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Article de revue

Punir ou réinsérer les mineurs en conflit avec la loi ? Le cas du Burkina Faso

Pages 105 à 119

Notes

  • [1]
    Entendez par là toute infraction commise par les adolescents (de 12 à 17 ans), punissables aux termes des lois et règlements en vigueur, y compris les conventions sociales relatives à la conduite d’un véhicule à moteur, à la fréquentation de l’école et des débits de boisson, à la vie publique, et causant des dommages évidents à autrui (Leblanc 1994 ; Cusson 2006).
  • [2]
    Pour une description fine de cette dérive, Voir Wacquant 2010 ; Mucchielli 2008.
  • [3]
    Dès 1958, néanmoins, d’autres œuvres missionnaires gérées par l’Association voltaïque pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (ADSEA) ont vu le jour pour compléter l’offre de services.
  • [4]
    Une autre loi promulguée en 1964 est venue compléter le dispositif règlementaire, notamment en ciblant la circulation des mineurs et leur fréquentation de différents établissements commerciaux de loisirs tels que les débits de boissons, les cinémas et les vidéoclubs (de Bonneval 2011 : 280).
  • [5]
    Toutefois, s’il est impliqué dans la même cause qu’une ou plusieurs personnes majeures, il perd le bénéfice du privilège de juridiction et se verra déférer devant les tribunaux de droit commun.
  • [6]
    La détention n’est pas toujours une mesure de dernier ressort. Même si la loi prévoit des établissements pénitentiaires spécialisés, dans la pratique, la peine est exécutée dans les établissements pénitentiaires de droit commun. C’est seulement dans les Maisons d’arrêt et de correction (MAC) où il existe un quartier réservé aux mineurs que les mineurs sont détenus séparément des adultes. À noter que parmi les 17 MAC au Burkina Faso, seulement 10 sont dotées de quartiers pour mineurs. Un luxe qu’on ne trouve pas à Fada N’Gourma, Tougan, Kongoussi, Bogandé, Diapaga ou à Manga (MJ, 2006-2009).
  • [7]
    Le système de justice pénale faisait un usage courant de la peine privative de liberté.
  • [8]
    Les modifications dans les normes juridiques ont été opérées de manière à ce que la finalité du traitement carcéral ne soit plus la punition, mais plutôt la réinsertion sociale du mineur en conflit avec la loi. Elles s’inscrivent dans une perspective de justice qui favorise des solutions de réparation des dommages, de réconciliation des parties en présence, et de restauration de l’harmonie ou de la cohésion sociale (Legros 2011).
  • [9]
    Conformément à l’article 6 de la loi 028-2004/AN, il s’agit d’une peine alternative à la prison, respectueuse des droits et de la dignité de l’enfant et qui ne s’applique qu’aux mineurs de 16 ans et plus. Toutefois, regrettait le Ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale (2006), jusqu’au mois d’avril 2006, ce dispositif n’était pas encore fonctionnel : aucun tribunal ne l’avait encore prononcé.

1 Depuis quelques années, l’intolérance sociale à la délinquance juvénile [1] s’accroît dans un grand nombre de pays, sur un fond de dérive de l’État sécuritaire [2] (Bailleau et al. 2009). L’importance accordée aux jeunes délinquants comme nouvelles figures du risque et de l’insécurité semble commander un peu partout un durcissement de l’action pénale à l’égard de la menace juvénile. De l’enfant en danger à protéger, le jeune délinquant s’est transformé en danger dont il faut protéger la société. Mais d’où peut bien provenir cette méfiance par rapport aux jeunes ?

La méfiance à l’égard des jeunes

2 Selon Wolgang et ses collaborateurs, la grande majorité (plus de 50 %) des délits et des crimes perpétrés au sein de ce groupe d’âge (12-17 ans) est généralement l’œuvre d’un petit pourcentage d’adolescents (environ 5 %) (Wolfgagng et al., 1972). Cette thèse a été confirmée à Montréal (Leblanc, 2003), en France (Roché, 2001), en Suisse (Haas, 2001), en Angleterre (Farrington, 2003), en Suède (Wikström, 1985), en Nouvelle-Zélande (Moffit et al., 2002)... Aussi, pour arrêter, dit-on, la carrière délictueuse de ces jeunes, la plupart des États se sont-ils lancés dans une entreprise de criminalisation de la jeunesse, à travers l’adoption de politiques et de lois punitives (criminalisation primaire), l’application de ces lois et la mise en place de politiques et de programmes destinés à prendre en charge ceux qui entrent en conflit avec la loi (criminalisation secondaire) (Hastings, 2009). Partout, on oppose pour ainsi dire à la délinquance des jeunes un recours à la dénonciation et à la sanction.

