Notes
-
[1]
J’exprime ma gratitude aux auteurs du numéro qui ont fait preuve d’un investissement et d’une patience remarquables. Je remercie Ioulia Shukan, Anna Colin-Lebedev et Chantal Lavallée de leurs suggestions sur l’introduction, et Étienne Dignat du concours qu’il m’a apporté dans la relecture des articles du dossier. Les opinions développées dans cet article introductif ne sauraient engager aucune de ces personnes ni le ministère de la Défense.
-
[2]
Le contenu des accords de Minsk a été mis en ligne, le 12 février 2015, sur le site de l’OSCE : « Ensemble de mesures en vue de l’application des accords de Minsk », https://osce.delegfrance.org/IMG/pdf/150212_mesures_minsk_fr.pdf?1622 [consulté le 10 juin 2017]. Le texte des accords de Minsk II est également disponible en russe, www.osce.org/ru/cio/140221?download=true [consulté le 30 juin 2017].
-
[3]
À ce sujet, voir Duncan Leicht, Assisting Reform in Post-communist Ukraine, 2000-2012 : The Illusions of Donors and the Disillusion of Beneficiaries, Stuttgart, Ibidem Verlag, 2016.
-
[4]
Balázs Jarábik, Yuliya Bila, « And then there were five : the plight of ukraine’s oligarchs », Carnegie Endowment for International Peace, 17 juin 2015.
-
[5]
Balázs Jarábik, Mikhail Minakov, « Ukraine’s hybrid state », Carnegie Endowment for International Peace, 22 avril 2016 ; Sergej Maslûčenko, « Gibridnoe gosudarstvo Ukraina : osobennosti, problemy i perspektivy », Hvilâ, 14 mars 2016, en russe.
-
[6]
Pierre Jolicœur, Aurélie Campana, « Introduction : “Conflits gelés” de l’ex-URSS. Débats théoriques et politiques », Études internationales, 4 (40), p. 501-521.
-
[7]
Elle met en ligne des rapports réguliers sur le site de l’OSCE : www.osce.org/ukraine-smm/reports [consulté le 10 juin 2017].
-
[8]
« Civilians face “dire” situation amid ongoing hostilities in eastern Ukraine, UN warns », UN News Center, 3 février 2017, www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=56110#.WTm20NyxUuU [consulté le 10 juin 2017].
-
[9]
Entretien à Kiev avec des représentants du ministère ukrainien de la Défense, 12 avril 2017.
-
[10]
Rapports de Memorial sur la situation en Ukraine : www.memo.ru/d/212074.html [consulté le 10 juin 2017].
-
[11]
Mykola Bielieskov, « How and to what extent did international assistance strengthen Ukraine’s defense capabilities ? », Policy Brief, Institute of World Policy (Kiev), 2017. Voir en appendice à la page 5 les deux graphiques présentant la contribution financière des différents pays occidentaux au renforcement de l’appareil de défense ukrainien.
-
[12]
Voir « Comprehensive assistance package for Ukraine », OTAN, juillet 2016, www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/pdf_2016_09/20160920_160920-compreh-ass-package-ukraine-en.pdf [consulté le 10 juin 2017] ; « NATO trust funds to support Ukraine. Infographic », Institute of World Policy (Kiev), 14 juillet 2016, http://iwp.org.ua/eng/public/2094.html [consulté le 10 juin 2017].
-
[13]
Isabelle Facon, « Défense ukrainienne : une réforme difficile face à des défis multiples », note de l’Ifri, mars 2017.
-
[14]
Voir Ioulia Shukan, Génération Maïdan. Vivre la crise ukrainienne, La Tour-d’Aigues, L’Aube, 2016 ; Ioulia Shukan, Alexandra Goujon, « Sortir de l’anonymat en situation révolutionnaire. Maïdan et le citoyen ordinaire en Ukraine (hiver 2013-2014) », Politix, 112 (28), 2015, p. 33-57.
-
[15]
Internal Displacement Monitoring Center, « Ukraine. Translating IDPS’ protection into legislative action », Briefing Paper, 19 décembre 2016.
-
[16]
« Conflict-related displacement in Ukraine. Increased vulnerabilities of affected populations and triggers of tension within communities », rapport de l’OSCE, 25 août 2016.
-
[17]
Gilles Lepesant, « Entre européanisation et fragmentation, quel modèle de développement pour le territoire ukrainien ? », Les Études du CERI, 212, juin 2015.
-
[18]
« Public opinion survey of residents of ukraine (April 21-May 5, 2017) », Center for Insights in Survey Research, mai 2017, www.iri.org/sites/default/files/2017-may-survey-of-residents-of-ukraine_en.pdf [consulté le 10 juin 2017].
-
[19]
Voir Anna Colin Lebedev, Les combattants et les anciens combattants du conflit armé dans le Donbass : profil social, poids militaire et influence politique, Étude de l’IRSEM, à paraître en 2017.
-
[20]
Voir Rilka Dragneva-Lewers, Kataryna Wolczuk, Ukraine Between the EU and Russia. The Integration Challenge, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2015 ; Elizabeth Wood (ed.), Roots of Russia’s War in Ukraine, Washington (Wash.), Woodrow Wilson Center Press, New York (N. Y.), Columbia University Press, 2016.
