Couverture de ENIC_013

Article de revue

La production de l'information intercommunale et l'émergence de stratégies éditoriales, l'exemple des sites internet intercommunaux

Pages 13 à 22

Introduction

1Notre article propose d'étudier le processus de production de l'information intercommunale à travers les sites internet des Etablissements Publics de Coopération Intercommunale. Notre analyse s'appuiera sur l'activité communicationnelle de trois types de communautés : Communautés d'Agglomération, Communautés de Communes et Communautés Urbaines. Notre objectif sera de démontrer que les structures intercommunales relient la diffusion de l'information à la définition d'un processus de production qui instaure des changements dans l'activité communicationnelle. Ainsi, notre travail de recherche identifie trois phénomènes majeurs : le décloisonnement de l'information dans l'activité des différents services, la spécialisation des compétences des agents et l'éditorialisation de nouveaux formats communicationnels. Tout d'abord, nous démontrerons que les modalités de diffusion et d'écritures de l'information sont étroitement articulées à une évolution organisationnelle. Nous décrirons ensuite les modèles de gestion des sites internet. Ils révèlent l'appropriation de ces outils techniques au niveau intercommunal. Nous pointerons enfin l'adoption par les communautés de stratégies éditoriales en citant l'exemple des contenus audiovisuels. Par ailleurs, l'observation de ces trois phénomènes s'appuie sur une enquête de terrain poursuivie dans le cadre de notre recherche doctorale. Nous avons suivi l'évolution de vingt-quatre sites internet d'Etablissements Publics de Coopération Intercommunale rhône-alpins durant la période 2005-2011. De plus, la conduite de trente-cinq entretiens semi-directifs entre 2008 et 2010 auprès d'élus, webmestres, directeurs et chargés de communication fut utile afin de cerner les pratiques professionnelles liées à l'émergence de ces contenus éditorialisés.

La communication électronique et l'enjeu du décloisonnement de l'information

2La production de contenus web peut être définie comme un processus de transformation de « l'information brute » en discours communicationnels. Patrick Charaudeau soutient cette idée : « le monde à décrire est le lieu où se trouve l'«évènement brut » et le processus de transformation consiste pour l'instance médiatique, à faire passer l'évènement d'un état que l'on peut qualifier de brut (mais déjà interprété) à l'état de monde médiatique construit, c'est-à-dire de «nouvelle».» (Charaudeau, 2000, p.94). Yves de La Haye propose le concept d' « information pure» pour montrer que les instances de production exposent comme objectives des informations qui sont le fruit d'une hiérarchisation préalable et d'une mise en narration (De La Haye, 1985, p.149). En outre, ces discours communicationnels s'inscrivent dans un support en épousant ses spécificités techniques. Comme le remarque Bernard Miège « le médium n'est pas qu'un simple vecteur et le même « texte » (scriptural, iconique, graphique, audiovisuel ou multimédia) voit son sens se modifier selon le support choisi » (Miège, 2007, p.66). De plus, le recours au site internet au niveau intercommunal implique des changements organisationnels dans le but de « décloisonner » l'information au niveau interne. La gestion de cet outil est animée par la volonté d'entretenir une relation sociale avec les habitants. Le vice-Président délégué à la Communication de la Communauté d'Agglomération Chambéry Métropole parle « d'introduire dans le quotidien des habitants la représentation de l'intercommunalité» (entretien réalisé le 11 février 2009). Ainsi, la gestion du site internet s'insère dans une démarche de production de sens autour de l'activité intercommunale. Elle fournit des repères sociaux à travers une « actualisation de la grammaire intercommunale » comme le note Monique Fourdin (Fourdin, 2000, p.187). Patrick Charaudeau souligne que les outils de communication proposent « une organisation du réel à travers des images mentales qui sont elles-mêmes portées par du discours ou d'autres manifestations comportementales des individus en société, sont incluses dans le réel, voire données pour le réel lui-même.» (Charaudeau, 2000, p.94).

3Cependant, les institutions intercommunales ont une tradition de « secret » dans la divulgation des informations liées aux prises de décisions ou au fonctionnement de l'organisation. Les critiques qui dénoncent la rigidité et l'opacité des structures intercommunales trouvent leur fondement dans l'organisation de l'institution souvent très hiérarchisée. Elle regroupe des secteurs techniques repliés sur leur domaine de compétence. Ils fonctionnent de façon autonome. Héritée des formes organisationnelles antérieures, la relation entre les services techniques et l'organisation politique n'a pas évolué parallèlement au poids que certains secteurs d'action ont acquis au niveau local.

