Notes
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[1]
Protection de la vie privée dans la loi du 17 juillet 1970, chronique du professeur Albert Chavannes, RSC 1971, p. 605 sqq. ; Badinter (Robert), “La protection de la vie privée contre l’écoute électronique clandestine”, Semaine juridique 1971, chronique 2435 ; Bécourt (Daniel), “Réflexions sur le projet de loi relatif à la protection de la vie privée”, Gazette du Palais, 1er mai 1970 ; Pelletier (Hervé), “L’atteinte à la vie privée”, Jurisclasseur pénal sous 226-1, les rapports de la CNCIS à La documentation française.
-
[2]
Rapport du conseil d’État de 1995 ; Thérond (Jean-Pierre) “Sécurité”, AJDA, 20 mars 1995 ; Lajartre (Arnaud de), “fonctions et fictions des miradors électroniques, la vidéosurveillance dans la loi du 21 janvier 1995”, Semaine juridique 1996 n° 3955.
-
[3]
V. notamment Vie privée et vie publique chronique du professeur Beignier, Légipresse n° 124, septembre 1995 ; Bigot (Christophe), “Les exigences de l’information et la protection de la vie privée”, Légipresse n° 126-II, p. 83.
-
[4]
Cass. crim., 14 janvier 1997, B.C. n° 9.
-
[5]
Crim., 20 octobre1998, Dalloz 99 Jurisprudence p. 106 ; v. Beignier (B.), “Réflexions sur la protection de la vie privée”, Semaine juridique, novembre 1997.
-
[6]
Légipresse, n° 156-III, p. 158 et note E.D.
-
[7]
V. rapports de la CNCIS à La documentation française.
-
[8]
Gazette du Palais, 8 janvier 1987, p. 21.
-
[9]
Au contraire pour un magistrat filmé dans la cage d’escalier de son immeuble dont l’accès n’est pas libre, v. CA Paris 11B, 7 novembre 1996, jurifrance doc. n° 025392.
-
[10]
Bertin (Philippe), “L’image en prison”, Gazette du Palais, .8 janvier 1987 ; v. aussi Crim., 29 juin 1988 (jurifrance).
-
[11]
Pour d’autres applications en ce qui concerne la définition de lieux privés voir jurisclasseur pénal sous 226-1 2 par Hervé Pelletier n° 53 à 61.
-
[12]
V. note 6.
-
[13]
V. Derieux (E.) et Gras (F.), “Secret médical et vie privée : protection civile et pénale”, Petites affiches n° 82 du 9 juillet 1997.
-
[14]
V. au contraire référé civil Paris, 15 novembre 86, Dalloz, sommaire, p.141.
-
[15]
Crim., 7 octobre 1997, B.C. n° 324 statuant sur arrêt de la CA Paris 11A, 7 mai 1997 (inédit) et TGI Paris 17e (inédit) et Gazette du Palais, 29 et 30 juillet 1998, note Charles Morel.
-
[16]
Légipresse mars 1997, Semaine juridique 1999, jurisprudence 10044 et note G. Loiseau ; Beigner (B), “Vie privée posthume et paix des morts” Dalloz 1997, jurisprudence, p. 255 ; note B. Beignier, Dalloz 1999, p. 106.
-
[17]
V. note 14.
-
[18]
V. notamment Paris (1re ch.), 3 novembre 1982, Dalloz 1983, p. 248, obs. R. Lindon.
1 CE N’EST que le 17 juillet 1970 [1], que le législateur a introduit dans le code pénal, les articles 368 et 369, réprimant, d’une part, l’atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui, d’autre part, la conservation, divulgation ou utilisation de paroles ou images ainsi obtenues. Ces délits sont venus, à côté de la violation du domicile, la violation de certains secrets professionnels, l’atteinte au secret des correspondances, renforcer la protection que la loi pénale consacre aux droits de la personne. Celle-ci a depuis été complétée par la réglementation des interceptions de communications téléphoniques ordonnée par les autorités administratives ou judiciaires, la loi informatique et liberté du 6 janvier 1978, la loi relative à la vidéosurveillance du 21 janvier 1995 [2]. La traduction de l’article 8 §1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, qui pose le principe du droit pour chacun au respect de sa vie privée, trouve toutefois sa consécration à titre principal dans l’article 9 du code civil [3]. Le délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée ne recouvre qu’un champ beaucoup plus restreint et n’a pour objet que de sanctionner les intrusions frauduleuses dans la vie privée d’autrui.
