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Article de revue

Pour une approche biographique de l’engagement dans les armées

Pages 47 à 70

Notes

  • [1]
    Jean-François Léger, Les jeunes et l’armée, Paris, L’Harmattan, 2004.
  • [2]
    Nous utilisons cette expression en référence à Robert Castel qui considérait la demande sociale de sociologie comme « la demande que la société […] adresse à la sociologie » et les attentes de gain d’intelligibilité du monde social qui en découle. On peut se reporter à Robert Castel, « La sociologie et la réponse à la “demande sociale” », Sociologie du travail, 42 (2), 2000, p. 281-287. Adressée par des acteurs extérieurs à la discipline, cette demande passée sur un marché de la prestation intellectuelle oriente le travail sociologique dans certaines directions, lui impose des contraintes de formats, et a des effets notables sur les connaissances et savoirs susceptibles d’être produits dans ce contexte. Voir à ce sujet François Granier, Pascal Moisset, Pascal Thobois, « Avant-propos. Des sociologues sur le fil de la demande », Sociologies pratiques, 37, 2018, p. 1-7, ou encore François Granier, Laurence Ould-Ferhat, Pascal Thobois, « Avant-propos. Où en est la demande sociale de sociologie aujourd’hui ? », Sociologies pratiques, 36, 2018, p. 1-8.
  • [3]
    Jean-Pierre H. Thomas, Le centre de sociologie de la défense nationale (1969-1994), Paris, CSDN, 1994 ; Barbara Jankowski, Pascal Vennesson, « Les sciences sociales au ministère de la Défense. Inventer, négocier et promouvoir un rôle », dans Philippe Bezes et al. (dir.), L’État à l’épreuve des sciences sociales. La fonction de recherche dans les administrations sous la Ve République, Paris, La Découverte, 2005, p. 267-294 ; Christel Coton, « La culture de la distinction. Unité institutionnelle et lignes de tensions au sein du corps des officiers de l’armée de terre », thèse de sociologie, université Paris 7-Diderot, 2008 ; Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « La relève stratégique : une première histoire du soutien aux jeunes chercheurs sur les questions de défense et de sécurité », Les Champs de Mars, 30, p. 9-43, 2018.
  • [4]
    Mathias Thura, « Armer le lecteur. Pour une relecture de la sociologie militaire française à l’aune de ses conditions institutionnelles de production », Dynamiques internationales, 11, 2016, http://dynamiques-internationales.com/wp-content/uploads/2016/02/Thura-DI-11.pdf.
  • [5]
    Christel Coton, « La culture de la distinction. Unité institutionnelle et lignes de tensions au sein du corps des officiers de l’armée de terre », thèse citée.
  • [6]
    Pascal Vennesson, « Sciences sociales et défense : de l’“aide à la décision” à la contribution à l’action publique », Les Champs de Mars, 11, 2002, p. 341-348.
  • [7]
    Pour un aperçu complet des travaux produits à cette époque par le CSDN, dont les communications dans les colloques et journées d’études, se référer au catalogue des activités et publications contenu dans le bilan d’activité du centre (Thomas 1994). Ce document est consultable au Centre de documentation de l’École militaire à Paris.
  • [8]
    Jean-Pierre H. Thomas, Le centre de sociologie de la défense nationale (1969-1994), op. cit., p. 9 et suiv.
  • [9]
    Id., « Fonction militaire et systèmes d’hommes », dans Henry Tézenas du Montcel (dir.), Les hommes de la défense, Paris, FEDN, 1981, p. 19-41.
  • [10]
    François Vieillescazes, « L’engagement volontaire dans l’armée de terre. Une analyse exploratoire », Revue française de sociologie, 19 (3), 1978, p. 341-372 ; Michel Blanc, Le prix de la fidélité. Analyse des stratégies de carrière à l’aide d’un modèle générateur, Paris, SOWI-CSDN, 1980 ; Jacques Thouvenin, « Passé scolaire et filières d’engagement dans l’armée de terre : contribution à la connaissance de la ressource en personnels non officiers », thèse de sociologie, EHESS, 1980.
  • [11]
    Christian Rosenzveig, Jean-Pierre Thomas Hubert, « Attitudes des sous-officiers des trois armées. Dépouillement d’une enquête de sociologie militaire », Cahiers de l’analyse des données, 4 (1), 1979, p. 7-27 ; Étienne Schweisguth, Mariette Sineau, Françoise Subileau, Techniciens en uniforme. Les sous-officiers de l’armée de l’air et de la marine, Paris, Presses de Sciences Po, 1979 ; Michel Blanc, « Contribution à la sociologie de la mobilité sociale et professionnelle. Les sous-officiers de l’armée de l’air : essai d’application d’un modèle d’analyse de type stratégique », thèse de sociologie, université Paris 4, 1981.
  • [12]
    Bastien Irondelle, La réforme des armées en France. Sociologie de la décision, Paris, Presses de Sciences Po, 2011, p. 143 et suiv.
  • [13]
    Philippe Mellet, Le recrutement des sous-officiers. Valeurs de société et logiques d’engagement, Paris, CSDN, 1994.
  • [14]
    Ibid., p. 5-6.
  • [15]
    Le catalogue des études produites par la DRHAT entre 2000 et 2014 contient différentes entrées qui laissent à penser que cette grille d’analyse – en termes de motivations individuelles, d’attentes, de perceptions du milieu professionnel – inspirée par la psychologie sociale est encore utilisée au sein des armées. Le plan d’enquête sociologique pour les années 2013-2014 émanant de la direction des ressources humaines du ministère de la Défense, dont nous avons pu consulter la note d’intention, évoque des études en cours sur « les attentes des engagés (motivations, carrières…) et évolutions de ces attentes (personnel militaire) ».
  • [16]
    Michel Lhoste, Analyse du sous-système « Information, recrutement, sélection » des engagés volontaires de l’armée de terre, Paris, CSDN, 1995.
  • [17]
    Ce baromètre est actuellement tenu par la Délégation à l’information et à la communication de la Défense (DICOD), dont un des services a pour mission d’administrer la commande et la réalisation d’enquête par sondage pour le ministère.
  • [18]
    Barbara Jankowski, Pascal Vennesson, « Les sciences sociales au ministère de la Défense. Inventer, négocier et promouvoir un rôle », art. cité.
  • [19]
    Odile Benoît-Guilbot, Jean-Vincent Pfirsch, La décision d’engagement volontaire des militaires du rang, Paris, C2SD, 1998.
  • [20]
    Ibid., p. 28.
  • [21]
    Ibid., p. 73 et suiv.
  • [22]
    Emmanuelle Lada, Chantal Nicole-Drancourt, Image(s) de l’armée et insertion des jeunes, Paris, C2SD, 1998.
  • [23]
    Ibid., p. 84.
  • [24]
    Olivier Galland, Jean-Vincent Pfirsch, Les jeunes, l’armée et la nation, Paris, C2SD, 1998.
  • [25]
    Jean-François Léger, Les jeunes et l’armée, op. cit., p. 2 et suiv.
  • [26]
    Ibid., p. 30 et suiv.
  • [27]
    Le terme est strictement à entendre ici au sens de « servir de moyen ». La réponse à la demande sociale de sociologie, et plus généralement d’expertise au sein d’une organisation, sert souvent de légitimation d’un diagnostic déjà posé, d’une décision déjà amorcée, ou d’une option stratégique déjà actée en interne (Isabel Boni-Le Goff, « À quoi servent les bureaux et les cabinets de conseil ? Espaces, biens symboliques et techniques de gouvernement », Genèses, 99, 2015, p. 48-68 ; Pascal Thobois, « Entretien avec Alexandre Lagier », Sociologies pratiques, 36, 2018, p. 11-16).
  • [28]
    Les calques de la phase B du questionnaire administré par Jean-François Léger et reproduits à l’annexe 5 de Les jeunes et l’armée sont révélateurs de cette importation des catégories de l’entendement institutionnel dans les grilles du questionnement scientifique (Jean-François Léger, Les jeunes et l’armée, op. cit., p. 350 et suiv.).
  • [29]
    Charles C. Moskos, Frank Wood (eds), The Military : More Than Just a Job ?, Washington (Wash.), Pergamon-Brassey’s, 1988.
  • [30]
    Christel Coton relève que l’institution militaire « aime à se présenter comme un ordre suspendu, spécifique et bien à distance des logiques [sociales] prévalant ailleurs » (Christel Coton, Officiers. Des classes en lutte sous l’uniforme, Marseille, Agone, 2017, p. 20). Ces études commandées par l’institution vont dans le même sens : elles suspendent les logiques de l’engagement militaire hors de l’ordre social.
  • [31]
    En référence au titre du numéro thématique « Devenirs militants » publié dans la Revue française de science politique et qui soulève sur de tout autres terrains le même ordre de questionnement que celui qui anime la démarche de cet article (Nonna Mayer, Olivier Fillieule, « Devenirs militants. Introduction », RFSP, 51 [1-2], 2001, p. 19-25).
  • [32]
    Elyamine Settoul, « Contribution à une sociologie de l’engagement des militaires issus de l’immigration », thèse de sciences politiques, Paris, Sciences Po, 2012 ; Jeanne Teboul, Corps combattant. La production du soldat, Paris, Éditions de la FMSH, 2017 ; Mélanie Guillaume, « “S’en remettre” à l’institution militaire. Les conditions sociales de l’engagement dans l’armée », Émulations, 25, 2018, p. 97-113.
  • [33]
    Olivier Fillieule, « Propositions pour une analyse processuelle de l’engagement individuel », RFSP, 51 (1-2), 2001, p. 199-215, ici p. 199.
  • [34]
    Claude Dubar, Les biographies en sociologie, Paris, La Découverte, 2017.
  • [35]
    Howard Becker, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985 ; Everett Hughes, Le regard sociologique, Paris, Éditions de l’EHESS, 1996, p. 175 et suiv. ; Muriel Darmon, « La notion de carrière : un instrument interactionniste d’objectivation », Politix, 82, 2008, p. 149-167.
  • [36]
    Marc Bessin, « Parcours de vie et temporalités biographiques : quelques éléments de problématique », Informations sociales, 156, 2009, p. 12-21.
  • [37]
    Claire Bidart, « Crises, décisions et temporalités : autour des bifurcations biographiques », Cahiers internationaux de sociologie, 120, 2006, p. 29-57.
  • [38]
    Les noms des enquêtés ont été systématiquement modifiés, tout comme certains éléments secondaires et accessoires de leurs biographies afin de maximiser la garantie d’anonymat.
  • [39]
    Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, 62 (1), 1986, p. 69-72.
  • [40]
    Joël Laillier, « Des familles face à la vocation. Les ressorts de l’investissement des parents des petits rats de l’Opéra », Sociétés contemporaines, 82, 2011, p. 59-83.
  • [41]
    Christine Mennesson, « Être une femme dans un sport “masculin” », Sociétés contemporaines, 55 (3), 2004, p. 69-90.
  • [42]
    Clothilde Lemarchand, « Unique en son genre… Orientations atypiques de lycéens et de lycéennes au sein de filières techniques et professionnelles », dans Yvonne Guichard-Claudic, Danièle Kergoat, Alain Vilbrot (dir.) L’inversion du genre. Quand les métiers masculins se conjuguent au féminin… et réciproquement, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 57-69 ; Christine Mennesson, Jean-Paul Clément, « Boxer comme un homme, être une femme », Actes de la recherche en sciences sociales, 179, 2009, p. 76-91.
  • [43]
    Katia Sorin, Femmes en armes, une place introuvable ? Le cas de la féminisation des armées françaises, Paris, L’Harmattan, 2003 ; Claude Weber (dir.), Femmes militaires, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.
  • [44]
    Jeanne Teboul, « Un choix professionnel “atypique” ? Étude du parcours biographique de quelques jeunes femmes candidates à l’engagement militaire », dans Claude Weber (dir.) Femmes militaires, op. cit., p. 63-72.
  • [45]
    Jeanne Teboul, Corps combattant. La production du soldat, op. cit., p. 42 et suiv.
  • [46]
    Akim Oualhaci, Se faire respecter. Ethnographie des sports virils dans des quartiers populaires en France et aux États-Unis, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017.
  • [47]
    Christel Coton, Officiers. Des classes en lutte sous l’uniforme, op. cit. ; Jeanne Teboul, Corps combattant. La production du soldat, op. cit. ; Mélanie Guillaume, « “S’en remettre” à l’institution militaire. Les conditions sociales de l’engagement dans l’armée », art. cité.
  • [48]
    Jean-Claude Passeron, Jacques Revel (dir.), Penser par cas, Paris, Éditions de l’EHESS, 2005.
  • [49]
    Jeanne Teboul, Corps combattant. La production du soldat, op. cit. ; Mélanie Guillaume, « “S’en remettre” à l’institution militaire. Les conditions sociales de l’engagement dans l’armée », art. cité.
  • [50]
    Christel Coton, Officiers. Des classes en lutte sous l’uniforme, op. cit.