4Comme le relève David Guéranger ces « créatures de l'Etat » ont conservé des modèles organisationnels qui séparent l'action politique de la dimension technique (Guéranger, 2008, p.614). Par conséquent, nous remarquons l'absence d'une véritable tradition d'échanges au niveau interne. Ces éléments ont participé à créer une situation paradoxale : un pouvoir d'action qui tend à se renforcer à l'échelle locale et une représentation sociale floue au niveau de la sphère publique. À travers la notion de « projet territorial » introduite par la loi Chevènement de 1999, l'objectif visait justement à inscrire l'ensemble des compétences intercommunales dans un programme d'action commun. Ainsi, les nouvelles dispositions qui régissent la création des communautés s'orientent résolument vers l'inscription territoriale de l'intercommunalité perçue comme un « espace de ressources ». Bernard Pecqueur remarque que les politiques publiques actuelles « avancent encore d'un cran dans l'ancrage territorial [...] il ne suffit plus de concentrer des activités éventuellement venues de l'extérieur mais d'utiliser de manière plus large le patrimoine cognitif construit localement dans l'histoire longue » (Pecqueur, 2007, p.43).

5De cette manière, l'objectif consiste à s'appuyer sur les potentialités locales pour assurer une croissance économique et définir une communauté sociale.

6De surcroît, le lancement des sites web fut promu à travers des programmes généraux de modernisation des administrations publiques tels que les plans PAGSI et RE/SO. L'élaboration de ces outils de communication était donc incluse dans une politique plus vaste de « dématérialisation » ou « numérisation » des procédures administratives et tâches professionnelles des agents locaux. Ces politiques ont contribué à positionner Internet comme le principal outil technique accompagnant l'évolution de la gestion territoriale. Les structures intercommunales furent pleinement associées à ces programmes de modernisation. Le principe de mutualisation informatisée des services fut érigé comme un modèle de gestion spécifique aux établissements intercommunaux.

Deux visions déterministes ancrées dans l'action publique

7Dans une analyse qui décrit le procès d'informationnalisation et de communication, Bernard Miège insiste sur l'idée d'éviter deux approches qui traitent des phénomènes informationnels et communicationnels (Miège, 2004, p.60). Il remarque qu'elles ne disposent pas des références théoriques pour étudier pertinemment ces phénomènes. Nous reprenons ces deux paradigmes afin de souligner leurs caractéristiques. Ainsi, les programmes de modernisation des collectivités territoriales ont accéléré la diffusion d'une conception déterministe autour des effets de l'outil internet dans différents domaines telle que la productivité. Au niveau communicationnel, ce sont surtout les notions d'information et de service qui ont été promues. Le site internet est censé concrétiser le passage à un nouvel espace celui du « territoire numérique ». D'un point de vue théorique, la dématérialisation constitue un point clé de l'idéologie technicienne. Elle défend que les potentialités techniques de l'outil Internet concentrent à elles seules la possibilité d'un changement social. Bernard Miège décrit la prégnance de deux paradigmes « à proscrire » dans l'analyse des Tic (Techniques d'information et de communication). Ces deux paradigmes se rejoignent sur certains aspects car ils reposent tous deux sur une vision déterministe.

