Notes
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[1]
De 1966 à 2014, on dénombre neuf putschs réussis dont deux dans la seule journée du 31 octobre 2014.
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[2]
Le CNR est l’organe dirigeant du régime militaire du capitaine Sankara. Les régimes militaires qui le précèdent sont : le Gouvernement militaire provisoire (GMP) du capitaine Lamizana (1966-1970) ; le Gouvernement du Renouveau National (GRN) du général Lamizana (il a évolué en grade) (1974-1978) ; le Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN) du colonel Saye Zerbo (1980- 1982) ; le Conseil de Salut du peuple (CSP I et CSP II) du commandant Jean-Baptiste Ouédraogo (1982- 1983).
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[3]
Le Front Populaire est l’organe dirigeant de la nouvelle junte au pouvoir.
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[4]
Aux termes de l’article 14 de la loi n°009-2009/AN du 14 avril 2009 portant statut de l’opposition politique, le CFOP est le porte-parole de l’opposition. Il est désigné au sein du parti d’opposition ayant obtenu le plus grand nombre de sièges au parlement. Le Chef de l’opposition au moment de l’insurrection est Zéphirin Diabré de l’Union pour le progrès et le changement (UPC).
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[5]
On y retrouve notamment le Focal, le Balai citoyen, le Collectif Anti Référendum, le M21, etc.
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[6]
Dans la hiérarchie des normes juridiques, la charte a la même valeur que la constitution.
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[7]
Des militaires du RSP sont désignés comme de « sérieux suspects » dans le rapport de la commission d’enquête indépendante instituée par décret pour mener des investigations sur la mort du journaliste Norbert Zongo et de ses compagnons.
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[8]
De ces trois séries de mutineries, celles de 2011 demeurent les plus graves par leur ampleur, leur mode opératoire et leurs conséquences (l’envergure nationale, car elles se sont propagées à toutes les régions militaires y compris dans les rangs du RSP ; la fuite du Président du Faso du palais présidentiel ; les destructions des biens des chefs militaires et des autorités politiques ; le limogeage de l’ensemble des chefs d’État majors ; la restructuration de nombreux régiments ; la formation d’un nouveau gouvernement et la résiliation du contrat de 566 militaires, dont 2 du RSP.
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[9]
Conférence du chef d’état-major général des armées du jeudi 14 juillet 2011 (http://lefaso.net/spip.php?article43018) sur la résiliation de contrats de personnels militaires des forces armées nationales, consulté le 15 février 2015.
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[10]
Service de communication du RSP, 2015, Déclaration, (www.lefaso.net/spip.php?article63183) 10 février 2015.
Le RSP est créé par décret n° 95-4821PRESIPRESIDEF du 21 Novembre 1995 portant création d’un Corps Spécial dénommé « Régiment de Sécurité Présidentielle » au sein des Forces Armées. Il provient du 1er Bataillon du Centre National d’Entraînement Commando de Pô (CNEC) qui avait pour mission d’assurer la protection du Capitaine Thomas Sankara quand il était au pouvoir. Ce sont ces mêmes militaires qui participent au putsch contre Sankara, ils continuent donc d’assurer la sécurité du Président Compaoré. -
[11]
La rumeur de milices venant prêter main-forte au régime était répandue à la place de la Révolution (lieu symbolique de regroupement des manifestants).
-
[12]
Déclaration du Front de résistance citoyenne, (http://lefaso.net/spip.php?article61509) Ouagadougou, le 29 octobre 2014.
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[13]
Discours du lieutenant-colonel Zida à l’occasion de la signature de la Charte de la transition, (http://lefaso.net/spip.php?article61821) Ouagadougou, le 16 novembre 2014.
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[14]
Le risque pour les militaires de répondre personnellement de leurs actes devant la Cour pénale internationale en cas de crimes contre l’humanité n’est pas exclu.
-
[15]
Extrait de la déclaration du CFOP (http://lobservateur.bf/index.php/politique/item/2945-hier-soir-au-cfop-c-etait-chaud-chaud-chaud) du 30 octobre 2014.
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[16]
Le Balai citoyen est un regroupement d’organisations de la société civile créé en 2013 afin de lutter pour un changement démocratique au Burkina. Au départ, l’objectif du Balai était de s’opposer à la mise en place du Sénat jugé inopportun pour le Burkina Faso.
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[17]
Ce dernier est soupçonné d’avoir contribué à déjouer et à reformer le dispositif de sécurité initialement prévu pour réprimer les révoltes.
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[18]
Entretien réalisé par Adama Ouédraogo, (http://www.lobservateur.bf/index.php/politique/item/3012-transition-a-domicile-avec-djibril-bassole) Ouagadougou, le 11 novembre, L’observateur Paalga.
-
[19]
Communiqué du Chef d’état-major général des forces armées, Ouagadougou, le 30 octobre 2014.
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[20]
L’existence juridique de l’Assemblée nationale dans les événements en cours semble poser des problèmes puisqu’elle a été dissoute par le chef d’Etat-major sous l’état de siège, mais pas par le Président. Cette dissolution ne semble pas respecter la constitution, car si on se réfère à l’article 106 de la constitution, « Le Parlement se réunit de plein droit en cas d’état de siège, s’il n’est pas en session. L’état de siège ne peut être prorogé au-delà de quinze jours qu’après autorisation du Parlement ». Donc, par interprétation de cette disposition, il ne peut être procédé à la dissolution de l’Assemblée nationale pendant l’état de siège. La dissolution de l’Assemblée nationale est donc illégale, voire anticonstitutionnelle.
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[21]
Voir la proclamation du général Nabéré Honoré Traoré, (http://lefaso.net/spip.php?article61552) Ouagadougou, 31 octobre 2014.
-
[22]
Le MPP est un parti politique créé par les dissidents de l’ex-parti au pouvoir.
-
[23]
Déclaration sur RFI le 31 octobre 2014.
-
[24]
L’article 108 de la Constitution de la IIème République dispose : « Pendant une période de quatre ans, les dispositions suivantes seront appliquées : (a) Les charges et prérogatives du Président de la République seront assumées par la personnalité militaire la plus ancienne dans le grade le plus élevé ; (b) Le Gouvernement comprendra des personnalités militaires dans la proportion de un tiers (1/3) de ses membres ».
-
[25]
Il est régulièrement admis que la société civile n’a pas pour vocation à diriger le pouvoir d’État, mais de le contrôler ou de l’influencer en jouant un rôle de contre-pouvoir. Mais au Burkina, on se retrouve dans un cas atypique où la société civile gouverne dans une large coalition avec les militaires et les partis politiques.
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[26]
Il s’agit du Président de l’Assemblée nationale, Soungalo Ouattara.
-
[27]
Le RSP obtient le limogeage de ce ministre après la mutinerie du 29 juin 2015.
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[28]
Ce ministère ne semble pas être un ministère clé. Mais, il est généralement occupé par un militaire.
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[29]
Le Président du Faso s’attribue ce ministère à l’issue de la mutinerie du 29 juin 2015.
-
[30]
L’armée avait voulu que le CNT soit un organe consultatif dirigé par un militaire.
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[31]
« La disponibilité est la situation du militaire de carrière appartenant à l’un des cadres constitutifs de l’Armée qui, ayant accompli au moins quinze ans de service dont quatre en qualité de militaire de carrière et autorisé sur sa demande à quitter l’activité pour convenance personnelle, sans que ce départ ait un caractère définitif » (Article 143 de la loi n°037-2008/AN du 29 mai 2008 portant Statut général des personnels des forces armées nationales).
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[32]
Communiqué de presse du RSP, (http://lefaso.net/spip.php?article63128) Ouagadougou, le 06 février 2015.
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[33]
C’est ce dernier qui a fait procéder aux interpellations des officiers du RSP.
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[34]
Il s’agit en l’occurrence du ministre de la Fonction publique, Augustin Loada et du ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme, Réné Bagoro, tous deux accusés par les putschistes d’être proches des organisations de la société civile anti RSP.
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[35]
A la séance des questions réponses après son discours à la nation du 12 juin, le Premier ministre affirme ceci : « l’armée a besoin du RSP, le pays a besoin du RSP. Nous sommes en train de travailler pour lui donner beaucoup plus d’importance, lui donner une bonne place au sein de la nation. On ne peut dissoudre un régiment de cette façon. Comme le dirait quelqu’un, si vous tuez votre chien parce qu’il n’aboie pas, c’est la chèvre du voisin qui va vous mordre. Ça fait vingt ans que je suis au RSP, je connais les capacités de ce régiment, je confirme que nous en avons besoin », Tiga Cheick Sawadogo, « Yacouba Isaac Zida face aux députés du CNT : “Je connais les capacités du RSP, je confirme que nous en avons besoin” », Lefaso.net (http://lefaso.net/spip.php?article65240), 13 juin 2015.