L’Ukraine dans son environnement régional (2017)
L’Ukraine dans son environnement régional (2017)
Déploiements militaires en Europe de l’Est (2017)
Déploiements militaires en Europe de l’Est (2017)
1La prise de la Crimée puis son rattachement à la Fédération de Russie, le 18 mars 2014, ont constitué une surprise stratégique majeure et ont été perçus comme un défi à l’ordre international. Vues de Moscou, les actions militaires que l’armée russe a entreprises en Ukraine depuis 2014 s’inscrivent dans un dessein défensif ; elles visent à maintenir un glacis protecteur autour du pays en empêchant les forces de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) de se rapprocher un peu plus des frontières russes. Vues de Bruxelles et des capitales occidentales, elles constituent une atteinte délibérée aux principes du droit international qui régissent les relations entre États : non seulement elles dérogent aux dispositions de l’Acte final de la conférence d’Helsinki de 1975 qui affirme l’inviolabilité des frontières, le respect de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale, ainsi que le non-recours à la menace ou à l’emploi de la force, mais elles contreviennent en plus au Mémorandum de Budapest, signé en décembre 1994, suivant lequel l’Ukraine a accepté de se défaire du stock d’armes nucléaires qui étaient conservées sur son sol en échange de garanties sur sa sécurité, son indépendance et sa souveraineté.
2Trois ans après le début du conflit dans le Donbass, des combats meurtriers et dévastateurs s’y poursuivent de façon sporadique. Signé le 5 septembre 2014, le protocole de Minsk, qui prévoyait un cessez-le-feu immédiat, est resté lettre morte. Les accords de Minsk II [2], conclus en février 2015, aux termes de pourparlers difficiles entre le président ukrainien Petro Porochenko, le président russe Vladimir Poutine, la chancelière allemande Angela Merkel et le président français François Hollande n’ont pas permis de parvenir à une résorption complète de la violence et à une résolution rapide du conflit. Ils ont toutefois eu leur utilité sur le moment puisqu’ils ont permis d’obtenir une réduction de l’usage des armes lourdes à une période où les forces séparatistes, appuyées par l’armée russe, risquaient de pousser leur avantage plus loin et d’étendre leurs gains territoriaux. S’ils n’ont pas participé directement aux négociations, les dirigeants autoproclamés des territoires sécessionnistes du Donbass, Alexandre Zakhartchenko pour la « République populaire de Donetsk » (DNR suivant l’acronyme russe) et Igor Plotnitski pour la « République populaire de Lougansk » (LNR) étaient présents et consultés à Minsk. Toujours au pouvoir en 2017, ils assument les fonctions de chef du gouvernement dans leur « république » respective.
3Le gouvernement ukrainien mène de front plusieurs batailles. D’un côté, il poursuit avec un succès inégal, mais une résolution inentamée, le processus de réforme et de modernisation de l’État, gage d’un rapprochement durable avec l’Union européenne (UE). Poussé par la société civile et la communauté internationale, il s’efforce de mener à bien des réformes structurelles et de mettre fin aux dysfonctionnements de l’État, à l’incurie comme à la prévarication. Des progrès notables ont été réalisés dans certains domaines, comme la décentralisation, la lutte contre la corruption et la réforme de la fonction publique, en dépit de difficultés majeures, liées à l’absence de capacités administratives, aux conséquences de la guerre et à l’ambivalence des oligarques [3]. D’un autre côté, les dirigeants ukrainiens se révèlent incapables de trouver une issue au conflit armé, qu’elle soit politique ou militaire. Le Donbass est devenu un territoire dont ni Kiev ni Moscou ne veulent, mais que ni Kiev ni Moscou ne peuvent abandonner pour des raisons de politique intérieure et de crédibilité internationale.
4Ce numéro porte sur les implications internationales de la guerre en Ukraine. Il vise à examiner ses répercussions sur les projets et les pratiques de l’UE et de l’OTAN en Europe. En guise d’introduction sans doute faut-il revenir sur le conflit lui-même pour tenter d’en saisir les tenants et les aboutissants et pour cerner les dynamiques de la violence au niveau local et national.
Des désaccords sur les accords
5En plus d’un cessez-le-feu, les accords de Minsk II prévoient, sur le plan militaire, la création d’une zone démilitarisée et le retrait des armes lourdes de chaque côté de la ligne de démarcation, ainsi que le contrôle du cessez-le-feu et du respect des autres clauses de démilitarisation par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Héritière de l’Ostpolitik de Willy Brandt, l’OSCE a grandement contribué au dialogue Est-Ouest depuis 1975. Sur le plan politique, les accords stipulent qu’une résolution sur le statut spécial du Donbass doit être approuvée par la Rada suprême, le Parlement monocaméral ukrainien, dans les trente jours. Ils prescrivent également l’adoption par cette même assemblée d’une loi d’amnistie interdisant toute poursuite judiciaire à l’encontre « des personnes impliquées dans les événements s’étant déroulés dans certains districts des régions de Donetsk et de Lougansk ». Sur le plan humanitaire, ils envisagent des échanges de prisonniers et d’otages suivant le principe de « tous contre tous », ainsi que l’acheminement de l’aide humanitaire et le rétablissement du paiement des retraites et des prestations sociales par l’Ukraine.
6Les dernières clauses du document portent sur l’avenir du Donbass. Elles spécifient que le contrôle de la frontière russo-ukrainienne ne sera rendu à l’Ukraine qu’au lendemain de la tenue d’élections locales dans les régions disputées. Elles précisent, en outre, que ces élections doivent intervenir après l’adoption d’une réforme constitutionnelle. En d’autres termes, le président Poutine a réussi à obtenir que soit imposé à l’Ukraine, pays agressé, de souscrire aux demandes de la Russie et des forces séparatistes pro-russes, à savoir d’inscrire le principe d’une décentralisation dans la Constitution ukrainienne et d’adopter une « législation permanente » qui reconnaîtrait un « statut spécial » aux entités séparatistes de Donetsk et de Lougansk. Acceptées au terme d’une longue nuit de négociations, alors que les forces ukrainiennes étaient en difficulté sur le terrain, en particulier à Debaltseve, ces clauses ont été immédiatement contestées en Ukraine. Laissées sans suite, elles constituent toujours une pierre d’achoppement dans les négociations.