2 L’efficacité du dispositif civil mis en place par le législateur, les possibilités offertes au juge, notamment en référé, pour sanctionner ou prévenir les atteintes à la vie privée ont naturellement conduit nombre de victimes à préférer la voie civile quand bien même elles auraient eu la possibilité d’agir au pénal. L’importance des dommages-intérêts alloués et la discrétion plus grande qui entoure les procès civils n’ont fait que renforcer cette tendance. Enfin, s’agissant d’affaires privées, le ministère public ne peut engager l’action publique que sur plainte de la victime et le désistement de celle-ci met un terme à la procédure [4].
3 Les procédures pénales concernent donc fort rarement des médias qui auraient publié ou diffusé des informations, clichés ou propos tenus à titre confidentiel, provenant d’atteintes à l’intimité de la vie privée. Dans la mesure où la responsabilité des directeurs de publication peut être impliquée, en application du dernier alinéa de l’article 226-2 du code pénal qui a étendu aux délits commis par voie de presse le système de responsabilité mis en place par les lois des 29 juillet 1881 et 29 juillet 1982 modif iée, il était inéluctable qu’au droit à l’intimité de la vie privée soit opposé le droit à la liberté d’expression. La Cour de cassation a très nettement réaffirmé que ce droit défini par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme pouvait être soumis à certaines conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, notamment pour la protection des droits d’autrui ; que tel était l’objet des articles 226-1 et 2 du code pénal, relatifs à l’atteinte à l’intimité de la vie privée [5].
4 Et de manière fort pertinente la 17e chambre correctionnelle du TGI de Paris a souligné, dans l’instance opposant M. AL Fayed au directeur de publication de Paris Match, comment il fallait comprendre l’exercice du droit à la liberté d’expression et le droit à l’information : « Les publications d’images concernant la vie privée de personnages célèbres, si elles répondent incontestablement à l’attente et à la curiosité du public et satisfont les intérêts commerciaux des journaux, ne constituent pas pour autant des actes d’information permettant au lecteur de former sa réflexion et son opinion sur les événements et ne sont pas en conséquence indispensables à la liberté d’expression » [6].
5 La présente étude s’est efforcée de rassembler un certain nombre de décisions impliquant les médias, dont certaines inédites, de la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris. Il y sera aussi fait référence à des affaires pénales concernant des atteintes à l’intimité de la vie privée au moyen d’écoutes illégales dans le monde du travail, de l’entreprise ou encore le plus souvent dans la sphère familiale pour des raisons sentimentales. Ces décisions permettent en effet de définir certains des éléments constitutifs du délit de divulgation au public d’informations obtenues à l’aide d’une atteinte à l’intimité de la vie privée [7].
6 L’étude de la sphère protégée par les articles 226-1 et 2 du code pénal sera abordée en premier lieu avant que de s’interroger sur les limites du champ pénal.
I – LA SPHÈRE PROTÉGÉE PAR LES ARTICLES 226-1 ET 226-2 DU CODE PÉNAL
7 Le délit de l’article 226-2 suppose, outre un acte de publication et une intention frauduleuse, que les documents ou enregistrements aient été obtenus :
- par le fait de fixer l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé ou d’enregistrer ses propos tenus à titre privé ou confidentiels,
- sans le consentement de celle-ci,
- que les propos ou images entrent dans la sphère de l’intimité de la vie privée.
9 Ces trois éléments constitutifs de l’infraction seront analysés successivement à travers la jurisprudence.
1. La protection des propos tenus “à titre privé ou confidentiel”, la prise d’images en “un lieu privé”
10 L’interception de propos tenus à titre confidentiel ou privé est sanctionnée par l’article 226-1 du code pénal. Le champ de la répression a donc été élargi par rapport à l’ancien article 368 du code pénal qui ne sanctionnait que l’enregistrement de propos tenus dans un lieu privé.
11 Est donc prohibé l’enregistrement de propos tenus dans un lieu public tel une rue, un restaurant, un commerce pour peu qu’ils ne soient pas proférés à la cantonade, mais tenus à voix basse et destinés au seul interlocuteur. Surprendre ces conversations à l’aide de micros cachés ou directionnels est susceptible d’être incriminé, ce qui peut n’être pas indifférent au regard de la réalisation de certains reportages d’investigation. En revanche, la loi pénale incrimine la prise d’images d’une personne sans son consentement, uniquement si elle est réalisée dans un lieu privé.
