Couverture de LCN_132

Article de revue

Le lien social dans les bibliothèques universitaires à l’ère des réseaux sociaux numériques

Pages 123 à 146

Notes

  • [1]
    En 2012, 95 % des étudiants et jeunes diplômés sont inscrits sur Facebook, 16 % sur Twitter, 53 % sur LinkedIn ou Viadeo selon l’étude de JobTeaser (source : https://www.digischool.fr/a-la-une/chiffres-cles-etudiants-reseaux-sociaux-10946.php)
  • [2]
    Source : http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid20545/ les-bibliotheques-universitaires.html
  • [3]
    Les sphères publiques médiatées sont des environnements dans lesquels les participants sont mis en relation par l’intermédiaire d’une médiation technique.
  • [4]
    Entretien n°1 du 22/09/2016 avec la Directrice adjointe de la communication SCD Univ. Aix-Marseille (55 minutes) ; entretien n°2 du 22/09/2016 avec la Chargé du service de l’action culturelle et de la communication externe, BNU (38 minutes) ; entretien n°3 du 16/09/2016 avec la bibliothécaire responsable du fonds lettres modernes, lettres classiques et animations à U2 U3 (46 minutes).
  • [5]
    Ce classement, établi par Linda Fall au 12 septembre 2015, s’est fait en comparant le nombre d’abonnés sur FB et Twitter des établissements ayant le statut d’université selon le code de l’éducation du 1er septembre 2015 <consulté en ligne le 10/09/2016>
  • [6]
    Entretien n°4 du 16/09/2016 avec un usager U2-U3 étudiante 3e année de droit (9 minutes 34) ; entretien n°5 du 16/09/2016 usager U2-U3 étudiante en master psycho clinique (11 minutes 21) ; entretien n°6 du 22/09/2016 usager U2-U3 étudiante en master 1 sciences politique et sociale à l’IEP (15 minutes).
  • [7]
    L’Onisep (Office national d’information sur les enseignements et les professions) : http://www.onisep.fr/Ressources/Univers-Metier/Metiers/bibliothecaire

1. Introduction

1 Rattachées à des universités ou des établissements d’enseignement supérieur, les bibliothèques universitaires gèrent et offrent l’offre documentaire à destination des étudiants, des enseignants et des chercheurs. Face à la très forte présence des étudiants sur les médias sociaux numériques [1], les BU développent une identité numérique principalement sur Facebook et Twitter. Si les médias sociaux représentent un fort potentiel pour améliorer les services des bibliothèques (Chen, 2011 citant O’Dell, 2010), les bibliothèques universitaires utilisent-elles cette présence pour développer un lien social ? Si oui, envers qui ? Et comment ?

2 Si le rôle premier des bibliothèques universitaires est d’accompagner, soutenir les activités d’enseignement et de recherche, identifier, acquérir, rendre accessibles les ressources documentaires et former à l’utilisation de ces ressources documentaires [2], elles jouent aussi un rôle social à plus d’un titre. Tout d’abord, la bibliothèque représente un lieu physique à la fois d’études, de formations et d’autoformations, d’échanges, de collaborations dans lequel les usagers se rencontrent. Une sociabilité et une convivialité se développent grâce à la modernisation, au libre accès aux collections, à l’autonomie des usagers, au développement des services et des animations culturelle, scientifique et technique de l’université et à l’aménagement de ces lieux en Learning center ou comme troisième lieu de vie « où les individus peuvent se rencontrer, se réunir et échanger de façon informelle. » (Oldenburg, 1999 ; Servet, 2010). De plus, la bibliothèque favorise l’apprentissage des règles de comportements sociaux. Enfin, les bibliothèques maintiennent une vie sociale sur les campus universitaires. Elles permettent une égalité des chances par l’accès pour tous au savoir.

3 Si le lien social dans les espaces documentaires physiques des BU paraît évident, qu’en est-il en ligne ? Étudier le lien social en bibliothèque universitaire aujourd’hui nécessite d’être appréhendé aussi bien dans les espaces physiques que virtuels, et c’est en cela que réside l’originalité de cette étude. La problématique concerne le rôle des RSN dans le développement ou non du lien social dans le dispositif bibliothèque, professionnels des bibliothèques et usagers. Elle peut être décomposée par les deux questions suivantes : (1) En quoi la présence des bibliothèques universitaires sur les réseaux sociaux numériques favorise-t-elle le lien social entre les usagers, entre les bibliothécaires et entre les usagers et les bibliothécaires ? et (2) Comment les questions essentielles liées au lien social, comme les échanges, les collaborations, le divertissement et le sentiment d’appartenance à une communauté sont-elles réactualisées par les réseaux sociaux numériques ?

4 Après avoir exposé l’état de l’art, l’hypothèse de travail et la méthodologie, nous présenterons les résultats du point de vue des professionnels des bibliothèques universitaires puis du point de vue des usagers. Enfin, les données issues de notre enquête seront discutées en dernière partie à partir du cadre théorique proposé par Serge Paugam (2016) relatif aux quatre composantes de la définition du lien social.

2. État de l’art

5 Le lien social a longtemps préoccupé les chercheurs en sciences humaines et sociales et notamment les sociologues qui ont produit de nombreux travaux et enquêtes sur ce sujet tels qu’Émile Durkheim (1893), Ferdinand Tönnies (1944) et Max Weber et plus récemment, Paul Yonnet (1999), Béatrice Barbusse (2000).

6 Bernard (2011) dresse un état des lieux de la littérature s’intéressant au concept du lien social et note que l’expression « lien social » ne jouit pas encore d’une définition opératoire précise. Il faut attendre Pierre Bouvier (2005), Pierre-Yves Cusset (2007), puis Serge Paugam (2009, 2016) pour avoir accès à des ouvrages entièrement consacrés au concept de lien social. (Bernard, 2011). À ce sujet, Serge Paugam (2016) note que :

7

« Deux autres sociologues vont contribuer à cette sociologie historique du lien social […]. Il s’agit notamment de Georg Simmel, sociologue allemand, qui publia en 1908 un gros ouvrage intitulé Sociologie. Études sur les formes de la socialisation, et de Norbert Elias, lui aussi Allemand, qui soutint sa thèse juste avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et dont l’œuvre continue à susciter un grand intérêt aussi bien chez les sociologues que chez les historiens. L’un et l’autre ont mis l’accent sur la pluralité des appartenances et analysé le lien social dans les sociétés modernes comme l’entrecroisement de plusieurs liens. ». (p. 51)