3 Cet article propose une réflexion sur l’arsenal des dispositifs de prise en charge des jeunes « qui délinquent » au Burkina Faso. Il aborde de front la question de la confiance croissante dans les approches alternatives à la prison pour mineurs. Il cherche plus précisément à saisir sur le vif des situations et des questions autour des deux piliers sur lesquels repose l’intervention auprès des jeunes, qui entrent en conflit avec la loi, à savoir : la contrainte et l’éducation. Devrait-on multiplier le nombre d’établissements pénitentiaires pour mineurs ? Faut-il se tourner de préférence vers des maisons de correction ou des centres éducatifs fermés ? L’enfermement des mineurs, avec des parcours institutionnels à entrées multiples, est-elle compatible avec ce qui est la base d’une démarche éducative ? L’éducation au Centre de Laye offre-t-elle une réelle alternative à l’incarcération ? Comment inscrire les jeunes accueillis au Centre dans une nouvelle dynamique de travail sur soi, de restauration des schémas interactionnels et de sortie des modalités déviantes ? Comment travailler sur les frustrations qu’ils ressentent ? Bref, comment rendre les politiques et les pratiques professionnelles en vigueur au Burkina Faso plus aptes à répondre adéquatement et efficacement au problème de la délinquance juvénile.

La délinquance juvénile au Burkina Faso

4 Le Burkina Faso abrite l’une des populations les plus jeunes du monde. En 2006, 50 % de la population burkinabé avait moins de 16 ans et 60 %, moins de 20 ans. Même si elle est au cœur de l’énoncé de la plupart des politiques publiques, la jeunesse burkinabé semble aux prises avec de nombreux problèmes sociaux, dont la délinquance (de Bonneval, 2011 ; Legros, 2011). Les statistiques pénitentiaires des dernières années indiquent même une hausse inquiétante de la délinquance juvénile (Terre des hommes, 2013 ; MJ, 2008 ; MASSN, 2006). En 2007, 365 mineurs étaient impliqués dans des affaires pénales contre 188 en 2000 et 219 en 2005. Les mineurs qui commettent des actes de délinquance (le plus souvent le vol, la détention et l’usage de drogues, l’abus de confiance ou le recel) sont la plupart du temps gardés en détention provisoire, puis condamnés à des peines d’emprisonnement ferme (MJ, 2008). En 2002, par exemple, il y avait 595 mineurs en prison (MASSN, 2006).

5 Ce problème n’est toutefois pas nouveau. Ses origines remonteraient à la période coloniale, plus précisément au moment où se développaient les principaux centres urbains voltaïques (essentiellement Ouagadougou et Bobo-Dioulasso). Un mouvement d’urbanisation a brusquement provoqué un exode rural massif, la reconfiguration des liens sociaux, et corollairement le sous-emploi, le chômage et l’apparition « d’enfants des rues » dans les villes.

La lutte contre la délinquance juvénile au Burkina Faso

6 Pour lutter contre la délinquance juvénile, la stratégie originelle des autorités coloniales « reposait uniquement sur la prison coloniale et l’incarcération des populations délinquantes et criminelles, sans séparation réelle entre prévenus et condamnés, mineurs et adultes, petits délinquants et criminels endurcis » (de Bonneval, 2011, p. 272). Toutefois, en 1956, dans la ville d’Orodara, à la demande et sous le contrôle de l’administration coloniale, l’Évêché de Bobo-Dioulasso a créé la première structure de prise en charge des jeunes délinquants reposant sur des stratégies rééducatives : la Maison de l’enfance et de l’adolescence (MEADO) [3]. Ce centre qui a connu une évolution erratique s’est principalement contenté de s’occuper des jeunes et de leur offrir une formation professionnelle.