7Un autre point de désaccord concerne l’ordre d’application des clauses. Les autorités russes s’en tiennent à la lettre des accords, c’est-à-dire à leur numérotation. Estimant qu’il faut donner la prééminence au règlement politique du conflit, elles considèrent que la loi sur le « statut spécial » du Donbass et la réforme constitutionnelle forment un préalable à toute démilitarisation de la région. Elles excluent de renoncer au contrôle de la frontière avant qu’un décret d’amnistie n’exonère les séparatistes de toutes poursuites pénales. Sans aller jusqu’à dénoncer les accords, les autorités ukrainiennes défendent la position inverse. Elles sont d’avis que la réintégration du Donbass dans l’Ukraine ne pourra avoir lieu qu’après sa démilitarisation et le retour à la paix civile. Partant du principe que la résolution militaire du conflit doit précéder son règlement politique, elles posent diverses conditions à l’organisation d’élections législatives dans les zones contestées, insistant sur les garanties de sécurité prévues par les accords, comme l’observation d’un cessez-le-feu complet et durable, le retrait effectif des armes lourdes et la restitution du contrôle des 400 km de frontière avec la Russie. Quant aux chefs séparatistes, qui ont mis en place une économie de prédation dans le Donbass, ils ne sont pas non plus favorables à la mise en œuvre de ces accords qui les obligeraient à renoncer aux pleins pouvoirs dont ils jouissent aujourd’hui.
8Pour favoriser l’exécution des accords de Minsk II, quatre groupes de travail thématiques ont été mis en place ; ils traitent respectivement des enjeux de sécurité, des questions humanitaires, des aspects politiques et des problèmes économiques. Ils réunissent des négociateurs venus de Russie, d’Ukraine, de DNR et de LNR, qui sont aidés de représentants de l’OSCE, de l’Allemagne et de la France. Poussives et difficiles, ces négociations par groupes n’ont pas permis de dénouer la situation. Au printemps 2017, les négociateurs arborent toujours des positions intransigeantes. Emmenés par l’éminence grise du Kremlin, Vladislav Sourkov, les Russes continuent d’exiger l’application des clauses politiques et de refuser en bloc toute autre proposition. Pris en défaut, les Ukrainiens usent de mesures dilatoires. Ils mettent en exergue la nécessité d’assurer la sécurité sur le terrain avant d’organiser un scrutin sans avoir réellement l’intention de le faire. De telles élections donneraient, en effet, une légitimité politique aux dirigeants autoproclamés et feraient entrer à la Rada des députés pro-russes. Par ailleurs, le vote sur le statut spécial du Donbass, qui nécessite une réforme constitutionnelle, a depuis longtemps été reporté sine die. Étant donné la répartition des forces politiques de la Rada, le gouvernement ukrainien ne parviendrait pas, de toute façon, à réunir les 300 voix nécessaires pour entériner une révision de la Constitution. S’il cherchait à obtenir le soutien de députés stipendiés par des oligarques, il se heurterait à des défections en nombre au sein du bloc Porochenko et surtout du parti Front populaire (Narodnyi Front) dirigé par l’ancien Premier ministre Arseni Iatseniouk [4]. À cet égard, certains experts soulignent le risque que les pressions internationales en faveur d’une application des accords de Minsk ne nuisent au processus de réforme en Ukraine et ne viennent renforcer l’influence des oligarques [5].
Des intérêts à la poursuite de la guerre
9Trois ans après le début du conflit dans le Donbass, des affrontements de haute intensité alternent avec des périodes d’accalmie relative ponctuées de heurts. Aussi, plutôt que de « conflit gelé », à cheval entre les conflits internationaux et les conflits civils [6], sans doute faut-il parler de guerre par procuration et de conflit de basse intensité avec des pics de violence. La mission d’observation et de contrôle de l’OSCE en Ukraine y a relevé des milliers de violations du cessez-le-feu [7]. Les combats nourris font généralement suite à une offensive des séparatistes, tandis que les escarmouches seraient souvent provoquées par l’armée ukrainienne. En février 2017, le nombre de victimes civiles et militaires du conflit était estimé à 9 800 par la Commission des droits de l’homme de l’ONU [8]. En avril 2017, le ministère ukrainien de la Défense faisait pour sa part état de 2 600 soldats morts et de 600 personnes retenues en otage, chiffres auxquels viennent s’ajouter environ 10 000 victimes civiles et plus de 20 000 blessés de guerre [9]. Il est difficile d’évaluer les pertes humaines dans les rangs des forces séparatistes et de l’armée russe. Des associations russes de défense des droits de l’homme, comme Memorial, considérée comme un « agent de l’étranger » par les autorités de son pays, s’emploient à établir une comptabilité et à identifier les soldats russes morts en Ukraine [10].