1« Qu’est-ce qui peut inciter un jeune […] à s’intéresser aux métiers militaires ? » En introduisant son ouvrage Les jeunes et l’armée par cette interrogation, Jean-François Léger reprend et formule l’enjeu central auquel se confrontent les directions des ressources humaines des armées françaises [1] : comment remplir les tableaux d’effectifs des unités, allouer la main-d’œuvre militaire de façon optimale, gérer les carrières et répondre aux aspirations professionnelles des soldats, mais aussi mesurer le « vivier » de volontaires potentiels, les atteindre, susciter leur engagement, les recruter et les « fidéliser » ?

2Pour répondre à ces questionnements institutionnels, la sociologie et la psychologie ont été mobilisées au sein d’organismes de recherche inscrits dans le périmètre des armées et associant des officiers, des universitaires et des étudiants. Que ce soit au sein du Centre de sociologie de la défense nationale (CSDN) créé en 1969, puis du Centre d’études en sciences sociales de la Défense (C2SD) qui l’a remplacé à partir de 1995, ou encore de l’Observatoire social de la défense (OSD), et plus récemment de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) créé en 2010, la demande militaire de sociologie[2] émise a trouvé des réponses sous la forme de journées d’études et de colloques, de mémoires, de thèses et de rapports [3]. Un ensemble de savoirs a ainsi été produit sous la forme d’une littérature grise et experte, souvent écrite à destination des décideurs militaires, et dont une partie a par ailleurs été convertie en publications scientifiques [4]. Cette littérature constitue un héritage – connu ou oublié – pour qui s’intéresse à l’institution militaire. Et comme tout héritage, elle participe au cadrage implicite des manières dont l’entrée dans la carrière militaire a jusqu’ici été appréhendée, étudiée, analysée et comprise.

3Autour de la notion d’« engagement », l’intention de cet article est double. Dans un premier temps, il s’agit de revenir sur la littérature existante sur le sujet et sur le contexte et les conditions institutionnelles dans lesquelles a émergé la problématique de l’engagement des soldats et dans lesquelles s’est structuré l’espace des pensables sur la question au sein de l’institution militaire. Cette rétrospective permettra de mettre au jour certains présupposés et impensés dans les problématisations, voire certaines limites inhérentes aux méthodologies et aux formats de restitution des résultats de ces enquêtes. L’attention portée sur la détermination des causes de la prise d’engagement, sur les valeurs qui lui seraient sous-jacentes, mais aussi sur les représentations et les attentes des recrues potentielles vis-à-vis de l’institution découle de la demande militaire de sociologie pour rendre intelligibles les mécanismes du recrutement, mais aussi pour mesurer la taille du vivier des recrues potentielles. À partir de cette relecture, il s’agira dans un second temps de proposer le passage à une approche qui prend résolument en compte les biographies et les dispositions des agents. Le changement de perspective proposé déplace dès lors l’explication depuis les motivations exprimées par les individus vers les contextes socialisateurs et les configurations sociales concrètes dans lesquelles opère la genèse de leur prise d’engagement. À travers une série de cas rencontrés au cours de deux terrains d’enquête réalisés dans différentes unités de l’armée de terre, nous esquisserons quelques pistes pour réinterpréter les multiples logiques et trajectoires qui sous-tendent l’entrée et le maintien dans la fonction militaire.

Genèse de la question de l’engagement au sein des armées

4En France, un large pan des travaux produits sur les armées est la résultante de commandes adressées aux sociologues par l’institution militaire, principalement sous la forme d’enquêtes et de rapports ad hoc répondant à des enjeux gestionnaires liés à la maîtrise du « facteur humain [5] ». Passée à des fins d’aide à la décision [6], cette demande impose ses contraintes aux scientifiques : des problématiques à traiter en particulier et des formats dans lesquels restituer leurs résultats. La lecture des rapports et de la déclinaison des publications qui en découle permet de reconstituer le paradigme institutionnel dans lequel fut pensé l’engagement des soldats : un ensemble d’enjeux directement lié au recrutement et à l’optimisation de la gestion des carrières des personnels militaires.

Comprendre les hommes pour optimiser la gestion des carrières

5La problématique apparaît durant les années 1970 et s’affirme dans le courant des deux décennies suivantes. En témoignent les travaux réalisés à cette époque au sein du CSDN. Plusieurs publications traitent le sujet entre 1969 et 1994 [7]. Elles sont le résultat de contrats de recherche visant à améliorer la gestion de la main-d’œuvre militaire et à optimiser les dépenses de formation. Durant toute cette période, le CSDN adopte une politique scientifique en réponse aux besoins du commandement. Inspiré par la démarche réformiste du sociologue des organisations Michel Crozier, son directeur, Jean-Pierre H. Thomas, lui-même fils d’officier et directeur de recherche au CNRS, considère que les armées offrent une « situation de quasi-laboratoire », et que les sciences sociales doivent « pouvoir contribuer à la décision, au moins en ce qui concerne la politique des ressources humaines » [8].

6Deux approches sont alors privilégiées : d’une part la sociologie des organisations et l’observation in situ du fonctionnement des différentes composantes militaires, et d’autre part les méthodes quantitatives. Dans ce cas, les sondages d’opinion d’une part, et le traitement informatisé des bases de données du personnel d’autre part, sont les deux modalités d’enquête privilégiées. L’armée y est appréhendée comme un système organisationnel [9] dans lequel les trajectoires individuelles sont modélisées à l’aune des théories des choix stratégiques et à la faveur d’une analyse des « valeurs » et des « motivations ». La question n’est pas encore de comprendre les déterminants de l’engagement, mais plutôt de doter les services des ressources humaines d’indicateurs et d’outils pour connaître la population militaire, afin d’en optimiser la gestion. Si les origines sociales et les parcours scolaires sont scrutés, c’est avant tout pour déterminer si ces variables ont des effets sur les choix d’orientation entre différentes spécialités professionnelles au sein de la division du travail militaire [10], mais aussi pour appréhender les stratégies individuelles de carrière et maîtriser les coûts de formation des personnels par le biais de modélisation des conduites [11]. Dans ces différents travaux, les caractéristiques sociodémographiques des individus servent à décrire la population observée : il s’agit de tracer le portrait, à grands traits, de l’échantillon sondé ou de la population totale de l’enquête. Les valeurs et les motivations sont mesurées par le biais de sondages réalisés auprès de militaires professionnels, afin de documenter leur rapport à l’institution et à leur travail. Les trajectoires individuelles antérieures ne sont pas encore intégrées dans la structuration d’une problématique liée au recrutement, ou alors que très partiellement. Un premier pas est fait dans ce sens en 1982, lorsque le CSDN organise avec le Centre d’histoire militaire et d’études de la défense de Montpellier une journée d’étude intitulée « L’engagement et les engagés, analyse sociale », durant laquelle apparaissent des dimensions qui seront plus systématiquement prises en compte par la suite : l’appréhension de l’engagement comme un « moment », le passage entre l’institution scolaire et l’institution militaire, et la différenciation des profils d’engagés en fonction des filières de recrutement.