7 Il a toutefois fallu attendre les dernières années de la colonisation (1950-1960) et les premières années de la période nationale (1960-1970) pour voir se développer progressivement en Haute-Volta un véritable service social. Après l’Indépendance, l’action publique de lutte contre la délinquance juvénile était répartie entre trois ministères : le Ministère de la Justice pour les questions judiciaires, le Ministère de l’Intérieur responsable des services de police et des services correctionnels et le Ministère de la Santé publique et de la population à la base de l’évolution vers des stratégies de rééducation de la jeunesse délinquante (de Bonneval, 2011). L’État a peu à peu repris en main la question de la délinquance juvénile, en récupérant le contrôle ou en faisant obstacle aux initiatives privées. Il s’est surtout imposé en mettant en place des dispositifs institutionnels spécifiques dont il assure la gestion directe, en l’occurrence les quatre divisions de la direction des affaires sociales du Ministère de la Santé publique : la Maison de l’enfance et de l’adolescence (MEADO), l’Association voltaïque de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (AVSEA), les services sociaux auprès des tribunaux, et la division de l’enfance inadaptée.

Les politiques et pratiques professionnelles au Burkina Faso

8 Parallèlement au développement des services sociaux et de leurs structures relais, les autorités publiques adoptèrent une législation spécifique à l’enfance. La loi nº 19-61 – AN du 9 mai 1961 relative à l’enfance délinquante ou en danger fut promulguée par décret nº 194 PRES/LAN [4] le 23 mai 1961. Cette loi prévoit un traitement différencié pour les mineurs et deux registres de sanctions : des mesures éducatives, et la détention. Ces sanctions varient selon l’âge du mineur et selon qu’il a agi ou non avec discernement. En ce qui a trait à l’âge, le droit burkinabé fixe à 18 ans la majorité pénale. L’article 20 de la loi 19-61 prévoit une excuse de la minorité pour les enfants âgés de moins de 13 ans mis en cause dans une affaire criminelle. En raison de la présomption irréfragable d’irresponsabilité pénale et conformément à l’article 14 de ladite loi, tout enfant de cet âge est qualifié pénalement irresponsable. Il peut toutefois se voir infliger des mesures éducatives, lesquelles peuvent prendre la forme de réprimandes en présence des parents, tuteurs ou gardiens, de réinsertion dans la famille d’origine ou de placement dans une institution charitable ou auprès d’une personne de confiance (Legros, 2011).

9 Pour sa part, à cause de sa minorité, l’enfant âgé de plus de 13 ans et de moins de 16 ans voit sa responsabilité pénale atténuée, comparativement aux mesures prévues par le droit commun [5]. Cela signifie concrètement qu’il n’est passible ni de la peine capitale ni de la condamnation à vie. Toutefois, il peut être jugé pénalement responsable s’il est établi que son crime a été commis avec discernement. Dans ce cas, selon le degré de gravité de son infraction, il est passible d’une peine d’emprisonnement de 1 à 3 ans, de 5 à 10 ans ou de 10 à 20 ans dans un établissement pénitentiaire spécialisé. En revanche, s’il a agi sans discernement, cet enfant sera passible d’une mesure éducative (ex. réinsertion dans la famille d’origine ou placement dans une institution charitable, auprès d’une personne de confiance, dans un établissement spécialisé) ou, à défaut, d’une peine d’emprisonnement [6]. Le tribunal peut également assortir la mesure éducative d’un régime de liberté surveillée (article 16 de la loi no 19-61).

10 Enfin, la responsabilité pénale d’un enfant âgé de 16 à 18 ans est identique à celle d’un majeur s’il est établi qu’il a agi avec discernement : il ne bénéficie pas de l’excuse de la minorité. Dans le cas contraire, il est soumis aux mêmes mesures éducatives et pénales qu’un enfant de 13 à 16 ans. En somme, le droit positif burkinabé fournit un éventail très large de mesures éducatives et de sûreté (en l’occurrence des mesures de protection, d’assistance, de surveillance, de réinsertion, d’éducation à l’égard de l’enfant), et de mesures pénales (à savoir la liberté surveillée, la détention), à appliquer en situation de délinquance juvénile. Cet univers de sanctions cristallise l’oscillation du pays, des indépendances jusqu’à la fin des années 1990, entre la tentation répressive [7] et des actions de rééducation et de réinsertion des jeunes délinquants. Le constat d’échec de la prison comme moyen de lutte contre la délinquance et les réformes pénales de 2004 ont conduit à la promulgation de la loi 028-2004/AN du 8 septembre 2004 qui institue dans le pays un tribunal pour mineurs [8]. Cette loi prévoit également des solutions alternatives à la prison, dont les travaux d’intérêt général (TIG) [9]. Une orientation qui semble indiquer une volonté de freiner l’inflation pénale, de respecter les conventions internationales en matière de protection des droits de l’enfant, et aussi un désir de ne pas compromettre le développement cognitif et socioaffectif des contrevenants. Une orientation qui exige en même temps une amélioration des capacités d’accueil et des conditions de vie dans les institutions de placement. Le ministère reconnaît l’existence de deux d’entre eux à caractère public (le Centre d’éducation spécialisée et de formation créé en 1986 et la Maison de l’enfance André Dupont de Orodara créée en 1956) et de cinq à caractère privé (les centres Bénebnoma, Laafi-Ziiga, Salbissogo, Remar Burkina et de Laye). À l’exception du Centre de Laye, qui a ouvert ses portes en 2004, les institutions de placement existaient avant 1999. On y accueille depuis ce temps des enfants en difficulté pour les soutenir sur le plan psychopédagogique, leur offrir de la formation professionnelle ou du rattrapage scolaire. En moyenne, 300 enfants et jeunes par an sont reçus dans ces structures publiques pour une prise en charge socio-éducative et pédagogique (MASSN, 2006).

Une étude de cas : le Centre de Laye

11 Créé en 2004 grâce au concours financier et matériel de plusieurs bailleurs de fonds internationaux, le Centre de Laye pour mineurs en conflit avec la loi est un centre privé, reconnu par arrêté du 11 mai 2009 du ministre de la Justice Nº 2009-054/MJ/SG/DAPRS. Situé à 40 kms de Ouagadougou sur la route Ouagadougou – Yako, il est le fruit de la franche collaboration entre l’ONG Terre des hommes (Italie) et l’Association pénitentiaire africaine (APA). Il s’étend sur une superficie de 15 hectares, dans la commune rurale de Laye.

12 Le Centre de Laye est une alternative à la prison et à la peine en communauté. Même si l’incarcération physique y est moins contraignante qu’en prison, une équipe composée de gardiens et de membres du personnel du Ministère de la Justice assure toutefois un service de sécurité 24h/24. Les jeunes pensionnaires sont également surveillés par un travailleur social. Accueillant en avril 2013 un effectif de 75 pensionnaires, il cible les mineurs des deux sexes âgés de 13 à 18 ans qui font l’objet de poursuites pénales devant les juridictions pour mineurs et pour qui le ministère public ou le tribunal a ordonné le placement dans une institution charitable ou un établissement spécialisé (Centre de Laye, 2013). Les mineurs condamnés à une peine d’emprisonnement ferme peuvent aussi y être placés sur ordre d’un juge pour mineurs (Legros, 2011). Comme le montre le prochain graphique, les entrées annuelles au Centre étaient décroissantes de 2004 à 2007. C’est après 2008 qu’elles ont crû de manière constante : elles sont passées de 35 à 51 mineurs des deux sexes.

Graphique 1. Nombre d'entrées annuelles au Centre de Laye, par sexe, 2004-2012

Graphique 1. Nombre d'entrées annuelles au Centre de Laye, par sexe, 2004-2012

Graphique 1. Nombre d'entrées annuelles au Centre de Laye, par sexe, 2004-2012

Source : Centre de Laye , 2013

13 Pionnier dans le domaine de la réadaptation des jeunes contrevenants africains, le Centre de Laye est aujourd’hui une référence dans toute l’Afrique de l’Ouest. En 9 ans, de 2004 à 2013, il a accueilli 335 mineurs, dont 307 garçons et 28 filles (10) provenant des quatre coins du Burkina Faso, principalement de Ouagadougou et de Koudougou. Son succès découle d’un partenariat entre plusieurs acteurs privés, publics, internationaux et de l’engagement d’une équipe d’intervenants burkinabés : un éducateur, un infirmier, un cuisinier, un animateur en alphabétisation, un formateur pour les activités professionnelles, un médecin et un psychologue permanent.