10L’Ukraine s’étant rapprochée de leur adversaire déclaré – l’OTAN –, les dirigeants russes estiment que leur pays se voit privé de la profondeur stratégique souhaitée. L’armée russe renforce son dispositif des deux côtés de la frontière russo-ukrainienne. Le premier échelon est constitué des forces séparatistes du Donbass, auxquelles des militaires russes prêtent main-forte ; le second se déploie sur le territoire national, où trois divisions russes, fortes de 18 000 hommes, se tiennent prêtes et où des infrastructures en dur ont été construites. Une huitième armée est en formation près de Rostov-sur-le-Don ; elle sera dotée d’une division de chars, de brigades, ainsi que de régiments d’artillerie et d’ingénierie. Il y a lieu de penser que ces déploiements remplissent surtout des fonctions dissuasives. Les autorités ukrainiennes ne redoutent plus une offensive de grande ampleur comme dans les mois qui ont suivi l’annexion de la Crimée. Étant donné la remontée en puissance de l’armée ukrainienne et les déconvenues essuyées par le projet de Novorossia qui a peu mobilisé au-delà du Donbass, les dirigeants russes ont conscience qu’une telle entreprise susciterait une forte résistance, à la fois militaire et populaire, et qu’elle entraînerait de nouvelles sanctions occidentales.
11Sans être officiellement partie prenante du conflit dans le Donbass, la Russie fournit aux séparatistes ukrainiens des armements modernes, comme des drones et des instruments de brouillage. Les forces armées de LNR-DNR disposeraient ainsi de 600 chars et de 400 systèmes d’artillerie. Fortes d’environ 40 000 hommes, elles sont organisées en deux corps d’armées et six brigades, et compteraient dans leurs rangs environ 3 000 militaires russes, intégrés à tous les échelons de commandement (ceux-ci seraient 6 000 selon le ministère ukrainien de la Défense). Il est difficile de savoir quel rôle exact jouent les services du renseignement militaire russe, le GRU, ou quelle est la nature des liens qui lient le Kremlin aux dirigeants séparatistes. S’ils sont dépendants, ces derniers n’obéissent pas toujours aux injonctions. Plusieurs chefs de guerre récalcitrants sont morts dans des conditions mal élucidées. Ils se disputent le pouvoir, le conflit ayant généré des rentes de situation et créé une véritable économie de guerre. En plus de la contrebande le long de la ligne de contact, ils peuvent tirer profit de la vente d’armements qui draine des flux financiers importants.
12Le conflit dans le Donbass fournit aussi des opportunités à l’Ukraine : il lui donne la possibilité de reconstituer un appareil de défense performant et de transformer ses forces armées à marche forcée suivant les meilleurs standards occidentaux [11]. Le pays reçoit 60 millions de dollars d’aide militaire par an en plus de l’assistance fournie par l’OTAN [12]. Quelque 600 conseillers américains, britanniques et canadiens sont présents sur le territoire ukrainien pour assurer la formation des troupes et développer une coopération de défense. La réforme en cours [13] vise à transformer progressivement la structure de l’état-major et à dégraisser les effectifs des officiers. Deux instruments politiques ont été mis en place pour accompagner la modernisation de l’armée et renforcer le contrôle des civils sur les militaires. Le premier est une commission d’experts étrangers, créée en 2014 par les États-Unis, rejoints ensuite par d’autres pays. Elle réunit cinq experts, dont quatre généraux quatre étoiles, qui conseillent le ministre de la Défense sur des questions stratégiques, sans se prononcer au niveau opératif. Le second est un comité de réformes réunissant des personnalités issues de la société civile. Souvent engagés depuis le mouvement populaire de la place Maïdan [14], ses membres cherchent à combattre la corruption depuis l’intérieur, s’intéressant à l’approvisionnement des soldats sur le front et à l’aide apportée aux vétérans de guerre. Ainsi la pérennité de l’assistance internationale et la réforme du secteur de la défense dépendent-elles en partie de la poursuite des hostilités.
Une société aux abois
13La guerre en Ukraine a entraîné le départ de millions d’habitants du Donbass. Ils seraient entre 1,7 et 1,9 million à résider dans d’autres régions d’Ukraine (le nombre de déplacés internes enregistrés en décembre 2016 s’élevait à 1,66 million [15]). Environ 900 000 personnes auraient trouvé refuge à l’extérieur du pays ; parmi elles, 750 000 vivraient en Russie et 80 000 en Biélorussie [16]. Ces chiffres sont fluctuants pour un ensemble de raisons. De nombreux réfugiés sans ressources choisissent, en désespoir de cause, de rentrer chez eux en dépit du danger et des privations. D’autres s’enregistraient dans plusieurs endroits dans l’espoir de percevoir leur retraite ou d’obtenir des aides supplémentaires. D’autres enfin, mieux lotis et plus fortunés, n’ont pas jugé opportun d’accomplir les formalités nécessaires à l’obtention du statut de déplacés internes, de crainte notamment d’être mobilisés. Généralement peu qualifiés, les réfugiés étaient nombreux à travailler dans l’industrie minière. Il leur est difficile de trouver du travail et d’envisager une reconversion professionnelle dans une conjoncture économique déprimée. D’après des témoignages recueillis en Ukraine, l’aide du gouvernement et des autorités locales aux déplacés internes est dérisoire. En 2016, les réfugiés dûment enregistrés percevaient 442 hryvnia par mois pour un actif (environ 15 euros) et 844 hryvnia pour un enfant, avec un plafonnement des aides cumulées à 2 400 hryvnia (environ 80 euros). L’assistance vient principalement de la société civile qui se mobilise pour offrir le logis ou bien pour acheter des médicaments, des vêtements et de la nourriture.
