Couverture de TDM_006

Article de revue

L'argent d'Hollywood

Pages 129 à 142

Notes

  • [1]
    Voir notamment Kevin Brownlow : The Parade’s Gone by, University of California Press, 1976.
  • [2]
    Cf. Neal Gabler : Le royaume de leurs rêves, la saga des juifs qui ont fondé Hollywood, Calmann-Lévy, 2005.
  • [3]
    Cf. David Bordwell, Janet Staiger et Kristin Thompson : Classical Hollywood Cinema, Columbia University Press / Routledge, 1985.
  • [4]
    Cf. David Gomery : Shared Pleasures. A History of Movie Presentation in the United States, Wisconsin University Press, 1992.
  • [5]
    Jacques Portes : De la scène à l’écran, naissance de la culture de masse aux États-Unis, Belin, 1997.
  • [6]
    Cf. Joel W. Finler, The Hollywood Story, Wallflower, 2003.
  • [7]
    Op. cit.
  • [8]
    Cf. Edward Jay Epstein, The big Picture, the new logic of money and power in Hollywood, New York, Random House, 2005.
  • [9]
    Selon Joel W. Finler, op. cit.
  • [10]
    Dennis McDougal, The Last Mogul, Lew Wasserman, MCA, and the hidden history of Hollywood, New York, Da Capo Press, 2001.
  • [11]
    Peter Biskind a décrit cette révolution, avec ses excès, dans Le nouvel Hollywood, le Cherche-midi, 2002.
  • [12]
    Voir son autobiographie sans complaisance : You’ll never Eat Lunch in this Town again, Penguin, 1992.
  • [13]
    Cf. ses souvenirs très arrangés à son avantage, The Kid Stays in the Picture,
  • [14]
    Cf. John Baxter : Citizen Spielberg, Nouveau Monde éditions, 2004.
  • [15]
    Cf. Jay Epstein, op. cit.
  • [16]
    Justin Wyatt, High Concept : Movies and Marketing in Hollywood, University of Texas press, 1994.
  • [17]
    Voir l’enquête de Kim Masters et Griffin sur ces étoiles filantes de la production hollywoodienne des années 1980 : Hit and Run : How Peter Guber and John Peters took Sony in Hollywood for a Ride,
  • [18]
    Cf. Culture of Excess, Touchstone, 1993. Jerry Bruckheimer continue en solo une carrière à succès.
  • [19]
    Peter Biskind décrit de nombreuses séances de travail au sein du studio indépendant Miramax qui aboutissent, après que le NRG a rendu son oracle, à tronçonner et remonter des films d’auteur acquis par ce studio alors qu’ils ont remporté un franc succès dans leur forme initiale dans des festivals internationaux.
  • [20]
    Voir Annette Lévy-Willard, Chroniques de Los Angeles, Grasset, 2004.
  • [21]
    Jacques Buob et Pascal Mérigeau, L’aventure vraie de Canal+, Fayard, 2001.
  • [22]
    Chiffres fournis par Edward Jay Epstein, The Big Picture, Random House, 2005, d’après les données confidentielles 2003 de la MPPA. Sauf indication contraire, tous les chiffres de la période 2000-2003 viennent de cette source.
  • [23]
    En 2002, la presse financière relève ainsi que la filiale française de Disney affiche des bénéfices calculés selon les normes comptables françaises alors qu’elle aurait dû afficher des pertes selon les normes comptables américaines.
  • [24]
    Cf. John W Cones, The Feature Film Distribution Deal, Southern Illinois University Press, 1997. En 2003, le groupe Canal+, coproducteur de Terminator 2 une décennie plus tôt, n’avait toujours pas reçu un cent de profit sur ce film !

1Qui finance Hollywood et pour quel retour sur investissement ? Il n’est pas possible d’étudier – ou de critiquer – avec pertinence la culture de masse hollywoodienne sans prendre en compte sa dimension économique ni comprendre comment elle est financée. Il est encore moins possible d’ignorer comment cette production diffusée à l’échelle mondiale a pu, depuis plus d’un siècle, se développer et s’imposer au reste du monde alors qu’elle constitue un investissement financier des plus médiocres, fait ignoré par l’essentiel de la littérature sur la question. En effet, mises à part quelques périodes fastes (les débuts du parlant, la Seconde Guerre mondiale…), Hollywood a toujours dégagé des profits très limités au regard des sommes investies et surtout des risques encourus.

De 1895 aux années 1930 : les pionniers rattrapés par la finance

2L’industrie du cinéma américaine n’est à ses débuts qu’une petite constellation d’entrepreneurs de la côte est, qui produisent à faibles coûts des petits films d’une bobine et les vendent au mètre, sans considération du sujet, du réalisateur ou des acteurs. Ils s’unissent en 1908 au sein de la MPPC (Motion Picture Patents Company) dans une optique corporatiste mais restent farouchement indépendants. Ces producteurs se financent eux-mêmes, n’ont pas besoin des banques et s’en méfient [1].

