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Article de revue

Les preuves leibniziennes de l’existence de Dieu : la « voie » du mouvement

Pages 357 à 386

Notes

  • [1]
    Conspectus demonstrationum catholicarum (1668-1669 ?), A VI, 1, 494.
  • [2]
    Dans sa lettre à Conring du 8 février 1671, Leibniz annonce en effet que la théologie naturelle doit bénéficier des « nouvelles lumières » apportées par la doctrine du mouve­ment (A II, 1, 131).
  • [3]
    Voir A VI, 1, 489-490.
  • [4]
    A VI, 1, 489. Nous suivons ici la traduction que Christiane Frémont donne du texte, sous le titre Profession de foi de la nature contre les athées, in Leibniz. Discours de métaphysique et autres textes, Paris, Flammarion, « GF », 2001 [abrév. : Frémont 1], p. 27.
  • [5]
    C’est la raison pour laquelle les deux preuves seront exposées immédiatement à la suite l’une de l’autre dans la Confessio naturae.
  • [6]
    A VI, 1, 165.
  • [7]
    A VI, 1, 169.
  • [8]
    Voir A VI, 1, 170.
  • [9]
    Jacques Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Puf, 1960, p. 94.
  • [10]
    Voir Physique, VIII, 5, 256a13-21.
  • [11]
    A II, 1, 19. Nous suivons ici la traduction de Richard Bodéüs, in Leibniz-Thomasius. Correspondance 1663-1672 [abrév. : Bodéüs], Paris, Vrin, 1993, p. 57.
  • [12]
    Cf. Physique, VII, 1, 241b34 ; VIII, 5, 256a13-21 et VIII, 6, 259a30-259b.
  • [13]
    Voir Somme théologique, Ia, qu. 2, art. 3. Voir aussi Somme contre les gentils, I, 13.
  • [14]
    Voir De corpore, P. II, c. 10, § 1.
  • [15]
    Ibid., P. II, c. 9, § 7.
  • [16]
    A II, 1, 92.
  • [17]
    Leibniz prétend que Hobbes l’utilise constamment, sans pourtant l’avoir prouvée (ibid., 94). On notera que cette maxime n’apparaît pas comme telle sous la plume du philosophe anglais.
  • [18]
    À Thomasius (26 septembre/6 octobre 1668), A II, 1, 19 (Bodéüs, p. 57).
  • [19]
    On sait les efforts déployés par Leibniz pour accorder la physique aristotélicienne (obscurcie par les scolastiques) aux réquisits de la nouvelle science. Voir notamment les lettres à Thomasius des 26 septembre/6 octobre 1668 et 20/30 avril 1669 (A II, 1, 18-19 et 25-34).
  • [20]
    A II, 1, 33 (Bodéüs, p. 110). Sur cette interprétation contestable d’Aristote et le sens véritable de l’argument par le procès à l’infini, voir le commentaire de R. Bodéüs, op. cit., p. 149, note 179 et pp. 204-205.
  • [21]
    Cité sur ce point in A II, 1, 33 (Bodéüs, p. 110).
  • [22]
    Physique, VIII, 5, 256a17-19.
  • [23]
    Cf. À Thomasius (20/30 avril 1669), A II, 1, 25 (Bodéüs p. 98). Voir aussi Hypothesis physica nova, § 57, A VI, 2, 248.
  • [24]
    A VI, 1, 489 (Frémont 1, p. 28 ; traduction modifiée).
  • [25]
    A VI, 1, 490. Ce principe d’économie plaide incontestablement, selon Leibniz, en faveur de la nouvelle physique. Comme l’indique la lettre à Thomasius du 20/30 avril 1669, quand l’hypothèse des Modernes et celle des scolastiques seraient également possibles, la première l’emporterait toujours sur la seconde en raison de sa plus grande clarté et de sa plus grande intelligibilité. Elle a en effet cet avantage de n’alléguer « aucun être incorporel au sein des corps », et de ne supposer « rien en dehors de la grandeur, de la figure et du mouvement » (A II, 1, 26 ; Bodéüs, pp. 100-101 ; traduction modifiée). Sur l’interprétation leibnizienne du principe d’économie, voir la Dissertation préliminaire à la réédition des quatre livres de Nizolius (1670), A VI, 2, 428 : la règle générale « Entia non esse multiplicanda praeter necessitatem » revient à ceci : « Hypothesin eo esse meliorem, quo simpliciorem, et in causis eorum quae apparent reddendis eum optime se gerere, qui quam paucissima gratis supponat. »
  • [26]
    « Ac principio hodiernis philosophis, Democriti et Epicuri resuscitatoribus, quos Robertus de Boyle corpusculares non inepte appellat, ut Galilaeo, Bacono, Gassendo, Cartesio, Hobbesio, Digbaeo facile condescendendo assensus sum […]. » (A VI, 1, 489-490.) L’usage de dresser des listes de noms de philosophes modernes (voir aussi par exemple, dans la correspondance avec Thomasius, A II, 1, 18 et 24-25) est une manière pour Leibniz de ne faire allégeance à aucun d’entre eux en particulier, mais seulement de manifester un accord avec eux sur certains principes généraux. Il se déclare d’ailleurs « rien moins qu’un cartésien » (A II, 1, 25).
  • [27]
    Le terme « naturaliste » est présent dans la Confessio naturae (A VI, 1, 490) et sera repris dans un texte fameux (daté entre 1678 et 1680) qui commence par « il y a deux sectes de Naturalistes qui sont en vogue aujourdhuy […] » (A VI, 4-B, 1384).
  • [28]
    Voir Boyle, Some Specimens of an Attempt to Make Chemical Experiments Useful to Illustrate the Notions of the Corpuscular Philosophy (1661), préface, in The Works of the Honourable Robert Boyle, vol. I, London, 1772, pp. 355-356, p. 358. Le texte a ensuite été traduit en latin. On le trouve sous le titre Specimen unum atque alterum e quibus constat, quantopere Experimenta chymica philosophiae corpuscularis illustrationi inserviant, in Tentamina quaedam physiologica diversis temporibus et occasionibus conscripta, Amsterdam, 1667, voir pp. 168-170.
  • [29]
    Précisons bien les raisons et la limite de cette exclusion. Dieu, quoiqu’il soit pour Hobbes un corps, n’est pas l’objet de la philosophie car il est inengendré et incompréhensible. En outre, interdire de recourir à lui dans l’explication particulière des effets naturels n’empêche pas de le poser à l’origine de toutes les chaînes de causes.
  • [30]
    De ipsa natura […] (1698), GP IV, 514 ; voir aussi Systeme nouveau de la nature et de la communication des substances, aussi bien que de l’union qu’il y a entre l’ame et le corps (1695), GP IV, 478.
  • [31]
    Voir aussi A VI, 2, 280 (1670-1671 ?).
  • [32]
    Pour Boyle, la « doctrine corpusculaire » se résume à poser « que les corps ne diffèrent que par la grandeur, la figure, le mouvement ou le repos, et la situation des particules qui les composent, qui peut toujours être infiniment variée » (Some Specimens of an Attempt […], p. 358).
  • [33]
    Leibniz voit dans la philosophie nouvelle « un présent de Dieu offert à la vieillesse du monde, comme unique planche d’un salut futur pour les hommes pieux et prudents dans le naufrage de l’athéisme qui s’abat présentement sur eux » (À Thomasius, 20/30 avril 1669, A II, 1, 37 ; Bodéüs p. 115).
  • [34]
    A VI, 1, 492 (Frémont 1, p. 32).
  • [35]
    A II, 1, 102.
  • [36]
    Cf. ibid. 103 ; Theoria motus abstracti, A VI, 2, 266 (16), 269 (17). Voir aussi À Hobbes (13/23 juillet 1670), A II, 1, 92-93.
  • [37]
    Voir infra notre dernière partie.
  • [38]
    Voir A VI, 1, 490-491 (Frémont 1, pp. 29-30).
  • [39]
    A VI, 1, 492 (Frémont 1, pp. 32-33 ; traduction modifiée).
  • [40]
    Voir A VI, 1, 491.
  • [41]
    Voir par exemple la formulation du principe donnée au § 44 de la Théodicée.
  • [42]
    Sur ce point voir notre ouvrage, La Question du mal chez Leibniz. Fondements et élaboration de la Théodicée, Paris, Honoré Champion, 2008, pp. 60-68, 125-135, 150-169.
  • [43]
    Voir De corpore, P. II, c. 9, § 7. Hobbes est visé ici, comme le sont Épicure et les atomistes à travers la critique que Leibniz adresse à ceux qui attribuent une cause éternelle au mouvement.
  • [44]
    Parce qu’elle revient, pour ainsi dire, à « spiritualiser » les corps (cf. À Thomasius, 20/30 avril 1669, A II, 1, 35).
  • [45]
    A VI, 1, 492 (Frémont 1 p. 33). Dans sa lettre à Thomasius du 20/30 avril 1669, Leibniz fait de l’esprit « l’être pensant (ens cogitans) », ce qui fait de la pensée un attribut de l’esprit et pas seulement l’une de ses actions (A II, 1, 34).
  • [46]
    Voir, par exemple, À Thomasius (26 septembre/6 octobre 1668), A II, 1, 18 et 19.
  • [47]
    À Thomasius (20/30 avril 1669), A II, 1, 32 (Bodéüs, p. 109).
  • [48]
    Ibid., 31 (Bodéüs, p. 108 ; traduction modifiée).
  • [49]
    Bodéüs, p. 289. Nous soulignons.
  • [50]
    Comme il l’affirme dans son commentaire p. 205.
  • [51]
    Sur cet occasionnalisme en physique, dont témoignent encore en 1678 le De Corporum concursu et le De Motu tractationis conspectus (lib. I, in Leibnizens Nachgelassene Schriften physikalischen,mechanischen und technischen Inhalts, édité et annoté par E. Gerland, Leipzig, 1906, p. 114), voir notamment A. Robinet, Architectonique disjonctive, automates systémiques et idéalité transcendantale dans l’œuvre de G. W. Leibniz, Paris, Vrin, 1986, pp. 132-135 ; pp. 191-193 ; F. Duchesneau, La Dynamique de Leibniz, Paris, Vrin, « Mathesis », 1994, pp. 110-111 ; 120, 122-123 ; 144-145 ; M. Fichant, « Mécanisme et métaphysique : le rétablissement des formes substantielles (1679) », in Science et métaphysique dans Descartes et Leibniz, Paris, Puf, « Épiméthée », 1998, p. 178, p. 181.
  • [52]
    Cf. À Thomasius (19/29 décembre 1670), A II, 1, 119-120 ; À Oldenburg (23 juillet 1670), A II, 1, 95-96, À Conring (8 février 1671), A II, 1, 131-132 ; Hypothesis physica nova, qua Phaenomenorum Naturae plerorumque causae ab unico quodam universali motu, in globo nostro supposito […] repetuntur (1671), notamment le § 57 (A VI, 2, 247-249).
  • [53]
    Voir Nova methodus, A VI, 1, 286-287.
  • [54]
    Voir Pour le duc Jean-Frédéric (21 mai 1671), A II, 1, 182.
  • [55]
    Cf. ibid., 181 ; Au duc Jean-Frédéric (octobre 1671), A II, 1, 265 ; À Arnauld (début novembre 1671), A II, 1, 279.
  • [56]
    Voir Pour le duc Jean-Frédéric (21 mai 1671), A II, 1, 181.
  • [57]
    Au duc Jean-Frédéric (octobre 1671), A II, 1, 265. Sur la définition de la conscience, de la pensée, ou encore de la réflexion par l’action sur soi, voir par exemple A VI, 2, 285 ; A VI, 3, 588 ; De affectibus, A VI, 4-B, 1411 ; A VI, 4-B, 1452.
  • [58]
    A. Robinet parle à juste titre d’un « occasionalisme restreint au domaine de la substance corporelle » (Architectonique disjonctive […], op. cit., p. 132).
  • [59]
    À Thomasius (20/20 avril 1669), A II, 1, 38 (Bodéüs p. 116 ; traduction modifiée).
  • [60]
    Ibid., 36 (Bodéüs pp. 114-115 ; traduction modifiée).
  • [61]
    « Démonstration [de l’existence de Dieu] à partir de ce principe, que le mouvement ne peut se produire sans création continuée. » (A VI, 1, 494.)
  • [62]
    A VI, 1, 496.
  • [63]
    Elle n’est pas nécessaire au sens logique du terme, c’est-à-dire telle que son opposé soit impossible (l’absence de création n’est pas contradictoire). Elle ne l’est pas davantage au sens métaphysique, puisqu’est absolument nécessaire ce qui est par soi (Dieu) et non par autre chose (le monde, qui n’est nécessaire qu’ex hypothesi). Sur ce point, voir Confessio philosophi, A VI, 3, 127-129.
  • [64]
    Notons que cette unification – par le conatus comme ultérieurement par la monade – se fait toujours sinon en « spiritualisant » les corps, tout du moins en accordant au corps des caractéristiques habituellement attribuées à l’esprit (indivisibilité et immatérialité).
  • [65]
    Cf. À Oldenburg (29 avril/9 mai 1671), A II, 1, 166. Voir aussi A VI, 3, 494.
  • [66]
    A VI, 3, 67.
  • [67]
    Voir À Arnauld (début novembre 1671), A II, 1, 281.
  • [68]
    A VI, 3, 100.
  • [69]
    Voir ibid., 100-101.
  • [70]
    A VI, 3, 566.
  • [71]
    Ibid., 567. En effet « Dieu se conserve lui-même, bien qu’il ne se reproduise pas continuellement » (A VI, 3, 465).
  • [72]
    A VI, 3, 567.
  • [73]
    Voir A VI, 3, 494.
  • [74]
    Voir A VI, 3, 500 : « Est enim motus nihil aliud, quam transcreatio. »
  • [75]
    Voir A VI, 3, 503.
  • [76]
    De corporum concursu (janvier 1678), in G. W. Leibniz. La réforme de la dynamique. Textes inédits, édition, présentation, traductions et commentaires par M. Fichant, Paris, Vrin, « Mathesis », 1994, p. 293.
  • [77]
    Voir ibid., p. 270.
  • [78]
    Voir A II, 1, 672-674.
  • [79]
    Sur cette critique – que nous n’étudierons pas ici – voir notamment A VI, 4-B, 1391-1392 (daté entre 1678 et 1679) ; À Erhard Weigel (septembre 1679), A II, 1, 747-748 ; À Seckendorff (26 juillet 1685), A II, 1, 873-874 ; Grua 330-332 ; FC (NL), 150-162 ; Théodicée, § 384.
  • [80]
    Quoique la thèse de la création continuée demeurât toujours admise par Leibniz, sous une forme cependant différente de celle de Weigel.
  • [81]
    « Materiam et Motum esse phaenomena tantum, seu continere in se aliquid imaginarii […]. » (Fragment daté de l’hiver 1682-1683, A VI, 4-B, 1463.) Voir aussi Mira de natura substantiae corporeae (29 mars 1683), A VI, 4-B, 1465 ; Specimen inventorum […] (1688 ?), A VI, 4-B, 1622-1623.
  • [82]
    Discours de métaphysique § 18, A VI, 4-B, 1559. Voir aussi À Arnauld (30 avril 1687), A II, 2, 187.
  • [83]
    Comme le dira Leibniz à Pellisson-Fontanier (juillet 1691) : « […] le mouvement est une chose successive, laquelle par consequent n’existe jamais, non plus que le temps, parce que toutes ses parties n’existent jamais ensemble […] » ; alors que « la force ou l’effort existe tout entier à chaque moment, et doit estre quelque chose de veritable et de réel » (A II, 2, 434). Voir aussi À Jaquelot (22 mars 1703), GP III, 457.
  • [84]
    À la fin des années 1670. Voir notre livre op. cit., pp. 195-212.
  • [85]
    Nous réservons à une autre étude l’examen particulier de cette preuve de Dieu par les lois du mouvement.
  • [86]
    Cette indifférence doit être entendue en un sens logique (modal), mais non physique, puisque la matière, loin d’être indifférente au mouvement, y résiste par son inertie naturelle. C’est pourquoi elle demande, pour être mue, d’autant plus de force qu’elle est plus grande (voir par exemple De ipsa natura […], GP IV, 510 (11)).
  • [87]
    Principes de la nature et de la grâce § 8. Voir aussi Lettre sur ce qui passe les sens et la matiere, GP VI, 497 ; Théodicée § 7 ; Monadologie §§ 36-38.
  • [88]
    Considerations […], GP VI, 540.
  • [89]
    Ibid., 541. Voir aussi Systeme nouveau […], GP IV, 486 ; Nouveaux essais sur l’entendement humain IV, 10, §§ 9-10, A VI, 6, 438, 440-441 ; Cinquième écrit à Clarke (août 1716), GP VII, 411 (87).
  • [90]
    Considerations […], GP VI, 541.
  • [91]
    Éclaircissement […], 550.
  • [92]
    Cf. Considerations […], 542 ; Éclaircissement […], 548-549, 552-553.
  • [93]
    « frustraneum effugium » (A VI, 1, 491).
  • [94]
    GP IV, 396 (texte daté de mai 1702).
  • [95]
    Éclaircissement […], GP VI, 552-553.
  • [96]
    Ibid., 548.
  • [97]
    Ibid., 549.
  • [98]
    Systeme nouveau […], GP IV, 486.
  • [99]
    Je remercie vivement François Duchesneau pour les éclaircissements qu’il m’a apportés sur ce point.
  • [100]
    De ipsa natura […], GP IV, 515 (14). Voir aussi la correspondance avec Wolff, GB 131, 139.
  • [101]
    GP IV, 397.
  • [102]
    De primae philosophiae Emendatione, et de Notione Substantiae (1694), GP IV, 469.

