Couverture de RMA_111

Article de revue

Les « abeilles hérétiques » et le puritanisme millénariste médiéval

Pages 71 à 93

Notes

  • [1]
    R. MORGHEN, Medioevo cristiano, Bari, 1951, p. 212-286; ID., Le problème sur l’origine de l’hérésie au Moyen Âge, Hérésies et sociétés dans l’Europe pré-industrielle, XIe-XVIIIe siècles, éd. J. LE GOFF, Paris-La Haye, 1968, p. 121-138; H. TAVIANI, Naissance d’une hérésie en Italie du Nord au XIe siècle, Annales E.S.C., t. 32,1974, p. 1224-1252.
  • [2]
    P. DONDAINE, L’origine de l’hérésie médiévale, Rivista di Storia della Chiesa, t. 6,1952, p. 47-78; C. THOUZELLIER, Tradition et résurgence dans l’hérésie médiévale, Hérésies et sociétés, p. 105-116 ; M. FRASSETTO, The sermon of Ademar of Chabannes and the letter of Heribert. New sources concerning the origins of medieval heresy, Revue bénédictine, t. 109,1999, p. 324-340.
  • [3]
    A. BORST, Die Katharer, Stuttgart, 1953.
  • [4]
    R. FOSSIER, Les mouvements populaires en Occident au XIe siècle, Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1971, p. 257-269 ; C. VIOLANTE, La pauvreté dans les hérésies du XIe siècle en Occident, Études sur l’histoire de la pauvreté (Moyen Âge-XVIe siècle), sous la dir. de M. MOLLAT, t. 1, Paris, 1974, p. 347-369 ; J. MUSY, Mouvements populaires et hérésies au XIe siècle en France, Revue historique, t. 99,1975, p. 33-76 ; G. GRACCO, Le eresie del mille, fenomeno di regetto delle strutture feudale ?, Structures féodales et féodalisme dans l’Occident méditerranéen, Rome, 1978, p. 345-361.
  • [5]
    St. RUNCIMAN, The medieval manichee. A study of the christian dualist heresy, Cambridge, 1947 ; J.B. RUSSELL, Interpretations of the origins of medieval heresy, Medieval Studies, t. 25,1963, p. 26-53; M.D. CHENU, Orthodoxie et hérésie. Le point de vue du théologien, Hérésies et sociétés, p. 9-17; A. BRENON, Les hérésies en l’an mil : nouvelles perspectives sur les origines du catharisme, Heresis, t. 24,1995, p. 21-36 ; C. TAYLOR, The letter of Héribert of Périgord as a source for dualist heresy in the society of early eleventh-century Aquitaine, Journal of medieval History, t. 26,2000, p. 313-349.
  • [6]
    À propos de ces chroniqueurs, voir G. CAVALLO, Introduzione, RAOUL GLABER, Cronache dell’anno mille, éd. et trad. G. CAVALLO et G. ORLANDI, 5e éd., Milan, 1998, p. IX-XLIX ; J. FRANCE, The life and works of Rodulfus Glaber, RAOUL GLABER, The five books of the Histories, éd. et trad. J. FRANCE, Oxford, 1989, p. XIX-XXXIV ; L.A. FERRAI, I fonti di Landolfo Seniore, Bullettino dell’Istituto storico italiano per il Medio Evo, t. 14,1895, p. 7-70; J.W. BUSCH, Landulfi Senioris Historia Mediolanensis. Überlieferung, Datierung und Intention, Deutsches Archiv, t. 45,1989, p. 1-30.
  • [7]
    Selon J.P. POLY et É. BOURNAZEL, La mutation féodale, Paris, 1980, p. 388,421,425, Leutard défendait ses idées hérétiques depuis 997.
  • [8]
    RAOUL GLABER, Histoires, éd. G. CAVALLO et G. ORLANDI, trad. M. ARNOUX, Turnhout, 1996, p. 134-137 (Cronache dell’anno mille, p. 104-107; The five books, p. 88-91).
