Notes
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[1]
J. Guilaine et J. Zamit, Le sentier de la guerre – Visages de la violence préhistorique, Paris, éd. du Seuil, 2001.
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[2]
Ibidem, p. 21.
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[3]
Dès le 16e siècle, époque des Découvertes, l’usage de ce terme présentait indiscutablement une forte dimension péjorative. Aux yeux des Occidentaux, le primitif est celui qui était dans l’incapacité d’aller plus loin que la première étape de l’humanité dans laquelle il se trouvait. Les voyageurs, missionnaires, militaires et autres scientifiques, issus des cultures définies comme véritables, ont ainsi fourni des descriptions peu reluisantes des peuplades rencontrées. L’absence d’histoire, d’écriture, d’État, d’économie, de vrai travail et la présence permanente de la violence constituaient en effet dans les témoignages et récits rapportés autant de signes d’infériorité et d’animalité. Dans le domaine de l’anthropologie, et par conséquent dans ce texte, cet adjectif n’a d’autre visée que de distinguer les sociétés qui ont conservé leur langue et leurs structures socio-économiques propres et qui sont restées, délibérément, à l’écart des sociétés dites industrielles.
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[4]
Cf. C. Wissler, Man and culture, New-York, 1923.
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[5]
Cf. M. R. Davie, La guerre dans les sociétés primitives, Paris, Payot, 1931.
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[6]
Cf. Keeley, War before Civilization, New-York-Oxford, Oxford University Press, 1996, p. 30.
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[7]
Cf. R. Benedict, Patterns of culture, Boston, 1934 (trad. franç., Echantillons de civilisation, Paris, Gallimard, 1950).
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[8]
Cf. R. Caillois, Bellone ou la pente de la guerre, Paris, Nizet, 1963.
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[9]
Cf. J. Cl. Ruano-Borbolan, « Les peuples guerriers », Revue Sciences Humaines, n° 41, juillet 1994, pp. 18 à 21.
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[10]
Cf. P. Clastres, « Le malheur du guerrier sauvage », Revue Libre, 2, 1977, p. 74.
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[11]
Cf. « Contrôle social de la transgression et guerre de vendetta dans le Haut-Amazone », Droits et Cultures, n° 11, 1986, p. 140.
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[12]
Cf. M. F Côte-Jallade, M. Richard et J. F Skypzcak, Penseurs d’aujourd’hui : P. Clastres, R. Girard, M. Foucault, L. Althusser, C. Castoriadis, J. Baudrillard, Lyon, éd. Chronique sociale, 1985, p. 30.
-
[13]
Philosophe français (Paris, 1924), Cl. Lefort fonde avec C. Castoriadis le groupe Socialisme ou Barbarie, où s’amorce l’étude centrale des relations du totalitarisme et de la démocratie. Les textes publiés dans la revue qui porte le nom du groupe sont réunis dans Eléments d’une critique de la bureaucratie (1971), et forment une partie de L’invention démocratique (1981). Ces articles rédigés dans le feu des batailles idéologiques témoignent d’une réflexion ouverte au dialogue et en constante recherche conceptuelle. L’idée force de Cl. Lefort, à savoir qu’une société se définit par le sort qu’elle fait à la tension et à la scission, le conduit à s’interroger sur l’œuvre de Machiavel en 1972 ; le philosophe s’applique à définir la nature des rapports entre le politique et l’idéologique. De nombreux courants de la gauche critique s’inspireront, au lendemain de Mai 68, de cette théorie originale et forte de la démocratie.
-
[14]
En ce qui concerne les recherches consacrées aux Forces armées modernes, les études réalisées restent marginales. Si l’évolution est favorable, il subsiste néanmoins quelques embûches résultantes de l’opposition et de la méfiance héritées et traditionnellement entretenues entre la société civile, d’une part, et la société militaire, de l’autre ; du manque d’intérêt de la communauté scientifique à l’égard de l’objet militaire ; de l’habitude de repli et de la frilosité de l’institution militaire qui s’ajoute à un certain besoin de réserve dont abusent trop souvent les armées, etc. Ces freins posent ainsi d’emblée le problème de l’accès au terrain et à l’étape ethnographique indispensables à l’anthropologue.
-
[15]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, Paris, éd. de l’Aube, 1997, p. 5.
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[16]
Cf. R. Girard, La violence et le sacré, Paris, éd. Hachette, coll. « Pluriel », 1998, 486 p.
-
[17]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, op. cit., pp. 14-15.
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[18]
« Il est rare, depuis de longues années, que des professeurs consacrent leur temps et leur réflexion aux problèmes proprement militaires. Cette lacune, peut-être traditionnelle, n’en demeure pas moins fâcheuse ». Cf. R. Aron, Les étapes de la pensée sociologique, Paris, Tel Gallimard, 1967.
-
[19]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, op. cit.
-
[20]
Cf. A. Leroi-Gourhan, Le Geste et la parole, II : Technique et langage, Paris, Albin Michel, 1965, pp. 236-237.
-
[21]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, op. cit., p. 24.
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[22]
Cf. Cl. Lévi-Strauss, « Guerre et commerce chez les Indiens de l’Amérique du Sud », Renaissance, vol. 1, New-York, 1943.
-
[23]
Cf. Cl. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, II, Paris, Plon, coll. « Pocket-Agora », 1996, pp. 291-292.
-
[24]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, op. cit., p. 39.
-
[25]
Au-delà des trois discours abordés et récusés par l’anthropologue, Clastres s’est en effet positionné à l’encontre de courants qui comprenaient bien plus d’auteurs que ceux mis en cause ici. Concernant les conceptions naturalistes, il n’a pas évoqué K. Lorenz qui dans son ouvrage L’Agression (Flammarion, 1969) a développé l’argument d’un instinct agressif dévoyé chez l’homme ; R Ardrey qui a appliqué cet argument au territoire (L’impératif territorial, 1966) ; Ir. Eibl-Eibesfeldt qui l’a repris et assimilé à la prédation (Guerre et paix dans l’Homme, Stock, 1976) ou encore la version moderne du darwinisme, la sociobiologie (O. Wilson, Sociobiology : a new synthesis, 1975), qui assimile les communautés humaines à des ensembles de gènes en compétition les uns contre les autres. Le lecteur trouvera quelques éléments supplémentaires sur les théories émises, leurs auteurs, leurs ramifications, etc., in Sciences Humaines, n° 41, juillet 1994, pp. 11 à 17.
-
[26]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, op. cit., p. 9.
-
[27]
Cf. Hobbes, Léviathan, Paris, éd. Sirey. La théorie de l’auteur est que l’homme ne peut se réaliser qu’au sein d’un État mettant fin à l’égoïsme et à la violence de chacun.
-
[28]
J. Guilaine et J. Zamit, Le sentier de la guerre– Visages de la violence préhistorique, op. cit., pp. 42-43.
-
[29]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, op. cit., p. 11.
-
[30]
Ibidem, p. 44.
-
[31]
Ibid., p. 81.
-
[32]
J. Guilaine et J. Zamit, Le sentier de la guerre – Visages de la violence préhistorique, op. cit., p. 43.
-
[33]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, op. cit., p. 63. Par son analyse sur le refus de l’économie, Clastres s’oppose à la théorie de Marx pour qui le changement économique est primordial et décisif. En comparant différents modèles de sociétés (mêmes structures politiques et infrastructures différentes et mêmes infrastructures et superstructures différentes) l’ethnologue prouve que c’est le politique qui est déterminant, que les hommes se soumettent d’abord à un pouvoir politique puis peuvent ensuite être soumis à une exploitation économique. En d’autres termes, l’auteur démontre que le marxisme n’est pas apte à penser toutes les formations sociales apparues dans l’histoire.
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[34]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, op. cit., pp. 65-68.
-
[35]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, op. cit., p. 82.
-
[36]
Ibidem, p. 90.
-
[37]
Cf. P. Clastres, « Malheur du guerrier sauvage », Revue Libre, 2, 1977.
-
[38]
La fonction de chef est peu recherchée. Pour le devenir il faut avoir un don oratoire, afin de rappeler sans cesse les normes à suivre au sein du groupe, et il faut également être généreux. En effet, comme le souligne P. Clastres, le chef doit payer sa dette au groupe pour avoir été nommé et, de fait, c’est celui qui travaille plus que les autres et pour son seul prestige sans pouvoir de commandement.