1 Le programme des Démonstrations catholiques, initié par Leibniz dans les années 1668-1669 sous le patronage du baron de Boinebourg, évoque une première partie consacrée à la démonstration de l’existence de Dieu. Cinq preuves sont annoncées :

2

chap. I. démonstration à partir de ce principe : que rien n’est sans raison.
chap. II. démonstration à partir de ce principe, que le mouvement ne peut se produire sans création continuée.
chap. III. démonstration à partir de ce principe : que l’origine du mouvement n’est nullement dans les corps.
chap. IV. démonstration à partir de ce principe, que l’origine de la consistance n’est nullement dans les corps.
chap. V. démonstration de la probabilité infinie, c’est-à-dire de la certitude morale, que la beauté du monde est née d’un esprit [1].

3 Ce plan indique clairement le point de vue que le jeune philosophe souhaite privilégier dans ses démonstrations de Dieu. Il parle en physicien, car c’est bien l’étude de la nature qui doit fournir l’essentiel des preuves [2]. Comme l’exprime de façon explicite le titre d’un écrit contemporain – Confessio naturae contra atheistas –, la nature elle-même confesse Dieu, elle témoigne en sa faveur, détruisant ainsi l’illusion entretenue par les philosophes modernes qui prétendent tout expliquer « mécaniquement », c’est-à-dire par la grandeur, la figure et le mouvement des corps, sans supposer ni requérir Dieu à un moment quelconque de leur raisonnement [3]. Leibniz n’entend aucunement contester les acquis de la science nouvelle. Bien au contraire, il veut montrer que loin de pouvoir se passer de Dieu, le mécanisme lui-même en dernière instance y reconduit, et confirmer ainsi l’adage de Bacon (cité au tout début de la Confessio naturae) : « Si la philosophie effleurée en passant éloigne de Dieu, elle y ramène lorsqu’on l’approfondit plus avant [4]. »

4 La preuve la plus puissante que fournit la philosophie naturelle est cer­- tainement, à ses yeux, la preuve par le mouvement, à laquelle se rattache directement celle par la consistance des corps [5]. Elle est la preuve qu’il développe le plus dans ses premiers écrits, et celle qui apparaît chronologiquement la première, puisqu’elle est exposée – et elle est la seule à s’y trouver – au début du De arte combinatoria (1666).

5 L’objet des pages qui suivent est d’étudier comment le jeune Leibniz l’élabore dans le cadre théorique particulier de sa première physique, et comment l’évolution doctrinale intervenue au début des années 1670 va entraîner sa modification, puis sa disparition avec la réforme de la mécanique et la réhabilitation des formes substantielles. On tâchera enfin d’expliquer les raisons de sa réapparition ultérieure, sous des formes nouvelles, à travers notamment la preuve par la contingence et l’hypothèse de l’harmonie préétablie.

I. La preuve par le mouvement dans la première physique (1666-1670)

6 La démonstration de l’existence de Dieu par le mouvement figure dans le De arte combinatoria à titre d’addition (additamentum). Elle relève, si l’on en croit le sous-titre de l’ouvrage, d’une « certitude mathématique [6] ». Dieu y est défini comme « substance incorporelle douée d’une vertu infinie ». Cette vertu infinie est « la puissance principale de mouvoir l’infini », car c’est en vertu de cette puissance principale qu’opèrent les causes secondes (définition 3). Leibniz énonce ensuite quatre axiomes :

7

Axiome 1. Si quelque chose est mû, il existe une autre chose qui [le] meut. Ax. 2. Tout corps qui meut est mû. Ax. 3. Un tout est mû par le mouvement de toutes ses parties. Ax. 4. Tout corps a des parties infinies, c’est-à-dire comme on dit ordinairement, le continu est divisible à l’infini.

8 Leibniz ajoute enfin cette observation : « Quelque corps est mû [7]. »

9 Ceci posé, la démonstration [8] consiste à partir d’un corps quelconque A qui est en mouvement. Si A n’est pas mû par Dieu (c’est-à-dire par un moteur incorporel), mais par un autre corps (B), ce corps B sera lui-même mû (au nom de l’Ax. 2) et devra trouver la cause de son mouvement dans autre chose. Si ce n’est pas en Dieu, mais dans un autre corps encore, et ainsi de suite, on devra poser que les corps se meuvent continuellement « dans tout l’infini ». Or tous ces corps constituent un tout (C). Toutes les parties de C sont mues, donc C sera mû aussi (au nom de l’Ax. 2), par quelque chose d’autre (au nom de l’Ax. 1) qui sera incorporel (puisque tous les corps sont compris dans C, et qu’il faut donc recourir à quelque chose d’autre que C). Ce moteur incorporel doit être d’une vertu infinie, puisqu’il meut C qui est infini. Ce moteur incorporel est donc Dieu. C.Q.F.D.

10 La démonstration pourrait sembler, à première vue, traditionnelle. Jacques Jalabert y voit au fond la reprise de « la preuve aristotélicienne et thomiste par le mouvement [9] ». Elle paraît inspirée d’un passage bien connu du livre VIII de la Physique, où Aristote montre à partir de la considération du mouvement, la nécessité de poser un premier moteur immobile [10]. Dans sa lettre du 26 septembre/6 octobre 1668 à son ancien professeur Jakob Thomasius, Leibniz fait en effet du Stagirite l’auteur de ce « fameux théorème » : « Tout ce qui est mû, a, en dehors de soi, la cause de son mouve­- ment » ; théorème « qui fournit l’échelle sur laquelle lui-même [Aristote] s’est appuyé aussi pour s’élever au premier moteur » [11]. Pourtant, on notera que ce « théorème » ne se trouve pas comme tel dans Aristote, qui, en toute rigueur, ne dit pas que « tout ce qui est mû, a, en dehors de soi, la cause de son mouvement », mais que « tout ce qui est mû est nécessairement mû par quelque chose », ce quelque chose pouvant être immobile ou mû à son tour, et, s’il est mû, l’est ou par lui-même spontanément, ou par une autre cause [12]. En revanche, la formule « tout ce qui est mû est mû par autre chose » – qui correspond à l’axiome 1 de Leibniz – se trouve bien chez Thomas d’Aquin, dans sa version de la preuve de l’existence de Dieu par le mouvement. Cependant une comparaison attentive avec la version thomiste [13] révèle des différences remarquables et significatives avec la démonstration du De arte.

11 Pour établir sa preuve, le Docteur angélique use en effet de trois outils théoriques, absents de l’exposé leibnizien : 1. la distinction entre la puissance et l’acte, 2. la thèse (implicite) de l’impossibilité d’un mouvement éternel ; 3. l’impossibilité d’une régression à l’infini. Il procède de la manière suivante :

12 1. Mouvoir une chose signifie la faire passer de la puissance à l’acte, « or rien ne peut être amené à l’acte autrement que par un être en acte ». Comme un même être, envisagé sous le même rapport (secundum idem), ne peut être à la fois en acte et en puissance, il ne peut être, sous le même rapport, à la fois mouvant et mû, c’est-à-dire se mouvoir lui-même. « Il faut donc que tout ce qui est mû soit mû par autre chose. »

13 2. et 3. Si ce qui meut est aussi mû, il est nécessaire qu’il le soit par une autre chose, et celle-ci par une autre encore. Le procès ne peut se poursuivre ainsi à l’infini, car cela impliquerait qu’il n’y ait pas de premier moteur, et par suite pas de moteurs du tout, « car les moteurs seconds ne meuvent que selon qu’ils sont mûs par le moteur premier, comme le bâton ne meut que s’il est mû par la main ». Il faut donc nécessairement s’arrêter à un premier moteur, qui ne soit lui-même mû par aucun autre. Ce premier moteur est Dieu.

14 Soulignons que Leibniz ne prend pas la peine de prouver le principe selon lequel tout ce qui est mû l’est par autre chose (l’axiome 1), à la différence de Thomas d’Aquin qui emploie à cet effet la distinction entre la puissance et l’acte. Pourquoi ? Nous avons vu qu’il attribue cet axiome, ou plutôt ce « théorème », à Aristote. Il peut donc le considérer comme couramment admis et ne nécessitant pas, par conséquent, de démonstration. Il sait par ailleurs que ce « théorème » appartient également à la science nouvelle, laquelle n’a pas besoin de recourir à la distinction entre puissance et acte pour l’établir et en user, puisqu’elle se fonde sur d’autres concepts et d’autres principes que ceux de l’École. Parmi les représentants de cette science nouvelle, il y a Hobbes, dont Leibniz a lu le De corpore, où l’auteur substitue à la distinction de la puissance et de l’acte celle de la cause et de l’effet [14], et affirme que « la cause du mouvement ne peut être que dans un corps contigu et en mouvement [15] ». Dans sa lettre à Hobbes du 13/23 juillet 1670, Leibniz approuve cette dernière proposition, qu’il rend sous une forme légèrement modifiée : « Un corps ne peut être mû que par un corps contigu et en mou­- vement […] [16]. » Il refuse cependant d’en tirer la conclusion que « tout moteur est un corps » (Omnis motor est corpus), ou tout du moins réclame qu’elle soit démontrée [17]. On comprend aisément la raison de cette demande : l’adoption de cette conclusion reviendrait évidemment à nier la possibilité d’un moteur incorporel et ruinerait par suite la preuve par le mouvement.

15 La démonstration du De arte n’est pas aristotélicienne ni même thomiste. Elle traduit plutôt une adhésion aux principes de la physique des « Modernes ». Cette adhésion est certes discrète et nuancée, et ne doit pas aboutir, comme chez Hobbes, à exclure tout moteur incorporel. Elle n’en est pas moins bien réelle, car elle se manifeste non seulement par l’absence dans la démonstration proposée de certaines distinctions et concepts habituels dans l’École, mais encore par le rejet implicite (ici) des formes substantielles. Il est remarquable en effet que le De arte n’évoque pas d’autre origine possible au mouvement que Dieu ou un corps. L’alternative ainsi posée écarte de fait la possibilité d’un principe de mouvement incorporel inhérent au corps, c’est-à-dire l’hypothèse des formes substantielles. Leibniz s’en expliquera à Thomasius. Il estime qu’en admettant avec les scolastiques

16

[…] je ne sais quelles formes substantielles incorporelles et quasi spirituelles, en vertu desquelles le corps peut se mouvoir lui-même et grâce à quoi la pierre tend vers le bas, le feu vers le haut, les plantes croissent et les animaux courent spontanément, sans l’impulsion d’aucun incorporel extérieur, nous nous fermons nous-mêmes la voie la plus adéquate pour démontrer Dieu […] [18].

