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Article de revue

Le groupe de parole

Un soutien thérapeutique

Pages 162 à 166

Notes

  • [1]
    J. Lacan, « Fonction et champ de la parole et du langage », dans Autres Écrits, Paris, Le Seuil, 2001.
  • [2]
    Sous traitement (n.d.l.r.).
  • [3]
    Rey et coll. Dictionnaire historique de la langue française. L’étymologie de folie vient de follis : soufflet pour le feu, outre gonflée qui soudainement explose, Paris, Le Robert, 1996, p. 1467-1468.
  • [4]
    Ce qui fait qu’une personne est unique et absolument distincte d’une autre (n.d.l.r.).

Fabienne Raybaud est psychologue clinicienne au centre éducatif fermé (cef) de Brignoles. Avec Franck Nicolaïdès, professeur technique et Mohamed Salhi, responsable d’unité éducative, ils ont entamé une réflexion, un bilan sur un dispositif mis en place dans leur établissement : le groupe de parole. Voici donc le résultat de leur cogitation et sans aucun doute, un exemple à suivre. À lire aussi parce que ce texte apporte une meilleure compréhension, notamment grâce à une approche psychanalytique, des émotions qui traversent un groupe.

1 Un groupe de parole, au sein d’un cef, est un lieu de soin, parce qu’il est à vocation thérapeutique : se contenir, respecter la parole d’autrui, faire appel à ses ressources internes pour se confronter au réel. L’objectif est d’offrir un espace d’écoute et d’expression, où la parole peut être entendue. Ce groupe est animé de manière permanente par la psychologue et le professeur technique, associés à le ou les éducateur(ice)s de service ce jour-là. L’espace de parole est ouvert à tous les jeunes. Cette voie de communication permet à chaque sujet de se soutenir du lien groupal : les échanges sont réalisés dans un cadre bienveillant, libre et non intrusif. Déterminer un thème avec un vote à main levée figure un apprentissage de la démocratie, du respect, mais aussi de la frustration. C’est un lieu de partages, d’échanges et d’écoute réciproque, autour du thème proposé, donné à la réflexion de tous. Ce lieu permet l’authenticité, sans craindre le jugement. Cet espace invite donc à l’expression des sentiments, angoisses, désirs…

Promouvoir la pensée plutôt que l’action

2 Un groupe de parole est constitué par un regroupement de personnes, toutes concernées par au moins une préoccupation commune, à un moment donné de leur vie. Quand Jacques Lacan dit que : « celui qui parle, c’est le sujet de l’inconscient [1] » ce qui est exprimé à travers cela est qu’il faut considérer un discours manifeste (le dire du sujet) et un discours latent (que dit-il en exprimant cela ?). C’est pourquoi les professionnels participant sont attentifs à reformuler et proposer des interprétations dont le sujet peut se saisir. Le groupe est structuré par des règles dont les principales sont la non-violence physique ou verbale

« Promouvoir la pensée plutôt que l’action, promouvoir l’échange d’idées en respectant l’autre dans ses multiples altérités, promouvoir la pédagogie par l’apprentissage de la posture d’écoute ».

3 et l’engagement à rester dans le groupe. Du point de vue du professeur technique, il s’agit là de « promouvoir la pensée plutôt que l’action, promouvoir l’échange d’idées en respectant l’autre dans ses multiples altérités, promouvoir la pédagogie par l’apprentissage de la posture d’écoute ». Ce temps est très particulier dans la prise en charge en cef. Il n’en sort aucun objet, aucun écrit, aucun récit, néanmoins il y a quelque chose qui s’y joue de l’ordre du symbolique, de l’organisation de pensées, de la conceptualisation, de la stratégie du discours sans stratagème où il n’est pas nécessaire de vouloir convaincre à tout prix pour discuter, mais plutôt partager pour élaborer sa propre pensée afin de l’enrichir. L’idée qu’ensemble l’on peut aller plus loin, est en soi une fonction socialisante. Il arrive souvent que le thème de fin séance s’éloigne de celui de départ, Ce thème jeté à la va vite lors du tour de table se trouve transformé sans être travesti, enrichi sans être dénigré ; c’est une sorte de customisation de l’idée.

4 En résumé, le groupe de parole va générer une dynamique de groupe favorable aux changements dans les comportements et/ou les attitudes d’un sujet, du groupe. Il a aussi vocation à développer de la solidarité entre les participants et à mobiliser les ressources psychiques nécessaires pour affronter la réalité. Ajoutons qu’il constitue un excellent complément à la consultation individuelle, dans la prise en charge thérapeutique.

Être pris pour un fou

5 Dans les thèmes mis en débat sur la durée du groupe depuis trois ans, il faut noter la récurrence de débats sur la sexualité, la différence, la vie communautaire. Sur la question de la différence ; celle-ci est abordée dans sa dimension sociale (les quartiers, l’éducation, la migration) mais aussi inter-individuelle telle que : les adolescents sous traitement médical et les autres. Ainsi étudiée, la différence renvoie à l’angoisse de basculer, d’être possédé par la folie… Être pris pour un fou.

6 En effet, bien souvent atteints dans leur développement psychique depuis les sphères de la périnatalité et de l’enfance, les adolescents sous main de justice sont très sensibles aux inégalités. Ils sont attentifs à recevoir leur part d’éléments positifs, d’encouragements… qu’ils viennent parfois à confondre avec une demande d’amour illimité. Ceux d’entre eux qui se distinguent par la bizarrerie, leurs humeurs incongrues et une dissociation avec l’environnement sont souvent acceptés dans un premier temps et dans un mouvement de compassion. Puis, ils sont rejetés parce qu’ils susciteraient trop « d’indulgence de la part des éducateurs ». L’exprimer représente un acte de parole engagé, faisant appel à notre aire groupale de confiance et de non jugement.

7 Il est déjà arrivé qu’un adolescent, saturé par un sentiment d’injustice, en vienne à formuler de tel propos : « Mon daron il me nique la gueule le week-end et il boit, ma mère m’a abandonné, voilà ! Moi aussi j’ai des problèmes !!! » Dans ce cas, il marque bien que, ce qui est visible de la problématique d’un autre n’est pas plus douloureux que son histoire silencieuse. Prendre en considération sa douleur, la recueillir dans le groupe, c’est toute l’affaire d’une enveloppe psychique solide, du tissage contenant de cette instance thérapeutique. Les adolescents n’ont pas encore ancré de nuancier dans leurs réflexions spontanées, il y a selon eux, les jeunes « cachetonnés [2] » versus « normaux ». Dans leur vision du monde de l’anormalité, existe l’effet des médicaments. L’idée de la prescription médicale demeure une intrusion délétère ayant pour conséquence la mise en scène de bizarreries excluant du groupe de pairs celui qui les exprime. « Quand je le vois délirer, je me sens bizarre », dit un jeune. Un autre interroge : « Est-ce que l’on meurt plus tôt quand on a un traitement médical ? » Il est nécessaire que le clinicien ait toujours son nuancier psychiquement disponible… Du narcissisme primaire à l’intégration de l’altérité il existe tant d’expression de soi vers l’autre différent. Les enveloppes psychiques fragiles sont poreuses, l’autre du délire vient rappeler en chacun son noyau de fragilité, son point sensible d’où pourrait jaillir la follis [3]. Parfois, c’est l’angoisse d’intrusion qui s’exprime dans une dimension mortifère : les médicaments pourraient conduire à la mort ; l’excès durable, la prise continue, contiennent un risque élevé de disparaître. Pour contrer les angoisses qui viennent à se manifester, les adolescents luttent par la tentative de solution : il serait plus sage d’autoriser le shit, « médicament » réparateur de tout (sommeil, anxiétés, agressivité, etc.) ; ainsi, l’esquisse de réparation s’énonce à partir de leur vision du monde, dans ses aspects rassurant. Mais l’a-normal est aussi empreint d’étrangeté ; ne répondant plus de la dynamique du groupe d’adolescent il devient le fou et les bizarreries qu’il expose au groupe sont éprouvées comme autant d’agressions psychiques qu’ils retournent contre l’adolescent différent, en identification projective.

Un aspect hautement symbolique 

8 Il arrive que nous quittions le groupe de parole dans un état de grande fatigue psychique. Le ressourcement ne vient pas du seul débriefing, il est fait de notre connaissance de l’histoire du groupe de parole. À ses débuts et malgré les règles internes, il s’y jouait une expression chaotique, faite d’agressivité, d’agressions verbales, de bousculades. Souvent l’adolescent se détournait du groupe et se saisissait de

Malgré les règles internes, il s’y jouait une expression chaotique, faite d’agressivité, d’agressions verbales, de bousculades.

9 n’importe quoi à sa portée : une attache au mur, un stylo… Et il produisait du bruit. Certains voulaient quitter le groupe en cours de séance, prétextant une soudaine envie de déféquer… Il nous semblait que tous les éléments bêta du nourrisson carencé étaient jetés là : tout ce qui n’est pas encore pensé et qui agite la sphère pulsionnelle. Il nous a fallu tenir bon pour jouer notre rôle d’appareil à penser. Au fil du temps et bien que la population des jeunes soient régulièrement renouvelée, le groupe s’est apaisé, les jeunes l’ont intégré à leur vie au cef, ils en parlent entre eux. Il se raconte que la psychologue transforme « je veux parler de rien » en « très bien, parlons-en, de ce qu’est le rien ». Il se dit que si l’on aborde la masturbation il ne s’agit pas d’évoquer ses propres pratiques, on entend qu’il est possible de présenter la figure maternelle sans être intrusifs… La narration sur le groupe a opéré sur l’histoire du groupe et ce faisant, elle confère au groupe de parole son aspect hautement symbolique : la parole qui fonde le dire de chacun ne vient pas de l’autre, le semblable, mais de l’Autre comme le trésor de tous les signifiants, le lieu du langage. Tous les thèmes abordés, dans les différents contextes et relations vécues par les jeunes, sont appréhendés comme des instances discursives, ainsi il se produit une dynamique narrative dont l’aspect thérapeutique consiste à soigner des histoires en passant de l’autre à l’Autre, de la mêmeté à l’ipséité [4], de la construction personnelle à l’expérience de vie.


Date de mise en ligne : 16/11/2017

https://doi.org/10.3917/lcd.071.0162

Notes

  • [1]
    J. Lacan, « Fonction et champ de la parole et du langage », dans Autres Écrits, Paris, Le Seuil, 2001.
  • [2]
    Sous traitement (n.d.l.r.).
  • [3]
    Rey et coll. Dictionnaire historique de la langue française. L’étymologie de folie vient de follis : soufflet pour le feu, outre gonflée qui soudainement explose, Paris, Le Robert, 1996, p. 1467-1468.
  • [4]
    Ce qui fait qu’une personne est unique et absolument distincte d’une autre (n.d.l.r.).

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