3Ils sont assez vite balayés par une deuxième vague d’entrepreneurs plus ambitieux, pour la plupart des juifs émigrés d’Europe de l’Est, issus de l’exploitation où ils ont appris à connaître les goûts du public populaire. Ils ont pour noms Zukor, Laemmle, Lasky, Fox… et leur impulsion va changer l’échelle du métier. Zukor est l’un des premiers visionnaires de la production, persuadé que le cinéma peut-être autre chose qu’un divertissement court et sans grande substance. Il s’attache de grandes vedettes du théâtre, achète les droits de prestigieuses pièces de Broadway et se lance dans la production de films de 2 heures ou plus, ce qui est rarissime à l’époque [2]. Il suit en cela l’exemple d’un D.W. Griffith, qui a investi 100 000 $ pour produire les douze bobines de Naissance d’une nation (1915), avec succès : des recettes estimées de 10 M$. L’ère du long-métrage commence, et les financiers entrent en scène. Le développement du star-system et l’augmentation des coûts de production accroissent les dépenses du producteur, tandis que le retour sur investissement devient plus long : gardant la propriété du négatif, le producteur doit attendre qu’un film achève sa première carrière pour récupérer sa mise. Dès 1917 les studios doivent faire appel à des financiers extérieurs : ce peuvent être des distributeurs qui leur font une avance sur les recettes à venir, ce peuvent être des prêts consentis par des particuliers ou des banques, mais aussi l’émission d’actions permettant de lever du capital supplémentaire avec l’aide de banques d’investissement. En 1919, la Paramount qui souhaite acquérir des salles obtient ainsi un prêt de 10 M$ de la banque Kuhn, Loeb et Cie [3], accordé sur la base des actifs du studio jugés solides : ses stars, ses réalisateurs et les scénarios de ses films à venir. Les banques sont particulièrement attentives au sérieux et aux performances passées des demandeurs, s’efforçant de leur appliquer des critères aussi stricts que pour d’autres industries.

4Un mouvement d’intégration verticale se met en route : les studios comprennent qu’ils ont intérêt à contrôler les salles de première exclusivité pour assurer la diffusion correcte de leurs films, stratégie évidemment gourmande en capitaux. Les salles sont classées en catégories correspondant à leur qualité et à l’ordre de présentation des nouveaux films. Un millier de salles, les plus luxueuses, appartenant aux producteurs, assurent plus de la moitié des recettes. 1 700 salles d’exclusivité moins luxueuses, puis des salles de quartier, enfin les plus modestes, se partagent l’autre moitié. C’est sur le millier de salles de première exclusivité que les studios concentrent leurs efforts, grignotant ce marché tout au long des années 1920 et 1930.

5Des entrepreneurs audacieux parviennent quelquefois à leur résister. À Chicago, Sam Katz et les frères Balaban développent un puissant réseau en rachetant leurs concurrents et en construisant de nouvelles salles sur le modèle des palaces new-yorkais, soutenus par les élites économiques locales [4].

6Les majors parviennent à financer leur croissance en communiquant sur l’assainissement de leur gestion. La presse professionnelle se gargarise dans les années 1920 des pratiques de gestion ultramodernes des studios, au point de donner l’impression que le cinéma pourrait donner des leçons aux autres industries ! De fait, les acteurs les plus dynamiques du marché séduisent les financiers qui aident à la consolidation du secteur. Zukor fait entrer la banque Kuhn, Loeb et Cie dans son capital. Loew fait appel à Amadeo P. Giannini, fondateur de la Bank of Italy, future Bank of America. Les Warner obtiennent des prêts leur permettant d’acquérir Vitagraph grâce au soutien du financier Waddil Catchings [5].

7À côté de ces mouvements de fond, il reste encore de la place pour les indépendants, qui acquièrent les droits d’un projet, financent le développement du film et négocient sa distribution par un des studios. Ils représentent dans les années 1920 un bon tiers de la production. Dans les années 1930, les indépendants sont moins nombreux (entre 25 et 30) mais économiquement plus importants : les plus connus sont Sam Goldwyn et David O Selznick, qui font distribuer leurs films par United Artists, un studio cofondé par Charles Chaplin, Mary Pickford et autres stars mais qui peine à alimenter une production propre. Bien souvent les indépendants, à leur tour financés par des banques, se contentent de louer des bureaux au sein des studios qui les distribuent.

8En 1929-32 le passage au parlant nécessite des investissements massifs, tant pour les tournages que pour l’équipement des salles. Le matériel est coûteux et doit être manipulé par plusieurs techniciens spécialisés. Si la prise de son n’est pas optimale, la scène doit être retournée. Les tournages en extérieurs deviennent très complexes, ce qui oblige à aller en studios, avec de nombreux décors à créer. Tout ceci entraîne une inflation des budgets et complique l’exploitation des films à l’étranger. L’exploitation n’est que momentanément dopée par la nouveauté des films parlants : en 1930 les 8 plus gros studios cumulent 50 M$ de bénéfices… qui sont suivis par des pertes de 56 M$ en 1932 [6].

9Avec la crise des années 1930, plusieurs studios sont en difficulté et doivent passer sous le contrôle des banques et des compagnies d’électricité (filiales des groupes Morgan et Rockefeller) qui ont investi le secteur lors de l’arrivée du parlant. Les financiers sauvent Hollywood de la ruine mais prennent le pouvoir ou se renforcent dans les conseils d’administration à la faveur de nouveaux prêts.