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[39]
Cf. P. Clastres, « Malheur du guerrier sauvage », Revue Libre, op. cit., p. 70.
-
[40]
Ibidem, p. 72.
-
[41]
Ibid., pp. 69-109.
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[42]
Ibid., p. 77.
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[43]
Cf. P. Clastres, « Malheur du guerrier sauvage », Revue Libre, op. cit., p. 86.
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[44]
Ibidem, p. 91.
-
[45]
Ibid., p. 92.
-
[46]
Ibid., p. 93.
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[47]
Cf. P. Clastres, « Malheur du guerrier sauvage », Revue Libre, op. cit., p. 96.
-
[48]
Ibidem, p. 98.
-
[49]
J. Guilaine et J. Zamit, Le sentier de la guerre – Visages de la violence préhistorique, op. cit., pp. 226-227.
-
[50]
Cf. M. F. Côte-Jallade, M. Richard et J. F. Skypzcak, Penseurs d’aujourd’hui : P. Clastres, R. Girard, M. Foucault, L. Althusser, C. Castoriadis, J. Baudrillard, op. cit., p. 32.
-
[51]
Cf. Les Champs de Mars, numéros 10 et 12, « Dossier : les précurseurs français de la sociologie militaire », Paris, La Documentation Française, 2001 et 2002.
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[52]
Cf. Sciences Humaines, n° 41, juillet 1994, p. 13.
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[53]
Cf. G. Chaliand, Anthologie mondiale de la stratégie, Paris, éd. Laffont, 1990.
-
[54]
Cf. R. Aron, « Une sociologie des relations internationales », Revue française de sociologie, 4, 1963, p. 311.
1Le récent ouvrage, Le sentier de la guerre [1], formidablement documenté, atteste d’actes de violence – exécutions, massacres, sacrifices, supplices, conflits guerriers – dès le Paléolithique : le temps des chasseurs-cueilleurs, soit bien avant le Néolithique, la sédentarisation et les premiers pas de l’agriculture. Les hommes en groupe, en communauté ou en société, ont de tout temps pratiqué la violence pour des raisons que l’on imagine diverses (besoin de défendre un territoire, nécessité de se procurer des biens de consommation, asservissement d’esclaves, moyen de se procurer des femmes, des enfants ou du bétail, chasser des têtes, venger des morts, accumuler des parures, restaurer son honneur perdu, croyances qui font espérer aux guerriers un sort meilleur après la mort, simple plaisir de se battre, etc.). Les auteurs de ce livre s’attachent, avec notamment les outils de l’archéologie et de l’ethnographie, à contrebalancer ainsi l’idée de l’âge d’or de la préhistoire comme une ère de quiétude et de pacifisme et à montrer le poids de la guerre dans la sphère sociale, politique et économique des populations pré-étatiques. « La guerre semble en outre plus fréquente chez les populations pré-étatiques que dans nos sociétés modernes. (…) Si la guerre est omniprésente dans les premières œuvres écrites, littéraires ou religieuses, elle l’est tout autant au sein des civilisations antérieures à la pratique de l’écrit » [2].
2Les récits abondants des voyageurs, des missionnaires et des ethnologues, entre le 16e siècle, époque de la découverte de l’Amérique et les 19e et 20e siècles, périodes d’exploration et de conquête, ont contribué à établir et à confirmer que les guerres et les actes de violence sont présents au sein des sociétés et dès les plus anciennes civilisations.
Pérennité de la violence des sociétés
3L’image première du caractère violent et éminemment guerrier des sociétés primitives [3] est tellement forte qu’elle vaut presque constat sociologique. Malgré cela, force est de constater que la guerre, qui constitue la forme de violence la plus brutale et collective, et les individus qui la pratiquent, sont quasi absents de la réflexion générale des ethnologues. La rareté des ouvrages consacrés au fait guerrier au sein des sociétés traditionnelles est d’autant moins compréhensible que, classiquement, l’ethnologie s’attache à décrire les sociétés primitives et à comprendre leur mode de fonctionnement et que, de fait, dans son approche de toute communauté, l’ethnologue doit s’efforcer de « feuilleter un fait social total », selon la définition de Marcel Mauss. En d’autres termes, il se doit de parcourir l’ensemble des domaines politique, économique, symbolique, religieux, social, éducatif, etc. constitutifs d’une culture afin de dégager la logique sociétale en présence.
4Certains anthropologues, comme Wissler [4], ont soutenu que la guerre était un élément universel de civilisation. La dimension « polémologique » caractérise, en effet, la plupart des sociétés, à l’exception de certaines communautés Esquimaux, dont le milieu naturel exige une solidarité et une collaboration généralisées entre les groupes présents [5] ou encore les Pygmées Mbutis d’Afrique centrale, les Shosshones et Paiutes du Grand Bassin [6]. Les Mayas et les Sames n’ont, de même, jamais pris les armes, ce qui fut d’ailleurs fatal aux premiers qui auraient aisément pu contrer les Espagnols. Ruth Benedict [7] a établi une classification qui distinguait les cultures apolliniennes qui, même si elles ont recours à la guerre pour se défendre, ont un idéal pacifique, et les cultures dionysiennes qui exaltent les vertus guerrières. Roger Caillois [8] quant à lui constate que ce sont en général les tribus nomades [9] ou de montagnards qui sont les plus belliqueuses.
5Malgré ces constats, les recherches et réflexions ethnologiques consacrées au fait guerrier restent rares, ce qui paraît pour le moins incompréhensible, voire condamnable, du point de vue éthique et déontologique de la discipline. À l’inverse, les témoignages sont légion, par exemple dans le cas « des Indiens des tribus d’Amérique du Sud pour lesquelles il existe une documentation importante notamment grâce à la ténacité des Jésuites » [10]. Plus récemment Philippe Descola [11] observe par exemple que chez les Jivaros de l’Equateur, le déclenchement d’un conflit armé entre deux villages est soumis à une série de conditions (l’appartenance des adversaires à des ensembles endogames distincts, infraction commise aux mœurs ou aux règles de l’échange, mort subite attribuée à la sorcellerie).
6C’est au sein de la famille des ethnologues attachés aux communautés amérindiennes que l’on trouve d’ailleurs le précurseur que nous cherchons : Pierre Clastres (1934-1977).
7Né à Paris, Pierre Clastres est en effet un anthropologue français connu pour ses travaux sur l’anthropologie politique des sociétés amérindiennes sans État. Observateur attentionné des sociétés primitives, sa formation philosophique favorise son ouverture, lui apprend à s’interroger et lui enseigne que rien ne va de soi. Malgré son admission à l’agrégation, Pierre Clastres se tourne vers l’ethnologie qui fait depuis longtemps partie de ses préoccupations. Les cours de Claude Lévi-Strauss et d’Alfred Métraux sont déterminants. Le second est à l’origine de son ouverture sur l’Amérique et sur les ouvrages des grands voyageurs et, par la suite, de son départ sur le terrain chez les Guaranis. La lecture des récits des explorateurs suscite les interrogations de l’auteur sur le pouvoir et le rôle des chefs.
8De 1963 à 1974, Pierre Clastres s’attache au terrain et accomplit diverses missions en Amérique du Sud (Chronique des Indiens Guayakis, Le grand parler : paroles des Guaranis adressées aux dieux) en évitant soigneusement de projeter ses schémas à priori sur le matériau utilisé mais en cultivant, au contraire, un étonnement et des questionnements incessants. « Clastres ne redécouvre rien : c’est sa manière d’interroger les choses qui est nouvelle. Il critique l’analyse ethnocentrique des sociétés primitives étudiées exclusivement à la lumière de l’histoire occidentale. Il veut se défaire du regard orienté de l’Occidental avec sa vue égocentrique, son sentiment de supériorité qui nie l’autre et a tendance à universaliser sa culture. Clastres s’attache à envisager les cultures à partir d’elles-mêmes car la différence ne signifie pas l’infériorité » [12]. À l’inverse de ceux qui estiment que l’absence d’État, donc d’institutions politiques, économiques, juridiques, militaires, policières, administratives, etc., qui régissent un territoire donné constitue un vrai signe d’une humanité non accomplie, Pierre Clastres reconnaît à ces sociétés une rationalité originale. Il opère une distinction de nature entre sociétés à pouvoir coercitif et sociétés à pouvoir non coercitif et montre que pour ces dernières, leur organisation est fondée sur la destruction volontaire des risques d’inégalité en supprimant tout surplus de production et en attribuant l’autorité politique à un chef soumis à des devoirs, mais ne jouissant d’aucun droit. La question centrale posée par l’anthropologue est, en effet, celle du pouvoir et du politique ; celle de l’organisation de la vie sociale et de la politique. (L’essentiel de sa pensée est développé dans La société contre l’État et Les recherches d’anthropologie politique, recueils d’articles publiés entre 1962 et 1977). Anti-stalinien, anticonformiste, Pierre Clastres reste en marge de tout militantisme même si des liens forts l’unissent à Claude Lefort [13]. Ensemble, ils fonderont la Revue Libre et signeront une introduction au Discours de la servitude volontaire de La Boétie.