8 Ainsi, Serge Paugam (2016) propose la définition suivante :

9

« La notion de lien social est aujourd’hui inséparable de la conscience que les sociétés ont d’elles-mêmes et son usage courant peut être considéré comme l’expression d’une interrogation sur ce qui peut faire encore société dans un monde où la progression de l’individualisme apparaît comme inéluctable. […] L’idée de lien social renvoyait alors à une vision historique à la fois du rapport entre l’individu et ses groupes d’appartenance, d’un côté, et des conditions du changement social de longue durée, de l’autre ». (p. 3)

10 Les réseaux sociaux numériques dans leur principe général, semblent converger vers certains des principes fondateurs du lien social au sens de Paugam. Cette thèse sera débattue dans la cinquième partie de l’article. Selon l’auteur, « L’expression « lien social » est aujourd’hui employée pour désigner tout à la fois le désir de vivre ensemble, la volonté de relier les individus dispersés, l’ambition d’une cohésion plus profonde de la société dans son ensemble » (Ibid., p. 4). L’auteur fait appel à d’autres notions qui apparaissent comme des éléments constituants du concept ‘lien social’ à savoir : la solidarité, la protection, la reconnaissance et l’intégration sociale.

11 Si quelques ouvrages abordent le lien social, en France, au niveau des bibliothèques publiques (Bertrand, 2008 ; Villate et Vosgin, 2010), il n’est pas étudié au niveau des bibliothèques universitaires ni du point de vue du numérique. Ce manque a été souligné lors des entretiens avec les professionnels rencontrés, ce qui nous amène à élargir notre centre de recherche vers la littérature internationale. Les médias sociaux numériques représentent des atouts pour les bibliothèques universitaires (Kenchakkanavar, 2015), notamment pour la promotion des services des BU (O’Dell, 2010) ou pour faciliter la collaboration entre les professionnels des bibliothèques (Graham, 2009). D’autres enquêtes telles que celle de Chu et al. (2010) portent sur les usages des réseaux sociaux numériques dans les bibliothèques universitaires. Chu et al. ont montré, entre autres, l’avantage de Facebook par rapport aux autres médias sociaux. Chen et al. (2011) a cherché à identifier les performances de Facebook comme outil d’interaction entre les bibliothèques et les usagers de la bibliothèque. Cependant, Connell (2009) explique la complexité de l’étude des comportements des usagers et des bibliothécaires sur les RSN.

12 Si l’on considère comme Danah Boyd que les RSN sont la nouvelle génération de sphères publiques médiatées [3], et qu’ils représentent une forme particulière de l’espace public, alors ils donnent du sens aux codes qui régulent la vie sociale des internautes. Ils donnent l’occasion de s’exprimer et de comprendre les réactions que suscitent les messages, ou encore ils donnent plus de réalité à certaines actions ou opinions parce que des témoins en attestent l’existence (Boyd, 2010).

13 Nous proposons d’étudier le lien social au prisme des réseaux sociaux numériques sur le terrain bien ciblé des bibliothèques universitaires. L’originalité de cette étude est d’apporter à la communauté des bibliothécaires, des données intéressantes sur la réalité du lien social sur les RSN au sein des BU du point de vue des professionnels et des usagers en France. Le deuxième apport consiste à enrichir la littérature sur ce domaine qui reste encore timide.

Hypothèse de travail

14 La présence des bibliothèques sur les réseaux sociaux numériques favorise le lien social entre les usagers de la bibliothèque, entre les usagers et les professionnels et entre les professionnels. C’est l’hypothèse que nous émettons.

3. Méthodologie

15 Pour vérifier cette hypothèse, nous nous appuyons sur les résultats de six entretiens exploratoires et d’une enquête auprès de 137 usagers de bibliothèques universitaires. Tout d’abord, trois entretiens semi-directifs ont ainsi été menés entre le 16 et 22 septembre 2016 avec des professionnels des bibliothèques en charge de la communication [4] des trois premières bibliothèques universitaires les plus populaires sur FB et Twitter en France [5] :

16 – Aix-Marseille Université (8679 abonnés) ;

17 – Université de Strasbourg (8275 abonnés) => la bibliothèque U2/U3 (1956 abonnés) ;

18 – Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (BNU) (6910 abonnés).

19 Le guide d’entretien pour les professionnels comportait quatre thématiques : le lien social en bibliothèque sur les RSN, les motivations d’une présence de l’établissement sur FB, les transformations imposées au métier du bibliothécaire et les stratégies de médiation numérique. Les questions ont été choisies en fonction des résultats identifiés dans l’état de l’art comme majeurs.

20 Pour croiser les points de vue des professionnels avec ceux des usagers, trois étudiants de ces mêmes bibliothèques ont été interrogés entre le 16 et 22 septembre 2016 avec un guide d’entretien qui reprenait les thématiques abordées avec les professionnels [6].

21 Puis, le point de vue des usagers a été approfondi à partir d’un questionnaire diffusé entre le 6 février et le 6 mars 2017 sur les pages Facebook des trois bibliothèques universitaires du panel. Élaboré à partir des résultats des entretiens menés préalablement, il est composé de 24 questions recouvrant les thèmes de la motivation, les canaux de communication privilégiés par les followers, la fréquence de consultation des pages FB, le mode de connexion à FB, les types d’information préférée, l’utilité des informations, le rôle de l’animateur de communauté, le rôle social des BU sur place et en ligne, le sentiment d’appartenance, les effets d’une présence de la BU sur FB.

22 137 personnes ont répondu, composé majoritairement d’étudiants (82 %) et d’une minorité de professionnels des bibliothèques (12 %) et d’enseignants-chercheurs (3 %). Le questionnaire a été diffusé par les bibliothécaires sur les pages FB des trois BU dans lesquelles nous avons réalisé nos entretiens. Rapidement, l’enquête s’est propagée en ligne. Outre les trois BU ciblées, nous recensons des réponses inattendues provenant des usagers d’autres BU telles que les BU de Lyon 1 (23 %), BU de Saulcy Metz (10 %), BU de Nancy (10 %), BU de la Lorraine (6 %), BU de Grenoble (6 %) et la BU d’Amiens (2 %). Le panel se compose à 69 % de femmes et 31 % d’hommes. Plus de la moitié des répondants suivent la page FB de leur BU une fois par semaine et un quart plusieurs fois par semaine et 12 % une à plusieurs fois par jour. 68 % se connectent au compte de leur BU sur FB à partir de leur smartphone et 31 % depuis leur ordinateur. Les trois-quarts ne suivent qu’une seule BU et un quart sont abonnés à d’autres comptes sur les RSN.

