Notes
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[*]
AUTEUR : Philippe MAUPEU, Université de Toulouse – Le Mirail, maupeu.ph@ orange.fr.
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[1]
PIERRE LE FRUITIER, dit SALMON, Les demandes faites par le roi Charles VI touchant son état et le gouvernement de sa personne, avec les réponses de Pierre Salmon, son secrétaire et son familier, éd. G. A. CRAPELET, Paris, 1833. Sauf mention contraire, je cite le texte d’après les manuscrits de PARIS, Bibliothèque nationale de France (= BnF), mss fr. 23279 (1re rédaction) et 9610 (2e rédaction), en choisissant pour des raisons de lisibilité une ponctuation et une segmentation des mots modernes.
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[2]
Pour un rappel biographique, cf. B. GUENÉE, Un meurtre, une société. L’assassinat du duc d’Orléans, 23 novembre 1407, Paris, 1992, p. 210–216. Le présent article est le second volet d’un diptyque consacré au couple Salmon / Charles VI, dont le premier est le suivant : P. MAUPEU, Salmon le fou, Salmon le sage. Portrait de l’auteur en conseiller du Prince, L’autoportrait dans la littérature du Moyen Âge au XVIIe siècle. Actes du colloque tenu à l’Université de Nantes (5–6 février 2009), dir. É. GAUCHER et J. GARAPON, à paraître.
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[3]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 1v. Cf. fig. 1. Ouvrage à double point de fuite, donc, dans lequel l’équilibriste Salmon s’efforce de tenir à Charles VI un discours auquel souscrive Jean sans Peur. L’orientation partisane, pro-bourguignonne du texte fut établie dès le XIXe siècle par M. Levesque et G.A. Crapelet (M. LEVESQUE, Notice du livre de Pierre Salmon, JEAN FROISSART, Chroniques. t. 15, Suppléments de Froissart, éd. J.A. C. BUCHON, Paris, 1826, p. I–XXIX ; PIERRE SALMON, Demandes faites par le roi Charles VI, passim). Elle détermine selon B. Roux la lecture du programme iconographique (B. ROUX, Les Dialogues de Salmon et Charles VI. Images du pouvoir et enjeux politiques, Genève, 1998).
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[4]
Ibid., p. 26–31. « Il est possible, écrit B. Roux, qu’une des deux versions […] ait été offerte à un autre personnage que le roi », sans que l’on puisse pour autant en être assuré (Ibid., p. 29–30). Il me paraît en revanche certain que les Dialogues ont été écrits dans l’intention d’être présentés au roi : c’est sur cette intention que se fonde mon analyse.
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[5]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 1r ; je souligne.
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[6]
A. RIGAUDIÈRE, Le bon prince dans l’œuvre de Pierre Salmon, Penser le pouvoir au Moyen Âge (VIIIe–XVe siècle). Études d’histoire et de littérature offertes à Françoise Autrand, dir. D. BOUTET et J. VERGER, Paris, 2000, p. 365–384, ne retient pour son analyse que la première partie du texte, consacrée aux « trois vertus cardinales » du bon prince.
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[7]
GUENÉE, op. cit., p. 222.
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[8]
PIERRE SALMON, Lettre à Charles VI, Avignon, 16 février 1409, PARIS, BnF, ms. fr. 23279, ff. 93v–94r. Je souligne.
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[9]
PIERRE SALMON, Demandes faites par le roi Charles VI, p. 115 n.
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[10]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, ff. 108–109.
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[11]
Ibid.
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[12]
In omnibusque rebus videndum est quatenus (« Et dans toutes les choses il faut voir le “jusqu’où” »). CICÉRON, Orator, éd. et trad. A. LYON, Paris, 1964, p. 26.
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[13]
Non enim omnis fortuna, non omnis honos, non omnis auctoritas, non omnis aetas, nec vero locus aut tempus aut auditor omnis eodem aut verborum genere tractandus est aut sententiarum, semperque in omni parte orationis ut vitae quid deceat est considerandum ; quod et in re, de qua agitur, positum est, et in personis et eorum qui dicunt et eorum qui audiunt (Ibid., p. 25). Dans la traduction proposée, la relation logique de disjonction (« d’autre part ») me paraît quelque peu forcer le texte.
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[14]
Sur l’identité de ces trois personnages, les interprétations des historiens de l’art divergent. Cf. les notices 51 et 52 d’I. VILLELA-PETIT dans Paris 1400. Les arts sous Charles VI. Catalogue de l’exposition présentée au Musée du Louvre (22 mars–12 juillet 2004), dir. É. TABURET-DELAHAYE, Paris, 2004, p. 120, 122–123.
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[15]
ROUX, op. cit., p. 62, 79 ; Ibid., p. 27, où il est question à la fois de l’« insolence du clerc à l’égard du roi » et de son « habileté à jouer avec les Écritures ». Pour RIGAUDIÈRE, op. cit., p. 367, l’« aveu de faiblesse » du roi autorise le conseiller à se comporter « non point en simple conseiller, mais en véritable donneur de leçon ».
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[16]
A. HEDEMAN, Of Counselors of Kings : the Three Versions of Pierre Salmon’s Dialogue, Urbana–Chicago, 2001, p. 15.
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[17]
VILLELA-PETIT, op. cit., p. 122.
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[18]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, ff. 1r–4v.
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[19]
Ez 3, 3.
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[20]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 3r.
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[21]
J. KRYNEN, L’empire du roi. Idées et croyances politiques en France. XIIIe–XVe siècle, Paris, 1993, p. 208, rappelle que la prière de Salomon dans Sg 9, 1–18, était récitée par le roi la veille de son sacre. Salmon en recommande la méditation à Charles VI : Il est neccessité pour la salvacion de vous et de vostre royaume que vous vous disposez de cuer, de corps, de voulenté et de pensee a Dieu amer, doubter et servir en lui requerant de cuer contrit sa grace et misericorde et lui faire tele priere et requeste que lui fist le roy Salemon quant il lui ottroia le don de grace et de sapience (PARIS, BnF, ms. fr. 23279, ff. 84v–85r).
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[22]
Ibid., fol. 4v.
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[23]
Ibid., fol. 2v.
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[24]
Ibid., ff. 5r–52r.
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[25]
« Une émouvante confession » du souverain, selon RIGAUDIÈRE, op. cit., p. 368 et KRYNEN, op. cit., p. 204.
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[26]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 6r–v.
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[27]
Ibid., fol. 6v.
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[28]
Ibid., fol. 8r.
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[29]
Le roy ne doit pas adjouster foy a un homme qui se vante d’estre saige et ses euvres ne sont pas bonnes, car maintes paroles sont vaines & frustatoires et les euvres demonstrent ce que les gens scevent faire (Ibid., fol. 16r).
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[30]
Ibid., ff. 8r, 9r, 13r.
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[31]
Ibid., fol. 8r.
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[32]
Ibid., fol. 13r.
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[33]
Ibid., fol. 9r. Pour une analyse détaillée de ces images, cf. HEDEMAN, op. cit., p. 11–12 ; ROUX, op. cit., p. 55–59. L’exposé de la seconde vertu donne lieu à une description des regalia, représentés sur la miniature : le roi doit être revêtu des vestemens royaulx de couleur de pourpre ou d’autre couleur royale, et doit avoir la couronne en son chief et tenir en sa main destre le sceptre royal et en la senestre une pomme ou samblance ronde (PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 9v).
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[34]
Ibid., ff. 19r–52r.
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[35]
Ibid., fol. 19v.
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[36]
À ce propos, le roi peut être d’une subtilité parfois désarmante dans ses raisonnements : Encore fays je une autre question, assavoir mon se un enfant ou un homme qui aura este mengié d’un lyon en tant que la char de l’enfant ou de l’homme sera convertie en la char du lyon, ou encore plus fort, un lyon mangera un loup qui aura mengié une personne, ceste gens ycy sont ilz a ressusciter comme les autres ? – Oyl, répond Salmon (Ibid., fol. 42r–v).
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[37]
Mais or parlons d’une autre matiere (Ibid., fol. 36v).
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[38]
Ibid., ff. 38r–40r.
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[39]
Cf. Ibid., ff. 48v–51v et en particulier : Hault et puissant prince debonnaire, vous qui par toute saincte Eglise et entre les clers estes appellé sur tous les aultres princes chretiens trescretien et trescatholique prince, devez estre l’essamplaire et le mirouer des autres roys et princes en amant et redoubtant Dieu vostre createur et deffendant, gardant et augmentant la saincte Eglise comme firent saint Charlemaigne et saint Loys vos predecesseurs roys de France, lesquelz vous ont donné exemple de ce que devez faire (Ibid., fol. 48v). Je souligne.
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[40]
Ibid.
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[41]
Ibid., fol. 19r.
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[42]
Cy s’ensuivent les lamentacions Salmon pour aucunes merveilles a lui mesmes avenues au pelerinage de ce monde, & les epistres pour ce par lui baillees et envoiees a tresexcellent & trespuissant prince Charles Roy de France le Siziesme de ce nom (Ibid., fol. 53r–v).
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[43]
Le prologue occupe le premier cahier, la partie 1 deux cahiers, la partie 2 quatre cahiers, la partie 3, la plus longue, neuf cahiers (HEDEMAN, op. cit., p. 74).
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[44]
Le 18 novembre 1408, la cour, la reine, Jean de Berry et le duc de Bourbon, et le roi en pleine crise de démence, partent pour Tours ; Jean sans Peur entre dans Paris dix jours plus tard (GUENÉE, op. cit., p. 209).
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[45]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 81v ; je souligne. Dès le lendemain, Salmon envoie au roi une épître, datée du 1er novembre, dont il adresse plusieurs copies aux ducs de Berry, de Bourgogne et de Bourbon, au connétable Charles d’Albret et au chancelier Arnaud de Corbie, au président du Parlement Henri de Marle, au prévôt des marchands Charles Culdoe, au prévôt de Paris Pierre des Essarts – preuve s’il en est du caractère éminemment « public » de sa correspondance.