Le désintérêt des ethnologues à l’égard des questions de violence
9Qu’il s’agisse des travaux contemporains ou des recherches plus anciennes consacrées aux sociétés traditionnelles, rares sont les ethnologues qui se sont penchés sur les phénomènes de violence, de guerre et d’institution militaire [14].
10En ce qui concerne les approches des sociétés dites traditionnelles, il semble difficile d’attribuer cela à un problème d’accès au terrain, car les nombreux témoignages existants contredisent cette hypothèse. Selon Pierre Clastres, lorsque les chercheurs issus de la discipline s’attachent au phénomène de la violence, c’est la plupart du temps pour montrer à quel point « ces sociétés s’appliquent à la contrôler, à la codifier, à la ritualiser, bref tendent à la réduire sinon à l’abolir » [15]. L’ethnologie propose un certain nombre d’études qui portent sur les guerres rituelles, sorte de jeux ou de sports avec des règles précises afin de résoudre les différends entre les groupes (réduire le conflit à un duel entre deux guerriers, faire se confronter les individus les plus courageux de chaque camp afin de limiter les pertes, organiser des combats de champions sans mise à mort, etc.). La pratique des sacrifices, comme solution et façon de canaliser la violence au sein d’une communauté, s’inscrit dans cette même optique [16].
11Le silence paraît d’autant plus incompréhensible que la bonne image du combattant, du guerrier-héros, semble unanime au sein des sociétés en question et que de fait il ne s’agit pas non plus du refus de la communauté d’exposer leurs sujets guerriers et d’aborder les questions de violence. Selon l’auteur, ce silence des ethnologues est dû aux communautés dont s’occupent justement les chercheurs : des sociétés qui ne constituent plus « des sociétés primitives absolument libres, autonomes, sans contact avec l’environnement socio-économique »blanc« . En d’autres termes, les ethnologues n’ont plus beaucoup l’occasion d’observer des sociétés assez isolées pour que le jeu des forces traditionnelles qui les définissent et les soutiennent puisse s’y donner libre cours : la guerre primitive est invisible parce qu’il n’y a plus de guerriers pour la faire » [17]. À titre de contre-exemple, Pierre Clastres cite le cas unique des Indiens Yanomami pour lesquels la guerre est omniprésente en raison de l’isolement complet dans lequel vit cette société primitive qui, de fait, n’a pas connu de transformations. L’ethnologie ne traite pas de la guerre car cette dernière ne fait plus partie des sociétés primitives abordées, disloquées par la perte de leur liberté et leur pacification forcée. Le discours sociologique qui tend, en outre, à exclure la guerre du champ des relations sociales dans la société primitive, tout comme dans la société moderne [18], ne favorise pas non plus l’intérêt des ethnologues. Leur silence provient enfin, toujours selon Pierre Clastres, de leur incapacité à penser la guerre dans sa dimension et son rôle purement politiques.
12À travers ses expériences et ses terrains, au sein de tribus amérindiennes en Amérique du Sud, l’auteur s’est attaché à expliquer cette présence permanente de la guerre et la raison d’être du lien entre la société primitive et la guerre. Le présent article porte sur l’ouvrage Archéologie de la violence [19] qui rassemble véritablement les réflexions de l’auteur consacrées à la guerre et aux phénomènes guerriers au sein des sociétés primitives. L’article intitulé « Malheur du guerrier sauvage », est le second écrit majeur sur lequel nous nous sommes penchés. Ces deux textes ont été publiés la première fois, sous forme d’articles, en 1977, dans les numéros 1 et 2 de la Revue Libre.
La récusation des trois discours existants
13Pour établir et argumenter ses réflexions, Pierre Clastres recense et étudie aux cours de ces écrits les prises de position existantes sur les actes de violence collective, et il montre comment ces discours ne sont pas à même de penser la guerre comme phénomène inhérent aux sociétés primitives.
14Le premier discours, dont le principal émetteur est André Leroy-Gourhan, attribue la violence humaine aux racines biologiques de l’homme. D’après la théorie darwinienne, tout laisse en effet à penser qu’il existe une filiation certaine entre l’agressivité de nos proches ancêtres animaux et celle des hominidés. L’animal se bat pour dominer ses congénères et avoir la faveur des femelles, pour partager la nourriture, pour défendre un territoire ou encore pour la prédation. L’héritage biologique expliquerait en quelque sorte que l’homme, comme l’animal, soit violent et agressif et que l’économie primitive serait par conséquent une économie de la prédation en vue de l’acquisition de la nourriture. La guerre serait, de fait, une extension de la chasse, une activité naturelle, au fond, « une chasse à l’homme » selon André Leroy-Gourhan [20]. Le social est ainsi rabattu sur le naturel, l’institutionnel sur le biologique.
15Clastres récuse cette explication. Il fait remarquer que l’agressivité du guerrier, maintes fois soulignée par les observateurs, est inconnue du chasseur et que l’appétit, qui est la motivation de ce dernier, ne peut s’apparenter au moteur de la guerre car la cause anthropophagique reste exceptionnelle (certaines tribus de Nouvelle-Zélande). Le cannibalisme à l’égard de l’ennemi vaincu a également été rarement observé, ne dépendant que de circonstances particulières (Nouvelle-Guinée). La nécessité de se procurer des victimes, dans le cadre notamment de sacrifices aux dieux ou pour toute autre raison religieuse ou magique, amène également des peuples à se battre avec leurs voisins ou tout au moins à profiter des autres prétextes de guerre. Pour Clastres, la violence des hommes ne peut être le fruit de la seule évolution préhominienne. La guerre est un phénomène humain qui ne s’explique pas par le biologique mais par le culturel. « La guerre primitive ne doit rien à la chasse, elle s’enracine non pas dans la réalité de l’homme comme espèce, mais dans l’être social de la société primitive, elle fait signe, par son universalité, non pas vers la nature, mais vers la culture. » [21]
16D’autres auteurs ont expliqué la guerre primitive comme un moyen de lutter contre la misère. Ce deuxième type de discours, qui s’est formé au XIXe siècle, s’appuie sur une vision économique. Partant de l’idée que les chasseurs-cueilleurs avaient du mal à trouver de la nourriture ou à dominer leur environnement (en d’autres termes, que l’économie primitive est une économie de subsistance (, le conflit armé apparaîtrait de fait comme un moyen d’obtenir, aux dépens des autres, les rares ressources disponibles (empiétement de territoires de chasse ou d’élevage, vol de bétail, disputes de terres agricoles, acquisition des biens d’un autre groupe, etc.).
17Une nouvelle fois, Pierre Clastres, rejette cette hypothèse. Selon lui, c’est bien le goût de la guerre et la passion du combat qui prévalent, et qui ont été relevés par de nombreux ethnologues au sein de peuples indigènes américains, africains, mélanésiens, nomades australiens ou agriculteurs de Nouvelle-Guinée. Cette vision économique ne correspond pas aux observations ethnographiques qui dépeignent le « primitif » comme celui qui trouve relativement facilement de quoi se nourrir et vivre dans son environnement. L’explication de la guerre par la pénurie ne tient pas. Il paraîtrait en outre difficile, en terme d’énergie nécessaire à cette activité, de faire la guerre en permanence parallèlement à une quête incessante de nourriture, souligne l’anthropologue. Par la suite, avec la domestication progressive de son environnement, et par conséquent sa domination, l’homme-agriculteur n’en est pas moins resté un guerrier, ce qui tend à démontrer que le ressort de la guerre ne se situe pas exclusivement dans la quête de nourriture et de biens et que ces explications restent insuffisantes.