12 Dans un jugement du 23 octobre 1986 [8], la 17e chambre correctionnelle a défini que devait être qualifié de public : « le lieu accessible à tous, sans autorisation spéciale de quiconque, que l’accès en soit permanent et inconditionnel ou subordonné à certaines conditions » (par exemple un droit d’entrée).
13 Un lieu privé est celui où quiconque ne peut pénétrer sans le consentement de l’occupant (Hervé Pelletier Jurisclasseur pénal sous 226-1 n° 54). Le hall d’entrée d’un immeuble accessible à tous et non protégé par un digicode ou un interphone est donc un lieu public (CA Douai, 2 octobre 1995, jurisdata jurifrance, n° 022894) [9]. Il en est de même d’une piscine d’un centre de thalassothérapie, accessible non aux seuls curistes, mais aussi par quiconque moyennant le paiement d’un droit d’entrée (cour d’appel de Paris 13 mars 1996, jurisdata jurifrance n° 02597)
14 On rappellera qu’un lieu public ne saurait être considéré comme privé au regard de la scène qui s’y déroule sauf à ruiner le principe d’interprétation stricte de la loi pénale (TC Aix-en-Provence, 16 octobre 1973 : JCP1974 éd. G II 17623, obs. Lindon). En revanche, doit être considéré comme un lieu privé : « un lieu de détention dans lequel, par définition, il est interdit d’entrer et dont on ne peut sortir sans une autorisation particulière et strictement limitée » [10]. Cette solution vient d’être reprise par la première chambre civile du tribunal de grande instance de Paris, le 13 octobre 1999 à l’occasion d’une action intentée par M. Bernard Bonnet à la suite de la publication par l’hebdomadaire Paris Match de photographies le montrant dans une cellule de la prison de la Santé [11].
15 Il importe peu que le lieu privé soit exposé au regard, visible de l’extérieur . Si le lieu est visible sans recours à des moyens techniques sophistiqués, les juridictions devront s’assurer que l’absence de consentement à la prise des clichés est établie (Crim. 25 avril 1999 Jurifrance). Un journaliste qui, se trouvant sur une voie publique, avait filmé des personnes se trouvant dans un jardin privé ne saurait, pour ce seul motif, s’exonérer de sa responsabilité (Paris 17e, 14 juin 1989, Jurisdata n° 026828).
16 Les abords d’une piscine située dans une propriété privée clairement délimitée par une clôture faite de barbelés et d’arbres, sont également un lieu privé quand bien même des clichés pourraient être pris de l’extérieur à l’aide d’un téléobjectif, dont l’utilisation révèle au contraire l’intrusion dans la vie privée des occupants des lieux (Paris 17e, 4 juillet 1997 inédit). La même solution a été retenue pour un appartement dont l’intérieur était visible à partir d’un autre bâtiment ou du balcon de celui-ci (CA Paris, 30 novembre 1994, jurisdata jurifrance n° 024046).
17 Un bateau constitue par nature un lieu privé qu’il soit au large ou auprès des côtes, peu importe que les personnes qui s’y trouvent soient visibles. L’atteinte à l’intimité de la vie privée résulte de la prise par fraude des clichés à l’insu des personnes photographiées (TGI Paris 17e, 28 avril 1998) [12]. Cette solution paraît devoir être préférée à celle arrêtée par la cour d’appel de Paris pour qui, dans un arrêt du 5 février 1979 : « un bateau revêt le caractère d’un lieu privé, lorsque ne se trouvant plus à proximité d’une plage ou d’un port, mais au large, toute personne à bord, si aucune embarcation n’évolue dans le voisinage, est fondée à se croire à l’abri des regards d’autrui ». (JCP 1980 éd. G.II 19343, note Lindon et JCP 1997 chronique du professeur Bernard Beignier : réflexions sur la protection de la vie privée). Faire dépendre l’infraction de la situation du bateau, dans un port, proche des côtes ou au contraire au large est se tromper de problématique. Ce qui est en question lorsque le lieu privé est visible de l’extérieur, c’est le consentement ou l’absence de prise de consentement à la prise des clichés.
18 Pour conclure on citera une décision de la 17e chambre correctionnelle du 25 janvier 1999 (inédite), condamnant deux journalistes qui avaient, à l’issue d’un spectacle, poursuivi à moto Michel Sardou et avaient pris des clichés de celui-ci dans son véhicule, et ce, malgré son opposition. Le tribunal a, à juste titre, relevé qu’une voiture était : « un lieu privé dès lors qu’il n’est ouvert à personne sauf autorisation de l’occupant, et alors même qu’il circulait sur une voie publique ». Le délit était établi dans la mesure où Michel Sardou avait clairement manifesté son désaccord à la prise de clichés.