10La fréquentation ne s’effondre pas mais n’augmente plus, or les firmes ont lourdement investi grâce aux prêts des banques et ne peuvent plus faire face à leurs échéances. Le prix des places doit être réduit dans certaines salles pour suivre la baisse générale du pouvoir d’achat. Ailleurs, l’introduction du double programme permet de voir deux films pour le prix d’un. En 1933, plusieurs compagnies comme Warner ou Paramount affichent des pertes. La RKO doit se déclarer en faillite, puis est rachetée par la Irving National Bank et Radio City de Rockefeller. William Fox est chassé de son studio, lourdement endetté, en 1935 par la Chase National Bank. Zukor perd le pouvoir opérationnel de sa firme sous la pression d’une filiale de la banque Morgan. Mais à ce prix, la pérennité des studios est assurée. Désormais, saltimbanques et géomètres vont devoir cohabiter. Dès 1934, les studios retrouvent la voie du profit.

11Jacques Portes estime que ce contrôle de la finance sur Hollywood ne modifie pas la nature des films, le seul critère étant celui de la rentabilité. « En revanche, ajoute-t-il, la professionnalisation des maisons de production et de distribution accentue le souci apporté au produit final ; il ne doit jamais choquer pour atteindre le plus large public, seul garant de la réussite. D’autre part la concentration des entreprises rend de plus en plus difficile l’émergence de nouveaux producteurs, éliminant les tentatives de certains groupes marginaux [7]… »

Années 1930-1950 : le « système » hollywoodien

12Des années 1930 aux années 1950 s’épanouit ce que l’on a appelé le système « classique » des studios hollywoodiens.

13C’est leur période mythique par excellence, pour plusieurs raisons :

141 - Ceux-ci contrôlent, directement ou indirectement, presque toutes les salles de cinéma : en effet, celles qui ne leur appartiennent pas sont sous la coupe du block booking, qui les oblige à louer des films par groupes de 10, acceptant de diffuser 6 ou 7 films médiocres (voire plus) pour ne pas rater le ou les films vedettes du moment. Seuls les exploitants spécialisés dans le film de genre (horreur, science-fiction…) échappent partiellement à leur emprise en se fournissant chez de petits indépendants.

152 – Les coûts de distribution et de marketing sont stables et peu élevés. En effet, les films sortent d’abord en première exclusivité dans une poignée de salles, puis passent d’un circuit à l’autre. Le même matériel (bobines, affiches…) est donc fabriqué une fois pour toutes en quantité limitée puis utilisé jusqu’à l’usure. La publicité dans la presse locale est payée pour l’essentiel par les exploitants.

163 – Les acteurs sont sous contrat avec l’un ou l’autre studio et n’ont pas d’agent pour renégocier leur cachet d’un film à l’autre en fonction de l’évolution de leur notoriété. Les stars sont utilisées intensivement, pour les tournages comme pour la promotion, assurée gratuitement. Elles sont correctement payées mais ne touchent pas de pourcentage sur les profits du film. Les grands patrons de studios s’accordent implicitement pour ne pas chercher à les débaucher, préférant se « louer » les stars entre eux au coup par coup.

17Le système se veut donc structurellement rentable, à la condition que les charges fixes du studio soient maîtrisées. En 1947, le coût de production moyen d’un film de studio est de 732 000 $ et la recette moyenne en salles de 1,6 M$ [8].

18Toutefois le système est déjà miné de l’intérieur, sans que ses acteurs en aient conscience. Entre 1934 et 1941, chaque grand studio produit annuellement une centaine de films, plus que le marché ne peut absorber. Les films de prestige, budgétés entre 1 et 2 M$, ne rentrent pas tous dans leurs frais. Dans les années 1940, la production est réduite d’un tiers environ tandis que la fréquentation est dopée pendant les années de guerre par un double besoin d’information et d’évasion. D’après les statistiques de la consommation américaine, si les dépenses en sorties cinéma des ménages américains restent stables en valeur absolue pendant toute cette période, elles déclinent très régulièrement en pourcentage des dépenses globales [9].

19La surproduction reprend dans les années 1950, alors que les studios sont forcés de se séparer de leurs salles (cf. ci-dessous) et ne sont donc plus assurés de pouvoir distribuer correctement chacun de leurs films.

Le déclin des années 1950-1960

20Dans l’après-guerre, plusieurs facteurs viennent contrarier l’apparente hégémonie des studios.

21Des poursuites du ministère de la Justice contre l’industrie du cinéma pour violation des réglementations antitrust amènent les studios à se séparer de leurs parcs de salles à partir de 1949 et à cesser toute pratique du block booking (cette obligation ne concernant que le territoire américain, la pratique peut donc être maintenue en Europe).

22Dans les années 1950, le développement de la télévision est exponentiel : on atteint 32 millions de postes en 1954. Hollywood s’affole de cette concurrence turbulente, la chargeant de tous ses maux, alors qu’en réalité la situation est plus complexe : des mutations sociales profondes sont à l’œuvre (baby boom et explosion du marché jeune et adolescent, migration des classes moyennes vers les banlieues dépourvues de salles…) et la profession vieillissante les ignore, se contentant de reproduire à l’infini les recettes des succès passés.

23Rares sont les producteurs qui comprennent que la télévision n’est pas seulement une concurrente mais aussi une alliée potentielle car elle a besoin du savoir-faire des studios et peut leur assurer des recettes récurrentes.

24Disney suit un modèle économique différent : pas d’acteurs sous contrat mais des batteries de dessinateurs salariés, des revenus diversifiés provenant des licences de personnages à l’industrie du jouet, l’agroalimentaire, etc. et enfin une concurrence limitée des autres studios, qui ignorent la cible enfantine, peu prestigieuse à leurs yeux. Comme par hasard, Disney est également en pointe dans la fourniture d’émissions de télé « clés en mains », qui offrent incidemment une belle plate-forme publicitaire pour ses tout nouveaux parcs à thèmes.