14 L’objectif principal du Centre n’est ni d’intimider, ni de châtier les mineurs en faute, mais de les amender, de les réhabiliter et de les réinsérer socialement en leur garantissant un parcours éducatif individualisé, un accompagnement et un suivi psychosocial, scolaire et professionnel durant tout leur séjour. Le centre inscrit alors ses pratiques dans une hybridation de deux logiques : pénitentiaire et éducative. Pour atteindre ses objectifs, le Centre met en œuvre des projets individuels de réinsertion sociale basés sur plusieurs types d’activités : la prise en charge sanitaire, l’éducation et la formation et des activités productives (ex. agriculture pluviale, apiculture, fabrication de savon, élevage de bovins et de volailles, ateliers-écoles).

15 La prise en charge sanitaire des jeunes pensionnaires se fait dès leur arrivée au Centre. Un médecin généraliste établit leur bilan de santé physique. Le Centre en assume tous les coûts : frais médicaux, coût des examens, facture des ordonnances, etc. Parallèlement, un psychologue effectue leur bilan de santé mentale et assure leur suivi psychologique. Lors des réunions hebdomadaires, il joue parfois le rôle de médiateur entre les jeunes et les intervenants pour résoudre des situations-problèmes vécues au quotidien.

16 Le Centre applique aussi un programme diversifié d’éducation et de formation professionnelle comprenant des travaux manuels, du sport, des cours d’éducation civique, d’alphabétisation et de scolarisation. Les jeunes analphabètes sont alphabétisés puis redirigés vers une filière professionnelle. Ceux qui ont le niveau d’éducation requis sont inscrits dans une école primaire du voisinage ou au lycée départemental de Laye. Le Centre offre aussi aux plus vieux la possibilité de se préparer individuellement et de se présenter aux examens de fin d’année en candidats libres. Par ailleurs, pour maximiser leur chance d’insertion professionnelle, le Centre initie les mineurs à un métier qui puisse bien les positionner sur le marché du travail (ex. menuiserie, mécanique des engins à deux roues, couture, électricité, élevage, savonnerie, soudure). Les filières les plus populaires auprès des jeunes sont (en ordre décroissant) : la mécanique, la couture et la menuiserie. Des activités de production basées sur l’agriculture pluviale et l’élevage font aussi partie intégrante du volet formation professionnelle. Enfin, le Centre offre à ses pensionnaires des cours d’éducation civique, de socialisation et de développement personnel. Ils y apprennent comment se comporter en société, leurs droits et leurs devoirs de citoyens, quelques règles éthiques et surtout comment développer leur confiance en eux par l’acquisition de nouvelles connaissances et de nouvelles compétences.

Résultats

17 Les activités du Centre n’ont pas encore fait l’objet d’une évaluation systématique. Toutefois, tout porte à croire qu’il a déjà un impact significatif sur la société burkinabè. Tout d’abord, en accueillant des jeunes qui, autrement, seraient allés gonfler les centres pénitentiaires, il a un effet direct sur la taille de la population carcérale. Ensuite, en les gardant loin du système de justice pénale destiné aux adultes, il évite aux enfants en conflit avec la loi d’être victimes d’abus et de toutes autres violations de leurs droits. Il les préserve aussi de l’influence des criminels de carrière et d’un entraînement qui mène souvent de la délinquance juvénile à la criminalité adulte. Outre le fait de traiter ses pensionnaires avec humanité, de leur offrir des conditions de vie décentes et de les reconnaître comme des sujets de droits et de libertés fondamentales, le Centre les prépare à une vie d’adultes responsables. Il contribue ainsi à prévenir les risques de récidive (prévention tertiaire). Car non seulement les adolescents délinquants d’aujourd’hui peuvent infliger un tort inestimable à leurs victimes, mais ils sont souvent à risque de devenir les adultes criminels de demain, sans compter qu’ils seront possiblement de futurs parents.

18 Mais que deviennent les mineurs qui sont passés par le Centre de Laye ? La direction du Centre distingue trois types de profils. Il y a d’abord ceux qui rompent tout contact et qui ne veulent plus entendre parler du Centre. Il y a ensuite ceux qui poursuivent leur carrière délinquante et qui retournent dans le circuit pénal. Il y a enfin ceux qui réussissent à sortir de la délinquance et qui restent en contact régulier avec le Centre. Aujourd’hui, certains d’entre eux encadrent dans leurs propres ateliers (comme des mentors) deux ou trois autres petits frères du village d’origine, les sortent de l’oisiveté, de la rue et du chemin de la délinquance. D’après un sondage interne basé sur un échantillon au jugé, le taux de succès du Centre s’élevait à 77 % en 2011. Si ces résultats sont exacts, trois fois sur quatre le Centre de Laye permet donc de mettre fin aux carrières délinquantes de ses pensionnaires.