  • [9]
    LANDOLF SENIOR, Historia Mediolanensis, éd. L.C. BETHMANN et W. WATTENBACH, M.G.H., SS., t. 8, p. 65,66. Les maiores cités par l’hérésiarque de Montefort sont des « prêtres (pontificem) sans tonsure ni mystère » (p. 66), semblables à ceux qui seraient les « parfaits » de l’hérésie cathare, quelques décennies plus tard. Il est aussi intéressant de remarquer que très proche du village de Leutard se trouvait le château de Mont-Guimer, devenu ultérieurement le centre d’un évêché cathare : POLY et BOURNA-ZEL, op. cit., p. 389.
  • [10]
    G. DUBY, Conclusion, Hérésies et sociétés, p. 403.
  • [11]
    G. CRACCO, Riforma ed eresia in momenti della cultura europea tra X e XI secolo, Rivista di Storia e Letteratura religiosa, t. 7,1971, p. 411-477.
  • [12]
    Chronicon, éd. P. BOURGAIN, R. LANDES, G. PON, Turnhout, 1999, p. 178-179. Un peu plus tard, en 1049, le pape condamnait « l’hérésie simoniaque » : La vie du pape Léon X, éd. M. PARISSE, trad. M. GOULLET, Paris, 1997, p. 86-87. Voir aussi J. LECLERCQ, Simoniaca heresis, Studi Gregoriani, t. 1,1947, p. 523-530.
  • [13]
    HUMBERTO DA SILVA CANDIDA, Adversus simoniacos, éd. F. THANER, M.G.H., Libelli de lite imperatorum et pontificum, t. 1, Hanovre, 1891, p. 161-162 ; PIERRE DAMIEN, Opuscula varia, P.L., t. 145, col. 153.
  • [14]
    ABBON DE FLEURY, Apologeticus ad Hugonem et Rodbertus reges francorum, P.L., t. 139, col. 464.
  • [15]
    Un témoin de la crainte de l’an 1000. La lettre sur les Hongrois, éd. R.B.C. HUYGENS, Latomus, t. 15,1956, p. 234.
  • [16]
    ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p. 170,180 ; O.F. CALLAHAN, The Manichaeans and the Antichrist in the writings of Ademar of Chabannes : « the terrors of the year 1000’ and the origins of popular heresy in the medieval West, Studies in Medieval and Renaissance History, t. 15,1995, p. 163-223.
  • [17]
    Histoires, p. 110-117. L’insistance de Raoul Glaber sur l’insanité de Leutard (hominem insanientem) a fait que J.B. RUSSELL, Disent and reform in the early Middle Ages, Berkeley, 1965, p. 111, a considéré cet hérétique comme « excentrique », sans avoir bien compris son rôle.
  • [18]
    H. GRUNDMANN, Hérésies savantes et hérésies populaires au Moyen Âge, Hérésies et sociétés, p. 213.
  • [19]
    A. VAUCHEZ, Diables et hérétiques : les réactions de l’Église et de la société en Occident face aux mouvements religieux dissidents, de la fin du Xe au début du XIIe siècle, Santi e demoni nell’Alto Medioevo (secoli V-XI), t. 2, Spolète, 1989, p. 586. Par exemple, BERNARD D’ANGERS appelle « hérétique » un homme que n’a pas cru à sa narration sur les miracles de sainte Foy : Liber miraculorum Sancte Fides, éd. L. ROBERTINI, Spolète, 1994, p. 99.
  • [20]
    Ainsi pensait l’hérésie d’Orléans (ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p. 180), celle de Leutard, qui expulse son épouse ex precepto evangelico (RAOUL GLABER, Histoires, p. 134), celle du Périgord, dont les adeptes prétendaient pratiquer une apostolica uita (HERIBERT, Epistola, éd. G. LOBRICHON, Le clair-obscur de l’hérésie au début du XIe siècle en Aquitaine, Historical reflexions-Réflexions historiques, t. 14,1987, p. 441).