14La guerre a aussi bouleversé la vie des quelque 2,7 millions de personnes qui habitent toujours dans les territoires contrôlés par les séparatistes. La situation humanitaire dans le Donbass, y compris dans les zones reprises par l’armée ukrainienne, est désastreuse. La nourriture manque, de même que de nombreux médicaments de première nécessité. La Croix rouge internationale qui est la seule organisation non gouvernementale occidentale à être autorisée à se rendre en DNR et en LNR fournit de l’insuline à 10 000 personnes et des dialyses à 300, ce qui, au vu de la population présente, est sans doute insuffisant. Les conditions d’hygiène et de sécurité sont des plus précaires. D’après divers témoignages, des problèmes d’héroïne, de sida et de tuberculose s’accentuent. Des disparitions suspectes et des détentions arbitraires sont rapportées des deux côtés de la ligne de contact. Fondée sur l’extraction du charbon et l’industrie minière, l’économie locale est moribonde. La plupart des grandes entreprises ne fonctionnent plus ; d’autres ont été démantelées et transportées en Russie. En somme, le Donbass est une région morte. Toutes les forces vives en sont parties.
15Sur les territoires repris par l’armée ukrainienne, les autorités n’ont pas été en mesure de rétablir les services de l’État, ni de reconstruire les routes et les infrastructures. Les « populations libérées » doivent passer plusieurs types de check points pour accéder aux services publics ukrainiens. Au printemps 2017, elles demeurent exposées aux seuls médias russes, les pylônes qui leur permettraient de suivre la télévision ukrainienne n’ayant pas été reconstruits. En de nombreux endroits, elles sont privées d’eau, d’électricité et de chauffage. Dans la ville d’Avdiivka, où des combats très durs ont eu lieu au début de l’année 2017 et où l’armée ukrainienne a réussi à maintenir ses positions, l’eau doit régulièrement être acheminée par camions, la station d’épuration fonctionnant par intermittences en raison de coupures d’électricité. Ces difficultés avivent la défiance ancienne et enracinée des habitants du Donbass à l’égard de Kiev. De l’avis de nombreux observateurs, si des élections y étaient organisées, elles seraient favorables à des forces politiques pro-russes.
16La guerre a profondément déstabilisé l’ensemble de l’Ukraine, un pays qui connaît de fortes disparités régionales [17]. Il a fallu réorienter les échanges économiques et commerciaux qui étaient tournés vers la Russie. Dans la région limitrophe de Kharkiv, 80 % des exportations se faisaient en direction du voisin russe avant 2014. La crise économique a provoqué une dévaluation de la monnaie nationale de 35 %. Si la situation est aujourd’hui stabilisée, les réformes structurelles et la politique d’austérité, préconisées par les bailleurs de fonds internationaux de l’Ukraine, ont entraîné un effondrement du niveau de vie. D’autres réformes ont eu pour effet d’attiser le mécontentement social : les progrès de la lutte anticorruption donnent ainsi l’impression que le nombre d’affaires de corruption progresse ; la loi sur la dé-communisation, qui vise à rompre définitivement avec le passé communiste, suscite de nombreux conflits mémoriels. Enfin, la fuite des cerveaux s’accélère, entraînant des pertes de compétence significatives. En 2016, 560 000 personnes, souvent jeunes, ont quitté le pays, contre 400 000 en 2015 sur une population de 44 millions. Le mouvement risque de s’amplifier, le Conseil de l’Union européenne ayant décidé en mai 2017 d’exempter de visa les Ukrainiens qui se rendront en Europe pour des séjours de moins de 90 jours.
Vers la séparation et l’absorption du Donbass ?
17D’après un sondage d’opinion datant du printemps 2017, une large majorité de la population ukrainienne (80 %), y compris dans les territoires du Donbass contrôlés par l’Ukraine (73 %), se prononce en faveur du retour des territoires de DNR et de LNR en Ukraine [18]. Dans l’ensemble, les Ukrainiens sont favorables à une issue pacifique et diplomatique au conflit, estimant qu’il n’y a pas de solution militaire, mais ils rejettent les accords de Minsk II, jugeant que leur application reviendrait à capituler devant la Russie. Tout en restant favorable à la réintégration du Donbass dans l’Ukraine, le président Porochenko voit sa marge de manœuvre se réduire. D’une part, il doit tenir compte de l’hostilité d’une partie des anciens combattants et des groupes radicaux, décidés à s’opposer coûte que coûte à toute réforme constitutionnelle qui ouvrirait la voie à une fédéralisation du pays [19]. D’autre part, il doit se montrer accommodant avec les partis qui plaident en faveur d’une séparation du Donbass du reste de l’Ukraine s’il veut conserver le soutien des formations politiques avec lesquelles il a constitué une coalition politique à la Rada, même si de facto celle-ci n’existe plus depuis le début de l’année 2016. Son adversaire déclaré, le maire de Lviv Andri Sadovy, qui est hostile à toute réintégration du Donbass, préconise la mise en place d’une frontière intérieure entre les territoires de DNR et LNR et le reste de l’Ukraine. Deux députés appartenant à son parti Samopomich seraient à l’origine du blocus des voies ferrés qui a défrayé la chronique au début de l’année 2017. En janvier et en février, des nationalistes et des anciens combattants ukrainiens ont empêché le passage de convois de charbon des territoires séparatistes vers l’Ukraine, assimilant ces échanges commerciaux à de la trahison. Or les centrales électriques ukrainiennes ne peuvent être alimentées que par un type de charbon anthracite produit soit dans le Donbass, soit en Afrique du Sud. L’importation de ce charbon via le port de Rotterdam a causé une hausse du prix de l’électricité.
