Couverture de LCD_077

Article de revue

Éducation à la sexualité chez les jeunes délinquants sexuels

Pages 86 à 92

Notes

  • [1]
    J.Y. Hayez, « La confrontation des enfants et des adolescents à la pornographie », Arch. Pédiatr., 9(11), 2002, p. 1183-1188.
  • [2]
    S. Jehel, P. Attigui, Les adolescents face aux images violentes,[Rapport de recherche] Mission de Recherche Droit et Justice, 2018.
  • [3]
    D. Glazer, « Sexual abuse », dans C. brook, E. Arnold, Médicine in Adolescence, Londres, 1997 ; G. Ryan, « Sexually abusive youth: Defining the population », dans G. Ryan et S. Lane, Juvenile sexual offending, San Francisco, Jossey-Bass, 1997.
  • [4]
    B. Sioui, Jeux interdits : ces adolescents accusés d’agression sexuelle, Montréal, vlb, 2008.
  • [5]
    M. Hautefeuille, Les conduites de consommation à l’adolescence, Paris, De Boeck, 2005.
  • [6]
    T.J. Kahn, M.A. Lafond, « Treatment of the adolescent sexual offender », Child and Adolescent Social Work Journal, vol. 5, 1988, p. 135-148.
  • [7]
    M. Poitras, « Connaissances récentes sur les adolescents agresseurs sexuels », Défi Jeunesse, Revue professionnelle du Conseil multidisciplinaire du cjm-iu, vol. XVI, n° 2, 2010, p. 17-18.
  • [8]
    D. Lafortune et coll., Traitement de groupe basé sur des approches à vocation éducative, la connaissance du cycle de l’agression et la prévention de la récidive ou des discussions à visée réflexive/introspective, 2011, https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/…/Projet%20de%20Maitrise%5B1%5D.pdf.
  • [9]
    La pensée opératoire est une modalité de fonctionnement psychique décrite en psychanalyse par Pierre Marty et Michel de M’uzan. Elle repose sur l’absence de symbolisation (mentalisation) qui peut se traduire par des symptômes psychosomatiques, des agirs permanents ou des passages à l’acte. Le discours quant à lui reste factuel sans accès au fantasme, la mobilisation des affects est difficile à élaborer.
  • [10]
    N. Sajus, Du traumatisme de vie à la résilience, esf, 2018.

Intervenir auprès d’adolescents auteurs d’infractions sexuelles implique un aspect fondamental dans la pratique des professionnels : la formation. Parmi ses nombreuses spécialités, Nicolas Sajus est sexologue et éducateur à la vie affective et sexuelle. Par ailleurs superviseur individuel ou groupal pour les médiateurs familiaux, les psychologues de l’Aide sociale à l’enfance (ase) ou de la Protection judiciaire de la jeunesse (pjj), son expertise sur le sujet délicat de l’éducation à la sexualité chez les jeunes délinquants sexuels est une ressource précieuse pour tout professionnel amené à prendre en charge ces adolescents.

1La société post-moderne occidentale connaît de nombreuses mutations. L’une d’entre-elles est l’émergence du primat de l’image, notamment avec l’avènement d’internet. L’induction de cette prégnance visuelle ne serait pas sans incidence sur l’influence des croyances, attitudes et comportements des enfants et adolescents, notamment eu égard à la violence, la consommation de drogues, et le phénomène d’hyper-sexualisation. Ainsi, de nombreuses recherches scientifiques documentent aujourd’hui la dimension addictive de la pornographie chez certains adolescents.

2La définition même de l’image pornographique ne fait pas l’unanimité, et elle varie selon la culture, la religion, l’orientation sexuelle et le genre. Cependant, le consensus s’accorde à dire que l’image pornographique est la représentation visuelle pouvant être produite sous différentes formes (écrits, dessins, photos, films, etc.), ou psychique, qui fait référence à la sexualité de manière explicite, à des fins de stimulation de la pulsion sexuelle. Il pourra s’agir également d’inductions plus implicites, suggestives de par la position, une manière d’être, un regard qui vont stimuler cette même pulsion. Avant l’âge pubertaire, les images pornographiques sont vécues chez certains adolescents comme une effraction psychique traumatisante se manifestant par un sentiment d’angoisse, d’évitement de la sexualité (Hayez, 2002 [1]).