18Le troisième discours, celui de Claude Lévi-Strauss, amorce une explication politique : « Les échanges commerciaux représentent des guerres potentielles pacifiquement résolues, et les guerres sont l’issue de transactions malheureuses » [22] dans un système qui place l’alliance et l’échange au cœur des relations humaines dans les sociétés anciennes. La guerre serait alors un simple accident, une crise temporaire qui démontre la nécessité même des alliances, des échanges de femmes (exogamie) et de la coopération [23]. Selon cette conception, la guerre et le commerce sont à penser dans la continuité ; le second étant même prioritaire d’un point de vue sociologique puisqu’il est susceptible de générer le conflit armé.
19Pierre Clastres oppose une fois de plus les observations de terrain à cette prise de position. Selon lui, tous les témoignages sont unanimes et soulignent le fait que la place de la guerre n’est pas secondaire par rapporté l’échange et qu’elle n’intervient pas seulement lorsque échoue un échange, mais qu’elle est bien centrale et institutionnalisée. L’échange n’est pas indispensable en terme de subsistance alimentaire car ces sociétés produisent ce dont elles ont besoin et excluent, de fait, la nécessité de relations économiques avec leurs voisins. « L’idéal d’autarcie économique en dissimule un autre, dont il est le moyen : l’idéal d’indépendance politique » [24]. En fait, la société primitive refuserait le risque relatif au commerce : celui d’aliéner son autonomie et de perdre sa liberté.
20Rejetant ces trois discours [25], et se basant sur les recherches ethnographiques existantes et les siennes, l’auteur nous livre alors sa théorie sur « l’existence de l’être social de la société primitive comme un être pour la guerre » [26].
La théorie de Pierre Clastres
21Le philosophe Thomas Hobbes [27] (1588-1679) expliquait la pratique de la violence et la généralisation de la guerre par les hommes et les groupes considérés comme sauvages, par « l’absence d’État, de gouvernement, c’est-à-dire d’une autorité à même de permettre le développement de l’organisation sociale et de la civilisation » [28]. Selon cet auteur, l’homme à l’état de nature, livré à lui-même, se définit en effet par« la guerre permanente de chacun contre chacun » [29] et avec l’impossibilité d’échanges. Comme nous venons de le voir, « le point de vue de Lévi-Strauss est symétrique et inverse de celui de Hobbes : la société primitive, c’est l’échange de chacun avec chacun, sans guerre. Hobbes manquait l’échange, Lévi-Strauss manque la guerre » [30].
22La réflexion et l’argumentation de Pierre Clastres prennent le contre-pied de Hobbes, en établissant au contraire que le fréquent besoin de guerre apparaît « dans l’univers des sauvages comme le principal moyen de conserver l’unité de cette société dans l’indivision d’être de cette société, de maintenir chaque communauté en son autonomie de totalité une, libre et indépendante des autres » [31]. « Si les sociétés primitives se battent, c’est précisément par individualisme, par goût de la liberté, par le refus de se laisser entraîner vers un système qui crée des puissants et des dominés » [32].
23Les sociétés primitives refusent de produire plus qu’il ne faut. Ce refus de l’économie, incompréhensible et scandaleux pour les Occidentaux de passage, répondrait en effet à leur exigence de rester autonomes et indépendantes et à leur respect de la nature et à son équilibre. « Quand dans la société primitive, l’économique se laisse repérer comme champ autonome et défini, quand l’activité de production devient travail aliéné, comptabilisé et imposé par ceux qui vont jouir des fruits de ce travail, c’est que la société n’est plus primitive, c’est qu’elle est devenue une société divisée en dominants et dominés, en maîtres et sujets, c’est qu’elle a cessé d’exorciser ce qui est destiné à la tuer : le pouvoir et le respect du pouvoir » [33].
24Selon Pierre Clastres, la société primitive n’est pas une société sans État ou une société qui ne serait pas encore arrivée à former un État, mais comme une société contre l’État : État, synonyme de stratification sociale, de l’existence de hiérarchies, de pouvoirs, bref d’une société hétérogène. La société primitive veut empêcher l’apparition de riches et de pauvres, d’exploiteurs et d’exploités et la domination d’un chef ; elle est à la fois totalité, car autonome, et unité, car elle refuse la division sociale et le pouvoir du chef. (Cette théorie rappelle l’ouvrage le plus célèbre de Pierre Clastres, La société contre l’État, qui s’attache justement aux distinctions et aux luttes des sociétés sans État contre la machine unificatrice que constitue l’État. La guerre et l’institution étatique se posent dans une relation d’exclusion ; chacune impliquant la négation de l’autre, elles se conditionnent mutuellement).
25L’idéal politique est par conséquent celui de l’indépendance et de l’affirmation d’un droit territorial exclusif. Il en résulte que, chaque groupe pouvant vivre séparément, la violence ne surgirait que lors de violations de territoires. On constate pourtant que les guerres ne sont pas exclusivement défensives mais souvent offensives. Lorsqu’on prend en compte, comme le souligne Pierre Clastres, que la société primitive est une société sans hiérarchie, au sein de laquelle personne n’obéit à personne et où personne ne peut lancer la guerre pour des questions de pouvoir, il en résulte que la guerre constituerait bel et bien le moyen de maintenir l’unité de la société, du groupe. La société primitive se pense par conséquent comme une totalité qui exclut l’autre généralisée aurait le même résultat car elle induirait inévitablement des vainqueurs et des vaincus et par conséquent des divisions sociales et une perte d’autonomie. C’est dans l’optique d’éviter cette voie, toujours selon l’auteur, que sont justement établis et entretenus les alliances et les échanges, bases de la théorie de Lévi-Strauss. En effet, pour ne pas tomber dans les affres de la guerre généralisée, il faut entretenir des alliances et une diplomatie amicale. L’alliance serait par conséquent établie à contrecœur dans le seul but tactique d’éviter de s’engager seul dans un conflit, un pis-aller que l’on tente de réduire, une ruse destinée à gagner du temps, car ce qui prime c’est véritablement le goût de l’indépendance politique et le refus de la soumission. Il reste en outre difficile de maintenir en permanence ces coopérations car les trahisons sont monnaie courante et les conflits interviennent souvent entre populations voisines. En résumé, les alliances engendrent les échanges et sont à considérer davantage comme un mal nécessaire, que comme un vœu de la société.
26« L’être social primitif a donc simultanément besoin de l’échange et de la guerre pour pouvoir à la fois conjuguer le point d’honneur autonomiste et le refus de la division (…) et c’est la guerre comme institution qui détermine l’alliance comme tactique, qui est première » [34]. La guerre implique l’alliance, l’alliance entraîne l’échange. L’alliance engendre l’échange car on ne peut pas faire autrement. Celui des femmes assure l’humanité ou la non-animalité de la société avec l’exogamie et l’interdit de l’inceste ; l’échange n’a d’autre finalité que l’alliance politico-militaire, selon Pierre Clastres, car les parents (beau-frère) seront de meilleurs alliés. La guerre apparaît au demeurant plus avantageuse car le gain des femmes, en tant que butin de guerre, ne nécessite pas d’échanges comme dans le cas de l’alliance qui oblige chaque groupe à céder les filles et les sœurs.
27C’est donc bien la capacité guerrière de chaque communauté qui est la condition de son autonomie. La guerre permet la volonté d’indépendance, l’économie centrifuge, l’absence de pouvoir unificateur, l’absence d’État, d’inégalité, de hiérarchie ; elle permet de maintenir l’équilibre et la loi commune. « La guerre est au cœur même de l’être social primitif, c’est elle qui constitue le véritable moteur de la vie sociale » [35], elle qui maintient l’indépendance politique de chaque communauté, c’est-à-dire la logique du multiple et non de l’unification, c’est-à-dire de l’État, synonyme de divisions, d’hétérogénéité et opposé à la guerre. La société primitive ne peut subsister sans la guerre, car « la guerre est contre l’État » [36]. Le refus de l’unification explique, en outre, l’habituelle petite taille démographique de ces sociétés ; il est aussi à l’origine d’un certain refus de l’innovation.
Le profil du guerrier
28Toute société primitive, excepté quelques rares exceptions, est donc guerrière. Cette quasi-universalité ethnographiquement constatée conduit par conséquent à reconnaître l’activité guerrière comme une fonction qui peut être réfléchie et abordée sous l’angle des rapports sociaux concrets entre la communauté et ses guerriers, souligne d’entrée Pierre Clastres dans son texte « Malheur du guerrier sauvage » [37]. C’est une nouvelle fois au sein de la famille des chercheurs spécialisés dans les communautés amérindiennes, dont les organisations sociales reposaient fréquemment sur des luttes incessantes de survie (face à la menace de l’homme blanc ou à celle des autres tribus), que l’on trouvera les études les plus approfondies consacrées aux corps des guerriers.
29Beaucoup d’auteurs ont opposé la guerre primitive et la guerre moderne, en arguant du fait que la première ne faisait intervenir que de faibles effectifs, souvent constitués de seuls volontaires qui combattaient sans stratégie, sans coordination et sans discipline, alors que la seconde mettait en présence des armées de métier, entraînées, hiérarchisées, disciplinées et dotées d’engins de guerre. Malgré ces arguments, il faut reconnaître des points communs évidents, ne serait-ce que l’attribution de la fonction guerrière à la population masculine. Dans presque toutes les sociétés archaïques, la guerre est en effet l’affaire des hommes. On constate quelques exceptions comme le corps des Amazones du Dahomey au XVIIe siècle, vouées au célibat ; les femmes Apaches qui participaient aux razzias ou encore, à Hawaii, les femmes qui accompagnaient leurs maris à la bataille.
30Contrairement à la représentation traditionnelle de toute organisation militaire et, à l’instar de la vie économique et sociale de toute société primitive, la hiérarchie qui distingue les chefs et les exécutants n’existe pas. « La discipline n’est pas la force principale des “armées” primitives, l’obéissance n’y est pas le premier devoir du combattant de base, le chef n’y exerce nul pouvoir de commandement [38]. Car, contrairement à une opinion aussi fausse que répandue (le chef ne disposerait d’aucun pouvoir, sauf en temps de guerre), le leader guerrier, à aucun moment de l’expédition (préparation, bataille, retraite), n’est en mesure (au cas où telle serait son intention (d’imposer sa volonté, d’intimer un ordre dont il sait à l’avance que personne n’y obéira. En d’autres termes, la guerre, pas plus que la paix, ne permet au chef de faire le chef. (…). La fonction guerrière est une disposition égalitaire des guerriers sur l’axe politique et la guerre ne fonde jamais de division dans la société entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent » [39]. Le chef ne commande que lors d’opérations militaires pour lesquelles il a été précisément désigné. Son pouvoir réel s’arrête après la bataille. Clastres cite l’exemple de Géronimo qui avait été chargé des représailles contre une garnison mexicaine afin de venger les morts Apaches, et qui s’était retrouvé seul et isolé lorsqu’à l’issue, il a voulu pousser les Indiens à poursuivre la guerre.
31Les travaux ethnographiques plus récents rejoignent en effet les récits anciens sur ce fait : c’est la volonté collective qui prime et aucun chef n’arrive à imposer son propre désir de guerre, au risque d’être désavoué.
Société primitive et société guerrière
32Tous les hommes ne sont pas nécessairement des guerriers. Pierre Clastres opère en effet une distinction entre la société primitive, guerrière par essence et au sein de laquelle « les hommes sont guerriers potentiels car l’état de guerre est permanent et effectifs lorsqu’éclate le conflit » [40], et la société guerrière, dans laquelle on distingue un groupe social d’hommes qui font constamment la guerre, voire même pour leur propre compte, quand le groupe est en paix. Ce sont l’histoire et les circonstances locales qui font qu’une communauté devient une société guerrière.
33Les multiples recherches consacrées aux tribus amérindiennes, qui offrent un large échantillonnage de corps guerriers, nous permettent de mieux connaître ces véritables groupes sociaux. Au-delà des récits de missionnaires qui ont réfléchi à leur échec, tenté d’en expliquer les raisons, et pensé à la nature spécifique des sociétés abordées, l’anthropologue s’attache dans son texte [41] à trois tribus connues, à savoir les Abipones, les Guaicuru et les Chulupi. Au sein de ces sociétés, les guerriers sont valorisés et célébrés ; « ils appartiennent à un ordre dont la supériorité est socialement admise, une noblesse qui repose sur le prestige et qui est fêtée comme il se doit » [42]. Toutefois, Pierre Clastres souligne que comme les sociétés primitives les sociétés guerrières n’admettent aucune division sociale et que le guerrier, de fait, n’a aucun pouvoir et aucune autorité sur le groupe.
Le corps des guerriers
34Les guerriers, pour d’évidentes raisons physiques, sont avant tout recrutés dans les classes d’âge les plus jeunes, au sein desquelles les cérémonies et les rituels de passage sont fréquents. Au-delà du rituel militaire, éprouvant et ouvert à tous, l’appartenance réelle du « débutant » au corps des guerriers dépend de sa valeur et de sa capacité à réaliser un exploit particulier, qui seul, lui permettra d’être reconnu et nommé guerrier par la société. C’est elle, et elle seule, qui a le pouvoir d’attribuer le statut de guerrier à tout jeune passionné par la guerre et avide de prestige. L’exploit en question ne doit pas obéir à un acte gratuit, provocant ou encore prématuré ; il doit au contraire être opportun c’est-à-dire, en fait, s’inscrire dans un contexte de conflit effectif : il s’agira de faire des prisonniers, de tuer l’ennemi, etc.
35Au-delà de l’acte de partir en guerre qui confère la gloire, la reconnaissance du guerrier se fait en effet par son butin, réel et symbolique (chevaux, prisonniers, scalps), car dans plusieurs sociétés primitives la guerre ne comporte, à l’origine du moins, aucune finalité économique, même si les raids peuvent à long terme devenir des entreprises de pillage et des moyens de se procurer des biens d’équipement (armes) et de consommation. La vengeance à des offenses est au contraire une raison des plus fréquentes à l’ouverture des hostilités. « La pratique du scalp de l’ennemi abattu signifiait explicitement le désir du jeune vainqueur d’être admis dans le club des guerriers » [43], car tuer sans scalper ne donne pas droit au prestige et à l’appartenance à ce corps social. On retrouve l’idée d’exploit particulier et le fait que tous les hommes peuvent être amenés à se battre sans toutefois en faire leur activité exclusive et vouloir devenir guerrier. Le combat, l’affrontement violent, les activités de force, d’adresse et de danger, ont toujours constitué pour l’individu une façon d’acquérir prestige, considération et poids social.
Modes de contrôle du groupe détenant la force
36Les réflexions de Pierre Clastres portent également sur les raisons qui expliquent comment la société évite la prise de pouvoir de ce groupe de guerriers qui détient seul la force militaire, et comment, alors même que ces derniers constituent toutefois les principaux fournisseurs des biens de la société, ils sont tenus à l’écart de toute prise de décision ou d’envie de guider la vie socio-politique de la communauté.
37La réponse apportée par les sociétés est la suivante : le prestige attribué n’est jamais définitif et le guerrier se doit de multiplier les exploits pour maintenir sa position sociale. Le guerrier est bien aliéné par le groupe qui seul accorde ou refuse la gloire, une gloire intransmissible et qui ne fonde aucun privilège. L’auteur évoque toutefois le risque de voir, au contraire, le corps des guerriers aliéner le groupe : la logique de guerres entraîne en fin de compte le devenir du corps en groupe de pression puis en groupe de pouvoir de décision (division dominants/dominés). La guerre traduit bien un paradoxe surprenant : « D’une part, la guerre permet à la communauté primitive de persévérer en son être indivisé ; d’autre part elle se révèle comme le fondement possible de la division en Maîtres et Sujets » [44].