18Juste après le blocus, les dirigeants russes ont reconnu l’utilisation du rouble russe dans les entités séparatistes de DNR et LNR, ainsi que les documents d’identité et les plaques minéralogiques délivrés par leurs « gouvernements ». Ils ont aussi procédé à la nationalisation de grandes parties d’usines locales, notamment de celles qui fabriquent le charbon utilisé dans lesdites centrales thermiques ukrainiennes. Envisagent-ils une intégration progressive du Donbass ? D’autres conflits gelés de l’espace post-soviétique, comme l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, montrent qu’un retour en arrière est peu probable : la création d’une entité indépendante précède son rattachement graduel au territoire de la Fédération de Russie. Par ailleurs, un nombre croissant d’Ukrainiens juge qu’il est dans l’intérêt de leur pays d’abandonner les zones occupées du Donbass qui représentent 4 % de l’ensemble du territoire. Nombreux sont les responsables ukrainiens à prôner la « patience stratégique », c’est-à-dire le statu quo, tout en ayant conscience que le temps ne favorise pas la réintégration du Donbass dans l’Ukraine. Animés d’une grande défiance à l’égard de Moscou, ils se disent convaincus qu’il est inutile, voire nuisible, de rechercher un compromis. À leurs yeux, les autorités russes n’ont d’autres objectifs que de porter le discrédit sur le processus de réformes et de prouver que l’Ukraine est un État failli. Selon un représentant du ministère ukrainien des Affaires étrangères s’exprimant en avril 2017, la position de l’Ukraine se résume en une formule : « Russia out, International community in. » Elle a pour corollaires d’exclure la possibilité d’ouvrir des négociations directes avec les représentants de DNR et LNR et de rejeter l’organisation d’élections dans le Donbass tant que les médias et les politiciens ukrainiens ne pourront pas y avoir accès et tant que les migrants forcés ne pourront pas voter.
19Dans ces conditions, aucune stratégie de sortie de crise ne se dessine, même si diverses options sont discutées. Une première solution consisterait à élargir le cadre des négociations à d’autres pays. À Kiev, les discussions vont bon train sur l’opportunité d’abandonner le format de Normandie (Allemagne, France, Russie, Ukraine) pour privilégier celui du Mémorandum de Budapest (États-Unis et Royaume-Uni) ou l’étendre aux pays du G7. Après l’élection de Donald Trump, Kiev souhaitait que Paris et Berlin invitent Washington à rejoindre les négociations sur le processus de paix dans le Donbass. Les gouvernements français et allemand ont refusé, tout en se disant ouverts à l’idée que les États-Unis apportent leur concours à la résolution du conflit. Une seconde solution consisterait à convaincre Moscou qu’il est dans son intérêt que les élections à venir dans le Donbass puissent se tenir dans des conditions jugées dignes et acceptables par l’OSCE, dont la Russie est membre. Pour rendre ces élections crédibles, plusieurs conditions devraient être réunies : qu’un cessez-le-feu complet et durable soit observé, que les troupes soient désarmées et la frontière fermée, que les médias ukrainiens soient représentés dans le Donbass et que des partis proukrainiens puissent faire campagne sur place. Le retour à la paix et le contrôle de la frontière s’imposeraient comme un préalable nécessaire à toute avancée politique. La partie ukrainienne souhaite, en particulier, que des observateurs de l’OSCE aient accès aux territoires contestés et puissent surveiller la frontière avec la Russie ; elle envisage la possibilité d’y déployer, pendant une période de transition, une mission de police internationale sous l’égide de l’OSCE ou dans le cadre de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l’UE.
20Pour l’heure, il est peu probable que Moscou accepte ce qui serait perçu comme une concession majeure faite à Kiev. Les chances sont minces de voir les dirigeants russes renoncer au levier de pression que leur confèrent les accords de Minsk II. Ils les défendent d’autant plus allègrement que la levée des sanctions occidentales dépend en partie de leur application et que toutes leurs tentatives d’influence pour obtenir leur annulation par d’autres moyens se sont jusqu’ici révélées infructueuses. En mars 2015, l’UE a conditionné la fin des sanctions à la mise en œuvre intégrale des accords de Minsk II, les reconduisant à plusieurs reprises en dépit des pressions exercées par la Russie sur certains pays membres. En février 2017, la nouvelle ambassadrice des États-Unis auprès de l’ONU a annoncé que les sanctions américaines resteraient en vigueur tant que la Crimée ne serait pas rendue à l’Ukraine. Alors que diverses initiatives prises au printemps 2017 laissent à penser que les autorités russes pourraient envisager de procéder à l’absorption du Donbass, l’attentisme des autorités ukrainiennes, associé à l’intransigeance de différents acteurs sur le terrain, suggère qu’une séparation définitive des territoires séparatistes de l’ensemble de l’Ukraine est considérée comme la moins mauvaise des solutions. Personne ne semble plus œuvrer en faveur d’une réintégration de ces deux entités dans l’Ukraine.
Les implications du conflit en Europe
21Les articles réunis dans ce numéro visent à appréhender les conséquences de la crise ukrainienne en Europe. Pour mieux prêter attention aux écarts de perception, il nous a semblé opportun de faire dialoguer des spécialistes de la Russie, de l’UE et de l’OTAN [20]. Les deux organisations chargées d’assurer la sécurité du continent envisagent rarement leurs actions de concert. Elles ont pourtant des intérêts stratégiques communs, ne serait-ce que parce que vingt-deux pays (bientôt vingt-et-un) sont membres des deux en même temps.