2. Une intrusion dans l’intimité de la vie privée
19 La jurisprudence pénale a fait sienne la définition des professeurs Merle et Vitu : l’intimité de la vie privée, c’est tout ce qui concerne l’individu dans ses relations familiales ou amicales, sa vie conjugale ou sentimentale, sa vie physique, sa santé (Merle et Vitu Droit pénal spécial n° 2033).
20 Les décisions jurisprudentielles ont trait le plus souvent à la vie sentimentale, aux relations familiales, ou encore au décès d’un proche.
21 On se bornera à rappeler quelques exemples.
22 Pour, un appelant, enregistrer son correspondant lors d’une conversation téléphonique, constitue une atteinte à l’intimité de la vie privée dès lors qu’intentionnellement on induit celui-ci à aborder des préoccupations intimes. L’atteinte n’a pas nécessairement à être intolérable (Crim., 3 mars 1982, Dalloz 1982 jurisprudence p. 579 et note Raymond Lindon).
23 Concernent l’intimité de la vie privée, le jugement critique porté sur la vie privée de notables (CA Douai, 11 janvier 1995, jurisdata jurifrance n° 041612), les conversations entre des patients et leur médecin. (CA Rennes, 25 avril 1995, jurisdata jurifrance n° 045663). On notera toutefois que pour protéger le droit à l’intimité de la vie privée quand la santé est en jeu, les délits de violation du secret médical et le recel de cette infraction peuvent être parfois plus appropriés [13].
24 La vie professionnelle ne relève pas en revanche de l’intimité de la vie privée ; à titre d’exemple, pour un animateur de radio, le fait d’être filmé dans le cadre de ses activités (TGI Paris, 17e, 14 mai 1999, inédit). De même, ne saurait constituer le délit de l’article 226-2, le fait pour une chaîne télévisée de diffuser un reportage réalisé grâce à une caméra cachée qui montrait comment une société de voyance recrutait ses employés, les propos et images se rapportant exclusivement à l’activité professionnelle du plaignant (TGI Paris, 17e, 25 mai 1999, inédit).
25 Un entretien portant sur des difficultés professionnelles et des faits de corruption ne peut bénéficier de la protection garantie par les articles 368 et 369 du code pénal (CA Paris, 11B, 8 juin 1989, jurifrance jurisdata n° 025731), de même des conversations ayant trait au commerce international des armes (CA Paris, 11A, 21 juin 1990 Jurifrance jurisdata n° 023165).
26 On citera enfin une décision très récente de la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris du 8 novembre 1999 (inédite). En l’espèce, un fonctionnaire de l’administration pénitentiaire se plaignait de la publication de sa photographie dans les hebdomadaires L’Express et L’Événement du Jeudi. Les clichés le montraient, escortant le détenu Ramirez-Sanchez dit Carlos dans l’une des cours de la Maison d’arrêt de la Santé, à Paris, à l’occasion d’une extraction. Les clichés avaient été pris d’un balcon d’un immeuble voisin à l’aide d’un téléobjectif. Le tribunal a relaxé l’ensemble des prévenus, journalistes, directeurs de publication ainsi que les complices qui avaient permis la réalisation des photographies. Dans ses attendus, le jugement souligne qu’il est constant que les articles 226-1 2 du code pénal : « plus restrictifs que l’article 9 du code civil, ne protègent que l’intimité de la vie privée, et que n’entre pas dans le champ des prévisions de la loi tout ce qui touche à la vie publique de l’individu, à la vie des affaires, ou à l’exercice de la vie professionnelle, à la condition que la captation litigieuse n’aboutisse pas directement à une interférence avec la vie personnelle [14].
27 On rappellera toutefois que l’article 39 quinqies de la loi du 29 juillet 1881 prohibe spécifiquement la révélation par les médias de l’identité de certains fonctionnaires de police.
28 La condition posée in fine par le tribunal doit s’analyser au regard d’une jurisprudence bien établie aux termes de laquelle l’interception et l’enregistrement de conversations, s’ils tendent à surprendre essentiellement des conversations d’ordre professionnel qui n’entrent pas dans le champ d’application du texte, conduisent aussi nécessairement, par leur conception même, par leur objet et leur durée, à pénétrer dans la sphère de la vie privée des personnes écoutées, pour y puiser les éléments d’information recherchés et sont dès lors répréhensibles [15].
