d’un enseignant quand il a disparu depuis longtemps ? Comment observer l’influence au moment où elle s’exerçait ? Sur quelles traces, à partir de quelles archives travailler ?
Questions de méthode
La piste des prescriptions bibliographiques
7Les registres de prêts des bibliothèques universitaires ont la particularité de donner à voir les « bibliothèques actives ou circulantes » [14] des étudiants, en les comparant à celles de leurs maîtres. La proximité objective des bibliothèques estudiantines et professorales, fixées par le temps sur un même support matériel, rend leur étude particulièrement intéressante. Nous menons une recherche, depuis quelques années déjà, sur ceux de la bibliothèque de Lettres de Bordeaux inaugurés en 1889. La connaissance des bibliothèques des étudiants suffit à repérer la marque des professeurs : il n’est pas nécessaire de connaître les emprunts des professeurs pour mesurer leur influence [15] car les prescriptions se font en dehors de tout croisement, les professeurs ayant déjà lu les ouvrages qu’ils conseillent. Cependant, nous ne nous priverons pas de faire des excursions du côté des bibliothèques des enseignants. Elles renseignent sur la coloration de leur influence intellectuelle, sur ce que nous avons choisi d’appeler leur « marque » ; elles en disent aussi beaucoup quand on les compare entre elles.
Le corpus : la bibliothèque estudiantine
8Il est possible de connaître nommément les étudiants de Durkheim, c’est-à-dire le public de la scène inaugurale de la sociologie. Notre travail d’habilitation soutenu en 2017 consista en partie à reconstituer le public des cours de science sociale de Durkheim pendant ses quinze années bordelaises (Béra, 2014 ; 2017). Pour la plupart, ses étudiants étaient inscrits en philosophie : ils préparaient leur licence (en trois ou quatre ans, parfois davantage) ou la prestigieuse agrégation. Nous avons pu identifier cent cinquante étudiants de philosophie inscrits pendant les quinze années couvertes par la présence de Durkheim à Bordeaux [16]. Beaucoup devinrent professeurs de lycée, quelques-uns professeurs à l’université, d’autres firent carrière dans l’administration du ministère de l’Instruction publique. Beaucoup ont exercé ailleurs, on a perdu leurs traces.
Nombre d’étudiants inscrits en philosophie, emprunts en bibliothèque (Bordeaux 1887-1902)
Licence | Agrégation | Total | |
---|---|---|---|
Nombre d’étudiants identifiés administrativement | 113 | 47 | 160 |
Dont étudiants emprunteurs | 53 | 26 | 79 |
Nombre d’emprunts | 1573 | 1297 | 2870 |
Moyenne d’emprunts par étudiant emprunteur | 30 | 50 | 36 |
Nombre d’étudiants inscrits en philosophie, emprunts en bibliothèque (Bordeaux 1887-1902)
9Comme le montre ce tableau, 79 étudiants effectuèrent 2 870 emprunts entre 1889 et 1902, soit une moyenne de 36 emprunts par étudiant [17]. Plus de 42 étudiants se situèrent au-dessus de la moyenne [18]. Dans notre étude, nous avions dressé le palmarès des plus gros emprunteurs. Marcel Cachin, futur dirigeant du Parti communiste français, emprunta 171 fois en bibliothèque, se situant loin devant le plus connu des étudiants bordelais de Durkheim, Marcel Mauss (environ 80 actes) [19].
10La bibliothèque estudiantine peut être décomposée en plusieurs morceaux. Tout d’abord, la bibliothèque des étudiants de licence (notée L à partir de maintenant) n’est pas calquée sur celle des agrégatifs (notés A).
Fractionnement de la bibliothèque des étudiants en sous-bibliothèques des L et des A
Bibliothèque exclusive des agrégatifs | Bibliothèque exclusive des L | Bibliothèque des L∩A | Bibliothèque complète ou totale | |
---|---|---|---|---|
Cotes distinctes [20] | 144 | 300 | 173 | 617 |
Fractionnement de la bibliothèque des étudiants en sous-bibliothèques des L et des A
11Il faut alors distinguer quatre cas de figure : soit l’on isole les emprunts des agrégatifs, soit on isole ceux des L, soit on ne regarde que ceux qu’ils partagent, soit on considère l’ensemble. Ces distinctions s’avéreront pertinentes pour tester des hypothèses et raisonner « toutes choses égales par ailleurs », en comparant les bibliothèques entre elles. Si l’on veut caractériser les emprunts des L, il faudra les isoler puis les comparer à ceux des agrégatifs. On verra que l’opération n’est pas inutile. Les choses se compliquent si l’on veut bien tenir compte d’un fait supplémentaire : les emprunts des étudiants croisent ou non ceux de leurs enseignants. Il faut alors distinguer deux cas de figures théoriques (mais en raisonnant à l’échelle des L seuls, des A seuls, des A∩L ou des L∪A, cela débouche en réalité sur 8 cas de figure). Prenons le cas des L∪A pour comprendre le problème.
Bibliothèques des étudiants, croisées ou non avec celles des professeurs
Cas 1 : L∪A sans les enseignants | Cas 2 : L∪A avec les enseignants | Cas 3 : Total (avec et sans les enseignants) | |
---|---|---|---|
Cotes distinctes | 367 | 250 | 617 |
Bibliothèques des étudiants, croisées ou non avec celles des professeurs
12De deux choses l’une : soit les étudiants empruntent des ouvrages qui ne sont empruntés par aucun enseignant ; soit ils empruntent des ouvrages également empruntés par leurs enseignants. La différence est-elle importante ? Dans un premier temps, on laissera de côté cette distinction, considérant que ce qui compte, c’est ce que les étudiants empruntent, avec ou sans leurs enseignants. En effet, les traces de l’influence bibliographique des professeurs ne peuvent être retrouvées que dans les emprunts des étudiants, sans se demander si les professeurs ont aussi emprunté ces ouvrages [21]. C’est seulement dans un second temps (la seconde partie de l’article) que nous regarderons de plus près les emprunts des professeurs en considérant ceux de leurs emprunts qui chevauchent (ou pas) ceux des étudiants.
Corpus secondaire : les bibliothèques des enseignants de philosophie
13Que se passe-t-il du côté des enseignants ? Il est important de savoir que depuis la rentrée 1887, ils étaient trois (au lieu de deux auparavant). Il y avait d’abord Alfred Espinas, nommé à Bordeaux en 1879, devenu doyen depuis 1887 (élu pour trois ans à cette fonction) [22], qui était le plus ancien arrivé. Il succédait à Louis Liard qui avait commencé sa carrière universitaire à Bordeaux avant d’être nommé dans l’administration (et il garda pour la Faculté de Bordeaux une affection toute particulière). Il y avait ensuite Octave Hamelin, nommé maître de conférences à Bordeaux en 1884 [23], un an après avoir obtenu son agrégation en candidat externe. On trouvait enfin Durkheim [24], nommé à titre provisoire « chargé de cours » à la rentrée 1887, charge renouvelable chaque année jusque sa titularisation définitive en 1896 à la chaire de science sociale. Hamelin et Durkheim devaient être confirmés, chaque année, à leurs postes par le Ministère [25]. Quand Espinas fut élu à la chaire d’économie sociale de la Sorbonne (1893), l’équipe bordelaise fut recomposée : vint se joindre Georges Rodier en remplacement [26], et ceci jusqu’au départ de Durkheim à la Sorbonne en 1902 [27]. Celui-ci fut, on le sait, remplacé par Gaston Richard.
14Le volume d’ouvrages empruntés par chaque enseignant – nous n’avons pas retenu les périodiques et les thèses [28] – était bien plus important que celui des étudiants. À eux quatre, ils empruntèrent la moitié du volume emprunté par 80 étudiants.
Emprunts d’ouvrages des enseignants de philosophie (Bordeaux, 1889-1902) [29]
Espinas (1889-1893) | Hamelin (1889-1902) | Durkheim (1889-1902) | Rodier (1893-1902) | Total (1889-1902) | |
---|---|---|---|---|---|
Nombre d’emprunts | 77 | 589 | 338 | 541 | 1545 |
Emprunts moyens par an | 19 | 45 | 26 | 64 | |
Auteurs | 57 | 227 | 153 | 224 | |
cotes distinctes | 69 | 349 | 224 | 226 | 1128 |
Emprunts d’ouvrages des enseignants de philosophie (Bordeaux, 1889-1902) [29]
15En termes d’emprunts, Espinas se situe très en deçà de ses collègues, en partie parce que son activité en bibliothèque n’a été enregistrée que durant quatre années (1889-90, 1890-91, 1891-92, 1892-93). Avec 77 emprunts, il se situe très loin des 541 emprunts de Rodier sur neuf ans. Les moyennes annuelles parlent d’elles-mêmes : elles vont du simple au triple. De son côté, Hamelin affiche également un grand nombre d’emprunts (589). Cependant, la dimension quantitative de ces données ne constitue que la surface de ce que nous souhaitons analyser, à savoir le contenu de ce qui a circulé (auteurs et ouvrages). Elle donne néanmoins une indication sur l’étendue des données qui ont dû être traitées pour dégager quelques éléments de réponse à notre questionnement sur l’influence bibliographique (et intellectuelle) d’un maître sur ses élèves. Il a fallu brasser des centaines de données pour mettre en évidence les quelques résultats qui révèlent les statistiques, à condition de passer celles-ci au tamis de l’analyse.
Méthode et plan de l’étude
16Face à cette masse de données et face aux questions qu’elles soulèvent (que cet article ne saurait épuiser), nous avons choisi de procéder en deux temps. Nous allons d’abord étudier la bibliothèque estudiantine pour tenter d’y déceler la « marque de Durkheim », sur laquelle nous avons forcément ex ante quelques idées bien précises [30]. On tentera dans un second temps de prendre le problème par un autre bout, en partant des bibliothèques des enseignants, dans le but d’éprouver l’hypothèse d’une influence durkheimienne spécifique, c’est-à-dire non mêlée à celle de ses collègues. Peut-être que « la marque durkheimienne », en effet, n’est pas aussi nette qu’elle n’y paraît parfois au premier abord, ayant eu à subir (au moins) une triple surdétermination verticale, horizontale et générale :
17Hiérarchiquement et verticalement (si l’on peut dire), cette marque est surdéterminée par les programmes nationaux des concours. Ainsi, si Kant est le premier auteur lu (ou emprunté) par les étudiants, si ce sont ses ouvrages qui circulent plus que les autres dans et hors les murs de la bibliothèque, il faut se garder de l’attribuer au goût de Durkheim pour ce philosophe, bien qu’il soit réel. Kant est au programme des étudiants de philosophie depuis longtemps, jusqu’à aujourd’hui. Il faut donc admettre que les étudiants auraient lu Kant même s’ils n’avaient pas eu Durkheim comme enseignant ; on ne peut donc pas parler d’une influence spéciale ici [31].
18Horizontalement, il existe une surdétermination impliquée par la présence des autres professeurs de philosophie. Ainsi, attribuer les emprunts de Spencer à la seule influence de Durkheim paraît raisonnable quand on connaît son appétence pour le « sociologue » anglais : n’est-il pas l’auteur le plus référencé de sa thèse, sans parler du fait qu’il l’emprunte régulièrement ? Mais que dire alors de l’influence du professeur Espinas qui, en relation avec Ribot, traduisit Spencer une décennie auparavant ? Il ne faut pas oublier que la soutenance de sa thèse à la Sorbonne (Des sociétés animales : étude de psychologie comparée, 1877) donna lieu à un débat, précisément parce qu’on lui avait reproché de s’appuyer sur Spencer qui n’était pas en odeur de sainteté chez les spiritualistes. Le jury lui demanda même de ne pas publier son introduction, dans laquelle il lui rendait un hommage trop appuyé. Sachant cela, il est sans doute exagéré d’attribuer à la seule influence de Durkheim la lecture de Spencer par les étudiants de Bordeaux [32]. Il faudra donc concevoir une méthode qui permette d’attribuer à chaque enseignant une influence spécifique. C’est l’un des enjeux méthodologiques de cet article.
19Il existe enfin une surdétermination générale due à la nature du fonds de la Bibliothèque universitaire de Bordeaux. Le fonds n’était ni sociologique, ni anthropologique, ni ethnologique, puisque ces disciplines émergentes ne débouchaient sur aucune filières universitaires. Les bibliothèques universitaires possédaient, par contre, fort logiquement, des collections associées aux disciplines enseignées. Les enseignants pouvaient bien formuler des demandes d’acquisition qui sortaient des cadres établis – ce que fit Durkheim à de nombreuses occasions [33] – mais cela ne put influencer les emprunts des étudiants qu’à la marge, tant que ceux-ci ne trouvèrent pas d’intérêts bien compris à lire et emprunter des auteurs demeurant « hors programme ». On se rend compte en outre que la « bibliothèque de recherche » des enseignants ne croise que très peu leur « bibliothèque pédagogique », c’est-à-dire celle qui est susceptible d’intéresser les étudiants qui la partagent. C’était le cas alors, et ça l’est encore aujourd’hui [34]. Ainsi, une immense partie des lectures de Durkheim associées à ses investigations pointues, telles qu’on peut les repérer dans les bibliographies de ses ouvrages ou dans ses 500 emprunts bordelais [35], n’est pas reprise par ses étudiants, car elle ne correspondait à aucun enseignement ; en outre, les étudiants n’éprouvent pas la nécessité d’accompagner chacun de leurs enseignants dans les méandres de leurs recherches. Plutôt que !
20On le voit, la difficulté méthodologique est grande : il faudra trouver un moyen d’isoler le « précipité durkheimien », tel qu’on peut le recueillir dans les bibliothèques étudiantes, très souvent à l’état de résidu ; il faudra retrouver la « coloration durkheimienne » [36] parmi des centaines d’emprunts, sans la confondre avec celle du programme national ou celle des autres professeurs. L’affaire n’est pas simple. Il n’est pourtant pas impossible de tenter des solutions, on le verra.