38Dans l’optique de survie, des mécanismes de défense doivent par conséquent exister. « L’individualisme obligé de chaque guerrier interdit à l’ensemble des guerriers d’apparaître comme collectivité homogène » [45]. Chacun quête pour son prestige personnel, son titre, son nom, sa coiffure, ses peintures spéciales, ses conquêtes féminines, etc., et, de fait, la solidarité et l’entente ne sont pas vraiment de mises. Il y a compétition entre les guerriers et surenchère dans l’exploit, de plus en plus difficile. « Seul contre tous : tel est le point culminant de l’escalade dans l’exploit » [46], à l’image de Géronimo qui n’hésitait pas à attaquer, accompagné de deux ou trois guerriers, les villages mexicains. Cette manière d’être et de se comporter implique d’autres aspects surprenants, au titre desquels celui du refus de l’évasion en cas de capture par l’ennemi. La raison réside dans le fait que le guerrier capturé est définitivement exclu de la tribu : il n’a donc aucun intérêt à vouloir y retourner. Sa mort appellera seulement à la vengeance.
39La mort constitue en effet une affinité certaine avec la fonction de guerrier (conflits incessants en raison de la quête effrénée de prestige). En fait, le guerrier s’affirme définitivement guerrier et reste reconnu comme tel dans le sacrifice ultime. « Le guerrier est, en son être, être-pour-la mort » [47]. Il est condamné à être tué. Cet état de fait explique en outre la raison pour laquelle tous les hommes peuvent se battre ponctuellement mais que beaucoup ne pratiquent pas le scalp, synonyme de volonté d’intégration dans le corps des guerriers. « Il y a échange entre la société et le guerrier : le prestige contre l’exploit. Mais dans ce face-à-face, c’est la société qui, maîtresse des règles du jeu, a le dernier mot : car l’ultime échange, c’est celui de la gloire éternelle contre l’éternité de la mort (…). Il en est ainsi parce que le guerrier pourrait faire le malheur de la société, en y introduisant le germe de la division, en devenant organe séparé du pouvoir. Tel est le mécanisme de défense que la société primitive met en place pour conjurer le risque dont est porteur, comme tel, le guerrier : la vie du corps social indivisé, contre la mort du guerrier. Se précise ici le texte de la loi tribale : la société primitive est, en son être, société-pour-la guerre ; elle est en même temps, et pour les mêmes raisons, société contre le guerrier » [48].
40Pour clore sa réflexion sur le « Malheur du guerrier sauvage », Pierre Clastres souligne de quelle manière le rapport structural qui unit la guerre et la société primitive détermine, en partie du moins, la relation entre les sexes. Les armes sont réservées aux hommes, alors que les femmes se voient attribuer tout ce qui est en rapport avec le végétal (collecte, mise en culture, moisson, traitement des céréales, céramique, vannerie, tissage, activités domestiques, etc.). « Le féminin est traduit par des données naturelles, le masculin par des productions culturelles (métal, outils, armes) qui soulignent également le commandement, la domination physique et morale » [49], même si les mythes, les rites et la vie quotidienne accordent une place majeure à la femme. Selon, Pierre Clastres, l’activité guerrière étant par définition masculine, l’homme doit être constamment disponible pour cette dernière et court par conséquent d’importants risques : le voisinage entre la mort et la masculinité est certain, alors qu’en revanche la proximité entre la vie et la féminité est évidente (procréation et survie du groupe, les femmes font l’objet d’échanges).
L’héritage de Pierre Clastres
41Pierre Clastres a incontestablement contribué à porter un nouveau regard sur les sociétés primitives. Il a démontré que ces nations, c’est-à-dire ces groupes d’individus qui partagent un même territoire et une même culture (et non pas un État et des institutions (maîtrisaient parfaitement leur milieu naturel et social, que leur mode de vie résultaient de choix et que leur disparition était avant tout liée à l’intervention d’une autre culture (la nôtre généralement (qui détruisait leur équilibre économique et culturel.
42« On a souvent reproché à Pierre Clastres sa tendance à rendre les primitifs trop intelligents, trop connaisseurs d’une histoire future qu’ils ne pouvaient connaître, comme s’ils avaient une prescience de ce qui les attendait s’ils disaient oui au pouvoir et à l’État. Dans sa sympathie envers eux, Clastres a parfois prêté plus que ce qui existait réellement, mais cela n’atteint nullement le cœur de ses analyses et de son œuvre » [50]. Il ne s’agit pas d’idéaliser à l’extrême ces sociétés ou d’en faire les derniers paradis terrestres car, comme nous l’avons évoqué, ces modes d’existence étaient rendus possibles par la faible démographie des groupes (une centaine d’individus) et les périodes de pénurie restaient monnaie courante en raison de l’état permanent de guerre et du refus de surproduction et de constitution de stocks. En effet, les populations étant, selon Malthus, vouées à une croissance plus rapide que celle des ressources, les guerres représentent un instrument parmi d’autres d’ajustement des besoins aux ressources en cas de crise. Aristote affirmait également qu’il est difficile sinon impossible de bien gouverner un État dont la population est trop nombreuse.
43Comme toute prise de position ou théorie, les réflexions de l’auteur présentent leurs limites ou leurs généralisations hâtives qui posent divers questionnements et permettent de poursuivre la réflexion. Il en est ainsi de la question des hiérarchies sociales : si les sociétés sans État cherchent à éviter les distinctions entre dominants et dominés, peut-on réellement dire qu’il n’existe aucune division sociale en leur sein ? Dans le domaine des rapports aux autres : l’échange et l’alliance se recoupent-ils vraiment ? Contrairement à ce que dit Pierre Clastres sur le fait que chaque groupe peut vivre en totale autarcie, les échanges et les alliances ne sont-ils pas rendus indispensables dans le cadre de l’exogamie qui deviendrait, de fait, davantage une raison qu’une résultante ? Dans le même ordre d’idées, l’acquisition de biens n’est-elle pas très vite devenue une motivation d’entrer en guerre, une raison suffisante ?
44La guerre étant généralement considérée comme un phénomène qui n’intervient que entre États, c’est-à-dire entre organisations politiques constituées, peut-on appeler guerre la violence entre sociétés primitives ? L’existence politique de ces dernières peut-elle être reconnue ? Polémologues, juristes, philosophes, historiens, anthropologues, etc., tout en échangeant leurs matériaux se sont toujours interrogés sur l’unité du phénomène de guerre – les diverses approches exposées dans les deux numéros des Champs de Mars consacrés aux précurseurs français de la sociologie militaire [51], sont à ce titre révélatrices. « Les historiens doutent que les guerres aient obéi aux mêmes raisons depuis l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui ; pour les anthropologues, les effets de changement qu’entraînent les guerres modernes sont difficilement compatibles avec la fonction rituelle et conservatrice qu’ils attribuent à la guerre tribale ; pour les économistes, la rationalité des guerres n’est pas démontrable : elles ne sont nécessairement liées ni à l’abondance, ni à la pénurie ; pour les psychologues, il n’existe pas de personnalité guerrière indépendante de l’organisation même de l’appareil militaire et de la société dont elle émane » [52]. En dépit de tentatives comme celles de Gaston Bouthoul, on n’a pas débouché sur une science générale des guerres. Aussi, aux tentatives de définition générale, a t-on généralement préféré les typologies, comme celle proposée par G. Chaliand [53] : les guerres ritualisées, les guerres à objectifs limités, les guerres de conquêtes classiques, les guerres de masse et les guerres sans quartiers. Le reproche que l’on peut faire à Pierre Clastres, celui de confondre ponctuellement la violence naturelle et la guerre, ne s’explique-t-il pas justement par l’incompatibilité entre les guerres modernes et les fonctions ritualisées des guerres et autres confrontations tribales ?
45Ces questionnements n’ont pas véritablement été approfondis, tant il est vrai que Pierre Clastres n’a pas connu de filiation dans le domaine de la réflexion ethnologique consacrée à la guerre au sein des sociétés traditionnelles. Si l’œuvre de l’auteur est en effet régulièrement abordée par des doctorants en philosophie politique et en sciences politiques, elle reste rarement abordée au sein même de notre discipline. La disparition prématurée de l’auteur n’a pas favorisé le passage de témoin et l’émergence d’un courant de recherches consacré à ces thématiques. Malgré ce manque de postérité, l’auteur incarne incontestablement le précurseur que nous cherchons. Ses écrits et réflexions, malheureusement inachevés, sur le phénomène guerrier constituent en effet de manière indiscutable des travaux novateurs et fondamentaux de l’ethnologie française.
