Notes
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[1]
Clive Archer est enseignant dans le département de science politique à l’université de Copenhague. Ses travaux portent majoritairement sur la sécurité internationale, la politique étrangère, ainsi que la politique européenne du Danemark. Alyson J.K. Bailes († avril 2016) était diplomate et politiste britannique. Elle a également été directrice de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri) de 2002 à 2007. Anders Wivel est chercheur en relations internationales. Ils travaillent majoritairement sur la région nordique, l’Arctique, la coopération internationale et l’Union européenne. Il a par ailleurs été professeur à l’université métropolitaine de Manchester et à l’université d’Aberdeen.
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[2]
Policy analyst au service de recherches du Parlement européen et enseignant au Collège d’Europe (Bruges). Sa recherche porte principalement sur l’intégration européenne des pays baltes et les questions de mémoire en Europe.
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[3]
Post-doctorant au Royal Netherlands Institute of Southeast Asian and Caribbean Studies (KITLV), il a surtout publié sur la représentation et la compétition politiques, ainsi que sur les politiques étrangères des micro-États.
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[4]
Robert O. Keohane, « Lilliputians’ dilemmas. Small states in internatinal politics », International Organization, 23 (2), mars 1969, p. 295-296.
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[5]
Baldur Thorhallsson, « The size of states in the European Union. Theoretical and conceptual perspectives », Journal of European Integration, 28 (1), mars 2006, p. 14-16.
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[6]
Clive Archer, Alyson J.K. Bailes, Anders Wivel (dir.), Small States and International Security. Europe and beyond, Londres, Routledge, 2014.
Clive Archer, Alyson J.K. Bailes, Anders Wivel (dir.), Small States and International Security. Europe and beyond, Londres, Routledge, 2014 ; Philippe Perchoc, Les États baltes et le système européen (1985-2004). Être européen et le devenir, Bruxelles, Peter Lang, 2014 ; Wouter Veenendaal, Politics and Democracy in Microstates, Londres, Routledge, 2015
1L’intérêt académique porté aux États de petite taille, et plus particulièrement aux enjeux sécuritaires et politiques auxquels ils sont confrontés, est souvent influencé par l’actualité internationale. En effet, l’ébauche de structuration des small-state studies depuis la fin de la Guerre froide s’est expliquée par l’accélération de la fragmentation étatique du monde à la suite de l’éclatement de la Yougoslavie et de l’Union soviétique. La multiplication de travaux sur cette thématique depuis une vingtaine d’années s’inscrit dans le sillage des évolutions sécuritaires et politiques internationales actuelles marquées, entre autres, par l’impuissance de la puissance. Trois ouvrages publiés ces dernières années permettent de mieux identifier et comprendre les dernières tendances et les principaux résultats de ce champ d’étude, concernant l’influence de la taille dans les sphères politiques et sécuritaires des petits États. Il faut toutefois souligner que l’absence de consensus sur la définition même du petit État continue à caractériser ce champ d’étude. De manière générale, deux approches coexistent – quantitative et qualitative. Selon la première, l’identification de la petitesse s’effectue à travers des critères quantifiables, tels que la superficie, la taille de la population, les ressources économiques ou encore militaires. Cependant, il n’existe aucune limite communément admise permettant de délimiter quantitativement un petit État. Selon l’approche qualitative, la taille est déterminée par des éléments relevant des perceptions ou par l’influence de l’État considéré sur la scène régionale et internationale. Le petit État est, dans ce cas, soit celui qui est perçu ou qui se perçoit comme tel, soit celui qui, seul, n’est pas en mesure d’influencer les affaires internationales. Nonobstant ce flou définitionnel, les études sur les petits États se développent et gagnent en précision tant sur le plan méthodologique qu’empirique.