Première partie : la marque de Durkheim telle qu’on peut l’observer dans les bibliothèques estudiantines
21Partons de la bibliothèque des étudiants qui constituera, on a expliqué pourquoi, notre corpus de référence. Nous allons commencer par étudier la bibliothèque des agrégatifs après l’avoir extraite de l’ensemble. On va voir qu’il sera ensuite possible de l’éliminer de notre corpus puisqu’elle ne comporte quasiment aucune marque de Durkheim.
Du côté des agrégatifs
22Un premier constat s’impose : l’immense majorité des emprunts des agrégatifs est philosophique. On peut le comprendre : c’est le résultat direct de la contrainte institutionnelle qui pesait sur eux, y compris sur ceux qui étaient les plus désireux d’approfondir leur connaissance en science sociale sous la direction de Durkheim [38]. Le principe de réalité était plus fort : il leur fallait avant tout lire et assimiler les classiques grecs (Aristote, Platon), latins (Tacite, Diogène…), se familiariser avec les philosophes « modernes » (Descartes, Leibniz, Spinoza), avec la philosophie allemande du xviiie siècle (Kant en tête) ou anglaise (Hume). Pour ce faire, ils lisaient les auteurs dans le texte ou ils s’imprégnaient de leurs idées dans les manuels de philosophie qui étaient à leur disposition. Ces manuels rencontraient, comme aujourd’hui, un franc succès et offraient à certains de leurs auteurs une place prééminente dans les flux d’emprunts des étudiants. On pense aux ouvrages de Renouvier, Weber, Fischer, Zeller, Ritter (voir annexe 1). Ils offraient l’avantage de mettre à la disposition des étudiants forcément pressés des fresques historiques, des monographies sur un classique, un courant, voire une œuvre : Ravaisson sur Aristote, Liard sur la métaphysique, Janet et Séailles sur la philosophie générale, Mill sur Hamilton, etc. Il n’était pas inutile non plus, comme on le voit dans la liste des ouvrages de la bibliothèque des agrégatifs, de connaître les ouvrages des professeurs qui siégeaient au jury d’agrégation (Brochard, Janet, Ravaisson…). Un collègue historien de Durkheim, Ernest Denis, souleva la question du concours d’agrégation à la séance du 23 février 1888 de l’assemblée des professeurs [39] :
Son organisation [de l’agrégation] est funeste [40] pour les professeurs et les étudiants. Pour les professeurs, les nécessités de leur enseignement les forcent à préparer un programme au détriment de leur travail personnel. Pour les étudiants, l’examen est vague et trop général. Pour réussir, il ne faut pas des connaissances approfondies, mais un certain tour de main. Les étudiants font des études de manuel et multiplient les impasses. Ils ne suivent pas les cours et font du manuel.
24« Faire du manuel », telle était semble-t-il la pratique dominante des agrégatifs pendant leurs années de préparation au concours. Quant à l’intérêt des étudiants pour « la science sociale » [41], il est quasiment impossible à repérer par leurs emprunts ; les agrégatifs étaient accaparés par la préparation des auteurs au programme. Que Durkheim fasse cours sur Aristote leur convenait parfaitement – et peu importe qu’il ait été aussi l’introducteur de la science sociale à l’Université : les étudiants n’étaient pas venus pour cela et ils n’en avaient pas forcément conscience. Ce qui était un enjeu de carrière et cognitif pour Durkheim ne l’était pas pour eux : tant que la sociologie n’était pas au concours, inutile de la lire et de l’approfondir outre-mesure. En revanche, quand les agrégatifs prenaient le risque de s’éloigner des auteurs philosophes au concours, cela risquait de compromettre leur réussite en les éparpillant [42].
25La bibliothèque des agrégatifs est donc parfaitement corrélée avec les auteurs au programme du concours [43]. Cela nous amène à chercher ailleurs ce que put être « la marque de Durkheim ». On s’intéresse en effet à la « bibliothèque » qui put être transmise à ses étudiants par l’introducteur de la sociologie, par-delà les auteurs de philosophie qu’ils auraient lus de toute façon (on ne cherche pas non plus à connaître la bibliothèque philosophique spécifique de Durkheim) [44]. Celle qui nous importe le plus de découvrir, c’est celle de « l’inventeur » de la sociologie, celle de celui qui dispensa les premiers cours de sociologie en France entre 1887 et 1902. [45]
26Que penser, cependant, de la présence de Renouvier en seconde position des emprunts d’auteurs (annexe 1), alors qu’il n’apparaît qu’une seule fois au programme de l’agrégation, en 1892 – et il y a fort à parier que la présence de Durkheim au jury du concours en 1890 et 1891 n’y ait pas été pour rien. Il est le philosophe contemporain le plus emprunté par les agrégatifs, juste derrière Zeller et sa Philosophie des Grecs (en allemand). Il a été sorti de la bibliothèque par les étudiants de presque toutes les promotions entre 1889 et 1902. L’ouvrage de Renouvier Esquisse d’une classification des doctrines philosophiques a sans doute circulé parce qu’il proposait une vision panoramique. Une monographie serait d’ailleurs nécessaire pour étudier à fond la « carrière » des ouvrages de Renouvier dans la bibliothèque de Bordeaux, tant il y joua un rôle de premier ordre. Rappelons le principal : il était très bien connu de Durkheim qui le lisait depuis sa troisième année à l’ENS [46]. Mais il y a plus : Hamelin en fit le sujet de sa thèse [47]. Il y a donc eu un « effet Bordeaux », dû à l’affinité particulière des enseignants de cette Faculté pour ce philosophe. Hamelin et Durkheim s’y référaient fréquemment pour des raisons spécifiques – sans parler des attentes du jury d’agrégation qui étaient fortes en matière de « renouviérisme ».
27Finalement, on remarque très peu d’éléments de ce qui pourrait être assimilable à « la marque de Durkheim » dans cette liste d’ouvrages des agrégatifs. On peut certes signaler Claude Bernard (Introduction à la méthode expérimentale) et Auguste Comte (Philosophie positive, au programme de l’agrégation de philosophie en 1891-92). Mais il faudrait aussitôt remarquer qu’ils furent empruntés par quatre lecteurs en 13 ans ! Force est de constater qu’en dehors de ces traces – il s’agit bien de cela – on ne trouve aucune escapade en dehors des sentiers battus du concours [48].
Du côté de la bibliothèque partagée des étudiants de licence et des agrégatifs [49]
28Les agrégatifs, on l’a vu, ont une bibliothèque qui peut être décomposée en plusieurs parties. L’une d’entre elles réunit les ouvrages qu’ils partagent avec au moins un étudiant de licence [50]. Cette bibliothèque commune est légèrement plus étendue que la précédente (173 cotes distinctes au lieu de 144). Elle est également plus « active » en ce sens que les fréquences élevées y sont plus courantes – ceci s’explique par le fait que le nombre d’étudiants concernés y est plus grand : il s’agit cette fois d’un corpus qui concerne potentiellement l’ensemble des étudiants actifs en bibliothèque [51] (et non plus seulement les agrégatifs). On atteint des scores relativement élevés dans la colonne des lecteurs (annexe 2) : 15 lecteurs (professeurs inclus) pour Leibniz, Spencer, Taine, Kant, etc. Ce qui nous intéresse plus nettement cette fois, c’est que les auteurs au programme du concours d’agrégation ne sont plus seuls en cause : les étudiants de L étant de la partie, ils n’étaient pas encore concernés par cette échéance et étaient amenés à découvrir, avec les agrégatifs qui le souhaitaient, des auteurs choisis par l’équipe pédagogique locale [52]. Si les étudiants de L peuvent avoir été orientés par anticipation vers les futurs auteurs au concours d’agrégation, il se jouait parallèlement des logiques spécifiques qui nous situent en dehors du seul concours national et qui peuvent, dès lors, nous diriger davantage vers ce qui ressemblerait à la « marque de Durkheim », chargé d’enseigner la science sociale aux étudiants de L [53].
29Tournons-nous malgré tout d’abord du côté des philosophes. On remarque que si Leibniz est au concours de l’agrégation (en 1889, 1891, 1893 [54]), il est aussi emprunté par les étudiants de L : 8 lecteurs pour Die Philosophie Schriften, 5 pour Opera, 8 pour les Œuvres. C’est la preuve que ce philosophe était considéré par les professeurs comme un auteur à maîtriser dès la licence, qu’il faisait partie de la culture générale des apprentis philosophes. Plus marquée est, à nouveau, la présence de Renouvier. On voit qu’il apparaît cette fois-ci à plusieurs reprises. Les emprunts de son Manuel de philosophie moderne (6L et 3A), de sa Science de la morale (5L et 3A), de son Essai de classification (3L et 2A), de son Essai de critique générale (4L et 1A), démontrent s’il en était besoin qu’il faisait bien partie des auteurs portant la « marque de Durkheim », mais aussi la « marque d’Hamelin », voire « la marque de Rodier » [55].
30L’un des enseignements de cette recherche, et qui demanderait de plus amples développements, concerne les auteurs et ouvrages de psychologie qu’on retrouve de manière récurrente. Très appréciés par Durkheim, ils étaient aussi abondamment repris par de nombreux étudiants. On peut donc supposer que sa marque, paradoxalement, dut s’exercer via cette discipline, par où – avouons-le – nous ne l’attendions pas vraiment, étant donné ce qu’il écrivit pour démarquer la sociologie naissante de la psychologie. Pourtant, les explications abondent quand on veut bien y réfléchir un instant. Il faut d’abord se souvenir que Durkheim a très tôt suivi les développements de la psychologie expérimentale qu’il admirait : sa lecture de Ribot intervient au début de sa troisième année de l’ENS en 1881-1882 [56]. Ribot était alors un propagateur vigoureux et talentueux de la psychologie expérimentale émergente [57]. Fustel de Coulanges, directeur de l’ENS, nota la forte appétence du jeune étudiant Durkheim pour la psychologie, au point que l’on trouve cette appréciation de fin d’étude dans son dossier, pour le moins explicite :
Excellent élève, esprit très vigoureux, à la fois juste et original, et d’une maturité remarquable. Il a une véritable aptitude pour les études de philosophie, surtout de psychologie [58].
32En outre, il se trouve que Durkheim fut un « protégé » de Ribot qui accueillit ses premiers articles et notes de lectures dans la Revue philosophique fondée en 1876 [59] dès 1885. Il est probable que Ribot vanta les mérites de ce jeune agrégé auprès de Félix Alcan, futur éditeur de Durkheim [60], et de Liard, directeur de l’enseignement supérieur, qui l’envoya en Allemagne en 1886 pour enquêter sur l’enseignement de la science sociale outre-Rhin, avec une lettre de recommandation de Ribot qui connaissait Wundt [61]. Durkheim a toujours considéré que la psychologie expérimentale constituait un modèle de scientificité dont la sociologie devait s’inspirer – et se démarquer [62]. Quand il prépara ses cours de Bordeaux sur le crime (1892) ou le suicide (1890), il lut toujours les psychologues ou les psychiatres, comme Maudsley (Crime et folie) ou Lombroso qui était docteur et psychiatrie. Il consulta un ensemble d’ouvrages écrits par des docteurs en psychiatrie, très présents dans la bibliographie du Suicide, qu’il pouvait emprunter à la bibliothèque de médecine de Bordeaux. On sait également qu’il a choisi d’assurer le cours de psychologie qui se libérait avec le départ d’Espinas, laissant au jeune Rodier le cours de pédagogie, et cela jusque sa titularisation en 1896 [63]. On ne connaît pas le contenu de ses cours de psychologie, mais on peut s’en faire une idée en notant les titres des auteurs et ouvrages empruntés à l’occasion (Béra, 2014), qu’on retrouve souvent dans la bibliothèque des étudiants. Exemple parmi d’autres : De l’intelligence de Taine [64] qui avait à l’époque le statut de manuel de psychologie (cet auteur polyvalent avait encouragé la carrière de Ribot).
33L’analyse comparée des contenus psychologiques de la bibliothèque des LA (annexe 4) et de la bibliothèque des L (sans les agrégatifs) montre bien que Durkheim accueillait un public mixte à ses cours de psychologie. Visiblement, les agrégatifs y allaient pour en apprendre davantage sur la psychologie, estimant sans doute que cela leur serait profitable pour le concours – la psychologie faisant partie de la culture philosophique générale. Quant aux L, il y a fort à parier qu’ils pouvaient miser sur des oraux de psychologie qui se jouaient en contrebande sous la bannière « science sociale » associée à Durkheim ? [65]
La psychologie dans la bibliothèque croisée des L et des A (extrait de l’annexe 4) [66]
La psychologie dans la bibliothèque croisée des L et des A (extrait de l’annexe 4) [66]
La psychologie dans la bibliothèque des L sans les A (avec ou sans les universitaires) (extrait de l’annexe 3)
Freq | Auteur | nb.promo | nb.lecteur | profs |
---|---|---|---|---|
10 | GARNIER, Traité des facultés de l’âme | 4 | 3 | 0 |
9 | RIBOT, Psychologie allemande contemporaine, 1879 | 6 | 6 | DURK |
8 | FOUILLÉE, Psychologie des idées forces | 3 | 2 | HAME |
6 | ROBERT, De la certitude et de la forme récente du scepticisme | 2 | 2 | 0 |
6 | RIBOT, Les maladies de la mémoire, 1881 | 2 | 3 | DURK |
6 | CHAIGNET, Essai sur la psychologie d’Aristote, 1883 | 5 | 4 | RODI |
La psychologie dans la bibliothèque des L sans les A (avec ou sans les universitaires) (extrait de l’annexe 3)
34On constate que dans la dernière colonne de droite des tableaux 5 et 6, le nom de Durkheim est souvent associé aux emprunts d’étudiants (même si, on l’a dit, ce fait n’est pas en soi fondamental) [67]. Par d’autres sources, on sait que l’influence de Durkheim a pu peser lourdement sur le destin de tel ou tel. On pense à Marcel Foucault [68] qui échangea une importante correspondance (encore inédite) avec Espinas, Durkheim et Hamelin, ses « trois maîtres de Bordeaux » (dédicace de sa thèse) et qui réalisa, sur leurs conseils, une thèse de psychophysique, avant d’obtenir un poste de psychologie à Montpellier en 1906, grâce à Durkheim et Hamelin [69]. Notons qu’Hamelin et Rodier qui ont aussi dispensé des cours dans ce domaine, sont parfois associés aux emprunts de psychologie. Durkheim n’avait donc pas l’exclusive des lectures psychologiques des étudiants de Bordeaux et il n’était sans doute pas le seul prescripteur en la matière. Les quatre professeurs agrégés de philosophie devaient tous enseigner la psychologie, discipline sous dépendance de la philosophie dont elle émane institutionnellement sous des formes métaphysiques et spiritualistes (avec des auteurs comme Malebranche, Maine du Biran), ou empiristes (Hume, Hamilton, Mill). On y pense moins quand il s’agissait de la psychologie expérimentale (Taine, Ribot, Wundt, Delbœuf, etc. [70]).