17 En bannissant les formes substantielles, la physique moderne exclut un monde de créatures autonomes, agissant de leur propre mouvement, où l’on peut donc se passer de Dieu dans l’explication des phénomènes. L’accusation se renverse alors. Ce n’est plus la science nouvelle qui apparaît comme le ferment de l’athéisme, mais cette philosophie scolastique qui nous prive d’une voie naturelle pour conclure à l’existence divine, et par là même détruit l’héritage d’Aristote – auquel paradoxalement les Modernes sont plus fidèles [19] ! Comme le dit encore Leibniz à Thomasius dans sa lettre du 20/30 avril 1669 :

18

Et, une fois accordé qu’un corps quelconque se suffit à lui-même pour produire le mouvement, en vertu de sa propre forme substantielle, [un adversaire] répliquera que, par conséquent, l’on n’a pas besoin d’aucun moteur, pas même d’un premier. La fameuse échelle s’écroulera donc, parce qu’on lui aura soustrait d’emblée son premier échelon, qui était comme sa base [20].

19 Rappelons enfin une divergence importante avec Aristote et Thomas d’Aquin. À la différence de ces derniers, Leibniz ne recourt pas à l’argument de la régression à l’infini. C’est qu’il admet cette régression, et l’applique même, sans considérer qu’elle conduise à une absurdité. C est en effet ce tout infini qui comprend tous les corps en mouvement et qui est lui-même perpétuellement en mouvement. Il n’y a aucune contradiction à penser, comme le soutenait d’ailleurs Épicure [21], ce mouvement éternel de toutes choses. Leibniz admet l’infini actuel (cf. l’axiome 4), de sorte que l’argument aristotélicien selon lequel dans l’infini il n’y a pas de premier [22], donc ni premier moteur, ni moteurs seconds, et par conséquent pas de mouvement du tout (contrairement à l’expérience), ne vaut plus. Il ne s’agit pas de dire – à l’instar d’Aristote et de Thomas d’Aquin – qu’un premier moteur est requis pour éviter un procès à l’infini stérile, mais qu’un moteur est requis à l’origine de ce tout infini C perpétuellement en mouvement qui s’appelle le monde, moteur extérieur à lui et par conséquent non corporel (sinon il appartiendrait à C), si l’on ne veut pas violer l’axiome selon lequel tout ce qui est mû l’est par autre chose. Cet axiome constitue ainsi le nerf de la preuve leibnizienne par le mouvement, dans la mesure où il suffit à établir la nécessité de l’existence de Dieu, en même temps qu’il permet de conclure à son incorporéité et à sa toute-puissance (sa « vertu infinie »).

20 Nous avons dit que l’adhésion aux principes du « mécanisme » des Modernes était discrète dans la démonstration du De arte. Elle pouvait se conclure d’une lecture attentive du texte, mais rester inaperçue de qui n’y aurait vu qu’une version quelque peu modifiée de la preuve « aristotélico-thomiste ». Elle apparaît en revanche plus nettement dans la Confessio naturae contra atheistas (1668). C’est que le but recherché n’est pas le même. La preuve est ici ad hominem. Elle s’adresse aux « philosophes d’aujourd’hui », continuateurs de Galilée, de Bacon, de Descartes, de Gassendi ou de Hobbes, qui ont en commun de ne rien vouloir expliquer dans les corps que par la grandeur, la figure et le mouvement. Leibniz veut leur montrer qu’en suivant scrupuleusement cette « règle commune », comme il l’appelle [23], ils seront immanquablement conduits à poser l’existence de Dieu.

21 Il faut noter sur ce point une certaine ambiguïté de la Confessio naturae. L’adhésion à la physique moderne n’y est pas franche et directe. Le jeune philosophe commence par déplorer le développement de l’athéisme qui accompagne le succès de la science nouvelle. Il se présente moins comme un adepte des principes de cette dernière que comme celui qui, effrayé par les conséquences impies que certains en tirent, décide d’examiner par lui-même – en mettant à part aussi bien la foi en l’Écriture et en l’histoire que les « subtilités des novateurs » –, « s’il est possible de rendre raison des choses qui dans les corps apparaissent aux sens, sans supposer une cause incorporelle [24] ». Pour les besoins de la démonstration, il accorde aux Modernes deux postulats, au sens mathématique du terme, c’est-à-dire de demandes admises au départ : la « règle commune » et le principe d’économie, selon lequel on ne doit pas recourir sans nécessité à Dieu ni à quelque chose d’incorporel pour expliquer les phénomènes corporels [25]. Cet accord n’apparaît pas comme une profession de foi – même s’il affirme admettre facilement (facile) ces deux postulats –, mais plutôt comme une concession. Ce qu’illustre l’emploi du verbe condescendere dans le texte : Leibniz déclare en effet « se mettre au diapason » des philosophes actuels, vus comme des restaurateurs d’Épicure et de Démocrite et que Boyle nomme, selon lui avec raison, « corpusculaires » [26].

22 La référence à Boyle est instructive. Elle montre que la conception que se fait le jeune Leibniz de la physique de son temps est clairement inspirée du savant irlandais. Ce dernier regarde les hypothèses corpusculaire (défendue par Épicure, Démocrite et leurs sectateurs contemporains) et mécaniste (représentée notamment par Descartes) comme constituant au fond une seule et même philosophie. Pour lui, atomistes et cartésiens, « ces deux sectes de naturalistes modernes [27] », malgré des divergences importantes, s’ac­- cordent en effet sur trois points majeurs : leur rejet des formes substantielles et des qualités réelles des scolastiques, la déduction de tous les phénomènes naturels « à partir de la matière et du mouvement local », l’explication de ces phénomènes « par de petits corps diversement figurés et mus ». Aussi Boyle les réunit-il sous le nom de « philosophes corpusculaires », ou de « Corpusculairiens (Corpuscularians) », expression qu’il prend pour synonyme encore de « philosophes mécaniques » [28].

23 Dans le cadre de cette présentation de la science contemporaine, l’exposé de la Confessio naturae a un statut particulier, puisque la preuve de l’existence de Dieu qui s’y trouve doit être interprétée, en toute rigueur, comme conditionnelle, valant seulement ad hominem – c’est d’ailleurs ainsi que la lirait un scolastique, pour lequel elle ne serait d’aucun poids. La démarche revient en quelque sorte à dire : si vous adoptez le credo minimal des Modernes, alors il vous faudra ultimement recourir à Dieu pour rendre raison des propriétés et des qualités des corps. Remarquons, à cet égard, qu’il n’est pas certain que tous les philosophes cités par Leibniz souscriraient à ce credo minimal, exactement dans les termes selon lesquels il est résumé ici. Sans doute accepteraient-ils le premier postulat, c’est-à-dire la « règle commune » dans sa forme générale, mais n’entendraient-ils pas tous la même chose par corps, grandeur, figure et mouvement. En revanche, ils ne se rangeraient certainement pas tous et sans réserve sous la bannière des « philosophes corpusculaires », parce que la nature de ces corpuscules et les qualités qu’on leur attribue – notamment leur statut d’éléments absolument ultimes ou non – varient d’un auteur à l’autre. Enfin, concernant le second postulat, un auteur comme Hobbes ne dirait pas qu’il faut s’abstenir de recourir sans nécessité à Dieu et à une chose incorporelle dans l’explication des phénomènes corporels, mais qu’il ne faut jamais et en aucun cas recourir à Dieu et à une chose incorporelle dans l’explication de ces phénomènes. Le premier chapitre du De corpore (I, § 8) est explicite sur ce point : il exclut Dieu, les anges et tout ce qui est incorporel de l’objet de la philosophie, puisque celle-ci porte sur « tout corps dont quelque génération peut être conçue, et dont la comparaison selon la considération de celle-ci peut être établie [29] ».

24 Le procédé qui consiste à adopter, éventuellement de façon provisoire, les principes d’autrui pour le conduire à une thèse déterminée, qu’il sera obligé d’admettre s’il veut rester conséquent avec lui-même, n’est pas original, y compris chez Leibniz. Le choix de se faire philosophe « corpusculaire » a cependant de quoi surprendre, quand on sait qu’il a déjà abandonné, à l’époque, l’atomisme (ce « préjugé de jeunesse [30] ») comme le confirme l’axiome 4 du De arte[31]. Certes, admettre au fondement des choses des « corpuscules » n’est pas forcément admettre l’existence d’atomes au sens strict du terme, c’est-à-dire au sens d’éléments physiques derniers insécables. Et se déclarer « corpusculaire », si l’on suit Boyle [32], n’est rien affirmer d’autre que son adoption des principes du mécanisme… Pourtant la suite de la Confessio naturae montre bien que Leibniz n’entend pas « corpusculaire » en une acception seulement générale, mais bien aussi au sens particulier de l’atome.

25 À la lecture de ce texte, le commentateur éprouve donc une certaine perplexité. D’une part, il sait bien que Leibniz adhère réellement aux deux postulats évoqués supra (et n’y souscrit pas seulement sous réserve), et pourtant que la preuve, telle qu’elle est conduite, ne peut valoir que conditionnellement. D’autre part, il sait que Leibniz n’est plus atomiste et cependant que, pour les besoins de la démonstration, il choisit de se présenter comme tel. Il ne s’agit pas là de dénoncer une prétendue duplicité, et encore moins d’accréditer la thèse d’une double philosophie leibnizienne (l’une ésotérique et l’autre exotérique), mais de souligner que ce texte ne peut être vu comme reflétant littéralement et exactement la pensée de son auteur. Rappelons-le : il relève avant tout d’une visée apologétique et morale et cherche à retourner contre l’athéisme les armes dont il se sert pour détruire deux articles fondamentaux de la théologie naturelle : l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme [33].

26 La raison de cet atomisme « d’emprunt » ou adopté « par provision » vient de l’avantage qu’il revêt pour la démonstration. Il fournit en effet une preuve supplémentaire et inattendue de l’existence de Dieu, celle par la consistance des corps – consistance dont suivent les propriétés de résistance, de cohésion et de réflexion. Si les atomes sont les ingrédients ultimes des corps, par lesquels leurs propriétés et qualités peuvent être expliquées, il faudra encore expliquer leur cohésion et leur insécabilité, c’est-à-dire rendre raison de leur dureté absolue. Or seul Dieu peut en vérité garantir leur solidité perpétuelle. Et Leibniz de conclure :

27

Je m’étonne que ni Gassendi ni quelque autre parmi les philosophes si pénétrants de ce siècle n’aient remarqué cette excellente occasion de démontrer l’existence divine. Il est manifeste en effet que dans la dernière analyse des corps la nature ne peut se passer du secours de Dieu [34].

28 Il serait donc faux, en toute rigueur, de penser que la Confessio naturae démontre l’absurdité de la thèse atomiste. Le texte ne dit pas que les philosophes « corpusculaires » ont tort de poser de tels éléments matériels ultimes, mais seulement qu’ils sont incapables de fournir une raison physique recevable permettant d’expliquer leur cohésion interne et leur insécabilité. Cette incapacité ne ruine pas l’hypothèse atomiste ni ne la rend contradictoire à proprement parler. Elle montre simplement qu’elle ne suffit pas comme telle, mais qu’elle a besoin de Dieu, pour assurer la solidité perpétuelle des atomes.

29 La raison alléguée ici pour expliquer la consistance des corps vaut moins comme une preuve, au sens strict, que comme la conclusion à laquelle sera fatalement réduit un partisan de l’atomisme. Par conséquent, Leibniz ne saurait lui accorder de valeur réellement décisive, puisqu’elle relève, là encore, d’une argumentation ad hominem. Loin d’être véritablement probante, elle traduirait plutôt un échec sur le plan théorique, si l’on en croit la lettre à Oldenburg du 28 septembre 1670. La nécessité pour Gassendi de « se réfugier dans la volonté du créateur », afin de rendre compte de la consistance et de la dureté des atomes – ainsi que des hameçons et des crochets qui servent à les tenir ensemble – est la marque d’une hypothèse déficiente, puisqu’elle implique d’introduire dans la nature un « miracle perpétuel » [35]. Comme l’explique la même lettre et l’exposera, un an plus tard, la Theoria motus abstracti, la cohésion d’un corps résulte en fait du mouvement interne de ses parties, lesquelles se pressent les unes les autres, chacune s’efforçant de prendre la place de l’autre, de sorte que leurs limites respectives se confondent [36].

30 La preuve par la consistance des corps se ramènera donc ultimement à celle du mouvement. Déjà en 1668, elle n’est pas la preuve principale exposée dans la Confessio naturae. Elle en constitue plutôt un corollaire, puisqu’elle suit d’une thèse plus générale, dont la démonstration occupe l’essentiel de la Première partie : à savoir que l’origine de la grandeur, de la figure et du mouvement, par lesquels les Modernes définissent le corps, ne saurait être tirée de la seule considération de sa nature, sans la supposition d’un principe incorporel. La nouveauté, par rapport au De arte, est de proposer une preuve physique plus développée et plus complète, que l’on pourrait nommer la preuve par la nature du corps. En réalité, celle-ci revient encore – comme on va le voir – à une preuve par le mouvement, mais différente de celle exposée en 1666. Elle est établie au moyen de deux outils théoriques, encore inédits sous la plume de Leibniz (tout du moins dans ce contexte) : d’une part une thèse physique, que l’on retrouvera jusque dans les écrits tardifs [37] – l’uniformité de l’espace et l’indifférence fondamentale de la matière à toute figure et à tout mouvement déterminés –, d’autre part le principe de raison, qui se substitue dans la démonstration à l’argument aristotélicien traditionnel de la régression à l’infini.

31 Partant d’une définition du corps comme « ce qui existe dans l’espace », la démonstration se déroule en deux temps [38].