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[46]
Ibid., fol. 49v (part. 2) ; je souligne.
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[47]
Ibid., ff. 49v–50r (part. 2).
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[48]
PARIS, BnF, ms. fr. 9610, fol. 70v (intr. de la part. 3 ; je souligne). L’absence de renvoi à la première version laisse entendre que celle-ci n’est pas parvenue au lecteur auquel elle était destinée.
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[49]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 53r.
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[50]
Cf. la lettre du 16 mai 1409, écrite d’Avignon : Tresexcellent prince, pour vous obeyr et acomplir vostre commandement je me trais a Paris le plus tost que je peuz, et tantost que je fus arrivez par l’ordonnance et pourchas d’aucunes personnes qui disoient veoir un festu en mon œil et ilz n’appercevoient pas un glaive qui estoit et encore est devant les leurs, je fus mis en prison en laquelle je fus en grant dangier et euz assez a souffrir (Ibid., fol. 108v) ; je souligne.
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[51]
Ibid., fol. 93v.
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[52]
JACQUES LEGRAND, Archiloge Sophie. Livre de bonnes meurs, éd. E. BELTRAN, Paris, 1986, p. 156.
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[53]
Ibid.
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[54]
Ibid. Pour une présentation sommaire des « Arbres des vices et des vertus » associant, depuis le début du XIIe siècle, personnifications allégoriques et figures exemplaires, cf. C. CASAGRANDE et S. VECCHIO, Histoire des péchés capitaux au Moyen Âge, Paris, 2003, p. 343–345.
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[55]
JACQUES LEGRAND, Archiloge Sophie, p. 156, 215.
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[56]
Ibid., p. 216, 224.
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[57]
Ibid., p. 111.
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[58]
Mais il avint chose ke Nabucodonosor en fu rois, non mie par droit, car il n’estoit pas de roial linage, ançois fu uns estranges mesconeus ki nasqui d’avoutire celeement. Et a son tans comença li empires de Babilone a haucier et a monter en hautece, dont il s’enorghilli viers Deu et vers le siecle, tant k’il destruist Jherusalem et enprisonna tous les juis, et maintes autres perversités fist il. Pour coi il avint par divine vengance k’il perdi soudainement sa signorie, et son cors fu remués en buef, et abita .vii. ans en desiers avec les bestes sauvages (BRUNET LATIN, Li Livres dou Tresor, éd. F. J. CARMODY, Berkeley–Los Angeles, 1948, p. 38).
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[59]
Nabugodonosor une fois alast et venist parmy sa sale en son grant palais de Babiloine se glorifiant en disant : « Et n’est ce pas cy Babiloine la grant, laquelle pour ma maison royal j’ai ediffiee et la puissance de ma force et la gloire de ma beauté ? », adonc, disant ces paroles, vint une voix du ciel qui lui dist : « Nabugodonozor, escoute ! ton royaume de toy est trespassé, et bouté hors seras de la compaignie des hommes, et avec les sauvages bestes sera ta demeure, et foing avec les buefs tu mengeras ». Ne fu pas mençongiere la promesse, car gaires aprés ne tarda que executee ne fust en sa personne qui deboutez fu de la compaignie humaine et ramené en forme de beste paissant aux champs a la pluie et au vent (CHRISTINE DE PIZAN, Le Livre de l’Advision Cristine, éd. C. RENO et L. DULAC, Paris, 2001, p. 42). On note qu’ici, comme chez Brunet Latin, l’exemplum n’intègre pas la seconde phase de rédemption.
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[60]
Le roy Nabugodonosor / Le fier, le dur et l’engrongnié / Pour son avoir, pour son tresor, / Orgueul avoit tant enseignié / Qu’il cuidoit bien avoir gaingnié / Qu’on deubt adorer son ymage. / Tout orguilleux est engaignié / Quant chascun ne lui rend hommage (MARTIN LE FRANC, Le Champion des Dames, éd. R. DESCHAUX, t. 4, Paris, 1999, p. 33, v. 15353–15360).
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[61]
JEAN FROISSART, Les Chroniques, Historiens et chroniqueurs du Moyen Âge, éd. A. PAUPHILET et E. POGNON, Paris, 1952, p. 906–907.
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[62]
Cf. supra, la citation de l’épître datée du 16 février 1409 (PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 94r).
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[63]
Cf. supra, la citation de Ibid., fol. 49v.
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[64]
Ibid., ff. 6v–7r ; je souligne.
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[65]
Ibid., fol. 94r.
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[66]
Es 38, 1–21.
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[67]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 94v (part. 3, Salmon à Charles VI, 16 février 1409).
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[68]
Salmon parvient enfin auprès d’Alexandre V, et le souverain pontife fait composer à sa demande une oraison : Deus qui magnipotenciam tuam magnis frequenter manifestas te suppliciter exoramus ut famulum tuum Karolum regem quem beato Urbano quinto nasciturum Rome revelasti fovere digneris atque Alexandri quinti quem Ecclesie tue pastorem solarem magnipotenter suscitasti piis precibus ab ingruentibus sibi noxiis per misericordie viscera Cristi Ihesu filii tui jubeas expiari qui te cum vivit et regnat in unitate (Ibid., fol. 116v). « Dieu, toi qui manifestes fréquemment ta toute-puissance, nous te prions et te supplions de juger digne d’être guéri ton serviteur Charles, dont tu as révélé la naissance à Rome, par la voix d’Urbain V ; et nous te supplions de faire qu’à l’aide des pieuses prières d’Alexandre V, que tu as élevé dans ta grande puissance comme (seul) pasteur de l’Église, par les entrailles de ton fils Jésus-Christ, soit guéri des maux qui l’accablent celui qui vit avec toi et règne dans l’unité ».
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[69]
JEAN GERSON, Œuvres complètes, éd. P. GLORIEUX, t. 7, Paris, 1968, p. 1161 (sermon Vivat rex).
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[70]
Ibid., p. 1162.
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[71]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 11v. Cf. aussi, dans la part. 1, ce développement sur le confesseur, le conseiller et le médecin du roi (qui ne font à l’évidence pour Salmon qu’un seul et même personnage, et dont Salmon s’efforce en sa personne de cumuler les attributions) : Le confesseur du roy, son conseillier et son phisicien qui congnoissent et scevent la voulenté du roy ne doivent eulx incliner au plaisir du roy s’il n’est honneste et raisonnable, ou autrement le roy pourra avoir honte et dommage du corps ou de l’ame et pourra le roy estre souvent malade. Pourquoy cellui n’est pas vray confesseur, leal conseillier ne bon phisicien qui voit le roy errer et ne lui dist verité. Car le conseillier ou serviteur qui longuement a servy le roy et a veu, sceu ou apperceu aucun deffault ou erreur ou gouvernement du roy et il ne lui dist, il n’est pas leal au roy, et se le confesseur ou conseillier ne scet adviser la faulte, il n’est pas digne de servir le roy (Ibid., ff. 17v–18r).
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[72]
Sur un mode très différent de ce que J. Baschet nomme les « images ambivalentes », qui permettent le feuilletage de significations non contradictoires (J. BASCHET, Inventivité et sérialité des images médiévales. Pour une approche iconographique élargie, Annales. Histoire, Sciences sociales, t. 51, 1996, p. 93–133).
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[73]
Le contraste à ce sujet est saisissant avec ce qu’un Juvénal des Ursins dit des crises de folie du roi, en particulier pour l’année 1405 : C’estoit grant pitié de la maladie du Roy, laquelle lui tenoit longuement, et quant il mangeoit c’estoit bien gloutement, et louvissement. Et ne le pouvoit-on faire despouiller, et estoit tout plein de poux, vermine et ordure (JEAN JUVÉNAL DES URSINS, Histoire de Charles VI, éd. J. F. MICHAUD et J.J. F. POUJOULAT, Paris, 1836, p. 437).
L’étonnement de Georges-Adrien Crapelet
1 L’ouvrage généralement connu sous le titre de Dialogues de Pierre Salmon et Charles VI a fait l’objet, de la part de son auteur, de deux versions manuscrites [1]. La première rédaction, en 1409, est consécutive au concile de Pise et à l’élection d’Alexandre V ; Salmon aurait ensuite corrigé et amplifié son texte quelques années plus tard (entre 1413 et 1415), après son départ de la cour en 1411. On sait peu de choses de Pierre le Fruitier, dit Salmon [2], outre ce qu’il déclare lui-même dans l’autobiographie lacunaire contenue dans la première rédaction, et dans les quelques additions de la seconde. La scène de dédicace du manuscrit français 23279 de la Bibliothèque nationale de France représente le conseiller offrant son livre à Charles VI, sous le regard de Jean sans Peur, ce qui laisse supposer un double destinataire, royal et ducal [3]. Pour autant, l’ouvrage ne figure pas dans les inventaires de la bibliothèque royale, pas plus que dans ceux des bibliothèques des ducs de Bourgogne [4].
2 Le texte en est divisé en trois parties :
Cy s’ensuit le prologue de l’acteur de ce present livre contenant la maniere comme il presente son dit livre au roy nostre sire. Lequel livre contient en soy trois parties, desquelles trois parties la premiere partie fait mencion de certaines responses faictes par le dit acteur sur aucunes demandes a lui faictes par le roy nostre dit seigneur touchantes son estat & le gouvernement de sa personne. La seconde partie samblablement fait mencion de aucunes autres moult belles et contemplatives demandes sur le fait de la divine escripture a l’augmentation tousjours de nostre roy utiles & prouffitables pour tous catholiques faictes par le roy nostre dit seigneur au dit acteur, sur lesquelles il lui fait les responses cy dedens contenues. La tierce et derniere partie si fait mencion comment l’acteur recite et ramaine a memoire par maniere d’epistres comme il s’est emploié le temps passé ou service de ycellui mesmes le roy nostre sire, par quelle maniere, comment et ou, faisant mencion par maniere de lamentacion en aucune d’icelles d’aucunes menues fortunes qui lui sont survenues par aucuns siens envieux le temps dessusdit pendant, et tout pour verité touchant l’estat du roy nostre dit seigneur et le bien commun de son royaume, comme plus a plain est contenu es dictes epistres [5].