19 Malgré ces résultats encourageants, la direction du Centre continue de chercher à améliorer sa performance ainsi que la qualité de ses pratiques. Elle prend notamment acte du fait que le Centre ne dispose d’aucun instrument validé pour dresser le profil des contrevenants afin d’adapter son plan d’intervention à leurs besoins, tandis que de tels instruments existent ailleurs. Par exemple, les milieux de recherche et d’intervention à Québec et à Montréal ont conçu plusieurs outils, dont le « modèle intégré d’intervention différentielle », qui a fait ses preuves en termes de réduction du taux de récidive, de raccourcissement de la durée du séjour dans les centres jeunesse, et surtout de diminution du temps consacré à chaque jeune par les intervenants (Laporte, 2006).

Une proposition : le modèle intégré d’intervention différentielle

20 Inspiré de l’approche cognitivo-comportementale, le « modèle intégré d’intervention différentielle » distingue la délinquance commune (délinquance passagère, occasionnelle, commune à la quasi-totalité des adolescents et qui se résout sans intervention) de la délinquance distinctive (criminalité d’un nombre très restreint de jeunes aux prises avec des difficultés susceptibles de compromettre leur développement social). Son implantation suppose une intervention différentielle, c’est-à-dire adaptée aux besoins particuliers et de développement des contrevenants et au degré de gravité de leurs actes (délinquance distinctive).

21 Ledit modèle d’intervention combine essentiellement deux instruments : un outil diagnostic et un compendium de stratégies d’intervention. L’outil diagnostic (la grille de classification) couvre trois dimensions de la vie : comportementale, sociale et psychologique. La dimension comportementale aborde deux types de comportements : les délits et les troubles du comportement. La dimension sociale s’étend aux relations concernant trois sphères de vie : la famille et la relation parent-enfant, les pairs et le milieu social et le milieu scolaire/travail. Enfin, la dimension psychologique regroupe des variables aussi diverses que les émotions, les sentiments, les idéations et les valeurs (LeBlanc et al., 1998).

22 Avant d’en arriver à utiliser la grille pour dresser le profil délinquantiel des jeunes pris en charge par le Centre de Laye, il est impérieux de valider au Burkina Faso la version disponible actuellement, celle qui est mise en œuvre dans les Centres jeunesse de Québec et de Montréal. Tel un test de validité et de fiabilité, cet exercice permettra de s’assurer que toutes les variables mesurées par la grille sont pertinentes dans le contexte burkinabè et que d’autres items essentiels ne sont pas absents du modèle. Une fois adaptée et validée, la grille pourra être administrée à un échantillon de jeunes fréquentant le Centre afin d’établir leurs profils délinquantiels (projet pilote). On déterminera ainsi s’ils sont : (a) marginaux sporadiques (délinquance d’occasion et passagère), (b) inadéquats régressifs (délinquance visant la recherche de facilité, un mode de vie désengagé), (c) conflictuels explosifs (délinquance symptomatique, libératrice de tensions) ou (d) structurés autonomes (délinquance d’engagement, mode de vie marginal et criminalité).

23 La deuxième étape de l’implantation du « modèle intégré d’intervention différentielle » consiste à atteindre, pour chaque type de délinquant, un objectif prioritaire en appliquant le plus approprié des quatre modes d’intervention du compendium : la neutralisation, la réinsertion, la réadaptation et la prévention.

24 Après avoir implanté ce modèle, le Centre de Laye gagnerait également à en évaluer les effets, notamment sur le temps de séjour des jeunes au Centre, leur taux de récidives, les résultats de leur réinsertion sociale et le sentiment d’efficacité des intervenants.