3Le visionnage répété d’expériences pornographiques chez certains adolescents, semblerait conduire à des comportements sexuels à risque, et influerait sur la précocité des rapports sexuels et le multi-partenariat sexuel [2]. La construction de ces schèmes n’est donc pas sans incidence sur les agirs sexuels violents. Ainsi, parmi les mineurs auteurs d’infractions sexuelles, le visionnage d’images ou de films pornographiques fait partie de la sémiologie clinique qui est apparue cette dernière décennie associée à d’autres signes plurifactoriels comme les relations intrafamiliales où les frontières en termes de place peuvent être mal définies et peuvent être teintées de violence, d’un climat incestuel.

4Face à cette mutation sociétale sans précédent, peu documentée par la recherche, les professionnels se sentent parfois désarmés. Aussi, l’éducation à la sexualité trouve tout son sens, là où parfois les nouvelles générations « digital natives », (dont certaines générations « Youporn ») se retrouvent sans référents à leurs côtés. Les contextes d’évaluations cliniques démontrent que quelquefois le bourreau a parfois lui-même été victime (Ryan, Glazer, 1997 [3]). Plusieurs de ces adolescents ont souvent peur du rejet, démontrent une faible estime d’eux-mêmes et paraissent inquiets quant à leur avenir (Sioui, 2008 [4]). Certains se démarquent par de l’immaturité, des retards socio-affectifs et des retards cognitifs. La consommation de psychotropes revient régulièrement dans leur vie (Hautefeuille, 2005 [5]). Les connaissances de ces jeunes au niveau de la sexualité sont souvent limitées (Kahn et Lafond, 1988 [6]). Ils présentent un certain nombre de désordres dans leur manière d’appréhender la sexualité avec peu d’empathie et de remords exprimés. En outre, ces adolescents se caractérisent par certaines distorsions cognitives (ex. : blâmer, humilier, dévaloriser l’autre, dominer dans la relation) (Poitras, 2010 [7]).

5En regard de certaines caractéristiques évoquées, la posture professionnelle devra demeurer non jugeante. Cela ne veut pas dire que le professionnel cautionne les actes. Cette démarche doit dépasser l’appréhension et les a priori du professionnel. Elle s’inscrit dans une compréhension d’enjeux parfois très complexes afin d’accompagner aux mieux le changement du jeune délinquant.

6L’intervenant doit utiliser des méthodes psycho-éducatives dynamiques. La promotion de la santé sexuelle relève d’une approche à la fois individuelle mais également systémique, holistique. En ce sens, l’approche psycho-éducative eu égard à la sexualité ne doit pas se limiter « aux risques ». Elle doit aussi s’intéresser à l’altérité, aux règles sociales, à la culture, à la nature de la relation interpersonnelle, au sens de l’intimité et la compréhension de la sexualité dans toutes ses composantes.

7Les premières rencontres doivent évaluer :

8

  • – les caractéristiques individuelles et la personnalité du jeune ;
  • – le niveau de reconnaissance du délit de l’adolescent ;
  • – les potentiels stresseurs de l’environnement ;
  • – les composantes du milieu intrafamilial.

9Si l’adolescent délinquant sexuel est orienté vers une modalité de démarche psycho-éducative sur l’affectivité et la sexualité, les objectifs du professionnel seront pluriels. Ils porteront sur :

10

  • – l’évaluation de l’empathie de l’adolescent, qui va lui permettre d’accéder à la notion de responsabilisation, la reconnaissance des gestes posés ;
  • – la sensibilisation face à l’expérience de la victime ;
  • – la réflexion sur le processus du passage à l’acte ;
  • – l’acquisition de nouvelles connaissances et habiletés sur le plan sexuel ;
  • – la diminution du risque de récidive ;
  • – la promotion d’un développement sain des comportements à l’adolescent [8].

11Cette démarche demande à l’intervenant de faire le distinguo entre l’inacceptable de l’acte posé ayant généré le délit sexuel et l’adolescent qui l’a commis.

12Le respect que va accorder le professionnel au jeune permet à ce dernier d’augmenter sa confiance et d’être plus à l’aise dans la reconnaissance de son crime. En outre, c’est aussi dans la perception de ce respect que l’adolescent peut percevoir sa possibilité de changement.

13Cette approche peut également s’ancrer dans le travail de la demande : par le biais d’un entretien axé sur l’empathie, la compréhension, la confiance et l’acceptation. Il s’agira de redonner une certaine subjectivité à l’adolescent afin qu’il puisse se saisir lui même de l’intérêt d’une telle démarche.

14Il est important que les jeunes qui commettent des infractions à caractère sexuel prennent conscience des effets de leurs gestes sur leurs victimes, chez lesquelles ils peuvent laisser de graves séquelles. Cet apprentissage de l’empathie doit passer par le développement de l’accès aux émotions.