Du côté des étudiants de licence, seuls (n=300, annexe 3)
35Quelques manipulations statistiques permettent de constater que l’influence bibliographique – et intellectuelle – de Durkheim fut nettement plus marquée sur les étudiants de L que sur les agrégatifs, si l’on en juge par les emprunts respectifs des uns et des autres. On a vu que les agrégatifs se concentraient sur les philosophes au concours [71]. On a ensuite constaté que les agrégatifs, dès lors qu’ils étaient associés à au moins un étudiant de L – ou réciproquement, comme on voudra se représenter la chose – portaient plus fortement la marque des professeurs locaux puisque ces derniers étaient libres d’imposer leurs auteurs au programme de la licence. Le phénomène est encore accentué avec les emprunts des étudiants de L auxquels on a soustrait les emprunts des agrégatifs. Cette fois, la marque de Durkheim apparaît de manière bien plus nette.
36L’influence de Durkheim – et de la science sociale qu’il portait officiellement dans la Faculté de lettres de Bordeaux depuis 1887– était limitée par sa position institutionnelle, fragile et spécifique. Il faut se souvenir que Durkheim demeurait d’abord et avant tout un enseignant de philosophie. La matrice de son public était constituée presque exclusivement d’apprentis philosophes. Cela impliquait qu’il avait devant lui des étudiants préoccupés par les auteurs au programme de philosophie de l’agrégation (dans lesquels la sociologie occupait une position marginale, voire inexistante [72]) et de la licence. Pour cette dernière, la sociologie a pu occuper davantage de place, étant donné que les oraux d’admission autorisaient à choisir le cours de « science sociale » en option parmi d’autres matières ou disciplines [73].
37Quand cette influence sociologique s’exerçait, elle passait par des auteurs qui répondaient à deux exigences : être relativement « à la mode » [74] et être généralistes. On peut considérer que Spencer, Taine, Renan, Mill, Comte dans les années 1870, puis Fouillée, Guyau ou Ribot depuis les années 1880 et 1890, répondaient à cette double exigence. Tous étaient plutôt « populaires » (ils se vendaient bien) et prolifiques (ils avaient publié de nombreux ouvrages). Ces auteurs philosophes amenaient leurs lecteurs vers d’autres contrées qu’ils leur faisaient découvrir : l’histoire (avec Taine, Comte), l’esthétique (Taine, Guyau), la morale (Comte, Spencer), l’éducation (Spencer, Guyau, Mill), la psychologie (Spencer, Taine, Ribot, Fouillée, Mill), ou encore la science sociale au sens large (Spencer, Fouillée, Tarde…).
Fiche de l’étudiant Albert Léon présentant les options à choisir pour les oraux d’admission à l’examen de licence
Fiche de l’étudiant Albert Léon présentant les options à choisir pour les oraux d’admission à l’examen de licence
38Quand on met en regard les cours de science sociale, leur bibliographie telle qu’on peut la reconstituer (BÉRA, 2014), et les emprunts des étudiants, force est de constater que la sociologie ne trouve pas beaucoup de lecteurs. En ce sens, la bibliographie sociologique des étudiants de Bordeaux est plutôt modeste – c’est une litote. On travaille ici sur des traces, des poches, dont la taille est surdéterminée par le fonds de la Bibliothèque – mais pas seulement. Si l’on consulte à la fois la bibliothèque des LA (sans les universitaires) (n=367) et celle qu’ils partagent avec les universitaires (n=251), qui trouve-t-on parmi les « sociologues » philosophes de la morale qui aient pu être prescrits par Durkheim ? Fouillée put être mobilisée par son Système de morale contemporaine (6 emprunteurs), ainsi que Guyau et son Irreligion de l’avenir (10 emprunteurs), sa Morale anglaise (9 lecteurs). Ces deux philosophes prolixes étaient très bien connus de Durkheim qui les lisait depuis longtemps. Il les appréciait certainement parce qu’ils s’occupaient de questions morales. On trouve aussi des traces de prescriptions d’autres ouvrages de Fouillée, comme La propriété sociale et la démocratie, repris par quelques étudiants, ou L’idée moderne du droit en Allemagne, que Durkheim mobilisa visiblement pour ses cours de « Physique générale du droit et des mœurs ». On peut constater que Tarde, qu’il s’agisse Des lois de l’imitation ou de la Logique du social, fut emprunté seulement par 5 étudiants différents. Jamais les étudiants n’empruntèrent sa Criminalité comparée référencée dans le cours de 1892 de sociologie criminelle [75]. Que dire des juristes mobilisés dans les fresques d’histoire du droit pénal (on pense à Thonissen), des criminalistes et des pénalistes, des historiens du droit si nombreux à être référencés par Durkheim dans ses cours sur la solidarité, le suicide, le crime, la famille et la religion ? Aucun, strictement aucun, n’est emprunté par les étudiants qui se gardaient bien de les sortir de la Bibliothèque pour les lire tranquillement.
39Attardons-nous un instant sur Spencer, auteur le plus référencé par le « premier Durkheim », celui d’avant cette fameuse « révélation » qui fit basculer ses études vers la religion en 1894. On ne peut que constater une chose : il est l’auteur par lequel l’influence de Durkheim put s’exercer. Mais attention : Hamelin, comme on le voit dans l’annexe 5, est également prescripteur, sans doute pour des raisons différentes.
40En soi, cette « découverte » n’a rien de surprenant : c’est par Spencer et ses nombreux ouvrages que la sociologie se diffusa en France à partir de ses traductions en 1870. En outre, Spencer fit quelques apparitions au programme de l’agrégation, il eut aussi sans doute une position de choix au programme de la licence. Les enseignants avaient tout le loisir de le prescrire abondamment afin de développer et discuter les thèmes aussi divers que la psychologie, la pédagogie, l’histoire des idées, la philosophie générale, la philosophie morale, voire la sociologie que cet auteur abordait. Spencer était un auteur polyvalent, mobilisable sur toutes sortes de questions.
41Comme nous le montrent l’annexe 5 et le tableau 7 ci-dessous, Spencer a circulé par le biais de 11 ouvrages distincts auprès de 77 étudiants (en cumulé). Certains emprunts d’étudiants ne sont associés à aucun enseignant (dernière ligne du tableau), tandis que d’autres sont reliés à telle ou telle combinaison professorale. On voit que Durkheim n’est pas le seul à emprunter Spencer : tous les enseignants (sauf Espinas qui le traduisit et en possédait certainement tous les exemplaires) sont de la partie. On peut noter la spécificité des orientations des enseignants en fonction des ouvrages auxquels ils sont associés. On y reviendra dans la seconde partie où nous explorons les bibliothèques des professeurs.
La circulation des ouvrages de Spencer
Combinaisons | Titres des ouvrages | Nombre d’étudiants associés |
---|---|---|
LA + Hamelin + Durkheim + Rodier | Principes de psychologie | 16 |
LA + Hamelin + Durkheim | Les bases de la morale évolutionniste | 9 |
LA + Hamelin | Les premiers principes ; L’individu contre l’État ; Essais de morale de science et d’esthétique | 16+ 8 + 3 =27 |
LA + Durkheim | La morale des différents peuples et la morale personnelle ; Introduction à la science sociale ; Classification des sciences ; Principes de sociologie | 4 + 1 +9+2 = 16 |
LA | Principes de biologie ; De l’éducation intellectuelle, morale et physique | 4 +5 = 9 |
5 | 11 | 77 |
La circulation des ouvrages de Spencer
42Les spécialistes de l’anthropologie, des sciences religieuses, par où Durkheim mena ses recherches sur les origines de la religion [76], ceux vers qui il se tourna à partir de 1893, par lesquels sa « révélation » se manifesta, ne sont presque pas empruntés par ses étudiants. Ceux-ci se contentaient visiblement de travailler leurs notes de cours, sans les approfondir avec des lectures supplémentaires – usage qui ne nous surprend guère au regard de notre expérience d’étudiant, et d’enseignant [77]. Des auteurs tels que Réville, Tylor, Wundt, qui apparaissent dans les emprunts de Durkheim [78], ont quasiment disparu quand on les cherche dans la bibliothèque des étudiants. Le mécanisme est simple : plus on s’éloigne de la bibliothèque pédagogique des enseignants, celle qu’ils partagent avec les étudiants pour les auteurs au programme, plus on se rapproche de leur bibliothèque de recherche (voir le tableau suivant).
43Voici la liste des auteurs de la bibliothèque de recherche de Durkheim, associée au nombre d’étudiants qu’il a pu entraîner avec lui : Barthélémy Saint-Hilaire sur le Bouddha (aucun étudiant) ; Boucher Leclercq sur les institutions romaines (1 étudiant) ; Caro sur l’idée de Dieu (2) ; De Harlez sur Avesta, le livre sacré du Zoroastrisme (1) ; Fustel de Coulanges sur la Cité antique (6 : c’est le score le plus élevé) ; Girard sur le sentiment religieux (1) ; Haeckel sur l’histoire des êtres inorganisés (1), le transformisme (1) et sa psychologie (1) : Hanoteau sur la Kabylie (aucun) ; Hassoulier (aucun) ; Havet sur le christianisme (1) ; Imanna Steneeg sur le droit ancien (aucun) ; Lubbock sur l’homme avant l’histoire (aucun) ; Odlenberg sur le Boudda (aucun) ; Pauthier sur les livres de l’Orient (aucun) ; Renan sur l’Antéchrist (2), Tylor sur la civilisation primitive (aucun) ; Réville sur la religion des peuples non civilisés (1) ; Waitz sur l’anthropologie des « Naturwölker » (aucun), Wilda sur le droit ancien (1).
44On le voit, la moisson est mince. Durkheim n’entraînait pas derrière lui beaucoup d’étudiants dans les contrées qu’il emprunta lui-même à partir de 1894.
Bilan d’étape
45Résumons donc les résultats obtenus : la marque de Durkheim s’exerce d’abord en psychologie ; elle est assez modeste en sociologie (ou science sociale), sauf par l’intermédiaire de Spencer, très présent, ou de quelques philosophes polyvalents comme Fouillée et Guyau. Quant à la « science sociale » à l’avant-garde des recherches de Durkheim sur la religion, tournée vers l’anthropologie (au sens contemporain) ou les sciences des religions, elle ne trouve quasiment aucune trace chez les étudiants. Si l’influence intellectuelle de Durkheim put s’exercer, on ne peut plus la mesurer à l’aide de cet outil. Notre radar n’est plus assez puissant.
Seconde partie : recherche de la marque de Durkheim en partant des bibliothèques des enseignants
46À présent que nous avons obtenu quelques éclairages sur la bibliothèque des étudiants, en séparant les L et les A, ou en les distinguant selon qu’ils aient ou non partagé leurs emprunts avec les enseignants, prenons le problème par l’autre bout en partant des bibliothèques des quatre enseignants. Ainsi, nous pourrons confirmer ou infirmer, voire préciser, certaines tendances repérées.
47Quelques mots d’abord sur notre mode opératoire. À chaque enseignant peuvent être associées quatre bibliothèques distinctes complémentaires (tableau 8) [79]. Le schéma général est valable pour chaque enseignant, ce qui donne 16 possibilités théoriques (auxquelles s’ajoute la bibliothèque des L-A sans intersection avec les enseignants).
Les 16 bibliothèques possibles des quatre enseignants
Les 16 bibliothèques possibles des quatre enseignants
48Voici ce qui se passe pour chaque enseignant : soit l’enseignant partage ses emprunts avec des étudiants (cas 1 et 2), soit il n’en partage aucun avec eux (cas 3 et 4). Dès lors que les emprunts sont partagés avec (au moins) un étudiant, on peut considérer qu’on rentre dans le cadre de ce qu’on appelle la « bibliothèque pédagogique » d’un enseignant, c’est-à-dire celle qui signale la marque de son métier d’enseignant. Examinons les cas un à un.
49Dans le cas 1, l’enseignant est seul, c’est-à-dire sans collègue, à partager des références bibliographiques avec des étudiants. Cette partie de sa bibliothèque est particulièrement intéressante à analyser parce qu’elle isole les influences bibliographiques de chaque membre de l’équipe pédagogique. On l’analysera attentivement pour Durkheim. En ce qui le concerne, il a partagé 47 ouvrages qui spécifient ce que put être sa « marque », telle qu’elle se manifesta à la fois à l’état de traces et à l’état pur, en cela qu’elle n’était « contaminée » par l’influence apparente d’aucun autre enseignant.