25La réponse des grands studios à leur perte d’hégémonie est à la fois technologique et géographique. Ils mettent en chantier dans les années 1950 des films en écran large, selon les procédés Cinémascope ou VistaVision, pour se démarquer du petit écran. Les recettes augmentent pour quelque temps, avant de décliner à nouveau à la fin des années 1950. Désormais les studios cherchent à s’appuyer plus sur les indépendants. Ils doivent aussi composer avec une nouvelle puissance du secteur : MCA et Lew Wasserman. Principal agent du marché des stars et réalisateurs (son premier client dans le secteur est James Stewart en 1950), Wasserman qui intervient à la fois en cinéma et télévision négocie les cachets de ses clients film par film et propose désormais des projets « tout ficelés », scénario, réalisateur et casting complet, vendus aux studios les plus offrants [10]. En rachetant le studio Universal en 1960, MCA jouera sur tous les tableaux à la fois.

26L’autre réponse à la crise est l’accent mis sur les marchés étrangers. La profession s’accorde sur une stratégie unitaire : il faut regagner à l’exportation le terrain perdu sur le marché domestique. La mission politique consistant à « américaniser » l’Europe libérée du joug nazi se double d’un intérêt économique vital. La MPEA (Motion Picture Export Association), créée en 1945, est un cartel de studios chargé de distribuer en Europe les films de ses membres, en choisissant les dates de sortie de façon à minimiser la concurrence entre eux. Les profits de cette activité sont répartis d’un commun accord de la façon suivante : si telle année un studio a obtenu 18 % des recettes au box office américain, il touchera 18 % des bénéfices européens, quelles qu’aient été les entrées de ses films sur ce territoire. Cet accord étouffe toute velléité de concurrence entre les studios, empêche les exploitants de négocier directement avec les studios et les oblige à accepter la pratique du block booking devenue illégale aux États-Unis.

27La pratique a toujours cours des décennies plus tard sous d’autres formes, moins voyantes : Universal et Paramount créent en 1970 le consortium de distribution export CIC (Cinema International Corporation), bientôt rejoint par MGM (et renommé UIP, United International Pictures). UIP ne se prive pas de détenir des réseaux de salles, comme Famous Players au Canada, ce qui reste interdit aux États-Unis. Avec le développement des multiplexes en Europe dans les années 1990 et 2000, qui ont un besoin vital de proposer à leurs publics les derniers blockbusters, un acteur comme UIP conserve un pouvoir considérable qui lui permet de truster à certaines dates l’essentiel des grandes salles et d’imposer la sortie de films médiocres de son catalogue, retirant des salles aux cinémas européens. Les studios qui ne font pas partie d’UIP contractent des alliances séparées avec les puissances locales pour faciliter leur pénétration des différents marchés : Disney s’associe avec Gaumont, Fox avec UGC (alliances rompues en 2004).

28Sur le marché domestique, les années 1960 voient se développer la crise la plus violente qu’aient connue les studios. À la fin de ces années 1960, les 5 majors ont perdu 200 M$ à elles seules – comparativement plus que pendant la période noire de 1929-32. Les films à gros budget, produits par des équipes vieillissantes, ne sont plus en phase avec le public. Désarroi des dirigeants, déclin d’une génération qui s’était formée au contact des « moguls » : les cadres changent de plus en plus vite, en particulier suite aux rachats qui secouent l’ordre ancien. En effet, les propriétaires « historiques » des studios, au premier rang desquels on trouve plusieurs banques, ne croient plus en l’avenir du cinéma et préfèrent vendre.

29Les studios changent désormais de mains selon une logique purement financière (ils sont valorisés en fonction de leurs terrains, leur immobilier, et le catalogue de films exploitables à la télévision, non plus de leur réputation ou de leurs projets) :

301962 : Universal est revendue à Music Corporation of America, la société de Lew Wasserman qui doit officiellement abandonner le métier d’agent mais garde un pouvoir d’influence considérable.

311966 : Paramount passe au sein du trust pétrolier Gulf+Western.

321967 : United Artists est transférée à la holding immobilière Transamerica Corp.

331969 : Warner est revendue au groupe Kinney National Services et MGM à Kirk Kerkorian.

34L’avantage pour les studios concernés est qu’ils vont pouvoir mettre leurs nouveaux actionnaires à contribution pour financer leurs investissements. Il ne suffit pas de mieux gérer financièrement les studios rachetés ; il faut rebâtir une stratégie éditoriale.

35De leur côté, Columbia, Fox et MGM ne changent pas de mains mais diversifient leurs activités, ce qui contribue à réduire leur exposition aux risques. Beaucoup d’auteurs ont déploré que les années 1960 voient la fin d’une ère mythique des moguls, autocrates mais visionnaires, au profit d’une nouvelle race de managers financiers sans âme ni goût pour le cinéma. En fait, c’est dès les années 1920 et 1930 que la finance s’est emparée d’Hollywood et lui a imposé ses pratiques de gestion. L’échec collectif de l’industrie des années 1960 démontre aussi une perte de créativité et d’inventivité des cadres historiques des studios, dépassés par l’évolution du public.