4 Seules les deux premières parties ressortissent au genre du miroir du prince : la première concerne le gouvernement du roi (son estat & le gouvernement de sa personne), la seconde porte sur des questions d’ordre théologique (le fait de la divine escripture). Elles se présentent toutes deux comme des réponses à des demandes formulées par Charles VI. La troisième partie, autobiographique, mêle la rétrospection narrative à la première personne et le recueil épistolaire, vingt-neuf épîtres reçues ou adressées principalement à Charles VI et à Jean sans Peur, mais également au duc Jean de Berry, à Louis d’Anjou ou à Pierre de Lune (Benoît XIII). Le caractère composite de l’ouvrage a pu autoriser une lecture et une édition « par morceaux » qui ne tiennent pas compte de la cohérence de l’ensemble [6]. L’édition, la seule connue à ce jour, que G.A. Crapelet livre des Dialogues en 1833 supprime le panneau central du triptyque, jugé de peu d’intérêt et ennuyeux.
5 Dans la troisième partie du livre, Salmon adresse une lettre à Charles VI pour l’avertir sur le mode allusif des dangers qui pèsent sur lui et le royaume. On est en février 1409 ; il semblerait d’après B. Guénée que Salmon vise à mots couverts l’influence néfaste de Jean de Montaigu, grand maître de l’hôtel du roi, qui sera exécuté le 17 octobre suivant [7]. Salmon supplie le roi de le recevoir auprès de lui et de faire preuve de plus de discernement que Louis d’Orléans, mort de ne pas avoir écouté ses avertissements. Dans cette lettre, Salmon compare le destin de Charles VI à celui du roi babylonien de l’Ancien Testament :
Et ne vueilliez pas, tresredoubté Prince, estre si incredule, si rude ne si desdaingneux de vostre salut recevoir, comme furent deux grans princes que je vous nommeray cy aprez, l’un du Viez Testament et l’autre de ce temps present. Tresredoubté prince, ne vueilliez estre si incredule comme fu Nabugodonozor le roy de Babiloine quant Daniel lui dist et exposa la persecucion et merveille qui lui devoit avenir se Dieu ne lui faisoit grace, lequel n’en tint compte et bien tost aprez fu privé de son royaume par certain temps & transmué en beste paissant herbe avecques les autres bestes mues jusques a ce qu’il ot contricion en lui, et lors leva la face et les yeux devers le ciel en requerant grace a Dieu qui le receut a mercy et le restitua en son royaume, sicomme plus a plain le povez veoir en la Bible ou .iiii.e chappitre du livre de Danyel. Et ne vueilliez aussy, tresredoubté Prince, avoir le cuer si dur ne si desdaingneux comme ot monseigneur le duc d’Orleans vostre frere, dont Dieux ait l’ame, lequel differa a recevoir le message qui lui apportoit son salut et lui venoit donner advis du mal qui lui est avenu [8].
7 Cette comparaison est commentée par l’éditeur (pourtant avare de notes), qui la juge déplacée et impertinente :
« Si Charles VI prenoit connoissance des lettres de son secrétaire Salmon, on ne peut trop s’étonner qu’il n’ait pas congédié un conseiller aussi irrévérent ; car l’impertinence égale ici la témérité de l’écrivain. Il se donne, sans façon, pour un Daniel, et compare le roi à Nabuchodonosor, allusion d’autant plus messéante que le roi de France, dans certains états de sa maladie, se trouvait au même degré d’abrutissement que le roi des Chaldéens [9]. »
9 Cet étonnement survient pourtant à contretemps par rapport au récit. Quand Salmon écrit au roi, il n’est pas à la cour mais à Avignon. Bénéficiaire d’une prébende accordée par Benoît XIII, suspecté de sympathie avignonnaise au moment de la seconde soustraction d’obédience (mai 1408), il a passé plusieurs semaines en prison avant d’être libéré au mois de septembre 1408 et de regagner Avignon [10]. Il s’efforce dès lors sans succès de joindre le roi pour à la fois l’informer de bouche des menaces qui le guettent et pour échapper lui-même aux envieux en se plaçant sous la protection royale [11]. Comment Salmon aurait-il pu être congédié de la cour alors qu’il ne s’y trouvait pas ? L’étonnement de Crapelet vise en réalité non pas tant la relation épistolaire – elle suppose nécessairement une distance entre locuteurs – que le dialogue entre Salmon et le roi qui sous-tend le miroir du prince des parties 1 et 2, et dont la situation de communication est figurée à la fois par la scène de dédicace (fig. 1) et par les miniatures liminaires des ff. 5r (part. 1 / fig. 2) et 19r (part. 2). Selon Crapelet, en comparant Charles VI au roi fou de l’Ancien Testament, Salmon passe la mesure – ce qu’en termes cicéroniens on appellera le modus, le quatenus (jusqu’où aller ?) [12] – et excède la position de conseiller qui est la sienne (c’est le sens de son raisonnement a fortiori : « d’autant plus messéante »).
10 L’impertinence, l’irrévérence que Crapelet croit déceler dans le discours de Salmon doit en fait être rapportée au concept rhétorique que Cicéron définit dans l’Orator comme le decorum. Le decorum règle une double convenance du discours à la matière traitée (affaire de style) et du discours au contexte de son énonciation, à la personne du locuteur et de l’auditeur (affaire de personnes) :
« Il faut considérer ce qui est séant (quid deceat). Et ceci réside d’une part dans la chose dont on traite (in re) et d’autre part (et) dans les personnes de ceux qui parlent et de ceux qui écoutent (in personis) [13]. »
12 Crapelet suppose que l’inconvenance du discours in personis (son « impertinence », dans un sens rhétorique) a pour cause sa convenance référentielle (sa « pertinence » au sens non rhétorique d’une « conformité aux faits ») : Charles VI est fou, comme Nabuchodonosor, chacun le sait, mais il serait inconvenant et « téméraire » de le lui rappeler (de le lui apprendre ?). Il y a là comme un adynaton rhétorique : convenentiae in re et in personis marchent en réalité de pair, et la convenance du discours à la matière traitée présuppose nécessairement son adéquation au statut et à la dignité (auctoritas) des personnes. Faute de l’envisager sous l’angle du decorum comme principe de régulation rhétorique du discours, Crapelet rapporte le propos de Salmon à la figure éminemment paradoxale du conseiller irrespectueux qui se placerait de lui-même dans une situation intenable (un conseiller insolent est nécessairement congédié)… mais que quelque chose manifestement fait tenir puisque, nous dit Crapelet, Salmon n’a pas été congédié. C’est que l’étonnement rhétorique de Crapelet appelle en réalité une réponse, réponse retenue par l’éditeur mais qui est aussi le présupposé sur lequel se fonde la question : si Salmon est insolent et si Charles VI n’a pas congédié Salmon, c’est bien que c’est un roi faible, un roi fou. Syllogisme en vertu duquel l’impertinence de Salmon a pour corollaire la folie du roi. Crapelet en appelle implicitement au scénario historiographique de la folie du roi pour neutraliser ce qui dans le texte paraît devoir défier la logique et l’interprétation : produisant ainsi la double figure d’un lecteur-fou, un lecteur non lecteur, et d’un auteur, sinon embarqué dans la folie royale, tout au moins inconséquent car (r) assuré de n’être pas compris.
13 La position de Crapelet, que l’on pourrait écarter d’un revers de main en la jugeant d’un autre âge éditorial, reste pourtant en grande partie implicitement admise aujourd’hui, notamment chez les historiens de l’art. Le présupposé herméneutique de la folie du roi paraît avoir eu pour effet d’amener les commentateurs à négliger dans l’interprétation des Dialogues la situation d’interlocution dans lesquels ils s’inscrivent, et d’occulter par là même la dimension proprement rhétorique et pragmatique d’un livre pensé pourtant en vue de sa transmission au dédicataire royal. La folie de Charles VI rendrait ainsi non avenues et infondées des questions aussi essentielles à sa compréhension : pour qui et dans quelle intention ces Dialogues ont-ils été écrits ? Quel effet rhétorique l’auteur visait-il sur son lecteur ? Quel bénéfice en escomptait-il ? À quelles fins tendre au roi le miroir de sa propre folie ? Quel intérêt supérieur justifierait de prendre le risque (supposé) de l’irrévérence ? La lecture qui a été faite de certaines miniatures reconduit l’interprétation de Crapelet. Les images des folios 5 (fig. 2) et 19, scènes liminaires des parties 1 et 2, représentent dans la chambre du roi Charles VI sur son lit, Pierre Salmon à son chevet, un groupe de trois personnes sur le côté [14]. Le roi sur son lit apparaîtrait « malade et faible » : ce sont les trois personnages qui auraient pris le pouvoir [15]. Cette même image serait « infused with the material of the king’s complainte and alludes to his mental and physical weakness [16] ». Et encore « Le programme iconographique conçu par Salmon souligne l’état de faiblesse du roi allongé sur son lit dans l’attitude codée du malade ou du mélancolique [17]. » Une telle lecture vient confirmer le présupposé qui sous-tendait l’étonnement de Crapelet en ignorant en Charles VI, objet de la représentation du texte, qu’il est aussi le sujet de sa réception.