4. Résultats

23 Les résultats des entretiens et de l’enquête se présentent sous deux aspects. D’une part, il s’agit de voir comment les professionnels des bibliothèques universitaires conçoivent le lien social à travers la présence de leur établissement sur Facebook. D’autre part, l’ambition de cette étude est de voir si les usagers perçoivent la présence de leur BU comme générateur de lien social.

4.1. Les perspectives des professionnels

24 Les entretiens des bibliothécaires et conservateurs ont été analysés à l’aide du logiciel IRaMuTeQ et ont produit le graphique suivant.

Figure 1. Analyse Des Similitudes (ADS) des discours des bibliothécaires par IRaMuTeQ

Figure 1. Analyse Des Similitudes (ADS) des discours des bibliothécaires par IRaMuTeQ

Figure 1. Analyse Des Similitudes (ADS) des discours des bibliothécaires par IRaMuTeQ

25La figure 1 représente une communauté lexicale centrale qui regroupe, entre autres, les termes « lien » et « social ». Cette communauté centrale est directement liée à quatre autres communautés lexicales secondaires : (1) à droite, la forme « page » qui désigne Facebook, le réseau social utilisé, (2) à gauche, la forme englobant les termes « bibliothèque », « communication » et « public » montrant le rôle de la page Facebook comme un moyen de communication entre la bibliothèque et son public, (3) au centre, la forme marquée par le terme « usager » qui est en lien avec sa bibliothèque à travers la page Facebook et (4) plus haut la forme autour du terme « collègue », qui met en valeur le lien social liant les bibliothécaires aux usagers mais aussi les bibliothécaires entre eux via le réseau social Facebook.

4.1.1. Comment créer du lien social à travers la politique éditoriale sur les RSN ?

26 Dans le domaine des médias sociaux, la ligne éditoriale consiste à fixer les objectifs, la cible, le ton, les formats (photos, vidéos ou liens), les repères graphiques, les thématiques et la façon dont on prend en charge les modérations. En somme, la ligne éditoriale définit l’image qu’elle souhaite renvoyer d’elle-même. Elle apporte une cohésion globale et de la clarté à l’ensemble des contenus. Elle permet à l’institution de se distinguer et d’acquérir une identité. (ACM, 2015).

27 Lorsque les professionnels évoquent les raisons qui les poussent à être présents sur les RSN, deux tendances très différentes émergent vis-à-vis du lien social. Dans un cas, les professionnels ont comme objectif de mettre l’usager au centre de leurs intérêts : « Garder un lien avec les usagers » [entretien 1], « Être présent là où sont les usagers [entretien 1], « Aller chercher l’usager sur son terrain » [entretien 1], « Attirer les usagers » [entretien 1], « Répondre à de nouvelles exigences (communiquer plus rapidement, c’est un complément à notre communication institutionnelle, communiquer autrement avec une différence de ton) », « On est toujours dans un langage très correct où il y a davantage cette notion de proximité » [entretien 1], « Contrer les pages dissidentes, non officielles. Montrer que l’on existe » [entretien 3]. Dans l’autre cas, la présence de la BU sur les RSN va permettre d’apporter des données quantitatives sur le nombre de followers en vue de négocier des moyens financiers supplémentaires auprès de la tutelle ou des partenaires pour certains projets : « Fédérer une communauté de lecteurs sur la vie de l’établissement » [entretien 2], « Créer une communauté car c’est une force d’appui auprès des financeurs pour les projets » [entretien 3].

28 En ce qui concerne la thématique du contenu, les trois bibliothèques universitaires interrogées diffusent leurs activités (actualité, horaires, programmation culturelle), les collections et les services. Afin de coordonner la rédaction des messages entre les différents contributeurs, les publications peuvent être planifiées à l’avance avec des horaires précis et de manière régulière [entretien 1]. Cependant, selon un professionnel [entretien 2], ce ne sont pas les informations liées aux horaires, aux nouveaux services en place et à la programmation culturelle qui vont créer du lien social. C’est plutôt, « ouvrir ses entrailles, oser employer le je, descendre de son piédestal, accepter de mettre sa personnalité en avant, accepter le langage de FB, prendre sur le vif des événements de la BU, accepter d’en parler sans crainte du jugement, arriver à convaincre les collègues de diffuser les informations à partir de leurs propres comptes RSN personnels (communication virale) » [entretien 2]. Un professionnel explique que pour progresser, « Il faudrait faire rentrer un groupe d’usagers dans notre maison afin qu’il se sente privilégié. Leur offrir une vie qu’ils peuvent partager […] ne pas se cantonner à une information institutionnelle, créer une communauté […] » [entretien 2].

29 De plus, la communication sur des événements extérieurs à la bibliothèque peut servir de prétexte pour valoriser l’activité des bibliothèques universitaires comme l’ouverture d’une exposition ou un film projeté dans la journée [entretien 1]. « […] aujourd’hui le film qui sort sur « Cézanne et moi », ça nous permet de mettre en valeur les documents qu’on a sur le sujet, c’est toujours un prétexte, parce que c’est vrai si on parle toujours que sur des bibliothèques on tombe toujours sur les mêmes infos » [entretien 1].

30 Enfin, trois types de freins à la communication sur Facebook et Twitter ont été relevés : (1) l’absence d’outils backoffice permettant de publier automatiquement images, vidéos depuis le site web de l’institution : « Sur twitter, des personnels relayent les informations de la BNU manuellement, par conséquent nous sommes assez limités » [entretien 2] ; (2) l’absence d’une véritable équipe d’animateurs et de personnels investis qui relayent l’information à partir de leurs propres comptes ; (3) s’éloigner de la communication institutionnelle par crainte de se livrer [entretien 2].

4.1.2. Stratégies de médiation numérique au service du lien social

31 Selon les témoignages recueillis, les professionnels des bibliothèques font appel à différentes stratégies de médiation numérique sur les RSN afin d’apporter un meilleur service aux usagers et développer un lien social.