L’absence de consentement
29 Le délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée suppose par définition une intrusion dans la sphère privée à l’insu de la victime.
30 L’absence de consentement résulte le plus souvent des moyens clandestins utilisés pour capter les propos, fixer les images. Les situations le plus souvent soumises aux juridictions ont trait à la pose de microphones, à la dérivation de lignes téléphoniques qui ne soulèvent guère de difficultés à cet égard.
31 La prise de clichés à l’aide d’appareils équipés de puissants téléobjectifs constituera également une présomption de clandestinité. Ainsi analysant les photographies de M. Emad Al Fayed en compagnie de La princesse Diana sur le pont d’un yacht, publiées par le quotidien Paris Match, le tribunal a relevé : « qu’il n’est pas contesté que les images ont été réalisées, de manière clandestine, à l’aide d’un puissant téléobjectif, à l’insu des intéressés, et que ces circonstances interdisent de considérer que M. Emad Fayed ait pu consentir à ces actes ».
32 Lorsque l’enquête a établi que des circonstances de clandestinité entourent la prise des clichés incriminés, il incombe au prévenu qui s’en prévaut de rapporter la preuve du consentement de la victime (TGI Paris 17e, 13 janvier 1997, Mitterrand et autres/Thérond Légipresse n°139, mars 1997).
33 Si les clichés sont pris au vu et au su de la victime, il appartient à celle-ci d’établir qu’elle avait manifesté son désaccord. Ainsi, pour un acteur en voiture pourchassé par des journalistes à moto, de protester par gestes puis en descendant de son véhicule (Paris, 17e, 25 janvier 1999 déjà cité). Celui qui se sait photographié doit avoir protesté sur le champ si rien ne l’en empêche, et en toute hypothèse auprès de l’auteur du cliché lorsqu’il lui est connu, à défaut, il ne saurait exciper d’un défaut de consentement (TGI Paris, 17e, 14 mai 1999, inédit).
34 De même, ne saurait se plaindre d’une atteinte à l’intimité de sa vie privée, une artiste dont la photographie a été utilisée pour la promotion d’une association, alors qu’elle avait su être filmée lors du spectacle réalisé pour cette association et qu’elle connaissait très exactement le contrat qui liait sa troupe à l’association considérée, permettant à cette dernière d’utiliser pour sa promotion les clichés ainsi réalisés (TGI Paris 17e, 9 novembre 1998, inédit).
35 On soulignera enf in que le fait pour une personne d’avoir en certaines circonstances accepté de donner une certaine publicité à sa vie tant professionnelle que privée : « ne lui enlève pas le droit absolu de fixer les limites de ce qui peut être publié sur sa vie privée, en même temps que les circonstances dans lesquelles cette publication peut intervenir ».
II – LES LIMITES DE LA PROTECTION
36 Il nous est apparu ici utile de revenir, d’une part, sur les décisions rendues à la suite de la publication de photographies de François Mitterrand sur son lit de mort, d’autre part, d’évoquer les incertitudes jurisprudentielles relatives à des situations où le plaignant invoque son absence d’autorisation à la publication de photographies prises à l’origine avec son accord.
1. Les dispositions pénales permettent-elles d’atteindre la publication de photographies “volées” de personnes décédées ?
37 Aux termes de l’article 226-6 du code pénal, les héritiers se voient reconnaître le droit d’agir du chef d’une atteinte à l’intimité de la vie privée de leur auteur. Cette disposition donne aux héritiers la faculté d’agir en lieu et place du défunt pour combattre une atteinte à l’intimité de la vie privée dont celui-ci a été victime de son vivant (voir TGI Paris, 28 avril 1998, Mohamed Al Fayed / Roger Thérond, Légipresse n° 156 novembre 1998). Le droit pénal se distingue en cela, de par la volonté du législateur, de la jurisprudence établie sur le fondement de l’article 9 du code civil qui considère que le droit à la vie privée est un droit personnel, intransmissible aux héritiers.
38 Pour autant, l’article 226-6 du code pénal permet-il aux héritiers d’agir en cas de prise de clichés clandestine du défunt ? L’interprétation littérale de l’article 226-1 §1 qui incrimine la captation de propos, et donc par définition ne peut s’appliquer qu’aux vivants permet de douter que le législateur ait entendu accorder le bénéfice de la protection de l’intimité de la vie privée aux morts.