  • [21]
    Le mécontentement, c’est évident, n’était pas privilège de la Champagne : J.G. GOUTTEBROZE, Le duc, le comte et le peuple. Remarques sur une sédition des paysans en Normandie, autour de l’an mil, Le Moyen Âge, t. 101,1995, p. 407-423.
  • [22]
    Si Landolf ne dit rien de la condition sociale des hérétiques de Monteforte, les identifiant seulement comme castro hominem (Historia Mediolanensis, p. 65) – ce qui peut être interprété soit dans un sens restreint (« hommes du château », donc nobles), soit au sens large (« hommes placés sous la juridiction du château », c’est-à-dire l’ensemble des nobles qui l’habitaient et les villageois qui vivaient autour de lui) – Raoul Glaber, qui avait voyagé dans la région au moment de l’apparition de l’hérésie, dit que les hérétiques étaient « parmi les plus nobles de ce peuple » (Histoires, p. 231), et parmi eux vraisemblablement se trouvait la comtesse de Monteforte, elle-même.
  • [23]
    C. VIOLANTE, La società milanese nell’età precomunale, Bari, 1974, p. 228-229.
  • [24]
    Sacrorum Conciliorum Nova et Amplissima Collectio, éd. J.D. MANSI, t. 19, Venise, 1774, col. 425 D.
  • [25]
    O. GIORDANO, Religiosidad popular en la Alta Edad Media, trad. esp., Madrid, 1983, p. 59-75.
  • [26]
    Avant le VIIIe siècle, les croix ne portaient presque jamais l’image du Christ, devenues ensuite fréquentes, quoique les représentations grandeur nature soient apparues seulement au XIe siècle, quand « pour la première fois, si l’on peut dire, le Christ est présent de manière visible dans l’église »: É. DELARUELLE, Le crucifix dans la piété populaire et dans l’art, du VIe au XIe siècle, dans ID., La piété populaire au Moyen Âge, Turin, 1975, p. 36. On doit voir aussi P. THOBY, Le crucifix des origines au concile de Trente, Nantes, 1959; M.C. SEPIERE, L’image d’un Dieu souffrant (IXe-Xe siècle). Aux origines du crucifix, Paris, 1994.
  • [27]
    Liber miraculorum, p. 113-114.
  • [28]
    Ibid., p. 112-113. A.G. REMENSNYDER, Un problème de cultures ou de culture ? La statue-reliquaire et les joca de sainte Foy de Conques dans le Liber Miraculorum de Bernard d’Angers, Cahiers de Civilisation médiévale, t. 33,1990, p. 351-379.
  • [29]
    ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p. 170. Si apparemment les hérétiques d’Orléans ne sont pas arrivés à la pratique iconoclaste, sans doute ont-ils ridiculisé la théologie trinitaire et christocentrique : PAUL DE CHARTRES, Vetus Agano, P.L., t. 155, col. 267AB.
  • [30]
    HERIBERT, Epistola, p. 442.
  • [31]
    Sacrorum Conciliorum, col. 453-454 (crucifix), 454-455 (images du Christ), 455 AC (images des saints). Contre l’iconoclastie des hérétiques locaux, le synode d’Arras a répété, en lignes générales, les anciens arguments de GRÉGOIRE LE GRAND (Epistolarum, P.L., t. 77, col. 1128-1129) selon lesquels les images visuelles étaient les livres des illettrés : illiterati quod per Scripturas non possunt intueri, hoc per quaedam picturae lineamenta contemplantur (col. 454 E).
  • [32]
    Historia Mediolanensis, p. 66.