32 Bien que les stratégies diffèrent, on note un certain nombre de points communs tels que le recours à une stratégie itérative et évolutive qui commence par l’expérience de l’usage, par tâtonnement, par essai-erreur [entretien 1], par retour d’expériences et prise en compte des remarques des usagers [entretiens 2 et 3] ou encore en regardant et en faisant une veille sur ce que font les autres.

33 Dans un cas, l’évolution et le changement de stratégie sont survenus suite à un changement organisationnel. Dans le cas d’un groupement de bibliothèques, la communication était centralisée sur une seule page Facebook jusqu’à ce que les professionnels s’aperçoivent que les followers n’étaient pas tous intéressés par les mêmes informations. Ainsi une page Facebook a été créée par spécialité de bibliothèque (lettres et sciences humaines, droit, sciences économiques, etc.) afin de diffuser une information ciblée à un public précis et éviter ainsi des problèmes de surcharge informationnelle. Le résultat escompté par cette information personnalisée consiste à « répondre aux différents besoins et aux différentes attentes », « aller au plus près des passions des usagers des BU » et « fidéliser les publics » [entretien 1].

4.1.3. Les collaborations entre professionnels

34 L’étude a révélé une collaboration entre professionnels que nous avions sous-estimée en préparant le guide d’entretien. Les animateurs de communauté ont fait part de leur volonté d’avancer ensemble, renforçant ainsi les liens qui pouvaient déjà les unir. Les bibliothécaires sont conscients de l’utilité des médias sociaux numériques qui font désormais partie de leur « boîte à outils » et qui entraîne une véritable transformation de leur métier. Cette prise de conscience les motive à collaborer davantage pour acquérir de nouvelles compétences qui ne faisaient pas partie de leur métier de base, leur permettant de faire face aux problèmes techniques ou organisationnels. Cette transformation les a amenés, selon eux, à de nouvelles répartitions des tâches, au choix et à la programmation des publications et à une coordination des différentes contributions. Dans ce sens, un sujet interrogé affirme, « Mettre en commun nos pratiques, c’est mieux qu’un compte-rendu formalisé » [entretien 1]. Cela permettra selon lui, « de partager les expériences, partager les bonnes pratiques et les retours d’expériences ».

35 Une sociabilité entre collègues est même perceptible : « On est nombreuses, éparpillées sur différents sites de l’université. On suit l’actualité des autres bibliothèques. Chacune a son propre ton et son propre style éditorial » [entretien 3]. Une professionnelle va même jusqu’à dire qu’elle se sent appartenir à une communauté : « Grâce à cet outil, on se réunit […] on fait partie de la communauté des contributeurs » [entretien 1]. Cette organisation ne peut avoir de succès sans l’appui et l’encouragement de leur hiérarchie. Sinon, il devient difficile de passer des pratiques basées initialement sur la base de volontariat à de véritables stratégies de médiation numérique et à la e-réputation. (Ertzscheid, 2009 ; Pierre, 2011)

4.1.4. Transformations du métier

36 Les entretiens révèlent que les professionnels ont à cœur d’avoir les compétences nécessaires pour créer un lien social avec leurs usagers via les RSN. Ces aptitudes ne sont pas des compétences de base du bibliothécaire mais des transformations imposées par les RSN et par le numérique en général. Par exemple, le divertissement et l’emploi des informations ludiques occupent désormais une place importante dans les activités des bibliothécaires.

37 L’usage des RSN dans les bibliothèques universitaires semble donc avoir franchi une nouvelle étape. Ce qui explique l’émergence de nouveaux besoins de formation chez des bibliothécaires. Ce besoin de formation est à la fois lié à la maîtrise technique des outils RSN, mais également à la gestion des interactions avec les usagers et la manière dont il faut leur répondre. Une directrice adjointe de communication et évaluation au service commun de documentation « SCD » souligne la montée en puissance de l’usage des RSN dans les bibliothèques universitaires et nous livre le témoignage suivant :

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« […] il y a des collègues qui aimeraient bien être formés par exemple à comment rédiger sur les RSN pour tout ce qui est des hashtags, etc., pour connaître les codes de la rédaction, d’autres sont un petit peu des fois en peine avec les commentaires des usagers. Comment on gère tout ça ? Ce sont en fait des besoins de formation sur les réseaux sociaux, comment on les utilise, comment on rédige […] » [entretien 1].

39 Le même interviewé constate que les professionnels ont une prise de conscience que le community management est un métier à part entière qui ne s’improvise pas. Cette fonction au départ attribuée sur le principe du bénévolat est rentrée petit à petit dans les missions attribuées aux bibliothécaires. « En fait, à la base, les gens qui sont positionnés sur ces missions étaient plutôt des gens qui se portaient volontaires et qui avaient un peu naturellement un goût ou une appétence pour ces outils parce qu’ils ont des pratiques personnelles » [entretien 1]. « Ces sont des personnes déjà utilisatrices des RSN » [entretien 3] ajoute un autre professionnel.

40 D’après les différents témoignages, les compétences nécessaires sont d’ordre communicationnelle, e-rédactionnelle, marketing… Ces besoins sont récents et constituent une véritable évolution du métier du bibliothécaire. C’est un mouvement en cours dans lequel les professionnels font l’expérience de l’usage, rappellent certains d’entre eux. Cette transformation s’avère encore plus étendue que les éléments mentionnés ci-avant. Elle est liée selon certaines déclarations à un changement générationnel : « Les jeunes, quand on parle de communication, pensent RSN, hyperconnectivité. Au sein des professionnels, cela évolue aussi. Être jeune, cela aide » [entretien 2].

41 On constate même une transformation de l’image du métier de bibliothécaire qui ne se limite plus à celui de la documentation et à l’espace physique de la BU. Même si les nouvelles compétences ne sont pas toujours aisées à acquérir, les bibliothécaires s’investissent sans compter pour être à la hauteur des attentes de leurs usagers, en rappelant à chaque occasion que ces nouvelles transformations viennent s’ajouter à leur fonction de base et qu’ils ne prétendent pas être experts en la matière mais qu’ils cherchent à monter en compétences. En ce sens, certains nous certifient : « Nous notre boulot, ce n’est pas de la communication, notre fonction de base, c’est de la documentation, donc on vient à ce genre de chose parce que ça fait partie de notre mission de valoriser notre documentation » [entretien 1] ou encore « On n’était pas des professionnels de la communication […], on s’improvise communicant. […]. Je le fais en plus de mes fonctions de responsable du fonds de Lettres modernes, classiques et des animations » [entretien 3].