39 C’est néanmoins sur ce fondement que, sur plainte de l’épouse et des enfants de M. François Mitterrand, le ministère public a poursuivi M. Roger Thérond directeur de publication de Paris Match à la suite de la publication par cet hebdomadaire de photographies de la dépouille mortelle du Président sur son lit de mort. L’enquête, si elle n’a pas permis d’identifier l’auteur des photographies, a en revanche établi que les clichés avaient été pris clandestinement dans un lieu privé, où ne pouvaient pénétrer que des personnes préalablement autorisées, et sans l’accord des membres de la famille. De plus, l’épouse du défunt s’était sans ambiguïté opposée à la publication des photographies.
40 Les trois décisions sont intervenues successivement dans cette affaire , (TGI Paris 17e chambre, 13 janvier 1997, cour d’appel de Paris 11e chambre, 2 juillet 1997, et enf in arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, 20 octobre 1998 [16].
41 Le tribunal, dans ces motifs, avait clairement retenu que : « publier la photographie de la dépouille mortelle d’une personne implique nécessairement la conscience de porter atteinte à l’intimité de la vie privée de celle-ci et que tout homme, quel qu’ait été son rôle au sein des institutions françaises, dispose du droit de faire respecter l’intimité de sa vie privée ; les hommes publics et en particulier les chefs d’État, ne constituent pas une catégorie à part, dont l’importance des prérogatives conduirait à la privation des droits élémentaires reconnus à tout individu ». Le tribunal affirmait donc que le droit à la protection de l’intimité de la vie privée ne prend pas fin avec le décès et qu’il peut être protégé en tant que tel, sans qu’il se confonde avec une atteinte à l’intimité de la vie privée des ayants droit.
42 À cet égard, la cour d’appel avait semblé hésiter. Elle avait tout d’abord relevé que : « le fait de prendre des photographies d’une dépouille mortelle porte incontestablement atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui quelles que soient les analyses que l’on puisse faire sur le point de savoir si la notion d’autrui se rapporte au décédé ou à ses ayants droit, eu égard à la généralité du terme Cette notion désigne l’autre auquel respect est dû qui ne se réduit pas au point de savoir s’il peut ou non être porteur de droits privés après son décès ». Cette hésitation qui ne permettait pas de démêler très exactement si une atteinte à l’intimité d’une personne décédée pouvait exister indépendamment d’une atteinte à l’intimité de la vie privée des ayants droit disparaît toutefois dans le corps de l’arrêt qui affirme nettement : « Il est constant que chacun a droit, quel que soit son statut ou ses prises de position, à la protection de la vie privée. Cette protection est particulièrement souhaitable s’agissant de la dépouille mortelle [...] dont le respect signe celui de la dignité humaine ».
43 La doctrine n’a pu légitimement que s’interroger sur les fondements juridiques de cette “vie privée posthume” [17]. Par ailleurs on rappellera que la jurisprudence civile dominante estime que la protection résultant des dispositions de l’article 9 du code civil présente un caractère individuel et vise les seules atteintes subies personnellement par le titulaire du droit concerné, qu’il en résulte que le droit au respect de la vie privée n’appartient qu’aux vivants et qu’il est intransmissible aux héritiers [18].
44 La chambre criminelle a confirmé la condamnation du directeur de publication : « la fixation de l’image d’une personne, vivante ou morte, sans autorisation préalable des personnes ayant pouvoir de l’autoriser, est prohibée et la diffusion ou la publication de ladite image sans autorisation entre nécessairement dans le champ d’application des articles 226-1 et 226-2 du code pénal ».
45 La chambre criminelle reprenait très exactement la motivation de l’arrêt qu’elle avait rendu le 21 octobre 1980 (BC 1980 n° 262) à la suite de la publication de la photographie de la dépouille mortelle de Jean Gabin, ce dernier, à la différence de François Mitterrand, s’étant toutefois de son vivant très nettement opposé à la publication de tout cliché de sa dépouille mortelle.