15Les jeunes doivent d’abord être sensibilisés au vécu des gens qui leur sont proches. Puis, le but est d’élargir cette dynamique et de les amener à reconnaître les indices témoignant d’un non-consentement de la ou des victimes lors de leur délit.

16Cela implique de confronter les mythes et les croyances des adolescents entourant les infractions sexuelles et les victimes. Dans cette perspective, plusieurs orientations peuvent être proposées à l’instar de la lecture de textes, le visionnement d’une vidéo portant sur le témoignage d’une victime, la participation à des ateliers de jeux de rôle, de photo-langage, la rédaction d’une lettre d’excuses à la victime, etc.

17La perspective est donc de leur offrir un accompagnement qui favorise l’acquisition de connaissances et de discernement en regard de la sexualité. Dans certains contextes, les parents peuvent être intégrés à la démarche s’ils sont présents dans leur rôle de référents auprès de leurs adolescents. Cela permettra de renouer parfois la communication qui peut être souvent défaillante.

18Dans le contexte de bandes, il faut tenter de prévenir la violence dans les relations affectives ainsi que l’agression sexuelle, « les tournantes », etc. L’éducation sexuelle peut non seulement contribuer à réduire la violence, mais constitue également un levier qui peut participer à la désaffiliation au gang.

Le travail groupal

19Un abord groupal est pertinent lorsque le sujet présente des lacunes dans l’élaboration langagière, une intolérance à la frustration, une mauvaise gestion de l’angoisse, peu de culpabilité, une défaillance quant au concept d’altérité, une défaillance de la notion de responsabilité de son acte. L’objectif de cette approche est de stimuler l’alliance thérapeutique, permettant l’accès au jugement critique, à l’abaissement de certaines défenses dont le déni, et un accès aux émotions. Le psychodrame peut être alors un axe privilégié pour ce travail.

20D’autres médiations comme le photo-langage, l’art thérapie, la musicothérapie peuvent participer à accroître les ressentis émotionnels sur les questions sexuelles, affectives et relationnelles.

21Chez des sujets ayant une pensée opératoire [9], les approches à médiation corporelle (individuelle ou groupale) peuvent se montrer très utiles également.

22Enfin, les approches familiales en regard du climat incestuel peuvent être pertinentes. Elles permettent un travail sur la place intrafamiliale et l’observation de certains enjeux intergénérationnels.

23Toutes ces approches ont pour objectifs chez le jeune délinquant :

24

  • – de se sentir plus concerné ;
  • – d’apprendre à refuser certaines évidences ou croyances concernant la victime ;
  • – la prise de conscience de son excitation sexuelle ;
  • – l’amélioration de la reconnaissance d’autrui ;
  • – la prise de conscience des distorsions affectives en matière de sexualité ;
  • – l’identification des situations affectives favorisant le passage à l’acte.

25Tous les objectifs décrits seront évalués selon des protocoles de soins.

26Les groupes peuvent évoluer jusqu’à 10/12 jeunes. Ils peuvent être fermés (aucun nouvel arrivant), ouverts (possibilité de nouvel arrivant en cours) ou semi-ouverts (possibilité de nouvel arrivant, s’il y a départ d’un participant initial).

27Il est important de noter que certains adolescents peuvent ne pas être intégrés au groupe du fait de :

28

  • – la présence de troubles psychopathologiques associés ;
  • – des résistances importantes ;
  • – l’âge ;
  • – le genre ;
  • – les incompréhensions langagières et culturelles ;
  • – des attitudes problématiques envers les autres membres du groupe.

29Le travail doit se faire au long cours et une évaluation doit être faite des adolescents agresseurs sexuels.

30Les différentes approches issues des ateliers de groupe : psychodynamique, cognitivo comportementale (remédiation cognitive), et systémiques, doivent être utilisées dans une démarche intégrative c’est-à-dire adaptées au groupe et aux personnes du groupe.

31Ainsi, par exemple en développant des habiletés sociales du délinquant sexuel, le professionnel permettra l’interaction avec autrui, le développement d’alternatives à la violence, le développement de stratégies, afin de mieux gérer et exprimer adéquatement les émotions négatives voire destructrices qu’il éprouve.

32La remédiation cognitive consiste à trouver avec l’adolescent un nouveau schéma de pensées alternatif, remettant en question celles associées aux comportements sexuels délinquants et socialement inadaptés. L’intervenant peut analyser les situations et questionner la perception du jeune afin de lui proposer d’autres façons de penser.