42 Pour atteindre cet objectif, certaines BU ont trouvé dans l’ouverture et la collaboration avec les autres services de l’université notamment le service communication un appui fort qui accélère cette transformation ainsi que l’acquisition des compétences nécessaires comme nous pouvons le voir dans la déclaration suivante : « Le fait maintenant de pouvoir s’appuyer sur le service communication de l’université, c’est un gain et ça on espère aussi pouvoir monter en compétence par leur intermédiaire parce qu’à priori, ils sont plutôt formés à ce genre de pratiques » [entretien 1].

43 Concernant, la promotion des services et du fonds documentaire de la BU, certains vont jusqu’à dire : « On ne peut pas se faire aujourd’hui sans l’économie des réseaux sociaux numériques, d’où notre besoin d’acquérir des compétences en marketing permettant de promouvoir les services et la documentation des BU » [entretien 1].

44 En somme, la présence des BU sur les médias sociaux numériques amène les bibliothécaires à élargir leurs champs de compétences. « Un nouveau métier de communication voit le jour : le gestionnaire de communauté qui représente une communauté, communique, écoute et analyse les billets publiés » (Charest, 2013, 274).

4.2. Perspectives des usagers

45 Du côté des usagers, deux-tiers des répondants au questionnaire sont d’avis que les BU jouent un rôle social sur place et en ligne. À la question « Comment peuvent-elles jouer un rôle social sur place et en ligne ? », trois fonctions principales ressortent :

46 1) les BU peuvent jouer un rôle social en cherchant à être attractives.

47 2) la BU endosse une fonction sociale en faisant un lien entre la société et l’université. Elle permet de créer une communauté d’usagers.

48 3) la BU a une fonction informative et d’accompagnement à jouer. Elle permet d’accéder aux connaissances, aux documents et à la culture rapidement et à distance.

4.2.1. Fonction d’attraction

49 Selon le questionnaire, il ressort que les BU peuvent jouer un rôle social en cherchant à être attractives par l’image qu’elles renvoient, en divertissant, en animant, en valorisant les fonds documentaires et faisant la promotion de la culture. Être sur les RSN renvoie « une image dynamique » et permet « d’aller là où se trouve la génération Y » [entretien 4]. Transposé en ligne, la bibliothèque parvient selon les entretiens menés à produire une sociabilité et une convivialité entre professionnels et usagers grâce au divertissement produit à partir de jeux documentaires, blagues, ton léger et mascotte [entretien 3]. D’ailleurs, certaines activités ludiques ne sont faites que sur Facebook : « J’aime organiser des jeux documentaires. Je les mets sur Facebook et nulle part ailleurs » [entretien 3]. Concernant les efforts à faire pour assurer ce genre d’activités, la même personne ajoute : « Je me creuse la tête pour trouver un ton léger, j’utilise une mascotte (un chat peluche), j’aime quand il y a beaucoup de photos, on publie quelques blagues : ces interactions tissent un lien avec nos lecteurs ». Dans un autre témoignage, ces sont les photos et vidéos insolites qui attirent le plus les usagers.

50 Selon la figure 2, à la question « Quels types d’information vous attirent le plus sur la page Facebook de votre BU (ou des BU que vous suivez) ? », les usagers répondent les informations ludiques (41 %), les actualités officielles (78 %), les horaires de la bibliothèque (57 %) et les coulisses (36 %).

4.2.2. Fonction sociale

51 Deuxièmement, la BU endosse une fonction sociale en faisant un lien entre la société et l’université. À la question « Vous sentez-vous appartenir à une communauté lorsque vous suivez votre BU sur Facebook et les médias sociaux numériques ? », les réponses se divisent en deux parties presque égales : 52 % considèrent qu’ils se sentent appartenir à une communauté parce qu’ils suivent leur BU sur FB et 47 % qui annoncent le contraire. Selon la figure 3, parmi ceux qui considèrent que le sentiment d’appartenance existe, ils le justifient parce que FB permet d’afficher qu’ils sont des habitués de la BU (64 %), parce qu’ils se sentent appartenir à une tribu liée à un lieu (51 %) et parce que des événements vécus dans la journée se poursuivent par une publication en ligne (45 %) créant ainsi une complicité entre l’usager et sa bibliothèque. « La présence de la BU sur FB ça créé du lien. On voit des choses que l’on a vues dans la journée. Sur certains posts, je sens que je fais partie d’une communauté » [entretien 4].

Figure 3. Expliquez pourquoi vous vous sentez appartenir à une communauté en suivant votre BU sur Facebook et les médias sociaux numériques. (69 réponses)

Figure 3. Expliquez pourquoi vous vous sentez appartenir à une communauté en suivant votre BU sur Facebook et les médias sociaux numériques. (69 réponses)

Figure 3. Expliquez pourquoi vous vous sentez appartenir à une communauté en suivant votre BU sur Facebook et les médias sociaux numériques. (69 réponses)

52Cependant, les entretiens révèlent que le sentiment d’appartenance préexiste aux RSN [entretien 6] comme l’illustre la formule « U2-U3, c’est ton père, c’est ta mère, c’est ta vie » faisant référence au temps que passent les étudiants de droit dans cette bibliothèque [entretien 5]. Ainsi, la présence de la BU sur FB ne fait que dire « je travaille dans cette bibliothèque ». « On aime la page FB de U2-U3 pour dire c’est ma bibliothèque. Je me sens appartenir au groupe U2-U3. Le signe d’appartenance, c’est de liker mais c’est tout. La page FB, c’est un tampon qui nous marque comme habitué d’un lieu. Je ne like que lorsque je suis une habituée » [entretien 6].

53 Moins des trois-quarts des répondants au questionnaire considèrent que Facebook et les réseaux sociaux numériques favorisent le lien social car ils suscitent plus d’interactions (62 %) et plus d’échanges (52 %) que d’habitude ; ils font naître un sentiment d’appartenance (51%) et occasionnent plus de divertissement (26%) selon la figure 4. Cependant, certains témoignages insistent sur l’importance de la BU comme lieu physique offert aux étudiants qui permet d’annihiler les inégalités. Ce rôle de cohésion de la BU favoriserait ainsi la réussite des étudiants confirmé par Alain Coulon (2005), qui a montré que la réussite des étudiants tient à la fréquentation d’un service de documentation.