7En 1994, alors que le plan Armée 2000 anticipe déjà une extension de la professionnalisation des effectifs et que la perspective du passage à une armée de métier devient une hypothèse politiquement probable [12], le CSDN publie deux études qui posent l’enjeu du recrutement des soldats professionnels et de son élargissement anticipé. La première s’appuie sur une enquête par questionnaires réalisée par l’OSD et intitulée « Les chemins qui ont conduit au recrutement », dont les données sont réexploitées par le capitaine de frégate Philippe Mellet dans une étude intitulée Le recrutement des sous-officiers. Valeurs de société et logiques d’engagement[13]. Se référant à la psychologie sociale de Jean Stœtzel, l’auteur y rappelle deux hypothèses : « Un engagement dans les Armées n’est pas concevable sans une adhésion minimale à leur système de valeurs », « Les attentes des jeunes sous-officiers varient selon leur Armée […] d’engagement », et précise que « la connaissance de l’image que se font de jeunes recrues de leur profession permet de mieux cerner leurs motivations à l’engagement et leur adaptation à leur nouveau milieu de vie » [14]. Le recrutement est ici pleinement appréhendé comme un choix professionnel opéré sur le marché du travail, mais aussi comme une orientation en fonction des valeurs revendiquées par les individus et qu’ils manifesteraient par des attitudes qui leur seraient corrélées. Ces valeurs sont ensuite reliées à des « logiques » d’engagement (logique « du baroud », du « commandement », de « métier », « professionnelle ») dont la typification doit permettre l’identification de profils d’investissement de l’individu dans son travail et son comportement probable face aux opportunités de carrières pouvant s’offrir à lui [15]. La seconde étude se consacre à l’analyse de l’organisation du recrutement. Publiée en 1995, alors que la suspension du service militaire n’est pas entérinée, elle acte les transformations en cours au sein des armées, dont la réduction des effectifs et la recherche de parité entre les personnels appelés et les personnels sous contrat et de carrière. L’un de ses points de départ est l’hypothèse du « peu d’élasticité au niveau de la ressource », c’est-à-dire la crainte d’une difficulté à recruter. L’étude cherche alors à identifier des « gisements internes d’amélioration du système » de recrutement et sa performance [16].

8La question de l’engagement au sein des armées est donc d’abord une problématique abordée sous l’angle d’une « ressource » à trouver et à allouer de façon optimale en jouant d’une part sur l’organisation du système de recrutement (versant organisationnel) et d’autre part sur l’image des armées et la rencontre des « attentes professionnelles » d’un vivier potentiel, impliquant de détecter et de comprendre les motivations et valeurs des jeunes candidats afin de susciter leur contractualisation. Cette perspective générale va se doubler d’un intérêt de plus en plus marqué pour l’étude de l’image des militaires et du monde de la défense dans la société, en institutionnalisant notamment un Baromètre de l’opinion des Français sur les armées [17].

Décrypter les attentes des jeunes pour mieux les recruter

9La suspension du service militaire et la professionnalisation intégrale des armées s’accompagnent d’un changement manifeste dans la manière dont l’engagement va être étudié : l’optimisation du système d’organisation des carrières laisse place à la recherche de l’optimisation du système de recrutement. La demande militaire de sociologie se déplace alors vers la compréhension de ce qui « attire » les jeunes vers les armées et de la manière dont ces derniers se représentent les armées. Le contexte institutionnel de la recherche en sciences sociales dans les armées évolue aussi durant cette période : le remplacement du CSDN par le C2SD s’accompagne d’une transformation de ses modes de fonctionnement. Ce dernier va poursuivre les grandes lignes de la politique scientifique de son prédécesseur, c’est-à-dire mobiliser les sciences sociales pour apporter une expertise en soutien à l’aide à la décision, mais en fonctionnant désormais comme un véritable guichet émetteur de la demande militaire d’études en sciences sociales à destination du monde universitaire [18]. En 1996, un programme « Gestion des flux du personnel » est lancé à l’initiative d’Henri Mendras, alors président du conseil scientifique du C2SD. Ce programme aboutit à une série de travaux publiée en 1998 dans la collection des « Études du C2SD » et reprise dans une synthèse éditée en 1999. Contrairement à leurs prédécesseurs, ces différentes enquêtes privilégient des méthodes qualitatives, et plus particulièrement les entretiens semi-directifs.

10La première d’entre elles, réalisée par Odile Benoît-Guilbot et Jean-Vincent Pfirsch, s’intitule La décision d’engagement volontaire des militaires du rang. L’armée de terre[19]. L’un des objectifs des auteurs est de déterminer si la population des jeunes engagés volontaires présente des spécificités sociales ou culturelles par rapport à la moyenne de la population de leur classe d’âge. Les auteurs s’y interrogent sur les effets des trajectoires sociales antérieures et sur les motivations ayant pu conduire à l’engagement, ainsi que sur leurs répercussions sur l’identité professionnelle des soldats. L’étude s’articule en deux parties. La première dresse le portrait sociographique des engagés volontaires (structure familiale, origines sociale et géographique, niveau d’étude) puis liste une série de raisons invoquées par les enquêtés pour expliquer leur engagement (la vocation, les réseaux familiaux, l’attrait pour la discipline, le goût du risque, la perspective d’un déploiement en opération extérieure, le désir d’engagement physique ainsi que la possibilité d’accéder rapidement à un emploi). Les auteurs y pointent déjà le faible recours à l’argument de l’idéal patriotique par les enquêtés pour rendre compte de leur désir de s’engager [20]. Dans la seconde partie, ils élaborent une classification des motivations à l’engagement selon quatre profils : des engagés carriéristes (souhaitant exercer le métier de militaire), des idéalistes (poursuivant un accomplissement de soi), des opportunistes (voulant avant tout exercer une profession stable), et des réfugiés (pour qui l’engagement serait un moyen de ne pas perdre pied face à des échecs) [21].

11La même année, l’étude d’Emmanuelle Lada et de Chantal Nicole-Drancourt s’intéresse à l’image et aux représentations que les jeunes arrivant sur le marché du travail se font des armées, afin de déterminer ce qui suscite ou non un attrait pour la fonction militaire [22]. L’étude met en évidence un certain nombre de représentations générales : les armées sont perçues comme un monde étranger, méconnu, demandant un engagement total et imposant des sacrifices, et comme un univers bien différent du monde de l’entreprise. L’étude liste aussi les lieux et établissements dans lesquels l’armée pourrait se positionner pour capter des jeunes en cours de professionnalisation ou à la sortie de leur scolarité, renouant ici directement avec la finalité d’amélioration du système de recrutement. Les autrices proposent aussi « une typologie des jeunes qui, demain, constitueront […] le vivier de l’armée » et dressent la liste des motifs qu’ils invoquent lorsqu’ils envisagent la possibilité d’un engagement. Elles construisent alors trois profils : armée pourquoi pas ?, armée faute de mieux et jeunes en errance. Elles s’intéressent ensuite à la relative méconnaissance que les enquêtés interviewés ont de l’institution, de son organisation, et des conditions d’exercice concrètes des métiers militaires dans les différentes composantes et unités des armées. Elles montrent aussi comment l’armée apparaît à leurs enquêtés comme un espace professionnel à investir et à explorer et que « derrière l’idée de s’engager, c’est bien l’idée de “travailler” qui s’impose au détriment de celle de “servir” une patrie [23] ». Enfin, l’étude dresse la liste des moyens d’information et de représentation utilisés par leurs enquêtés pour se renseigner sur l’armée, préfigurant une réflexion sur les moyens propices à une communication à des fins de recrutement.

12La troisième étude prend pour thème Les jeunes, l’armée et la nation[24]. Y sont étudiées cette fois les « attitudes » des jeunes vis-à-vis de l’institution militaire et de la nation. On retrouve en filigrane un présupposé cher aux militaires : l’engagement est la conséquence d’un sentiment d’appartenance national, lui-même relié à une image positive des armées et de ses missions. Sans surprise non plus, une partie de l’étude s’intéresse aux « représentations du métier militaire et [aux] intentions d’engagement », et évalue les facteurs qui aboutissent à la déclaration d’une telle intention : le positionnement politique, la croyance religieuse, la pratique sportive, la présence de militaires dans l’entourage familial, la nationalité des parents et leurs catégories socioprofessionnelles, le type des études poursuivies, le milieu de résidence urbain ou rural, ou encore le sexe.