50Dans le cas 2, l’enseignant partage des emprunts avec au moins un collègue et au moins un étudiant. Ce bloc représente 20% des ouvrages empruntés par Durkheim. Il n’est pas possible alors d’extraire la marque qui lui est propre, puisqu’elle est partagée.
51Dans le cas 3, il n’y a ni étudiant ni collègue associés aux emprunts de l’enseignant, qui se retrouve seul. C’est pour cela que nous avons appelé cette configuration la « bibliothèque personnelle de recherche ». Elle pourrait donner lieu à des analyses poussées, comparées les unes aux autres, pour caractériser les domaines d’investigation des enseignants. Cet article n’est pas le lieu pour en parler dans la mesure où nous privilégions les cas 1 et 2 qui associent des étudiants à leurs professeurs.
52La dernière configuration (cas 4), qu’on a intitulée « bibliothèque enseignante », déboucherait aussi sur des recherches visant par exemple à repérer les affinités intellectuelles entre tel et tel collègue – le lien entre Hamelin et Durkheim trouverait ici un domaine d’étude. Mais ce n’est pas non plus le sujet de cet article.
Du côté de Durkheim
53Si l’on se fixe sur la ligne du tableau qui concerne Durkheim, comparée à celles de ses collègues, on constate qu’il croisa ses emprunts avec un étudiant dans 40% des cas, et donc avec aucun étudiant dans 60% des cas. En cela, il était proche d’Hamelin (43%) et de Rodier (37%). Espinas se distingue en se montrant beaucoup moins prescripteur et proche de ses étudiants : seulement 27% de sa bibliothèque d’emprunts a été partagée avec au moins un étudiant et 57% n’a été partagée avec aucun étudiant, ni aucun collègue.
54Il s’agit ensuite de distinguer, parmi les influences ou les marques de chaque professeur, celle qui fut la plus clairement signée Durkheim. Pour cela, il n’existe pas d’autre solution que de caractériser séparément les influences des quatre enseignants, en les comparant les unes avec les autres. On cherchera à vérifier les accointances spécifiques entre les bibliothèques de Durkheim et celles des étudiants étudiés en première partie.
55Il est très intéressant de connaître les ouvrages qui ont été partagés entre les étudiants et seulement avec Durkheim [80]. Si l’on observe ce qui se passe avec les Principes de sociologie de Spencer, que Durkheim est le seul à avoir partagé avec eux, on remarque que cet ouvrage a été emprunté 17 fois en 13 ans (1889-1902), qu’il a été sorti par sept étudiants différents (4 L et 3A) [81]. Bien que se situant parmi les ouvrages aux fréquences d’emprunts les plus élevées, on est forcé d’admettre que l’influence de Durkheim fut assez réduite. A côté de Spencer, on retrouve dans cette liste quelques-uns des auteurs « fétiches » du sociologue, ceux-là mêmes qu’il lisait en troisième année à l’ENS 10 à 20 ans plus tôt. Pour reprendre les noms qui nous sont les plus familiers, citons Ribot, Guyau, Fouillée, Marion (sur la solidarité).
56Cette analyse fait aussi apparaître quelques noms d’étudiants visiblement plus « marqués » que d’autres par Durkheim et son enseignement de science sociale, teinté d’histoire, de sciences des religions, de psychologie, voire de biologie [82].
Disciplines, auteurs et noms des étudiants qui sont associés à la bibliothèque pedagogique exclusive de Durkheim
Disciplines, auteurs et noms des étudiants qui sont associés à la bibliothèque pedagogique exclusive de Durkheim
58Les étudiants « enrôlés » [83] par les ouvrages possiblement prescrits par Durkheim ne sont pas si nombreux que cela : 28 étudiants ont suivi le Durkheim sociologue comme le montrent quelques emprunts caractéristiques (tableau ci-dessus) [84]. Certains l’ont fait plus souvent que d’autres : Clologe (7x), Peyrot (3x), Lemarchand (3x), Cachin (2x), Alengry (2x), Dupuch (2x), Duprat (2x), Hérisson (2x), Lagoubie (2x). On sait par ailleurs que cette marque de Durkheim a pu se confirmer plus tard chez certains d’entre eux, pour lesquels nous avons reconstitué les carrières. On pense à Alengry [85] qui fit sa thèse sur Comte et la dédicaça à Durkheim. On pense à Duprat qui fit une carrière universitaire en dépit de son échec à l’agrégation, et qui fut l’auteur d’une thèse sur la psychologie des criminels (qu’il se garda de la dédicacer à son maître). Ou encore à Aubin et Hourticq, l’un et l’autre futurs inspecteurs généraux de l’enseignement primaire. Le second écrivit un manuel de philosophie inspiré des cours de son professeur de Bordeaux, à qui il rend hommage [86]. Tous les deux collaborèrent à L’Année sociologique à plusieurs reprises. Quant à Tournier, il fut un temps promis à une collaboration à L’Année [87], mais ne donna jamais suite. Ces emprunts croisés objectivisent les marques de l’empreinte intellectuelle de Durkheim. Cette archive nous permet de la saisir à son origine à l’état de traces, sous forme de précipité.
Du côté des bibliothèques exclusives des autres enseignants de philosophie
59Il serait moins pertinent de regarder la bibliothèque partagée par Durkheim et les autres professeurs avec celle des étudiants [88] : nous ne pourrions y démêler l’influence des uns ou des autres. Il est en revanche très intéressant d’aller jeter un œil du côté des bibliothèques que les autres enseignants partageaient eux aussi exclusivement, avec d’autres étudiants. C’est au regard de celles-ci que la spécificité de la marque de Durkheim apparaîtra encore plus distinctement.
60Commençons par la bibliothèque spécifique d’Espinas, très restreinte puisqu’elle ne concerne que 8 cotes sur 61 au total. Bien que ce soit assez peu significatif, Espinas partage exclusivement avec les étudiants la philosophie dogmatique et l’histoire de la philosophie grecque qu’il leur enseignait. Il enrôla avec lui quelques L (Abadie, Cachin, Clologe, Duprat, Dupuch, Lalo, Marcon de Landas Martinesque et Ramès) et quelques agrégatifs (Aubin, Cachin, Duprat, Legay, Mengin). Par la force des choses, on peut imaginer que son influence ne se manifesta pas beaucoup pendant ses dernières années bordelaises – elle était peut-être plus forte entre 1879 et 1889, pendant les dix premières années de son enseignement, au cours desquelles il marqua des jeunes licenciés comme Mengin, Robin, Foucault (qui n’apparaissent pas ici puisque les registres ne débutent qu’en 1889). Ce qui est certain, à l’inverse (mais une monographie s’imposerait en ce sens), c’est que la bibliothèque personnelle d’Espinas, dite de recherche, n’est pas du tout reprise par ses étudiants. Elle est bien plus étendue que sa bibliothèque pédagogique.
61Le cas de Rodier est également intéressant. On sait qu’il prit la succession provisoire puis définitive d’Espinas en 1893. Il dut enseigner la philosophie grecque dont il était devenu un spécialiste (thèse de 1892) [89]. Ancien étudiant d’Hamelin et d’Espinas, il devint enseignant à son tour [90]. Que nous révèle cette partie de sa bibliothèque, celle où se chevauchent quelques-uns de ses emprunts avec certains étudiants ? On constate que, conformément à son service, Rodier en restait à l’histoire de la philosophie grecque et à quelques grandes figures de l’Antiquité : Aristote dont il est le spécialiste, Philon le juif, quelques courants (les sophistes), quelques doctrines, des écoles (D’Alexandrie). On note cependant une spécificité qui put aussi signaler certaines affinités intellectuelles avec Durkheim : on retrouve de la psychologie dont il eut aussi la charge d’enseignement après que Durkheim dut la lui rétrocéder en 1896 [91], mais aussi la pédagogie que le même lui avait confiée « suite à un arrangement personnel ». On a ainsi des ouvrages sur l’éducation, sur la psychologie (Hoffding), la psychologie de l’éducation (Preyer, L’âme de l’enfant ; Guyau, Psychologie et hérédité), sur les émotions (Darwin). Plus étonnant : l’ouvrage de Pouchet, De la pluralité des races humaines, Essai d’anthropologie (1858) qu’il a partagé avec un étudiant de licence (Lemarchand) et un agrégatif (Lenègre) – deux étudiants qui échouèrent en L et en A, en dépit de nombreux emprunts en bibliothèque.
62Notons qu’une étude précise des liens tissés via des ouvrages avec des étudiants pourrait conduire à quelques résultats significatifs. Nous savons, grâce aux archives Rodier présentées dans l’article de Soline Goux-Diétlin, qu’il contribua au succès de la première agrégée de philosophie, Jeanne Baudry [92], en 1905. On repère quelques liens récurrents entre elle et lui dans cette bibliothèque où se chevauchent des références bibliographiques (Ritter, Vacherot, Kampe, Stablum) alors qu’elle n’était qu’en licence de 1900 à 1902 [93]. Ces études d’emprunts en bibliothèque permettent ainsi, on le voit, de repérer des liens qui se tissent à travers des auteurs et des ouvrages, des centres d’intérêts, des communautés de savoirs.
63Qu’en est-il enfin de la bibliothèque d’Hamelin, du moins de la partie qu’il partagea avec certains étudiants et qui indique sa marque ? En dehors du fait qu’Hamelin est de loin le professeur qui partageait le plus de cotes avec des étudiants (26% de ses emprunts) [94], on ne peut qu’être frappé (voir le haut de l’annexe 9) par la coloration renouviériste des ouvrages partagés. Toute l’influence du professeur rédigeant une thèse monumentale dédiée à Renouvier s’y retrouve : rien moins que quatre ouvrages du philosophe se concentrent aux premières places [95]. On retrouve aussi Kant, dont Renouvier était un grand commentateur. Les fréquences sont très élevées : environ 100 emprunts en cumulé sur quatre ouvrages du philosophe allemand, dont Hamelin était spécialiste. À cet égard, l’idée que Durkheim ait influencé les étudiants sur Renouvier et Kant doit être relativisée, voire abandonnée : Hamelin avait de loin la primeur sur ce créneau. Ce fut en revanche un fait essentiel que de trouver deux enseignants aussi marqués par Renouvier dans la même faculté, ce qui contribua à colorer la tendance philosophique de tous les étudiants bordelais.
64En se fiant au caractère exhaustif de notre relevé d’ouvrages partagés par Hamelin avec ses étudiants [96], que peut-on remarquer, en dehors du caractère somme toute très philosophique de ces emprunts – caractère qui, soit dit en passant, nous permet de relever a contrario le non-enfermement de la bibliothèque de Durkheim dans cette discipline – ce qui est en soi un résultat essentiel ? En accord avec ce que l’on sait de lui, il est possible de relever les éléments suivants : son goût pour la philosophie des sciences. Il est l’un des rares à emprunter des ouvrages de mathématiques, de physique, et il est parfois suivi par ses meilleurs étudiants. On trouve aussi son goût pour l’esthétique qui transparaît avec Guyau, par exemple ; ou encore son enseignement de la psychologie expérimentale, qui le relia aussi à Durkheim ; son attirance enfin pour le positivisme (Comte, Spencer, Littré) qui, là encore, le rapprochait de Durkheim.
Conclusion : qui lisait les enseignants de Bordeaux ?
65Pour conclure, nous avons essayé à mesurer l’influence bibliographique des enseignants en cherchant dans la bibliothèque des étudiants les ouvrages qu’ils avaient publiés. L’exercice n’est pas inutile et relativise sérieusement, là encore, l’empreinte des enseignants sur leurs étudiants. Un véritable exercice de modestie s’impose !
Ouvrages de Durkheim empruntés à la Bibliothèque de Bordeaux (1889-1902)
Emprunteurs | Ouvrages | Date de sortie |
---|---|---|
HAMELIN | Thèse 1893 | 17/12/1894 |
HAMELIN | Thèse 1893 | 01/07/1902 |
KUNSLER | Thèse 1893 | 05/03/1897 |
COMBEBIAS | Faculté des sciences. Cours d’ouverture 1888 | 07/11/1894 |
ROBERT | Faculté des sciences. Cours d’ouverture 1888 | 01/07/1895 |
TISSIE | Faculté des sciences. Cours d’ouverture 1888 | 24/06/1892 |
BALDUS | Règles de la méthode sociologique | 06/03/1901 |
KUNSLER | Règles de la méthode sociologique | 14/12/1896 |
LAGARRIGUE | Règles de la méthode sociologique | 27/01/1902 |
LAGARRIGUE | Règles de la méthode sociologique | 24/02/1902 |
LACROZE | Règles de la méthode sociologique | 15/07/1901 |
RAMES | Règles de la méthode sociologique | 02/07/1902 |
RAMES | Règles de la méthode sociologique | 16/07/1902 |
AUDIBERT | Le suicide | 06/08/1902 |
BOUZIAN | Le suicide | 07/03/1902 |
CHALES | Le suicide | 27/11/1901 |
Ouvrages de Durkheim empruntés à la Bibliothèque de Bordeaux (1889-1902)
66Le constat est radical pour ce qui concerne Durkheim : son collègue et ami Hamelin fut le seul à emprunter sa thèse, à deux reprises, en 1894 et 1902 (ne la possédait-il donc pas ?). Parmi les étudiants emprunteurs, on trouve Combebias et Robert (qui échouèrent par ailleurs l’un et l’autre en licence), Mlles Tissié et Audibert qui étaient deux étudiantes du cours de pédagogie ; Ramès (en 1902), qui échoua en L. Les autres emprunteurs [97] sont inconnus, hors cursus de philosophie ou de pédagogie. Les Règles de la méthode sociologique, bien que paru en 1895, ne fut emprunté qu’en 1901 et 1902. On croit pouvoir en deviner la raison : ce livre formait la matière principale du dernier cours que Durkheim dispensa avant son départ à Paris et qui portait sur « l’histoire des doctrines sociologiques ». Cette maigre récolte en dit long sur l’influence des professeurs : les étudiants n’empruntent et ne lisent les ouvrages prescrits, y compris les ouvrages de leurs enseignants, que s’ils sont au programme des examens et des concours. L’étudiant est rationnel, opportuniste, et il n’a pas l’envie ni le loisir de se cultiver « pour le plaisir ». Il est à la Faculté pour préparer et réussir des examens et des concours difficiles, voilà tout. Il ne fait pas de recherche comme ses professeurs, à moins de se destiner lui-même, et par anticipation, à un tel métier.