  • Un paradigme technico-économique qui est présent dans les travaux des chercheurs en sciences de l'information et de la communication et dans les rapports d'expertise produits par des organisations étatiques voire internationales comme l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économique). Cette organisation réalise des études économiques dans différents secteurs de l'économie et les met à disposition des pays membres. Les rapports sur les Tic sont nombreux, ils renforcent les discours déterministes autour de la révolution numérique. Ces acteurs ancrent socialement certaines croyances autour de la technique (« ère numérique »). Ainsi, le chercheur grenoblois souligne : « On est passé maintenant à un système explicatif fondé sur la rationalité technico-économique qui se présente comme une chaîne de causalités successives et induites (sinon déduites) : changements techniques > changements du système productif > changement de la société > changements d'ordre culturel, et même > changements politiques. » (Miège, 2004, p.61). Aussi, ce paradigme par le concours des différents acteurs (politique, économique, scientifique) s'est inséré au niveau des institutions publiques comme une réponse aux problèmes organisationnels et sociaux rencontrés. Dans ces discours sociaux, ce paradigme apparaît comme lié à la notion de progrès et de modernité. Il s'impose comme l'unique orientation possible pour faire face aux problèmes économiques et sociaux.
  • Un paradigme qui repose sur l'informatisation : pour illustrer son propos Bernard Miège reprend l'exemple du rapport Nora-Minc commandité par le Président Giscard d'Estaing et publié en 1978. Les deux auteurs présentent l'idée d'une convergence qui met en lumière le rôle primordial joué par les réseaux techniques dans une progressive « mutation informationnelle ». Ils essaient de déceler les prochaines orientations des pratiques dans le domaine des Tic et avancent le projet d'une « communication horizontale d'aspirations sociales » (Miège, 2004, p.61). D'après leur analyse, ce projet ne peut être mené à bien qu'à travers une implication des autorités publiques dans l'introduction de ces outils techniques dans la société. Cette représentation s'axe principalement sur la modernisation et l'équipement informatique des structures sociales. L'objectif est de positionner la France parmi les nations maîtrisant ces technologies. Bernard Miège critique cette approche. Il la compare à celle de Manuel Castells (Castells, 2001) dont il décrit le positionnement : « Tout en se défendant d'une approche techniciste Castells tire des conséquences sociétales (dans les entreprises et dans les autres champs sociaux) de l'équipement croissant en ordinateurs et ne traite pratiquement jamais pour elles-mêmes des mutations informationnelles et communicationnelles, son « espace de flux » est en fait un concept abstrait. » (Miège, 2004, p.62).

8Le site internet a donc été imprégné par ce finalisme technologique qui mise sur la technique pour dynamiser les activités sociales. Néanmoins, l'exploitation du site web ne se limite pas à sa dimension technique. Elle induit une configuration organisationnelle propice à la gestion de l'information. Le traitement de l'information et la production des contenus nécessitent l'adaptation des différentes entités de l'institution aux enjeux de l'action communicationnelle. Ainsi, le recours à cet outil de communication décloisonne l'information au niveau du fonctionnement des services. Le site web implique la diffusion régulière des informations au service communication ou au webmestre chargé de l'alimenter en contenus. En effet, cet enjeu de diffusion de l'information concerne surtout les structures intercommunales dont les services furent nouvellement transférés ou regroupés. L'exemple de l'intégration des webmestres démontre le caractère stratégique que les dirigeants intercommunaux confèrent à la production de contenus communicationnels.

L'intégration de la fonction de webmestre

9Nous relevons trois modes de gestion qui sont étroitement reliés à la taille des services communication et au type d'intercommunalité. Ils révèlent sous quelles modalités ces structures ont intégré à leur organisation la fonction de webmestre. Nous avons élaboré ces modèles d'intégration à l'issue de la conduite de notre enquête de terrain et notamment des entretiens réalisés en direction de trente-cinq acteurs de la communication intercommunale.

La collaboration avec un prestataire

10La fonction de webmestre n'est pas intégrée au service communication. Le site est géré en collaboration avec une agence de communication qui procède à la mise en ligne des contenus produits par les chargés de communication. Les communautés nouvellement constituées ont généralement recours à ce type de gestion du site dans la mesure où elles disposent d'un service communication limité à une personne chargée de coordonner les différentes actions. Ainsi, au contact du prestataire, le chargé de communication bénéficie d'une formation à l'écriture web et à la maîtrise des différents formats de production de contenus : contenus audios et animés, retouches des images ou encore maîtrise des liens hypertextes. La gestion du site par un prestataire participe à l'ancrage de l'activité communicationnelle au sein des communautés mais facilite aussi l'inscription d'une représentation intercommunale dans l'espace local. D'un point de vue politique, elle assure aux dirigeants un contrôle sur les contenus. Les agents internes sont dès lors considérés comme des exécutants.