Le rebond des années 1970

36Le renouveau vient d’une génération à peine sortie des écoles de cinéma (pour ceux qui les ont fréquentées !) : ce sont les films à petit budget d’un Dennis Hopper (Easy Rider, 1969) ou d’un Martin Scorsese, (Mean Streets, 1973) qui redonnent espoir à la profession [11]. Une génération de jeunes metteurs en scène, nommés Coppola, Lucas, Spielberg s’est engouffrée dans la faille et a commencé à tourner avec des acteurs encore inconnus, Robert de Niro, Al Pacino ou encore Jack Nicholson. En quelques années ils deviennent les nouveaux rois d’Hollywood et réalisent des films tels que Le Parrain, Taxi Driver, L’Exorciste ou Chinatown. Les normes morales traditionnelles se trouvent provisoirement suspendues dans ce cinéma du « nouvel Hollywood » : violence, sexe, politique (avec la contestation du Vietnam) ont désormais droit de cité. Ce n’est pas que les patrons de studios soient devenus « gauchistes » du jour au lendemain. Certes, de nouvelles figures de producteurs dans l’air du temps émergent, comme Julia Philips [12] ou Bob Evans [13] mais globalement le système reste rationnel : les films de ces jeunes réalisateurs nourris par les nouvelles vagues du cinéma européen ne coûtent pas cher et rapportent beaucoup. Leur liberté de ton remplace les salaires de stars. D’aucuns pronostiquent un profond virage artistique, mais ce ne sera qu’une révolution de palais. Les jeunes « loups » ne sont pas infaillibles : Francis Ford Coppola, l’un des parrains autoproclamés de cette jeune génération, échoue à créer avec Zoetrope (basé à San Francisco) un studio indépendant et rentable et va mettre des années à honorer des commandes de grands studios pour payer ses dettes. L’un de ses protégés, un certain George Lucas dont Coppola a produit l’austère THX 1138 (1971), va rallier le « vieil Hollywood » en réalisant une célébration nostalgique de l’Amérique des années 1950 (American Graffiti, 1973) et, surtout, en mettant sur pied un vaste projet de space opera avec La Guerre des étoiles (1977).

37L’un de ses amis, Steven Spielberg, repéré à ses débuts comme une valeur montante du « Nouvel Hollywood », « explose » avec Les Dents de la mer (1975) et se met au service d’Universal [14]. À eux deux, ces films changent la donne de l’économie hollywoodienne en réalisant très vite d’énormes recettes. Hollywood – en l’occurrence Lew Wasserman, patron d’Universal et distributeur des Dents de la mer - comprend qu’il est possible de gagner beaucoup d’argent très vite par des sorties massives appuyées par de gros investissements publicitaires. Ce nouveau virage est une forme de normalisation : finis les « petits » films indépendants, retour aux superproductions soutenues par de gros budgets publicitaires et capables désormais de susciter de nombreux et lucratifs produits dérivés : jouets, casquettes, affiches, etc. Les vedettes ne sont plus les stars mais les effets spéciaux. Le nouvel Hollywood se dilue dans le vieil Hollywood en lui donnant le « coup de jeune » dont il avait besoin.

38Autre innovateur d’Hollywood, Steve Ross le patron de Warner comprend qu’un studio n’a plus pour unique mission de sortir des films en salles mais peut s’appuyer sur leur notoriété pour vendre des livres, des cassettes vidéo, de la télévision payante. Warner va ainsi expérimenter avec succès la chaîne pionnière HBO (Home Box Office) à la fin des années 1970, investissement qui donnera tous ses fruits dans les années 1980. Ainsi se mettent en place en quelques années les facteurs du rebond.

Années 1980 à nos jours : la marketing-roi

39Dans les années 1980 et 1990, le marketing devient inéluctablement roi d’Hollywood, suivant la hausse continue des budgets publicitaires : les studios dépensent 2,55 milliards de $ en 1999, ce qui en fait le 3e annonceur du pays [15]. Ce marketing agressif est fondé sur la segmentation du public (on ne cherche plus à faire des films pour le grand public mais pour une fraction bien déterminée), un usage important de la publicité télévisée, des sorties massives (c’est la fin de la hiérarchie des salles).

40Le contenu des films est durablement influencé par cette nouvelle donne du marché. Les services marketing veulent des éléments familiers qui peuvent être détachés du film pour le vendre à un public particulier dans une affiche ou un spot télé de 30 secondes : un acteur dans son emploi favori (George Clooney en gentleman cambrioleur de charme), une bande musicale truffée de chansons à succès (Forrest Gump), des animaux préhistoriques, un personnage bien connu (Terminator)… C’est l’époque du High Concept Movie (film-formule) théorisé par Justin Wyatt [16], d’après le mot attribué à Steven Spielberg : « si quelqu’un peut me vendre une idée de film en moins de 25 mots, ça peut faire un sacré bon film ! »

41Hollywood est entré dans l’ère du recyclage : par la multiplication des suites (on reprend les éléments d’un film à succès avec plus de moyens, plus d’effets spéciaux, de cascades, etc.), par les remakes de films classiques et de séries télévisées (Mission : impossible), par l’adaptation de B.D. à succès (Hulk, Spiderman) et par les parodies (la série des Scary Movie).

42Les producteurs-vedettes des années 1980 et 1990 sont ceux qui parviennent à mettre au goût du jour des personnages déclinables à l’infini (tels John Peters et Peter Guber pour Batman[17]) ou qui imposent à leurs réalisateurs un langage cinématographique inspiré du clip musical (on pense au tandem Simpson-Bruckheimer à l’origine de Top Gun ou Flashdance dans les années 1980 [18]).