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[36]
Cette commission mise en place dès le début de la transition est « chargée de restaurer et de renforcer la cohésion sociale et l’unité nationale » (article 17 de la Charte de la Transition). Elle est majoritairement composée des représentants de la société civile et des partis politiques ayant participé à l’insurrection.
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[37]
Proclamation du Conseil national de la démocratie du 17 septembre 2015.
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[38]
Une note interne à l’armée procède au redéploiement des éléments du RSP dans les autres garnisons militaires.
Introduction
1Le coup d’État du 3 janvier 1966 marque le début d’une période caractérisée par une tradition d’alternance au pouvoir par le putsch [1] au Burkina Faso, ancienne Haute-Volta. Cette culture du coup d’État fait du Burkina une « société prétorienne » (Huntington, 1968) dans laquelle la violence apparaît comme une ressource politique importante (Médard, 1991). Ainsi, le 15 octobre 1987, le capitaine Blaise Compaoré, numéro deux de la Révolution d’août 1983, accède au pouvoir après un putsch sanglant contre le capitaine Thomas Sankara, Président du Conseil national de la révolution (CNR) [2]. Pendant plus de trois ans, le nouvel État d’exception est dirigé par le Front populaire [3]. Mais, dès le 2 juin 1991, le pays se dote d’une nouvelle constitution et entame un nouveau processus de démocratisation. Toutefois, le retour à un régime constitutionnel n’entraîne pas la fin du dictat militaire dans cette IVème République puisqu’on assiste à la naissance d’un régime militaire larvé. Ce dernier se présente comme un régime civil dont la stabilité politique repose sur le soutien de l’armée et plus précisément du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) (Sampana, 2013). Ce régiment est un corps de l’armée rattaché à la fois à l’état-major de l’Armée de terre, pour les missions classiques de défense, et à l’état-major particulier de la Présidence, pour des missions spécifiques (défense des institutions, protection du chef de l’État, lutte contre le terrorisme, etc.). Si sur le plan sécuritaire l’armée, en particulier le RSP, est un allié militaire important pour la stabilité du régime Compaoré, sur le plan constitutionnel, le maintien au pouvoir du président Compaoré obéit aux règles établies par la Constitution. Or, l’article 37 de la constitution de 1991 prévoit que « [l]e Président du Faso est élu pour cinq ans au suffrage universel direct, égal et secret. Il est rééligible une fois ». Ne pouvant plus se représenter aux futures élections présidentielles, le président Compaoré et son parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), envisagent donc de modifier pour la troisième fois cette disposition relative au mandat présidentiel pour contourner la limitation. L’opposition, réunie autour du chef de file de l’opposition burkinabé (CFOP) [4], et des organisations de la société civile (OSC), regroupées en partie dans le Front de résistance citoyenne [5], s’y opposent et appellent à la désobéissance civile. Cet appel débouche sur le soulèvement populaire des 30 et 31 octobre qui met un coup d’arrêt au vote de l’article 37 prévu le 30 octobre et contraint le président Compaoré à la démission après vingt-sept ans au pouvoir sans discontinuité. Si le pouvoir de la rue apparaît comme un élément déterminant dans la chute du régime Compaoré, l’attitude de la plupart des éléments des Forces de défense et de sécurité (FDS) et le ralliement d’un grand nombre d’unités à la cause des manifestants ne doivent pas être négligés. La détermination des manifestants civils et l’attitude moins répressive, voire pacifique, de la plupart des unités déployées sur le terrain, à l’exception de certains militaires du RSP, peuvent être considérées comme deux facteurs déterminants dans la chute du régime Compaoré.
Apres la chute du président Compaore
2Le départ du président Compaoré ouvre la voie à une transition politique civile dirigée par le président Michel Kafando. La transition politique n’est pas nécessairement un changement en profondeur du régime politique. Elle s’entend comme le processus politique mis en place entre la chute d’un régime politique et l’élection de nouveaux dirigeants. Pour reprendre Badie et Hermet, c’est « la période de temps qui s’écoule des convulsions finales d’une dictature à l’établissement d’un régime démocratique au moins dans son apparence » (Badie, Hermet, 2001 : 197). La particularité de cette transition qui déroge aux règles de succession prévue par la Constitution nécessite l’adoption d’une charte de la transition à valeur constitutionnelle [6]. Destinée à encadrer la transition, la charte évite également l’accaparement du pouvoir politique par l’armée. L’armée s’impose cependant dans la nouvelle configuration politique comme un acteur majeur, voire incontournable, puisque les militaires sont présents dans les organes prévus par la charte. Le lieutenant-colonel Yacouba Zida, contesté par la rue et la communauté internationale lorsqu’il s’est autoproclamé chef d’État après la démission de Blaise Compaoré, est nommé Premier ministre. Au sein du pouvoir législatif, la vice-présidence du parlement de transition est assurée par un autre officier de l’armée, le colonel major Honoré Nombré. Pourtant, les acteurs de la société civile et des partis politiques ne cessent d’exprimer leur refus d’un nouveau pouvoir militaire au Burkina. La véritable nature de cette transition et l’important rôle que jouent les acteurs militaires méritent d’être examinés afin de saisir la capacité des militaires à influencer ce nouvel espace politique burkinabè en reconstruction. Autrement dit, comment peut-on comprendre l’ingérence politique des militaires dans la transition civile alors que la démilitarisation du pouvoir est réclamée ? Le ralliement des militaires burkinabè aux forces du changement traduit-il leur volonté de maintenir leur emprise sur la vie politique burkinabè ?
3Le modèle de la concordance dégagé par Rebecca Schiff (Schiff, 1995 ; 2009) permet de mieux cerner la capacité d’influence de l’armée burkinabè dans le champ politique en restructuration depuis la chute du président Compaoré. Selon cette théorie de la concordance, les relations civilo-militaires (RCM) sont gouvernées par la recherche constante du compromis entre trois acteurs : l’armée, les politiques et la société. Ce compromis politique fait émerger au Burkina un pouvoir civilo-militaire avec un ascendant du militaire sur le civil. Dans la configuration de l’espace politique burkinabè post insurrection, les militaires sont pleinement associés à la gestion des organes de la transition (II), après avoir, dans un premier temps, monopolisé la période pré-transitionnelle (I).
Le poids de l’armée dans la phase pre-transitionnelle
4L’exacerbation de la crise politique née autour de l’article 37 en 2014 est apparue comme une aubaine pour une intervention sur la scène politique d’une armée qui, à maintes reprises, s’était fait remarquer par des mutineries ayant fragilisé le pouvoir de Blaise Compaoré. Mais contrairement au scénario du putsch, l’armée a observé une neutralité politique dès le début de la crise avant de s’engager auprès des forces favorables à l’alternance au pouvoir.
L’armée dans l’évolution de la crise politique
5La crise de 2014 est l’aboutissement d’une longue série de conflits politico-militaires qui ont érodé progressivement l’autorité et la légitimité du régime Compaoré depuis l’assassinat du journaliste Norbert Zongo le 13 décembre 1998 à Sapouy. Ce « drame de Sapouy » a entraîné la création du Collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques contre l’impunité au Burkina Faso. Le Collectif exige des explications sur la mort de Norbert Zongo et fait de la lutte contre l’impunité son cheval de bataille (Ouédraogo, 1999 ; Loada, 1999). À travers ses actions, le Collectif sape la légitimité du pouvoir Compaoré, réalise la conscientisation des masses, s’érige en véritable contre-pouvoir et fait vaciller le régime. Pour assurer son maintien, le Président fait des concessions et des réformes politiques pour juguler les contestations (Loada, 1999) tout en utilisant le RSP mis en cause dans l’affaire Zongo [7], et afin d’imposer son pouvoir. Incontestablement, l’armée joue un rôle important dans la stabilité du régime Compaoré qui se civilianise. Cette « civilianisation du régime militaire n’implique pas nécessairement la démocratisation ou la démilitarisation du pouvoir [surtout lorsque] l’armée continue de dominer le système politique » (McSherry, 1992 : 464), comme c’est le cas au Burkina.
6Les militaires se transforment en acteurs d’insécurité à cause de leurs fréquentes mutineries. Au cours des quinze dernières années du régime Compaoré, trois de ces importants soulèvements se sont déclenchés (1999, 2006, 2011) [8]. Comme le reconnaît le général Honoré Traoré, chef d’état-major général des armées, nommé à la suite des mutineries, la répétition des révoltes « avec un mode opératoire de plus en plus violent, constitue une source d’inquiétude et un problème majeur autant pour la démocratie que pour l’institution militaire elle-même » [9]. Cette tradition mutine des burkinabé renforce le poids de l’armée et fragilise davantage les institutions, qui doivent leur survie à la satisfaction des revendications corporatistes des militaires. Au sortir de ces révoltes, le président Compaoré s’octroie le portefeuille de ministre de la Défense pour prendre directement en charge les questions militaires et surveiller de plus près l’armée.