46Si l’ethnologue n’a fait qu’inaugurer un travail, qui devait être plus ample et donner lieu à des publications bien plus conséquentes, comme en témoignent ses notes et les indications retrouvées sur le champ qu’il comptait explorer (nature du pouvoir des chefs de guerre, guerre de conquête dans les sociétés primitives comme amorce possible d’un changement de la structure politique – le cas des Tupi –, le rôle des femmes relativement à la guerre, la guerre « d’État » – les Incas –), son apport constitue un éclairage utile pour la réflexion ethnologique et politique. La réflexion de Pierre Clastres est stimulante et a le mérite de bousculer un certain nombre de nos façons de penser.
47Puisse cette modeste contribution redonner une place méritée aux travaux réalisés et entrepris par Pierre Clastres. Les réflexions de l’auteur et les voies inaugurées par ce dernier doivent indiscutablement être approfondies : comme le souligne R. Aron, « la manière dont les hommes se sont combattus a toujours été aussi efficace pour déterminer les structures de la société, que la manière dont les hommes ont travaillé » [54].
Bibliographie
- « Une ethnographie sauvage », Revue de l’homme, cahier I, vol. IX, 1969, repris dans 1980, pp. 31 à 40.
- « Le Dernier Cercle », Temps modernes, n°298, mai 1971, repris dans 1980, pp. 7 à 30.
- « Le Clou de la croisière », Temps modernes, n° 299-300, juin-juillet 1971, repris dans 1980, pp. 41 à 46.
- Chronique des Indiens Guayaki : ce que savent les Aché, chasseurs nomades du Paraguay, Paris, éd. Plon, collection « Terres Humaines », 1972, 366p.
- Le Grand Parler : mythes et chants sacrés des Indiens Guarani, Paris, éd. du Seuil, 1974, 142p.
- La société contre l’État, Paris, éd. de Minuit, collection « Critique », 1974, 187p.
- « De l’ethnocide », Encyclopédia Universalis, éd. Universilia, 1974, repris dans 1980, pp. 47 à 57.
- « L’économie primitive » Préface au livre de Sahlins : Age de pierre, âge d’abondance, Paris, Gallimard, 1976, repris dans 1980, pp. 127 à 145.
- « Liberté, malencontre, innommable » dans Etienne de la Boétie, postface au Discours de la servitude volontaire de la Boétie, Paris, éd. Payot, 1976, repris dans 1980, pp. 111 à 125.
- « La question du pouvoir dans les sociétés primitives », Revue Interrogations, n° 7, juin 1976, repris dans 1980, pp. 103 à 109.
- « Le retour des lumières », Revue française de science politique, n° 1, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, février 1977, repris dans 1980, pp. 147 à 156.
- « Archéologie de la violence », Revue Libre, n° 1, Paris, Petite Bibliothèque Payot n° 315, repris dans 1980, pp. 171 à 207. (Paru en ouvrage aux éd. de l’Aube, Marseille, 1997).
- « Malheur du guerrier sauvage », Revue Libre, n° 2, Paris, Petite Bibliothèque Payot n° 326, repris dans 1980, pp. 209 à 248.
- « Les marxistes et leur anthropologie », Revue Libre, n° 3, Paris, Petite Bibliothèque Payot n° 340, 1978, repris dans 1980, pp. 157 à 170.
- Les recherches d’anthropologie politique, Paris, éd. du Seuil, 1980, 247p.
- « Mythes et rites indiens d’Amérique du Sud », Dictionnaire des mythologies et des religions, Paris, éd. Flammarion, 1981.
Outre les ouvrages cités dans les notes, on pourra consulter :
- « Aux sources de la guerre », Revue Sciences Humaines, n° 41, juillet 1994, pp. 10 à 31.
- Ankermann (B.), « Verbreitung und formen des Totemismus in Africa », Zeitschrift für Ethnologie, vol. XLVII, 1915.
- Bastide (R.), « Sociologie et ethnologie », in Traité de sociologie, publié par Gurvitch (G.), t. I, PUF, 1958.
- Balandier (G.), Sociologie actuelle de l’Afrique noire, Paris, PUF, 1963.
- Balandier (G.), Anthropologie politique, Paris, PUF, 1967.
- Balandier (G.), Le détour, pouvoir et modernité, Paris, Fayard, 1985.
- Bazin (J. F) et Terray (E.) (textes rassemblés et présentés par), Guerres de lignages et guerres d’État en Afrique, Paris, éd. des Archives contemporaines, 1982.
- Cazeneuve (J.), « Le concept de société archaïque », in Traité de sociologie, publié sous la direction de Gurvitch (G.), t. II, PUF, 1960.
- Descola (Ph.), « Les affinités sélectives. Alliance, guerre et prédation dans l’ensemble Jivaro », L’Homme, n° 126-128, Seuil, 1993.
- Durkheim (E.), Essai sur la nature et la fonction du sacrifice, Paris, 1899.
- Père Gagnon (M.), Les guerriers du paradis, Adaptation française, Paris, Fixot, 1993.
- Goldenweiser, Anthropologie, Crofts, 1937.
- Keagan (J.), Histoire de la guerre. Du Néolithique à la guerre du Golfe, « Territoire de l’Histoire », Paris, éd. Dagorno, 1996.
- Leroi-Gourhan (A.), L’homme et la nature, Paris, Albin Michel, 1943.
- Leroi-Gourhan (A.), Le geste et la parole, II : La mémoire et les rythmes, Paris, Albin Michel, 1965.
- Lizot (J.), Le cercle des feux – Faits et dits des Indiens Yanomamis, Paris, Le Seuil, 1976.
- Malinowski (B.), Les Argonautes du Pacifique, Paris, Gallimard, 1963 (1re édition en anglais, 1922).
- Mauss (M.), « Essai sur le don », Sociologie et Anthropologie, Paris, PUF, 1950.
- Mead (M.), Male and Female : a Study of the Sexes in a Changing World, The New American Library, New-York, 1949.
- Mead (M.), Mœurs et sexualité en Océanie, Paris, Plon, 1963.
- Siegel (B. J), Acculturation, Stanford University Press, Stanford, 1955.
- Turney-High (H. H), Primitive war, Univ. of South California Press, San-Francisco, 1949.
Notes
-
[1]
J. Guilaine et J. Zamit, Le sentier de la guerre – Visages de la violence préhistorique, Paris, éd. du Seuil, 2001.
-
[2]
Ibidem, p. 21.
-
[3]
Dès le 16e siècle, époque des Découvertes, l’usage de ce terme présentait indiscutablement une forte dimension péjorative. Aux yeux des Occidentaux, le primitif est celui qui était dans l’incapacité d’aller plus loin que la première étape de l’humanité dans laquelle il se trouvait. Les voyageurs, missionnaires, militaires et autres scientifiques, issus des cultures définies comme véritables, ont ainsi fourni des descriptions peu reluisantes des peuplades rencontrées. L’absence d’histoire, d’écriture, d’État, d’économie, de vrai travail et la présence permanente de la violence constituaient en effet dans les témoignages et récits rapportés autant de signes d’infériorité et d’animalité. Dans le domaine de l’anthropologie, et par conséquent dans ce texte, cet adjectif n’a d’autre visée que de distinguer les sociétés qui ont conservé leur langue et leurs structures socio-économiques propres et qui sont restées, délibérément, à l’écart des sociétés dites industrielles.
-
[4]
Cf. C. Wissler, Man and culture, New-York, 1923.
-
[5]
Cf. M. R. Davie, La guerre dans les sociétés primitives, Paris, Payot, 1931.
-
[6]
Cf. Keeley, War before Civilization, New-York-Oxford, Oxford University Press, 1996, p. 30.
-
[7]
Cf. R. Benedict, Patterns of culture, Boston, 1934 (trad. franç., Echantillons de civilisation, Paris, Gallimard, 1950).
-
[8]
Cf. R. Caillois, Bellone ou la pente de la guerre, Paris, Nizet, 1963.
