Le magazine est-il le média rock par excellence ? De nombreux analystes répondent par l’affirmative à cette question (Guibert 2018 ; Aphesbero & Basterra 2014). Sous ses formes les plus frustes et artisanales – comme les fanzines punk ou électro (Étienne 2006 ; Guerra & Quintela 2020) – ou les plus industrielles et commerciales – comme les revues populaires produites par des groupes de communication (Latour 1983) –, ce média a largement contribué à installer plus qu’un genre musical, toute une esthétique polymorphe, un courant culturel qui a irrigué bien d’autres formes d’expressions et bien d’autres imaginaires que ceux strictement musicaux. La presse magazine a façonné le phénomène rock par l’instauration d’un « appareil de commentaires » à même de rompre avec la logique promotionnelle et d’établir discursivement les fondements de la valeur du genre (Teillet 2002). La critique rock est ainsi un phénomène de papier plus que d’ondes : si la radio est pionnière, la presse magazine en est le vecteur prépondérant (Mansier 2004) et, parmi les titres qui ont émaillé l’histoire contemporaine en France, il y en a un qui s’impose dans les années 1990 auprès des publics et dans le paysage médiatique : Les Inrockuptibles, créé en 1986.
Cet article s’intéresse toutefois moins aux relations qu’a entretenues l’hebdomadaire avec le rock qu’à celles qu’il a nouées avec le monde intellectuel et politique durant la décennie 1995-2005. Ces bornes temporelles marquent en effet des étapes clés dans l’histoire du magazine : 1995 est l’année du changement de périodicité, celle du renouvellement et du renforcement de la rédaction et, corrélativement, celle d’un changement de ligne éditoriale important ; 2005 correspond à la fin de cette mue et au début d’une nouvelle…