7Dans un contexte caractérisé par cette récurrence des mutineries, le coup d’État apparaît de plus en plus comme un scénario envisageable. Conscient de cette menace et de la tradition putschiste du pays, le RSP se voit attribuer, entre autres missions spécifiques, la lutte contre la prise du pouvoir par la force. Cette mission est confirmée par ce régiment : « Défendre les institutions républicaines : il reste indéniable que les risques d’instabilité liés à des changements violents de régime (coups d’État), hors le cadre normal de la Constitution, a longtemps été une source successive d’incertitudes au pays. Le Burkina a connu au bas mot une quinzaine de coups ou tentatives de coups d’État. La stabilité sur ce plan a été, c’est indéniable, intimement liée à la qualité de la Force [le RSP en l’occurrence] qui défend les institutions depuis plus de deux décennies » [10]. De par ses missions et son armement, le RSP apparaît en réalité comme une armée dans l’armée, et est utilisé comme un contrepoids contre les autres militaires. Il aurait été difficile de réussir un coup sans l’implication de ce corps surtout depuis les mutineries de 2011 car il est le seul à disposer d’un armement conséquent. Selon un officier supérieur burkinabè, « les poudrières des casernes de Ouagadougou, où logent les autres forces, ont été vidées. Les percuteurs des armes lourdes ont été enlevés » (Crisis Group, 2015 : 14). Ces décisions sont destinées à prévenir de nouvelles mutineries. Pourtant, c’est du côté de la rue que la chute du régime sera amorcée, plongeant par conséquent l’armée dans un dilemme : réprimer les manifestations, se rallier à la soif d’alternance exprimée ou saisir l’opportunité pour faire un putsch au président Compaoré. La « passivité », voire le ralliement à la population, l’emporte dans la plupart des unités militaires. Cette attitude peut être analysée différemment selon que l’on se situe avant et pendant l’insurrection.
8Avant le soulèvement populaire, les mutineries ont érodé les principes de hiérarchie, de discipline, et altéré le civisme au sein des troupes. Malgré ses dissensions internes susceptibles de nourrir des velléités putschistes, l’armée, en tant qu’institution, exprime une neutralité politique. Tout d’abord, ce comportement n’est pas seulement en lien avec le professionnalisme, mais il se justifie par l’absence de leadership, la culture d’une méfiance au sein de l’armée, et le manque de moyens.
9Pendant les révoltes, les FDS s’illustrent par une attitude moins répressive malgré l’imposant dispositif sécuritaire dans le quartier administratif. De même, il est impensable que le président Compaoré, également ministre de la Défense depuis les mutineries de 2011, n’ait pas donné d’ordres dans la mise en place d’un dispositif de sécurité capable de sécuriser la tenue de la séance parlementaire du 30 octobre [11]. Luc Ibriga du FRC confirme « la volonté affichée des tenants du pouvoir d’instrumentaliser les forces de défense et de sécurité, eux qui affirment à qui veut l’entendre qu’ils ont les armes, qu’ils ont la force et qu’ils vont imposer leur volonté » [12]. Certes, le Président est le commandant en chef des Forces armées, mais il ne peut directement donner des ordres sur le terrain. L’ordre de réprimer se heurte donc à la résistance des officiers chargés de le relayer sur le terrain. C’est pourquoi la répression tant redoutée ne s’est pas produite puisque les FDS déployées autour de l’Assemblée nationale, principal lieu de convergence des manifestants, font preuve d’un usage modéré de la force et appliquent la théorie de la baïonnette intelligente afin d’éviter un bain de sang. Selon Crisis Group, « [d]es unités de l’armée et de gendarmerie auraient aussi reçu de l’intérieur l’ordre de faire défection » (Crisis Group, 2015 : 2). D’autres officiers ont pris personnellement leurs responsabilités sur le terrain en mettant fin aux exactions. L’appel à défection a été moins suivi par les militaires du RSP, qui ont sévèrement réprimé en ouvrant le feu et en tuant des manifestants (Amnesty, 2015), avant de se retrancher au palais présidentiel pour protéger le chef de l’État. Si le dispositif sécuritaire était exclusivement aux mains du RSP, le dénouement de la crise n’aurait vraisemblablement pas été le même. Alors que les manifestants n’ont pu approcher le palais présidentiel, protégé par le RSP, ils ont réussi à accéder au parlement sans aucune perte en vie humaine. De même, lorsque le chef de corps adjoint du RSP s’est autoproclamé chef de la transition, le dispositif du RSP a freiné les contestations de rue. Il a fallu l’implication et la pression de la communauté internationale pour dénouer la situation.
10On peut donc retenir qu’au cours de ces manifestations, les FDS ont mis en exergue leur sens de responsabilité et leur expertise, deux des trois traits développés par Huntington dans son concept de professionnalisme (Huntington, 1957). Ce professionnalisme est « un professionnalisme pragmatique » (Boëne, 1996 : 64) qui ne dissocie pas les domaines militaires et politiques (Janowitz, 1964 ; Finer, 2006). Selon Finer, l’attachement des militaires au respect de leur professionnalisme peut les mettre en conflit avec les autorités politiques, car en se considérant comme les serviteurs de l’État plutôt que ceux d’un gouvernement temporaire, les FDS peuvent redéfinir leur propre conception de l’intérêt national et refuser d’être utilisées comme des forces anti opposition (Finer, 2006). C’est ainsi qu’en refusant de réprimer les manifestants au Burkina, les FDS saisissent l’occasion de faire primer l’intérêt national sur l’intérêt personnel des dirigeants du régime Compaoré. Selon le lieutenant-colonel Zida, « les Forces vives, y compris les Forces de Défense et de Sécurité ont su donner la réplique à ce qu’il convient d’appeler désormais la “forfaiture de Blaise COMPAORE” » [13]. Les militaires ont donc choisi, les 30 et 31 octobre, de favoriser l’alternance et de s’engager à soutenir la transition en s’y impliquant directement.
11Ce positionnement politique est un choix stratégique fait par les forces armées. Partageant le vécu de la population burkinabè, elles n’ignorent pas le désir de changement exprimé par les populations, surtout quand le régime Compaoré est en perte de légitimité. Or, consentir à une obéissance aveugle en réprimant [14] constituerait un obstacle au changement et accentuerait la division armée-société constatée depuis les mutineries de 2011 à cause des exactions des soldats à l’encontre des civils. Pourtant, l’armée cherche depuis 2011 à redorer son image. Rallier le mouvement populaire des 30 et 31 octobre est donc une opportunité pour l’armée de combler le fossé armée-nation.
12Une fois la voie de la répression abandonnée, l’armée s’est impliquée afin de rechercher une issue pacifique à la crise.
L’armée face à la chute du pouvoir : de la médiation aux coups d’État
13La prise de l’Assemblée nationale par les manifestants oblige l’armée à revoir son implication dans l’insurrection populaire. Conditionnée dès le départ pour protéger les institutions et repousser les manifestants, l’armée se transforme en un arbitre politique. L’arbitrage militaire est d’ailleurs bien ancré dans la culture burkinabé depuis le premier soulèvement populaire en 1966. Il a pour particularité de systématiquement déboucher sur un putsch. L’intervention de l’armée des 30 et 31 octobre 2014 n’échappe pas à la règle. En effet, en dépit de son statut apolitique énoncé dans la loi n°037-2008/AN portant Statut général des personnels des forces armées nationales et dans le règlement de discipline générale dans les forces armées, l’armée assume la médiation, car c’est l’appareil étatique dont le fonctionnement n’est pas perturbé dans un contexte de paralysie générale des services étatiques. En plus, sa participation aux manifestations fait d’elle une interlocutrice acceptable par les insurgés puisqu’elle n’est pas perçue comme une force hostile au changement. En s’érigeant en arbitre politique, l’armée répond à deux appels : l’appel du dehors et l’appel de la conscience (Hamon, 1996).