32 1. Deux qualités sont d’abord dérivées de l’existence dans l’espace : la grandeur et la figure. Or la raison pour laquelle un corps a telle grandeur et telle figure plutôt que d’autres (il est par exemple de trois pieds plutôt que de deux, il est carré plutôt que rond) ne peut être donnée par sa seule nature, « car la même matière est indéterminée à l’égard de toute figure, carrée ou ronde ». Deux explications sont alors possibles, si l’on refuse de recourir à une cause incorporelle : soit le corps considéré était carré de toute éternité, soit il l’est devenu « par l’impact d’un autre corps ». La première explication n’en est pas une en réalité, puisque l’éternité n’est la cause de rien. Elle consiste plutôt à renoncer à toute explication, en posant un fait (il est carré) sans raison. Ce qui laisse entièrement subsister la question, car on demandera « ne pouvait-il être sphérique de toute éternité ? » La seconde explication ne fait que repousser la demande de raison, que l’on réitérera à l’infini, sans jamais la satisfaire complètement. Si le corps est devenu carré par l’effet du mouvement d’un autre, on demandera pourquoi il avait telle ou telle figure avant le choc, et si l’on allègue encore le mouvement d’un autre corps pour l’expliquer, continuant ainsi indéfiniment, « on verra qu’il y aura toujours matière à chercher la raison de la raison, et qu’ainsi jamais on ne rend la raison pleine ». Conclusion : « On ne peut rendre raison par la nature des corps de leur figure et de leur grandeur déterminées (certae). »

33 2. La troisième qualité – le mouvement – est déduite du passage d’un corps d’un espace à un autre. Mais cette qualité n’appartient pas au corps considéré en soi, lequel a seulement la puissance d’être mû (la mobilité) et non celle de (se) mouvoir. « Car du fait même que le corps est placé dans cet espace, il peut aussi être dans un autre égal et semblable au premier, c’est-à-dire qu’il peut être mû. » La raison du mouvement ne saurait donc se trouver dans les corps laissés à eux-mêmes. Là encore, si l’on ne veut pas recourir à une cause incorporelle, deux explications sont possibles, mais également insuffisantes. Ou l’on dira que le corps est en mouvement de toute éternité (mais on demandera alors pourquoi il n’est pas plutôt en repos), ou qu’il est « mû par un autre corps contigu et en mouvement ». Dans ce dernier cas, il faudra expliquer le mouvement de ce corps contigu, et pour cela alléguer encore le mouvement d’un autre (également contigu et en mouvement), et ainsi de suite à l’infini. En vérité, on n’aura rendu raison du mouvement d’aucun corps de la série, tant que l’on n’aura pas expliqué « pourquoi celui qui suit est mû par celui qui meut tous ceux qui le précèdent. Car on n’a pas rendu pleinement la raison d’une conclusion aussi longtemps que l’on n’a pas rendu raison de la raison […] ».

34 La conclusion, donnée après les développements sur la preuve par la consistance, vient clore la Première partie. Puisqu’aucun corps ne tient de lui-même sa grandeur, sa figure et son mouvement, et ne peut donc les recevoir que d’un être incorporel, celui-ci doit être « unique pour toutes les choses (pro omnibus), à cause de l’harmonie de toutes les choses entre elles, et surtout parce que les corps ont leur mouvement, non chacun en particulier de son être incorporel, mais les uns des autres ». On ne peut expliquer que cet être incorporel choisisse cette grandeur, cette figure, ce mouvement plutôt que d’autres, à moins de reconnaître qu’il est intelligent, mais encore « sage, à cause de la beauté des choses, et puissant parce qu’elles obéissent à sa volonté (ad nutum) ». Il est par conséquent « l’Esprit qui dirige (rectrix) le monde entier, c’est-à-dire Dieu » [39].

35 La démonstration, telle qu’elle est ici conduite, appelle trois remarques.

36 A) Il apparaît que le principe de raison – qui n’est pas nommément désigné comme tel dans le texte – n’est pas employé de la même façon, ni avec le même but dans les deux temps du raisonnement. Dans 1., il ne s’agit pas de montrer que grandeur et figure n’appartiennent pas réellement à la nature des corps, mais que la raison pour laquelle ce corps a cette grandeur et cette figure (alors qu’il pourrait en avoir d’autres, la matière étant par essence indéterminée) ne peut venir que de quelque chose d’extérieur à lui. On ne demande pas pourquoi il y a des corps ou ce corps-ci – ce qui renverrait à la contingence du créé, voie vers l’Être nécessaire qui n’est pas du tout explorée ici –, mais pourquoi ce corps est ainsi plutôt qu’autrement – ce qui engage une recherche de la cause efficiente expliquant son état particulier. Cette voie mène à Dieu, moins comme à un premier moteur que comme à l’instance qui choisit cette grandeur et cette figure déterminées, pour des raisons qui tiennent à la beauté de l’harmonie universelle.

37 Dans 2. au contraire, il ne s’agit pas tant d’expliquer pourquoi ce corps a tel ou tel mouvement particulier, que de montrer qu’il ne peut être par lui-même la source d’aucun mouvement. La thèse de l’uniformité de l’espace ne sert pas à prouver qu’il pouvait être animé d’un autre mouvement – comme la thèse de l’indétermination de la matière servait dans 1. à prouver qu’il pouvait avoir une autre grandeur et une autre figure que les siennes –, mais qu’il a seulement la puissance (passive) d’être mû, sans disposer de la puissance (active) de (se) mouvoir. Par conséquent, la question n’est pas, d’abord, pourquoi se meut-il ainsi plutôt qu’autrement ?, mais pourquoi se meut-il – ou encore : comment peut-il se mouvoir alors qu’il devrait être en repos (puisque tel est l’état le plus conforme à sa nature [40]) ? Le principe de raison met ici sur la voie de Dieu, comme étant le seul être capable de mouvoir ce qui est incapable de mouvement par sa propre nature.

38 Alors que dans 1. on demande la raison d’une manière d’être (avoir telle grandeur ou telle figure plutôt que d’autres), dans 2. on demande la raison d’une existence (pourquoi ou comment le mouvement est dans le corps). Le principe de raison est donc déjà, à l’époque, compris par Leibniz sous ses deux volets. Rendre pleinement raison d’une chose implique, en effet, à la fois d’expliquer pourquoi elle est au lieu de n’être pas (PR1 ), et pourquoi elle est ainsi et pas autrement (PR2 ) [41]. Cependant ces deux volets se trouvent ici « dissociés », dans la mesure où ils ne sont pas appliqués au même objet : l’un porte sur la grandeur et la figure d’un corps, l’autre sur son mouvement. Cette distinction s’explique par le fait que l’auteur, nous l’avons vu, ne poursuit pas le même but dans 1. et dans 2.. D’où l’ordre particulier choisi : Leibniz commence par la grandeur et la figure, et par la demande qui apparaît en second (PR2 ) dans la formulation complète – et pour ainsi dire « canonique » – du principe de raison. Ces deux qualités sont considérées en premier, car elles conduisent au mouvement, dont elles sont en réalité des effets. Dès lors grandeur et figure n’apparaissent plus comme primitives, mais dérivées, et la preuve par la nature du corps se ramène à une preuve par le mouvement. Leibniz termine par la considération du mouvement et par la demande énoncée en premier (PR1 ) dans le principe. On pourrait s’étonner que cette dernière demande ne mène pas d’ores et déjà à la preuve de Dieu par la contingence du monde, dont il sera fait usage dans les textes ultérieurs. Une version de cette preuve était connue et présente notamment chez Thomas d’Aquin (pour qui elle constitue la « troisième voie »). Mais le jeune philosophe n’y souscrit pas. Il ne considère pas à l’époque que le principe de raison puisse la fonder, car il défend un nécessitarisme qui, quoique distinct de celui de Hobbes, exclut la contingence et la possibilité de l’existence d’une autre série de choses que celle effectivement créée [42].

39 B) L’emploi du principe de raison engage un procès à l’infini, dont la signification et les implications sont cependant bien différentes de celles de l’argument aristotélicien-thomiste, qui devait nous hisser jusqu’au premier moteur – « l’échelle » d’Aristote, comme l’appelle Leibniz. Il faut remarquer, tout d’abord, qu’il ne s’agit pas du même procès dans 1. et dans 2.. Dans 1., la demande de raison conduit à une régression sans fin dans la série des états d’un même corps. La question n’est pas de trouver un premier moteur, mais une raison pleine et entière qui permette d’expliquer les différentes figures par lesquelles passe successivement un corps déterminé. Dans 2., la demande de raison conduit à une régression sans fin dans la série des corps qui se transmettent le mouvement. Cette régression est inévitable pour qui adopte la thèse de Hobbes (qui n’est pas expressément nommé dans ce passage), selon laquelle « tout corps est mû par un autre contigu et en mouvement [43] ». Ce n’est pas davantage ici un premier moteur qui est requis, mais un moteur, c’est-à-dire un être capable de produire le mouvement. Or un tel être ne saurait se trouver dans l’ordre corporel, où il n’y a que des mobiles et aucun moteur.

40 Pour Aristote et Thomas d’Aquin, le procès ne peut aller à l’infini. L’existence du mouvement, constatable a posteriori, l’interdit. La contradiction ne peut être évitée qu’en posant un premier moteur immobile. Pour Leibniz au contraire, le procès doit se poursuivre à l’infini et rien ne l’empêche. Loin d’être impossible, il manifeste l’exigence constante d’une raison qui, perpétuellement insatisfaite, réitère sa demande, tant qu’elle se situe et en reste au niveau des corps. La solution ne consiste pas à arrêter brusque­- ment la régression, à y mettre fin arbitrairement en posant un moteur immobile – démarche injustifiable, parce qu’elle viole le principe de raison –, mais à comprendre que la raison suffisante du mouvement ne pourra jamais résider dans un corps, et qu’il faut donc donner au mouvement une cause incorporelle. Cette cause n’est pas un premier moteur, elle est le seul moteur.

41 C) La preuve leibnizienne de Dieu tirée du mouvement n’a rien de commun avec l’argument du premier moteur inspiré d’Aristote. Elle le rend même caduc, dans la mesure où cet argument supposait l’existence de moteurs seconds, à partir desquels on s’élevait à Dieu. Or la conclusion à laquelle aboutit Leibniz est que de tels moteurs n’existent pas. Non seulement la nature des corps les exclut, mais le principe d’économie, mis à l’honneur par les Modernes, permet de s’en passer. Chaque corps tire son mouvement d’un autre (et celui-ci d’un autre, ainsi à l’infini), et non d’un être incorporel qui lui serait particulièrement affecté, telle que la forme substantielle des scolastiques – hypothèse à la fois inutile et inintelligible [44]. La cause incorporelle, requise à l’origine du mouvement, est unique, parce qu’une seule suffit à faire mouvoir tous les corps du monde. Il n’en est pas besoin d’autres. Mieux : la liaison universelle de toutes choses, observable a posteriori, témoigne en faveur de cette unicité.

II. L’intégration à la preuve par la création continuée

42 Leibniz défend donc dans la Confessio naturae une forme d’occasionnalisme. La Seconde partie du texte, consacrée à la démonstration de l’immortalité de l’esprit humain, le confirme. Celui-ci est défini comme « un être dont quelque action est la pensée [45] ». Le raisonnement consiste à écarter succes­- sivement de l’esprit humain toutes les caractéristiques propres au corps (division en parties, existence dans l’espace, mobilité), pour montrer qu’il est immatériel, incorruptible et donc immortel. Ce qui conduit à lui retirer la puissance d’être mû (dès lors que pour être mû il faut exister dans l’espace), mais aussi, semble-t-il, la puissance de mouvoir quoi que ce soit, s’il est vrai que son acte, la pensée, n’est pas un mouvement. Cette inefficience des esprits autres que Dieu apparaît également dans les lettres à Thomasius, avec cependant des nuances. Leibniz répète à plusieurs reprises que le mouvement des corps vient de l’esprit ou de l’intelligence, qu’il identifie immédiatement à Dieu, « l’esprit qui dirige (rectrix) l’univers [46] ». La force de la preuve par le mouvement vient en effet, pour le jeune philosophe, de ce qu’elle permet d’accéder « directement » à Dieu, sans qu’il soit nécessaire de passer par des échelons intermédiaires (entités incorporelles agissantes, causes secondes). Le statut de cause efficiente, au sens strict du terme, semble bien devoir être réservé à Dieu, et à Lui seul.

43 Cependant, dans un contexte où il parle des esprits, auxquels il reconnaît liberté et spontanéité, Leibniz concède à Thomasius que « seul, parmi les formes substantielles, l’esprit est principe de mouvement au titre premier et que les autres formes tiennent de l’esprit leur mouvement [47] ». Ce qui paraît valoir ici pour tous les esprits et reviendrait, en ce cas, à leur accorder une efficience réelle. La définition de la théologie ou métaphysique, donnée plus haut dans la lettre, va également dans ce sens. Elle est en effet la science qui « traite de la cause efficiente des choses, à savoir de l’esprit [48] », terme utilisé là, manifestement, dans son acception générale et non particulière (renvoyant exclusivement à l’esprit divin). Ces passages autoriseraient donc à considérer tout esprit comme une source véritable de mouvement, sans restreindre cette qualité à Dieu. On retrouverait alors l’idée d’un Premier moteur, dont les moteurs seconds que sont les esprits créés tireraient leur puissance d’agir, laquelle serait bien réelle, quoique dérivée ultimement d’un principe plus haut. C’est de cette façon que Richard Bodéüs interprète la conception leibnizienne de la causalité efficiente, laquelle suppose, selon lui, « deux principes subordonnés l’un à l’autre : Dieu, d’abord, ou le premier esprit […], puis, le mouvement lui-même (entendez : le mouvement local), donné par Dieu et les esprits à la nature [49] ». Dans cette perspective, la « primauté » de Dieu se réduirait simplement à « une question de hiérarchie entre les esprits » [50] – position qui, montre le commentateur, n’en resterait pas moins très éloignée d’Aristote.

44 Ainsi, lorsqu’il fait de l’esprit la cause du mouvement et l’identifie ensuite à Dieu, Leibniz procède peut-être à un raccourci, qui passe sous silence l’efficience des esprits seconds – efficience qu’il ne nierait pas pourtant. Quant à l’affirmation de la Confessio naturae, selon laquelle la pensée n’est pas un mouvement, on ne saurait, en toute rigueur, en conclure que l’être qui pense n’est ou ne peut être la source d’aucun mouvement. Elle laisse plutôt la question ouverte. L’occasionnalisme est-il donc tout à fait avéré ? On en trouve clairement trace dans les textes physiques, jusqu’à la réforme de la mécanique et la réhabilitation des formes substantielles en 1679 [51]. Cet occasionnalisme est physiquement et méthodologiquement fondé, puisqu’il se déduit de l’analyse de la matière – par essence inerte et indéterminée –, et qu’il satisfait au principe d’économie. Il conduit à l’hypothèse du mouvement universel unique, rapportée d’abord sous la forme d’un « songe de physique » puis présentée publiquement dans la Theoria motus concreti (1671) [52]. Il est aussi théologiquement fécond, parce qu’en requérant constamment l’action divine, il donne une force incontestable et inédite à la preuve par le mouvement – force qu’elle perdrait, au moins en partie, si les esprits seconds étaient réellement agissants. S’agit-il pour autant d’une position métaphysique franchement assumée ? Certainement pas. Elle est davantage implicite, supposée plutôt que clairement affichée comme une thèse de l’auteur. D’où une indéniable ambiguïté des textes lorsqu’il est question de l’activité des esprits.