  • [33]
    RAOUL GLABER, Histoires, p. 182-201; ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p.180; R. LANDES, La vie apostolique en Aquitaine en l’an mil. Paix de Dieu, culte des reliques et communautés hérétiques, Annales E.S.C., t. 46,1991, p. 585-586.
  • [34]
    ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p. 170 (Aquitaine) et p. 180 (Orléans); HÉRIBERT, Epistola, p. 442 (Périgord); Sacrorum Conciliorum, col. 424 D, 425-430,440, 442-444 (Arras).
  • [35]
    Liber miraculorum, p. 113-114.
  • [36]
    G. DUBY, Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris, 1978, p. 164-165.
  • [37]
    Historia Mediolanensis, p. 66 : pontificem habemus non illum Romanum, sed alium […] sine tonsura capitis, nec misterium. Voir aussi RAOUL GLABER, Histoires, p. 230-233.
  • [38]
    Jn 14,26 ; Ac 2,1-4.
  • [39]
    Sit sapiens, litteris, uerbis et exemplis, ut nec superari a quoquam ulterius ullomodo possit : HÉRIBERT, Epistola, p. 442. De même, les hérétiques de Liège, en 1048, pouvaient faire d’un ignorant quelqu’un « plus éloquent que le plus savant des catholiques », selon ANSELME, Gesta episcoporum Tungrensium, Traiectensium et Leodiensium, éd. R. KOEPKE, M.G.H., SS., t. 7, p. 227-228.
  • [40]
    Historia Mediolanensis, p. 65,66. TAVIANI, Naissance d’une hérésie, p. 1231, propose une lecture du manuscrit que rend ce parallélisme encore plus intense : nemo nostrum exore carnaliter utitur […] carnibus nunquam utimur [au lieu de vescimur, comme apparaît dans l’édition des M.G.H., SS.].
  • [41]
    De corpore et sanguine Dei, éd. B. PAULUS, Turnhout, 1969. Contre cette nouveauté sont apparues des manifestations d’hérésie eucharistique même parmi les hautes autorités ecclésiastiques, ainsi l’exemple (peut-être Léoteric de Sens, archevêque entre 999 et 1032) cité par HELGAUD, Vie de Robert le Pieux, éd. et trad. R.H. BAUTIER et G. LABORY, Paris, 1965, p. 64-65.
  • [42]
    Bérenger s’est basé sur un texte de Ratramne de Corbie (v. 800-v. 870), attribué par lui à Scot Érigène, définissant l’hostie et le vin comme semblables au corps et au sang du Christ (RATRAMNE DE CORBIE, De corpore et sanguine Domini, éd. J.N. BAKHUIZEN VAN DEN BRINK, dans Verhandelingen der koninklijke nederlandse Akademie van Wetenschappen, Afd. Letterkunde, t. 87,1974, p. 39-70; J.P. BOUHOT, Ratramne de Corbie, Paris, 1976). La position de Bérenger était une évidente réaction à la tendance de l’Église de matérialiser la présence du Christ lors du sacrement, car le concile de 1059 avait parlé de sensualiter et le concile de 1079 de substantialiter. Sur tout cela, J. DE MONTCLOS, Lanfranc et Bérenger. La controverse eucharistique du XIe siècle, Louvain, 1971.
  • [43]
    ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p. 170.
  • [44]
    Ibid., p. 180. Parce que le discours clérical inverse le discours hérétique, au milieu du XIe siècle, ANDRÉ DE FLEURY, Vie de Gauzlin, abbé de Fleury, éd. et trad. R.H. BAUTIER et G. LABORY, Paris, 1969, p. 98-99, affirme que pour les hérétiques d’Orléans le mariage ne doit pas être fait avec bénédiction car chacun peut prendre la femme qu’il veut, d’où, peut-être, RAOUL GLABER qui les appelle d’« hérétiques épicuriens » (Histoires, p. 191).
  • [45]
    Sacrorum Conciliorum, col. 425 D, 447-448 AB.