Figure 4. Expliquez comment Facebook et les réseaux sociaux numériques favorisent le lien social. (94 réponses)

Figure 4. Expliquez comment Facebook et les réseaux sociaux numériques favorisent le lien social. (94 réponses)

Figure 4. Expliquez comment Facebook et les réseaux sociaux numériques favorisent le lien social. (94 réponses)

54Parmi les raisons qui motivent le plus souvent les usagers à s’abonner aux pages FB des BU, nous trouvons la vérification des horaires d’ouverture et de fermeture (89%), le maintien du lien social avec la BU (74%), faire partie de la communauté de la BU en ligne (52%) et se divertir (38%) comme l’indique la figure 5. D’autres raisons sont aussi invoquées par les usagers sur cette figure.

4.2.3. Fonction informative et d’accompagnement

55 Troisièmement, la BU a une fonction informative et d’accompagnement à jouer. Elle permet d’accéder aux connaissances, aux documents et à la culture rapidement et à distance. « J’ai le sentiment d’appartenir à une communauté car les bibliothécaires répondent à mes questions. Ils donnent des infos » [entretien 5]. Les actualités officielles et les informations sur le fonctionnement de la bibliothèque intéressent particulièrement les usagers et occupent les deux premières places parmi l’ensemble des informations suivies sur Facebook, avec respectivement 78 % et 57 % des réponses selon notre sondage. Facebook et les réseaux sociaux numériques ont cet avantage de l’instantanéité de l’information et la rapidité de la transmission à l’aide des abonnements et des notifications par exemple, ce qui facilite la fonction informative des bibliothèques.

Figure 5. Pourquoi êtes-vous abonné à la page Facebook de la BU ? (137 réponses)

Figure 5. Pourquoi êtes-vous abonné à la page Facebook de la BU ? (137 réponses)

Figure 5. Pourquoi êtes-vous abonné à la page Facebook de la BU ? (137 réponses)

56 Un autre témoignage considère la bibliothèque comme un « vecteur de la culture dans l’université », et insiste sur le fait de « Mettre en avant le côté culturel (en général) et faire un lien entre la société et l’Université. Note : il faut conforter ce lien. Question : comment ? 1) travailler sur les réseaux sociaux, 2) avec la continuité. »

57 Parallèlement au rôle de vecteur d’information et d’actualité, les répondants ont souligné l’importance du rôle de guide des BU auprès des usagers dans l’Internet et le traitement de l’information. Ce rôle est d’ailleurs noté dans les missions du bibliothécaire selon l’Onisep [7] : « Réaliser une sélection de titres qui correspondent aux besoins d’information, de formation ou de loisirs des lecteurs qui fréquentent la bibliothèque. À partir des catalogues d’éditeurs et de la presse spécialisée, il établit un choix de livres, d’e-books (livres électroniques à lire sur tablette ou liseuse) mais aussi de vidéos, de cédéroms ou de photos, en fonction des demandes, de l’actualité des parutions et des crédits disponibles. »

58 Dans la même définition du métier du bibliothécaire selon l’ONISEP, s’ajoute la fonction d’accompagnement, qui consiste à « accueillir les lecteurs, les aider dans leurs recherches et les orienter dans leur choix de lecture. Pour élargir le public, le bibliothécaire peut organiser des animations : expositions, rencontres avec des auteurs ou débats, cours d’initiation à la recherche sur Internet... ». L’accompagnement est expliqué par les usagers par cinq aides différentes : (1) l’aide au repérage des ouvrages, des documents, et des différentes autres ressources documentaires, (2) les conseils et les formations à la recherche documentaire, (3) la formation à l’exploitation des ressources documentaires et la manière de citer les références, (4) la formation et l’aide à la rédaction et au respect des normes bibliographiques, (5) l’organisation des ateliers de sensibilisation aux différents problèmes rencontrés par les étudiants (exemple : le problème du plagiat face aux données ouvertes). Toutes ces actions d’accompagnement contribuent selon les usagers à « la réussite des étudiants » et à « l’animation scientifique ». Les différents témoignages de l’enquête font l’unanimité sur l’importance de déploiement des réseaux sociaux numériques par les bibliothèques universitaires et soulignent leur rôle pour assurer cette fonction informative ainsi que le maintien du lien en ligne. Néanmoins, pour s’assurer d’un bon accompagnement et des bons conseils des bibliothécaires, l’espace physique des bibliothèques reste le choix à privilégier par les usagers comme le montre le témoignage suivant : « La bibliothèque a également des ressources en ligne. De plus, les gens sont de plus en plus sur internet, il faut donc y être présent. Mais elles ont également une importance matérielle, car on aime se réfugier dans une bibliothèque, y lire, prendre un café, emprunter des documents, avoir l’aide d’un professionnel sur place, profiter des animations… ».

5. Les échanges entre les usagers et les professionnels

59 Selon les entretiens, les usagers échangent très peu sur Facebook que ce soit entre eux ou avec les bibliothécaires. Ce résultat va dans le sens de (Chen et al., 2011) qui note que l’interaction de qualité entre les bibliothèques et les usagers, comme les conversations et les réseaux de groupe, est encore relativement rare sur Facebook. Trois types d’interaction sont possibles sur la page Facebook : «°like », « conversation » et les « groupes ». Selon notre étude, les usagers like les posts ou partagent volontiers les informations avec des personnes ciblées : « Je n’ai jamais d’interactions avec d’autres étudiants. Mais si une information concerne des amis, je la tague pour qu’ils puissent la voir » [entretien 5]. « Je n’interagis pas. J’aime mais je ne commente pas. Une fois ou deux pas plus » [entretien 4]. Un des usagers interrogés rajoute qu’il éprouve de la réticence à se livrer sur une page institutionnelle. Pour remédier à cela, il propose que la bibliothèque créé un groupe et non une page afin de rendre les échanges confidentiels à un groupe restreint de personnes. « Le fait de communiquer sur une page institutionnelle est gênant. Je ne veux pas étaler ma vie sur le mur. Ce caractère public et ouvert me gêne. Un groupe à la place de la page amènerait plus d’interactions » [entretien 6]. Ce manque d’échanges de la part des usagers ne gêne pas les professionnels°: « Communiquer avec nos usagers même s’il n’y a pas de retour » [entretien 2].

60 Lorsque les usagers ont besoin de poser des questions aux bibliothécaires, environ un tiers des répondants choisissent le courriel et Facebook contre 8 % seulement qui utilisent le service de référence virtuel. C’est la facilité d’accès (45 %) et le caractère instantané qui décident les usagers à les choisir prioritairement.