13Enfin, la thèse de Jean-François Léger, commencée en 1998, marque l’aboutissement de l’entreprise de mesure du « vivier potentiel » des candidats et synthétise l’ensemble des approches mentionnées jusqu’ici. L’ouvrage qui en est tiré, Les jeunes et l’armée, reprend les problématiques RH comme point de départ du questionnement [25] et tente de les traduire en problématique sociologique. L’objectif annoncé est de cerner les « caractéristiques sociodémographiques de la ressource potentielle de main-d’œuvre », de décrire les « attentes professionnelles des jeunes ouverts au marché du travail », de saisir leurs « représentations de l’univers militaire », pour ensuite dégager les « attentes des jeunes qui postulent à un contrat militaire », afin d’estimer quantitativement la taille et la morphologie du « vivier de recrutement des armées [26] ». Croisant une enquête par questionnaires, administrée par téléphone et réalisée avec le soutien de l’Institut français d’opinion publique (IFOP) avec une vaste campagne d’entretiens, l’auteur reprend et agrège les différents axes d’analyse des études susmentionnées : l’état du marché du travail pour les jeunes, leurs attentes professionnelles, leurs représentations et leur connaissance des armées, et les différentes formes d’intérêt pour l’éventuel exercice d’un métier militaire.

14En résumé, les savoirs produits sur l’engagement durant cette période et dans le giron du C2SD présentent les caractéristiques suivantes : une tentative d’estimation de la population des candidats potentiels, un profilage de cette population afin de construire des types d’engagement dont sont déduits des types d’engagés puis sont extrapolés leurs positionnements probables vis-à-vis de l’institution. Pour le dire autrement, il s’agit dans ces travaux de donner aux décideurs militaires des clés pour décrypter la « jeunesse », et les aider à positionner les armées sur le marché du travail afin d’assurer le recrutement permanent de nouveaux soldats.

Une connaissance institutionnellement orientée

15Les savoirs produits sur l’engagement dans les études susmentionnées paraissent orientés par l’agenda de leur commanditaire : par la détermination des sujets traitables, voire dans une certaine mesure par l’importation de problématiques formulées à partir des catégories de l’entendement institutionnel, voire par la réaffirmation de recommandations déjà identifiées. Cette forme d’instrumentalisation [27] inhérente à la réponse à la demande sociale n’invalide pas en soi les constats posés par les études susmentionnées, mais invite à les relire avec un œil critique pour en faire bon usage.

16En premier lieu, les différents travaux dont il est question tendent à réifier les représentations implicites et le discours officiel que porte l’institution sur l’engagement. Dans les sondages qui prennent pour objet les valeurs et les motivations des soldats, les listes d’items proposés aux répondants s’inscrivent systématiquement dans l’horizon de représentations que l’institution porte sur elle-même. Ces listes dressent le portrait des « bonnes » raisons de s’engager aux yeux de l’institution : par devoir, par tradition, par civisme, ou encore pour la nation, pour la patrie, pour la liberté, pour la solidarité, pour la paix, etc. [28]. Employées comme grilles à travers lesquelles les données vont être produites puis interprétées, ces catégories ne sont jamais discutées. Il est cependant délicat de faire la part entre ce qui relève d’une demande du commanditaire (poser telle et telle question durant l’enquête, répondre à tel enjeu posé comme problématique pour les décideurs militaires) et de l’adoption par le sociologue du point de vue de l’institution sur l’objet étudié. Mais dans l’un ou l’autre cas, les effets réificateurs demeurent identiques.

17Ce type de biais n’est cependant pas inhérent aux seuls sondages. Dans les enquêtes qualitatives, les idéaux-types construits pour typifier les profils des engagés reprennent eux aussi les catégories de jugement de l’institution. Par exemple, la détermination d’un engagement de type réfugié tel que proposé par Benoît-Guilbot et Pfirsch semble, elle aussi, adossée au point de vue normatif dominant dans l’institution. Pour le dire autrement, il y a un peu de l’ordre du monde militaire qui s’exprime derrière les profils dressés dans ces études. Ceux qualifiés de carriéristes ou d’idéalistes sont définis dans le sens de l’engagement idéalisé, celui de la vocation et de l’adhésion aux enjeux et règles de l’institution. Le profil des opportunistes s’en éloigne déjà légèrement parce que plus instrumental, plus « banalisé » par rapport à un idéal militaire [29], puisque ce n’est plus la profession militaire en elle-même qui est recherchée, mais un travail, un boulot dans lequel faire carrière. Enfin, celui des réfugiés se caractérise par la négative : la fuite d’une situation extérieure, l’absence de formulation d’un projet personnel, et il apparaît finalement en tout point opposé à l’idéal d’un engagement mûrement réfléchi et authentiquement voulu par l’individu. D’une certaine manière, les sociologues en viennent à analyser, à qualifier et à typifier leurs données dans des catégories qui entretiennent une certaine homologie avec le point de vue que l’institution porte sur l’engagement : le sociologue pense par la négative ce que l’institution tend elle-même à considérer négativement.

18Sur un plan plus strictement méthodologique, l’usage des variables sociodémographiques dans ces différents travaux pose aussi question. L’âge, le sexe, l’origine sociale via la profession des parents ou du père, le niveau scolaire via le diplôme détenu le plus élevé, etc. sont des variables traitées séparément les unes des autres et ne sont presque jamais croisées, en plus d’être mobilisées de façon disjointe à l’analyse des contenus des entretiens. Ce traitement « à plat » et ce découplage des données ont deux conséquences : 1) celle de rendre invisible certains effets de la différenciation sociale – uniquement observable en croisant les variables ; et 2) celle de rendre impossible la mise en relation entre les caractéristiques sociales des individus et leurs prises de position exprimées dans les entretiens. Dès lors, on ne peut pas savoir si les raisons de l’engagement invoquées en entretien par les hommes ou les femmes varient en fonction de leur niveau scolaire ou de leurs origines sociales, ni si les différentes logiques d’engagement distinguées dans les idéaux-types construits par les sociologues renvoient à des profils sociaux homogènes ou hétérogènes. L’engagement dit carriériste a-t-il la même signification et renvoie-t-il aux mêmes motivations/attitudes pour un jeune homme titulaire d’un CAP mécanique issu des classes populaires de milieu rural et engagé comme simple soldat que pour une jeune femme issue des franges supérieures des classes moyennes, diplômée d’une maîtrise de droit, et recrutée comme officier sous contrat ? Les différentes études produites sur l’engagement ne se confrontent pas à cet ordre de question.

19De plus, les extraits d’entretiens ne sont pas non plus situés au regard des caractéristiques des enquêtés qui les prononcent et leurs propos sont dispersés entre différents thèmes sans jamais être saisis dans leur unité. Alors que de nombreuses dimensions de la socialisation des agents peuvent être prises en compte, comme dans l’étude de Galland et Pfirsch, elles demeurent toujours analysées séparément les unes des autres, et leurs effets cumulatifs ou antagoniques ne peuvent dès lors pas être intégrés à l’analyse. Les expériences sociales concrètes qui mènent vers la carrière militaire et le monde social qui en facilite ou non la réalisation disparaissent des résultats contenus dans ces travaux, et les savoirs qui en sont tirés perdent une partie de leur portée strictement sociologique [30]. Ce découplage des variables et l’établissement d’idéaux-types et de profils génériques répondent probablement à l’impératif de rendre rapidement intelligible la complexité et la diversité des situations qui conduisent à l’engagement. Impératif qui s’impose avec d’autant plus de force lorsqu’on sait que ces études doivent pouvoir être résumées en quelques pages – dans certains cas, elles sont abrégées en une fiche transmise en annexe de l’étude – pour les décideurs militaires : la brièveté des synthèses et leurs finalités opérationnelles laissent peu de place aux nuances.

20Enfin, en souscrivant à la problématique institutionnelle du recrutement, ces différents travaux adoptent une perspective temporelle ponctuelle sur l’engagement : ce dernier est rapporté au moment de la contractualisation, à l’acte de s’enrôler, identifié par le moment de la signature qui donne l’illusion que le choix se fait formellement à ce moment précis. Pourtant, la décision de s’engager dans les armées n’opère que rarement à un moment précisément identifié. Elle est plutôt le résultat de formulations qui obéissent à des temporalités hétérogènes, à une idée qui se confirme ou s’infirme dans le cours même de la trajectoire des individus, et dans différentes configurations biographiques.

21Ce recroquevillement de la perspective a des effets sur les savoirs constitués sur l’engagement. Les « devenirs militaires [31] », au sens du processus social et biographique qui opère en amont de l’entrée dans l’institution, mais aussi en aval, au cours des premiers mois de formation [32], voire tout au long de la carrière, sont escamotés et laissent place à une tentative d’identification des « déterminants » sociaux de l’acte d’enrôlement. Dans les travaux du C2SD, alors que les auteurs insistent sur l’importance qu’il faut accorder aux parcours des enquêtés, les trajectoires de ces derniers sont la plupart du temps rapportées à des variables d’état. Si des parcours scolaires sont bien évoqués, c’est avant tout les filières et le niveau d’étude qui sont retenus, et pas la temporalité et le cheminement de ces parcours (les redoublements, les bifurcations et réorientations, les rapports entretenus à l’institution scolaire). Il en est de même pour les trajectoires familiales ou résidentielles. De la sorte, les processus de socialisation, leur différenciation entre les sexes et les classes sociales, leur hétérogénéité relative au sein d’une même sous-population ne peuvent pas être prises en compte ni exploitées pour rendre compte des mécanismes sociaux concrets qui sous-tendent les logiques de l’engagement invoquées dans les entretiens ou dans les questionnaires. Au final, pour reprendre les mots d’Olivier Fillieule, « la connaissance sociologique des conditions et des formes de passage à l’acte y demeure opaque. On ne sait pas selon quelle modalité une disposition à se traduit par une action effective [33] », ici une embauche dans les rangs des armées françaises.