2L’ouvrage collectif Small States and International Security. Europe and beyond, dirigé par Clive Archer, Alyson J.K. Bailes et Anders Wivel [1], s’intéresse aux conséquences, pour les petits États, de l’évolution et de l’élargissement des enjeux sécuritaires qui se manifestent, entre autres, par l’apparition de conflits interétatiques nouveaux, par l’accroissement du terrorisme international et de catastrophes environnementales globales. Divisé en trois parties – réflexions théoriques et conceptuelles, études de cas européens et explorations comparatives de cas non européens –, cet ouvrage vise à dépasser les travaux monographiques eurocentrés et propose une lecture plus générale des différentes stratégies de sécurité poursuivies par les petits États à travers le monde. L’ambition principale est donc d’harmoniser la grille d’analyse sur la conduite des petits États et de mettre à jour les conclusions sur leur marge de manœuvre face aux enjeux sécuritaires contemporains. La lecture traditionnelle de la sécurité, qui se focalise essentiellement sur des enjeux militaires et sur des rapports de puissance entre États, ne permet plus, selon eux, d’appréhender intégralement les affaires internationales, et par extension l’action des petits États sur la scène internationale. Les auteurs s’attachent ainsi à montrer que la prise en compte de la dimension élargie de la sécurité, c’est-à-dire de ses aspects non seulement militaires et territoriaux, mais aussi économiques, sociétaux et environnementaux, permet une meilleure compréhension des enjeux auxquels les petits États sont confrontés. Plus précisément, ils soulignent que les évolutions sécuritaires débouchent sur l’élargissement du spectre d’action des petits États et que ces derniers ne peuvent plus être considérés comme de simples consommateurs de sécurité dont la survie dépend exclusivement de la volonté des grandes puissances. Bien au contraire, ils mettent en avant l’idée qu’un même État peut être tantôt petit et faible, tantôt petit et puissant en fonction de la situation et du milieu.
3L’ouvrage de Philippe Perchoc [2] sur Les États baltes et le système européen (1985-2004) propose justement une étude sur la liberté et la capacité d’action des « sans puissance ». L’auteur retrace le parcours d’intégration de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie au sein des institutions européennes et atlantiques, tout en s’interrogeant sur la place de ces petits États dans l’architecture de sécurité européenne. Il montre ainsi comment ces trois petits États ont réussi à transformer leur « sentiment d’appartenance culturelle […] en réalité politique » malgré des relations historiquement compliquées avec le grand voisin russe. Sa démonstration repose sur un découpage thématique et chronologique de la quête de sécurité des pays baltes. Il s’intéresse d’abord au rétablissement de l’indépendance des pays baltes (1985-1991), puis au processus de construction nationale (1991-1997) et enfin à la consolidation régionale dans la perspective de l’intégration de l’Union européenne (UE) et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) (1997-2004). Toutes ces étapes révèlent l’importance à la fois des institutions, des idées et du système international dans la concrétisation de la « révolution géopolitique » balte. Si les pays baltes n’ont pas été en mesure de structurer par eux-mêmes la situation internationale en leur faveur, ils ont quand même réussi à saisir et à exploiter les opportunités qui s’offraient à eux. Par son étude, Philippe Perchoc nuance donc l’adage de Thucydide selon lequel « les grands États font ce qu’ils veulent, les petits font ce qu’ils doivent », et démontre que l’analyse de la diplomatie des petits États, et plus généralement de leur conduite sur la scène régionale et internationale, ne peut s’en tenir à une lecture simpliste qui, au demeurant, risque de déboucher sur un biais déterministe assimilant la petitesse à l’inaction et à la faiblesse.