45 La Nova methodus discendae docendaeque jurisprudentiae (1667) leur attribue la causalité et considère que cette qualité « réside dans la cause du monde, c’est-à-dire en Dieu, et puis dans les causes de certains faits merveilleux du monde, c’est-à-dire dans les Anges, et enfin dans notre Âme comme cause du mouvement du corps ». Cette reconnaissance de l’action ad extra des esprits est cependant aussitôt tempérée par la précision suivante : « Quoique nous ne puissions expliquer la façon dont opère la cause (modum causandi) [53]. » Ce qui laisse entière la question de savoir comment les esprits agissent sur les corps et, singulièrement, si les âmes créées agissent réellement sur eux (et non simplement à titre de causes occasionnelles). En 1671, Leibniz annonce au duc Jean-Frédéric et à Antoine Arnauld son projet d’écrire une doctrine de l’esprit (de Mente), dont les éléments seraient en ce domaine ce qu’Euclide a fait pour la grandeur et la figure, et Hobbes pour le corps ou le mouvement [54]. Il fait consister l’esprit en un point ou centre indestructible et la pensée en un conatus, « extrémité du mouvement ou minimum de mouvement », distinct cependant du mouvement lui-même (qui est propre au corps) [55]. Pourtant, là encore, il n’explique pas comment l’esprit agit sur le corps et en est affecté, problèmes que le futur de Mente aura en charge de résoudre [56]. Il insiste bien plus sur son action ad intra, action sur soi qui le caractérise comme être pensant et le distingue radicalement des corps. Le jeune philosophe prétend en effet démontrer

46

Que l’esprit est incorporel, que l’esprit agit en [soi-même], qu’aucune action sur soi-même n’est un mouvement, qu’il n’y a pas d’action du corps autre que le mouvement, et par conséquent que l’esprit n’est pas un corps [57].

47 Compte tenu de ces textes, qui n’affirment ni ne nient clairement l’efficience des esprits créés, il convient sans doute de parler d’un occasionnalisme « physique », appliqué à l’explication des phénomènes naturels et essentiellement pertinent à ce niveau [58], mais dont il serait imprudent de tirer des conséquences sur le plan strictement métaphysique. Du point de vue théologique en revanche, cet occasionnalisme a évidemment un usage dont Leibniz n’entend pas se priver dans sa lutte contre l’athéisme. Surtout lorsqu’il découvre un prolongement inédit de la preuve par le mouvement dans la preuve par la création continuée, à laquelle est consacré le chapitre II de la Première partie du Conspectus demonstrationum catholicarum. Dans sa lettre à Thomasius du 20/30 avril 1669, il annonce qu’après la publication de la Confessio naturae, il a approfondi les deux questions qui y étaient traitées – celle de l’existence de Dieu et celle de l’immortalité de l’âme. Par conséquent, on n’y trouve pas, écrit-il, « ce que j’ai découvert depuis lors concernant la création perpétuelle dans le mouvement et la nature intime de l’être pensant, c’est-à-dire de l’esprit [59] ». La preuve par la « création perpétuelle » est évoquée plus haut dans la lettre, sans être démontrée. Leibniz rappelle que le mouvement ne peut être déduit de la nature des corps et, à proprement parler, qu’il n’est pas en eux « en tant qu’être réel ». Puis il ajoute, sans toutefois éclaircir le lien logique avec ce qui précède :

48

[…] mais j’ai démontré que tout ce qui est mû est continuellement créé, et que les corps sont quelque chose à n’importe quel instant du mouvement qui leur est assignable, et ne sont rien à n’importe quel moment situé entre ces instants du mouvement qui leur est assignable. La chose est inouïe jusqu’à présent, mais tout à fait nécessaire, et doit fermer la bouche aux athées [60].

49 La démonstration n’est pas développée. Leibniz en résume ici l’argument principal sans donner de détail sur les raisons alléguées. Le Conspectus était encore moins explicite [61], mais renvoyait au chapitre XII de la Troisième partie, portant sur « La possibilité de la Création, tirée de sa nécessité dans toutes les choses qui sont mues [62] ». Cette dernière référence donnait une indication sur la voie empruntée, et permettait même de reconstituer le raisonnement de la manière suivante. L’hypothèse de la création du monde (au lieu qu’il soit tiré du chaos et par là même éternel) est possible, s’il est démontré que des choses qui sont en lui ne peuvent exister que par création, c’est-à-dire à la condition d’être créées. Or toutes les choses en mouvement sont dans ce cas. Comme il y a des choses en mouvement dans le monde, sa création est donc possible [63]. L’existence de Dieu est par là démontrée, puisqu’il est le seul être capable, en vertu de sa toute-puissance, de créer quelque chose, c’est-à-dire de tirer l’être du rien. On observera, cependant, que si la création des choses mues est nécessaire, la nécessité de leur recréation permanente n’est pas encore (et pour autant) prouvée.

50 La lettre à Thomasius précitée fournit des précisions supplémentaires. Il apparaît que la démonstration se fonde sur la considération du mouve­ment, mais pour la dépasser ensuite. Leibniz suggère que Dieu n’est pas seulement requis pour qu’il y ait du mouvement dans les corps, mais encore constamment nécessaire pour qu’il y ait… des corps. Alors que la preuve par le mouvement montrait que des corps laissés à eux-mêmes ne produiraient jamais du mouvement, et qu’il fallait donc poser une cause incorporelle pour l’expliquer, la preuve par la création continuée montre désormais que des corps laissés à eux-mêmes cesseraient immédiatement d’être, et qu’il faut donc l’action perpétuelle de cette même cause pour les faire exister. Ils sont à chaque instant donné du mouvement que l’on peut leur attribuer, mais ne sont plus entre les instants de ce mouvement, de sorte qu’il est nécessaire qu’une puissance les recrée tout de nouveau de moment en moment. Cette puissance ne peut être que celle de Dieu (qui seule est créatrice) et non celle d’une créature – ce qui donne un avantage certain à cette preuve sur celle par le mouvement, où, nous l’avons vu, persistait une certaine ambiguïté à l’égard de l’efficience réelle des esprits créés.

51 La raison de cette recréation nécessaire des corps à chaque instant n’est pas donnée dans le Conspectus ni dans la lettre à Thomasius d’avril 1669. Ces deux textes montrent qu’un lien existe entre la preuve par le mouvement et la preuve par la création continuée. Ce lien est le mouvement, dont il est prouvé qu’il ne peut être dans les corps. Mais ils ne montrent pas comment on passe d’une preuve à l’autre, de la proposition l’existence de corps en mouvement suppose un moteur incorporel, à l’affirmation que l’existence de corps en mouvement suppose une création perpétuelle (car ils ne pourraient subsister à moins d’être continuellement créés). Que les corps doivent tenir leur mouvement d’une cause extérieure incorporelle n’implique pas, en toute rigueur, qu’ils doivent aussi tenir leur être, à chaque instant, de cette cause. Le raisonnement comporte donc une lacune, de sorte que la preuve par la création continuée, telle qu’elle est du moins ici rapportée, reste incomplète. Il manque en effet une raison, qui n’apparaîtra que dans les textes postérieurs. La Nouvelle hypothèse physique l’expose en 1671 : le corps est « un esprit momentané », incapable de retenir son conatus au-delà d’un instant. Il ne peut donc « se conserver » que par une création sans cesse réitérée. Par suite, le principe énoncé dans le Conspectus – « que le mouvement ne peut se produire sans création continuée » – s’avère dépendre d’un autre plus haut : à savoir qu’un corps, quel que soit son état, ne dure qu’un moment, si bien qu’il doit être recréé à chaque instant pour que son mouvement (qui s’étale dans le temps) puisse s’accomplir.

52 Ainsi, le mouvement ne peut naître d’un corps, non seulement parce qu’il ne saurait être tiré de sa nature (cf. la preuve par le mouvement), mais encore parce que le corps n’est qu’un conatus momentané, « ponctuel » – élément indivisible ou commencement du mouvement et non mouvement lui-même –, qui s’évanouit dans l’instant. Puisqu’il se déploie dans le temps, le mouvement ne peut se concevoir alors que comme le résultat d’une suite et d’une composition de plusieurs conatus. Il nécessite une création continuée, c’est-à-dire demande que Dieu recrée successivement, de moment en moment, le corps, incapable par nature de perdurer. Mais « entre » ces moments – comme l’indiquait la lettre d’avril 1669 – le corps n’est plus. Métaphysiquement parlant (et non du point de vue des apparences), le mouvement est par conséquent discontinu. Il se fait par sauts, puisque le corps qui en est le « support » passe continuellement par des phases de création et d’annihilation, c’est-à-dire doit être perpétuellement reproduit.

53 Comme bien plus tard la monade, dans un contexte théorique entièrement différent, le conatus permet de penser la réalité corporelle et la réalité spirituelle sous un concept unique [64], tout en donnant le moyen de les distinguer véritablement. Si le corps est un esprit instantané, incapable de conserver son conatus et d’engendrer par lui-même le mouvement, l’esprit quant à lui perdure, il retient son conatus, ce qui lui confère la mémoire, le sentiment, le sens de ses actions et passions, et la pensée (action sur soi). Et si, par suite, le corps requiert une création perpétuelle, l’esprit en revanche persiste par lui-même, il n’a pas besoin de nouvelle création pour subsister et continuer d’agir [65]. Cette nécessaire création continuée des corps est ce que Leibniz appelle en 1676 la transcréation.

54 Dans le Pacidius philalethi (29 octobre - 10 novembre 1676), les deux preuves de l’existence de Dieu, par le mouvement et par la création continuée, sont présentées l’une après l’autre, de sorte que la seconde apparaisse comme un corollaire de la première. Le lien logique entre elles est désormais clair. Il se fait pourtant au prix d’une modification de la preuve par le mouvement. Depuis la Confessio naturae, celle-ci a en effet subi trois changements majeurs.

55 1. D’abord est apparu un nouvel argument – que le chapitre XII de la Troisième partie du Conspectus pouvait certes déjà suggérer –, reposant sur la réfutation de l’éternité du mouvement. Les Propositiones quaedam physicae (début à automne 1672 ?) reprennent l’idée selon laquelle dans un monde fait seulement de corps, aucun mouvement ne serait possible – ce que contredit évidemment l’expérience. Cependant, la raison invoquée pour rejeter l’hypothèse (épicurienne) d’un mouvement éternel diffère de celle avancée en 1668. Dans la Confessio naturae, Leibniz écartait le mouvement éternel comme explication valable du mouvement observable, au nom du principe de raison : l’éternité n’est la cause de rien et on ne voit pas pourquoi les corps devraient être en mouvement plutôt qu’au repos. Dans les Propositiones quaedam physicae, il considère que le mouvement éternel est impossible dans un monde laissé à lui-même, destitué de toute substance corporelle. Car dans un tel monde toutes choses seraient en équilibre ou tendraient à l’équilibre. Affirmer que le mouvement existe depuis l’éternité serait absurde, puisqu’en ce cas il aurait cessé depuis longtemps, avant n’importe quel temps donné.

56

S’il a cessé avant n’importe quel temps donné, il a cessé depuis l’éternité, c’est-à- dire qu’il n’a jamais été. Donc il est nécessaire d’ajouter l’esprit à la matière, ou de supposer des substances incorporelles. Ce que personne n’a démontré jusqu’à présent, pour autant que je sache. Ce théorème très divin est celui de la philosophie naturelle tout entière […] Il démontre en effet, avec une clarté parfaitement géométrique, la fausseté de ce principe (fundamentum) de la philosophie des athées, que toutes choses sont des corps, [principe] qui renverse en un moment l’immortalité de l’âme et l’existence de Dieu [66].

57 2. Ensuite, le lien entre la proposition un corps ne peut être en mouvement sans (l’action d’)un esprit et la proposition un corps ne peut exister sans un esprit a été explicitement démontré. Cette démonstration est requise afin de pouvoir passer de la preuve par le mouvement à la preuve par la création continuée. Dès 1671, Leibniz affirmait que l’essence du corps ne consiste pas dans l’étendue, comme le croyait Descartes, mais dans le mouvement [67]. Dans un texte de l’hiver 1672-1673, il établit qu’aucun corps n’est sans mouvement, parce que l’essence du corps est d’être mû. Or comme le mouvement ne peut venir du corps lui-même, mais de l’esprit, « s’il n’y avait aucun esprit, il n’y aurait aucun corps [68] ». L’existence des corps exige donc un esprit, détaché du corps, mais autre que tous les esprits que nous connaissons (tels que nous), à savoir Dieu [69]. En d’autres termes, les corps tirent leur être de Dieu parce qu’ils tirent leur mouvement de Dieu, et que leur nature consiste fondamentalement dans le mouvement.

58 3. Enfin, une troisième modification est apportée à la preuve par le mouve­- ment. Dans la version qu’en donne le Pacidius philalethi, elle repose sur la nécessité de trouver au changement une cause qui soit elle-même inchangée. Leibniz prouve que les corps n’agissent pas comme tels, car on ne saurait déterminer le moment dans lequel ils agiraient. Le changement d’un corps – par lequel il passe d’un état à un autre – n’existe pas à proprement parler. L’instant où il change est inassignable, car, en toute rigueur, il n’y a pas de moment commun entre deux états consécutifs du corps. Il y a seulement « agrégat de deux états, de l’ancien et du nouveau », c’est-à-dire juxtaposition de l’un à l’autre sans continuité, à la destruction du premier succédant immédiatement la création du second. Par conséquent, « les actions propres et momentanées appartiennent à des choses qui, en agissant, ne changent pas [70] ». Le corps ne peut donc être mû que par « une cause supérieure qui en agissant n’est pas changée, que nous appelons Dieu [71] ».