67Quant à la revue de Durkheim, pourtant parue à partir de 1898 et susceptible d’être empruntée par les étudiants pendant 4 années dans notre corpus, aucun ne prit la peine de la sortir une fois pour la consulter chez lui quelques jours. Seuls Durkheim (!) et Hamelin l’empruntèrent.
Emprunts de L’Année sociologique entre 1898 et 1902 à la Bibliothèque de Bordeaux
DURKHEIM | ANNÉE SOCIOLOGIQUE | 8259 | 06/07/1901 | 10/07/1901 |
DURKHEIM | ANNÉE SOCIOLOGIQUE | 8259 | 06/07/1901 | 10/07/1901 |
DURKHEIM | ANNÉE SOCIOLOGIQUE | 8259 | 06/07/1901 | 10/07/1901 |
HAMELIN | ANNÉE SOCIOLOGIQUE | 8259 | 29/06/1901 | 05/07/1901 |
Emprunts de L’Année sociologique entre 1898 et 1902 à la Bibliothèque de Bordeaux
68Si les étudiants empruntèrent marginalement Durkheim, s’ils ne purent emprunter Hamelin qui n’avait publié aucun ouvrage, qu’en fut-il d’Espinas ? On voit (annexe 10) qu’il a été emprunté plus souvent que son jeune collègue : plus de trente fois en 13 ans, contre une quinzaine pour le précédent. Sans doute le fut-il, lui aussi, de manière opportuniste : L’histoire des doctrines économiques, bien que paru en 1891, a été emprunté essentiellement en 1902, à la faveur d’un cours de Durkheim. Sa thèse de 1877 a été empruntée par ses deux collègues Durkheim et Hamelin, puis par certains étudiants autour de 1890, alors qu’il était encore professeur à Bordeaux.
69Quant à Rodier, une fois parue (1892), sa thèse fut empruntée par son ancien collègue et professeur Hamelin et par quatre étudiants.
70Nous voici donc mieux informés sur la marque des professeurs sur leurs étudiants. La prescription bibliographique, quand elle peut être étudiée avec attention, nous conduit à relativiser l’influence que purent avoir les uns sur les autres, y compris autour de 1890 à une époque où les étudiants faisaient partie d’une élite intellectuelle et que leurs professeurs étaient de brillants savants.
Bibliothèque des agrégatifs par ordre des fréquences d’emprunts (n=144) (extrait) [98]
Bibliothèque croisée des L et des A (n=173). (Extrait)
Ouvrages les plus empruntés par les L (sur un total n= 300) (extrait)
cote | Freq | auteur | nb. promo | nb. lecteur | profs |
---|---|---|---|---|---|
36495 | 20 | GUYAU, Les problèmes de l’esthétique contemporaine | 7 | 10 | HAME |
30663 | 12 | TAINE, Philosophie de l’art | 5 | 7 | DURK/HAME |
30467 | 10 | GARNIER, Traité des facultés de l’âme | 4 | 3 | 0 |
35749 | 10 | HUGO, Légende des siècles | 4 | 4 | HAME |
30632 | 9 | RIBOT, Psychologie allemande contemporaine, 1879 | 6 | 6 | DURK |
30345 | 8 | D’ARNAUD, Œuvres philosophiques | 2 | 3 | HAME |
30593 | 8 | MILLET, Histoire de Descartes | 6 | 5 | HAME |
40277 | 8 | FOUILLÉE, Psychologie des idées forces | 3 | 2 | HAME |
36330 | 8 | ARISTOTE | 8 | 3 | HAME/RODI |
10177 | 7 | ZELLER | 1 | 1 | 0 |
13657 | 7 | TACITE | 2 | 2 | 0 |
31217 | 7 | VINET, Pascal | 2 | 3 | 0 |
41120 | 7 | GUYAU, L’art au point de vue sociologique | 2 | 2 | 0 |
38817 | 7 | ARISTOTE | 4 | 2 | DURK |
30523 | 7 | KANT | 3 | 4 | DURK/RODI |
30638 | 6 | ROBERT, De la certitude et de la forme récente du scepticisme | 2 | 2 | 0 |
37890 | 6 | PRÉVOST, Manon Lescaut | 1 | 1 | 0 |
41125 | 6 | RENOUVIER | 3 | 2 | 0 |
36144 | 6 | RIBOT | 2 | 3 | DURK |
36212 | 6 | REVILLE | 5 | 2 | DURK |
36253 | 6 | BRUNCLORE | 5 | 6 | DURK/HAME |
31333 | 6 | ROUSSEAU | 3 | 3 | DURK/RODI |
30340 | 6 | ARISTOTE | 3 | 4 | HAME |
30380 | 6 | BORDES | 5 | 2 | HAME |
30461 | 6 | FOUILLÉE | 4 | 4 | HAME |
36045 | 6 | DIOGÈNE | 3 | 4 | HAME |
36419 | 6 | CHAIGNET | 5 | 4 | RODI |
99034 | 6 | ULBUQUE | 5 | 2 | RODI |
30382 | 5 | BOUILLIER | 3 | 3 | 0 |
30712 | 5 | MILL | 1 | 2 | 0 |
37602 | 5 | GEBELIN | 1 | 1 | 0 |
37845 | 5 | DURUY | 1 | 1 | 0 |
39348 | 5 | GEBELIN | 1 | 1 | 0 |
30519 | 5 | KANT | 3 | 3 | DURK/HAME |
36023 | 5 | BRUNETIÈRE | 3 | 4 | HAME |
30522 | 5 | KANT | 2 | 3 | RODI |
Bibliothèque de psychologie des LA (par ordre de fréquence des cotes) (Extrait)
Emprunts de Spencer dans la bibliothèque de Bordeaux entre 1889 et 1902
Emprunteurs | Titre | Cote | Date de sortie | Date de retour |
---|---|---|---|---|
DURKHEIM | Classification des sciences | 36412 | 29/04/1892 | 22/07/1892 |
DURKHEIM | Classification des sciences | 36412 | 27/07/1899 | 17/10/1899 |
LEGAY | Classification des sciences | 36412 | 23/11/1889 | 26/11/1889 |
PEYROT | Classification des sciences | 36412 | 28/11/1889 | 04/12/1889 |
HERISSON | De l’éducation intellectuelle, morale et physique, 1878 | 30651 | 27/06/1901 | 04/07/1901 |
HOURTICQ | De l’éducation intellectuelle, morale et physique, 1878 | 30651 | 11/01/1893 | 12/01/1893 |
LACOSTE | De l’éducation intellectuelle, morale et physique, 1878 | 30651 | 18/01/1902 | 28/02/1902 |
LACOSTE | De l’éducation intellectuelle, morale et physique, 1878 | 30651 | 18/01/1902 | 28/02/1902 |
LACOSTE | De l’éducation intellectuelle, morale et physique, 1878 | 30651 | 15/03/1902 | 18/04/1902 |
RIGALDIES | De l’éducation intellectuelle, morale et physique, 1878 | 30651 | 16/11/1895 | 07/12/1895 |
TREILLE | De l’éducation intellectuelle, morale et physique, 1878 | 30651 | 24/03/1898 | 25/03/1898 |
ALENGRY | Essai de morale de science et d’esthétique | 30654 | 26/05/1891 | 27/05/1891 |
ALTMANN | Essai de morale de science et d’esthétique | 30654 | 05/11/1895 | 04/12/1895 |
AUBIN | Essai de morale de science et d’esthétique | 30654 | 19/11/1894 | 22/12/1894 |
BAUDRY | Essai de morale de science et d’esthétique | 30654 | 21/03/1902 | 02/05/1902 |
DARBON A | Essai de morale de science et d’esthétique | 30654 | 05/05/1896 | 04/06/1896 |
GRENIER | Essai de morale de science et d’esthétique | 30654 | 05/05/1893 | 05/06/1893 |
HAMELIN | Essai de morale de science et d’esthétique | 30654 | 17/11/1900 | 19/12/1900 |
LAGOUBIE | Essai de morale de science et d’esthétique | 30654 | 04/12/1895 | 06/12/1895 |
NEGRE DE LESPINE | Essai de morale de science et d’esthétique | 30654 | 18/10/1892 | 04/11/1892 |
DARBON A | Individu contre l’État | 37121 | 16/12/1901 | 03/02/1902 |
HAMELIN | Individu contre l’État | 37121 | 08/03/1900 | 28/06/1900 |
LACROZE | Individu contre l’État | 37121 | 15/07/1901 | 21/10/1901 |
PAGE | Individu contre l’État | 37121 | 14/03/1893 | 23/03/1893 |
CACHIN | Introduction à la science sociale | 30653 | 16/12/1890 | 09/01/1891 |
DENUGUES | Introduction à la science sociale | 30653 | 01/12/1890 | 13/12/1890 |
DUPUCH | Introduction à la science sociale | 30653 | 05/03/1902 | 10/03/1902 |
DURKHEIM | Introduction à la science sociale | 30653 | 11/07/1893 | 30/07/1893 |
REYNAUD | Introduction à la science sociale | 30653 | 22/02/1892 | 10/03/1892 |
REYNAUD | Introduction à la science sociale | 30653 | 28/03/1892 | 25/04/1892 |
DURKHEIM | La morale des différents peuples, 1896, 2e éd. | 40269 | 23/05/1894 | 30/07/1894 |
DURKHEIM | La morale des différents peuples, 1896, 2e éd. | 40269 | 22/02/1899 | 20/12/1899 |
GRENIER | La morale des différents peuples, 1896, 2e éd. | 40269 | 29/11/1897 | 22/12/1898 |
AUBIN | Les bases de la morale évolutionniste | 35810 | 15/11/1894 | 17/12/1894 |
CLOLOGE | Les bases de la morale évolutionniste | 35810 | 08/11/1890 | 09/12/1890 |
Ouvrages et auteurs partagés par Durkheim (et seulement par lui) avec les étudiants (n=47)
Bibliothèque d’Espinas partagée uniquement avec des étudiants (1889-1893)
cote | Freq | auteur | nb. lecteurs LA | nb. lecteurs L | nb. lecteurs A |
---|---|---|---|---|---|
30634 | 21 | RITTER, Historia philosophia graecae romanae | 6 | 5 | 1 |
30495 | 13 | HUME, Treatise on human nature, 1874 | 3 | 1 | 2 |
36558 | 5 | MILL, L’utilitarisme | 1 | 0 | 1 |
37466 | 4 | MÛLLER, Handbuch der Klassichen Alterthums Wissenschaft, 1885 | 1 | 1 | 0 |
30554 | 3 | St JOHN, The Works of John Locke, 1875 | 1 | 1 | 0 |
30438 | 2 | EPICTÈTE | 1 | 1 | 0 |
30819 | 2 | GROTE, Histoire de la Grèce | 1 | 1 | 0 |
39854 | 2 | GROTE, Histoire de la Grèce, 1864 | 1 | 0 | 1 |
Bibliothèque de Rodier partagée uniquement avec des étudiants (1893/1902) (n=31)
Bibliothèque d’Hamelin partagée uniquement avec les étudiants (n=93) (Extrait)
cote | Freq | auteur | LA | L | A |
---|---|---|---|---|---|
37648 | 32 | OGEREAU Essais sur le système philosophique des stoïciens | 7 | 4 | 3 |
30625 | 29 | RENOUVIER Science morale | 8 | 5 | 3 |
37260 | 28 | RENOUVIER Esquisse d’une classification systématique des doctrines philosophiques | 5 | 3 | 2 |
30611 | 23 | L’Année philosophique | 5 | 2 | 3 |
37476 | 23 | RENOUVIER Esquisse d’une classification systématique des doctrines philosophiques | 5 | 0 | 5 |
30650 | 22 | SPENCER Premiers principes | 11 | 8 | 3 |
36495 | 20 | GUYAU Les problèmes de l’esthétique contemporaine | 9 | 9 | 0 |
35659 | 19 | LIARD | 10 | 7 | 3 |
30514 | 19 | KANT | 5 | 2 | 3 |
30439 | 18 | ERDMANN Versuch einer wissenschaftlichen Darstellung der Geschichte der neuern Philosophie | 5 | 2 | 3 |
30459 | 18 | FOUILLÉE Philosophie de Platon | 8 | 4 | 4 |
30502 | 14 | JANET | 9 | 1 | 8 |
30518 | 14 | KANT | 4 | 2 | 2 |
30504 | 12 | JANET | 5 | 2 | 3 |
38780 | 11 | HUME | 5 | 2 | 3 |
30555 | 11 | LOCKE | 3 | 1 | 2 |
30582 | 11 | MAUDSLEY, Physiologie de l’esprit, 1879 | 3 | 1 | 2 |
30446 | 10 | FICHTE | 3 | 1 | 2 |
30516 | 10 | KANT | 6 | 5 | 1 |
35749 | 10 | HUGO | 3 | 3 | 0 |
30654 | 9 | SPENCER Essai de morale de science et d’esthétique | 7 | 4 | 3 |
10179 | 9 | ARISTOTE | 3 | 1 | 2 |
35731 | 9 | ESPINAS, Les sociétés animales, 1877 | 6 | 5 | 1 |
30736 | 8 | ARISTOTE | 3 | 0 | 3 |
30345 | 8 | ARNAUD | 2 | 2 | 0 |
30593 | 8 | MILLET Histoire de Descartes | 4 | 4 | 0 |
38898 | 8 | RENARD Études sur la France contemporaine : le socialisme | 3 | 2 | 1 |
40277 | 8 | FOUILLÉE Psychologie des idées forces | 1 | 1 | 0 |
30350 | 7 | BACON Works, 1870 | 1 | 0 | 1 |
39560 | 7 | SPINOZA | 3 | 0 | 3 |
30658 | 7 | SPINOZA | 5 | 4 | 1 |
32182 | 6 | BERNARD Introduction à la méthode expérimentale | 4 | 1 | 3 |
36296 | 6 | RIBOT, Maladies de la volonté | 4 | 1 | 3 |