43Dans ce nouveau contexte, le National Research Group, institut d’études créé en 1978 par Joe Farrell, est devenu une pièce maîtresse, quoique peu connue, de l’industrie hollywoodienne. Il vend à ses clients deux prestations : la première consiste en des sondages et études d’opinion sur les films à venir, permettent de définir le niveau de notoriété d’un film annoncé, et son attrait pour les différents groupes démographiques et sociologiques (selon des critères de sexe, âge, couleur et revenu). Chaque studio peut ainsi évaluer le potentiel de ses films à venir sur leurs cibles. La règle officieuse veut que si, à la même date de sortie prévisionnelle, deux films visent la même cible (par exemple les adolescentes blanches de 15 à 25 ans), le film ayant le moins bon score mesuré par le NRG voit sa sortie reportée par son studio. Distorsion de concurrence ou gestion rationnelle des sorties ? Question de point de vue…

44L’autre activité du NRG consiste en l’organisation de projections-tests auprès du public, permettant de mesurer soit par questionnaire rempli a posteriori, soit par mesure électronique (à l’aide de boîtiers individuels) « l’efficacité » des différentes bandes-annonces, du montage et de différentes fins possibles auprès de différents segments du public. On peut s’interroger sur le principe même d’une telle pratique, désormais la règle y compris chez les indépendants [19]. Si l’on peut comprendre l’usage d’un tel outil pour optimiser le montage de films d’action coûteux et sans grande prétention artistique, il devient difficilement défendable pour des œuvres novatrices qui cassent les codes en vigueur. Ainsi les projections-tests désastreuses de Pulp Fiction ne pouvaient avoir aucune valeur prédictive sur la carrière de ce film. Enfin, sur la mise en œuvre, pour avoir participé lui-même à une de ces projections tests dans les années 1990, l’auteur de ces lignes reste perplexe sur la représentativité de leur public - induite par le créneau horaire matinal (des inactifs et des étudiants) - et sur les biais méthodologiques du questionnaire proposé.

45Quoi qu’il en soit, l’inflation de dépenses marketing et promotionnelles générée par la concurrence accrue des médias impose une pression normalisatrice sur la production : aucun responsable de studio ne peut plus se permettre de lancer un film à gros ou moyen budget sans prendre toutes les assurances possibles auprès d’organismes comme le NRG. Le produit final dépend ensuite du rapport de forces entre producteur et créateur.

46Le public ne vient plus au cinéma mais se déplace pour un film particulier. Il faut à chaque fois susciter le désir de voir un film sans attendre, d’autant que les multiplexes n’hésitent pas à « déclasser » un film, voire à l’abandonner d’une semaine à l’autre si ses performances ne sont pas satisfaisantes. Un lancement réussi passe donc par une promotion intensive, notamment à la télévision. Il faut fabriquer de plus en plus de copies et de matériel publicitaire pour permettre des sorties massives assurant un maximum d’entrées les premiers week-ends, avant que le bouche-à-oreille ne fasse son effet et que de nouveaux films ne viennent accaparer l’attention.

47La puissance financière et l’intégration verticale multimédias deviennent des armes-clés de ces nouvelles batailles hollywoodiennes. Il faut pouvoir faire parler d’un film par sa seule puissance de feu, occuper la une des magazines (plus facile s’ils sont possédés par le groupe), les tables des libraires et disquaires… À la limite, l’enjeu financier et technologique du blockbuster peut sans problème fournir matière aux articles de la presse sérieuse si l’histoire, le réalisateur ou les acteurs ne sont pas assez attirants.

48Dans le contexte perturbé des années 1990, où l’Internet fait irruption, se développe une foi aveugle dans les « synergies » entre les médias au sein d’un même groupe, alors qu’elle se fera toujours attendre 10 ans plus tard. L’essentiel est de pouvoir vendre cette fameuse synergie aux analystes boursiers pour justifier de nouveaux mouvements, acquisitions, alliances… et faire décoller la valorisation des sociétés lors d’une nouvelle vague de transactions :

49Fox est acquis par Murdoch en 1985 ; Columbia passe aux mains de Coca-cola en 1982, pour être revendu à Sony en 1989 ; Paramount est racheté en 1993 par Viacom (câblo-opérateur) ; Warner est acquis par l’éditeur de journaux Time en 1990 pour former Time-Warner ; MGM est racheté par le financier Giancarlo Paretti en 1990 avec l’aide du Crédit Lyonnais Netherlands ; Universal passe aux mains de Matsushita en 1990, est revendu à Seagram en 1995, puis à Vivendi en 2000 ; Disney passe dans le giron d’ABC en 1995.