14En effet, face à l’échec du dispositif de répression et à la dégradation de la situation, le président Compaoré retire le projet de révision tout en propulsant l’armée au-devant de la scène politique. C’est ainsi qu’une délégation de la hiérarchie militaire conduite par le chef d’état-major général des armées rencontre l’opposition au siège du CFOP « pour avoir le sentiment de l’opposition sur la situation nationale » [15]. Bien que divisés sur le rôle à accorder à l’armée, certains manifestants lui demandent de prendre ses responsabilités afin d’éviter le chaos. C’est d’ailleurs la position du Balai citoyen, l’un des acteurs clés de l’insurrection [16]. D’autres acteurs, en revanche, l’invitent à assurer ses missions régaliennes tout en refusant qu’elle prenne les rênes du pouvoir. Il y a donc un double appel extérieur. L’armée, à travers le chef d’état-major général des armées et l’ensemble de la hiérarchie militaire, suit un appel de sa conscience en entreprenant d’une part, une médiation dans ses rangs afin d’éviter un affrontement entre le RSP, rangé derrière le Président, et le reste de l’armée adoubée par les manifestants. D’autre part, la hiérarchie cherche à trouver une voie de sortie pacifique à la crise tout en évitant de renverser Blaise Compaoré. Le général Djibril Bassolé [17], ministre des Affaires étrangères du régime Compaoré jusqu’au 30 octobre 2015 affirme que : « [l]e 30 octobre j’étais à mon domicile dans un premier temps, puis, avec la brutale dégradation de la situation, je me suis rendu au camp Paspanga, d’où j’ai rejoint l’état-major des Armées sur invitation du chef d’état-major général pour trouver une solution de sortie de crise » [18]. Mais, en attendant le dénouement de la crise, le président Compaoré décrète l’état de siège et charge le chef d’état-major général de le mettre en place (Décret N°2014-01/ PRES/PM du 30 octobre 2015 instituant l’état de siège sur toute l’étendue du territoire national). Dès ce moment, l’arbitrage politique se transforme progressivement en putsch.
15Le chef d’état-major général outrepasse ses pouvoirs en dissolvant l’Assemblée nationale et le gouvernement, en proposant une transition de douze mois, mais en refusant toujours de démettre Blaise Compaoré [19]. Il existe à ce moment une confusion sur le détenteur réel du pouvoir. Le putsch n’apparaît véritablement qu’à l’annonce de la démission du Président puisque les règles constitutionnelles qui régissent la succession sont bafouées. En effet, selon l’article 43 de la Constitution, l’intérim doit être assuré par le Président du Sénat. Mais étant donné que le Sénat n’est pas encore mis en place, l’article 78 de la constitution prévoit qu’en l’absence du Sénat, le président de l’Assemblée nationale est la personnalité chargée d’assurer l’intérim en cas de vacance du pouvoir. Or, l’ensemble des personnalités ayant soutenu le projet de révision de l’article 37, y compris le président de l’Assemblée nationale en fuite, est désavoué par les manifestants [20]. Au regard de ce double vide du pouvoir (démission du Président et absence de son dauphin constitutionnel) et devant le mutisme du conseil constitutionnel, l’armée décide donc de prendre le pouvoir. C’est donc un coup d’État face au vide politique (Lavroff, 1989). L’armée ne choisit pas le général Lougué (un militaire à la retraite, ancien chef d’état-major général des armées entre 1999 et 2002 et ministre de la Défense de 2002 à 2003) qui est réclamé à la tête de la transition par une partie des manifestants. Mais elle préfère désigner le 31 octobre le général Traoré, chef d’état-major général des armées, pour succéder à Blaise Compaoré. Confrontée au dilemme de ne pas donner l’image d’un putsch qui sera condamné par la communauté internationale, l’armée maintient la constitution et motive son action par la déclaration de vacance du pouvoir et « l’urgence de sauvegarder la vie de la nation » [21].
16À défaut d’une personnalité civile consensuelle dans ses rangs, le CFOP semble favorable à ce scénario et ne conteste pas le coup du chef d’état-major général des armées. Ce dernier reçoit, d’ailleurs, l’opposition avant de faire sa proclamation. Les militaires du RSP, opposés à la décision de l’armée, organisent dans la soirée un contre coup mené par le chef de corps adjoint du RSP (numéro deux du RSP), le lieutenant-colonel Zida. Ce dernier, plus populiste et soutenu par des organisations de la société civile comme le Balai citoyen et le M21, dit répondre à l’appel du peuple, suspend la Constitution et consacre l’instauration d’un régime d’exception. L’armée se trouve ainsi divisée à travers l’auto-proclamation de deux chefs de la transition, mettant en lumière le clivage entre le RSP et le reste de l’armée. Sous la pression et la contrainte, la hiérarchie militaire décide de confirmer le lieutenant-colonel Zida comme chef de junte au détriment du chef de l’armée. Elle justifie son choix par la volonté de préserver la cohésion de l’armée et la paix sociale. Mais en réalité, c’est fort du rapport de force en faveur du RSP, mieux formé et mieux armé, que le lieutenant-colonel Zida est maintenu au pouvoir. Selon Salif Diallo, ancien ténor du régime Compaoré et vice-président du Mouvement du peuple pour le progrès [22] : « Il est impératif que l’armée retrouve son unité. Il est impensable aujourd’hui, après le départ du président Blaise Compaoré, de ne pas prendre en considération le Régiment de sécurité présidentielle, qui est l’unité la mieux organisée, la mieux armée. Et le (lieutenant-colonel) Zida provient de ce régiment. Aujourd’hui, ce que dit le rapport de force militaire est de ce côté-là. Mais je pense que les militaires devraient avant tout s’entendre, discuter et envisager une collaboration des civils et des partis politiques » [23].
17Cette collaboration entre politiques et militaires est dénoncée par l’ex-président Compaoré depuis son exil quand il affirme : « [n]ous savions depuis longtemps qu’une partie de l’Opposition était en relation avec l’armée […] Parlement ou référendum, cela n’aurait rien changé, car ils n’auraient guère dévié de leur plan initial, la prise du pouvoir par la force » (Gue, 2014). Sa chute serait, selon lui, le résultat d’un complot ourdi de longue date entre l’opposition et une partie de l’armée. Mais, contrairement aux affirmations de Compaoré, il est plus probable que le 31 octobre, l’armée profite du vide pour usurper le pouvoir sans avoir véritablement préparé un coup d’État. « L’armée a commencé par exécuter les ordres du gouvernement, ce n’est seulement que lorsqu’elle a été placée devant l’alternative : soutenir l’équipe dirigeante ou se rallier à l’appel des manifestants, qu’elle est sortie de la légalité ; ce faisant, elle a tranché l’issue du conflit, apparaissant comme l’arbitre suprême » (Ammi-Oz, 1978 : 62).
18Cet arbitre suprême est, toutefois, contraint de céder le pouvoir aux civils face à la pression de la société civile et de la communauté internationale. L’armée lève donc la suspension de la Constitution le 15 novembre 2014 afin que s’ouvre une ère constitutionnelle, non sans s’aménager une place dans les institutions de la transition.
La (Re)-naissance d’un pouvoir civilo-militaire dans la transition
19Le Burkina connaît entre 1970 et 1974 un régime dans lequel la participation politique de l’armée est constitutionnalisée [24]. Refusant de retourner dans les casernes, les militaires s’aménagent quatre années supplémentaires pour poursuivre les réformes qu’ils ont entreprises depuis le putsch du 03 janvier 1966. En novembre 2014, le Burkina réédite le scénario. Dans cette logique, le CFOP se montre favorable à la participation politique des militaires. « Pour l’opposition burkinabè, toute transition politique à venir doit être conçue, organisée et mise en œuvre autour des forces politiques et de la société civile, et intégrer toutes les composantes de la société, y compris l’armée » (Déclaration du CFOP du 31 octobre 2014). La société civile n’a pas non plus refusé l’implication des FDS dans la transition. Par conséquent, le pouvoir de la transition est partagé entre les civils composés des partis politiques et de la société civile [25] et des FDS dont le rôle politique est constitutionnalisé. Aussi, par son implication dans la conduite de la transition, l’armée assure-t-elle une mission d’accompagnement qui limite sa soumission aux civils de la transition.
La constitutionnalisation du rôle politique des FDS
20De par son organisation, son fort statut symbolique et son monopole dans l’usage des armes, l’armée a un triple avantage sur les civils (Finer, 2006). Fort de ces avantages, l’armée dirige exclusivement la phase pré-transitionnelle au cours de laquelle une charte de la transition est adoptée. En effet, pour éviter que le dauphin constitutionnel [26] décrié n’accède au pouvoir, une charte constitutionnelle, dérogeant sur de nombreux points à la constitution du 11 juin 1991, est rédigée avec la participation de l’armée. Les militaires arbitrent entre les divers intérêts, y compris ceux de l’ex-majorité, dont la présence aux négociations est refusée par l’ex-opposition et les organisations de la société civile à l’origine du soulèvement populaire. Le pouvoir militaire tente d’imposer ses amendements dès qu’il reçoit l’avant-projet de charte. Mais, face à la résistance des partis politiques et de la société civile, elle finit par participer activement aux travaux et à se plier aux débats avant l’adoption de la version définitive de la charte.