14 C’est à la correction de cette image que je voudrais me consacrer. Il ne s’agit pas pour moi de contester bien entendu la réalité de la folie du roi, mais d’interroger l’utilisation herméneutique qui a pu en être faite depuis Crapelet, et de préciser la fonction proprement rhétorique qu’elle assume dans l’économie générale des Dialogues. On ré-ouvrira l’étonnement de Crapelet, mais pour en garder le geste suspensif et heuristique et déjouer le scénario « pipé » qui le verrouillait. On préfèrera à l’alibi historiographique de la folie royale (alibi, c’est-à-dire hors du jeu rhétorique), le récit que Salmon lui-même nous livre dans la troisième partie sur les circonstances et enjeux de l’écriture et de la remise de son manuscrit. Il apparaîtra alors que l’hypothèse de l’impertinence du conseiller est sans fondement narratif et que, si écart de parole il y a, cet écart doit être interrogé dans les termes d’un jeu de positionnement rhétorique, propre au discours politique, qui au lieu de confondre les interlocuteurs assigne à chacun sa place, au conseiller comme au prince. Le portrait de Charles VI en Nabuchodonosor, ainsi que la miniature qui paraîtrait devoir le confirmer, sont partie prenante du dispositif rhétorique qui sous-tend le livre dans son ensemble. Pour cela, il faut en revenir à la structure du texte et à celle du manuscrit.
Structure des Dialogues
15 La longue dédicace au roi [18] ancre la parole de Salmon dans le modèle vétérotestamentaire, comme le montre le phylactère déroulé sur la miniature liminaire (fig. 1) : Vicera tua replebuntur volumine isto – « Ce livre (ce rouleau) emplira tes entrailles [19]. » Sous le cadre de la miniature, le texte s’ouvre sur les premiers versets du psaume 44 : Eructavit cor meum verbum bonum. Dico ego opera mea regi, que Salmon traduit en droit françois selon la lettre seulement : mon cuer a mis hors et proferé par ma bouche bonne parole. Je dy mes euvres au roy. La rhétorique démonstrative du prologue vouée à l’éloge du prince fait du roi le représentant du Roy des Roys sur terre :
Entre nous representez la personne du grant roy celestre duquel David le roy parloit ci-dessus [20] .
17 Salomon est le type vétérotestamentaire de la sagesse royale appelée à s’incarner en Charles VI [21] :
Et en especial que de vous, tresredoubté sire, il puist estre dit ce qui fu dit du roy Salemon quant il fu couronné roy en Jherusalem, et que le pueple d’Israel par fine joye & leesce de cuer cria a haulte voix vers nostre Seigneur en disant : « Vivat, vivat rex in eternum », qui est a dire : « Vive, vive le roy pardurablement. » Qui est a entendre bien vivre & regner en ce monde cy en maniere que la joye pardurable y soit acquise, laquelle a vous, a toute vostre noble generacion, a tous autres de vostre noble sang et a tous bons et vrais catholiques le Roy des Roys, par qui tous roys regnent, vueille donner et ottroier pardurablement [22] .
19 En contrepartie, cette rhétorique de l’éloge campe comme il se doit l’écrivain dans une posture d’hommage et d’humilité :
Toutesvoies, hault et excellent prince, je me passe bien legierement de moy nommer par nom et surnom en ce present prologue, pource que je ne suis pas clerc auctorisez ainçoiz suis simple et homme de rude engin et petit entendement, par quoy par aventure aucuns ne priseroient pas tant le dit livre ne ne le daigneroient visiter ne estudier [23] .
21 La première partie [24] débute sur une « confession [25] » de Charles VI à Salmon, son amé et feal secrétaire :
Nous n’avons pas eu vraie congnoissance de nous ne de la tresgrant grace & gloire que Dieu nous a donné pour les vanitez mondaines en quoy nous avons pris singuliere plaisance, et tant que nous avons esté tout aveuglé en cuer et en pensees, si comme nous le veons et appercevons bien par ce que nous avons ignoré la propre signifiance de nostre nom et tiltre, par lequel nom et tiltre nous sommes nommez Charles roy de France, par la grace de Dieu. Et par ce nom furent nommez pluseurs nos predecesseurs, dont a present est grant memoire & sera tousjours par les merites & vertus dont ilz estoient aornez. Et a parler proprement, nous n’avons pas bien entendu ne demonstré par nostre gouvernement la propre signifiance du nom par lequel nous sommes nommez roy [26] .
23 Ce morceau d’« autocritique » royale débouche sur la première demande faite par le roi à Salmon :
Et pource, nostre amé et feal, que nous avons parfaicte fiance en vostre prudence, nous vous requerons sur la loyaulté que avez a nous que vous vueilliez dire a vostre advis quelz meurs et condicions doit avoir le roy pour estre beneuré a Dieu et au monde, et de quelz gens il doit estre acompaignié et servi [27] .
25 La réponse de Salmon consiste tout d’abord en une exposition des trois vertus propres au souverain :
Tresexcellent prince, le roy qui vuelt bien vivre et regner comme roy doit estre aornez de bonnes meurs et condicions, lesquelles vertus en doit avoir trois principaulx. La premiere est Dieu doubter et amer parfaitement. La seconde est congnoistre & honourer l’estat de la dignité royal. La tierce est faire equité & bien garder justice en son royaume [28] .
27 Cette première demande du roi est suivie d’un second développement consacré aux consideracions, meurs et condicions que doit avoir le roy. Au passage, Salmon s’attache à produire une figure du bon conseiller qui corresponde à ce que son récit autobiographique s’attachera à démontrer : à savoir qu’il faut croire un conseiller dont les bonnes paroles s’accordent aux bonnes œuvres [29].
28 Quatre miniatures illustrent ce premier volet du miroir du prince : la première, comme on l’a dit, montre le roi couché sur son lit devisant avec Salmon (fig. 2) ; les suivantes [30] précèdent l’exposé de chacune des trois vertus royales et reproduisent un dispositif scénographique identique, le dais d’azur semé de fleurs de lys sous lequel sont figurés David (reconnaissable à sa lyre) et Salomon (1re vertu [31]), Salomon et ses successeurs (3e vertu [32]), et Charles VI en majesté, identifiable à ses couleurs héraldiques et aux branches de mai (de hêtre) sur le dais (2e vertu [33]).
29 La seconde partie [34] est entièrement dialogique. Elle se donne comme un échange entre le roi et son disciple concernant divers points de théologie, échange dont le roi a l’initiative, comme le montre l’amorce du dialogue :
Mon feal et amé disciple, je te demande quelle chose est Dieu en sa droite et propre essence, combien que quant a sa puissance et deité nous devons tous savoir et fermement croire qu’il est par tout [35] .
31 Le roi questionne ensuite Salmon sur la création, les hiérarchies des anges, la nature de l’homme, la justification du mal et des méchants, l’eucharistie, le purgatoire, l’enfer et le paradis, l’antéchrist, la résurrection de l’âme et du corps [36]. Il mène l’échange, oriente les questions, change de sujet [37]. Les répliques s’enchaînent rapidement, balisées par un système rigoureux de rubriques, mais Salmon développe bien plus longuement deux de ses réponses : une première fois au sujet des neuf principales peines de l’Enfer [38], une seconde à la fin du dialogue lorsque, rappelant les souverains à leurs devoirs, il loue les figures mémorables et exemplaires de Charlemagne et saint Louis [39]. Il rappelle le roi à son devoir d’humilité : vous n’estes que une personne, ne que une autre a devenir terre et cendre comme les autres [40]. Une seule miniature pour ce second volet du texte : la miniature liminaire [41] reproduisant à quelques nuances près celle du folio 5r.
32 Le récit des lamentations de Pierre Salmon [42], enfin, troisième volet du triptyque, abondamment illustré (vingt-sept miniatures), couvre deux phases de la vie du conseiller. Salmon y proteste de ses bons et loyaux services et vise, contre les accusations calomnieuses, à incarner le bon conseiller dont il définit le modèle dans la seconde partie de son miroir du prince. Chacune des deux périodes de son autobiographie (1396–1399 et 1407–1409) est caractérisée par une expérience carcérale (un premier emprisonnement consécutif à une accusation de vol, un second lors de la seconde soustraction d’obédience) et par la rencontre d’un personnage intriguant aux allures de prophète, moine blanc (chartreux) qui alerte par trois fois Salmon du danger qui se trame contre Charles VI. Les deux premières rencontres ont lieu en 1399, tout d’abord à Hal puis quelques semaines plus tard à Utrecht, la troisième et ultime entrevue la veille de la Toussaint 1408. Le récit paraît s’achever sous d’heureux auspices : Salmon se rend auprès d’Alexandre V, nouvellement élu au concile de Pise (mai–août 1409), puis sollicite Jean sans Peur afin de faire venir auprès de Charles VI le médecin personnel du pape, présenté comme l’homme providentiel susceptible d’obtenir sa guérison.
33 Ce texte hétérogène, à la fois miroir du prince, recueil épistolaire, autobiographie apologétique, produit ainsi des représentations multiples du souverain et de son conseiller – un prince alité mais trônant ailleurs en majesté ou recevant l’hommage de son sujet ; un prince-Salomon mais aussi un prince-Nabuchodonosor ; un conseiller incarcéré, déchu et poursuivi par l’Envie, mais aussi un conseiller-Prophète finalement rétabli dans sa dignité – dont il s’agit de savoir si elles s’opposent et se contredisent, ou si au contraire elles s’articulent, et selon quelle modalité.