40098 | 6 | USENER Jubile von Zeller | 1 | 0 | 1 |
30340 | 6 | ARISTOTE | 3 | 3 | 0 |
30380 | 6 | BORDES, le cartésianisme | 1 | 1 | 0 |
Emprunts des ouvrages d’Espinas à la BU de Bordeaux (1889-1902)
Emprunteurs | Ouvrages | Cotes | Dates de sortie |
---|---|---|---|
DESPAGNET | Thèse 1877 (des sociétés animales) | 7136 | 09/02/1900 |
DURKHEIM | Thèse 1877 | 7136 | 04/12/1891 |
DURKHEIM | Thèse 1877 | 7136 | 26/04/1892 |
DURKHEIM | Thèse 1877 | 7136 | 27/07/1901 |
BIAIES | Les sociétés animales | 35731 | 17/02/1890 |
CACHIN | Les sociétés animales | 35731 | 27/04/1891 |
CACHIN | Les sociétés animales | 35731 | 30/05/1891 |
CLOLOGE | Les sociétés animales | 35731 | 07/01/1890 |
GRENIER | Les sociétés animales | 35731 | 06/06/1893 |
HAMELIN | Les sociétés animales | 35731 | 29/12/1900 |
HAMELIN | Les sociétés animales | 35731 | 13/06/1901 |
LACOSTE | Les sociétés animales | 35731 | 03/05/1892 |
LACOSTE | Les sociétés animales | 35731 | 02/06/1892 |
LARRIBAU | Les sociétés animales | 35731 | 10/11/1890 |
LENEGRE | Les sociétés animales | 35731 | 26/06/1891 |
MARCERON | Les sociétés animales | 35731 | 15/02/1902 |
MARCON DE LANDAS | Les sociétés animales | 35731 | 15/03/1890 |
MITJAVILLE | Les sociétés animales | 35731 | 20/11/1900 |
CHAPUT | Du sommeil provoque chez les hystériques | 36727 | 12/05/1890 |
LUREAU | Du sommeil provoque chez les hystériques | 36727 | 24/12/1892 |
ALTMANN | Histoire des doctrines éco | 39831 | 30/11/1899 |
CLOLOGE | Histoire des doctrines éco | 39831 | 25/01/1892 |
DE VALETTE | Histoire des doctrines éco | 39831 | 29/03/1897 |
LUREAU | Histoire des doctrines éco | 39831 | 24/12/1892 |
TREILLE | Histoire des doctrines éco | 39831 | 04/03/1901 |
BALDUS | Les origines de la technologie | 41640 | 01/07/1902 |
Emprunts des ouvrages de Rodier à la BU (1892-1902)
HAMELIN | Thèse 1892 | 7136 | 11/12/1894 | 30/01/1895 |
HAMELIN | Thèse 1892 | 7136 | 18/02/1895 | 31/03/1895 |
HERISSON | Thèse 1892 | 7136 | 08/03/1901 | 15/04/1901 |
LAGOUBIE | Thèse 1892 | 7136 | 28/01/1899 | 06/02/1899 |
LAGOUBIE | Thèse 1892 | 7136 | 29/04/1899 | 30/05/1899 |
LAGOUBIE | Thèse 1892 | 7136 | 26/07/1899 | 13/11/1899 |
LAGOUBIE | Thèse 1892 | 7136 | 13/11/1899 | 24/11/1899 |
LAGOUBIE | Thèse 1892 | 7136 | 07/05/1900 | 15/06/1900 |
LAGOUBIE | Thèse 1892 | 7136 | 15/06/1900 | 18/07/1900 |
LAGOUBIE | Thèse 1892 | 7136 | 07/08/1900 | 28/11/1900 |
LANGLADE | Thèse 1892 | 7136 | 04/12/1900 | 24/12/1900 |
MARCERON | Thèse 1892 | 7136 | 06/05/1902 | 12/05/1902 |
Auteurs au programme de l’agrégation de philosophie de 1887 à 1902 [99] [100]
Emprunts des ouvrages de Comte à la BU (1889-1902)
Emprunteurs | Titres | Cotes | Sorties | Retours |
---|---|---|---|---|
ESPINAS | Cours de philo positive | 30410 | 18/10/1890 | 22/11/1890 |
HAMELIN | Cours de philo positive | 30410 | 10/10/1892 | 15/12/1892 |
HAMELIN | Cours de philo positive | 30410 | 22/12/1892 | 15/12/1892 |
HAMELIN | Cours de philo positive | 30410 | 17/06/1901 | 20/04/1902 |
MENGIN | Cours de philo positive | 30410 | 02/12/1893 | 05/01/1894 |
SACOMAN | Cours de philo positive | 30410 | 21/03/1892 | 15/05/1892 |
SACOMAN | Cours de philo positive | 30410 | 17/06/1892 | 20/07/1892 |
SACOMAN | Cours de philo positive | 30410 | 20/07/1892 | 10/08/1892 |
SACOMAN | Cours de philo positive | 30410 | 21/07/1892 | 10/08/1892 |
HAMELIN | Cours de philo positive | 40767 | 18/05/1900 | 30/07/1900 |
HAMELIN | Cours de philo positive | 40767 | 10/11/1900 | 15/06/1901 |
HAMELIN | Cours de philo positive | 40767 | 13/06/1901 | 03/07/1901 |
HERISSON | Cours de philo positive | 40767 | 05/01/1900 | 30/01/1900 |
DURKHEIM | Lettres à Mill | 30409 | 24/03/1893 | 31/07/1893 |
ALENGRY | Système de politique positive | 30411 | 13/11/1895 | 14/01/1896 |
DEGA | Système de politique positive | 30411 | 19/05/1897 | 17/06/1897 |
HAMELIN | Système de politique positive | 30411 | 18/05/1900 | 30/07/1900 |
HAMELIN | Système de politique positive | 30411 | 06/03/1901 | 15/06/1901 |
HAMELIN | Système de politique positive | 30411 | 17/06/1901 | 27/07/1901 |
MASCLANIS | Système de politique positive | 30411 | 06/02/1894 | 03/03/1894 |
DURKHEIM | Traité philo d’astronomie populaire | 40814 | 08/05/1901 | 27/06/1901 |
DURKHEIM | Traité philo d’astronomie populaire | 40814 | 20/11/1901 | 30/07/1902 |
HAMELIN | Traité philo d’astronomie populaire | 40814 | 29/11/1897 | 18/12/1898 |
Références bibliographiques
- Béra (Matthieu), (2014a), Durkheim à Bordeaux, Bordeaux, Éd. Confluences.
- Béra (Matthieu) (2014b), « Durkheim’s University library Loans at Bordeaux : preliminary investigations », Durkheimian Studies.
- Béra (Matthieu) (2016), « Les emprunts de Durkheim dans les bibliothèques de l’ENS et de la Sorbonne (1902-1917) », Durkheimian Studies, 2016.
- Béra (Matthieu) (2017a), Sociologie des premiers étudiants de Durkheim à Bordeaux (1887-1902), mémoire pour l’HDR, ENS Cachan.
- Béra (Matthieu) (2017b), « La représentation disciplinaire du social dans les références et les lectures du jeune Durkheim (1879-1894) », L’Année sociologique, 67/2.
- Béra (Matthieu) (2017c), « Bibliothèque et sciences sociales », Les Études sociales, 2, n° 166, p. 3-20.
- Béra (Matthieu) (2017d), « Sociologie et philosophie, la guerre est-elle déclarée ? », Les Études sociales, 2, n° 166 p. 203-216.
- Béra (Matthieu) (2019a), « La série 1 de L’Année sociologique : bilan historiographique », L’Année sociologique, 2019/1, p. 21-41.
- Béra (Matthieu) (2019b), « Quatre lettres de Durkheim à Marcel Foucault, un « collaborateur obligeant », ibid., p. 67-76.
- Béra (Matthieu) (2019c), « Quatre lettres inédites de Durkheim à Célestin Bouglé (1897) », ibid., p. 43-66.
- Béra (Matthieu) (2020), « Durkheim en réunion. Ses interventions à l’Assemblée des professeurs à Bordeaux », Durkheimian Studies.
- Béra (Matthieu) avec Sembel (Nicolas) (2013), « Les emprunts de Durkheim et Mauss à la Bibliothèque universitaire de Bordeaux, 1887-1902 », colloque sur les bibliothèques des savants, Musée du Quai Branly.
- Béra (Matthieu), avec Paoletti (Giovanni) (2015), « La bibliothèque virtuelle d’un intellectuel de la IIIe République », in R. Ragghi et A. Salvorelli (dir.), Biblioteche filosofiche private, Pisa, Eidzioni Della Normale.
- Blais, Marie-Claude, Au principe de la République. Le cas Renouvier, Paris, Gallimard, 2000.
- Callon (Michel) (1989) (dir.), La science et ses réseaux. Genèse et circulation des faits scientifiques, Paris, La Découverte.
- Deploige (Simon) (1911), Le conflit de la morale et de la sociologie, Paris, Alcan. Les Études sociales (2017), dossier « Bibliothèque et sciences sociales » (coord. par M. Béra).
- Feuerhahn (Wolf) (dir.), (2017), La Politique des chaires au Collège de France, Paris, Collège de France / Les Belles Lettres.
- Filloux (Jean-Claude) (1970), « Introduction » in Durkheim, La science sociale et l’action, Paris, PUF.
- Id. (1977), Durkheim et le socialisme, Genève, Droz.
- Fournier (Marcel) (1994), Mauss, Paris, Fayard.
- Id. (2007), Durkheim, Paris, Fayard, 2007.
- Lukes (Steven) (1973), Emile Durkheim (…) London, The Penguin Press.
- Mosbah-Natanson (Sébastien) (2017), Une « mode » de la sociologie. Publications et vocations sociologiques en France en 1900, Paris, Classiques Garnier.
- Nicolas (Serge) (2005), Ribot. Philosophe breton, fondateur de la psychologie française, Paris, L’Harmattan.
- Paoletti (Giovanni) (2012), Durkheim et la philosophie, Paris, Garnier.
- Sembel (Nicolas) avec la collaboration de Béra (Matthieu) (2013), « Liste des emprunts de Durkheim à Bordeaux », Durkheimian Studies.
- Stedman Jones (Susan) (2001), Durkheim Reconsidered, Cambridge, Polity Press.
Notes
-
[1]
Émile Durkheim, Les Règles de la méthode sociologique, Paris, Alcan, 1895, table des matières.
-
[2]
Id., lettre à Henri Hubert du 14 janvier 1901 in « Documents. Lettres de Emile Durkheim à Henri Hubert présentées par Philippe Besnard », Revue française de sociologie, 1987, n° 3, p. 513.
-
[3]
La répartition du travail fut la suivante : à Robert Galera est revenue la tâche de programmer sur R, de produire des tableaux excel, d’aider au bon codage des données et au rappel des bonnes règles de la logique. À Matthieu Béra est revenu, en amont, le travail de recueil des données (dépouillement des dossiers administratifs des étudiants aux archives départementales de la Gironde, collecte et saisie des 5000 emprunts à partir des registres de prêts de la Bibliothèque universitaire, etc.), et en aval la rédaction de l’article. Cette collaboration scientifique a permis d’associer un docteur en chimie, agrégé de physique-chimie, enseignant dans le secondaire et un docteur en sociologie, enseignant chercheur à l’université. Elle est l’aboutissement d’une rencontre qui remonte à 1997, époque où les deux auteurs enseignaient au lycée Maurice Ravel de Paris, l’un en sciences économiques et sociales, l’autre en physique chimie.
-
[4]
Un peu forcé, il est vrai, par le travail d’exégèse réalisé par Deploige sur son œuvre.
-
[5]
Quand il répondit à Deploige, Durkheim avait 49 ans. Titularisé en 1906 à la Sorbonne, il venait de dispenser son premier cours de sociologie sur l’origine de la religion.
-
[6]
Lettre publiée par la Revue néo-scholastique du 8 novembre 1907, rééditée dans S. Deploige, Le conflit de la morale et de la sociologie, Louvain, Institut supérieur de philosophie et Paris, Alcan, 1911, p. 401. Notons le procédé de Durkheim : il relie le principe enseigné par son maître à des prédécesseurs illustres (Auguste Comte) ou un classique grec (Aristote), comme s’il ne pouvait s’empêcher de minimimer sa dette à l’égard de Boutroux.
-
[7]
En 1907, Durkheim venait d’être élu par la commission des enseignants de la Faculté de lettres de la Sorbonne dans laquelle siégeaient Boutroux, ainsi qu’Espinas. Sur cette élection, on peut consulter en ligne notre intervention au colloque « Durkheim au Collège de France » (Collège de France, juin 2019).