21Œuvre d’une instance tripartite (armée, partis politiques, société civile), la charte constitutionnalise, contrairement à l’esprit de la transition civile, la participation politique des militaires. Cette constitutionnalisation traduit deux choses. Tout d’abord, il s’agit du reflet du dilemme du retrait de l’armée que Welch résume bien dans ces lignes : « [à] mesure que le temps du retour aux casernes approche, des doutes et des hésitations semblent augmenter. Les officiers observent une pause, se demandent s’ils ont accompli ce que leur intervention était censée corriger. Ils sont face à un dilemme » (Moukoko Mbonjo, 2000 : 43). En outre, il s’agit d’un compromis entre tous les acteurs sur le rôle et la place de l’armée dans la transition puisque les militaires rechignent à laisser les civils seuls gérer la transition et les civils sont divisés sur la participation de l’armée. Le Burkina se dote d’un pouvoir civilo-militaire dans lequel le rôle politique des FDS n’est plus implicite, mais constitutionnellement consacré. En effet, la charte prévoit la participation de cinq représentants des FDS au collège de désignation du Président de la transition (art. 8 de la Charte). La fonction de Président de la transition est interdite à un militaire puisque les civils craignent un scénario identique à celui de 1966 sachant que depuis lors les militaires monopolisent la vie politique. C’est pourquoi la candidature de toute « personne des forces de défense et de sécurité en activité, en disponibilité ou à la retraite » (art.3) est interdite. Les militaires proposent néanmoins des candidats civils à la Présidence de la transition conformément à l’article 5 de la Charte qui leur donne la faculté d’en proposer trois. Le Président de la transition, Michel Kafando, et la ministre de la Justice Joséphine Ouédraogo, deux des trois candidats présélectionnés par le collège électoral ont été proposés par l’armée.
22De même, la participation de l’armée au gouvernement n’est pas constitutionnellement interdite. Dans le silence de la charte, les militaires se retrouvent avec un Premier ministre militaire, le lieutenant-colonel Zida, alors qu’il était prévu que ce poste serait exercé par un civil. Le président sénégalais Macky Sall, président du groupe de contact sur la crise au Burkina, avait d’ailleurs affirmé : « [s]ur le choix du Président de la transition, tous sont d’accord sur le profil et sur le fait que ce soit une autorité civile, tout comme pour le choix du Premier ministre » (Ouédraogo, 2014). Ce silence serait fait à dessein afin d’offrir une chance au pouvoir militaire sortant d’occuper la primature. Du coup, il existe un duo civilmilitaire à la tête de l’exécutif, car le président la République est un civil secondé par un Premier ministre militaire. Ce dernier siège au gouvernement avec des officiers de son entourage nommés à des ministères plus ou moins clés : le ministère de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité avec le colonel-major Auguste Barry [27], le ministère des Mines et de l’Énergie avec le colonel Boubaca Ba, le ministère des Sports [28] avec le colonel David Kabré. En définitive, l’armée gère cinq portefeuilles ministériels si on prend en compte la Primature et le ministère de la Défense attribué au Premier ministre Zida [29]. En outre, le Conseil national de la Transition, l’organe législatif, n’est pas en reste puisque la charte octroie vingt-cinq des quatre-vingt-dix sièges de parlementaires aux FDS (art. 12) [30]. Ces dernières se constituent en un groupe parlementaire au sein de l’hémicycle : le groupe parlementaire Forces de Défense et de Sécurité. Ce parlement se dote également d’un président civil et d’un vice-président militaire (un colonel-major de l’armée).
23Les militaires donnent donc l’impression de veiller sur le pouvoir politique en s’y impliquant directement. Comme sous la IIème République, les militaires du gouvernement et du CNT peuvent être considérés comme « des soldats en mission » (Ouédraogo, 1996 : 63). Le fait que ces militaires soient en activité et non en disponibilité dans ces institutions serait contraire aux prescriptions du statut des personnels des forces armées, si la charte n’avait pas couvert l’illégalité [31]. Puisque la charte qui autorise la participation politique de l’armée a une valeur supérieure aux lois et règlements régissant les forces armées, les dispositions relatives à la neutralité politique des FDS sont neutralisées pendant l’application de la Charte. Une question demeure néanmoins : dans cette transition burkinabè sui generis où l’armée est fortement impliquée, n’y a-t-il pas de risque qu’elle échappe au contrôle civil ?
Un contrôle civil problématique : confusion et inversion des rôles
24Le contrôle civil réalisé a pour objectif de faire prendre conscience aux forces armées qu’elles sont des agents subordonnés aux autorités politiques civiles. Or, la naissance et la configuration du pouvoir né de la transition accordent une place centrale aux forces armées dans la gestion du pays. Dans le compromis obtenu dans la mise en place des organes de la transition, l’armée apparaît comme un acteur placé sur un pied d’égalité avec les organisations de la société civile et les partis politiques. Mais en réalité, la détention et la maitrise des moyens de coercition lui donnent un ascendant sur les civils dans ce contexte politique extrêmement fragile où les institutions politiques sont à refonder. En effet, durant la phase pré-transitionnelle, l’armée exerce un pouvoir direct et encadre la rédaction de la Charte. Quand s’amorce la transition constitutionnelle, le chef d’État militaire sortant est nommé Premier ministre, même si sa nomination ne fait pas l’unanimité au sein de l’armée. Cette nomination suivie de celle d’autres officiers au sein du gouvernement traduit une certaine volonté de l’armée de rester au cœur du pouvoir politique pour participer à la mise en œuvre de la transition et l’orienter au besoin.
25L’implication des militaires dans la gestion politique rend problématique le contrôle civil. De novembre à juillet le Premier ministre militaire cumule les fonctions de ministre de la Défense. L’ex-président Compaoré a également cumulé les fonctions de ministre de la Défense afin de prendre directement en charge la gestion de l’armée après la vague des mutineries de 2011. Quoique théoriquement civil, car étant revenu à la vie civile, Compaoré est néanmoins considéré dans l’opinion burkinabè comme un militaire. Quant au Premier ministre Zida, qui demeure encore en activité au sein des forces armées, son statut militaire ne souffre d’aucune ambigüité. C’est d’ailleurs comme un militaire et non en tant que politique qu’il est perçu au sein de l’armée. Il y a dès lors, dans son chef, un risque de confusion entre contrôle militaire et contrôle civil. Cependant, après la mutinerie du RSP du 29 juin 2015, le ministère de la Défense est attribué au Président de la transition à l’occasion du remaniement ministériel du 19 juillet.
26À travers le premier ministre Zida, et le résident Kafando dont la candidature a été proposée par l’armée, les militaires sont perçus comme les véritables détenteurs du pouvoir politique même si constitutionnellement c’est le président Kafando qui dirige la transition. Certes, l’armée n’exerce pas un pouvoir direct puisqu’il ne s’agit ni d’un régime d’exception comme dans les régimes militaires, ni d’un régime constitutionnel qui octroie la présidence de la République à l’armée comme sous la IIè République burkinabè. Mais, les militaires conservent une influence considérable sur la vie politique. Ils constituent de surcroît une menace pour la transition dans ce contexte où l’armée a un poids et joue un rôle non négligeable dans la restructuration du pays. Dès lors, le contrôle civil se trouve handicapé.