34 L’aspect disparate du texte se confirme lorsque l’on considère la matérialité même du livre : la collation du manuscrit montre que les trois parties ont été rédigées séparément, sur des cahiers indépendants les uns des autres, avant d’être ensuite rassemblées dans la reliure [43]. La numérotation originale n’incluait pas la partie centrale, soit qu’il s’agisse d’une erreur de numérotation, soit qu’elle n’ait été conçue qu’après. Pourtant, ces éléments de disjonction et de fragmentation sont compensés dans le texte et l’image par des éléments d’homogénéisation et d’articulation. L’ouvrage, à l’évidence, est écrit d’une seule main. Mais surtout, c’est toute l’unité thématique et narrative du livre qu’il faut reconsidérer à la lumière des échos textuels que l’on observe d’une partie à l’autre, du récit autobiographique au miroir du prince, parmi lesquels la comparaison suspecte à Nabuchodonosor assume, nous y revenons, une place stratégique. L’assemblage apparemment hétérogène de pièces disparates est en réalité traversé par un mouvement discursif qui met en perspective le miroir du prince des deux premières parties dans le récit autobiographique de la troisième.
Des lamentations au miroir du prince
35 Revenons à la lettre de Salmon à Charles VI, datée du 16 février 1409, qui suscita l’incompréhension, en partie jouée, de Crapelet. Cette épître reprend les termes mêmes de l’entretien que Salmon, pour la troisième et dernière fois, eut avec le moine blanc quelques mois plus tôt, la veille de la Toussaint 1408, en Avignon :
Quant le moine ot finee sa raison, je lui dis la cause qui m’avoit meu a aler devers lui, lequel aprez ce qu’il ot escouté ce que je lui volz dire, me respondy pluseurs paroles entre lesquelles dist : « Mon amy, tu iras devers le roy ton seigneur qui bien brief sera mis hors de sa cité [44] , et lui diras ce que tu as veu et les paroles que je t’ay dictes. Et s’il te vuelt croire et faire ce que tu lui diras par l’advis que Dieu te donra, je te certiffie que ainsy lui prendra des affaires de sa personne et de son royaume comme il fist au roy Pharaon par l’advis que Joseph lui donna et comme il fist au roy Ezechias par l’advis que lui donna Ysaye. Et se le roy ton seigneur differe ce que tu lui diras, comme Nabugodonozor differa l’advis que Daniel lui donna et comme le duc d’Orleans differa oyr ta parole, il verra ains qu’il passe long temps ce qu’il ne vouldroit pas veoir [45]. »
37 On retrouve en effet dans le discours du moine et dans la lettre du 16 février 1409 à Charles VI les mêmes références à Pharaon, Ézéchias, Nabuchodonosor, ainsi que l’évocation du destin funeste de Louis d’Orléans. L’épître s’inscrit dans le récit autobiographique d’une révélation, révélation d’une vocation de conseiller : Salmon est comme élu par le moine blanc pour relayer sa parole prophétique auprès de Charles VI. Mais elle constitue tout aussi bien un miroir du prince en miniature, matrice des deux premières parties du livre. La triade des figures vétérotestamentaires du roi est en effet convoquée dès la seconde partie. Tout d’abord Pharaon et Nabuchodonosor :
Car c’est une des belles graces que Dieu puist donner a une personne en ce monde, et par especial a un prince, que d’avoir congnoissance de soy mesmes comme assez l’avez peu et povez encore congnoistre et entendre par les histoires et exemples que desja vous ay exposees, et exposeray cy aprez, des merveilleuses aventures & sentences divines ja avenues et executees sur aucuns princes et pueples du Vielz & Nouvel Testament, qui par la descongnoissance qu’ilz ont eue d’eulx mesmes ont descongneu leur createur et trespassez ses commandemens, comme fist le roy Pharaon qui contre le commandement de Dieu tint par son orgueil le pueple d’Ysrael en servage jusques a ce que la mer par le commandement de Dieu se ouvry pour delivrer son pueple du servage et engloutir Pharaon et toute sa sequelle. Et samblablement de Nabugodonosor qui par son orgueil et par descongnoissance de son createur fu privé de son royaume et mué en beste paissant herbe avecques les bestes mues jusques a ce qu’il eut contricion et vraie congnoissance de lui comme la Bible le recite [46].
39 Puis Ézéchias :
Tout ainsy et plus encore essauce il [Dieu] les bons, les humbles et les debonnaires. Et qu’il soit vray, par l’istoire de Ezechias, le roy de Jherusalem et de Judee le povez savoir, lequel par la voulenté de Dieu fu malade jusques a la mort pour ce qu’il s’estoit descongneu et n’avoit pas deuement remercié son createur par quel grace il estoit eslevé en dignité royal et par quel grace il avoit esté eslevé sur ses ennemis, lequel aprez ce que Dieu lui eut fait savoir par le prophete Ysaye qu’il mourroit et ne vivroit plus, commença a plourer et a requerir grace a Dieu, et par la grant contricion qu’il eut Dieu le receut a mercy, le garda de mort, le guerit de sa maladie et lui alongna la vie de xv. ans avecques pluseurs autres graces qu’il lui fist, ainsy que la Bible le recite ou xv.e chappitre du . IIII.e livre des Roys [47] .
41 La partie 2 développe de fait la substance contenue dans la lettre, lettre qui lui est chronologiquement antérieure bien qu’elle apparaisse après dans l’ordre du manuscrit. Cette identité de substance ou de matiere est revendiquée par l’auteur lui-même, mais a posteriori, dans la seconde rédaction des Dialogues :
Mais pour ce que les matieres contenues en ceste presente euvre es deux parties precedentes deppendent aucunement en substance du contenu d’aucunes epistres que ja pieça, avant que de vostre commandement et ordonnance commençasse ladicte euvre, vous ay humblement par fois escriptes moy estant hors de vostre royaume et dedens aussy, comment que a moy ne appartiengne de escrire a si hault & excellent prince mais le vous dire et humblement signifier de bouche les genoulx flexis devant les piés de vostre haulte magesté royal […]. Pourquoy moy mesmes estant prez de vous personnellement aucuneffois vous ay tousjours voulu ainsy baillier et presenter par escript ce que je vous eusse plus voulentiers dit et exposé de bouche s’il vous eust pleu et vous eussiez eu l’espasse et le loisir de l’avoir oy et entendu. Lesquelles ce nonobstant de rechief et de nouvel je les vous baille ainsy et presente escriptes toutes ensamble, l’une aprez l’autre par ordre, ainsy comme je les vous ay escriptes ou temps passé qui font la tierce partie de ce present livre [48].
43 On saisit là, rétrospectivement, le cheminement qui a été celui de l’auteur, depuis l’écriture des épîtres consignées dans le récit autobiographique jusqu’à la composition du miroir du prince. Salmon ne fait pas seulement état d’une « dépendance » de substance entre les épîtres et les deux premières parties, entre l’autobiographie et le miroir du prince : il les relie également dans le fil d’une continuité narrative qui rend compte de la gestation de l’œuvre. Dans l’ordre narratif, chronologique et inverse de l’ordre manuscrit, le miroir du prince vient après l’épître et le récit autobiographique : il en est l’accomplissement. Le miroir du prince n’est pas dissociable de l’autobiographie : il est à lire dans l’épaisseur narrative et temporelle d’un récit de vie. La distance qui sépare longtemps Salmon de Charles VI suscite faute de mieux l’écriture épistolaire, mais ce que Salmon a écrit jadis il l’eût plus voulentiers dit et exposé de bouche, en se présentant les genoulx flexis devant les piés de [sa] haulte magesté royal. Salmon oppose l’écriture (épistolaire) à la voix (disons plutôt à une écriture qui se donne comme la présence d’une voix au sein d’un dialogue), et fonde comme horizon de réception du texte, contre la distance épistolaire, la co-présence retrouvée du prince trônant en sa haulte magesté royal et de son conseiller, les genoulx flexis, dans une scénographie qui n’est autre que celle de la scène de dédicace.
44 L’image de dédicace, qui introduit à la fois le prologue et la lamentacion autobiographique [49], est ainsi investie d’une dimension temporelle et narrative. Elle marque le terme, longtemps retardé, d’une longue quête entreprise par Pierre Salmon, motivée par un double enjeu : d’une part œuvrer par son bon conseil au salut du royaume et du prince, d’autre part gagner en retour la protection royale contre les menaces persistantes des médisants. L’image de dédicace n’ouvre pas seulement l’espace du livre, elle conclut un récit. Salmon, libéré de prison, est resté la proie des envieux qui le poursuivent, dit-il, jusqu’en Avignon [50] ; enfin, il parvient à Paris auprès du roi, fléchit les genoux, lui tend le livre. L’impertinence que Crapelet croyait reconnaître chez Salmon postule de fait un récit impossible : on n’aspire pas à se prosterner les genoulx flexis devant les piés de la magesté royal dont on sollicite la protection pour lui signifier, au risque d’être congédié, qu’elle n’est qu’une bête bonne à brouter les herbes avecques les autres bestes mues [51].
45 Contre l’apparente disjonction thématique de ses parties, l’unité du texte se fonde principalement sur ce que Paul Ricœur nomme l’identité narrative vers laquelle convergent et en laquelle se subsument les multiples figures du conseiller et du prince. La conjonction au sein du manuscrit de l’autobiographie et du miroir du prince vise précisément à ne pas faire oublier, dans la figure du conseiller-prophète émule de David, celle de l’homme de cour en proie aux intrigues, à peine réchappé de prison, qui doit son salut à la protection royale ; pas plus que l’image du roi alité de la seconde partie ne fera oublier celle du roi en majesté célébrée dans la première, dans la dédicace et dans le recueil épistolaire. Son apparente faiblesse ne vient pas contredire sa majesté, pas plus que la réalité (de la folie de Charles VI) n’est exclusive de l’idéal (de dignitas royale) que le texte lui propose en miroir.
46 Cette continuité narrative entre différentes figures d’une même persona, personne royale et persona d’auteur, permet tout un jeu de positionnements discursifs parfaitement réglé, en vertu duquel le prince n’abandonne jamais la place souveraine qui est la sienne, pas plus que le conseiller n’outrepasse le statut qui lui est assigné. L’impertinence – cet « écart de ton » – que croit entendre Crapelet n’est recevable qu’à être affectée d’une valeur tactique dans l’ordre du discours politique, conforme à une double convenance du discours in re et in personis, dont relève le portrait du roi en Nabuchodonosor.