La gestion technique assurée par un webmestre

11Le webmestre est exclusivement chargé de la partie technique qui est l'insertion des contenus, la gestion des différentes pages du site, la sécurité du site ou encore le référencement du site sur le web. Il est associé à la dimension infographique notamment dans la mise en forme d'affiches ou de supports de communication car ces professionnels ont généralement bénéficié d'une formation en graphisme. Dans les grandes communautés urbaines disposant de sites à l'architecture complexe et qui s'apparentent à des portails, la fonction de webmestre est dissociée de celle de journaliste web. Ces structures organisent l'activité communicationnelle comme un service fonctionnel de l'institution et spécialisent les membres du service autour d'une activité précise dans l'objectif de rationaliser la production des contenus. En parallèle de l'évolution technique, les membres du service communication sont formés. Par exemple, le webmestre peut être formé dans la gestion des nouvelles versions de logiciels ou pour les chargés de communication aux formats d'écritures web. De plus, il apparaît dans cette configuration que le webmestre n'est pas forcément rattaché au service communication. La gestion technique peut être effectuée à partir du service informatique de l'infrastructure. De cette manière, l'équipe communicationnelle est uniquement spécialisée dans la production de contenus qu'elle transmet ensuite à ce service pour l'édition.

La gestion du site en autonomie

12Le webmestre gère l'intégralité du site internet : l'entretien technique du site, la production des articles et l'actualisation régulière sont centralisés par ce technicien. Ce type de gestion offre une autonomie au webmestre mais aussi une expertise qui allie compétences informatiques et rédactionnelles. Elle assure donc une spécialisation des compétences au niveau du service communication. Elle facilite aussi l'articulation de ce support à l'évolution des pratiques sociales. Dans cette configuration, le site internet est souvent au centre de la politique de communication de la communauté. À l'image d'un support écrit, des objectifs communicationnels mais aussi une ligne éditoriale est planifiée autour de ce support. Le webmestre, en collaboration avec la direction du service, définit la production de discours autour de l'intercommunalité tout en exploitant les potentialités techniques de cet outil. La gestion du site bénéficie de l'expérience technique du webmestre qui participe à son orientation : utilisation d'un langage informatique ou d'un type d'animation spécifique (flash, java) permettant de diversifier les possibilités techniques. Il dispose d'une autonomie d'action qui lui assure la maîtrise de l'ensemble de la gestion du site. Ce modèle de gestion a favorisé l'émergence de formats communicationnels propres aux sites internet intercommunaux comme il sera soulevé dans le dernier point.

L'émergence de stratégies éditoriales, l'exemple des contenus audiovisuels

13En outre, l'évolution que nous signalons dans la communication électronique réside dans la mise en forme des discours liés à une compétence technique comme l'élaboration d'un vidéo-reportage ou d'une interview audio. Les formats communicationnels auxquels ont recours les communautés s'apparentent aux expérimentations de la presse en ligne. Elles consistent à exploiter les dispositions multimédias de l'outil internet en brisant la barrière traditionnellement posée entre l'image, le texte et le son. Bernard Lamizet utilise la notion de multimédiatisation. Il la mentionne comme la principale caractéristique des sites internet. Elle propose différentes logiques interprétatives dont les structures intercommunales tentent de maîtriser les hybridations possibles (Lamizet, 1998, p.4). En effet, le recours à l'articulation de différents types de formats communicationnels, comme une courte interview audio adossée à un article, enrichit la mise en narration de l'action intercommunale. Plus largement, les communautés contribuent au renouvellement des formats communicationnels de la communication territoriale car elles proposent une mise en discours reliée à une maîtrise des outils techniques. De ce fait, les Tic sont étroitement articulées à la production de sens autour de l'activité intercommunale. Néanmoins, les logiques d'équipements à court terme conduisent à limiter les possibilités d'expérimentations car les équipements informatiques acquis ne sont pas associés à une formation des compétences. En effet, les dispositifs techniques sont souvent réduits à une pratique occasionnelle ou à une vitrine. Par exemple, de nombreux sites disposent d'une « vidéothèque » qui propose quelques vidéos souvent réalisées lors du lancement du dispositif sociotechnique.

14Par ailleurs, éric Dagiral et Sylvain Parasie définissent à quoi renvoie le terme « formats communicationnels » afin de mieux expliciter les changements portés par l'outil internet. Ils soulignent que ces formats fournissent au public : « ... une structure familière qui permet à l'individu de distribuer son attention entre les différents contenus du journal, du magazine, de l'émission radiophonique ou télévisée. Pour le journaliste, les formats facilitent le travail de l'information en permettant à la fois la sélection des informations pertinentes - telle intervention trop longue et compliquée sera écartée d'un journal télévisé. » (Dagiral, Parasie, 2010, p.104).