61 Le niveau de satisfaction des usagers à propos de la communication des bibliothécaires sur Facebook a été mesuré. À la question « Considérez-vous que l’animateur de la page Facebook poste régulièrement des messages, emploie un ton léger, montre sa personnalité, emploie le langage Facebook, prend sur le vif les évènements ? », les usagers se montrent majoritairement satisfaits (88 %) comme le montre la figure 6 avec une échelle allant de 1 à 5 (1 correspond au niveau de satisfaction le plus bas et 5 le plus haut). Ce résultat conforte les bibliothécaires à poursuivre dans cette voie.

Figure 6. « Considérez-vous que l’animateur de la page Facebook poste régulièrement, emploie un ton léger, montre sa personnalité, emploie le langage Facebook, prend sur le vif les évènements ? »

Figure 6. « Considérez-vous que l’animateur de la page Facebook poste régulièrement, emploie un ton léger, montre sa personnalité, emploie le langage Facebook, prend sur le vif les évènements ? »

Figure 6. « Considérez-vous que l’animateur de la page Facebook poste régulièrement, emploie un ton léger, montre sa personnalité, emploie le langage Facebook, prend sur le vif les évènements ? »

62Par ailleurs, selon les réponses des usagers, près des trois quarts d’entre eux apprécient que les bibliothécaires prennent en compte leurs remarques constructives. Cette considération de la part des professionnels des bibliothèques représente pour les usagers un signe fort en ce qui concerne le lien social.

6. Discussion

63 Revenons sur les principaux résultats de notre étude afin de les mettre en discussion interne avec nos objectifs de départ et mener une discussion externe avec les travaux cités dans la partie état de l’art.

64 Deux questions principales étaient posées en introduction°: (1) En quoi la présence des bibliothèques sur les réseaux sociaux numériques favorise-t-elle le lien social entre les usagers, entre les usagers et les bibliothécaires et entre les bibliothécaires ? et (2) Comment les questions essentielles liées au lien social, comme les échanges, les collaborations, le divertissement et le sentiment d’appartenance à une communauté sont-elles réactualisées par les réseaux sociaux numériques ?

65 Pour tenter de répondre à ces deux questions, et afin de fournir à la communauté scientifique et professionnelle intéressée par cette problématique des résultats qui dépassent l’étude technique des outils numériques, nous avons tenu à ce que les propos des usagers comme des professionnels soient suffisamment représentés dans l’étude et pris en compte, car nous estimons que ces derniers ont un rôle important dans la définition des stratégies qui pourraient être mises en place par les bibliothécaires et notamment celles liées au lien social.

66 Concernant la première question, les réseaux sociaux numériques dans leur principe général, convergent vers certains des principes fondateurs du lien social au sens de Paugam. Nous rappelons que selon l’auteur, « L’expression “lien social” est aujourd’hui employée pour désigner tout à la fois le désir de vivre ensemble, la volonté de relier les individus dispersés, l’ambition d’une cohésion plus profonde de la société dans son ensemble » (Paugam, 2016, 4).

67 Du coté des usagers, deux-tiers des répondants au questionnaire sont d’avis que les BU jouent un rôle social sur place et en ligne. À la question « Comment peuvent-elles jouer un rôle social sur place et en ligne ? », trois fonctions principales ressortent. Premièrement, les BU peuvent jouer un rôle social en cherchant à être attractives par l’image qu’elles renvoient, en divertissant, en animant, en valorisant les fonds documentaires et faisant la promotion de la culture. Être sur les RSN renvoie « une image dynamique » et permet « d’aller là où se trouve la génération Y » [entretien 4]. Deuxièmement, la BU endosse une fonction sociale en faisant un lien entre la société et l’université. Elle permet de créer une communauté en ligne. Troisièmement, la BU a une fonction informative et d’accompagnement à jouer. Elle permet d’accéder aux connaissances, aux documents et à la culture rapidement et à distance [entretien 5]. Même si à ce stade, nous ne pouvons pas affirmer que les RSN permettent de créer du lien social dans les BU, les résultats montrent que le lien social préexiste aux RSN [entretien 6] et la présence de la BU sur FB ne fait que renforcer ce lien et faciliter les échanges. Concernant la fonction informative et d’accompagnement, Fabrice Chambon est d’avis que la bibliothèque devrait à la fois former des citoyens éclairés et leur dispenser des qualifications visant à ce qu’ils s’intègrent sur le marché du travail (Villate et Vosgin, 2010, 123). Paugam (2016) qualifie ce rôle par la fonction d’intégration sociale. À ce propos, Coulon (2005) a montré que la fréquentation des bibliothèques et des centres de documentation par les étudiants est corrélée à la réussite de leurs études.

68 Quant à la deuxième question, Facebook (1) facilite les échanges (près de 30 % des usagers choisissent Facebook pour échanger avec les bibliothécaires grâce à la facilité d’accès et au caractère instantané de cet outil), (2) renforce les collaborations surtout entre bibliothécaires (Un sujet interrogé affirme, « Mettre en commun nos pratiques, c’est mieux qu’un compte-rendu formalisé » [entretien 1]. Cela permettra selon lui, « de partager les expériences, partager les bonnes pratiques et les retours d’expériences »), (3) valorise le divertissement (Transposé en ligne, la bibliothèque parvient selon les entretiens menés à produire une sociabilité et une convivialité entre professionnels et usagers grâce au divertissement produit à partir de jeux documentaires, blagues, ton léger et mascotte [entretien 3]. Certaines activités ludiques ne sont faites que sur Facebook : « J’aime organiser des jeux documentaires. Je les mets sur Facebook et nulle part ailleurs » [entretien 3]) et (4) affiche le sentiment d’appartenance à une BU (Parmi ceux qui considèrent que le sentiment d’appartenance à une BU existe, ils le justifient parce qu’ils sont attachés à un lieu et que FB est un moyen de l’afficher et aussi parce que les événements vécus dans la journée sont publiés créant ainsi une complicité entre l’usager et sa bibliothèque).

69 À propos du lien social entre professionnels, l’étude a révélé une collaboration entre eux que nous avions sous-estimée en préparant le guide d’entretien. Les animateurs de communauté ont fait part de leur volonté d’avancer ensemble, renforçant ainsi les liens qui pouvaient déjà les unir. Ce lien social a été renforcé selon l’[entretien 1] lorsque les bibliothécaires se sont rendu compte de la transformation de leur métier par le numérique. Leur volonté de réussir ensemble a stimulé cette collaboration.