22Isabelle Facon se livre à une évaluation de la menace militaire russe. Elle rappelle les objectifs et les résultats de la réforme militaire de 2008 qui a fait l’objet d’un investissement financier significatif. Grâce à une politique active de réarmement et à une multiplication des exercices à tous les échelons, l’armée russe a réussi à opérer une remontée en puissance. Mais l’auteur ne s’arrête pas aux considérations purement militaires ; elle réfléchit aussi aux intentions russes et aux perceptions réciproques. Les actions démonstratives de la Russie, ainsi que le renforcement des défenses antiaériennes, visent à compenser ce qui est perçu comme une asymétrie militaire. Elles s’inscrivent dans une stratégie globale qui entend saper la supériorité militaire occidentale, en mettant à profit des instruments non militaires afin d’amoindrir la cohésion des pays de l’OTAN.
23Guillaume Lasconjarias examine ensuite les initiatives de l’OTAN depuis le début de la guerre en Ukraine. La réaction politique a justement consisté à réaffirmer la cohésion des alliés et le principe de la défense collective. L’OTAN a procédé aux adaptations opérationnelles pour renforcer la crédibilité de sa dissuasion. Des initiatives ont été prises pour améliorer ses capacités de réactivité, en consolidant la Force de réaction (NRF) et en créant en son sein une brigade d’intervention à très haut niveau de préparation (VJTF). Les représentants des États membres s’interrogent désormais sur les adaptations structurelles et organisationnelles qui pourraient être entreprises pour approfondir la transformation de l’OTAN. Ils cherchent en particulier à accélérer les processus de décision et les mécanismes d’activation en cas de crise.
24Barbara Kunz s’intéresse aux répercussions que les tensions entre la Russie et l’OTAN ont eues dans le nord de l’Europe. Face aux gesticulations russes dans la région, les pays nordiques, la Pologne et les pays baltes développent de nouveau un dialogue stratégique et une coopération de sécurité au niveau régional. L’architecture de sécurité reste toutefois fragmentée dans la région de la mer Baltique. Deux pays, la Suède et la Finlande, ne sont pas membres de l’Alliance atlantique. Après la fin de la Guerre froide, Stockholm a cru à la disparition de toute menace et a réduit ses forces armées ; Helsinki a opté pour un pragmatisme prudent, restant attachée à la défense territoriale et entretenant des liens avec Moscou. Les événements récents incitent ces pays à coopérer davantage et à reconsidérer certains présupposés de leur culture stratégique, sans les conduire pour l’instant à envisager une intégration dans l’OTAN.
25Dans un article consacré à la Politique européenne de voisinage (PEV) face au conflit, Chantal Lavallée revient sur l’émergence du Partenariat oriental proposé aux anciens pays soviétiques d’Europe orientale et du Caucase. Elle estime que la dimension stratégique du Partenariat oriental a été négligée par l’UE en raison de la nature et du fonctionnement même de la PEV. Gérée essentiellement par la Commission européenne, la PEV dispose d’un budget substantiel de l’ordre de 15,4 milliards d’euros pour la période qui court de 2014 à 2020, mais son élaboration résulte de mécanismes unifiés et procéduraux qui n’ont pas permis d’associer la Russie. Sans rompre avec ses pratiques et son discours passés, l’UE s’oriente désormais vers un engagement accru des États membres dans la définition des orientations de la PEV et promeut une approche différenciée pour relancer le Partenariat oriental.
26Elsa Tulmets étudie pour sa part les représentations et les motivations des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. S’inscrivant dans une perspective constructiviste, elle analyse l’évolution des discours de politique étrangère de ces pays, en se focalisant sur la Pologne et la République tchèque, qui, avec la Suède, ont œuvré en faveur de la politique européenne de Partenariat oriental. Si les PECO sont désunis sur la conduite à tenir vis-à-vis de la Russie et sur les orientations à donner à leur politique étrangère, ils se rejoignent sur les questions de sécurité. Tous s’accordent à donner la priorité aux préoccupations sécuritaires et demandent des garanties supplémentaires à l’UE et à l’OTAN.
27En plus des cinq articles du dossier, le numéro comprend une rubrique Forum qui permet à des spécialistes, qu’ils soient officier supérieur, universitaire ou haut fonctionnaire, de développer un point de vue sur une question disputée ou controversée.
28Le général de corps d’armée Michel Yakovleff, vice-chef d’état-major du Grand quartier général des puissances alliées en Europe de l’OTAN (Shape) jusqu’en 2016, nous offre une réflexion stimulante sur la sécurité qu’il définit comme l’absence de menace, qu’elle soit perçue ou réelle.
29À partir d’une analyse quantitative et comparative, Nicu Popescu montre que le rapprochement avec l’UE n’a pas eu les effets escomptés dans les pays du Partenariat oriental. Certes l’UE y a renforcé ses positions commerciales, souvent au détriment de la Russie, tout en impulsant une dynamique de coopération. Mais Bruxelles a eu bien des difficultés à susciter des réformes politiques, notamment dans les pays qui se disent favorables au modèle européen et qui affichent des ambitions démocratiques. La Moldavie et l’Ukraine obtiennent ainsi de plus mauvais résultats en termes de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption que des pays autoritaires comme la Biélorussie et l’Azerbaïdjan.
30Nicolas Mazzucchi explore les enjeux énergétiques de l’annexion de la Crimée par la Russie qui a entraîné une modification du tracé des eaux territoriales. Sans faire l’objet d’une reconnaissance internationale, cette situation compromet les trois projets que l’UE a développés à partir de 2008 dans le cadre du Corridor gazier du Sud afin d’ouvrir de nouvelles voies d’approvisionnement et de diminuer sa dépendance énergétique à l’égard de la Russie. Enfin, Ioulia Shukan explore les obstacles politiques à une réintégration politique du Donbass dans l’Ukraine, expliquant pourquoi la plupart des partis représentés à la Rada et une majorité de la population demeurent farouchement opposés aux accords de Minsk II.