Pour une analyse biographique des « carrières » d’engagement militaire

22Le paradigme dominant au sein de l’institution militaire pour analyser les logiques de l’engagement ne permet donc pas d’appréhender le caractère processuel ni la temporalité du phénomène étudié. L’attention mise sur les déterminants de ce dernier ou sur le profilage des recrues afin de déterminer leurs attitudes vis-à-vis de leur métier ne permet pas d’en appréhender le caractère processuel, ni son inscription dans différents espaces sociaux. À l’échelle de l’individu, les mécanismes sociaux à l’œuvre dans la genèse et la formulation de l’idée d’un devenir militaire, les ressources qu’il mobilise à cette fin, les étapes qui y conduisent et les configurations au travers desquelles elles se réalisent demeurent globalement méconnus. À cette fin, les concepts de trajectoires biographiques[34] et de carrières[35] sont particulièrement opératoires pour saisir ces dynamiques : ils permettent d’enquêter empiriquement et avec plus de densité les manières dont se déroulent concrètement les devenirs individuels en interaction avec différentes instances de socialisation.

23Les cas présentés ci-après permettront au lecteur d’apercevoir comment une analyse qui tient compte des trajectoires et des récits biographiques nuance et complète les connaissances établies jusqu’ici sur l’engagement militaire, et préfigure de nouvelles manières de questionner les soldats sur ce qui les fait venir et tenir à l’institution.

Trajectoires biographiques et moment de l’engagement

24Une approche processuelle de l’engagement n’interdit en rien de s’intéresser au moment de la prise d’engagement, à condition d’articuler ce dernier avec le reste de la trajectoire biographique et des cursus sociaux institutionnalisés [36]. La prise d’engagement s’inscrit dans les différentes temporalités sociales qui structurent la biographie des individus : il y a des âges, biologiques et sociaux, qui sont propices à l’engagement parce qu’ils ouvrent des périodes critiques permettant à l’individu de considérer des orientations nouvelles pour sa vie [37], comme l’accession à la majorité, la sortie du système scolaire, la perte d’un emploi, une séparation, etc. Prendre pleinement en compte cette structuration de l’engagement par rapport aux temps sociaux qui organisent les biographies offre la possibilité de distinguer des modalités très distinctes d’entrée dans l’institution, entre rupture et continuité, et dont les effets sont rarement étudiés.

25Rencontré en régiment d’infanterie, le sergent Fraisse [38] livre un récit de son engagement comme suivant une ligne quasi continue. Issu d’une famille appartenant aux classes moyennes, il s’engage comme sous-officier après l’obtention d’une licence. Dès la terminale, il raconte s’interroger sur la perspective d’entrée dans l’armée. Il se rapproche d’un centre d’information et de recrutement où on lui conseille de poursuivre ses études pour viser l’entrée au grade d’officier. Très investi dans la pratique sportive du football – il est éducateur sportif en club –, il s’oriente alors vers Sciences et techniques des activités sportives (STAPS). Arrivé en troisième année, et face à ce qu’il estime être de faibles débouchés dans la voie professorale (enseignant du secondaire en EPS), il s’oriente vers la spécialité Entraînement sportif et reconsidère la possibilité d’endosser l’uniforme militaire. Ce qu’il fait une fois sa licence en poche, mais en tant que sous-officier. Le projet d’engagement se formule chez lui à deux étapes de son cursus scolaire, à des moments où l’espace des possibles se rouvre pour les étudiants, et durant lesquels ils sont sommés de faire des choix : poursuivre sur la voie scolaire ou en sortir. Ici, les ressources scolaires de Fraisse, mais aussi les ressources économiques familiales – qui lui ouvrent la possibilité matérielle de suivre des études dans le supérieur comme étant la poursuite normale de sa scolarité –, lui permettent d’envisager de prendre du temps, et d’inscrire les différentes étapes de son parcours dans une forme de continuité rationalisée.

26Ces parcours d’engagement peuvent à l’inverse prendre l’allure d’une orientation plus soudaine, relatée sous la forme d’une rupture plus forte, du moins comme une sorte de bifurcation de trajectoire relativement inattendue pour l’individu. C’est le cas de la caporale Armed. Issue d’une famille des fractions stabilisées des classes populaires, elle peine à trouver un emploi fixe une fois son BTS de secrétariat obtenu. Elle enchaîne les contrats à durée déterminée et à temps partiel qu’elle complète par des petits boulots de vendeuse qui ne la satisfont pas. Dans ce contexte, elle explique arriver à l’idée suivante : « Pourquoi pas dans l’armée ? » Ici, c’est la confrontation au marché du travail et surtout l’impossibilité de stabiliser sa situation d’emploi dans le domaine dans lequel elle a étudié qui aboutissent à considérer l’armée comme un choix pensable et désirable alors qu’elle n’a aucune affinité avec l’univers militaire. La seule condition qu’elle s’impose est que son recrutement s’inscrive dans la continuité professionnelle de ses études : le secrétariat.

27L’engagement peut aussi être la conséquence de ce qui peut sembler comme une somme de ruptures de la trajectoire. Comme dans le cas du caporal Pueyo qui s’engage sur le tard, presque à la limite d’âge, après son divorce et un parcours professionnel heurté dans le domaine de la sécurité. C’est aussi le cas du soldat de première classe Jacquemin, qui commence les démarches d’engagement alors qu’il n’est pas encore majeur, pour pouvoir quitter au plus vite l’environnement familial une fois son baccalauréat en poche. Il raconte qu’il était inenvisageable pour lui de continuer des études ou de rester au domicile parental (à l’inverse de Fraisse) et que, sans formation, l’armée lui paraît la seule alternative possible sur le moment. Il cherche à s’extirper d’un environnement familial en crise et n’a pas, lui, les moyens ni les ressources pour poursuivre une scolarité (il confie que c’est sa mère qui l’a poussé jusqu’au baccalauréat).

28De ces cas présentés succinctement se profile une tout autre typologie possible de l’engagement. La question de l’urgence relative, des expériences concrètes dans lesquelles se formulent l’idée de l’engagement et les circonstances dans lesquelles cette idée se concrétise ouvre un nouvel espace d’investigation pour saisir les ressorts de l’entrée dans l’institution et leurs conséquences en termes d’investissement de soi dans le travail militaire : en fonction de ces situations, les attentes, les espérances projetées, mais aussi la propension à accepter ou non les finalités et les contraintes de l’institution diffèrent fortement. Mieux documenter les configurations familiales, scolaires et salariales dans lesquelles l’idée de s’engager se formule impose aussi de mieux prendre en compte les ressources mobilisées par les individus dans leur rencontre avec l’institution : accompagné par les parents ou non, renseigné en amont ou pas, avec la possibilité ou non d’attendre que la place désirée se libère ou qu’un poste dans la spécialité voulue soit proposé, etc. Ces variables sont trop rarement considérées dans la compréhension de l’expérience de l’engagement. Par ailleurs, toute tentative d’analyse sociologique des logiques de l’engagement implique de s’intéresser aussi aux manières dont les recruteurs identifient, sélectionnent et affectent les candidats qu’ils rencontrent. C’est là un angle mort persistant des savoirs produits sur l’engagement militaire.

Vocations, socialisations infantiles et conversion des dispositions

29Une autre manière d’interroger les trajectoires d’engagement revient à s’intéresser à la genèse des dispositions propices à une entrée dans les armées. À travers les récits de vie, on cherche alors à identifier les instances de socialisation qui contribuent à façonner des goûts et des pratiques compatibles, ou tout au moins présentant certaines affinités avec l’exercice des métiers militaires et avec les conditions d’existence offertes par l’institution. Si l’on revient au cas du sergent Fraisse, on peut identifier dans son expérience d’encadrement sportif les prémisses d’un goût pour le caractère sportif et physique de la vie militaire, ce qu’il évoque lui-même en entretien, mais aussi pour l’encadrement et la formation, que ce soit en club ou en régiment. Entrer par les prédispositions invite à rechercher, dans les récits de vie, les traces et les indices récurrents de pratiques et de goûts pouvant expliquer une orientation de l’individu vers l’institution militaire, ou les indices de la construction de la « vocation » militaire.

30L’entrée « vocationnelle » dans l’engagement militaire est cependant délicate à analyser. Difficile de distinguer, dans les récits collectés en entretien, entre ce qui relève réellement d’une vocation chevillée au corps dès l’enfance et la reconstruction a posteriori de ses goûts et envies ou de l’« illusion biographique [39] ». Les travaux sur la production de la vocation indiquent cependant que cette dernière est le produit d’une construction progressive et de multiples vecteurs, dont il est possible de retrouver les indices dans les récits biographiques : un investissement familial, des pratiques anticipatrices, etc. [40]. Ainsi, bien que le recours à ce type d’explication soit une donnée en soi, la simple déclaration de la vocation en entretien doit être mise à l’épreuve par la recherche d’autres indices. Plus que des vocations, ce sont les indices des prédispositions à une conversion militaire qu’il est possible de retrouver dans les récits de vie.