46 Quels que soient les attendus du jugement, les ambiguïtés de l’arrêt de la cour d’appel, il convient de relever qu’il n’y a pas de protection d’une vie privée post mortem indépendamment d’une atteinte à la vie privée des ayants droit. S’agissant de la publication de clichés d’une personne décédée, pour que l’infraction soit constituée, il faut nécessairement et cumulativement que le défunt, de son vivant, n’ait pas, par anticipation, donné son consentement à la prise de photographies et que, postérieurement à son décès, les héritiers n’y aient pas consenti. À travers la protection étendue à l’image d’une personne décédée, c’est nécessairement aussi l’intimité de la famille en deuil qui est sauvegardée.
2. L’absence de consentement à la publication de photographies prises avec l’accord du plaignant
47 Mme F. avait consenti, au temps de sa vie commune avec M. G., à être photographiée dans des poses suggestives. Après son divorce avec M. G., Mme F. avait eu la désagréable surprise de constater que ces clichés avaient été publiés dans des revues à caractère pornographique, accompagnés de propos obscènes proposant aux lecteurs l’envoi d’autres clichés suggestifs la concernant.
48 Par un jugement du 6 juin 1997 (inédit), la 17e chambre correctionnelle a considéré que G. était coupable d’avoir transmis au sens de l’article 226-1 2° du code pénal, conservé et porté ou laissé porter à la connaissance du public au sens de l’article 226-2 du même code les clichés litigieux dans la mesure où si Mme F. avait en son temps autorisé la prise des clichés, elle n’avait pas pour autant consenti à ce que G. les conserve et les divulgue.
49 La cour d’appel de Metz a statué dans un sens identique dans une espèce voisine (CA Metz, 4 février 1988, Document n° 43213 jurifrance/ jurisdata). À l’inverse, la cour d’appel de Bourges dans un arrêt du 21 janvier 1988 (jurifrance, jurisdata Docum. n° 040104) a décidé que de tels agissements regrettables ne constituent pas le délit « d’atteinte à l’intimité de la vie privée. Il ressort en effet de la combinaison des articles 368, § 2, et 369 du code pénal que, pour que la diffusion soit répréhensible, il est nécessaire que les photographies aient été prises sans le consentement de la victime.
50 Cette dernière décision nous paraît seule compatible avec le principe d’interprétation stricte de la loi pénale. Le législateur n’a clairement eu pour intention que de protéger les individus contre l’intrusion dans leur vie privée par la captation d’images par définition en l’absence de leur consentement. Cet élément constitutif de l’infraction doit être concomitant à la captation des propos tenus à titre confidentiels ou à la prise d’images dans un lieu privé.
51 On ne saurait, ainsi que l’ont retenu les deux premières décisions citées, considérer que la transmission telle qu’incriminée par l’article 226-1 en ses paragraphes 1 et 2 peut être considérée isolément et constituer à elle seule un délit si elle effectuée sans l’accord de la victime alors même que les clichés ou propos ont été fixés ou enregistrés avec le consentement de celle-ci. Une telle analyse est contraire à la lettre et à l’esprit de la loi.
52 C’est cette dernière interprétation qui a été retenue dans une espèce où un mannequin avait accepté de poser dévêtue pour un homme qu’elle croyait mandaté par une grande f irme de parfum pour effectuer un casting. Il s’était très vite avéré que l’homme n’était qu’un voyeur qui avait utilisé un subterfuge pour parvenir à ses fins. À l’époque des faits l’homme avait réfuté avoir filmé. Quelques années plus tard des photographies prises dans ces circonstances avaient été publiées. La jeune femme se plaignait de cette divulgation et soutenait n’avoir pas eu conscience d’être filmée. L’expertise diligentée établissait de manière formelle le contraire. Une décision de non-lieu a été rendue en faveur du directeur de publication du magazine (Paris, ONL du 30 novembre 1998, inédite).
53 Le jugement de la 17e chambre correctionnelle de Paris du 6 juin 1997 fournit également l’occasion de resituer les responsabilités pénales des divers intervenants. Le photographe auteur des clichés, le journaliste enregistrant clandestinement des propos tenus à titre confidentiel sont les auteurs du délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée tel que prévu à l’article 226-1 du code pénal. Ils pourront également être poursuivis au titre de l’article 226-2 du code pénal pour avoir divulgué l’enregistrement ou les clichés ainsi obtenus à un responsable de journal ou d’une agence de presse. Si le journaliste a agi sur ordre, le responsable pourra être incriminé en qualité de complice.
54 Quant au directeur de publication d’un journal ou d’une chaîne télévisée, sa responsabilité sera engagée aux termes de l’article 226-2 pour avoir porté ces informations à la connaissances du public, ou les avoir conservées, pour peu qu’il ait eu conscience de la manière dont elles avaient été obtenues.