Notes
-
[1]
J’exprime ma gratitude aux auteurs du numéro qui ont fait preuve d’un investissement et d’une patience remarquables. Je remercie Ioulia Shukan, Anna Colin-Lebedev et Chantal Lavallée de leurs suggestions sur l’introduction, et Étienne Dignat du concours qu’il m’a apporté dans la relecture des articles du dossier. Les opinions développées dans cet article introductif ne sauraient engager aucune de ces personnes ni le ministère de la Défense.
-
[2]
Le contenu des accords de Minsk a été mis en ligne, le 12 février 2015, sur le site de l’OSCE : « Ensemble de mesures en vue de l’application des accords de Minsk », https://osce.delegfrance.org/IMG/pdf/150212_mesures_minsk_fr.pdf?1622 [consulté le 10 juin 2017]. Le texte des accords de Minsk II est également disponible en russe, www.osce.org/ru/cio/140221?download=true [consulté le 30 juin 2017].
-
[3]
À ce sujet, voir Duncan Leicht, Assisting Reform in Post-communist Ukraine, 2000-2012 : The Illusions of Donors and the Disillusion of Beneficiaries, Stuttgart, Ibidem Verlag, 2016.
-
[4]
Balázs Jarábik, Yuliya Bila, « And then there were five : the plight of ukraine’s oligarchs », Carnegie Endowment for International Peace, 17 juin 2015.
-
[5]
Balázs Jarábik, Mikhail Minakov, « Ukraine’s hybrid state », Carnegie Endowment for International Peace, 22 avril 2016 ; Sergej Maslûčenko, « Gibridnoe gosudarstvo Ukraina : osobennosti, problemy i perspektivy », Hvilâ, 14 mars 2016, en russe.
-
[6]
Pierre Jolicœur, Aurélie Campana, « Introduction : “Conflits gelés” de l’ex-URSS. Débats théoriques et politiques », Études internationales, 4 (40), p. 501-521.
-
[7]
Elle met en ligne des rapports réguliers sur le site de l’OSCE : www.osce.org/ukraine-smm/reports [consulté le 10 juin 2017].
-
[8]
« Civilians face “dire” situation amid ongoing hostilities in eastern Ukraine, UN warns », UN News Center, 3 février 2017, www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=56110#.WTm20NyxUuU [consulté le 10 juin 2017].
-
[9]
Entretien à Kiev avec des représentants du ministère ukrainien de la Défense, 12 avril 2017.
-
[10]
Rapports de Memorial sur la situation en Ukraine : www.memo.ru/d/212074.html [consulté le 10 juin 2017].
-
[11]
Mykola Bielieskov, « How and to what extent did international assistance strengthen Ukraine’s defense capabilities ? », Policy Brief, Institute of World Policy (Kiev), 2017. Voir en appendice à la page 5 les deux graphiques présentant la contribution financière des différents pays occidentaux au renforcement de l’appareil de défense ukrainien.
-
[12]
Voir « Comprehensive assistance package for Ukraine », OTAN, juillet 2016, www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/pdf_2016_09/20160920_160920-compreh-ass-package-ukraine-en.pdf [consulté le 10 juin 2017] ; « NATO trust funds to support Ukraine. Infographic », Institute of World Policy (Kiev), 14 juillet 2016, http://iwp.org.ua/eng/public/2094.html [consulté le 10 juin 2017].
-
[13]
Isabelle Facon, « Défense ukrainienne : une réforme difficile face à des défis multiples », note de l’Ifri, mars 2017.
-
[14]
Voir Ioulia Shukan, Génération Maïdan. Vivre la crise ukrainienne, La Tour-d’Aigues, L’Aube, 2016 ; Ioulia Shukan, Alexandra Goujon, « Sortir de l’anonymat en situation révolutionnaire. Maïdan et le citoyen ordinaire en Ukraine (hiver 2013-2014) », Politix, 112 (28), 2015, p. 33-57.
-
[15]
Internal Displacement Monitoring Center, « Ukraine. Translating IDPS’ protection into legislative action », Briefing Paper, 19 décembre 2016.
-
[16]
« Conflict-related displacement in Ukraine. Increased vulnerabilities of affected populations and triggers of tension within communities », rapport de l’OSCE, 25 août 2016.
-
[17]
Gilles Lepesant, « Entre européanisation et fragmentation, quel modèle de développement pour le territoire ukrainien ? », Les Études du CERI, 212, juin 2015.
-
[18]
« Public opinion survey of residents of ukraine (April 21-May 5, 2017) », Center for Insights in Survey Research, mai 2017, www.iri.org/sites/default/files/2017-may-survey-of-residents-of-ukraine_en.pdf [consulté le 10 juin 2017].
-
[19]
Voir Anna Colin Lebedev, Les combattants et les anciens combattants du conflit armé dans le Donbass : profil social, poids militaire et influence politique, Étude de l’IRSEM, à paraître en 2017.
-
[20]
Voir Rilka Dragneva-Lewers, Kataryna Wolczuk, Ukraine Between the EU and Russia. The Integration Challenge, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2015 ; Elizabeth Wood (ed.), Roots of Russia’s War in Ukraine, Washington (Wash.), Woodrow Wilson Center Press, New York (N. Y.), Columbia University Press, 2016.