31Le cas de la caporale-cheffe Rossigni permet d’éclairer comment l’engagement militaire trouve à s’interpréter de façon plus précise et complète à l’aune de prédispositions héritées au cours de sa socialisation. Lorsque je la rencontre, elle se présente à moi d’emblée comme une grande sportive. À vingt-huit ans, elle a déjà dix années d’ancienneté dans l’institution. Les cheveux courts coupés en brosse, elle entre dans la salle où je fais les entretiens d’un pas dynamique. Fille d’un père mécanicien et d’une mère comptable, c’est la deuxième enfant de la fratrie, derrière une sœur aide-soignante de trente et un ans et avant un frère de vingt-trois ans. Sa socialisation juvénile semble avoir été placée sous le signe d’une éducation plutôt masculine. Elle se décrit d’ailleurs comme un « garçon manqué » (et manquant ?) et précise : « Je n’ai fait que des choses d’homme, moi, les trucs de fille, je ne connais pas. » Elle entame l’entretien en parlant de son passé sportif : pratique du judo dans l’enfance et l’adolescence, mais aussi du football à un niveau semi-professionnel, en commençant d’ailleurs dans une équipe masculine lorsqu’elle avait sept ans. Elle décrit son investissement sportif comme un « engagement corps et âme dans [le] sport ». Cette socialisation genrée hétérogène est confortée par ses choix scolaires, puisqu’elle est diplômée d’un CAP dans le domaine de la mécanique industrielle. Elle explique, « toute petite déjà », avoir voulu être « soldat ». « Pas militaire hein, soldat. Ma mère me demandait ce que je voulais faire plus tard, je disais “soldat”. Bon, j’ai d’abord fait mécanicienne. » Cependant, elle ne le sera pas longtemps, du moins dans le civil, et elle finira par conjuguer les deux. Le cas de Rossigni croise différentes dimensions. La conversion dans le monde militaire de ses dispositions sportives et de son goût pour la mécanique développé au cours de sa trajectoire scolaire, mérite attention. On comprend aussi que la vocation infantile n’implique pas d’engagement immédiat. D’autres activités et devenirs professionnels entrent en concurrence dans son récit. Après qu’on l’a repérée pour jouer en équipe de France, ses parents s’opposent à la poursuite d’une carrière sportive trop hasardeuse à leurs yeux. « Le marché est grand et ma mère m’a toujours dit qu’il y aurait des meilleures que moi… » C’est encore sa mère qui la pousse « à passer des diplômes », et c’est ainsi qu’elle entreprend un CAP en mécanique. Après son obtention se repose la question de son devenir professionnel. La jeune femme a l’habitude des sociabilités masculines et revendique ce qu’on peut qualifier d’ascèse corporelle et sportive rigoureuse [41]. Elle manifeste aussi des appétences pour des savoir-faire généralement considérés comme masculins, la mécanique automobile. Autant d’univers dans lesquels les femmes doivent combattre pour conquérir leur place [42], à l’instar du monde militaire [43]. Si elle occupe actuellement un poste en RH dans un régiment, c’est pour des raisons de santé liées au port de lourdes charges en atelier de blindés durant plusieurs années.

32Le cas de Rossigni invite à considérer les mécanismes de l’engagement dans les armées comme un processus de transposition de dispositions sociales dans le monde militaire. Les trajectoires sociales, scolaires ou familiales ne sont plus seulement considérées comme les indices caractéristiques d’un engagement probable, mais comme les supports de dispositions acquises au cours de l’existence qui sont plus ou moins propices à l’activation et à la concrétisation d’un engagement dans l’armée. À la croisée entre origine sociale, socialisation genrée et choix scolaires atypiques, la conversion de la trajectoire de Rossigni en parcours professionnel paraît dès lors moins surprenante que ce qui pourrait sembler [44]. Les goûts masculins hérités de son enfance et de son adolescence ont pu aisément s’exprimer dans le registre d’une vocation militaire (qu’elle revendique), et son engagement ainsi que son adhésion aux conditions de vie dans l’institution se sont probablement appuyés sur des compétences interactionnelles acquises au cours de sa socialisation infantile dans des univers sociaux masculins, la dotant des ressources efficaces pour s’imposer dans les sociabilités ordinaires en régiment :

33

Je suis une grande gueule, j’ai pas peur de dire ce que je pense, même face à un adjudant. Mais je sais aussi rester à ma place, hein. Par contre, je suis pas timide, ça aide. Ça a pas été facile, au début ils me calculaient pas. Ils n’avaient jamais vu une fille à l’atelier. Jamais, j’étais la première pour eux. Et puis voilà, une fille qui parle méca, bah… ça les mettait sur le cul les mecs. Mais j’ai dû m’imposer.

34Le cas du soldat de première classe Michel peut quant à lui s’analyser comme un cas miroir. Ce jeune homme de vingt-deux ans est issu d’une famille des classes moyennes supérieures résidant dans un pavillon de la banlieue de l’ouest parisien. Après une scolarité sans redoublement et un baccalauréat général dans la série S, il décide de s’engager dans l’armée, tout en restant toujours très évasif en entretien sur cet épisode. Athlétique et bon en sport, comme j’ai pu le constater par mon observation des entraînements, Michel paraît pourtant atypique parmi ses camarades de chambrée. Réservé, timide, discret, il est régulièrement pris pour cible de moqueries : trop effacé, comme s’il ne manifestait pas l’archétype de la masculinité virile telle qu’elle s’exprime ordinairement dans les chambrées [45]. Michel est une énigme pour ses collègues, et il est fréquent que les caporaux-chefs de la section l’interpellent, entre amusement et effarement : « Mais qu’est-ce que tu fous là, Michel ? C’est pas pour toi l’armée ! » Tout semble se passer comme si ses prédispositions, sa socialisation masculine, sa trajectoire scolaire étaient désajustées par rapport au milieu militaire dans lequel il est affecté. Il semble désaccordé au regard de la masculinité et des pratiques corporelles viriles caractéristiques des classes populaires [46], elles-mêmes dominantes au sein des unités de combat. Moqué par ses camarades, il est au ban de sa section, peu intégré dans les sociabilités de chambrées, chahuté, rarement écouté et pris au sérieux dans les discussions. La mise en regard des cas de Michel et de Rossigni montre que les caractéristiques des individus (l’âge, le sexe, les origines sociales) n’ont ici de sens que rapportées aux caractéristiques sociales de celles et ceux qui partagent leur quotidien professionnel : il est possible que Michel aurait semblé plus à sa place dans d’autres types d’unités, à d’autres postes que celui de fantassin. Il est possible que Rossigni se serait sentie plus désajustée si elle avait été d’abord affectée dans un univers de travail plus féminisé, comme dans un bureau de comptabilité en état-major. Dans un cas comme dans l’autre, penser en termes de distances relatives au monde militaire donne la possibilité d’appréhender le caractère différencié de leurs expériences.

35Un ensemble de pistes demeure à explorer plus systématiquement : la conversion de dispositions ascétiques, scolaires ou sportives, et ce à différents niveaux de grade, les rapports différenciés à l’autorité, mais aussi des dispositions au goût de l’effort et du travail bien fait qui caractérisent certains milieux professionnels artisanaux et ouvriers, ou encore un certain sens du service de l’État hérité d’une socialisation dans une famille dont les parents travaillent dans la petite fonction publique, etc. La place de la transmission du goût pour les métiers d’ordre (la police, les pompiers, etc.) mériterait aussi une attention spécifique, afin de comprendre comment, au-delà d’une stricte reproduction familiale, se transmettent des prédispositions à un engagement militaire. Dans le même ordre d’idée, les socialisations infantiles genrées homogènes et hétérogènes, les orientations sexuelles (trop souvent éludées dans les travaux), ou encore la plus ou moins grande adéquation aux normes de virilité dominantes au sein de l’institution, s’avèrent des dimensions capitales à intégrer aux analyses, dans une perspective intersectionnelle. Plusieurs propositions récentes vont dans ce sens et montrent que toute tentative de compréhension sociologique des logiques de l’engagement militaire implique d’analyser finement la conversion des dispositions héritées des socialisations antérieures [47].

Les repositionnements successifs au cours de la carrière

36Nous voudrions terminer ce panorama des perspectives ouvertes par l’approche biographique en considérant cette fois les repositionnements susceptibles d’être observés au cours de la carrière. Les « mauvaises raisons » de s’engager ne font pas nécessairement de mauvaises recrues. Or c’est ce que peuvent laisser penser les typologies de l’engagement militaire présentées plus haut : l’emploi des qualificatifs tels que « réfugiés » ou « armée faute de mieux », voire « jeunes en errance » ne laisse pas présager leurs devenirs militaires, et ce qui peut paraître comme de « mauvaises » raisons de s’engager n’aboutit pas nécessairement à des engagements plus fragiles ou moins fiables. À l’inverse, on constate que ce qui pourrait sembler être de bonnes conditions initiales n’induit pas nécessairement des engagements de long terme.

37Le cas du caporal Laborde exemplifie bien cet aspect. La vingtaine au moment de l’entretien, engagé comme fantassin dans une section de combat depuis trois ans et demi pour un contrat initial de cinq ans, il m’explique qu’être militaire était une vocation pour lui, « depuis gamin, depuis tout petit… depuis tout gosse ». Originaire d’une région rurale et montagnarde du sud-ouest de la France, fils d’un père artisan, il s’engage dès l’obtention d’un baccalauréat général série ES. Il me détaille comment se sont passées ses classes, la première fois qu’il a pu tenir une arme, son arrivée en régiment et la découverte de la vie militaire. Le récit qu’il en fait laisse à penser que ces premières expériences confirment son choix. Il a très vite l’opportunité de partir en opération extérieure, dès sa première année d’engagement. « Je me suis donné à fond ! Je me suis donné à fond pour partir. […] Mon chef, à l’époque, il m’aimait bien, il a tout fait pour que je puisse partir. » Durant mes différents séjours dans son régiment et au cours des échanges que j’ai pu avoir avec son chef de section, il m’est dépeint comme un bon élément dans le collectif de travail : il n’a pas de dossier disciplinaire, il est investi dans les tâches qui lui sont confiées, toujours sur les rangs. Mais Laborde admet en entretien qu’il regrette s’être engagé pour cinq ans, et qu’il est alors certain de ne pas se réengager. Sa découverte des routines de la vie militaire semble avoir émoussé cette vocation qu’il revendiquait, et il envisage de préparer les concours de la gendarmerie. Idem pour le caporal Pierre. Issu des classes moyennes, il raconte que son engagement dans l’armée relève d’une attirance qui s’est développée durant son adolescence. Lui aussi titulaire d’un baccalauréat général série ES, il se présente comme un féru d’histoire militaire, ce qui lui permet d’entretenir une relation complice avec l’adjoint du chef de sa section, lui-même « fana » de la Wehrmacht. Il fait preuve de volontarisme au travail et est apprécié de sa hiérarchie qui souhaiterait faire de lui un sous-officier. Seulement Pierre a d’autres projets : il m’explique que l’armée, « c’est temporaire ». Une fois son contrat de cinq ans achevé, il envisage de quitter l’institution pour entamer une autre vie professionnelle, voire reprendre des études.