-
[8]
René Maublanc (1891-1960).
-
[9]
Ce que l’on savait déjà, via un autre étudiant, Georges Davy (1883-1976). À la mort de son maître, celui-ci écrivit : « L’empreinte que l’auteur de La science de la morale (1869) laisse sur le jeune normalien est si forte qu’elle ne s’effacera jamais » (G. Davy, « Durkheim, l’homme », 1919).
-
[10]
R. Maublanc, « Durkheim, professeur de philosophie », Europe, n° 23, février 1930, p. 299.
-
[11]
Durkheim n’écrivit-il pas d’ailleurs, dans ce même courrier adressé à la Revue néo-scolastique : « Je ne revendique nullement je ne sais quelle impossible originalité. Je suis bien convaincu que mes idées ont leurs racines dans celles de mes devanciers ; et c’est même pour cela que j’ai quelque confiance dans leur fécondité ».
-
[12]
A ce sujet, Deploige écrivit : « S’il lui advient d’indiquer les auteurs dont il s’écarte, il a l’habitude de ne pas nommer ceux qu’il suit. » (1911, p. 397). Dans la réponse à son contradicteur, Durkheim fit une sorte d’aveu maladroit qui trahissait une tendance à la dissimulation qui pouvait lui être reprochée à juste titre : « Je ne songe pas à attribuer une trop grande importance à la question de savoir comment s’est formée ma pensée ».
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[13]
Pour reprendre Pierre Bourdieu et Monique de Saint-Martin, « Les catégories de l’entendement professoral », Actes de la recherche en sciences sociales, 1-3, 1975, p. 68-93.
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[14]
Pour le lexique un peu spécialisé, on peut se référer à M. Béra, 2017.
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[15]
Pour cette raison, il peut s’avérer maladroit de s’en tenir à la seule connaissance de la bibliothèque des professeurs qui sont souvent amenés à effectuer des lectures sans les partager avec les étudiants – ce qu’on nomme ici leur « bibliothèque de recherche ». Voir la dernière colonne du tableau 7. On y découvre que certains professeurs ne partagent pas 73% de leurs emprunts avec les étudiants (c’est le cas d’Espinas).
-
[16]
Pour le repérage nominatif des étudiants de licence, voir Béra, 2017 (chapitre 2, p. 70-72) et, pour le décompte et les noms des étudiants agrégatifs, voir Béra, 2017 (chapitre 3, p. 95-96).
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[17]
À cette occasion, on a constaté que seulement la moitié des étudiants enregistrés dans les registres administratifs de la Faculté effectuèrent (au moins) un emprunt. On peut qualifier les autres « d’étudiants fantômes ».
-
[18]
Voir Béra, 2017, p. 160-161. Un tiers seulement des étudiants de licence décrochait le diplôme et, à une ou deux exceptions près, aucun de ceux qui l’ont eu n’avait évité le travail en bibliothèque (mesuré par les emprunts). Ceci permet de dire deux choses : 1) pas de réussite dans les études sans travail en bibliothèque, ce qui paraît évident en philosophie ; 2) concernant l’archive des registres de prêts, elle est presque à 100% un indicateur parfait de mesure du travail étudiant.
-
[19]
M. Mauss (1872-1950) fut son étudiant bordelais entre 1890 et 1895 (voir Marcel Fournier 1994). Il obtint sa licence en 1892 à 20 ans. Il passa une année à Paris à la Sorbonne (1893-94). Cachin resta étudiant plus longtemps (environ 7 ans) et à ce titre emprunta davantage.
-
[20]
Le corpus d’actes d’emprunts – ou d’emprunts, dirons-nous plus simplement – a dû être transformé dans la mesure où il comportait des redondances : un même ouvrage pouvant être emprunté plusieurs fois par la même personne, on a gommé cette répétition qui ne nous intéressait pas. Dans la mesure où les étudiants avaient le droit de sortir un ouvrage un mois seulement, ils renouvelaient souvent leur prêt. Il est plus pertinent de raisonner en termes de « cotes distinctes ». Tous les raisonnements seront donc effectués dans ces termes.
-
[21]
Ce parti-pris pourrait être discuté à l’infini. Existe-t-il des lectures étudiantes au niveau licence et agrégation qui soient autonomes, indépendantes de celles que prescrivaient les enseignants ? Nous supposons que non. La partie 3 de l’article visera à vérifier cette hypothèse en partant des emprunts des professeurs (et en les distinguant les uns des autres) afin de repérer d’éventuels chevauchements significatifs.
-
[22]
Né en 1844, agrégé en 1871, docteur es-lettres en 1877 avec une thèse sur les sociétés animales.
-
[23]
Né en 1856, agrégé en 1883.
-
[24]
Né en 1858, agrégé en 1882. Il fut nommé à la faveur d’une demande insistante d’Espinas auprès de Liard, son prédécesseur à Bordeaux, pour être secondé dans son service.
-
[25]
Le rapprochement avec les dénominations actuelles peut être trompeur : le maître de conférences (statut créé en 1877) n’avait pas de doctorat et il n’était pas titulaire. Quant au chargé de cours, dont le statut ne semblait pas très différent du précédent, il se rapprochait davantage de celui d’aujourd’hui : absence de titularisation et thèse en cours. Hormis le salaire plus faible que ceux des professeurs titulaires, les maîtres de conférences et chargés de cours bénéficiaient du même service que les professeurs titulaires : trois cours d’une heure par semaine, de décembre à mai, ce qui les plaçait dans une situation favorable pour l’avancement de leur thèse.
-
[26]
Né en 1864 et agrégé en 1886.
-
[27]
Hamelin suivit Durkheim, en 1903, en partie grâce au soutien de celui-ci. De même, Rodier en 1907 après le décès accidentel d’Hamelin, très aidé lui aussi par Durkheim.
-
[28]
On a exclu les thèses et les revues de notre corpus. Il faut savoir que les enseignants empruntaient beaucoup de revues et bénéficiaient d’un accès libre à celles-ci dans leur salle particulière de la Bibliothèque universitaire (M. Béra 2014 et 2016). En revanche, il était exceptionnel que les étudiants en empruntent. Même chose pour les thèses. Ceci explique en partie que les chiffres indiqués dans cet article ne correspondent pas à ceux de nos publications précédentes (M. Béra, 2013, 2014, etc.) qui incluaient les thèses et revues.
-
[29]
Hors revues et thèses, pour des raisons énoncées plus haut.
-
[30]
Nous connaissons la bibliographie de ses ouvrages publiés jusque 1902 (pour la Division du travail social, voir l’édition scientifique de Myron Achimastos et Dimitris Foufoulas, Paris, Classiques Garnier, 2018). Nous connaissons aussi les emprunts qu’il a pu réaliser dans toutes les bibliothèques publiques où il a laissé des traces (n > 1200) depuis ses études à l’ENS en 1879. Nous connaissons, enfin, les comptes rendus qu’il a publiés jusqu’en 1902, essentiellement pour L’Année sociologique, à partir de 1898 (n > 200). Ces trois sources permettent d’avoir une idée assez précise des auteurs qui ont contribué à « faire » Durkheim.
-
[31]
On pourrait évidemment pousser plus loin en partant de l’analyse des cours de Durkheim – ce qu’il en reste, par exemple dans L’Éducation morale – pour y trouver une lecture spécifique de Kant qui se démarquerait d’autres lectures possibles. Nous n’avons pas la compétence philosophique pour nous engager dans cette voie.
-
[32]
Cependant, les emprunts estudiantins de Spencer se prolongent au-delà de 1893, ce qui permet d’attribuer à Durkheim une partie de cette influence. Il faudrait cependant approfondir la question du rapport d’Hamelin à Spencer : il l’empruntait aussi, sans doute pour connaître celui que critiquait Renouvier. On y reviendra plus loin (résultat 4, annexe 5).
-
[33]
M. Béra, 2013 pour la liste complète.
-
[34]
Notre article abordera à la marge cette question pour des raisons de place. Mais il est méthodologiquement possible d’isoler la « bibliothèque de recherche » des enseignants en ne conservant que les emprunts réalisés par eux, et seulement par eux (c’est-à-dire sans intersection avec leurs collègues ou leurs étudiants).
-
[35]
M. Béra, 2014 ; N. Sembel et M. Béra, 2013.
-
[36]
Nos allusions à la chimie sont deux fois justifiées : d’abord, on l’a dit, Robert Galera est docteur en chimie. Ensuite, Durkheim fut un lecteur de Marcelin Berthelot duquel il consulta (entre autres ouvrages) la Synthèse chimique. On y trouve une parfaite idée de ce que Durkheim entendait par « synthèse » quand il présentait la sociologie comme une science sociale synthétique (M. Béra, 2017).
-
[37]
Annexe 1 (n=144).
-
[38]
Les sciences sociales qui, selon Durkheim, plaisaient à la jeune génération.
-
[39]
Cité in M. Béra, 2019b.
-
[40]
Ernest Denis serait aujourd’hui un homme heureux : l’heure est à la suppression de ce concours et des concours en général (voir la parution récente – décembre 2019 – du rapport du Haut Conseil de l’évaluation nommé par le ministre Blanquer, qui se conclut ainsi : « l’agrégation n’a plus d’objet »).
-
[41]
Au singulier ici, comme dans l’intitulé de la charge de cours de Durkheim : « Cours de science sociale et de pédagogie ». Puis, à sa titularisation de 1896, au singulier encore : « Professeur de science sociale ».
-
[42]
Nous n’avons pas abordé directement cette question et la réservons pour un autre article : il existe des lectures « gagnantes » et des lectures « perdantes ». Pour le déterminer, il faut comparer les bibliothèques des étudiants ayant réussi avec celles de ceux qui ont échoué (Béra, 2017).
-
[43]
Voir l’annexe 12 du présent article. Pour un commentaire antécédent, M. Béra, 2014a et 2014b.
-
[44]
Ce qui est un sujet en soi. Voir Giovanni Paoletti, 2012. On a ici les outils méthodologiques pour le faire, ne serait-ce qu’en comparant entre elles les bibliothèques spécifiques des professeurs.
-
[45]
Nous admettons sans peine que notre démarche n’est pas purement inductive – à supposer d’ailleurs que cette option méthodologique soit possible. Dans l’idéal, il aurait été bon de découvrir le substrat durkheimien en le faisant émerger à la faveur de tris successifs. Mais dans la réalité, nous avons utilisé la connaissance préalable que nous avions de sa bibliothèque pour les reconnaître et les identifier dans la masse des emprunts d’étudiants. En outre, nous avons dû nous résoudre à adopter ce parti-pris « présentiste » qui pose Durkheim en fondateur de la sociologie et en initiateur des sciences sociales alors qu’on le sait a posteriori. À l’époque, Durkheim était un enseignant de philosophie dans un département de philosophie, qui publiait dans la Revue philosophique, et cela au moins jusque 1898 (date de la parution du numéro 1 de L’Année sociologique).
-
[46]
G. Paoletti, 2012, annexe 1. C’est en troisième année à l’ENS (1881-82) que Durkheim commence à emprunter Renouvier et sa revue La Critique philosophique qui paraît à un rythme hebdomadaire (!) et traite des ouvrages récents. D’une manière générale, on aurait pu mettre en vis-à-vis les emprunts de l’étudiant Durkheim (1879-1882, n=250) et les emprunts de ses étudiants dix ans plus tard. Les intersections sont très fréquentes. La tradition se transmet ainsi : le professeur prescrit à ses propres étudiants ce qui lui avait été prescrit dix ans plus tôt par ses maîtres, qui le devaient eux-mêmes de leurs maîtres, etc. La culture philosophique évolue peu, il est vrai. Mais est-ce un défaut ? Nous ne le pensons pas. Et nous ne voyons nullement là les signes de la « fin de la philosophie » ou de sa « dé-fonctionnalisation », (Marc Joly, Après la philosophie, Paris, CNRS éditions, collection « interdépendances » dirigée par lui-même, 2020).
-
[47]
Celle-ci fut méditée pendant vingt ans et finalement soutenue en Sorbonne en 1907 sous le titre Essai sur les éléments principaux de la représentation. Elle fut dédiée « à la mémoire de Renouvier », avec lequel il avait un peu correspondu. Son cours de 1906 a également été publié. Dispensé à la Sorbonne et intitulé Le Système de Renouvier, il fut édité en 1927 par Pierre Mouy (1888-1946), l’un de ses étudiants.
-
[48]
On est loin de la lecture buissonnière décrite par Michel de Certeau. Cependant, une analyse minutieuse permet de constater que certains étudiants d’exception, sans doute riches et brillants – on pense au rentier russe Eugène Kolbassine agrégé en 1890, qui fit ensuite carrière au lycée de Bastia et qui fut un ami de Paul Valéry jusqu’à l’affaire Dreyfus – s’autorisaient des lectures en dehors des sentiers battus, sans compromettre pour autant leur réussite au concours.
-
[49]
Annexe 2, n=173.
-
[50]
Que nous avions exclue dans un premier temps pour isoler les auteurs qui leur étaient propres.
-
[51]
57% des 160 étudiants.
-
[52]
Malheureusement, nous n’avons pas pu retrouver les listes d’auteurs au programme de la licence de philosophie. Cela étant, il serait possible de la reconstituer, année par année, en se référant aux emprunts des étudiants.
-
[53]
Symétriquement, on peut s’interroger sur le fait que des agrégatifs lisent des auteurs hors concours et suivent les étudiants de licence. Il ne faut pas oublier que les agrégatifs sont des anciens étudiants de licence et qu’ils ont contracté des habitudes de lecture, ceci pouvant expliquer cela. Mais il existe d’autres motivations que seule l’analyse des correspondances privées pourrait mettre au clair, autrement que par la voie de cette archive à la fois bavarde et muette.