-
[9]
Cf. J. Cl. Ruano-Borbolan, « Les peuples guerriers », Revue Sciences Humaines, n° 41, juillet 1994, pp. 18 à 21.
-
[10]
Cf. P. Clastres, « Le malheur du guerrier sauvage », Revue Libre, 2, 1977, p. 74.
-
[11]
Cf. « Contrôle social de la transgression et guerre de vendetta dans le Haut-Amazone », Droits et Cultures, n° 11, 1986, p. 140.
-
[12]
Cf. M. F Côte-Jallade, M. Richard et J. F Skypzcak, Penseurs d’aujourd’hui : P. Clastres, R. Girard, M. Foucault, L. Althusser, C. Castoriadis, J. Baudrillard, Lyon, éd. Chronique sociale, 1985, p. 30.
-
[13]
Philosophe français (Paris, 1924), Cl. Lefort fonde avec C. Castoriadis le groupe Socialisme ou Barbarie, où s’amorce l’étude centrale des relations du totalitarisme et de la démocratie. Les textes publiés dans la revue qui porte le nom du groupe sont réunis dans Eléments d’une critique de la bureaucratie (1971), et forment une partie de L’invention démocratique (1981). Ces articles rédigés dans le feu des batailles idéologiques témoignent d’une réflexion ouverte au dialogue et en constante recherche conceptuelle. L’idée force de Cl. Lefort, à savoir qu’une société se définit par le sort qu’elle fait à la tension et à la scission, le conduit à s’interroger sur l’œuvre de Machiavel en 1972 ; le philosophe s’applique à définir la nature des rapports entre le politique et l’idéologique. De nombreux courants de la gauche critique s’inspireront, au lendemain de Mai 68, de cette théorie originale et forte de la démocratie.
-
[14]
En ce qui concerne les recherches consacrées aux Forces armées modernes, les études réalisées restent marginales. Si l’évolution est favorable, il subsiste néanmoins quelques embûches résultantes de l’opposition et de la méfiance héritées et traditionnellement entretenues entre la société civile, d’une part, et la société militaire, de l’autre ; du manque d’intérêt de la communauté scientifique à l’égard de l’objet militaire ; de l’habitude de repli et de la frilosité de l’institution militaire qui s’ajoute à un certain besoin de réserve dont abusent trop souvent les armées, etc. Ces freins posent ainsi d’emblée le problème de l’accès au terrain et à l’étape ethnographique indispensables à l’anthropologue.
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[15]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, Paris, éd. de l’Aube, 1997, p. 5.
-
[16]
Cf. R. Girard, La violence et le sacré, Paris, éd. Hachette, coll. « Pluriel », 1998, 486 p.
-
[17]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, op. cit., pp. 14-15.
-
[18]
« Il est rare, depuis de longues années, que des professeurs consacrent leur temps et leur réflexion aux problèmes proprement militaires. Cette lacune, peut-être traditionnelle, n’en demeure pas moins fâcheuse ». Cf. R. Aron, Les étapes de la pensée sociologique, Paris, Tel Gallimard, 1967.
-
[19]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, op. cit.
-
[20]
Cf. A. Leroi-Gourhan, Le Geste et la parole, II : Technique et langage, Paris, Albin Michel, 1965, pp. 236-237.
-
[21]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, op. cit., p. 24.
-
[22]
Cf. Cl. Lévi-Strauss, « Guerre et commerce chez les Indiens de l’Amérique du Sud », Renaissance, vol. 1, New-York, 1943.
-
[23]
Cf. Cl. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, II, Paris, Plon, coll. « Pocket-Agora », 1996, pp. 291-292.
-
[24]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, op. cit., p. 39.
-
[25]
Au-delà des trois discours abordés et récusés par l’anthropologue, Clastres s’est en effet positionné à l’encontre de courants qui comprenaient bien plus d’auteurs que ceux mis en cause ici. Concernant les conceptions naturalistes, il n’a pas évoqué K. Lorenz qui dans son ouvrage L’Agression (Flammarion, 1969) a développé l’argument d’un instinct agressif dévoyé chez l’homme ; R Ardrey qui a appliqué cet argument au territoire (L’impératif territorial, 1966) ; Ir. Eibl-Eibesfeldt qui l’a repris et assimilé à la prédation (Guerre et paix dans l’Homme, Stock, 1976) ou encore la version moderne du darwinisme, la sociobiologie (O. Wilson, Sociobiology : a new synthesis, 1975), qui assimile les communautés humaines à des ensembles de gènes en compétition les uns contre les autres. Le lecteur trouvera quelques éléments supplémentaires sur les théories émises, leurs auteurs, leurs ramifications, etc., in Sciences Humaines, n° 41, juillet 1994, pp. 11 à 17.
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[26]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, op. cit., p. 9.
-
[27]
Cf. Hobbes, Léviathan, Paris, éd. Sirey. La théorie de l’auteur est que l’homme ne peut se réaliser qu’au sein d’un État mettant fin à l’égoïsme et à la violence de chacun.
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[28]
J. Guilaine et J. Zamit, Le sentier de la guerre– Visages de la violence préhistorique, op. cit., pp. 42-43.
-
[29]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, op. cit., p. 11.
-
[30]
Ibidem, p. 44.
-
[31]
Ibid., p. 81.
-
[32]
J. Guilaine et J. Zamit, Le sentier de la guerre – Visages de la violence préhistorique, op. cit., p. 43.
-
[33]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, op. cit., p. 63. Par son analyse sur le refus de l’économie, Clastres s’oppose à la théorie de Marx pour qui le changement économique est primordial et décisif. En comparant différents modèles de sociétés (mêmes structures politiques et infrastructures différentes et mêmes infrastructures et superstructures différentes) l’ethnologue prouve que c’est le politique qui est déterminant, que les hommes se soumettent d’abord à un pouvoir politique puis peuvent ensuite être soumis à une exploitation économique. En d’autres termes, l’auteur démontre que le marxisme n’est pas apte à penser toutes les formations sociales apparues dans l’histoire.
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[34]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, op. cit., pp. 65-68.
-
[35]
Cf. P. Clastres, Archéologie de la violence, op. cit., p. 82.
-
[36]
Ibidem, p. 90.
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[37]
Cf. P. Clastres, « Malheur du guerrier sauvage », Revue Libre, 2, 1977.
-
[38]
La fonction de chef est peu recherchée. Pour le devenir il faut avoir un don oratoire, afin de rappeler sans cesse les normes à suivre au sein du groupe, et il faut également être généreux. En effet, comme le souligne P. Clastres, le chef doit payer sa dette au groupe pour avoir été nommé et, de fait, c’est celui qui travaille plus que les autres et pour son seul prestige sans pouvoir de commandement.
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[39]
Cf. P. Clastres, « Malheur du guerrier sauvage », Revue Libre, op. cit., p. 70.
-
[40]
Ibidem, p. 72.
-
[41]
Ibid., pp. 69-109.
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[42]
Ibid., p. 77.
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[43]
Cf. P. Clastres, « Malheur du guerrier sauvage », Revue Libre, op. cit., p. 86.
-
[44]
Ibidem, p. 91.
-
[45]
Ibid., p. 92.
-
[46]
Ibid., p. 93.
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[47]
Cf. P. Clastres, « Malheur du guerrier sauvage », Revue Libre, op. cit., p. 96.
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[48]
Ibidem, p. 98.
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[49]
J. Guilaine et J. Zamit, Le sentier de la guerre – Visages de la violence préhistorique, op. cit., pp. 226-227.
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[50]
Cf. M. F. Côte-Jallade, M. Richard et J. F. Skypzcak, Penseurs d’aujourd’hui : P. Clastres, R. Girard, M. Foucault, L. Althusser, C. Castoriadis, J. Baudrillard, op. cit., p. 32.
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[51]
Cf. Les Champs de Mars, numéros 10 et 12, « Dossier : les précurseurs français de la sociologie militaire », Paris, La Documentation Française, 2001 et 2002.
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[52]
Cf. Sciences Humaines, n° 41, juillet 1994, p. 13.
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[53]
Cf. G. Chaliand, Anthologie mondiale de la stratégie, Paris, éd. Laffont, 1990.
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[54]
Cf. R. Aron, « Une sociologie des relations internationales », Revue française de sociologie, 4, 1963, p. 311.