38À l’inverse, ce qui pourrait apparaître comme des choix par défaut et des engagements « faute de mieux » ne signifie pas nécessairement que ces derniers soient moins solides. Alors que Jacquemin, rencontré plus haut, pourrait avoir un profil de « réfugié » selon les catégories de Benoît-Guilbot et de Pfirsch, il trouve sa place au régiment, gravit progressivement les échelons, s’investit dans l’encadrement des nouvelles recrues, est bien vu de sa hiérarchie. De même pour Pueyo dont nous avons parlé précédemment, qui répond lui aussi à un profil « faute de mieux ». Sa situation et son positionnement évoluent au fil des ans. Il a d’abord un rapport ambivalent à la discipline militaire : ancien agent de sécurité et sapeur-pompier volontaire, il a une excellente condition physique pour son âge (trente-trois ans), il est impliqué dans son rôle de secouriste de combat au sein de la section, mais il s’emporte souvent contre une impression d’infantilisation qu’il ressent dans le travail et se braque contre sa hiérarchie. Il confie avoir été sanctionné à plusieurs reprises pour insubordination, « surtout après avoir picolé… ». Pour autant, on ne peut pas le classer parmi les « réfugiés », du moins plus depuis qu’il s’est remis en couple avec une jeune femme avec laquelle il attend un enfant. Dès lors, il amende son comportement et rentre littéralement dans le rang en quelques mois. Il espère bien améliorer sa notation et, à terme, obtenir le grade de caporal-chef de première classe et ainsi aller au-delà de la limite d’âge de service. Le voilà devenu « carriériste » selon les catégories de Benoît-Guilbot et Pfirsch. Les profils à l’entrée ne préfigurent donc que très vaguement les attitudes à moyen et long termes.

Conclusion

39Inscrits dans une optique d’aide à la décision et fruits du contexte historique spécifique de la rationalisation de l’appareil militaire et de la professionnalisation des armées françaises, les travaux de sociologie produits sur la thématique de l’engagement militaire au cours des décennies allant de 1970 à 2000 ont appliqué un cadrage théorique et empirique particulier à l’étude des mécanismes et des processus à l’œuvre dans l’orientation des individus vers l’institution militaire. Cet héritage scientifique, partiellement oublié, n’est pas sans effet sur la façon dont la question est appréhendée dans l’institution, soit par typification des logiques d’engagement et des attitudes ou valeurs des individus, soit par profilage à grands traits d’un vivier de candidats potentiels. Remonter le fil historique des travaux qui ont structuré le point de vue institutionnel sur le sujet permet de mieux se défaire des routines de pensée et des méthodes usuellement employées pour rendre intelligible la somme des actions individuelles aboutissant au recrutement de plusieurs milliers de nouvelles recrues tous les ans.

40Penser par cas [48], comme nous l’avons fait ici, n’offre pas un portrait immédiatement saisissable de la situation de l’engagement militaire en France, ni la possibilité de dresser une typologie qui rende immédiatement intelligibles les logiques et les mécanismes par lesquels de jeunes hommes et femmes en viennent à pousser la porte des armées. Cette démarche n’en est pas moins heuristique. Elle ouvre des perspectives de recherche pour renouveler la compréhension que nous avons du recrutement militaire. La prise en compte des histoires concrètes qui sont à la genèse des engagements en tant que militaire force à modifier la grille d’analyse qui a été employée jusqu’ici. Tenir compte des temporalités, des moments dans les cursus biographiques, des étapes traversées avant l’affectation en unité implique de tenir compte de nouvelles variables. Ce changement de regard induit un changement de méthode et la mobilisation d’outils différents pour examiner les façons dont se construisent les carrières militaires, depuis leur genèse durant les socialisations infantiles jusque dans le déroulement des parcours professionnels.

41Le changement de perspective proposé ici reprend des méthodes et des approches usuelles dans les sciences sociales, et les applique afin de poser, de façon programmatique, les perspectives envisageables pour la reprise et la poursuite de l’étude de l’engagement dans les armées. Le recours aux notions de trajectoire, de carrière, de socialisation, employées ici dans l’optique d’une sociologie dispositionnaliste et relationnelle, ne doit pas mener à un autre bornage du champ des possibles scientifiques. En revanche, elles amènent à interroger différemment le phénomène étudié, à changer les dispositifs d’enquête et à investiguer des aspects restés en dehors du champ d’analyse. On pense, entre autres, aux recruteurs, à leurs profils, à leurs méthodes, à leurs grilles de perception et à leurs manières d’identifier, de classer et d’affecter les candidates et candidats dans la multitude des métiers ouverts au sein des armées. Par ailleurs, l’articulation entre elles de variables généralement scrutées séparément, et la meilleure prise en compte des ajustements progressifs qui s’opèrent entre les candidats et l’institution au cours des différentes étapes qui font la carrière du « recruté » méritent des analyses plus systématiques : qu’est-ce qui se transforme ? Qu’est-ce qui se convertit dans ce passage ? Comment les dispositions héritées durant l’enfance et l’adolescence sont-elles refaçonnées, au moins partiellement, par les dispositifs institutionnels et par les conditions effectives de travail et de vie dans les unités ? De récents travaux vont dans ce sens, comme ceux de Jeanne Teboul et de Mélanie Guillaume dans lesquels les premiers temps de la carrière des hommes du rang sont scrutés [49], ou encore les travaux de Christel Coton qui montrent à des moments ultérieurs de la carrière comment les dispositions sociales héritées de l’univers familial et scolaire jouent encore un rôle capital [50]. Ces travaux appellent à être poursuivis.