Topique : le bon roi Nabuchodonosor
47 Lorsque, dans son épître et son miroir du prince, Salmon compare Charles VI à Nabuchodonosor ou Ézéchias, il recourt à la figure de l’allegacion, souveraine couleur et droit parement de toute rethorique selon Jacques Legrand dans l’Archiloge Sophie [52]. L’allegacion, écrit Legrand, n’est autre chose nemais a son propos aucunes hystoires ou aucunes fictions alleguier ou appliquier. Voici comment procéder :
Tu dois, continue Legrand, considerer le propos du quel tu parles, et selon le propos tu regarderas les branches des figures qui s’ensuivent et prenras les hystoires appartenantes a ton propos, des quelles pareras ton langage [53].
49 Qui veut parler d’orgueil doit regarder les branches des arbres qui s’ensuivent et se reporter à la branche contenant orgueil ou qui contiengne humilité : car en louant humilité [on] despris[e] orgueil [54]. À titre d’exemple, Legrand allègue l’ange déchu mais également Nabuchodonosor qui par sa presompcion de son royaume fut desmis et en beste muéz. La figure du roi babylonien est répertoriée plus loin sous les rubriques Ydolatrie [55] et Orgueil [56]. L’orgueil de Nabuchodonosor est proverbial, en témoigne cet exemple de persuasion fondee en comparoison : ta presompcion surmonte l’orgueil Nabugodonosor [57]. On le retrouve dans toute la littérature politique et morale médiévale, entre autres chez Brunet Latin [58], Christine de Pizan [59] ou Martin le Franc [60].
50 La construction en arbre oppose et relie à la fois les figures du vice et de la vertu. Nabuchodonosor est la figure exemplaire de l’Orgueilleux, opposée aux figures de l’Humilité. Mais la relation entre les deux termes est également susceptible d’une lecture narrative : le passage de l’un à l’autre, en l’occurrence de l’Orgueil à l’Humilité, peut se faire non seulement sur un mode logico-déductif (c’est le sens du conseil donné par Legrand à son lecteur), mais également sur le mode narratif de la conversion. De fait, Nabuchodonosor incarne tout aussi bien l’orgueil qu’une humilité retrouvée par la grâce d’une humiliation divine. Ainsi lorsque Froissart, dans ses Chroniques, raconte la scène originelle de la folie de Charles VI, un jour d’août 1392, dans la forêt du Mans :
[Les seigneurs de l’armée royale] devisoient et parloient les uns aux autres ; et ne se donnoient garde de ce qui soudainement avint, et sur le plus grand chef de la compagnie : ce fut sur le propre corps du roi. Et pour ce sont les œuvres de Dieu moult manifestées et ses verges crueuses, et sont à douter à toutes créatures. Et on a vu en l’Ancien Testament et Nouvel moult de figures et d’exemples. N’avons-nous pas de Nabuchodonosor, roi des Assyriens, lequel régna un temps en telle puissance que dessus lui il n’étoit nouvelle de nul autre ; et soudainement, en sa greigneur force et règne, le souverain roi, Dieu, sire du ciel et de la terre, et formeur et ordonneur de toutes choses, l’appareilla tel que il perdit sens et règne, et fut sept ans en cel état, et vivoit de glands et de pommes sauvages, et avoit le goût et l’appétit d’un pourcel ; et quand il eut fait pénitence, Dieu lui rendit sa mémoire, et adonc dit-il à Daniel le prophète que dessus le Dieu de Israël il n’étoit nul autre Dieu [61].
52 C’est en réalité dans le mouvement narratif et dialectique d’un châtiment et d’une rédemption divins que doit se lire l’exemplum de Nabuchodonosor. La fiction alléguée par Froissart et Salmon comporte deux temps : le temps du mutisme et de la folie sanctionnant l’orgueil du roi, et le temps de la guérison et de la rédemption gagnées à la faveur de la contrition [62]. C’est à cet effet qu’est reconduite l’allegacion dans la seconde partie, lorsque Salmon plaide la nécessité d’une vraie congnoissance de soy mesmes [63]. C’est par la contrition et la vraie connaissance de soi que le roi gagne le pardon de Dieu et qu’il est rendu au royaume dont il assure le salut. La première partie des Demandes est un acte de contrition du prince :
Si voulons treshumblement nous disposer pour lui requerir grace car nous savons certainement que nous ne pouons estre relevé des tribulacions en quoy nous sommes cheuz, se ce n’est par sa grace et misericorde. Et pource nous receverons de bon cuer sa discipline en lui disant les paroles que lui disoit le bon roy David en son psaultier : « Ad te levavi oculos meos » […] [64].
54 De même que Nabuchodonosor, Charles VI leva la face et les yeux devers le ciel [65]. La figure d’Ézéchias alléguée en parallèle à celle de Nabuchodonosor fonctionne selon la même dialectique narrative de la maladie et de la guérison, du péché et de la conversion. Atteint d’une maladie mortelle, Ézéchias prie le Seigneur, le Seigneur entend sa prière, voit ses larmes : il sera sauvé, par l’intercession d’Isaïe [66]. Modèle de contrition pour le roi :
Tresnoble & trespuissant prince, vueilliez aussy avoir le regart et la contricion telle que ot le roy Ezechias quant Ysaye lui vint denoncier que la fin de ses jours estoit venue et ne vivroit plus et qu’il pourveist de sa maison lequel pour trois causes devoit mourir. […] Et par l’admonnestement d’Ysaye et l’advis qu’il lui donna, il se disposa a Dieu prier. Et par la grant contriction [sic] qu’il eut, Dieu receut sa priere et le garda de mort, le guerit de sa maladie et lui alongna sa vie de xv ans avecques les autres graces qu’il lui fist, ainsy que veoir le pourrez ou XXe chappitre du IIIIe livre des Roys. Tresrenommé prince, je vous supplie que les histoires dessuz dictes avecques ce qui cy aprez est escript vous vueilliez bien noter en vostre cuer et retenir en vostre memoire [67].
56 Nabuchodonosor, Ézéchias, Pharaon même sont des figures de l’orgueil finalement humilié, ainsi que de la perte du pouvoir temporel et de sa restitution. La comparaison entre Charles VI et Nabuchodonosor articule le constat d’une « faiblesse » présente (elle-même inscrite dans une topique) à la nécessité et la perspective d’un agir politique. La conversion royale appelée par Salmon opère dès les deux premières parties du texte, dans l’acte de contrition auquel se livre Charles VI. La guérison finale forme l’horizon de la troisième partie [68].
57 En s’avouant dans l’acte de contrition, la « faiblesse » du roi se renverse en vertu : connaissance de soi et humiliation devant Dieu. Cette vertu d’humilité rend le prince à même d’entendre une vérité dévoilée sans fards par le bon conseiller. Gerson (et Salmon après lui) oppose ainsi le bon conseiller au type du « flatteur mensonger » (qui compte Nabuchodonosor parmi ses victimes consentantes) :
Qui deceut Adam et Eve et les mua de immortalité en mortalité, de tous biens en tous maulz ? Flatterie de l’ennemy, qui leur promettoit estre comme Dieu. Et ne fist pas flatterie entendant a Nabugodonosor, Alixandre et Cosdroe et aultrez qu’ilz estoient Dieu ? O quelle erreur et souveraine folie : c’estoit Dieu en songe ou en personnaige ou en fantaisie et enchanterie [69] .
59 La rhétorique spécieuse du mauvais conseiller se nourrit de l’orgueil royal et le nourrit en retour ; inversement, la rhétorique parfois abrupte du bon conseiller présuppose l’humilité du prince. Il est, à la cour, deux usages du miroir : le flatteur en use pour singer le prince (c’est l’ymage du mirouer qui rit quant on rit et qui pleure quant on pleure, selon Gerson [70]) ; le bon conseiller renvoie au roi l’image de ce à quoi il doit se conformer : ceux qui escrisent au roy lui monstrent quel il doit estre, nous dit Salmon [71].
60 Que nous montre, en fin de compte, l’image du roi sur son lit (fig. 2) ? Un portrait de roi en Nabuchodonosor ou en Ézéchias, c’est-à-dire renouant avec les rois des temps bibliques sur la voie de la guérison, de la rédemption morale et de la réformation politique. On peut certes noter ce qui rapproche cette représentation de l’iconographie traditionnelle du mélancolique – la main à la joue, la position couchée n’étant pas déterminante. Mais on ne peut occulter ce qui l’en distingue : le geste de l’index, confirmé par les mains ostensiblement croisées de Salmon qui écoute agenouillé, montre que le roi a pris la parole ; figure bien singulière que celle d’un mélancolique qui raisonne et discourt… Image paradoxale, dans le sens où elle conjoint des réalités contradictoires (mélancolie vs raison) et appelle une résolution dialectique de ces contradictions [72]. Ce n’est pas que la figure du roi alité doive se lire dans le mouvement dialectique d’une « dignité retrouvée » : ce serait accorder trop de crédit à la « faiblesse » supposée du roi. Disons plutôt que cette dignité, au sein des Dialogues, le roi ne l’a jamais perdue [73], et que la figure du souverain alité, au lieu de la contredire, procède de sa dignité même, célébrée dans la scène de dédicace et dans son portrait en majesté.