4Le troisième ouvrage, Politics and Democracy in Microstates de Wouter Veenendaal [3], cherche également à questionner certains lieux communs répandus sur les petits États. Contrairement aux deux précédents, il porte exclusivement sur la politique intérieure des micro-États. Sans entrer dans le débat sur une éventuelle différence entre micro et petit État, l’auteur retient une approche quantitative pour conceptualiser la taille d’un État. Selon lui, la population d’un micro-État ne dépasse pas 250 000 habitants ; on dénombre vingt et un micro-États ainsi définis dans le monde. Constatant qu’il existe une forte corrélation statistique entre la petite taille et l’adoption du régime démocratique, l’auteur s’interroge sur le rôle de la taille dans l’organisation du système politique des micro-États. Il identifie ensuite une dissonance entre, d’une part, les conclusions théoriques et statistiques soulignant le rapport positif entre la petite taille et la démocratie et, d’autre part, les conclusions des études de cas qui s’avèrent beaucoup plus nuancées à ce sujet. Face à cette diversité de résultats et surtout face à la disparité des études existantes, l’auteur propose une analyse comparative structurée autour de l’exploitation de quatre cas d’étude – Saint-Marin, Saint-Christophe-et-Niévès, les Seychelles et Palau. À travers son modèle d’analyse qui repose sur l’exploitation du concept de « polyarchie » de Robert Dahl, Veenendaal montre que la contestation et la participation des citoyens dans la vie politique de ces micro-États sont guidées par des considérations particularistes et interpersonnelles plutôt qu’idéologiques. Il en conclut que les résultats des études quantitatives sur la relation positive entre le régime démocratique et la petite taille s’expliquent par l’existence de structures officielles servant davantage de façade alors que la petitesse demeure en pratique un élément fragilisant du développement démocratique.
5Plus globalement, l’intérêt de ces trois ouvrages réside tant dans la richesse de leurs analyses empiriques et de leurs conclusions théoriques respectives que dans la démonstration de la portée explicative de la petite taille. En effet, malgré le manque de consensus sur la définition même du petit État, ces trois textes montrent que la taille joue un rôle essentiel dans la conduite de ces États, dans le traitement des questions extérieures comme intérieures.
6Concernant les enjeux de la sécurité internationale et les relations diplomatiques, la petitesse implique une dépendance accrue des petits États vis-à-vis des dynamiques et acteurs extérieurs. Cette relation de dépendance est directement inscrite dans la définition du petit État proposée par Archer, Bailes et Wivel, selon laquelle le petit État est « la partie plus faible des relations asymétriques, qui n’est pas capable de changer la nature ou le fonctionnement de la relation par elle-même ». Il est donc possible d’affirmer que le petit État ne structure qu’à la marge les relations dans lesquelles il est engagé. Ce constat se rapproche de la définition proposée par le politiste américain Robert Keohane pour qui le petit État est celui qui ne peut pas influencer seul le système international [4]. Il s’ensuit donc logiquement que pour comprendre la vulnérabilité et la capacité d’action [5] mais aussi, de manière plus générale, les stratégies de survie des petits États, il convient de porter un regard attentif à l’environnement dans lequel ces derniers évoluent. La démonstration de Perchoc sur les diplomaties des pays baltes dans leur marche vers un « retour à l’Occident » en est une excellente illustration. Il montre, en effet, que l’accès de ces trois petits États aux organisations euroatlantiques a été largement conditionné par les relations entre les États-Unis, les pays européens et la Russie. De plus, la persévérance des pays baltes pour intégrer l’UE et l’OTAN est en parfaite cohérence avec une autre grande caractéristique du comportement des petits États, qui consiste à utiliser les organisations internationales à la fois comme une plateforme d’action et comme un refuge sur la scène internationale. Autrement dit, la conduite des petits États est généralement guidée par deux motivations principales, à savoir la recherche d’autonomie par la neutralité ou, à l’inverse, la recherche d’influence par la coopération. Toutefois, c’est surtout l’activisme international par la coopération qui semble être une pratique dominante parmi les petits États face aux enjeux sécuritaires contemporains. Bailes, Rickli et Thorhallsson, dans le chapitre théorique de Small States and International Security, mettent ainsi en évidence la problématique de la « dépendance plus ou moins permanente » inhérente au comportement international des petits États.
7Outre cette structuration d’une dépendance accrue vis-à-vis des dynamiques et des acteurs extérieurs, la taille a également un impact sur les choix faits par ces États au niveau de leur politique intérieure. La petitesse quantitative, en l’occurrence mesurée par le nombre d’habitants, influence la nature et le fonctionnement du système politique des petits États. Pour expliquer cette influence, Veenendaal montre que la très petite taille d’un État favorise l’influence des réseaux d’interconnaissance personnelle dans la gestion des affaires publiques. Un faible nombre d’habitants peut, en effet, faciliter l’accès des gouvernés aux gouvernants. Cependant, cette proximité se transforme assez facilement en relations de clientélisme et favorise l’organisation du débat public autour d’enjeux particularistes et non plus de nature politique et idéologique.