  • [46]
    Apologeticus ad Hugonem et Rotbertus, P.L., t. 139, col. 463 B.
  • [47]
    D. IOGNA-PRAT, Continence et virginité dans la conception clunisienne de l’ordre du monde autour de l’an mil, Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1985, p. 127-146.
  • [48]
    ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p. 170.
  • [49]
    La vie de saint Martial de Limoges. Un apocryphe de l’an mil, prés. R. LANDES, trad. C. PAUPERT, Turnhout, 1991, p. 94, et aussi p. 89.
  • [50]
    Entre anges et hommes : les moines « doctrinaires » de l’an mil, La France de l’an mil, éd. R. DELORT, Paris, 1990, p. 249.
  • [51]
    DUBY, Les trois ordres, p. 166-167.
  • [52]
    Historia Mediolanensis, p. 65.
  • [53]
    G. DUBY, Le chevalier, la femme et le prêtre, Paris, 1981, p. 119.
  • [54]
    La multitude est si grande que plus de 50 pèlerins se marchent les uns sur les autres et expirent dans l’église au Carême de 1018, d’après ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p. 169. C’est pour cette raison qu’une nouvelle église a été consacrée dix années plus tard.
  • [55]
    Citée n. 49.
  • [56]
    Cité par D.F. CALLAHAN, The sermons of Ademar of Chabannes and the cult of Saint Martial of Limoges, Revue bénédictine, t. 86,1976, p. 284 n. 5.
  • [57]
    LANDES, La vie apostolique, p. 573-593.
  • [58]
    Historia Mediolanensis, p. 70,78-79.
  • [59]
    Ibid., p. 77,81.
  • [60]
    ARNULF, Gesta archiepiscoporum Mediolanensium, éd. L.C. BETHMANN et W. WATTERBACH, M.G.H., SS., t. 8, p. 20; G. MICCOLI, Per la storia della pataria milanese, Bullettino dell’Istituto storico italiano per il Medio Evo, t. 70,1958, p. 43-123.
  • [61]
    Chronicon, p. 170,180. Aux environs de 1080, un autre chroniqueur accusait les hérétiques d’Orléans de pratiquer le sexe libre dans des réunions nocturnes : PAUL DE CHARTRES, Vetus Agano, P.L., t. 155, col. 266 A.
  • [62]
    Histoires, p. 186-189,230-233; J. FRANCE, Glaber as reformer, Studia Monastica, t. 34,1992, p. 41-49.
  • [63]
    Historia Mediolanensis, p. 45.
  • [64]
    DUBY, Le chevalier, la femme et le prêtre, p. 120-131.
  • [65]
    Respectivement, De divinatione, éd. O. PLASBERG, Leipzig, 1938, p. 38,92; Histoire Naturelle, éd. et trad. A. ERNOUT, t.11, Paris, 1947, p. 46. L’éditeur de ce dernier texte informe que le même événement a été attribué à d’autres païens célèbres, comme Homère et Virgile, et plus tard à quelques saints (p. 139). La capacité rhétorique octroyée par les abeilles était associée à leur intelligence : G. GULDENTOPS, The sagacity of the bees. An aristotelian topos in the thirteenth century philosophy, Aristotle’s animals in the Middle Ages and Renaissance, éd. C. STEEL, G. GULDENTOPS et P. BEULLENS, Louvain, 1999, p. 275-296.
  • [66]
    Cité par RUNCIMAN, The Medieval manichee, p. 87.
  • [67]
    Historia francorum, éd. B. KRUSCH, M.G.H., Scriptores Rerum Merovingicarum, t. 1, Hanovre, 1885, p. 437 ; POLY et BOURNAZEL, op. cit., p. 426, pensent qu’elles étaient des « mouches à miel ».