15De plus, cette définition peut être complétée par celle de Cyril Lemieux. Il mentionne les éléments qui distinguent les différents formats communicationnels : « la longueur d'un article ou la durée d'un reportage mais encore son angle, son rythme, ses schémas narratifs, sa mise en scène, le régime de distribution des tours de parole qui y prévaut, la distance aux protagonistes qui y est instaurée.» (Lemieux, 2004, p.39). Il prend l'exemple de l'insertion de la photographie dans la presse dans les années cinquante pour souligner que les formats communicationnels sont reliés à des formes d'organisation du travail, à la culture professionnelle mais aussi à la maîtrise des objets techniques. La photographie fut perçue comme une menace pour l'écriture journalistique. Les journalistes américains craignaient que le pouvoir de l'image ne se substitue ou gagne sur l'écriture dans les journaux. Ces derniers ont instauré des conventions afin de « renforcer la lisibilité et l'autorité de l'information (légende, résumé, crédits, nom du photographe) tout en réduisant la photographie à un rôle d'enregistrement du réel » (Dagiral, Parasie, 2010, p.108). Cet exemple dévoile que l'intégration de nouveaux formats communicationnels demande une phase de stabilisation afin de dégager des « normes » qui seront ensuite partagées par l'ensemble du champ médiatique.

16En outre, au niveau de la communication intercommunale, l'expérimentation de nouveaux formats communicationnels s'attache à un objectif majeur qui est de se démarquer de la communication développée par d'autres collectivités territoriales. La place accordée à l'image à travers les contenus audiovisuels a rompu avec l'idée de réaliser des sites internet élaborés comme des versions électroniques des journaux intercommunaux. En effet, devant une certaine uniformisation de la mise en narration, le site internet s'est présenté comme une opportunité d'investir un nouvel outil n'étant pas encore « formaté» comme cela peut-être le cas pour les supports écrits. Notre méthode d'analyse s'attache à dévoiler les façons dont les contenus sont disposés dans l'architecture du site. Ces contenus peuvent être organisés sous la forme d'une vidéothèque, donc comme une rubrique à part entière. Ils peuvent accompagner les différents types de discours placés à la manière d'une photographie ou encore de façon indépendante à travers une fenêtre activée à partir d'un lien hypertexte. Ensuite, nous verrons à quels types de narration renvoient le recours aux contenus audiovisuels. Avec pour référence les travaux d'éric Dagiral et Sylvain Parasie, nous observons trois fonctions principales (Dagiral, Parasie, 2010, p.109). Elles permettent de catégoriser selon quelles modalités les contenus animés viennent enrichir la construction narrative de l'action intercommunale. Elles donnent des indications sur leur relation avec l'écriture web :

  • un rôle dénotatif : le contenu audiovisuel est articulé à un article ou court texte qui présente un évènement ou un projet fournissant les éléments d'interprétations. Dans ce cas-là, une complémentarité est à noter entre les deux formats. Néanmoins, l'article joue la fonction principale dans la production de sens, le contenu audiovisuel sert à appuyer la direction interprétative donnée par l'article.
  • un rôle connotatif : le contenu audiovisuel représente une interprétation d'un évènement au même titre que peut le faire l'article. Dès lors, la vidéo présente un point de vue de la réalité de façon délibérée à l'internaute. L'article articulé à la vidéo pourra alors, soit prolonger cette interprétation proposée, soit la remettre en question.
  • un rôle illustratif : le contenu audiovisuel est présenté sans aucun repère pour l'internaute. Elle vient juste donner une information. Elle est disposée dans la page sous la forme d'un contenu indépendant sans commentaires (écrits ou sonores) ou présence d'un journaliste.