70 Selon Paugam, quatre composantes tissent le lien social°: lien de participation organique, lien de citoyenneté, lien de participation élective et lien de filiation. L’auteur fait appel à d’autres notions qui apparaissent comme des éléments constituants du concept lien social à savoir : la solidarité, la protection, la reconnaissance et l’intégration sociale. C’est principalement à ces dernières notions que nous mettons en correspondance nos résultats. Parallèlement à ce cadre théorique et comme nous avons pu le voir dans les résultats, la présence des BU sur FB génère trois types de sociabilité : (1) lien entre usagers, (2) lien entre usagers bibliothécaires et (3) lien entre bibliothécaires.

71 La solidarité est aperçue dans les trois types de sociabilité, mais elle est plus importante chez les bibliothécaires. C’est justement ce sentiment de solidarité qui a permis de renforcer la collaboration entre eux. Il constitue également une forme de protection contre tout sentiment d’incapacité à gérer la communauté en ligne ou bien le manque de maîtrise des outils numériques.

72 La reconnaissance, quant à elle, se manifeste par le retour positif des usagers et par leurs commentaires encourageants. Elle est donc présente surtout dans la deuxième forme de sociabilité c’est-à-dire le lien entre les usagers et les bibliothécaires. À ce propos, le témoignage suivant illustre cette forme de reconnaissance : « un de mes collègues a publié en début de semaine quelque chose sur la série Game of thrones et quelqu’un tout à l’heure a mis ce commentaire : ‘je vous adore biblio LSH’ avec le petit cœur, etc. ‘Best BU’. Donc ça en termes du lien social, je trouve que c’est super et que ça fait une vraie proximité, ça nous conforte aussi dans ce qu’on fait, dans la façon dont on le fait » [entretien 1].

73 La fonction d’intégration sociale sur les RSN permet à des usagers de différentes catégories sociales d’accéder à la même information, d’échanger entre eux et avec les bibliothécaires. Cette fonction correspond également au lien de participation organique selon Paugam. D’ailleurs, 78 % des usagers approuvent que les bibliothécaires prennent en compte leurs remarques constructives. Il s’agit d’un signe fort en matière de lien social selon les usagers puisque les professionnels des bibliothèques prennent en compte leurs propositions d’amélioration en les intégrant dans les publications.

7. Conclusion

74 Les entretiens et les résultats de l’enquête fournissent des repères pour saisir les enjeux de la présence des bibliothèques universitaires sur les médias sociaux numériques en termes de lien social. Pour les professionnels des bibliothèques, le lien social à travers Facebook apparaît pensé surtout en termes de rapprochement vers les usagers qui occupent de nouveaux espaces. Les professionnels s’adaptent à l’évolution des pratiques numériques de leurs usagers en assurant une présence sur les RSN, occasionnant des besoins forts en formation à la communication en ligne et à l’animation de communautés. Bien que les professionnels soient conscients qu’il leur faut quitter la communication institutionnelle pour mettre leur personnalité en avant et trouver leur style, il leur est difficile de franchir le pas. Des outils de publication automatique ainsi qu’une équipe investie qui relaye l’information depuis leurs propres comptes de RSN constituent des aides non négligeables pour créer du lien social en ligne. De plus, les professionnels, qui sont bien souvent en cours d’acquisition de ces compétences de communication en ligne, collaborent entre eux et développent une sociabilité.

75 65 % des usagers considèrent que les BU ont un rôle social à jouer sur place et en ligne. Ils sont d’avis que quatre fonctions sont nécessaires pour que le lien social soit présent : (1) en divertissant, (2) en créant une communauté d’usagers en ligne, (3) en informant rapidement et en donnant accès à la culture et (4) en accompagnant les usagers à travers leurs recherches et en les orientant dans leurs choix de lecteur.

76 Seule la moitié des usagers qui ont répondu à l’enquête se sent appartenir à la communauté de leur BU, laissant ainsi aux professionnels une marge de progression importante. Contrairement à l’enquête en ligne qui a permis de récolter les avis de 137 usagers, les entretiens menés auprès des professionnels sont peu nombreux et ne peuvent représenter l’ensemble des discours des professionnels constituant ainsi une limite à notre étude. Des recherches ultérieures méritent d’être réalisées pour vérifier nos résultats.

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Date de mise en ligne : 23/10/2017

Notes

  • [1]
    En 2012, 95 % des étudiants et jeunes diplômés sont inscrits sur Facebook, 16 % sur Twitter, 53 % sur LinkedIn ou Viadeo selon l’étude de JobTeaser (source : https://www.digischool.fr/a-la-une/chiffres-cles-etudiants-reseaux-sociaux-10946.php)
  • [2]
    Source : http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid20545/ les-bibliotheques-universitaires.html
  • [3]
    Les sphères publiques médiatées sont des environnements dans lesquels les participants sont mis en relation par l’intermédiaire d’une médiation technique.
  • [4]
    Entretien n°1 du 22/09/2016 avec la Directrice adjointe de la communication SCD Univ. Aix-Marseille (55 minutes) ; entretien n°2 du 22/09/2016 avec la Chargé du service de l’action culturelle et de la communication externe, BNU (38 minutes) ; entretien n°3 du 16/09/2016 avec la bibliothécaire responsable du fonds lettres modernes, lettres classiques et animations à U2 U3 (46 minutes).
  • [5]
    Ce classement, établi par Linda Fall au 12 septembre 2015, s’est fait en comparant le nombre d’abonnés sur FB et Twitter des établissements ayant le statut d’université selon le code de l’éducation du 1er septembre 2015 <consulté en ligne le 10/09/2016>
  • [6]
    Entretien n°4 du 16/09/2016 avec un usager U2-U3 étudiante 3e année de droit (9 minutes 34) ; entretien n°5 du 16/09/2016 usager U2-U3 étudiante en master psycho clinique (11 minutes 21) ; entretien n°6 du 22/09/2016 usager U2-U3 étudiante en master 1 sciences politique et sociale à l’IEP (15 minutes).
  • [7]
    L’Onisep (Office national d’information sur les enseignements et les professions) : http://www.onisep.fr/Ressources/Univers-Metier/Metiers/bibliothecaire

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