50Cette seule énumération rend compte de la frénésie qui agite le marché, relancé par l’intérêt des investisseurs étrangers, comme le Canadien Edgar Bronfman Jr, patron du géant des spiritueux Seagram, qui jette son dévolu sur Universal ou le douteux Giancarlo Paretti mettant la main sur la MGM avec le soutien aveugle du Crédit Lyonnais. Plus sérieux, les fabricants japonais de produits électroniques (et en particulier Akio Morita, le patron de Sony) font le calcul stratégique d’investir dans les contenus cinématographiques afin de peser plus lourd dans les prochains arbitrages entre les standards technologiques à venir et imposer leurs produits sur le marché américain. Cette stratégie, plutôt sensée, leur coûte cependant très cher : Sony, conseillé par Michael Ovitz le tout-puissant patron de l’agence Creative Artists Agency, va dépenser beaucoup d’argent en commissions diverses et recruter à prix d’or les producteurs Peters et Guber, bientôt éjectés pour cause de « flops » en série. Matsushita, conseillée par le même Ovitz, ne parviendra pas à gérer son acquisition d’Universal et préférera jeter l’éponge au bout de 5 ans. Le même schéma se reproduira avec l’arrivée des Français de Vivendi à Hollywood, bientôt tournés en ridicule [20].

51De fait, l’international devient capital dans la stratégie des studios : sorti en 1997, Titanic réalise 600 M$ recettes salles aux USA et 1,2 milliard de $ dans le reste du monde. De nouveaux marchés prennent une importance majeure : on produit désormais pour les pays sud-américains et pour les « latinos » des États-Unis (400 salles leur sont réservées rien qu’en Californie) ; on intègre les stars et réalisateurs (Ang Lee, John Woo, Tsui Hark…) du marché asiatique (un film comme Tigre et Dragon, succès mondial).

52Le développement de la télévision payante en Europe (Canal+ en France, Espagne et Italie, Murdoch au Royaume-Uni, Kirch en Allemagne) offre à Hollywood de nouvelles opportunités de financement : les chaînes se battent pour avoir accès aux prochains blockbusters et sont prêtes à les cofinancer. Dans les années 1990, Canal+ conclut des deals de coproduction avec des indépendants comme Carolco (Terminator) ou Regency (JFK) et avec un studio comme Warner pour plusieurs centaines de M$ [21]. Ces accords viennent en plus des droits de diffusion.

53Les besoins de financement connaissent une croissance exponentielle. En 2003, les studios dépensent en moyenne 39 M$ par film rien qu’en marketing et distribution domestique, les recettes salles moyennes sont de seulement 20,6 M$ par film ! Bien entendu, les coûts de production continuent d’augmenter de façon vertigineuse : 63,8 M$ en moyenne par film. Au total, plus de 100 M$ par film pour 20 M$ de recettes salles aux États-Unis [22]. Si on ajoute à ces coûts domestiques les frais de lancement sur le marché international, on peut considérer que les studios dépensent désormais autant d’argent à faire des films qu’à les lancer.

54Bien entendu, de nouvelles recettes sont apparues : télévision par câble, pay-per-view (séances à la demande), Vidéo et DVD. Dès les années 1980, les recettes salles sont devenues minoritaires dans l’économie du film.

55La télévision par câble représente dans les années 1980 et 1990 un enjeu majeur, en particulier à l’international où la bonne vieille pratique du block booking perdure. Les clients sont les grands réseaux d’abonnement évoqués plus haut. Pour obtenir les droits d’un grand succès qu’ils n’ont pas coproduit, ils doivent acheter en bloc une dizaine de films. En 2003, la seule chaîne Canal+ France a dépensé 148 M$ pour acquérir des films de studios. En comparaison, la même année, les recettes issues de la télévision payante aux États-Unis étaient de 1,5 milliard de $. L’Europe et le Japon sont donc devenus des marchés financièrement cruciaux, et pas seulement pour les entrées en salles.

56La vidéo et le DVD offrent une nouvelle source de financement inespérée aux studios. En 1980, seuls 2 % des foyers américains sont équipés de magnétoscopes ; en 1990 ils sont près des deux tiers. Au début des années 2000, le passage au DVD a pour effet de renouveler le marché, qui connaît une croissance vertigineuse, beaucoup plus rapide que pour la VHS. Le chiffre d’affaires de l’activité DVD des grands studios se monte à 1 milliard de $ en 1999, 5,7 milliards en 2001, 10,4 en 2002 et 14,9 en 2003.

57Pourtant, la situation reste inconfortable. Dans leurs comptes rendus publics, les studios s’ingénient à brouiller les cartes, mélangeant des revenus qui n’ont rien à voir entre eux (par exemple la production de feuilletons télévisés avec celle de films de cinéma), tout simplement pour éviter d’affoler Wall Street. En effet, si la volatilité du marché du film et la faiblesse des marges étaient clairement exposées, il est probable que de nombreux fonds de pensions resteraient à l’écart des conglomérats de l’« Entertainment ».

58Plus grave, certaines multinationales ont appris dans le sillage d’Enron et de Worldcom à faire preuve de « créativité comptable ». Les outils ne manquent pas : sociétés offshores permettant de porter des investissements peu rentables - et l’endettement qui va avec - sans affecter les comptes de la maison-mère, consolidation de comptes établis selon des normes comptables différentes… Qu’importent les sorties de route ponctuelles, comme les 54 milliards de dollars de dépréciation d’actifs passés par AOL Time Warner dans ses comptes en 2002 ou les ratés de la machine Disney au début des années 2000 [23]. L’important est de continuer à afficher des perspectives optimistes.