-
[54]
Voir l’annexe 12 qui présente de manière exhaustive et inédite les auteurs au programme de 1889 à 1902.
-
[55]
Voir la dernière colonne de l’annexe 2 : les emprunts sont parfois partagés avec les professeurs.
-
[56]
G. Paoletti, 2012, annexe 1 (sur les emprunts de Durkheim à l’ENS, p. 415). Les voici : Ribot, Psychologie anglaise et Psychologie allemande contemporaine, novembre 1881, en même temps que Comte (Philosophie positive) ; la thèse de Ribot sur l’hérédité ; Spencer, Classification des sciences. La Revue philosophique, n° 1 et 2 de 1876 et 1877. Comme le signale G. Paoletti (2012, note 1 p. 416), les sommaires de la Revue philosophique de 1876 et de 1877 sont éloquents : on y trouve Wundt, Spencer sur la psychologie, Spencer (Principes de sociologie), Espinas, Marion (sur Espinas). Tous ces auteurs furent décisifs pour Durkheim et ils vont devoir l’être pour ses étudiants. C’est encore en 1882 qu’il découvre Hartmann, Philosophie de l’inconscient (Paoletti, p. 420). Il poursuivra ensuite ses lectures psychologiques et sociologiques en empruntant à la Bibliothèque municipale de Sens (1883) Spencer, Introduction à la science sociale, Les premiers principes, De l’éducation ; Ribot, Psychologie allemande, La Revue philosophique, John Stuart Mill sur Hamilton. Il lut encore de la psychologie pendant son année sabbatique (1885-86) avant de partir en Allemagne : Despine, Dumont ; il les reprit encore à la bibliothèque municipale de Troyes en 1886-87 à son retour d’Allemagne pour sa dernière rentrée dans le secondaire (M. Béra 2017b).
-
[57]
Voir Serge Nicolas (2001) qui rappelle que Ribot occupa la première chaire de psychologie expérimentale de la Sorbonne (1885) puis du Collège de France (1888), chaire à laquelle lui succèdera Pierre Janet, condisciple et ami de Durkheim, qui tenta de le faire entrer aussi au Collège en 1902 sans succès.
-
[58]
Appréciation datée d’octobre 1882 qui figure au dossier Durkheim (citée par Marcel Fournier, 2007, p. 56.). Durkheim impressionnait ses camarades pour son aptitude à la métaphysique, à la rhétorique, mais aussi le directeur de l’Ecole par ses affinités toutes spéciales avec la psychologie.
-
[59]
Voir la bibliographie de S. Lukes, 1973.
-
[60]
F. Alcan fit ses études à l’ENS en même temps que Ribot (ENS 1862-1865, agrégé en 1866 après un premier échec), mais dans la section Science et sans obtenir l’agrégation ; en même temps aussi qu’Espinas (ENS 1864, agrégé en 1871 pour des raisons inconnues), intime de Ribot. Leur correspondance abondante a été publiée dans la Revue philosophique en plusieurs livraisons par l’ancien étudiant Lenoir (voir Wolf Feuerhahn et Thibaud Trochu, « Autoportraits de Théodule Ribot en correspondant », Revue philosophique, 2016/4, p. 521-540 sur les échanges de correspondances entre Ribot et divers interlocuteurs, dont Espinas). Ajoutons que Liard (1846-1917) est passé à l’ENS en 1866 et fut agrégé en 1869. Il put croiser Espinas et Ribot à cette époque.
-
[61]
Il effectua lui-même un voyage en Allemagne en 1879 (W. Feuerhahn et T. Trochu, 2016, p. 528.)
-
[62]
On pense aux passages bien connus des Règles de la méthode sociologique, publié en 1894 dans la Revue philosophique de Ribot.
-
[63]
Ce point serait à éclaircir (M. Fournier 2007, p. 125 et M. Béra, 2014). Il semble que Durkheim ait proposé un cours de psychologie appliquée à l’éducation en 1892 et 1893, sans doute pour renouveler ses cours de pédagogie dont il semblait se lasser. Il a ensuite dispensé des conférences de psychologie en 1894 et 1895 (avec cette précision pour la seconde année : « Les émotions et l’activité »), puis 1896 et 1897, avant de devoir reprendre ses cours d’éducation morale pour les instituteurs et institutrices et directeurs d’école. Il aurait donc dispensé des cours de psychologie six années sur quinze. Ses lettres à M. Mauss établissent que Durkheim appréciait cet enseignement dont il ne nous reste plus de trace, mais qui devait être assez « conventionnel », au sens où il devait surtout compiler des auteurs de psychologie.
-
[64]
On peut consulter la 6e édition de 1892 sur Gallica. La première remonte à 1870.
-
[65]
La fiche des options ne présente pas explicitement l’épreuve de psychologie. Elle pouvait se dissimuler derrière la pédagogie ou la science sociale.
-
[66]
Nous nous sommes arrêtés ici à la fréquence 10. Dans les fréquences plus basses, on continue de trouver des psychologues et biologistes : Romanès, Évolution mentale chez les animaux (emprunté par 7 étudiants) ; Luys, Le cerveau et ses fonctions (par 3) ; Bouiller, Du plaisir et de la douleur (par 4) ; Sergi, La psychologie physiologique (par 2) ; Ferri (Louis), La psychologie de l’association, 1883 (par 3) ; Spencer, Principes de biologie (par 3). Rappelons que les données portent sur 13 années, ce qui relativise la force de cette influence quand on se représente qu’un ouvrage fut emprunté seulement 3 fois en 13 ans (parmi une centaine de lecteurs potentiels et un total de 3 000 actes d’emprunts, soit une probabilité de 3/3000 = 0,001).
-
[67]
Rappel : l’influence du maître ne présuppose pas qu’il y ait un chevauchement des emprunts entre lui et ses étudiants.
-
[68]
Voir Béra, 2019b.
-
[69]
Voir Béra, 2019b. Durkheim proposera à Foucault de faire le compte rendu d’un ouvrage d’H. Hoffding.
-
[70]
Sur la naissance de la psychologie, voir Wolf Feuerhahn (dir.) 2017.
-
[71]
Tableau où l’on a isolé leurs emprunts (annexe 1).
-
[72]
Nous ne disons pas « inexistantes » en nous appuyant sur ce que Durkheim écrivit en 1895 : « Parmi les auteurs que les candidats doivent étudier au programme de l’agrégation de philosophie – par laquelle on recrute les professeurs de lycée – figurent depuis quelques années des œuvres de sociologues [fait-il allusion à Comte, Mill, Spencer ?] et on a même appelé à la présidence du jury des spécialistes renommés de sociologie [de qui parle-t-il, sinon de lui-même pour les deux années 1891 et 1892 ? Mais il n’était pas le président ! C’était Pierre Janet] afin de représenter ces nouvelles études et d’indiquer aux candidats ce dont ils doivent s’occuper ». Texte publié en 1895 dans la Riforma sociale et réédité dans Karady 1975, Texte 1 p. 73 et s.
-
[73]
Sans parler du fonds de la Bibliothèque universitaire.
-
[74]
Pour reprendre une expression de S. Mosbah-Natanson (2017).
-
[75]
Les treize leçons qui composent ce cours, contiennent une soixantaine de références directes, dont aucune – à part Ferri, Sociologie criminelle – n’a été empruntée par un étudiant ! Voici un test grandeur nature, aussi éloquent que possible, sur la tendance des étudiants à ne pas approfondir les cours de leurs enseignants (y compris de Durkheim en science sociale) en n’allant pas emprunter les soixante références citées par le professeur pendant le cours !
-
[76]
M. Béra, 2014.
-
[77]
Exemple de mail reçu par l’une de nos étudiants de L1 AES à propos de notre cours d’introduction à la sociologie, qui rejoint exactement ce qu’on cherche à illustrer ici : « Je voulais vous demander si, pour les notions clés que l’on [a] à apprendre et que vous nous avez données sous forme de fiches, on doit seulement se tenir à celles-ci et le contenu de votre cours. Ou bien devons-nous aussi les développer en faisant des recherches de notre côté ? J’ai presque fini de réviser la sociologie mais je trouve les notions assez courtes alors je [ne] sais pas si elles suffisent pour l’examen ou non ». (Amandine B, 3 décembre 2019). Réponse du professeur : « Le cours suffira », sous-entendu : ne lisez pas en bibliothèque – ce qui va à l’encontre du principe de notre représentation idéale de l’étudiant modèle. C’est aussi le principe de réalité qui nous guide, considérant ce qui est exigible des étudiants de L1 AES pour un cours « d’éveil ».
-
[78]
M. Béra, 2014, 2017a, N. Sembel et M. Béra, 2013.
-
[79]
Au sens mathématique : A + B + C + D = le total.
-
[80]
Pour première analyse de cette partie de la bibliothèque partagée par Durkheim et ses étudiants, voir Béra, 2017b chapitre 12.
-
[81]
Annexe 6, colonne lecteurs LA.
-
[82]
Cependant, la méthode n’est pas infaillible. Par exemple, M. Mauss, emprunteur de rang moyen (en termes quantitatifs), apparaît, de ce fait, comme peu marqué par son oncle, ce qui est absurde. On sait que la réalité fut tout autre. Pour ce qui le concerne, l’indicateur mobilisé n’est pas pertinent. Il ne vaut que pour le tout venant des étudiants.
-
[83]
Au sens de Callon, 1989 et de la sociologie de l’acteur réseau.
-
[84]
Il est vrai que 28 sur 79 étudiants emprunteurs représentent le tiers des effectifs actifs en bibliothèque. En prenant le problème dans l’autre sens, on pourrait dire que la bouteille était « un tiers pleine ».
-
[85]
Futur recteur.
-
[86]
René Hourticq, Leçons de logique et de morale, Paris, Delagrave, 1924.
-
[87]
Voir Béra, 2019c.
-
[88]
Cette « bibliothèque » a été déjà établie, sinon en elle-même, du moins à l’intérieur de la bibliothèque des étudiants partagés avec les universitaires. Le cadre de cet article ne permet pas d’explorer tous les cas.
-
[89]
Se reporter à l’article de S. Goux-Diétlin dans ce dossier.
-
[90]
Idem.
-
[91]
Le ministère titularise Durkheim en juin 1896 à la chaire de science sociale créée pour lui, à la condition expresse qu’il reprenne à sa charge le cours de pédagogie qu’il avait cédé à Rodier depuis le départ d’Espinas « par suite d’un arrangement personnel ». Il dut rétrocéder la psychologie à Rodier.
-
[92]
Nous sommes en relation avec ses descendants, agrégés de philosophie sur trois générations (Jeanne incluse) ! Ils ne possèdent malheureusement aucun document ayant appartenu à leur brillante aïeule, première agrégée de philosophie en France en 1905, une génération avant Simone de Beauvoir qui ne fut donc pas la première comme on peut le lire ici ou là (elle naquit en 1908 et décrocha l’agrégation – non mixte – en 1929). Jeanne Baudry prépara une thèse sur Kant qu’elle interrompit pour accompagner son mari polytechnicien en Amérique du Sud. Elle n’enseigna qu’à la fin de sa vie alors qu’elle était devenue veuve, et remplaça un collègue pendant l’Occupation.
-
[93]
Rappelons que nous n’avons pas transcrit les registres au-delà du départ de Durkheim. On ne peut donc pas suivre les liens tissés par Rodier et ses étudiants entre 1902 et son propre départ à Paris en 1908.
-
[94]
Les appréciations de son dossier personnel insistent sur l’immense « emprise » qu’il exerça sur ses étudiants, « l’infini dévouement » qu’il démontrait. Dans un article à écrire, on pourrait en fournir de multiples preuves. Nous aimerions pouvoir éditer la correspondance des 50 lettres conservées par Marcel Foucault de 1885 à 1907 qui démontrent tout le dévouement de l’enseignant pour son étudiant. À force de se dévouer, il sacrifiait le temps qu’il aurait dû consacrer à écrire sa thèse, qu’il porta comme un fardeau pendant 20 ans, de 1887 (au moins) à 1907. Le doyen Stapfer s’en attristait tous les ans dans ses rapports.
-
[95]
Signalons qu’Hamelin empruntait régulièrement les numéros de La Critique philosophique.
-
[96]
Les bibliothèques présentées ici apportent une foule de données qui n’ont jamais été travaillées par les spécialistes de la genèse des travaux de Durkheim, ou les spécialistes de la genèse de la sociologie tout court. Comment prétendre pénétrer l’esprit de Durkheim sans avoir lu Renouvier, Kant, Hobbes, Descartes, et, pour ses contemporains, Fouillée, Guyau, Spencer ? On doit rendre hommage ici à Paoletti (2012), l’un des rares philosophes contemporains capable de réaliser ce travail puisqu’il connaît l’œuvre de Durkheim et les philosophes. Egalement à Susan Stedman Jones et Marie-Claude Blais sur Renouvier.
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[97]
Leurs noms figurent dans notre fichier général qui contient tous les individus ayant emprunté un ouvrage à la Bibliothèque, y compris ceux non identifiés dans les dossiers administratifs des étudiants inscrits en philosophie.
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[98]
Nous avons choisi de conserver dans les tableaux les numéros des cotes pour permettre aux lecteurs qui seraient intéressés de se rendre sur le site de la BU de Bordeaux, Babord+. En outre, des options numériques permettent « de flâner » sur les étagères virtuelles, ce qui donne une idée du fonds (passé et présent) et de ses logiques de classement.
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[99]
En gras, auteurs qui correspondent à des emprunts et certainement à des cours dispensés par Durkheim.
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[100]
Rectificatif, BA n° 773, p. 973