Notes

  • [1]
    Jean-François Léger, Les jeunes et l’armée, Paris, L’Harmattan, 2004.
  • [2]
    Nous utilisons cette expression en référence à Robert Castel qui considérait la demande sociale de sociologie comme « la demande que la société […] adresse à la sociologie » et les attentes de gain d’intelligibilité du monde social qui en découle. On peut se reporter à Robert Castel, « La sociologie et la réponse à la “demande sociale” », Sociologie du travail, 42 (2), 2000, p. 281-287. Adressée par des acteurs extérieurs à la discipline, cette demande passée sur un marché de la prestation intellectuelle oriente le travail sociologique dans certaines directions, lui impose des contraintes de formats, et a des effets notables sur les connaissances et savoirs susceptibles d’être produits dans ce contexte. Voir à ce sujet François Granier, Pascal Moisset, Pascal Thobois, « Avant-propos. Des sociologues sur le fil de la demande », Sociologies pratiques, 37, 2018, p. 1-7, ou encore François Granier, Laurence Ould-Ferhat, Pascal Thobois, « Avant-propos. Où en est la demande sociale de sociologie aujourd’hui ? », Sociologies pratiques, 36, 2018, p. 1-8.
  • [3]
    Jean-Pierre H. Thomas, Le centre de sociologie de la défense nationale (1969-1994), Paris, CSDN, 1994 ; Barbara Jankowski, Pascal Vennesson, « Les sciences sociales au ministère de la Défense. Inventer, négocier et promouvoir un rôle », dans Philippe Bezes et al. (dir.), L’État à l’épreuve des sciences sociales. La fonction de recherche dans les administrations sous la Ve République, Paris, La Découverte, 2005, p. 267-294 ; Christel Coton, « La culture de la distinction. Unité institutionnelle et lignes de tensions au sein du corps des officiers de l’armée de terre », thèse de sociologie, université Paris 7-Diderot, 2008 ; Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « La relève stratégique : une première histoire du soutien aux jeunes chercheurs sur les questions de défense et de sécurité », Les Champs de Mars, 30, p. 9-43, 2018.
  • [4]
    Mathias Thura, « Armer le lecteur. Pour une relecture de la sociologie militaire française à l’aune de ses conditions institutionnelles de production », Dynamiques internationales, 11, 2016, http://dynamiques-internationales.com/wp-content/uploads/2016/02/Thura-DI-11.pdf.
  • [5]
    Christel Coton, « La culture de la distinction. Unité institutionnelle et lignes de tensions au sein du corps des officiers de l’armée de terre », thèse citée.
  • [6]
    Pascal Vennesson, « Sciences sociales et défense : de l’“aide à la décision” à la contribution à l’action publique », Les Champs de Mars, 11, 2002, p. 341-348.
  • [7]
    Pour un aperçu complet des travaux produits à cette époque par le CSDN, dont les communications dans les colloques et journées d’études, se référer au catalogue des activités et publications contenu dans le bilan d’activité du centre (Thomas 1994). Ce document est consultable au Centre de documentation de l’École militaire à Paris.
  • [8]
    Jean-Pierre H. Thomas, Le centre de sociologie de la défense nationale (1969-1994), op. cit., p. 9 et suiv.
  • [9]
    Id., « Fonction militaire et systèmes d’hommes », dans Henry Tézenas du Montcel (dir.), Les hommes de la défense, Paris, FEDN, 1981, p. 19-41.
  • [10]
    François Vieillescazes, « L’engagement volontaire dans l’armée de terre. Une analyse exploratoire », Revue française de sociologie, 19 (3), 1978, p. 341-372 ; Michel Blanc, Le prix de la fidélité. Analyse des stratégies de carrière à l’aide d’un modèle générateur, Paris, SOWI-CSDN, 1980 ; Jacques Thouvenin, « Passé scolaire et filières d’engagement dans l’armée de terre : contribution à la connaissance de la ressource en personnels non officiers », thèse de sociologie, EHESS, 1980.
  • [11]
    Christian Rosenzveig, Jean-Pierre Thomas Hubert, « Attitudes des sous-officiers des trois armées. Dépouillement d’une enquête de sociologie militaire », Cahiers de l’analyse des données, 4 (1), 1979, p. 7-27 ; Étienne Schweisguth, Mariette Sineau, Françoise Subileau, Techniciens en uniforme. Les sous-officiers de l’armée de l’air et de la marine, Paris, Presses de Sciences Po, 1979 ; Michel Blanc, « Contribution à la sociologie de la mobilité sociale et professionnelle. Les sous-officiers de l’armée de l’air : essai d’application d’un modèle d’analyse de type stratégique », thèse de sociologie, université Paris 4, 1981.
  • [12]
    Bastien Irondelle, La réforme des armées en France. Sociologie de la décision, Paris, Presses de Sciences Po, 2011, p. 143 et suiv.
  • [13]
    Philippe Mellet, Le recrutement des sous-officiers. Valeurs de société et logiques d’engagement, Paris, CSDN, 1994.
  • [14]
    Ibid., p. 5-6.
  • [15]
    Le catalogue des études produites par la DRHAT entre 2000 et 2014 contient différentes entrées qui laissent à penser que cette grille d’analyse – en termes de motivations individuelles, d’attentes, de perceptions du milieu professionnel – inspirée par la psychologie sociale est encore utilisée au sein des armées. Le plan d’enquête sociologique pour les années 2013-2014 émanant de la direction des ressources humaines du ministère de la Défense, dont nous avons pu consulter la note d’intention, évoque des études en cours sur « les attentes des engagés (motivations, carrières…) et évolutions de ces attentes (personnel militaire) ».
  • [16]
    Michel Lhoste, Analyse du sous-système « Information, recrutement, sélection » des engagés volontaires de l’armée de terre, Paris, CSDN, 1995.
  • [17]
    Ce baromètre est actuellement tenu par la Délégation à l’information et à la communication de la Défense (DICOD), dont un des services a pour mission d’administrer la commande et la réalisation d’enquête par sondage pour le ministère.
  • [18]
    Barbara Jankowski, Pascal Vennesson, « Les sciences sociales au ministère de la Défense. Inventer, négocier et promouvoir un rôle », art. cité.
  • [19]
    Odile Benoît-Guilbot, Jean-Vincent Pfirsch, La décision d’engagement volontaire des militaires du rang, Paris, C2SD, 1998.
  • [20]
    Ibid., p. 28.
  • [21]
    Ibid., p. 73 et suiv.
  • [22]
    Emmanuelle Lada, Chantal Nicole-Drancourt, Image(s) de l’armée et insertion des jeunes, Paris, C2SD, 1998.
  • [23]
    Ibid., p. 84.
  • [24]
    Olivier Galland, Jean-Vincent Pfirsch, Les jeunes, l’armée et la nation, Paris, C2SD, 1998.
  • [25]
    Jean-François Léger, Les jeunes et l’armée, op. cit., p. 2 et suiv.
  • [26]
    Ibid., p. 30 et suiv.
  • [27]
    Le terme est strictement à entendre ici au sens de « servir de moyen ». La réponse à la demande sociale de sociologie, et plus généralement d’expertise au sein d’une organisation, sert souvent de légitimation d’un diagnostic déjà posé, d’une décision déjà amorcée, ou d’une option stratégique déjà actée en interne (Isabel Boni-Le Goff, « À quoi servent les bureaux et les cabinets de conseil ? Espaces, biens symboliques et techniques de gouvernement », Genèses, 99, 2015, p. 48-68 ; Pascal Thobois, « Entretien avec Alexandre Lagier », Sociologies pratiques, 36, 2018, p. 11-16).
  • [28]
    Les calques de la phase B du questionnaire administré par Jean-François Léger et reproduits à l’annexe 5 de Les jeunes et l’armée sont révélateurs de cette importation des catégories de l’entendement institutionnel dans les grilles du questionnement scientifique (Jean-François Léger, Les jeunes et l’armée, op. cit., p. 350 et suiv.).
  • [29]
    Charles C. Moskos, Frank Wood (eds), The Military : More Than Just a Job ?, Washington (Wash.), Pergamon-Brassey’s, 1988.
  • [30]
    Christel Coton relève que l’institution militaire « aime à se présenter comme un ordre suspendu, spécifique et bien à distance des logiques [sociales] prévalant ailleurs » (Christel Coton, Officiers. Des classes en lutte sous l’uniforme, Marseille, Agone, 2017, p. 20). Ces études commandées par l’institution vont dans le même sens : elles suspendent les logiques de l’engagement militaire hors de l’ordre social.
  • [31]
    En référence au titre du numéro thématique « Devenirs militants » publié dans la Revue française de science politique et qui soulève sur de tout autres terrains le même ordre de questionnement que celui qui anime la démarche de cet article (Nonna Mayer, Olivier Fillieule, « Devenirs militants. Introduction », RFSP, 51 [1-2], 2001, p. 19-25).
  • [32]
    Elyamine Settoul, « Contribution à une sociologie de l’engagement des militaires issus de l’immigration », thèse de sciences politiques, Paris, Sciences Po, 2012 ; Jeanne Teboul, Corps combattant. La production du soldat, Paris, Éditions de la FMSH, 2017 ; Mélanie Guillaume, « “S’en remettre” à l’institution militaire. Les conditions sociales de l’engagement dans l’armée », Émulations, 25, 2018, p. 97-113.
  • [33]
    Olivier Fillieule, « Propositions pour une analyse processuelle de l’engagement individuel », RFSP, 51 (1-2), 2001, p. 199-215, ici p. 199.
  • [34]
    Claude Dubar, Les biographies en sociologie, Paris, La Découverte, 2017.
  • [35]
    Howard Becker, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985 ; Everett Hughes, Le regard sociologique, Paris, Éditions de l’EHESS, 1996, p. 175 et suiv. ; Muriel Darmon, « La notion de carrière : un instrument interactionniste d’objectivation », Politix, 82, 2008, p. 149-167.
  • [36]
    Marc Bessin, « Parcours de vie et temporalités biographiques : quelques éléments de problématique », Informations sociales, 156, 2009, p. 12-21.
  • [37]
    Claire Bidart, « Crises, décisions et temporalités : autour des bifurcations biographiques », Cahiers internationaux de sociologie, 120, 2006, p. 29-57.
  • [38]
    Les noms des enquêtés ont été systématiquement modifiés, tout comme certains éléments secondaires et accessoires de leurs biographies afin de maximiser la garantie d’anonymat.
  • [39]
    Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, 62 (1), 1986, p. 69-72.
  • [40]
    Joël Laillier, « Des familles face à la vocation. Les ressorts de l’investissement des parents des petits rats de l’Opéra », Sociétés contemporaines, 82, 2011, p. 59-83.
  • [41]
    Christine Mennesson, « Être une femme dans un sport “masculin” », Sociétés contemporaines, 55 (3), 2004, p. 69-90.
  • [42]
    Clothilde Lemarchand, « Unique en son genre… Orientations atypiques de lycéens et de lycéennes au sein de filières techniques et professionnelles », dans Yvonne Guichard-Claudic, Danièle Kergoat, Alain Vilbrot (dir.) L’inversion du genre. Quand les métiers masculins se conjuguent au féminin… et réciproquement, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 57-69 ; Christine Mennesson, Jean-Paul Clément, « Boxer comme un homme, être une femme », Actes de la recherche en sciences sociales, 179, 2009, p. 76-91.
  • [43]
    Katia Sorin, Femmes en armes, une place introuvable ? Le cas de la féminisation des armées françaises, Paris, L’Harmattan, 2003 ; Claude Weber (dir.), Femmes militaires, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.
  • [44]
    Jeanne Teboul, « Un choix professionnel “atypique” ? Étude du parcours biographique de quelques jeunes femmes candidates à l’engagement militaire », dans Claude Weber (dir.) Femmes militaires, op. cit., p. 63-72.
  • [45]
    Jeanne Teboul, Corps combattant. La production du soldat, op. cit., p. 42 et suiv.
  • [46]
    Akim Oualhaci, Se faire respecter. Ethnographie des sports virils dans des quartiers populaires en France et aux États-Unis, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017.
  • [47]
    Christel Coton, Officiers. Des classes en lutte sous l’uniforme, op. cit. ; Jeanne Teboul, Corps combattant. La production du soldat, op. cit. ; Mélanie Guillaume, « “S’en remettre” à l’institution militaire. Les conditions sociales de l’engagement dans l’armée », art. cité.
  • [48]
    Jean-Claude Passeron, Jacques Revel (dir.), Penser par cas, Paris, Éditions de l’EHESS, 2005.
  • [49]
    Jeanne Teboul, Corps combattant. La production du soldat, op. cit. ; Mélanie Guillaume, « “S’en remettre” à l’institution militaire. Les conditions sociales de l’engagement dans l’armée », art. cité.
  • [50]
    Christel Coton, Officiers. Des classes en lutte sous l’uniforme, op. cit.
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