17Par conséquent, ces trois fonctions dévoilent la place conférée au contenu audiovisuel dans la mise en discours et son articulation au texte. Elles soulignent que l'écriture journalistique sur le web répond à des règles de concision. Le contenu audiovisuel est utilisé comme un moyen d'apporter un complément interprétatif à l'internaute. Grâce à cette relation « texte-vidéo », les sites des communautés ont réussi à produire des contenus plus attractifs en termes. Néanmoins, pour la majorité des communautés les multiples possibilités narratives offertes par cette articulation se limitent au registre de la promotion. Par exemple, sur le format du reportage, la Communauté d'Agglomération de Bourg-en-Bresse a procédé à une diffusion des différents projets financés par la Communauté avec l'intervention des élus chargés de la gestion des secteurs concernés (site de la Communauté d'Agglomération de Bourg-en-Bresse à la rubrique «Vidéos » [consulté le 13 juin 2011]). Ce type de contenu promotionnel est largement répandu au niveau des communautés qui disposent d'un site internet limité à la valorisation de l'action intercommunale. Les contenus possèdent une plus grande « durée de vie » sous ce format car ils sont censés présenter des grands axes du projet intercommunal. La pratique de l'insertion régulière de contenus audiovisuels nécessite un important travail de la part des webmestres ou chargés de communication, notamment dans le montage. Les grandes communautés urbaines ont recours à la production régulière de contenus audiovisuels articulés à d'autres formats afin de proposer des nouveaux contenus. Par exemple, sous le format du reportage, la Communauté d'Agglomération Grenoble Alpes Métropole a lancé une série de courtes séquences audiovisuelles sur la sensibilisation des publics locaux au tri. Sur le site internet, ces contenus sont disposés à travers une rubrique indépendante consacrée à cette thématique. Dans l'objectif de susciter l'intérêt des habitants, la série de reportages a été mis en scène de manière humoristique : un héros «Super Tri», sur le modèle des super héros hollywoodiens, a la mission d'informer les habitants sur la protection de l'environnement (site de la communauté Grenoble Alpes Métropole à la rubrique « Vidéothèque » [consulté le 13 juin 2011]). En outre, ce type d'action met aussi en exergue l'idée d'une désacralisation du pouvoir de l'institution. L'institution transfère au personnage créé la représentation de son activité. Elle ne repose pas sur la notion d'autorité ou de pouvoir mais sur le message dans l'objectif d'assurer sa réception par les habitants. Elle emprunte une mise en discours qui tend à reprendre les contenus parodiques très présents sur le web comme par exemple les séquences de Rémi Galliard précurseur du genre. Cet humoriste a acquis une notoriété grâce à des vidéos courtes le mettant en scène dans des situations burlesques. Le succès de ces séquences de cinq minutes est dû à leur diffusion sur les sites d'hébergement mais également parce qu'elles sont facilement téléchargeables à partir de différents supports comme les téléphones portables, les clés usb... En reprenant le modèle du « buzz» sur internet, les reportages courts ont d'abord été mis en ligne sur les sites d'hébergement de vidéos comme Dailymotion ou Youtube et sur certains sites spécialisés. L'objectif est que les contenus audiovisuels soient présents sur des sites à haute fréquentation pour attirer également l'intérêt des médias. Comme souligné, la circulation du contenu dans une période courte garantit son succès. Cette action renvoie à une stratégie délibérée dont le but principal est de créer l'événement. Il s'agit ensuite de s'appuyer sur la notoriété du personnage pour l'inclure dans le journal intercommunal et sur le site web. Une telle campagne de communication vise également à se démarquer des autres institutions pour sensibiliser les habitants quitte à expérimenter d'autres discours et formats communicationnels. Ainsi, la production de ces contenus démontre que les communautés procèdent à des stratégies éditoriales dans la diffusion de l'information. Ces stratégies englobent le recueil de ces informations au niveau interne à travers leur « décloisonnement » et la définition de mode de production exploitant des dispositifs techniques. Notre analyse identifie par exemple trois régimes d'intégration de contenus audiovisuels.

La vignette reliée à un article

18Le contenu audiovisuel est utilisé pour illustrer le discours narratif ou descriptif. Il est traité seulement à travers le montage, aucune autre trace de narration n'est perceptible (commentaires, sous-titres rédigés). Il est placé en complément d'un article sur une page distincte. Ce type de contenu est souvent mis en valeur au centre de la page afin d'attirer l'attention des internautes. Les textes articulés sont concis, l'animation audiovisuelle complémente le discours. En fait, les professionnels de la communication considèrent que la lecture sur le web est davantage un balayage rapide car la capacité de concentration est très courte pour la lecture à l'écran. Le recours à l'image constitue donc un raccourci efficace pour attirer l'internaute. L'outil internet joue une fonction essentielle dans le rattachement de l'intercommunalité à un territoire ou à une réalité sociale. Par exemple, la présence d'un reportage sur un événement local constitue, pour la structure intercommunale, une preuve de son ancrage territorial. Elle participe à la construction d'un territoire social.