Conclusion
61 L’image du roi « alité » ne peut faire l’objet d’une lecture « par morceaux » : elle s’inscrit dans une syntaxe narrative et discursive, elle relève d’un dispositif rhétorique dont seule permet de rendre compte une approche rhétorique élargie, pragmatique, du texte manuscrit envisagé dans l’espace intersubjectif de son énonciation. On aura ainsi, espérons-le, répondu à l’étonnement de Crapelet en en proposant une résolution d’ordre à la fois narratif et rhétorique. Au récit impossible et impensable, à l’adynaton qui suscitait l’incompréhension de Crapelet (comment un conseiller peut-il être assez téméraire pour traiter ainsi le roi de fou ?), et au présupposé historiographique qui le fondait (cette bizarrerie ne peut s’expliquer que par la folie de Charles VI), on aura substitué une cohérence narrative commandée par la structure même du livre et du récit : le miroir du prince est ancré dans le récit autobiographique d’une quête de la protection royale, ce qui invalide (comme incohérente) l’hypothèse de l’impertinence de Salmon envers son roi et écarte (comme non nécessaire au dispositif rhétorique) celle de la folie royale comme « clé » herméneutique du texte. L’écart de langage supposé du conseiller se déplace dès lors (c’est le deuxième mouvement de notre résolution) du champ de l’étiquette vers celui de l’éthique, au sens rhétorique ; la comparaison suspecte aux yeux de Crapelet prend place dans une topique de la rhétorique délibérative qui présuppose l’humilité et la sagesse du prince ; la faiblesse supposée du prince s’inverse en une royale humilité participant d’une dynamique de la conversion morale et de la réformation politique. Enfin, on aura peut-être au passage réaffirmé une évidence : l’énoncé du texte, son intention, autrement dit « ce vers quoi il tend » (en l’occurrence une entreprise de réformation politique dont le zélateur se verrait à ce titre gratifié de la protection royale), ne saurait être rabattu sur le contexte historique de son énonciation, c’est-à-dire ce à quoi « on (le récit historiographique) le ramène », en l’occurrence la folie du roi.
Notes
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[*]
AUTEUR : Philippe MAUPEU, Université de Toulouse – Le Mirail, maupeu.ph@ orange.fr.
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[1]
PIERRE LE FRUITIER, dit SALMON, Les demandes faites par le roi Charles VI touchant son état et le gouvernement de sa personne, avec les réponses de Pierre Salmon, son secrétaire et son familier, éd. G. A. CRAPELET, Paris, 1833. Sauf mention contraire, je cite le texte d’après les manuscrits de PARIS, Bibliothèque nationale de France (= BnF), mss fr. 23279 (1re rédaction) et 9610 (2e rédaction), en choisissant pour des raisons de lisibilité une ponctuation et une segmentation des mots modernes.
-
[2]
Pour un rappel biographique, cf. B. GUENÉE, Un meurtre, une société. L’assassinat du duc d’Orléans, 23 novembre 1407, Paris, 1992, p. 210–216. Le présent article est le second volet d’un diptyque consacré au couple Salmon / Charles VI, dont le premier est le suivant : P. MAUPEU, Salmon le fou, Salmon le sage. Portrait de l’auteur en conseiller du Prince, L’autoportrait dans la littérature du Moyen Âge au XVIIe siècle. Actes du colloque tenu à l’Université de Nantes (5–6 février 2009), dir. É. GAUCHER et J. GARAPON, à paraître.
-
[3]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 1v. Cf. fig. 1. Ouvrage à double point de fuite, donc, dans lequel l’équilibriste Salmon s’efforce de tenir à Charles VI un discours auquel souscrive Jean sans Peur. L’orientation partisane, pro-bourguignonne du texte fut établie dès le XIXe siècle par M. Levesque et G.A. Crapelet (M. LEVESQUE, Notice du livre de Pierre Salmon, JEAN FROISSART, Chroniques. t. 15, Suppléments de Froissart, éd. J.A. C. BUCHON, Paris, 1826, p. I–XXIX ; PIERRE SALMON, Demandes faites par le roi Charles VI, passim). Elle détermine selon B. Roux la lecture du programme iconographique (B. ROUX, Les Dialogues de Salmon et Charles VI. Images du pouvoir et enjeux politiques, Genève, 1998).
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[4]
Ibid., p. 26–31. « Il est possible, écrit B. Roux, qu’une des deux versions […] ait été offerte à un autre personnage que le roi », sans que l’on puisse pour autant en être assuré (Ibid., p. 29–30). Il me paraît en revanche certain que les Dialogues ont été écrits dans l’intention d’être présentés au roi : c’est sur cette intention que se fonde mon analyse.
-
[5]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 1r ; je souligne.
-
[6]
A. RIGAUDIÈRE, Le bon prince dans l’œuvre de Pierre Salmon, Penser le pouvoir au Moyen Âge (VIIIe–XVe siècle). Études d’histoire et de littérature offertes à Françoise Autrand, dir. D. BOUTET et J. VERGER, Paris, 2000, p. 365–384, ne retient pour son analyse que la première partie du texte, consacrée aux « trois vertus cardinales » du bon prince.
-
[7]
GUENÉE, op. cit., p. 222.
-
[8]
PIERRE SALMON, Lettre à Charles VI, Avignon, 16 février 1409, PARIS, BnF, ms. fr. 23279, ff. 93v–94r. Je souligne.
-
[9]
PIERRE SALMON, Demandes faites par le roi Charles VI, p. 115 n.
-
[10]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, ff. 108–109.
-
[11]
Ibid.
-
[12]
In omnibusque rebus videndum est quatenus (« Et dans toutes les choses il faut voir le “jusqu’où” »). CICÉRON, Orator, éd. et trad. A. LYON, Paris, 1964, p. 26.
-
[13]
Non enim omnis fortuna, non omnis honos, non omnis auctoritas, non omnis aetas, nec vero locus aut tempus aut auditor omnis eodem aut verborum genere tractandus est aut sententiarum, semperque in omni parte orationis ut vitae quid deceat est considerandum ; quod et in re, de qua agitur, positum est, et in personis et eorum qui dicunt et eorum qui audiunt (Ibid., p. 25). Dans la traduction proposée, la relation logique de disjonction (« d’autre part ») me paraît quelque peu forcer le texte.
-
[14]
Sur l’identité de ces trois personnages, les interprétations des historiens de l’art divergent. Cf. les notices 51 et 52 d’I. VILLELA-PETIT dans Paris 1400. Les arts sous Charles VI. Catalogue de l’exposition présentée au Musée du Louvre (22 mars–12 juillet 2004), dir. É. TABURET-DELAHAYE, Paris, 2004, p. 120, 122–123.
-
[15]
ROUX, op. cit., p. 62, 79 ; Ibid., p. 27, où il est question à la fois de l’« insolence du clerc à l’égard du roi » et de son « habileté à jouer avec les Écritures ». Pour RIGAUDIÈRE, op. cit., p. 367, l’« aveu de faiblesse » du roi autorise le conseiller à se comporter « non point en simple conseiller, mais en véritable donneur de leçon ».
-
[16]
A. HEDEMAN, Of Counselors of Kings : the Three Versions of Pierre Salmon’s Dialogue, Urbana–Chicago, 2001, p. 15.
-
[17]
VILLELA-PETIT, op. cit., p. 122.
-
[18]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, ff. 1r–4v.
-
[19]
Ez 3, 3.
-
[20]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 3r.
-
[21]
J. KRYNEN, L’empire du roi. Idées et croyances politiques en France. XIIIe–XVe siècle, Paris, 1993, p. 208, rappelle que la prière de Salomon dans Sg 9, 1–18, était récitée par le roi la veille de son sacre. Salmon en recommande la méditation à Charles VI : Il est neccessité pour la salvacion de vous et de vostre royaume que vous vous disposez de cuer, de corps, de voulenté et de pensee a Dieu amer, doubter et servir en lui requerant de cuer contrit sa grace et misericorde et lui faire tele priere et requeste que lui fist le roy Salemon quant il lui ottroia le don de grace et de sapience (PARIS, BnF, ms. fr. 23279, ff. 84v–85r).
-
[22]
Ibid., fol. 4v.
-
[23]
Ibid., fol. 2v.
-
[24]
Ibid., ff. 5r–52r.
-
[25]
« Une émouvante confession » du souverain, selon RIGAUDIÈRE, op. cit., p. 368 et KRYNEN, op. cit., p. 204.
-
[26]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 6r–v.
-
[27]
Ibid., fol. 6v.
-
[28]
Ibid., fol. 8r.
-
[29]
Le roy ne doit pas adjouster foy a un homme qui se vante d’estre saige et ses euvres ne sont pas bonnes, car maintes paroles sont vaines & frustatoires et les euvres demonstrent ce que les gens scevent faire (Ibid., fol. 16r).
-
[30]
Ibid., ff. 8r, 9r, 13r.
-
[31]
Ibid., fol. 8r.
-
[32]
Ibid., fol. 13r.
-
[33]
Ibid., fol. 9r. Pour une analyse détaillée de ces images, cf. HEDEMAN, op. cit., p. 11–12 ; ROUX, op. cit., p. 55–59. L’exposé de la seconde vertu donne lieu à une description des regalia, représentés sur la miniature : le roi doit être revêtu des vestemens royaulx de couleur de pourpre ou d’autre couleur royale, et doit avoir la couronne en son chief et tenir en sa main destre le sceptre royal et en la senestre une pomme ou samblance ronde (PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 9v).
-
[34]
Ibid., ff. 19r–52r.
-
[35]
Ibid., fol. 19v.
-
[36]
À ce propos, le roi peut être d’une subtilité parfois désarmante dans ses raisonnements : Encore fays je une autre question, assavoir mon se un enfant ou un homme qui aura este mengié d’un lyon en tant que la char de l’enfant ou de l’homme sera convertie en la char du lyon, ou encore plus fort, un lyon mangera un loup qui aura mengié une personne, ceste gens ycy sont ilz a ressusciter comme les autres ? – Oyl, répond Salmon (Ibid., fol. 42r–v).
-
[37]
Mais or parlons d’une autre matiere (Ibid., fol. 36v).
-
[38]
Ibid., ff. 38r–40r.