8De même, ces limitations, qu’elles soient de nature quantitative ou qualitative, ont une incidence sur les politiques publiques. Par exemple dans le domaine de la sécurité militaire, la petite taille pousse les États non seulement à adapter leurs stratégies de survie aux dynamiques extérieures, mais également à rechercher la meilleure manière de le faire avec des capacités souvent limitées. Comme l’illustre Jean-Marc Rickli dans le chapitre « Small states, survival and strategy » cosigné avec Bailes et Thorhallson, l’une des tendances actuelles en matière de défense consiste à mettre en œuvre des « politiques de niche » qui favorisent une spécialisation poussée au détriment d’un développement de l’ensemble des capacités militaires. Toutefois, bien que cette tendance accroisse la dépendance des petits États vis-à-vis des acteurs extérieurs, elle est en quelque sorte compensée par la quête d’influence à travers la participation aux processus d’élaboration des différentes normes au sein de la communauté internationale.
9Pour conclure, ces trois ouvrages apportent des éclairages importants sur l’influence de la taille dans les choix politiques et sécuritaires des petits États. Ils démontrent que la petite taille peut aider à comprendre leurs logiques d’action. Il est toutefois nécessaire de manier cette variable avec précaution au risque de produire dans le cas contraire des analyses incomplètes, voire biaisées. En effet, malgré la corrélation statistique positive entre la petite taille et la démocratie, les petits États ne sont pas plus démocratiques que les grands. Bien au contraire, il semblerait que la petitesse puisse avoir un impact négatif sur le développement du système démocratique. De même, les petits États, bien qu’étant « la partie la plus faible de la relation asymétrique [6] », ne sont pas faibles en termes absolus. Si la petitesse était synonyme de faiblesse, la survie des petits États sur la scène internationale serait très largement compromise. Or leur longévité et leur capacité de survie ne semblent pas être remises en question de nos jours. Il ne faut toutefois pas oublier que l’une des plus grandes particularités des petits États est leur sensibilité aux dynamiques et aux acteurs extérieurs. Par conséquent, les grands changements internationaux, qu’ils soient de nature militaire, environnementale ou économique, peuvent affecter plus facilement les petits États.
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Clive Archer est enseignant dans le département de science politique à l’université de Copenhague. Ses travaux portent majoritairement sur la sécurité internationale, la politique étrangère, ainsi que la politique européenne du Danemark. Alyson J.K. Bailes († avril 2016) était diplomate et politiste britannique. Elle a également été directrice de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri) de 2002 à 2007. Anders Wivel est chercheur en relations internationales. Ils travaillent majoritairement sur la région nordique, l’Arctique, la coopération internationale et l’Union européenne. Il a par ailleurs été professeur à l’université métropolitaine de Manchester et à l’université d’Aberdeen.
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Policy analyst au service de recherches du Parlement européen et enseignant au Collège d’Europe (Bruges). Sa recherche porte principalement sur l’intégration européenne des pays baltes et les questions de mémoire en Europe.
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Post-doctorant au Royal Netherlands Institute of Southeast Asian and Caribbean Studies (KITLV), il a surtout publié sur la représentation et la compétition politiques, ainsi que sur les politiques étrangères des micro-États.
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Robert O. Keohane, « Lilliputians’ dilemmas. Small states in internatinal politics », International Organization, 23 (2), mars 1969, p. 295-296.
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Baldur Thorhallsson, « The size of states in the European Union. Theoretical and conceptual perspectives », Journal of European Integration, 28 (1), mars 2006, p. 14-16.
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Clive Archer, Alyson J.K. Bailes, Anders Wivel (dir.), Small States and International Security. Europe and beyond, Londres, Routledge, 2014.