La mise en place d’un travail de prévention sur la récidive est fondamentale

33Il s’agira pour le jeune délinquant sexuel de gérer et maintenir son contrôle interne face à ses conduites déviantes. En ce sens, parfois, l’instauration d’un « contrat comportemental » peut être d’une grande utilité. Il sera adapté au potentiel du jeune et permet l’évaluation et l’actualisation d’objectifs spécifiques. Il vise à abolir les excès comportementaux participant à l’activation de la conduite sexuelle déviante. Il a également pour but d’impliquer l’adolescent dans sa démarche de resocialisation. Le contrat constitue ainsi une entente conclue entre l’adolescent et les intervenants qui l’encadrent, impliquant également parents et autres intervenants auprès du jeune.

Il semble important de conclure sur la formation des intervenants

34Comme nous l’avons évoqué, l’empathie reste au centre de l’accompagnement. Cela peut également passer par des attitudes de « fermeté bienveillante ». En ce sens un acte est répréhensible, mais il faut savoir le distinguer du sujet qui le pose.

35L’intervenant doit donc développer une juste place entre des attitudes distantes, voire hostiles, qui empêchent toute relation thérapeutique, et des attitudes sympathiques qui peuvent laisser place à des alliances voire des enjeux de manipulation relationnelle.

36Ainsi, l’adolescent doit toujours se sentir respecté sans toutefois avoir l’impression qu’il a développé une relation de complicité avec l’intervenant.

37Ce ne sont pas tous les intervenants qui sont à l’aise sur la problématique de la sexualité. Certains disent ne pas se sentir prêts, d’autres affirment ne pouvoir faire face à de telles situations. Plusieurs veulent travailler avec les victimes et non avec les contrevenants. Ces résistances marquent les limites personnelles de l’intervenant et elles doivent être prises en considération. Toutefois, la formation et la compréhension de cette problématique peuvent avoir un effet mobilisant pour relever le défi de travailler avec ces jeunes.

38Les intervenants doivent recevoir une formation et participer régulièrement à des sessions de mise à niveau, tant en interne qu’en externe. La formation permet non seulement de transmettre un contenu clinique, mais aussi de créer un sentiment d’appartenance avec les autres collègues. En outre la supervision individuelle ou groupale est fondamentale.

39Tout intervenant qui croit au potentiel de changement du jeune, l’invite à emprunter cette voie, il peut devenir un tuteur de résilience [10].

Notes

  • [1]
    J.Y. Hayez, « La confrontation des enfants et des adolescents à la pornographie », Arch. Pédiatr., 9(11), 2002, p. 1183-1188.
  • [2]
    S. Jehel, P. Attigui, Les adolescents face aux images violentes,[Rapport de recherche] Mission de Recherche Droit et Justice, 2018.
  • [3]
    D. Glazer, « Sexual abuse », dans C. brook, E. Arnold, Médicine in Adolescence, Londres, 1997 ; G. Ryan, « Sexually abusive youth: Defining the population », dans G. Ryan et S. Lane, Juvenile sexual offending, San Francisco, Jossey-Bass, 1997.
  • [4]
    B. Sioui, Jeux interdits : ces adolescents accusés d’agression sexuelle, Montréal, vlb, 2008.
  • [5]
    M. Hautefeuille, Les conduites de consommation à l’adolescence, Paris, De Boeck, 2005.
  • [6]
    T.J. Kahn, M.A. Lafond, « Treatment of the adolescent sexual offender », Child and Adolescent Social Work Journal, vol. 5, 1988, p. 135-148.
  • [7]
    M. Poitras, « Connaissances récentes sur les adolescents agresseurs sexuels », Défi Jeunesse, Revue professionnelle du Conseil multidisciplinaire du cjm-iu, vol. XVI, n° 2, 2010, p. 17-18.
  • [8]
    D. Lafortune et coll., Traitement de groupe basé sur des approches à vocation éducative, la connaissance du cycle de l’agression et la prévention de la récidive ou des discussions à visée réflexive/introspective, 2011, https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/…/Projet%20de%20Maitrise%5B1%5D.pdf.
  • [9]
    La pensée opératoire est une modalité de fonctionnement psychique décrite en psychanalyse par Pierre Marty et Michel de M’uzan. Elle repose sur l’absence de symbolisation (mentalisation) qui peut se traduire par des symptômes psychosomatiques, des agirs permanents ou des passages à l’acte. Le discours quant à lui reste factuel sans accès au fantasme, la mobilisation des affects est difficile à élaborer.
  • [10]
    N. Sajus, Du traumatisme de vie à la résilience, esf, 2018.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.87

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions