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Article de revue

La maltraitance envers les enfants

Qu’en sait-on actuellement en France?

Pages 17 à 27

Notes

  • [*]
    Anne Tursz est pédiatre épidémiologiste, directeur de recherche émérite à l’Inserm. Cermes3, Inserm U988. Villejuif.
  • [1]
    A. Miller, C’est pour ton bien, Paris, Aubier, 1984, 2e édition 1998.
  • [2]
    Les définitions établies par l’Observatoire de l’action sociale décentralisée (odas) : enfant maltraité ; enfant en risque de maltraitance ; enfant en danger (catégorie regroupant les deux précédentes) restent d’actualité.
  • [3]
  • [4]
  • [5]
    R. Gilbert, C.S. Widom, K. Browne, D. Fergusson, E. Webb, S. Janson, Child Maltreatment 1. Burden and consequences of child maltreatment in high-income countries, 3, 373 (9657), 2009, p. 68-81.
  • [6]
    A. Tursz, Les oubliés. Enfants maltraités en France et par la France, Paris, Le Seuil, 2010.
  • [7]
  • [8]
    Compte-rendu de la mission confiée par le Défenseur des droits et son adjointe, la Défenseure des enfants, à A. Grevot, délégué thématique, sur « L’histoire de Marina », 30 juin 2014.
  • [9]
    N. Vabres ; Rey ; has.
  • [10]
    Tursz, op. cit.
  • [11]
    C. Greco, « Repérage et prise en charge de la maltraitance faite aux enfants par les internes de médecine générale », thèse de médecine soutenue le septembre 2013, Faculté de médecine Paris Sud.
  • [12]
    Intervention de Daniel Rousseau au colloque dans A. Tursz et J. Cook.

1Exposé à la violence un nourrisson développe rapidement des troubles et les conséquences à long terme pour un enfant maltraité sont aussi une évidence. Pour autant, en France, il existe une grave méconnaissance des signes apparents (ou moins visibles) de la maltraitance et de ses conséquences, voire un véritable déni du problème, dont on ne connaît pas la fréquence et fort peu les facteurs de risque. Anne Tursz, dans cet article, apporte une connaissance chiffrée de la maltraitance en France. Elle expose également quels sont les principaux facteurs de risque et les idées reçues concernant l’enfance maltraitée... Pour proposer un certain nombre de solutions particulièrement pertinentes.

2« On peut faire de l’enfant une foule de choses dans les deux premières années de sa vie, le plier, disposer de lui, […] le corriger et le punir, sans qu’il arrive quoi que ce soit, sans que l’enfant se venge. Il n’empêche qu’il ne parvient à surmonter sans difficulté l’injustice qui lui a été faite qu’à la condition de pouvoir se défendre, autrement dit à la condition de pouvoir donner à sa souffrance et à sa colère une expression structurée. S’il lui est interdit de réagir, […], l’enfant apprend à se taire. Son mutisme garantit certes l’efficacité des principes d’éducation, mais il recouvre en outre les foyers d’infection de l’évolution ultérieure. » C’est en ces termes qu’Alice Miller décrit la véritable bombe à retardement qu’est un jeune enfant maltraité, dans son magnifique ouvrage C’est pour ton bien, paru en 1984 et récemment réédité en France [1]. En effet, les conséquences de la maltraitance précoce sont d’autant plus fréquentes et d’autant plus redoutables qu’il existe une fragilité spécifique de l’enfant. Contrairement à l’adulte, qui est capable de relativiser et de comparer, donc de reconnaître d’autres personnes ayant subi les mêmes sévices que lui (torture, incarcération arbitraire, etc.), le petit enfant n’a aucun point de référence et aucune possibilité de partager son sentiment de révolte. Il est triplement livré à sa famille maltraitante : par les mauvais traitements eux-mêmes, par l’impossibilité d’en identifier le caractère anormal et par celle d’accuser les coupables. La situation est particulièrement aiguë chez le nourrisson, qui ne parle pas et se trouve généralement confiné au domicile. Exposé à un milieu familial nocif, il va développer de graves troubles dès ses premiers mois, troubles qui, sans intervention salvatrice, se répercuteront sur toute sa vie.

3C’est souvent à l’adolescence que les conséquences de la maltraitance se manifestent sous la forme d’une symptomatologie inquiétante (tentative de suicide et suicide, anorexie/boulimie, dépression, addictions, décrochage scolaire, délinquance, etc.) qu’il faut savoir rattacher à des mauvais traitements subis des années plus tôt, ce diagnostic étant rarement évoqué. De fait, en France, il existe une grave méconnaissance de la symptomatologie de la maltraitance et de ses conséquences, voire un véritable déni du problème, dont on ne connaît pas la fréquence et fort peu les facteurs de risque. Il n’existe de plus pas de définition véritablement consensuelle de la maltraitance des enfants.

Une définition de la maltraitance

4Pour le grand public et les hommes et femmes politiques, mais aussi pour un nombre non négligeable de professionnels dont le rôle est de veiller sur le développement harmonieux des enfants (médecins, sages-femmes, enseignants, etc.), les mauvais traitements envers les enfants se résument à ces terribles faits divers régulièrement rapportés par les médias et parfois décortiqués pendant des semaines. Mais cette approche par la juxtaposition d’événements isolés contribue au déni d’un ample problème sociétal et de santé publique et dédouane les parents qui élèvent leurs enfants brutalement mais « ne font tout de même pas ça ! »

5La problématique doit en fait être abordée à travers ce que la maltraitance nie : les besoins fondamentaux des jeunes enfants. C’est dans ce sens que vont les textes en vigueur en France. Ainsi la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la Protection de l’enfance dit que : « L’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant. » Cette loi introduit par ailleurs la notion de danger, plus vaste que celle de maltraitance, et ouvre donc la voie à la prévention.

6Si l’on réfléchit à ce qu’est la maltraitance en termes de conséquences à long terme on voit bien l’intérêt de la notion d’enfant en danger et d’une définition large qui repose sur la reconnaissance des besoins de l’enfant. On le sait, les jeunes enfants ne peuvent grandir, s’épanouir et devenir des adultes heureux, socialisés et responsables que si leurs besoins physiques, affectifs et éducatifs sont pleinement satisfaits par les personnes qui s’en occupent, très généralement leurs parents. Tout manquement à cette règle constitue donc une forme de mauvais traitement, ce qui est vérifié par l’expérience quotidienne de ceux qui s’occupent des enfants victimes de maltraitance.

7Bien sûr, tout parent a un jour, excédé, donné une gifle ou dit quelque chose de trop blessant et n’est pas pour autant un parent maltraitant. Ce qui constitue la maltraitance c’est la répétition, la systématisation de la brutalité érigée en système pédagogique et le caractère excessif des actes par rapport à l’âge et aux capacités de l’enfant. On est ici aux frontières bien ténues, voire inexistantes, de la maltraitance et de la « violence éducative ordinaire » (dont le meilleur exemple est cette « fessée », si prisée des familles françaises).

La connaissance chiffrée de la maltraitance en France

Les chiffres officiels [2]

8Les plus récents dont on dispose proviennent de l’Observatoire de l’action sociale décentralisée (odas), de l’Observatoire national de l’enfance en danger (oned), de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ondrp) et sont indiqués ci-dessous :

  • odas (2006) : 98 000 enfants de moins de 21 ans en danger, dont 19 000 enfants maltraités, étaient recensés, soit des taux, pour les enfants en danger, de 2,7 à 11,8 pour 1 000 selon les départements ;
  • oned (2015) [3] : 284 000 enfants de moins de 18 ans bénéficiaient d’au moins une mesure au 31-12-2012, soit un taux de 2,0 p 100 de la tranche d’âge des 0-17 ans ;
  • ondrp[4] : les « mauvais traitements et abandons d’enfants de moins de 15 ans » étaient au nombre de 6 038 en 1996, 14 485 en 2007 et 17 889 en 2011.

9L’analyse de ces quelques données révèle d’emblée la variété des chiffres, rapportés à des tranches d’âge différentes et recueillis selon des unités de mesure diverses (plainte pour la police et la gendarmerie, signalement pour l’odas, mesure de protection pour l’ase/oned). Ces chiffres ne se recoupent pas et sont tous sûrement sous-estimés : taux de 3 pour 1 000 à 2 pour 100 selon les sources, peu réalistes si on les compare au taux moyen de 10 % de l’ensemble des enfants qui sont maltraités ou négligés dans les pays à haut niveau de revenus, selon des études publiées par le Lancet en 2009 [5].

La sous-estimation de maltraitance

10Si la sous-estimation de la maltraitance en général est hautement probable, on a pour la maltraitance mortelle des preuves scientifiques argumentées, particulièrement en ce qui concerne les homicides de nourrissons de moins de 1 an (infanticides) grâce à la recherche menée par l’unité 750 de l’Inserm [6]

11Cette enquête sur les « morts suspectes de nourrissons de moins de 1 an » a été menée auprès de l’ensemble des services hospitaliers et des tribunaux de tous les départements de trois régions: Bretagne, Île-de-France, Nord-Pas-de-Calais, avec l’accord du ministère de la Justice, sur une période de cinq ans (1996-2000). Les données de ces deux sources (cas d’enfants décédés avant 1 an et transportés en milieu hospitalier pour investigations scientifiques, ou dont le décès a fait l’objet d’une saisine du procureur) ont été recoupées avec celles du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès – Inserm (CépiDc/Inserm) [7], avec l’accord de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (cnil).

12L’analyse des cas hospitaliers a permis de noter que, pendant les cinq années considérées par la recherche, l’enquête retrouvait quinze fois plus d’infanticides que ceux recensés dans les statistiques officielles de mortalité (CépiDc). Au niveau national, on a calculé un nombre moyen par an d’infanticides officiellement recensés, soit dix-sept cas/an en 1996-2000, et la correction à partir de l’enquête hospitalière de l’Inserm amène à un chiffre de 255 infanticides/an. Certains argueront que la maltraitance non mortelle ne peut pas être assimilée à la maltraitance mortelle. En fait elles sont de même nature : l’homicide n’est pas une forme extrême de maltraitance, c’est une maltraitance qui tourne mal. Quand on compare les parents maltraitants et ceux auteurs de filicides, on retrouve bien des caractéristiques communes et les facteurs de risque sont les mêmes. Un enfant chroniquement battu passe subitement du statut de victime de maltraitance à celui de victime d’un homicide ; ce fut le cas pour Marina [8].

Les causes de la sous-estimation

13Elles sont multiples et interviennent à toutes les étapes du processus qui va du repérage au signalement éventuel. Citons brièvement le non repérage par manque de formation sur la séméiologie de la maltraitance chez l’enfant et surtout le très jeune enfant (par tous les professionnels), l’insuffisance des investigations médicales, sociales et psychologiques, les diagnostics erronés (de causes accidentelles principalement), la non révélation des soupçons (pas de transmission information préoccupante [ip] au Président du conseil général ou de signalement au parquet).

14Une mention particulière doit être faite en ce qui concerne les médecins et à leur rôle très particulier face à la maltraitance. En effet, si l’école voit tous les enfants à partir de l’âge de 3 ans, le système de santé les prend en charge dès la naissance, au titre de la prévention (vaccinations, surveillance du développement psychomoteur et de la croissance) ; tous les médecins sont concernés (médecins de pmi, hospitaliers, pédiatres et généralistes libéraux). Par ailleurs tous les enfants maltraités passent un jour ou l’autre par le système de santé, notamment le cabinet du généraliste et les services d’urgences hospitalières. Il y a de nombreux écrits concernant l’attitude du corps médical face à la maltraitance, notant en particulier leurs difficultés à faire le bon diagnostic par carence en formation, leur « aversion de voir » la réalité et leur incapacité à signaler dans leur propre classe sociale.

La séméiologie de la maltraitance

15Sans entrer dans les détails cliniques, décrits par ailleurs [9], indiquons ici les principaux signes qui doivent entraîner une suspicion de maltraitance chez un très jeune enfant :

  • l’ecchymose chez le nourrisson qui ne se déplace pas encore ; toute fracture survenue avant la marche ; une cassure inexpliquée de la courbe de poids ; la coexistence de lésions d’âges différents et de natures différentes ;
  • un abattement, un repli sur soi ou, au contraire, une agitation avec agressivité ;
  • une incohérence entre la nature des lésions, l’âge de l’enfant, son niveau de développement et le mécanisme invoqué des lésions.

16Précocité, gravité, répétition, chronicité sont les grandes caractéristiques de la maltraitance. De toutes les données, il ressort que le très jeune enfant est tout particulièrement vulnérable aux violences physiques. Dans l’enquête de l’Inserm sur les morts de nourrissons [10], on a relevé que 54 % des enfants décédés de syndrome du bébé secoué (sbs) étaient maltraités chroniquement ; sur soixante-dix enfants non-uniques, onze avaient des frères et sœurs victimes de maltraitance, négligence grave et/ou étaient suivis par les services sociaux ; six avaient des frères ou sœurs décédés de mort violente.

17Enfin, il faut savoir s’interroger sur la signification des troubles du comportement chez les enfants de 3-4 ans : très banals et fréquents, ils sont aussi extraordinairement peu spécifiques et peuvent recouvrir des réalités pour le moins hétérogènes. En effet, à un âge où ses capacités d’abstraction et de verbalisation ne lui permettent pas d’alerter facilement son entourage, la manière d’être est le langage que l’enfant utilise pour signaler une souffrance. Ainsi, sous un même trouble peuvent se dissimuler un déficit sensoriel (l’enfant s’agite et devient agressif car il ne comprend pas et ne peut « suivre » du fait d’un problème visuel ou auditif), une maladie mentale (l’autisme par exemple), une maltraitance, un manque de sommeil du fait de conditions de logement difficiles, des troubles des apprentissages… et cette liste n’est bien sûr pas exhaustive.

Les principaux facteurs de risque et les idées reçues concernant l’enfance maltraitée

18La première des idées reçues, et elle est tenace, concerne le lien supposé entre pauvreté et maltraitance. La cause en est que, par définition, les travailleurs sociaux n’entrent jamais dans les logements des classes aisées.

19En fait les facteurs psycho-affectifs prédominent largement sur les facteurs socio-économiques. La maltraitance traverse toutes les classes sociales et il s’agit essentiellement d’une pathologie de l’attachement qui doit normalement s’instaurer entre l’enfant et ses parents dès la naissance. La présence de la maltraitance dans toutes les classes sociales a été montrée pour le sbs. Dans l’enquête de l’unité 750 de l’Inserm, on a comparé les auteurs de secouements, pour leur catégorie socio-professionnelle, à la population générale dont ils étaient issus (données du recensement de l’Insee) et on n’a constaté aucune différence entre les deux populations : même pourcentage de cadres supérieurs, d’employés, d’ouvriers… Dans cette même population de bébés secoués, 22 % étaient nés prématurément alors que le taux de prématurés sur l’ensemble des naissances en France était alors de 7,2%, selon l’enquête nationale périnatale de 1998. La prématurité est un des principaux facteurs de risque de la maltraitance par les hospitalisations néo-natales qu’elle induit et l’éventuelle blessure narcissique des parents (surtout si elle est génératrice de handicap). Elle fait partie des grandes causes de difficulté d’attachement.

20Les carences affectives et/ou la violence subie dans l’enfance, l’immaturité, l’isolement moral, la dépression, l’intolérance, le sentiment d’être inapproprié sont autant de caractéristiques identifiées de longue date chez les parents maltraitants. Il n’est pas exagéré de dire qu’un enfant peu gratifiant pour le narcissisme parental est un candidat rêvé à de mauvais traitements de la part de parents fragiles, quel que soit le « manque » présenté par l’enfant aux yeux des parents : prématurité, handicap intellectuel, troubles du comportement.

21La méconnaissance des facteurs de risque de la maltraitance perdure dans le corps médical et notamment chez les jeunes médecins comme l’attestent plusieurs thèses de médecine récentes, dont une porte sur les connaissances des internes de médecine générale [11]. Leurs réponses, à la question : « Quelles sont selon vous les causes de la maltraitance ? », sont éloquentes. La précarité ou le bas niveau de revenus sont cités par 58 % des répondants, la prématurité par 3 %.

Les conséquences à long terme pour un enfant maltraité : quel adulte devient-il ?

22Les conséquences somatiques concernent principalement les traumatismes crâniens intentionnels, dont le sbs : cécité, retard intellectuel, difficulté motrices, voire état végétatif ; difficultés cognitives « mineures ». Les études greffées sur des cohortes de naissances (développées principalement au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande et dans les pays scandinaves) ont permis de démontrer l’effet dévastateur à long terme de la maltraitance sous toutes ses formes, statistiquement associée à la présence, à l’âge adulte, d’un mauvais état de santé général, de troubles de la socialisation, de troubles psychologiques, d’addictions, de délinquance et de conduites auto-destructrices (suicides ou tentatives, anorexie/boulimie).

23Si les coups et les violences sexuelles, auxquels on pense spontanément lorsqu’on parle de maltraitance, sont délétères à long terme, certaines études, menées dans d’autres pays, ont montré le caractère particulièrement déstructurant des humiliations répétées. Les enfants à qui on a dit quotidiennement « tu es une nullité, tu ne feras jamais rien dans la vie, tes frères et sœurs sont bien mieux que toi… », deviennent souvent des adultes incapables de socialisation, ne pouvant s’insérer professionnellement ni nouer des relations amoureuses stables, à la santé physique et mentale chancelante. La littérature montre aussi la gravité des négligences et carences affectives isolées (sans maltraitance physique).

24La plus terrible des conséquences de la maltraitance est sans doute sa transmission transgénérationnelle, cette répétition de la violence par des parents dont la propre enfance ne leur a pas permis de construire une personnalité solide et sereine les rendant aptes à être de « bons parents » : « Cette absence de sensibilité aux souffrances […] prend sa source dans les mauvais traitements que le sujet a lui-même subis et dont le souvenir peut certes avoir été conservé, mais dont le contenu émotionnel, l’expérience profonde des coups et de l’humiliation, a dû être dans la majorité des cas totalement refoulé », écrit Alice Miller dans C’est pour ton bien.

Peut-on mesurer le coût social, voire économique, de la maltraitance [12] ?

25La Cour des comptes avait chiffré en 2008 le coût annuel de la Protection de l’enfance à 6,6 milliards d’euros en y intégrant le budget de la Protection judiciaire de la jeunesse (ce qui équivaut à la somme allouée à la construction du tgv Est). Mais c’était sans compter les budgets de l’Éducation spécialisée (enfants en institut médico-éducatif [ime], institut médico-pédagogique [imp], institut médico-professionnel [impro]) ni les coûts de santé, ces enfants ayant des besoins massifs en soins psychologiques et pédopsychiatriques. Ces enfants sont en effet sur-représentés dans les files actives des services de pédopsychiatrie : dans le Maine et Loire, 50 % des journées d’hospitalisation temps plein en pédopsychiatrie sont consommées par des enfants de l’ase. Il existe par ailleurs une porosité méconnue entre deux catégories d’enfants : ceux pris en charge au titre de la Protection de l’enfance et ceux pris en charge au titre du handicap par les mdph et en établissements médico-sociaux. Il est finalement probable qu’on approche aujourd’hui les dix milliards d’euros, tous postes confondus (prise charge ase, éducation spécialisée, soins pédopsychiatriques, Protection judiciaire de la jeunesse), mais personne n’en parle jamais. C’est la moitié du coût de la dépendance des personnes âgées, vingt milliards d’euros, ce dont, par contre, on parle beaucoup.

Une situation qui doit changer

26Finalement, dans notre pays, l’enfant reste le seul être vivant qu’on a le droit de frapper ; la maltraitance des personnes âgées et/ou handicapées est très mal perçue, de même que la cruauté envers les animaux, et les adultes victimes de violence sont à même de porter plainte, contrairement aux enfants pour lesquels, de surcroît, certaines formes de violence auraient des vertus pédagogiques. Cette attitude est l’objet du blâme répété du Conseil de l’Europe quant à l’inexistence d’une loi proscrivant les châtiments corporels des enfants.

27Cette situation doit changer, tout d’abord par une reconnaissance de la maltraitance selon deux approches complémentaires : celle de la satisfaction (ou non) des besoins fondamentaux de l’enfant, qui ouvre la réflexion sur la prévention primaire (dépistage le plus précoce possible des facteurs de risque et reconnaissance du danger avant la survenue de la maltraitance elle-même), celle d’une pathologie chronique grave, approche plus parlante pour le corps médical et pour le public.

28Une meilleure connaissance de l’ampleur du problème est par ailleurs absolument nécessaire (fréquence de la maltraitance, causes et poids pour la société) pour mettre au point des politiques efficaces et rationnelles ; seule cette connaissance permet de dégager les fonds nécessaires et de créer des postes dans les disciplines appropriées. L’existence de chiffres fiables permet aussi de développer des indicateurs de suivi et d’évaluation des politiques.

29La formation des divers professionnels au contact des jeunes enfants doit être sensiblement renforcée et proposée à des publics pluriprofessionnels.

30Enfin, il importe de réfléchir, plus en amont encore de la reproduction, à l’éducation à la parentalité au niveau du collège. L’éducation à la sexualité est effective (dans les textes, moins dans la pratique) dans les collèges et lycées et il serait judicieux de lui adjoindre une formation sur les relations affectives et ce que c’est qu’être parent.

Notes

  • [*]
    Anne Tursz est pédiatre épidémiologiste, directeur de recherche émérite à l’Inserm. Cermes3, Inserm U988. Villejuif.
  • [1]
    A. Miller, C’est pour ton bien, Paris, Aubier, 1984, 2e édition 1998.
  • [2]
    Les définitions établies par l’Observatoire de l’action sociale décentralisée (odas) : enfant maltraité ; enfant en risque de maltraitance ; enfant en danger (catégorie regroupant les deux précédentes) restent d’actualité.
  • [3]
  • [4]
  • [5]
    R. Gilbert, C.S. Widom, K. Browne, D. Fergusson, E. Webb, S. Janson, Child Maltreatment 1. Burden and consequences of child maltreatment in high-income countries, 3, 373 (9657), 2009, p. 68-81.
  • [6]
    A. Tursz, Les oubliés. Enfants maltraités en France et par la France, Paris, Le Seuil, 2010.
  • [7]
  • [8]
    Compte-rendu de la mission confiée par le Défenseur des droits et son adjointe, la Défenseure des enfants, à A. Grevot, délégué thématique, sur « L’histoire de Marina », 30 juin 2014.
  • [9]
    N. Vabres ; Rey ; has.
  • [10]
    Tursz, op. cit.
  • [11]
    C. Greco, « Repérage et prise en charge de la maltraitance faite aux enfants par les internes de médecine générale », thèse de médecine soutenue le septembre 2013, Faculté de médecine Paris Sud.
  • [12]
    Intervention de Daniel Rousseau au colloque dans A. Tursz et J. Cook.
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