59 Cette preuve de Dieu ne fait appel à aucune régression à l’infini, mais se fonde sur la nature discontinue du mouvement – auquel se réduit tout changement. Le corps n’agit pas, car il ne change pas. Il ne change pas, car il est continuellement remplacé par un autre ou reproduit dans un autre état. D’où la nécessité d’une création continuée.

60

De là il apparaît qu’un corps ne peut pas même continuer de lui-même (sponte) le mouvement, mais a besoin continuellement de l’impulsion de Dieu, qui cependant agit avec constance et selon sa suprême sagesse par des lois déterminées.

61 Comment un corps passe-t-il d’un point à un autre ?

62

[…] le corps e est en quelque sorte détruit et annihilé en B, mais créé de nouveau et ressuscité en D. Ce que tu pourrais appeler par un nouveau mais très beau mot transcréation. […] On ne peut comprendre la cause en vertu de laquelle une chose qui a cessé d’être dans quelque état, commence à être dans un autre (le passage de l’un à l’autre étant de fait supprimé) sinon qu’[il existe] une substance permanente qui a détruit le premier et produit le nouveau, puisque l’état suivant ne suit pas de toute façon nécessairement de l’état précédent [72].

63 Cette transcréation est explicitement rapprochée de la thèse théologique bien connue, selon laquelle la conservation est une création perpétuelle. Cette thèse trouve ici, selon le jeune philosophe, une admirable confirmation physique, puisqu’elle est tirée d’une analyse rigoureuse de l’essence du corps et du mouvement. Elle est cependant interprétée d’une manière très particulière et certainement peu orthodoxe. D’une part, elle est restreinte aux corps, et ne vaut pas pour les esprits (qui persistent sans nouvelle création). D’autre part, elle implique que Dieu ne se contente pas de maintenir les corps dans l’existence, en leur donnant continuellement l’être et la puissance nécessaires, mais qu’à chaque instant il les anéantit puis l’instant d’après les crée de nouveau (et ainsi de suite). Leibniz ne réserve donc pas la création ex nihilo à l’acte premier par lequel Dieu amène le monde à l’existence, mais l’étend à chaque moment du monde [73]. La création de rien est constamment réitérée, chaque corps tiré du néant étant appelé à y retourner, et à passer alternativement, de moment en moment, du néant à l’être et de l’être au néant.

64 De même que la preuve par la consistance des corps se ramenait en définitive à celle du mouvement, la preuve par le mouvement en vient, à son tour, à se confondre avec celle par la création continuée, dès lors que le mouve­- ment est défini lui-même comme une transcréation [74]. Ces trois preuves se réduisent finalement à une seule. La notion de transcréation ou encore de transproduction[75] requiert l’action incessante et immédiate de Dieu, et en fait l’unique moteur des corps – auxquels est retirée toute efficace. Elle implique également que la perpétuelle recréation se fasse selon certaines règles, en tenant compte de l’état de la chose qui vient de s’évanouir. L’occasionnalisme du jeune Leibniz fait dépendre de la puissance divine, mais aussi de sa sagesse, le passage d’un état du monde au suivant. Car c’est en vertu de la sagesse suprême que la transition s’opère de façon ordonnée et qu’une science physique est, par suite, possible.

65

Remarque : en toute rigueur métaphysique l’état précédent du Monde ou d’une autre Machine n’est pas la cause du suivant, mais Dieu est cette cause, quoique l’état précédent soit un indice certain (certum indicium) de ce que l’état suivant va suivre. Mais nous parlons ici de physique, et aucune erreur n’en peut résulter, du fait même que l’indice est certain [76].

66 Dieu n’est pas seulement celui qui produit à chaque instant le monde, il est encore celui qui accorde son état actuel à son état futur, se fondant sur le premier pour déterminer ce que doit être le second, conformément aux lois qu’il a lui-même instituées. C’est pourquoi le présent peut être considéré, à bon droit, comme la raison de l’avenir – sans en être pour autant la cause au sens strict du terme. Dieu a la mémoire que le corps n’a pas et ne saurait avoir en raison de sa nature. Son mouvement, observable a posteriori, serait inintelligible sans cette mémoire (et la connaissance des lois), et, par conséquent, en l’absence d’une cause incorporelle intelligente. Dieu se souvient de l’état dont le corps part, et permet ainsi d’assurer la continuité apparente de son devenir [77]. La référence, dans le Pacidius philalethi et jusque dans le De corporum concursu (1678), à la sagesse et à la constance divines dans l’application de ses lois, annonce déjà la manière dont la preuve par le mouvement sera reprise et réinterprétée, une fois l’occasionnalisme écarté et les formes substantielles réhabilitées. Elle sera bientôt rattachée à la preuve par la contingence du monde – ici suggérée par l’affirmation selon laquelle un état du monde ne suit pas l’autre nécessairement –, à la preuve par les lois de la nature – dont la perfection et la convenance indiquent manifestement une origine divine – et à la preuve par l’harmonie préétablie – hypothèse que son inventeur juge la seule véritablement digne de la grandeur de Dieu.

III. La preuve par le mouvement après 1679 : contingence du monde et harmonie préétablie

67 En réintroduisant dans la nature des principes capables par eux-mêmes d’action, Leibniz ruinait la preuve physique de Dieu telle qu’il l’avait jusque-là conçue, puisque celle-ci reposait sur l’inefficience des corps et la nécessité de leur création continuée par un être incorporel infiniment puissant et sage. À cet égard, les années 1678-1679 apparaissent comme une époque charnière. C’est à ce moment qu’il reçoit, par l’intermédiaire de Gottfried Klinger, un résumé de la démonstration de l’existence de Dieu proposée par son ancien professeur à Iéna, Erhard Weigel [78]. Elle repose justement sur la création continuée et sur des arguments auxquels notre philosophe aurait certainement souscrit quelques années (sinon mois !) auparavant. Pourtant, sous l’influence de la nouvelle (méta)physique qu’il est en train de mettre en place, il lui oppose de sérieuses objections – que l’on retrouvera complétées et plus développées dans des textes ultérieurs [79]. Il est clair que son abandon de l’occasionnalisme retirait désormais toute force à cette démonstration [80]. Aussi la preuve par le mouvement ne pouvait-elle subsister qu’en s’en séparant complètement, et en prenant d’autres formes. Aux yeux de Leibniz, nul doute cependant qu’elle avait perdu de son intérêt et, pour ainsi dire, de son prestige. S’il continuait d’affirmer que le principe de raison fournit la voie la plus sûre vers Dieu, il semblait maintenant davantage préoccupé par la critique et l’essai de réforme de la preuve « cartésienne », fondée sur l’idée de l’Être tout parfait.

68 La raison de ce relatif désintérêt pour la preuve par le mouvement s’explique aisément. Celle-ci n’était pas seulement attachée à une doctrine physique désormais « révolue », elle s’appuyait aussi sur une notion – le mouvement – dont Leibniz montrait, dans la première moitié des années 1680, le caractère purement respectif et phénoménal. Loin d’être un attribut primitif et réel des corps, le mouvement, comme la figure et l’étendue, n’a rien de substantiel et tient de l’apparence [81]. Il enveloppe « quelque chose d’imaginaire ». Sa relativité (à la situation du percevant et au cadre de référence considéré) rend l’observateur qui ne se fonderait que sur lui, incapable d’identifier de manière exacte et certaine le sujet véritable de l’action. En effet, « quand plusieurs corps changent de situation entre eux, il n’est pas possible de determiner par la seule consideration de ces changemens à qui entre eux le mouvement ou le repos doit estre attribué […] [82] ». À la différence du mouvement qui n’a pas d’existence comme tel [83], la force renvoie bien, elle, à quelque chose de réel dans les corps, et permet d’assigner infailliblement la source des changements produits.

69 La réduction du mouvement au statut d’effet (de la force, seule réelle) et de phénomène atténue inévitablement la puissance de la preuve de Dieu qui repose sur lui. Elle ne saurait pour autant suffire à la discréditer et lui enlever toute valeur. Car le mouvement est un phénomène « bien fondé » et non le résultat d’une pure illusion perceptive, sans assise ontologique. D’où la réapparition de la preuve par le mouvement, après une certaine phase de latence, dans le nouveau contexte théorique initié par l’abandon du nécessitarisme strict (sur le plan cosmologique et théologique [84]), la constitution de la dynamique (dans le domaine physique) et l’élaboration de l’hypothèse de l’harmonie préétablie (au niveau métaphysique). Le maintien constant de deux thèses, déjà affirmées dans la physique du jeune Leibniz, favorise cette résurgence. La première pose l’uniformité de la matière et son indifférence fondamentale à tout mouvement et à toute figure déterminés. La deuxième énonce qu’un corps ne peut être mû que par un autre corps contigu et lui-même en mouvement. Ces deux thèses, jointes au principe de raison (déjà employé du temps de la Confessio naturae), conduisent à poser l’existence de Dieu, d’une manière pourtant différente de celle qui prévalait jusque-là. Vient s’ajouter une troisième, absente de la première physique leibnizienne parce que tirée des causes finales, et qui fonde, à ce titre, une preuve inédite. Elle montre que les lois du mouvement sont indémontrables par la considération du seul mécanisme (c’est-à-dire des causes efficientes) et supposent, par conséquent, une intelligence supérieure capable de fins [85].

70 La première thèse sert de base à la démonstration de l’existence de Dieu par la contingence du créé. L’espace, le temps et la matière pouvaient recevoir d’autres mouvements et d’autres figures que ceux qu’ils reçoivent effectivement. Cette indifférence [86] suffit à rendre les mouvements et les figures existants, mais aussi leur ordre de succession, contingents, c’est-à-dire tels qu’ils auraient pu ne pas être ou être autres qu’ils sont. Ils ne sont donc (et ne sont tels qu’ils sont) que parce qu’ils tiennent la raison de leur existence d’une autre chose (d’un autre mouvement) que d’eux-mêmes, sans quoi ils seraient nécessaires. Or ce mouvement tient la sienne d’un autre, et celui-ci d’un autre encore, ainsi de suite à l’infini, tant que l’on reste et aussi loin que l’on remonte dans la suite des choses créées. La raison suffisante, c’est-à-dire « qui n’ait plus besoin d’une autre raison », ne peut être qu’en dehors de cette série, dans un être nécessaire, à savoir « portant la raison de son existence avec soi » [87]. Dieu est la raison dernière de tous les mouvements du monde, non seulement de ce qu’ils sont, comme à l’époque de la Confessio naturae où prévalait un nécessitarisme strict, mais encore de ce qu’ils sont tels alors qu’ils auraient pu être autrement, ou produits dans un autre ordre. Dieu n’est pas, cependant, à l’origine du mouvement parce que la matière serait inerte et qu’il n’y aurait aucune force inhérente aux corps (comme dans la physique d’avant 1679), mais parce que chaque mouvement particulier est contingent et qu’à son égard la question persiste toujours : pourquoi est-il plutôt qu’il n’est pas, et pourquoi est-il ainsi plutôt qu’autrement ? Question sans fin tant que n’est pas posé l’Être nécessaire par soi.

71 La preuve par la contingence reprend donc, pour une part, l’argumentation développée dans l’ancienne démonstration leibnizienne par le mouvement. Cependant elle innove en employant le principe de raison dans toute sa latitude (PR1 et PR2 ), et en en tirant des conséquences inédites (par rapport à 1668). Il ne s’agit pas seulement de trouver la raison du mouvement, mais encore la raison de tel mouvement. Et il ne s’agit pas simplement de conclure que c’est parce que Dieu l’a voulu ainsi, mais que, d’autres mouvements et par suite d’autres mondes étant également possibles – thèse absente de la Confessio naturae –, Dieu a librement choisi parmi eux cette série de choses plutôt qu’une autre, pour cette raison qu’elle est la meilleure. On passe alors de la considération de la nécessité et de la cause efficiente du monde, à la considération de sa contingence et de sa cause finale.

72 La preuve par la contingence fait de Dieu la raison suffisante du mouvement. La preuve par l’harmonie préétablie en fait plutôt la cause première, sans l’ériger pour autant en seul et unique moteur, en s’appuyant, cette fois, sur la seconde thèse, c’est-à-dire sur l’argument de la transmission du mouvement de corps en corps.

73 En attribuant à la force la cause réelle du mouvement, et en conférant cette force à toute substance, on aurait pu croire que Leibniz coupait, à son tour, la voie vers le premier moteur et brisait, comme il en faisait jadis le reproche aux scolastiques, la fameuse échelle d’Aristote. Pourtant il n’en est rien. Dans le cadre de l’hypothèse de l’harmonie préétablie, la preuve par le mouvement conserve sa validité au niveau qui est désormais le sien, c’est-à-dire au plan phénoménal (où doivent s’appliquer les seules lois du mécanisme), comme en témoignent certains passages des Considérations et de l’Éclaircissement (datés de 1705) sur « les principes de vie et sur les natures plastiques ».

74 Leibniz rappelle à plusieurs reprises dans ces textes la supériorité que possède, selon lui, son « système » par rapport aux hypothèses concurrentes (péripatéticienne, cartésienne et occasionnaliste). Celui-ci est en effet le seul à éviter, d’une part, une influence physique inexplicable de l’âme sur le corps et du corps sur l’âme, et, d’autre part, un miracle perpétuel par lequel Dieu devrait intervenir constamment pour accommoder les pensées aux mouvements et les mouvements aux pensées. Il pose que « les Ames ou les principes de vie ne changent rien dans le cours ordinaire des corps, et ne donnent pas même à Dieu occasion de le faire [88] ». L’harmonie préétablie fait que chaque substance suit toujours et infailliblement sa propre loi de développement, qu’elle est l’unique source de ses changements, sans interférer physiquement avec les autres, et cependant que son état répond exactement au leur, car toutes sont originairement accordées les unes aux autres. Or cet accord général établi d’avance, ne peut avoir été institué que par un être doué d’une puissance et d’une sagesse infinies. Le « système » leibnizien fournit ainsi non seulement l’explication philosophique la mieux fondée, mais encore « une nouvelle preuve inconnue jusqu’icy de l’Existence de Dieu » [89].

75 Ses mérites ne s’arrêtent pas là. Il ne se contente pas d’offrir une démonstration inédite de Dieu, il permet aussi d’en maintenir une ancienne, traditionnelle et vénérable. Car

76

[il] a encor cet avantage, de conserver dans toute sa rigueur et generalité ce grand principe de la physique, que jamais un corps ne reçoit un changement dans son mouvement, que par un autre corps en mouvement, qui le pousse. Corpus non moveri nisi impulsum a corpore contiguo et moto[90].

77 Or ce principe a été violé à la fois par les scolastiques (qui admettaient des formes sources d’action dans les corps) et par Descartes (dans le cas de l’âme humaine « capable de changer la direction du corps par les efforts de la volonté [91] »), tandis que les « matérialistes tout purs » en ont abusé, se fondant sur lui pour exclure toute substance incorporelle de la nature. Le voilà désormais sauvegardé et appliqué sans exception dans le nouveau « système ». La fonction que lui attribuait Aristote est même restaurée : à savoir celle de nous élever au premier moteur universel, Dieu [92]. L’échelle est rétablie, dans un cadre cependant qui n’a rien d’aristotélicien ni de commun avec la physique du jeune Leibniz. Ce dernier, rappelons-le, jugeait ledit principe trop favorable au matérialisme et à l’athéisme, puisqu’il confortait, à ses yeux, la thèse hobbesienne Omnis motor est corpus. Et il estimait qu’en user dans l’explication du mouvement revenait à se servir d’une « vaine échap­- patoire [93] » – vaine échappatoire du point de vue d’un occasionnalisme qui retirait au corps toute capacité d’action propre et, finalement, toute réalité durable au-delà de l’instant, pour en faire une mens momentanea (incapable de retenir son conatus).

78 Ce « grand principe de la physique » – qu’un corps ne saurait être mû que par un autre contigu et en mouvement – dont l’apprenti philosophe s’effrayait des conséquences impies tirées par Hobbes, est celui du mécanisme. Il se trouve réintégré sans difficulté dans l’hypothèse de l’harmonie préétablie. Au prix cependant d’une réinterprétation et d’une limitation de son champ d’application. Le mécanisme vaut sans restriction dans l’ordre des causes efficientes. Au niveau des phénomènes, il faut donc être « matérialiste tout pur » et ne recourir, dans l’explication, à l’action d’aucune forme ou substance incorporelle. Il faut considérer que la matière ne saurait se donner naturellement un mouvement qu’elle n’a pas, ni, une fois mue, changer d’elle-même sa vitesse ou sa direction, qu’un corps ne peut agir que sur un corps, qu’un mouvement ne peut naître que d’un autre mouvement et n’engendrer que du mouvement. Ces règles, et avec elles toutes les lois du mouvement, dépendent cependant de considérations plus hautes, qui relèvent de la métaphysique. Car les phénomènes sont l’effet ou le résultat du déploiement de forces dont le support n’est autre que les monades, atomes de substance immatériels. Ainsi

79

[…] bien qu’originairement [les mouvements] doivent être attribués à la cause générale des choses, Dieu, cependant, immédiatement et spécialement, ils doivent être attribués à une force mise par Dieu dans les choses [94].

80 Leibniz conserve l’avantage théorique que représente le « grand principe » – dont il montrait déjà dans la Confessio naturae qu’il devait conduire à Dieu –, sans le danger qu’il fait encourir – un matérialisme intégral auquel on n’échappait en 1668 qu’en privant les corps de toute efficace. Pour cela, il en délimite strictement la validité et le subordonne à des principes supérieurs dont l’application suppose l’existence de substances incorporelles réellement capables d’action. Bayle – reprenant sans le savoir un reproche qu’adressait le jeune Leibniz aux scolastiques – accuse pourtant ceux qui introduisent des âmes actives partout dans la nature d’« établ[ir] moins la spiritualité de Dieu », autrement dit d’affaiblir la preuve de son existence par le mouvement. Notre philosophe lui répond que l’harmonie préétablie la maintient intacte (Dieu est « l’origine » et même le « seul auteur du mouvement » [95]), tout en satisfaisant à l’exigence de supposer des forces inhérentes aux corps (les mouvements sont les manifestations sensibles de l’activité des monades inaccessibles aux sens et à l’imagination).

81 Bayle visait certes les partisans des « principes de vie » et des « natures plastiques » (Cudworth et Grew). Mais son reproche ne pourrait-il valoir aussi contre Leibniz ? Il ne paraîtrait guère infondé à voir combien, chez ce dernier, la preuve de Dieu par le mouvement, quoique préservée, a perdu de sa pertinence. La raison principale en a été donnée : elle se fonde sur un phénomène qui n’a pas de réalité propre et indépendante. Notre philosophe y tient surtout, semble-t-il, car il ne voudrait pas « qu’on soutint des dogmes capables d’affoiblir les bons argumens que nous avons pour l’existence de Dieu [96] ». Cette preuve reste certainement à ses yeux un « bon » voire un « très bon » argument. Pourtant il s’y réfère moins, dans ses textes, comme à une démonstration qu’il assume en tant que telle et fait entièrement sienne, que comme à une démonstration reçue, traditionnelle, admise aussi bien chez les anciens et chez les modernes [97] – au point qu’il ne prend pas la peine de la développer davantage. Du point de vue apologétique, elle dispose inconstestablement d’un poids et d’une autorité dont il serait dommage de ne pas user. Leibniz l’approuve donc également, quoiqu’il ne l’évoque plus guère par la suite. Sans doute est-ce parce qu’il ne lui accorde pas la même valeur qu’aux preuves par la contingence et par la convenance des lois de la nature, où l’argument du mouvement subsiste.

82 La relativité du mouvement et son inconsistance ontologique n’ex­- pliquent cependant qu’en partie cette dépréciation. Celle-ci vient certainement aussi (et surtout) de ce qu’au niveau des phénomènes eux-mêmes, l’interaction entre les corps ne confirme pas cette transmission du mouvement, sur laquelle repose justement l’argument de la nécessité d’un premier moteur universel. Le commerce des corps suppose nécessairement leur rencontre dans l’espace et leur contact immédiat, puisque Leibniz récuse toute action à distance (telle que l’attraction). Tout se passe donc comme s’il y avait dans le choc échanges de conatus entre les corps concernés, quoique les rapports des masses (forces dérivatives passives) et des forces vives (forces dérivatives actives) restent constants dans le système que ces corps forment entre eux. Par ailleurs, on sait que l’action de tout corps procède de lui-même, de son propre fonds et se mesure par l’expression d’une quantité de force qui se conserve constamment et que mesure le produit de la masse par la vitesse au carré (mv2 ) – c’est la voie a priori de la démonstration du théorème fondamental de la dynamique. Par suite, « on peut dire que dans le choc des corps chacun ne souffre que par son propre ressort, cause du mouvement qui est déjà en lui [98] ». Leibniz pose donc, dans sa physique, deux exigences en apparence inconciliables, puisqu’il affirme à la fois la nécessité de l’interaction des corps et la nécessité d’une production strictement endogène de l’action par ces mêmes corps.

83 La solution [99] réside dans la propriété d’élasticité que Leibniz attribue aux corps jusque dans leurs moindres parties (la division allant à l’infini). Cette propriété explique que deux corps (comme deux balles) se heurtant rebondissent l’une sur l’autre, ou encore qu’ils se déforment sous l’effet d’une pression (un arc bandé) et reprennent leur forme une fois la pression supprimée. Que se passe-t-il en réalité ? Lorsqu’une boule en frappe une deuxième et celle-ci à son tour une troisième, tout se passe comme si le mouvement se transmettait successivement de l’une à l’autre jusqu’à la dernière. Mais, en vérité, « chaque boule est mise en mouvement (bien que cela puisse sembler étonnant) par sa propre force, à savoir par sa force élastique [100] ». La force ne saurait passer d’un corps à l’autre, de sorte que le changement intervenu dans un corps n’est que la suite d’une variation interne de la force qui lui est inhérente – et qui ne saurait ni diminuer ni augmenter –, à l’occasion du concours phénoménalement observé avec les autres corps.

84

[…] par suite, le mouvement que les corps ont par leur concours est toujours en réalité un mouvement propre qu’ils ont par leur propre force, à laquelle l’impulsion étrangère fournit seulement l’occasion d’agir, et pour ainsi dire la détermination [101].

85 Preuve est faite, là encore, de l’admirable préordination divine. La variation et la détermination particulière que subit la force primitive d’une monade ne résultent pas de l’action transitive d’une autre sur elle, mais d’une modification interne de cette même force primitive, modification qualitative répondant exactement à ce qui arrive dans une autre monade (elle-même modifiée de façon interne et à des degrés divers). À la différence de la puissance aristotélicienne qui nécessite, pour passer à l’acte, une impulsion étrangère (c’est-à-dire quelque chose qui soit déjà en acte), la force active leibnizienne « est portée par elle-même à agir, et n’a pas besoin pour cela d’aides, mais seulement de la suppression de ce qui l’empêche [102] ». Même au niveau phénoménal, l’« interaction » des corps exprime cette parfaite spontanéité et indépendance physique des principes de vie qui les animent. Elle ne renvoie plus à Dieu comme à un premier moteur nécessaire, mais comme à la cause intelligente préordinatrice requise pour expliquer ce parfait agencement des choses.

86 Dans les années 1668-1669, le mouvement apparaissait comme la voie par excellence qui mène à Dieu. Trois des cinq preuves annoncées dans le Conspectus demonstrationum catholicarum y étaient liées, dans le cadre d’une physique qui voulait réconcilier les principes de la science moderne avec Aristote. La réflexion sur la nature du corps et la nouvelle physique dévoilée en 1671 conduisaient à une première évolution : la fusion de la preuve par le mouvement avec celle par la création continuée. Les révisions et les change­- ments théoriques intervenus à la fin des années 1670, en matière théologique, physique et métaphysique, en entraînaient bientôt une deuxième : sa disparition, tout du moins sous la forme qu’elle avait jusque-là prise. Elle ne pouvait désormais réapparaître qu’à la condition d’être transformée et intégrée à d’autres preuves : celles par la contingence, par la convenance des lois de nature et par l’harmonie préétablie. La contingence du créé, comme le caractère indémontrable (quoique non arbitraire) des lois du mouvement par le seul mécanisme indiquaient une intelligence créatrice, toute puissante et libre. L’hypothèse de l’harmonie préétablie orientait vers la même conclusion, mais – paradoxe – en venait, pour cela, à priver de toute force la démonstration par le mouvement. Sa conservation n’apparaissait plus alors que comme l’hommage respectueux rendu à l’argument vénérable hérité d’Aristote, devenu pourtant inefficace dans le contexte de la doctrine monadologique, qui, en rendant aux corps puissance et action, en faisait les instruments vivants des desseins divins. L’automate avait remplacé l’échelle pour prouver Dieu.