-
[39]
Cf. Ibid., ff. 48v–51v et en particulier : Hault et puissant prince debonnaire, vous qui par toute saincte Eglise et entre les clers estes appellé sur tous les aultres princes chretiens trescretien et trescatholique prince, devez estre l’essamplaire et le mirouer des autres roys et princes en amant et redoubtant Dieu vostre createur et deffendant, gardant et augmentant la saincte Eglise comme firent saint Charlemaigne et saint Loys vos predecesseurs roys de France, lesquelz vous ont donné exemple de ce que devez faire (Ibid., fol. 48v). Je souligne.
-
[40]
Ibid.
-
[41]
Ibid., fol. 19r.
-
[42]
Cy s’ensuivent les lamentacions Salmon pour aucunes merveilles a lui mesmes avenues au pelerinage de ce monde, & les epistres pour ce par lui baillees et envoiees a tresexcellent & trespuissant prince Charles Roy de France le Siziesme de ce nom (Ibid., fol. 53r–v).
-
[43]
Le prologue occupe le premier cahier, la partie 1 deux cahiers, la partie 2 quatre cahiers, la partie 3, la plus longue, neuf cahiers (HEDEMAN, op. cit., p. 74).
-
[44]
Le 18 novembre 1408, la cour, la reine, Jean de Berry et le duc de Bourbon, et le roi en pleine crise de démence, partent pour Tours ; Jean sans Peur entre dans Paris dix jours plus tard (GUENÉE, op. cit., p. 209).
-
[45]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 81v ; je souligne. Dès le lendemain, Salmon envoie au roi une épître, datée du 1er novembre, dont il adresse plusieurs copies aux ducs de Berry, de Bourgogne et de Bourbon, au connétable Charles d’Albret et au chancelier Arnaud de Corbie, au président du Parlement Henri de Marle, au prévôt des marchands Charles Culdoe, au prévôt de Paris Pierre des Essarts – preuve s’il en est du caractère éminemment « public » de sa correspondance.
-
[46]
Ibid., fol. 49v (part. 2) ; je souligne.
-
[47]
Ibid., ff. 49v–50r (part. 2).
-
[48]
PARIS, BnF, ms. fr. 9610, fol. 70v (intr. de la part. 3 ; je souligne). L’absence de renvoi à la première version laisse entendre que celle-ci n’est pas parvenue au lecteur auquel elle était destinée.
-
[49]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 53r.
-
[50]
Cf. la lettre du 16 mai 1409, écrite d’Avignon : Tresexcellent prince, pour vous obeyr et acomplir vostre commandement je me trais a Paris le plus tost que je peuz, et tantost que je fus arrivez par l’ordonnance et pourchas d’aucunes personnes qui disoient veoir un festu en mon œil et ilz n’appercevoient pas un glaive qui estoit et encore est devant les leurs, je fus mis en prison en laquelle je fus en grant dangier et euz assez a souffrir (Ibid., fol. 108v) ; je souligne.
-
[51]
Ibid., fol. 93v.
-
[52]
JACQUES LEGRAND, Archiloge Sophie. Livre de bonnes meurs, éd. E. BELTRAN, Paris, 1986, p. 156.
-
[53]
Ibid.
-
[54]
Ibid. Pour une présentation sommaire des « Arbres des vices et des vertus » associant, depuis le début du XIIe siècle, personnifications allégoriques et figures exemplaires, cf. C. CASAGRANDE et S. VECCHIO, Histoire des péchés capitaux au Moyen Âge, Paris, 2003, p. 343–345.
-
[55]
JACQUES LEGRAND, Archiloge Sophie, p. 156, 215.
-
[56]
Ibid., p. 216, 224.
-
[57]
Ibid., p. 111.
-
[58]
Mais il avint chose ke Nabucodonosor en fu rois, non mie par droit, car il n’estoit pas de roial linage, ançois fu uns estranges mesconeus ki nasqui d’avoutire celeement. Et a son tans comença li empires de Babilone a haucier et a monter en hautece, dont il s’enorghilli viers Deu et vers le siecle, tant k’il destruist Jherusalem et enprisonna tous les juis, et maintes autres perversités fist il. Pour coi il avint par divine vengance k’il perdi soudainement sa signorie, et son cors fu remués en buef, et abita .vii. ans en desiers avec les bestes sauvages (BRUNET LATIN, Li Livres dou Tresor, éd. F. J. CARMODY, Berkeley–Los Angeles, 1948, p. 38).
-
[59]
Nabugodonosor une fois alast et venist parmy sa sale en son grant palais de Babiloine se glorifiant en disant : « Et n’est ce pas cy Babiloine la grant, laquelle pour ma maison royal j’ai ediffiee et la puissance de ma force et la gloire de ma beauté ? », adonc, disant ces paroles, vint une voix du ciel qui lui dist : « Nabugodonozor, escoute ! ton royaume de toy est trespassé, et bouté hors seras de la compaignie des hommes, et avec les sauvages bestes sera ta demeure, et foing avec les buefs tu mengeras ». Ne fu pas mençongiere la promesse, car gaires aprés ne tarda que executee ne fust en sa personne qui deboutez fu de la compaignie humaine et ramené en forme de beste paissant aux champs a la pluie et au vent (CHRISTINE DE PIZAN, Le Livre de l’Advision Cristine, éd. C. RENO et L. DULAC, Paris, 2001, p. 42). On note qu’ici, comme chez Brunet Latin, l’exemplum n’intègre pas la seconde phase de rédemption.
-
[60]
Le roy Nabugodonosor / Le fier, le dur et l’engrongnié / Pour son avoir, pour son tresor, / Orgueul avoit tant enseignié / Qu’il cuidoit bien avoir gaingnié / Qu’on deubt adorer son ymage. / Tout orguilleux est engaignié / Quant chascun ne lui rend hommage (MARTIN LE FRANC, Le Champion des Dames, éd. R. DESCHAUX, t. 4, Paris, 1999, p. 33, v. 15353–15360).
-
[61]
JEAN FROISSART, Les Chroniques, Historiens et chroniqueurs du Moyen Âge, éd. A. PAUPHILET et E. POGNON, Paris, 1952, p. 906–907.
-
[62]
Cf. supra, la citation de l’épître datée du 16 février 1409 (PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 94r).
-
[63]
Cf. supra, la citation de Ibid., fol. 49v.
-
[64]
Ibid., ff. 6v–7r ; je souligne.
-
[65]
Ibid., fol. 94r.
-
[66]
Es 38, 1–21.
-
[67]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 94v (part. 3, Salmon à Charles VI, 16 février 1409).
-
[68]
Salmon parvient enfin auprès d’Alexandre V, et le souverain pontife fait composer à sa demande une oraison : Deus qui magnipotenciam tuam magnis frequenter manifestas te suppliciter exoramus ut famulum tuum Karolum regem quem beato Urbano quinto nasciturum Rome revelasti fovere digneris atque Alexandri quinti quem Ecclesie tue pastorem solarem magnipotenter suscitasti piis precibus ab ingruentibus sibi noxiis per misericordie viscera Cristi Ihesu filii tui jubeas expiari qui te cum vivit et regnat in unitate (Ibid., fol. 116v). « Dieu, toi qui manifestes fréquemment ta toute-puissance, nous te prions et te supplions de juger digne d’être guéri ton serviteur Charles, dont tu as révélé la naissance à Rome, par la voix d’Urbain V ; et nous te supplions de faire qu’à l’aide des pieuses prières d’Alexandre V, que tu as élevé dans ta grande puissance comme (seul) pasteur de l’Église, par les entrailles de ton fils Jésus-Christ, soit guéri des maux qui l’accablent celui qui vit avec toi et règne dans l’unité ».
-
[69]
JEAN GERSON, Œuvres complètes, éd. P. GLORIEUX, t. 7, Paris, 1968, p. 1161 (sermon Vivat rex).
-
[70]
Ibid., p. 1162.
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[71]
PARIS, BnF, ms. fr. 23279, fol. 11v. Cf. aussi, dans la part. 1, ce développement sur le confesseur, le conseiller et le médecin du roi (qui ne font à l’évidence pour Salmon qu’un seul et même personnage, et dont Salmon s’efforce en sa personne de cumuler les attributions) : Le confesseur du roy, son conseillier et son phisicien qui congnoissent et scevent la voulenté du roy ne doivent eulx incliner au plaisir du roy s’il n’est honneste et raisonnable, ou autrement le roy pourra avoir honte et dommage du corps ou de l’ame et pourra le roy estre souvent malade. Pourquoy cellui n’est pas vray confesseur, leal conseillier ne bon phisicien qui voit le roy errer et ne lui dist verité. Car le conseillier ou serviteur qui longuement a servy le roy et a veu, sceu ou apperceu aucun deffault ou erreur ou gouvernement du roy et il ne lui dist, il n’est pas leal au roy, et se le confesseur ou conseillier ne scet adviser la faulte, il n’est pas digne de servir le roy (Ibid., ff. 17v–18r).
-
[72]
Sur un mode très différent de ce que J. Baschet nomme les « images ambivalentes », qui permettent le feuilletage de significations non contradictoires (J. BASCHET, Inventivité et sérialité des images médiévales. Pour une approche iconographique élargie, Annales. Histoire, Sciences sociales, t. 51, 1996, p. 93–133).
-
[73]
Le contraste à ce sujet est saisissant avec ce qu’un Juvénal des Ursins dit des crises de folie du roi, en particulier pour l’année 1405 : C’estoit grant pitié de la maladie du Roy, laquelle lui tenoit longuement, et quant il mangeoit c’estoit bien gloutement, et louvissement. Et ne le pouvoit-on faire despouiller, et estoit tout plein de poux, vermine et ordure (JEAN JUVÉNAL DES URSINS, Histoire de Charles VI, éd. J. F. MICHAUD et J.J. F. POUJOULAT, Paris, 1836, p. 437).