27La véritable difficulté du contrôle civil vient de l’incapacité de l’armée à maîtriser l’insubordination de ses membres mettant à rude épreuve le pouvoir politique dans la société prétorienne burkinabè. Selon Little, dans les sociétés prétoriennes, les nouveaux régimes sont généralement testés par les militaires à travers des coups ou des tentatives de coups. En substance, Little affirme : « [d]outant de la capacité de résistance d’un nouveau pouvoir, un coup d’État est généralement perpétré puisque les militaires présument que le régime est si faible qu’il ne pourra pas résister. Si, au contraire le régime survit, il est dorénavant perçu comme un pouvoir fort capable de résister aux velléités militaires. En retour, les militaires tirent individuellement un enseignement sur la capacité de résistance du pouvoir et finissent par se soumettre au régime civil » (Little, 2015 : 3). Au Burkina, le régime de la transition a vacillé suite à différents tests du RSP. En effet, de façon crescendo le pouvoir de la transition a été mis à l’épreuve par les révoltes du RSP, corps qui fut dissout après son aventure putschiste du 17 septembre 2015. En effet, trois mutineries du RSP ont visé directement le Premier ministre. Après le limogeage du général Diendéré, chef d’état major particulier de la Présidence sous Compaoré, remplacé à son poste par le chef de bataillon Théophile Nikiema, un proche du Premier ministre issu du RSP, une série de mutation d’officiers vers d’autres corps est entreprise. Ces décisions sont perçues comme un début de démantèlement du RSP et une manière de contenter les insurgés des 30 et 31 octobre qui ne cessent de réclamer la dissolution de ce corps pour son rôle joué dans le régime Compaoré. Opposé aux mesures prises par le gouvernement et revendiquant des primes, le RSP convoque le Premier ministre dans sa garnison située au sein de la Présidence pour des explications le 30 décembre 2014 et réclame sa démission. Certes, c’est le président civil Kafando qui procède aux nominations dans l’armée, mais le RSP préfère s’en prendre au Premier ministre qui est issu du corps et fait partie de la branche militaire du gouvernement. Pour le RSP, le Premier ministre serait complice d’un démantèlement implicite du corps alors que c’est grâce au soutien de ce corps qu’il a été confirmé chef d’État dès la démission de Compaoré avant d’être nommé plus tard à la primature. Pour les militaires du RSP, les décisions concernant leur corps incombent au Premier ministre, ou du moins ont été prises avec son aval. Après d’âpres discussions, le RSP accepte le maintien à son poste du Premier ministre en attendant la satisfaction de ses autres revendications. Le gouvernement a, toutefois, le soutien de l’état-major général des armées qui estime qu’il n’appartient pas aux militaires de démettre un Premier ministre nommé par le Président. À travers la révolte du 30 décembre 2014, la faiblesse du pouvoir de transition est perceptible à travers le premier test de résistance du régime face au RSP. Fort de cet ascendant, le RSP entreprend une nouvelle manifestation le 4 février qui empêche la tenue du conseil des ministres.
28Dans une déclaration adressée à la Nation, le porte-parole de ce corps explique : « certaines décisions inappropriées au sein de notre corps en ont perturbé le fonctionnement normal. Ces dysfonctionnements ont été signifiés au Premier ministre en vue de leurs corrections, et ce depuis décembre 2014. Promesse en a été faite sans suite jusqu’à la date du 04 février 2015. Nous tenons à rappeler à l’opinion nationale que le Premier ministre est un officier issu de notre corps dont il connaît les missions et le fonctionnement » [32] (communiqué du RSP du 06 février 2015). Les militaires du RSP s’opposent, en fait, aux affectations de certains de leurs membres dans d’autres corps de l’armée car ils les considèrent comme des sanctions. De même, ils refusent la nomination du nouveau chef d’état-major particulier de la Présidence qui est moins gradé que des officiers supérieurs qu’il aura sous son commandement. À la nomination du commandant Théophile Nikiema, le chef de corps du RSP était un colonel-major.
29Cette situation est inacceptable pour le RSP. Effectivement, une telle nomination pose problème dans l’exercice du commandement militaire où le principe hiérarchique fondé sur le grade est fort ancré. Le RSP envisage d’interpeller le Premier ministre au conseil des ministres du 4 février 2015 pour exiger la satisfaction de ses revendications corporatistes. Ce dernier ne se présente donc pas au conseil des ministres qui est reporté sine die. Probablement frustrés par l’attitude du Premier ministre qui semble desservir leur cause, les militaires du RSP exigent également la démilitarisation de la transition puisqu’ils réclament la démission des militaires de toutes les instances de la transition pour laisser la gestion des affaires aux civils afin de respecter l’esprit civil de la transition. Face au blocage des institutions, la médiation des autorités coutumières et religieuses s’avère nécessaire pour mettre fin à la crise militaire afin de permettre le fonctionnement normal des institutions.
30Ce deuxième test conforte le RSP qui finit par choisir et imposer aux dirigeants de la transition un nouveau chef d’état-major particulier et un nouveau chef de corps qui sont respectivement l’ancien chef de corps le colonel-major Boureima Kéré et l’ancien aide de camp de l’ex-président Compaoré le lieutenant-colonel Céleste Coulibaly. Toutefois, pour ne pas s’avouer totalement vaincu, le gouvernement de transition met en place une commission chargée de réfléchir au devenir de ce corps avec la possibilité de réorienter ses missions. Le gouvernement reconnait néanmoins à la séance des questions parlementaires du 13 mars 2015 la difficulté à dissoudre ce corps. Il faudrait, pour ce faire, sensibiliser les militaires sur la dissolution de leur corps, gérer la question de l’affectation des militaires de cette unité reconnue comme une unité d’élite et réfléchir sur la répartition du matériel et des armements que cette unité seule maîtrise. En d’autres mots, la dissolution du RSP ne peut se faire sans l’avis de ce dernier. Étant donné que ces deux tests ont montré de façon générale la faiblesse du pouvoir politique et la suprématie du RSP sur le gouvernement, un troisième test est réalisé à travers la mutinerie du 29 juin 2015 pour protester contre l’audition du chef de corps et de deux autres officiers du RSP soupçonnés de fomenter un complot contre le Premier ministre. La crise née de ce énième soulèvement militaire contraint le chef d’état à mettre en place le Cadre de concertation des sages pour rapprocher les positions entre les acteurs en conflit. Une fois de plus, le RSP demande à nouveau le départ de tous les militaires du gouvernement. Cette position sera partagée par la hiérarchie militaire et une partie de la classe politique. Néanmoins, le Président décide de maintenir le Premier à son poste afin de ne pas perturber l’organisation des scrutins présidentiel et législatif d’octobre. Cependant, il limoge le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité [33] et s’octroie le portefeuille de ministre de la Défense ainsi que celui de la sécurité.
31Dans un régime politique où le contrôle civil fonctionne correctement, ce ne sont pas les autorités politiques qui sont sommées de s’expliquer devant les militaires, mais c’est plutôt l’inverse. Mais force est de constater qu’au Burkina, c’est l’autorité politique qui négocie avec le militaire puisqu’elle se retrouve généralement en situation de faiblesse. Cette culture remonte au régime Compaoré puisque la véritable menace pour le pouvoir vient de l’armée. Au lieu de sanctionner l’insubordination des militaires, ces derniers sont amadoués par les autorités politiques à travers des pourparlers qui débouchent toujours sur la satisfaction en tout ou en partie des revendications militaires (depuis 1999). Probablement, la peur de se voir renverser pousse le pouvoir politique à agir dans un sens favorable aux militaires. Cependant, la culture de la peur peut déboucher sur la réalisation de la menace redoutée puisqu’en position de force, les militaires n’hésiteront pas à s’opposer par les armes aux mesures qu’ils jugeront inappropriées. C’est notamment ce qui se produit le 16 septembre quand le RSP prend en otage le Conseil des ministres avant de mettre aux arrêts le Président du Faso, le Premier ministre et deux autres membres du gouvernement [34]. Ce quatrième test débouche finalement sur un coup d’État qui consacre l’avènement du Conseil National de la Démocratie (CND) dirigée le général Gilbert Diendéré, membre du RSP.