Notes

  • [1]
    Conspectus demonstrationum catholicarum (1668-1669 ?), A VI, 1, 494.
  • [2]
    Dans sa lettre à Conring du 8 février 1671, Leibniz annonce en effet que la théologie naturelle doit bénéficier des « nouvelles lumières » apportées par la doctrine du mouve­ment (A II, 1, 131).
  • [3]
    Voir A VI, 1, 489-490.
  • [4]
    A VI, 1, 489. Nous suivons ici la traduction que Christiane Frémont donne du texte, sous le titre Profession de foi de la nature contre les athées, in Leibniz. Discours de métaphysique et autres textes, Paris, Flammarion, « GF », 2001 [abrév. : Frémont 1], p. 27.
  • [5]
    C’est la raison pour laquelle les deux preuves seront exposées immédiatement à la suite l’une de l’autre dans la Confessio naturae.
  • [6]
    A VI, 1, 165.
  • [7]
    A VI, 1, 169.
  • [8]
    Voir A VI, 1, 170.
  • [9]
    Jacques Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Puf, 1960, p. 94.
  • [10]
    Voir Physique, VIII, 5, 256a13-21.
  • [11]
    A II, 1, 19. Nous suivons ici la traduction de Richard Bodéüs, in Leibniz-Thomasius. Correspondance 1663-1672 [abrév. : Bodéüs], Paris, Vrin, 1993, p. 57.
  • [12]
    Cf. Physique, VII, 1, 241b34 ; VIII, 5, 256a13-21 et VIII, 6, 259a30-259b.
  • [13]
    Voir Somme théologique, Ia, qu. 2, art. 3. Voir aussi Somme contre les gentils, I, 13.
  • [14]
    Voir De corpore, P. II, c. 10, § 1.
  • [15]
    Ibid., P. II, c. 9, § 7.
  • [16]
    A II, 1, 92.
  • [17]
    Leibniz prétend que Hobbes l’utilise constamment, sans pourtant l’avoir prouvée (ibid., 94). On notera que cette maxime n’apparaît pas comme telle sous la plume du philosophe anglais.
  • [18]
    À Thomasius (26 septembre/6 octobre 1668), A II, 1, 19 (Bodéüs, p. 57).
  • [19]
    On sait les efforts déployés par Leibniz pour accorder la physique aristotélicienne (obscurcie par les scolastiques) aux réquisits de la nouvelle science. Voir notamment les lettres à Thomasius des 26 septembre/6 octobre 1668 et 20/30 avril 1669 (A II, 1, 18-19 et 25-34).
  • [20]
    A II, 1, 33 (Bodéüs, p. 110). Sur cette interprétation contestable d’Aristote et le sens véritable de l’argument par le procès à l’infini, voir le commentaire de R. Bodéüs, op. cit., p. 149, note 179 et pp. 204-205.
  • [21]
    Cité sur ce point in A II, 1, 33 (Bodéüs, p. 110).
  • [22]
    Physique, VIII, 5, 256a17-19.
  • [23]
    Cf. À Thomasius (20/30 avril 1669), A II, 1, 25 (Bodéüs p. 98). Voir aussi Hypothesis physica nova, § 57, A VI, 2, 248.
  • [24]
    A VI, 1, 489 (Frémont 1, p. 28 ; traduction modifiée).
  • [25]
    A VI, 1, 490. Ce principe d’économie plaide incontestablement, selon Leibniz, en faveur de la nouvelle physique. Comme l’indique la lettre à Thomasius du 20/30 avril 1669, quand l’hypothèse des Modernes et celle des scolastiques seraient également possibles, la première l’emporterait toujours sur la seconde en raison de sa plus grande clarté et de sa plus grande intelligibilité. Elle a en effet cet avantage de n’alléguer « aucun être incorporel au sein des corps », et de ne supposer « rien en dehors de la grandeur, de la figure et du mouvement » (A II, 1, 26 ; Bodéüs, pp. 100-101 ; traduction modifiée). Sur l’interprétation leibnizienne du principe d’économie, voir la Dissertation préliminaire à la réédition des quatre livres de Nizolius (1670), A VI, 2, 428 : la règle générale « Entia non esse multiplicanda praeter necessitatem » revient à ceci : « Hypothesin eo esse meliorem, quo simpliciorem, et in causis eorum quae apparent reddendis eum optime se gerere, qui quam paucissima gratis supponat. »
  • [26]
    « Ac principio hodiernis philosophis, Democriti et Epicuri resuscitatoribus, quos Robertus de Boyle corpusculares non inepte appellat, ut Galilaeo, Bacono, Gassendo, Cartesio, Hobbesio, Digbaeo facile condescendendo assensus sum […]. » (A VI, 1, 489-490.) L’usage de dresser des listes de noms de philosophes modernes (voir aussi par exemple, dans la correspondance avec Thomasius, A II, 1, 18 et 24-25) est une manière pour Leibniz de ne faire allégeance à aucun d’entre eux en particulier, mais seulement de manifester un accord avec eux sur certains principes généraux. Il se déclare d’ailleurs « rien moins qu’un cartésien » (A II, 1, 25).
  • [27]
    Le terme « naturaliste » est présent dans la Confessio naturae (A VI, 1, 490) et sera repris dans un texte fameux (daté entre 1678 et 1680) qui commence par « il y a deux sectes de Naturalistes qui sont en vogue aujourdhuy […] » (A VI, 4-B, 1384).
  • [28]
    Voir Boyle, Some Specimens of an Attempt to Make Chemical Experiments Useful to Illustrate the Notions of the Corpuscular Philosophy (1661), préface, in The Works of the Honourable Robert Boyle, vol. I, London, 1772, pp. 355-356, p. 358. Le texte a ensuite été traduit en latin. On le trouve sous le titre Specimen unum atque alterum e quibus constat, quantopere Experimenta chymica philosophiae corpuscularis illustrationi inserviant, in Tentamina quaedam physiologica diversis temporibus et occasionibus conscripta, Amsterdam, 1667, voir pp. 168-170.
  • [29]
    Précisons bien les raisons et la limite de cette exclusion. Dieu, quoiqu’il soit pour Hobbes un corps, n’est pas l’objet de la philosophie car il est inengendré et incompréhensible. En outre, interdire de recourir à lui dans l’explication particulière des effets naturels n’empêche pas de le poser à l’origine de toutes les chaînes de causes.
  • [30]
    De ipsa natura […] (1698), GP IV, 514 ; voir aussi Systeme nouveau de la nature et de la communication des substances, aussi bien que de l’union qu’il y a entre l’ame et le corps (1695), GP IV, 478.
  • [31]
    Voir aussi A VI, 2, 280 (1670-1671 ?).
  • [32]
    Pour Boyle, la « doctrine corpusculaire » se résume à poser « que les corps ne diffèrent que par la grandeur, la figure, le mouvement ou le repos, et la situation des particules qui les composent, qui peut toujours être infiniment variée » (Some Specimens of an Attempt […], p. 358).
  • [33]
    Leibniz voit dans la philosophie nouvelle « un présent de Dieu offert à la vieillesse du monde, comme unique planche d’un salut futur pour les hommes pieux et prudents dans le naufrage de l’athéisme qui s’abat présentement sur eux » (À Thomasius, 20/30 avril 1669, A II, 1, 37 ; Bodéüs p. 115).
  • [34]
    A VI, 1, 492 (Frémont 1, p. 32).
  • [35]
    A II, 1, 102.
  • [36]
    Cf. ibid. 103 ; Theoria motus abstracti, A VI, 2, 266 (16), 269 (17). Voir aussi À Hobbes (13/23 juillet 1670), A II, 1, 92-93.
  • [37]
    Voir infra notre dernière partie.
  • [38]
    Voir A VI, 1, 490-491 (Frémont 1, pp. 29-30).
  • [39]
    A VI, 1, 492 (Frémont 1, pp. 32-33 ; traduction modifiée).
  • [40]
    Voir A VI, 1, 491.
  • [41]
    Voir par exemple la formulation du principe donnée au § 44 de la Théodicée.
  • [42]
    Sur ce point voir notre ouvrage, La Question du mal chez Leibniz. Fondements et élaboration de la Théodicée, Paris, Honoré Champion, 2008, pp. 60-68, 125-135, 150-169.
  • [43]
    Voir De corpore, P. II, c. 9, § 7. Hobbes est visé ici, comme le sont Épicure et les atomistes à travers la critique que Leibniz adresse à ceux qui attribuent une cause éternelle au mouvement.
  • [44]
    Parce qu’elle revient, pour ainsi dire, à « spiritualiser » les corps (cf. À Thomasius, 20/30 avril 1669, A II, 1, 35).
  • [45]
    A VI, 1, 492 (Frémont 1 p. 33). Dans sa lettre à Thomasius du 20/30 avril 1669, Leibniz fait de l’esprit « l’être pensant (ens cogitans) », ce qui fait de la pensée un attribut de l’esprit et pas seulement l’une de ses actions (A II, 1, 34).
  • [46]
    Voir, par exemple, À Thomasius (26 septembre/6 octobre 1668), A II, 1, 18 et 19.
  • [47]
    À Thomasius (20/30 avril 1669), A II, 1, 32 (Bodéüs, p. 109).
  • [48]
    Ibid., 31 (Bodéüs, p. 108 ; traduction modifiée).
  • [49]
    Bodéüs, p. 289. Nous soulignons.
  • [50]
    Comme il l’affirme dans son commentaire p. 205.
  • [51]
    Sur cet occasionnalisme en physique, dont témoignent encore en 1678 le De Corporum concursu et le De Motu tractationis conspectus (lib. I, in Leibnizens Nachgelassene Schriften physikalischen,mechanischen und technischen Inhalts, édité et annoté par E. Gerland, Leipzig, 1906, p. 114), voir notamment A. Robinet, Architectonique disjonctive, automates systémiques et idéalité transcendantale dans l’œuvre de G. W. Leibniz, Paris, Vrin, 1986, pp. 132-135 ; pp. 191-193 ; F. Duchesneau, La Dynamique de Leibniz, Paris, Vrin, « Mathesis », 1994, pp. 110-111 ; 120, 122-123 ; 144-145 ; M. Fichant, « Mécanisme et métaphysique : le rétablissement des formes substantielles (1679) », in Science et métaphysique dans Descartes et Leibniz, Paris, Puf, « Épiméthée », 1998, p. 178, p. 181.
  • [52]
    Cf. À Thomasius (19/29 décembre 1670), A II, 1, 119-120 ; À Oldenburg (23 juillet 1670), A II, 1, 95-96, À Conring (8 février 1671), A II, 1, 131-132 ; Hypothesis physica nova, qua Phaenomenorum Naturae plerorumque causae ab unico quodam universali motu, in globo nostro supposito […] repetuntur (1671), notamment le § 57 (A VI, 2, 247-249).
  • [53]
    Voir Nova methodus, A VI, 1, 286-287.
  • [54]
    Voir Pour le duc Jean-Frédéric (21 mai 1671), A II, 1, 182.
  • [55]
    Cf. ibid., 181 ; Au duc Jean-Frédéric (octobre 1671), A II, 1, 265 ; À Arnauld (début novembre 1671), A II, 1, 279.
  • [56]
    Voir Pour le duc Jean-Frédéric (21 mai 1671), A II, 1, 181.
  • [57]
    Au duc Jean-Frédéric (octobre 1671), A II, 1, 265. Sur la définition de la conscience, de la pensée, ou encore de la réflexion par l’action sur soi, voir par exemple A VI, 2, 285 ; A VI, 3, 588 ; De affectibus, A VI, 4-B, 1411 ; A VI, 4-B, 1452.
  • [58]
    A. Robinet parle à juste titre d’un « occasionalisme restreint au domaine de la substance corporelle » (Architectonique disjonctive […], op. cit., p. 132).
  • [59]
    À Thomasius (20/20 avril 1669), A II, 1, 38 (Bodéüs p. 116 ; traduction modifiée).
  • [60]
    Ibid., 36 (Bodéüs pp. 114-115 ; traduction modifiée).
  • [61]
    « Démonstration [de l’existence de Dieu] à partir de ce principe, que le mouvement ne peut se produire sans création continuée. » (A VI, 1, 494.)
  • [62]
    A VI, 1, 496.
  • [63]
    Elle n’est pas nécessaire au sens logique du terme, c’est-à-dire telle que son opposé soit impossible (l’absence de création n’est pas contradictoire). Elle ne l’est pas davantage au sens métaphysique, puisqu’est absolument nécessaire ce qui est par soi (Dieu) et non par autre chose (le monde, qui n’est nécessaire qu’ex hypothesi). Sur ce point, voir Confessio philosophi, A VI, 3, 127-129.
  • [64]
    Notons que cette unification – par le conatus comme ultérieurement par la monade – se fait toujours sinon en « spiritualisant » les corps, tout du moins en accordant au corps des caractéristiques habituellement attribuées à l’esprit (indivisibilité et immatérialité).
  • [65]
    Cf. À Oldenburg (29 avril/9 mai 1671), A II, 1, 166. Voir aussi A VI, 3, 494.
  • [66]
    A VI, 3, 67.
  • [67]
    Voir À Arnauld (début novembre 1671), A II, 1, 281.
  • [68]
    A VI, 3, 100.
  • [69]
    Voir ibid., 100-101.
  • [70]
    A VI, 3, 566.
  • [71]
    Ibid., 567. En effet « Dieu se conserve lui-même, bien qu’il ne se reproduise pas continuellement » (A VI, 3, 465).
  • [72]
    A VI, 3, 567.
  • [73]
    Voir A VI, 3, 494.
  • [74]
    Voir A VI, 3, 500 : « Est enim motus nihil aliud, quam transcreatio. »
  • [75]
    Voir A VI, 3, 503.
  • [76]
    De corporum concursu (janvier 1678), in G. W. Leibniz. La réforme de la dynamique. Textes inédits, édition, présentation, traductions et commentaires par M. Fichant, Paris, Vrin, « Mathesis », 1994, p. 293.
  • [77]
    Voir ibid., p. 270.
  • [78]
    Voir A II, 1, 672-674.
  • [79]
    Sur cette critique – que nous n’étudierons pas ici – voir notamment A VI, 4-B, 1391-1392 (daté entre 1678 et 1679) ; À Erhard Weigel (septembre 1679), A II, 1, 747-748 ; À Seckendorff (26 juillet 1685), A II, 1, 873-874 ; Grua 330-332 ; FC (NL), 150-162 ; Théodicée, § 384.
  • [80]
    Quoique la thèse de la création continuée demeurât toujours admise par Leibniz, sous une forme cependant différente de celle de Weigel.
  • [81]
    « Materiam et Motum esse phaenomena tantum, seu continere in se aliquid imaginarii […]. » (Fragment daté de l’hiver 1682-1683, A VI, 4-B, 1463.) Voir aussi Mira de natura substantiae corporeae (29 mars 1683), A VI, 4-B, 1465 ; Specimen inventorum […] (1688 ?), A VI, 4-B, 1622-1623.
  • [82]
    Discours de métaphysique § 18, A VI, 4-B, 1559. Voir aussi À Arnauld (30 avril 1687), A II, 2, 187.
  • [83]
    Comme le dira Leibniz à Pellisson-Fontanier (juillet 1691) : « […] le mouvement est une chose successive, laquelle par consequent n’existe jamais, non plus que le temps, parce que toutes ses parties n’existent jamais ensemble […] » ; alors que « la force ou l’effort existe tout entier à chaque moment, et doit estre quelque chose de veritable et de réel » (A II, 2, 434). Voir aussi À Jaquelot (22 mars 1703), GP III, 457.
  • [84]
    À la fin des années 1670. Voir notre livre op. cit., pp. 195-212.
  • [85]
    Nous réservons à une autre étude l’examen particulier de cette preuve de Dieu par les lois du mouvement.
  • [86]
    Cette indifférence doit être entendue en un sens logique (modal), mais non physique, puisque la matière, loin d’être indifférente au mouvement, y résiste par son inertie naturelle. C’est pourquoi elle demande, pour être mue, d’autant plus de force qu’elle est plus grande (voir par exemple De ipsa natura […], GP IV, 510 (11)).
  • [87]
    Principes de la nature et de la grâce § 8. Voir aussi Lettre sur ce qui passe les sens et la matiere, GP VI, 497 ; Théodicée § 7 ; Monadologie §§ 36-38.
  • [88]
    Considerations […], GP VI, 540.
  • [89]
    Ibid., 541. Voir aussi Systeme nouveau […], GP IV, 486 ; Nouveaux essais sur l’entendement humain IV, 10, §§ 9-10, A VI, 6, 438, 440-441 ; Cinquième écrit à Clarke (août 1716), GP VII, 411 (87).
  • [90]
    Considerations […], GP VI, 541.
  • [91]
    Éclaircissement […], 550.
  • [92]
    Cf. Considerations […], 542 ; Éclaircissement […], 548-549, 552-553.
  • [93]
    « frustraneum effugium » (A VI, 1, 491).
  • [94]
    GP IV, 396 (texte daté de mai 1702).
  • [95]
    Éclaircissement […], GP VI, 552-553.
  • [96]
    Ibid., 548.
  • [97]
    Ibid., 549.
  • [98]
    Systeme nouveau […], GP IV, 486.
  • [99]
    Je remercie vivement François Duchesneau pour les éclaircissements qu’il m’a apportés sur ce point.
  • [100]
    De ipsa natura […], GP IV, 515 (14). Voir aussi la correspondance avec Wolff, GB 131, 139.
  • [101]
    GP IV, 397.
  • [102]
    De primae philosophiae Emendatione, et de Notione Substantiae (1694), GP IV, 469.
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