Le reportage

19Le contenu audiovisuel est présenté comme un format indépendant avec un titre et une courte introduction. Durant la lecture du contenu, les repères de narration (explicatif/descriptif) sont fournis par des commentaires ou des sous-titres. Il présente un point de vue ou une interprétation d'un évènement et peut être enrichi par des interviews ou par la présence du journaliste commentant l'évènement. Il s'agit d'un format qui offre une grande diversité de possibilités dans la mise en discours de l'action intercommunale. Ce format est fréquemment utilisé à travers les sites informationnels en ligne ou encore à travers la télévision. Les différentes opinions sont recueillies par le recours au reportage. Il met en scène la diversité des points de vue bien que cela soit à travers de courtes séquences (micro-trottoirs). L'insertion de ce type de contenu constitue une ouverture récente de l'action intercommunale. Elle construit une représentation de l'action de l'institution en phase avec l'espace local. Par ailleurs, les reportages sont placés dans une rubrique (Vidéothèque) classée en différentes catégories. Par exemple, la Communauté de Rennes Métropole a mis en place une rubrique intitulée « Contenus sonores et audiovisuels » qui répertorie tous les contenus produits depuis son lancement en 2007 (site de la Communauté Rennes Métropole à la rubrique « Sons, images et vidéos [consulté le 13 juin 2011]). Elle assure l'archivage des contenus, cette rubrique valorise des événements et projets qui participent à la construction de l'identité de l'institution auprès des habitants.

Le portrait ou le témoignage

20Ce format est souvent utilisé pour valoriser un secteur d'activité de l'intercommunalité incarné par un agent, un élu ou encore un vice-Président. Il vise à créer une proximité avec les habitants par une « personnification ». L'individu représente donc la Communauté à travers son intervention. Dès lors, le choix de l'image que l'institution souhaite véhiculer sera surtout mis en avant par la personne interrogée. Ce type de contenu crée une proximité entre les dirigeants intercommunaux et les habitants. Les habitants identifient des agents ou élus qui incarnent l'institution intercommunale.

Conclusion

21En définitive, les phénomènes analysés s'inscrivent dans un mouvement d'évolution organisationnelle des services intercommunaux. Ils interrogent plus largement sur la capacité des communautés à construire une institution « supracommunale » (Logié, 2001, p.147) plutôt qu'un « édifice institutionnel » comme le relève Daniel Gaxie (Gaxie, 1997, p.63). Le politiste utilise ce terme afin de pointer la complexité du fonctionnement intercommunal et son instabilité organisationnelle. Dans le cadre de notre analyse, nous notons que le décloisonnement de l'information amène les services techniques à développer un regard réflexif sur leur activité. Ce phénomène conduit à définir des modes de gestion qui confèrent à l'information une valeur stratégique. Ainsi, l'apparition récente des fonctions de webdesigner et de community manager dévoile une structuration de l'activité communicationnelle autour du site web. Néanmoins, nous repérons une tension entre les contraintes politico-techniques de l'intercommunalité et l'émergence d'une expertise au niveau communicationnel. Comme noté en première partie, les stratégies éditoriales identifiées s'inscrivent dans une vision performative de la communication. Impulsées par les élus intercommunaux, elles se rattachent à l'enjeu de construction territorial. Elles ne sont généralement pas introduites dans le « projet territorial ». Par conséquent, notre analyse soutient que l'activité communicationnelle souffre d' « une précarité dans la définition de ses missions » (Berkani, 2003, p.37) d'où la recherche d'un ancrage dans le fonctionnement intercommunal. Elle se vérifie par la définition d'un processus de production rationalisé et l'expérimentation de nouvelles pratiques professionnelles.

Bibliographie

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  • Dagiral, Eric et Parasie, Sylvain (2010), « Vidéo à la une ! L'innovation dans les formats de la presse en ligne», Réseaux, n°160-161, pp.102-132.
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