Conclusion

25 Les politiques et les pratiques professionnelles relatives à la prise en charge des mineurs en conflit avec la loi au Burkina Faso se sont grandement améliorées avec le temps. La nouvelle orientation de la législation et des dispositifs institutionnels semble transpirer d’une claire volonté des dirigeants de se conformer aux directives de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant et à la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant. Le Burkina Faso semble notamment prioriser, dans les cas de délinquance juvénile, les approches alternatives à la peine privative de liberté. Ce qui implique de sortir les mineurs des systèmes de justice ordinaire destinés aux adultes, et de mettre en place, dans le respect de leurs situations et besoins spécifiques, des services et un personnel qui leur soient dédiés. L’exemple du Centre de Laye est un témoignage éloquent de ce désir d’amender et de réinsérer socialement les délinquants. Toutefois, ce progrès certain est encore perfectible. Pour améliorer ses résultats, le Centre gagnerait à intégrer dans ses pratiques le modèle intégré d’intervention différentielle. Il augmenterait ainsi son efficacité et diminuerait les coûts sociaux associés à la délinquance dans un pays aux ressources déjà limitées. Ce nouvel outil, plus ciblé, aiderait les jeunes contrevenants à développer une meilleure estime d’eux-mêmes et à passer d’une trajectoire de délinquance marquée par une escalade de conduites déviantes à une mobilisation vers des activités valorisantes sur le plan personnel, et utiles au développement socio-économique de leur communauté. En somme, au-delà de sa fonction de rééducation des délinquants, le Centre jouerait un rôle de levier supplémentaire de renforcement des liens sociaux et de consolidation de la cohésion familiale et sociale.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : réinsertion sociale, justice pour mineurs, Délinquance, éducation

Mise en ligne 14/12/2015

https://doi.org/10.3917/graph.hs08.0105

Notes

  • [1]
    Entendez par là toute infraction commise par les adolescents (de 12 à 17 ans), punissables aux termes des lois et règlements en vigueur, y compris les conventions sociales relatives à la conduite d’un véhicule à moteur, à la fréquentation de l’école et des débits de boisson, à la vie publique, et causant des dommages évidents à autrui (Leblanc 1994 ; Cusson 2006).
  • [2]
    Pour une description fine de cette dérive, Voir Wacquant 2010 ; Mucchielli 2008.
  • [3]
    Dès 1958, néanmoins, d’autres œuvres missionnaires gérées par l’Association voltaïque pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (ADSEA) ont vu le jour pour compléter l’offre de services.
  • [4]
    Une autre loi promulguée en 1964 est venue compléter le dispositif règlementaire, notamment en ciblant la circulation des mineurs et leur fréquentation de différents établissements commerciaux de loisirs tels que les débits de boissons, les cinémas et les vidéoclubs (de Bonneval 2011 : 280).
  • [5]
    Toutefois, s’il est impliqué dans la même cause qu’une ou plusieurs personnes majeures, il perd le bénéfice du privilège de juridiction et se verra déférer devant les tribunaux de droit commun.
  • [6]
    La détention n’est pas toujours une mesure de dernier ressort. Même si la loi prévoit des établissements pénitentiaires spécialisés, dans la pratique, la peine est exécutée dans les établissements pénitentiaires de droit commun. C’est seulement dans les Maisons d’arrêt et de correction (MAC) où il existe un quartier réservé aux mineurs que les mineurs sont détenus séparément des adultes. À noter que parmi les 17 MAC au Burkina Faso, seulement 10 sont dotées de quartiers pour mineurs. Un luxe qu’on ne trouve pas à Fada N’Gourma, Tougan, Kongoussi, Bogandé, Diapaga ou à Manga (MJ, 2006-2009).
  • [7]
    Le système de justice pénale faisait un usage courant de la peine privative de liberté.
  • [8]
    Les modifications dans les normes juridiques ont été opérées de manière à ce que la finalité du traitement carcéral ne soit plus la punition, mais plutôt la réinsertion sociale du mineur en conflit avec la loi. Elles s’inscrivent dans une perspective de justice qui favorise des solutions de réparation des dommages, de réconciliation des parties en présence, et de restauration de l’harmonie ou de la cohésion sociale (Legros 2011).
  • [9]
    Conformément à l’article 6 de la loi 028-2004/AN, il s’agit d’une peine alternative à la prison, respectueuse des droits et de la dignité de l’enfant et qui ne s’applique qu’aux mineurs de 16 ans et plus. Toutefois, regrettait le Ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale (2006), jusqu’au mois d’avril 2006, ce dispositif n’était pas encore fonctionnel : aucun tribunal ne l’avait encore prononcé.
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