59Il est très difficile aux professionnels eux-mêmes de connaître la rentabilité des films sur lesquels ils travaillent. À part quelques superstars payées rubis sur l’ongle en gross points (pourcentage des recettes brutes), la plupart des acteurs, réalisateurs, scénaristes touchent théoriquement une part variable calculée sur les bénéfices nets du film (les net points). Curieusement, ceux-ci se matérialisent très rarement : chaque nouvelle recette est absorbée par de nouveaux frais généraux, frais de distribution et frais de publicité comptabilisés par les studios [24]. La sortie en vidéo doit en principe permettre de rééquilibrer les comptes, mais pas pour tout le monde : les studios ont en effet leurs propres filiales d’édition vidéo qui agissent comme des tiers extérieurs en reversant seulement 20 % de royalties sur les ventes à l’unité cinéma, laquelle comptabilise cette seule somme dans les comptes du film. Bien entendu, les profits de l’activité vidéo remontent à la maison-mère et viennent compenser en partie les pertes de l’activité cinéma. De cette façon, une partie des recettes théoriquement dues aux créateurs permet aux studios de se tenir à flot.

60Succès aléatoires, hausse continue des coûts de production et de promotion, besoins croissants et récurrents de financements extérieurs : un tel tableau devrait en principe faire fuir les investisseurs.

61Pourtant, il n’en a rien été depuis les premières crises des années 1930. Hollywood a toujours su renouveler ses sources de financement en suivant les nouvelles modes, technologiques, économiques et culturelles. Malgré les avertissements récurrents des Cassandres de la profession, rien ne permet d’affirmer que ce système chaotique mais robuste ne perdurera pas, du moins tant que les consommateurs européens et asiatiques continueront de plébisciter les films américains au détriment de leurs productions nationales.

62Une industrie de moins en moins sûre d’elle-même peut ainsi imposer depuis un demi-siècle des histoires et images plus ou moins formatées, le plus souvent selon les goûts présumés du peuple américain, avec des moyens considérables fournis par ceux-là mêmes qui s’en plaignent. Paradoxe de la servitude culturelle volontaire…


Date de mise en ligne : 01/12/2007

https://doi.org/10.3917/tdm.006.0129

Notes

  • [1]
    Voir notamment Kevin Brownlow : The Parade’s Gone by, University of California Press, 1976.
  • [2]
    Cf. Neal Gabler : Le royaume de leurs rêves, la saga des juifs qui ont fondé Hollywood, Calmann-Lévy, 2005.
  • [3]
    Cf. David Bordwell, Janet Staiger et Kristin Thompson : Classical Hollywood Cinema, Columbia University Press / Routledge, 1985.
  • [4]
    Cf. David Gomery : Shared Pleasures. A History of Movie Presentation in the United States, Wisconsin University Press, 1992.
  • [5]
    Jacques Portes : De la scène à l’écran, naissance de la culture de masse aux États-Unis, Belin, 1997.
  • [6]
    Cf. Joel W. Finler, The Hollywood Story, Wallflower, 2003.
  • [7]
    Op. cit.
  • [8]
    Cf. Edward Jay Epstein, The big Picture, the new logic of money and power in Hollywood, New York, Random House, 2005.
  • [9]
    Selon Joel W. Finler, op. cit.
  • [10]
    Dennis McDougal, The Last Mogul, Lew Wasserman, MCA, and the hidden history of Hollywood, New York, Da Capo Press, 2001.
  • [11]
    Peter Biskind a décrit cette révolution, avec ses excès, dans Le nouvel Hollywood, le Cherche-midi, 2002.
  • [12]
    Voir son autobiographie sans complaisance : You’ll never Eat Lunch in this Town again, Penguin, 1992.
  • [13]
    Cf. ses souvenirs très arrangés à son avantage, The Kid Stays in the Picture,
  • [14]
    Cf. John Baxter : Citizen Spielberg, Nouveau Monde éditions, 2004.
  • [15]
    Cf. Jay Epstein, op. cit.
  • [16]
    Justin Wyatt, High Concept : Movies and Marketing in Hollywood, University of Texas press, 1994.
  • [17]
    Voir l’enquête de Kim Masters et Griffin sur ces étoiles filantes de la production hollywoodienne des années 1980 : Hit and Run : How Peter Guber and John Peters took Sony in Hollywood for a Ride,
  • [18]
    Cf. Culture of Excess, Touchstone, 1993. Jerry Bruckheimer continue en solo une carrière à succès.
  • [19]
    Peter Biskind décrit de nombreuses séances de travail au sein du studio indépendant Miramax qui aboutissent, après que le NRG a rendu son oracle, à tronçonner et remonter des films d’auteur acquis par ce studio alors qu’ils ont remporté un franc succès dans leur forme initiale dans des festivals internationaux.
  • [20]
    Voir Annette Lévy-Willard, Chroniques de Los Angeles, Grasset, 2004.
  • [21]
    Jacques Buob et Pascal Mérigeau, L’aventure vraie de Canal+, Fayard, 2001.
  • [22]
    Chiffres fournis par Edward Jay Epstein, The Big Picture, Random House, 2005, d’après les données confidentielles 2003 de la MPPA. Sauf indication contraire, tous les chiffres de la période 2000-2003 viennent de cette source.
  • [23]
    En 2002, la presse financière relève ainsi que la filiale française de Disney affiche des bénéfices calculés selon les normes comptables françaises alors qu’elle aurait dû afficher des pertes selon les normes comptables américaines.
  • [24]
    Cf. John W Cones, The Feature Film Distribution Deal, Southern Illinois University Press, 1997. En 2003, le groupe Canal+, coproducteur de Terminator 2 une décennie plus tôt, n’avait toujours pas reçu un cent de profit sur ce film !

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