55 Il ne semble pas possible que l’auteur de l’atteinte à l’intimité de la vie privée puisse être également poursuivi pour avoir conservé les clichés ou enregistrements illicites. Le délit de conservation, au demeurant difficile à appréhender dans la mesure où il demeure le plus souvent secret, apparaît en effet s’apparenter à une forme de recel. Or, la chambre criminelle de la Cour de cassation considère de manière constante qu’il n’est pas possible d’être à la fois auteur d’une infraction et receleur. La publication ou la divulgation de documents obtenus à l’aide d’une atteinte à l’intimité privée ne suppose pas que soit connue l’identité de l’auteur de l’infraction initiale.
56 Si les délits des articles 226-1 et 2 du code pénal sont des infractions instantanées, à l’exception du délit de conservation, les droits de la victime n’en sont pas moins protégés dans la mesure où, par un arrêt du 4 mars 1997, la chambre criminelle de la cour de cassation a décidé que la prescription ne commençait à courir qu’à compter de la connaissance qu’en avait la victime.
Notes
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[1]
Protection de la vie privée dans la loi du 17 juillet 1970, chronique du professeur Albert Chavannes, RSC 1971, p. 605 sqq. ; Badinter (Robert), “La protection de la vie privée contre l’écoute électronique clandestine”, Semaine juridique 1971, chronique 2435 ; Bécourt (Daniel), “Réflexions sur le projet de loi relatif à la protection de la vie privée”, Gazette du Palais, 1er mai 1970 ; Pelletier (Hervé), “L’atteinte à la vie privée”, Jurisclasseur pénal sous 226-1, les rapports de la CNCIS à La documentation française.
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[2]
Rapport du conseil d’État de 1995 ; Thérond (Jean-Pierre) “Sécurité”, AJDA, 20 mars 1995 ; Lajartre (Arnaud de), “fonctions et fictions des miradors électroniques, la vidéosurveillance dans la loi du 21 janvier 1995”, Semaine juridique 1996 n° 3955.
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[3]
V. notamment Vie privée et vie publique chronique du professeur Beignier, Légipresse n° 124, septembre 1995 ; Bigot (Christophe), “Les exigences de l’information et la protection de la vie privée”, Légipresse n° 126-II, p. 83.
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[4]
Cass. crim., 14 janvier 1997, B.C. n° 9.
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[5]
Crim., 20 octobre1998, Dalloz 99 Jurisprudence p. 106 ; v. Beignier (B.), “Réflexions sur la protection de la vie privée”, Semaine juridique, novembre 1997.
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[6]
Légipresse, n° 156-III, p. 158 et note E.D.
-
[7]
V. rapports de la CNCIS à La documentation française.
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[8]
Gazette du Palais, 8 janvier 1987, p. 21.
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[9]
Au contraire pour un magistrat filmé dans la cage d’escalier de son immeuble dont l’accès n’est pas libre, v. CA Paris 11B, 7 novembre 1996, jurifrance doc. n° 025392.
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[10]
Bertin (Philippe), “L’image en prison”, Gazette du Palais, .8 janvier 1987 ; v. aussi Crim., 29 juin 1988 (jurifrance).
-
[11]
Pour d’autres applications en ce qui concerne la définition de lieux privés voir jurisclasseur pénal sous 226-1 2 par Hervé Pelletier n° 53 à 61.
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[12]
V. note 6.
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[13]
V. Derieux (E.) et Gras (F.), “Secret médical et vie privée : protection civile et pénale”, Petites affiches n° 82 du 9 juillet 1997.
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[14]
V. au contraire référé civil Paris, 15 novembre 86, Dalloz, sommaire, p.141.
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[15]
Crim., 7 octobre 1997, B.C. n° 324 statuant sur arrêt de la CA Paris 11A, 7 mai 1997 (inédit) et TGI Paris 17e (inédit) et Gazette du Palais, 29 et 30 juillet 1998, note Charles Morel.
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[16]
Légipresse mars 1997, Semaine juridique 1999, jurisprudence 10044 et note G. Loiseau ; Beigner (B), “Vie privée posthume et paix des morts” Dalloz 1997, jurisprudence, p. 255 ; note B. Beignier, Dalloz 1999, p. 106.
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[17]
V. note 14.
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[18]
V. notamment Paris (1re ch.), 3 novembre 1982, Dalloz 1983, p. 248, obs. R. Lindon.