Le basculement du rapport de force : le RSP, le reste de l’armée et la rue
32Au lieu d’être rassuré par les forces armées créées pour le protéger contre les agressions extérieures, l’État les craint au contraire. Il redoute qu’elles retournent leurs armes contre la société et les institutions politiques qu’elles sont pourtant chargées de protéger. Telle est en substance l’idée du paradoxe civilo-militaire développé par Feaver (Feaver, 1999 ; 1996). C’est exactement le cas au Burkina où l’institution sécuritaire créée pour renforcer la stabilité des institutions politiques est devenue une menace pour la survie de la transition. C’est pourquoi, dans une déclaration à la nation, le Président affirme qu’« il n’est pas juste que pour des intérêts divergents, notre Armée nationale dont c’est la mission de protéger la paix au Burkina Faso, en vienne à être le perturbateur de la paix au Burkina Faso ». Certes, cette remarque s’adresse à l’ensemble de l’armée à cause de ses dissensions internes. Mais, elle vise indirectement les agissements du RSP qui troublent la quiétude des autorités de la transition. La résolution de la question du RSP apparaît donc comme un défi à relever par la transition. Ce dernier est confronté à la fois aux demandes pressantes de dissolution du régiment exprimées par les insurgés des 30 et 31 octobre d’une part et à la résistance du RSP qui se réfugie derrière sa puissance militaire d’autre part. Le Président de la transition, invité sur les antennes de RFI le 2 mars 2015, n’exclut pas de les affecter aux opérations extérieures (Opex) notamment dans une force anti-Boko Haram. Un tel projet est une stratégie de contrôle par l’éloignement. Mais l’ascendant militaire du RSP invite les autorités de la transition à adopter une conduite rationnelle, à savoir, ne pas envisager sa dissolution puisqu’elles ne sont pas sûres des gains à tirer d’une telle décision [35]. Le rapport de la Commission de réflexion sur la restructuration du RSP présidé par le général Gilbert Diendéré préconise « le maintien [du régiment] qui devrait s’accompagner de quelques modifications organiques et structurelles afin de prendre en compte les nouvelles réalités du terrain » (Commission de réflexion sur la restructuration du RSP, avril 2015). Pourtant, le rapport de la Commission de la réconciliation nationale et des réformes [36] transmis officiellement le 14 septembre 2015 préconise, quant à lui, la dissolution du RSP et le redéploiement de ses membres à d’autres missions. Le Conseil des ministres du 16 septembre au cours duquel le rapport devait faire l’objet d’une communication orale est perturbé par le RSP qui profite de l’occasion pour réaliser son coup d’État le 17 septembre. Des griefs politiques et militaires comme le caractère déviant de la transition, l’adoption d’une loi électorale qui exclut certaines personnalités de l’ex-parti au pouvoir, l’instrumentalisation du conseil constitutionnel, le non-respect des « propositions de l’armée visant un traitement adéquat des problèmes en suspens » [37] figurent dans la proclamation de coup d’État. Mais en réalité, le RSP lutte pour sa survie puisque sa dissolution est synonyme de la perte des avantages, du prestige et de l’effondrement d’un mythe entretenu depuis sa création en 1995. L’intérêt corporatiste apparaît donc comme la principale motivation du putsch. Certes, dès le putsch, aucune condamnation officielle n’est faite par la hiérarchie militaire, sans doute pour donner une chance à d’éventuelles négociations. Toutefois, le CND du général Diendéré fait face à une résistance citoyenne malgré les pertes en vies humaines dues à la répression aveugle du RSP. Contrairement au scénario de la chute de Compaoré où un appel était lancé à l’ensemble de l’armée, cette fois-ci les manifestants conscients de la fracture au sein de l’armée invitent les autres garnisons militaires du pays à combattre le RSP. Sous la pression des jeunes officiers et chefs corps à travers l’ensemble du pays, le reste de l’armée décide de marcher sur Ouaga afin de contraindre les putschistes à déposer les armes. Cet acte est à considérer comme un sursaut d’orgueil et un règlement de comptes de la frange la plus importante de l’armée longtemps délaissée au profit du RSP. Un accord signé entre les loyalistes et les putschistes sous l’égide des autorités coutumières, représentées pour la circonstance par le Mogho Naba, Empereur des Mossi, évite l’affrontement militaire. Il est évident que les contraintes de la rue, des forces loyalistes et de la communauté internationale poussent les putschistes à restituer le pouvoir aux autorités de la transition. Mais le facteur le plus déterminant dans cette sortie de crise reste la résistance citoyenne. C’est fort de cette résistance que les jeunes officiers et chefs de corps se résolvent à aller combattre les putschistes, contraignant du coup la hiérarchie militaire à abonder dans leur sens. Le mea culpa du général putschiste fait à la sortie de la cérémonie de restitution du pouvoir corrobore le rôle déterminant de la contestation populaire dans sa décision de restituer le pouvoir. Il affirme : « [a]ujourd’hui, quand on parle de démocratie, on ne peut pas se permettre de faire des actions de ce genre. Mais, cela s’est passé, compte tenu d’un certain nombre de raisons que nous avons évoquées lors de la proclamation (du coup d’état). Nous avons vu ce qui s’est passé. Nous avons su que le peuple n’était pas favorable. C’est pour ça que nous avons tout simplement abandonné ». La fin du CND consacre le basculement du rapport de force en faveur du reste de l’armée et du gouvernement qui voit sa légitimité se renforcer. Les circonstances étant favorables, le premier conseil des ministres de l’après-coup d’État décrète la dissolution du RSP [38]. Par la suite, le désarmement du RSP se fait après un assaut lancé contre la garnison presque vide des putschistes avant que des poursuites pénales soient lancées contre les auteurs et les complices du coup d’État.
33* * *
34L’histoire politique du Burkina ne peut s’écrire sans l’armée. Cette institution participe à la construction de l’État au Burkina en monopolisant la direction du pays pendant plus de quatre décennies. Considérés comme le socle du régime Compaoré, les militaires participent néanmoins à faire échec aux velléités d’enracinement au pouvoir du régime Compaoré. Ils se sont ralliés de gré ou de force, aux aspirations d’alternance exprimée par une population burkinabè déterminée à empêcher toute modification du mandat présidentiel prévu à l’article 37 de la Constitution. Durant ces révoltes, les militaires expérimentent trois scénarii observés dans les révolutions arabes : la fraternisation avec les manifestants comme en Tunisie ; la division interne de l’armée entre les partisans des manifestants et ceux du président Compaoré comme en Libye ; et la pression supplémentaire de la hiérarchie qui convainc le Président de démissionner avant de revendiquer la gestion du pouvoir comme en Égypte (Lutterbeck, 2013).
35Même si l’armée a remis le pouvoir aux civils, ces derniers ne sont pas les seuls à le gérer. Sans doute habitués à monopoliser la vie politique burkinabè depuis 1966, les militaires n’ont pas encore intégré l’idée qu’il puisse se mettre en place un pouvoir politique sans qu’ils n’en soient des parties prenantes. De même, leur proximité institutionnelle avec l’appareil étatique et les sphères de décisions nourrit probablement leurs ambitions politiques dans un contexte de faible institutionnalisation où la culture démocratique peine à s’ancrer. La transition burkinabè n’échappe donc pas aux ambitions politiques des FDS. Plutôt que d’être une transition civile, elle est de nature civilo-militaire puisque les militaires se retrouvent encore au cœur du pouvoir. En effet, ils conservent une influence considérable dans la gestion de cette transition civile au parfum militaire. Certes, la débâcle du RSP n’alerte pas fondamentalement le poids de l’armée dans la vie politique burkinabè, notamment dans cette transition où les FDS sont à la fois garantes de la sécurité et des acteurs politiques constitutionnellement consacrés. Certes, il existe un renouveau dans les relations civilo-militaires burkinabè puisque l’armée semble s’être réconciliée avec la population dans la lutte contre le RSP. Mais la dépolitisation de l’armée s’impose. Envisager une réforme globale d’une armée habituée depuis 1966 à influencer la vie politique demeure un impératif pour l’édification du processus démocratique burkinabè. Mais en attendant la restructuration en profondeur de l’armée du Faso, l’expérience burkinabè nous invite à mettre en lumière ce double enseignement : le recours au contrôle et à la résistance citoyen(ne) comme des armes contre les présidences à vie et les coups d’État à condition d’avoir un écho favorable au sein de l’armée d’une part, et le rôle important des autorités coutumières dans la gestion des crises politiques et militaires dans un État moderne où les populations restent attachées aux valeurs de la tradition d’autre part.
Bibliographie
Bibliographie
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- Chef de file de l’opposition burkinabè (CFOP), 30 octobre 2014, Extrait de la déclaration, lobservateur.bf, Ouagadougou. (http://lobservateur.bf/index.php/politique/item/2945-hier-soir-au-cfop-c-etait-chaud-chaud-chaud)
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- Ouédraogo A., 11 novembre 2014, Entretien avec Djibril Bassolé (http://www.lobservateur.bf/index.php/politique/item/3012-transition-a-domicile-avec-djibril-bassole), lobservateur.bf, Ouagadougou.
- Ouédraogo E., 1996, Voyage de la Haute Volta au Burkina Faso, Ouagadougou, éditions Paalga.
- Proclamation du général Nabéré Honoré Traoré (http://lefaso.net/spip.php?article61552), 31 octobre 2014, lefaso.net, Ouagadougou.
- Régiment de sécurité présidentielle, 11 février 2015, Déclaration (lefaso.net/spip.php?article63183), lefaso.net, Ouagadougou.
- Régiment de sécurité présidentielle, 7 février 2015, Communiqué de presse, (http://lefaso.net/spip.php?article63128) lefaso.net, Ouagadougou.
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- Schiff R. L., 1995, « Civil-military Relations Reconsidered : A Theory of Concordance », Armed Forces & Society n° 22, 1.
Notes
-
[1]
De 1966 à 2014, on dénombre neuf putschs réussis dont deux dans la seule journée du 31 octobre 2014.
-
[2]
Le CNR est l’organe dirigeant du régime militaire du capitaine Sankara. Les régimes militaires qui le précèdent sont : le Gouvernement militaire provisoire (GMP) du capitaine Lamizana (1966-1970) ; le Gouvernement du Renouveau National (GRN) du général Lamizana (il a évolué en grade) (1974-1978) ; le Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN) du colonel Saye Zerbo (1980- 1982) ; le Conseil de Salut du peuple (CSP I et CSP II) du commandant Jean-Baptiste Ouédraogo (1982- 1983).
-
[3]
Le Front Populaire est l’organe dirigeant de la nouvelle junte au pouvoir.
-
[4]
Aux termes de l’article 14 de la loi n°009-2009/AN du 14 avril 2009 portant statut de l’opposition politique, le CFOP est le porte-parole de l’opposition. Il est désigné au sein du parti d’opposition ayant obtenu le plus grand nombre de sièges au parlement. Le Chef de l’opposition au moment de l’insurrection est Zéphirin Diabré de l’Union pour le progrès et le changement (UPC).
-
[5]
On y retrouve notamment le Focal, le Balai citoyen, le Collectif Anti Référendum, le M21, etc.
-
[6]
Dans la hiérarchie des normes juridiques, la charte a la même valeur que la constitution.
-
[7]
Des militaires du RSP sont désignés comme de « sérieux suspects » dans le rapport de la commission d’enquête indépendante instituée par décret pour mener des investigations sur la mort du journaliste Norbert Zongo et de ses compagnons.
-
[8]
De ces trois séries de mutineries, celles de 2011 demeurent les plus graves par leur ampleur, leur mode opératoire et leurs conséquences (l’envergure nationale, car elles se sont propagées à toutes les régions militaires y compris dans les rangs du RSP ; la fuite du Président du Faso du palais présidentiel ; les destructions des biens des chefs militaires et des autorités politiques ; le limogeage de l’ensemble des chefs d’État majors ; la restructuration de nombreux régiments ; la formation d’un nouveau gouvernement et la résiliation du contrat de 566 militaires, dont 2 du RSP.
-
[9]
Conférence du chef d’état-major général des armées du jeudi 14 juillet 2011 (http://lefaso.net/spip.php?article43018) sur la résiliation de contrats de personnels militaires des forces armées nationales, consulté le 15 février 2015.
-
[10]
Service de communication du RSP, 2015, Déclaration, (www.lefaso.net/spip.php?article63183) 10 février 2015.
Le RSP est créé par décret n° 95-4821PRESIPRESIDEF du 21 Novembre 1995 portant création d’un Corps Spécial dénommé « Régiment de Sécurité Présidentielle » au sein des Forces Armées. Il provient du 1er Bataillon du Centre National d’Entraînement Commando de Pô (CNEC) qui avait pour mission d’assurer la protection du Capitaine Thomas Sankara quand il était au pouvoir. Ce sont ces mêmes militaires qui participent au putsch contre Sankara, ils continuent donc d’assurer la sécurité du Président Compaoré. -
[11]
La rumeur de milices venant prêter main-forte au régime était répandue à la place de la Révolution (lieu symbolique de regroupement des manifestants).
-
[12]
Déclaration du Front de résistance citoyenne, (http://lefaso.net/spip.php?article61509) Ouagadougou, le 29 octobre 2014.
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[13]
Discours du lieutenant-colonel Zida à l’occasion de la signature de la Charte de la transition, (http://lefaso.net/spip.php?article61821) Ouagadougou, le 16 novembre 2014.
-
[14]
Le risque pour les militaires de répondre personnellement de leurs actes devant la Cour pénale internationale en cas de crimes contre l’humanité n’est pas exclu.
-
[15]
Extrait de la déclaration du CFOP (http://lobservateur.bf/index.php/politique/item/2945-hier-soir-au-cfop-c-etait-chaud-chaud-chaud) du 30 octobre 2014.
-
[16]
Le Balai citoyen est un regroupement d’organisations de la société civile créé en 2013 afin de lutter pour un changement démocratique au Burkina. Au départ, l’objectif du Balai était de s’opposer à la mise en place du Sénat jugé inopportun pour le Burkina Faso.
-
[17]
Ce dernier est soupçonné d’avoir contribué à déjouer et à reformer le dispositif de sécurité initialement prévu pour réprimer les révoltes.
-
[18]
Entretien réalisé par Adama Ouédraogo, (http://www.lobservateur.bf/index.php/politique/item/3012-transition-a-domicile-avec-djibril-bassole) Ouagadougou, le 11 novembre, L’observateur Paalga.
-
[19]
Communiqué du Chef d’état-major général des forces armées, Ouagadougou, le 30 octobre 2014.
-
[20]
L’existence juridique de l’Assemblée nationale dans les événements en cours semble poser des problèmes puisqu’elle a été dissoute par le chef d’Etat-major sous l’état de siège, mais pas par le Président. Cette dissolution ne semble pas respecter la constitution, car si on se réfère à l’article 106 de la constitution, « Le Parlement se réunit de plein droit en cas d’état de siège, s’il n’est pas en session. L’état de siège ne peut être prorogé au-delà de quinze jours qu’après autorisation du Parlement ». Donc, par interprétation de cette disposition, il ne peut être procédé à la dissolution de l’Assemblée nationale pendant l’état de siège. La dissolution de l’Assemblée nationale est donc illégale, voire anticonstitutionnelle.
-
[21]
Voir la proclamation du général Nabéré Honoré Traoré, (http://lefaso.net/spip.php?article61552) Ouagadougou, 31 octobre 2014.
-
[22]
Le MPP est un parti politique créé par les dissidents de l’ex-parti au pouvoir.
-
[23]
Déclaration sur RFI le 31 octobre 2014.
-
[24]
L’article 108 de la Constitution de la IIème République dispose : « Pendant une période de quatre ans, les dispositions suivantes seront appliquées : (a) Les charges et prérogatives du Président de la République seront assumées par la personnalité militaire la plus ancienne dans le grade le plus élevé ; (b) Le Gouvernement comprendra des personnalités militaires dans la proportion de un tiers (1/3) de ses membres ».
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[25]
Il est régulièrement admis que la société civile n’a pas pour vocation à diriger le pouvoir d’État, mais de le contrôler ou de l’influencer en jouant un rôle de contre-pouvoir. Mais au Burkina, on se retrouve dans un cas atypique où la société civile gouverne dans une large coalition avec les militaires et les partis politiques.
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[26]
Il s’agit du Président de l’Assemblée nationale, Soungalo Ouattara.
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[27]
Le RSP obtient le limogeage de ce ministre après la mutinerie du 29 juin 2015.
-
[28]
Ce ministère ne semble pas être un ministère clé. Mais, il est généralement occupé par un militaire.
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[29]
Le Président du Faso s’attribue ce ministère à l’issue de la mutinerie du 29 juin 2015.
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[30]
L’armée avait voulu que le CNT soit un organe consultatif dirigé par un militaire.
-
[31]
« La disponibilité est la situation du militaire de carrière appartenant à l’un des cadres constitutifs de l’Armée qui, ayant accompli au moins quinze ans de service dont quatre en qualité de militaire de carrière et autorisé sur sa demande à quitter l’activité pour convenance personnelle, sans que ce départ ait un caractère définitif » (Article 143 de la loi n°037-2008/AN du 29 mai 2008 portant Statut général des personnels des forces armées nationales).
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[32]
Communiqué de presse du RSP, (http://lefaso.net/spip.php?article63128) Ouagadougou, le 06 février 2015.
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[33]
C’est ce dernier qui a fait procéder aux interpellations des officiers du RSP.
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[34]
Il s’agit en l’occurrence du ministre de la Fonction publique, Augustin Loada et du ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme, Réné Bagoro, tous deux accusés par les putschistes d’être proches des organisations de la société civile anti RSP.
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[35]
A la séance des questions réponses après son discours à la nation du 12 juin, le Premier ministre affirme ceci : « l’armée a besoin du RSP, le pays a besoin du RSP. Nous sommes en train de travailler pour lui donner beaucoup plus d’importance, lui donner une bonne place au sein de la nation. On ne peut dissoudre un régiment de cette façon. Comme le dirait quelqu’un, si vous tuez votre chien parce qu’il n’aboie pas, c’est la chèvre du voisin qui va vous mordre. Ça fait vingt ans que je suis au RSP, je connais les capacités de ce régiment, je confirme que nous en avons besoin », Tiga Cheick Sawadogo, « Yacouba Isaac Zida face aux députés du CNT : “Je connais les capacités du RSP, je confirme que nous en avons besoin” », Lefaso.net (http://lefaso.net/spip.php?article65240), 13 juin 2015.
-
[36]
Cette commission mise en place dès le début de la transition est « chargée de restaurer et de renforcer la cohésion sociale et l’unité nationale » (article 17 de la Charte de la Transition). Elle est majoritairement composée des représentants de la société civile et des partis politiques ayant participé à l’insurrection.
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[37]
Proclamation du Conseil national de la démocratie du 17 septembre 2015.
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[38]
Une note interne à l’armée procède au redéploiement des éléments du RSP dans les autres garnisons militaires.