  • [68]
    Par exemple, VARRON, Res rusticae/Economie rurale, éd. et trad. C. GUIRAUD, t. 2, Paris, 1985, p. 45 ; OVIDE, Metamorphose, éd. et trad. G. LAFAYE, 5e éd., Paris, 1972, p. 133; PLINE, Histoire naturelle, t. 11, p. 50. Un riche recueil de citations sur l’abeille dans la littérature classique est celui de W. ROBERT-TORNOW, De Apium mellique apud veteres : significatione et symbolica et mythologica, Berlin, 1893.
  • [69]
    Jg 14,8-9.
  • [70]
    TAVIANI, Naissance d’une hérésie, p. 1232, en citant Hexameron, P.L., t. 14, col. 234B. À propos de cette comparaison, M. MISCH, Apis est animal. Apis est Ecclesia. Ein Beitrag zum Verhältnis von Naturkunde und Theologie in Spätmittelalter und mittelalterlichen Literatur, Berne-Francfort, 1974.
  • [71]
    LACTANCE, Divinarum Institutiones, P.L., t. 6, col. 155 ; PRUDENCE, Cathemerinon Liber, éd. et trad. M. LAVARENNE, t. 1, Paris, 1972, p. 14.
  • [72]
    SAINT JÉRÔME, Lettres, éd. et trad. J. LABOURT, t. 7, Paris, 1961, p. 124.
  • [73]
    De Trinitate, éd. et trad. esp. L. ARIAS, 3e éd., Madrid, 1968, p. 242 ; De civitate Dei, éd. MIGNE, trad. S. SANTAMARTA DEL RIO et M. FUERTES LANERO, 3e éd., t. 2, Madrid, 1978, p. 223.
  • [74]
    Regula Magistri, éd. et trad. A. DE VOGÜÉ, t. 2, Paris, 1964, p. 258-259.
  • [75]
    Vita patrum, éd. KRUSCH, p. 665.
  • [76]
    De laudibus virginitatis, P.L., t. 89, col. 107 A.
  • [77]
    Etimologias, éd. W.M. LINDSAY, trad. J. OROZ RETA et M.A. MARCOS CASQUERO, t. 2, Madrid, 1983, p. 54-55,120-121.
  • [78]
    Historia Wamba, éd. W. LEVISON, Turnhout, 1976, p. 220; Crónica de Alfonso III, éd. J. GIL FERNÁNDEZ, trad. J.L. MORALEJO, Oviedo, 1985, version A Sebastián, p. 197, version Rotense, p. 196. Nous devons ces indications à deux amis et collègues, que nous remercions vivement, R. DE OLIVEIRA ANDRADE FILHO (Universidade Estadual Paulista) et M. NUÑEZ RODRIGUEZ (Universidade de Santiago de Compostela). Selon ERNOUT, éditeur et traducteur de PLINE, dans l’Antiquité classique la croyance aux présages annoncés par les abeilles était fort répandue : op. cit., p. 139 n. 2. Un exemple de ceci est VALÈRE MAXIME, Factorum et dictorum memorabilium libri XI, éd. C. KEMPF, Leipzig, 1888, cité par J. VOISENET, Bestiaire chrétien. L’imagerie animale des auteurs du haut Moyen Âge (Ve-XIe siècle), Toulouse, 1994, p. 88.
  • [79]
    Vita Abonnis, P.L., t. 139, col. 394 A.
  • [80]
    PIERRE DAMIEN, Die Briefe, éd. K. REINDEL, M.G.H., Die Briefe der deutschen Kaiserzeit, t. 4, vol. 3, Munich, 1989, p. 59.
  • [81]
    G. MALHERBE, Les abeilles de l’Exsultet, Questions liturgiques et paroissiales, t. 15,1930, p. 64-69.
  • [82]
    Exultet 1, Bibliothèque de Mont-Cassin, image reproduite dans l’Enciclopedia dell’Arte Medievale, t. 6, Rome, 1995, p. 65.
  • [83]
    Pour Landolf, l’hérésiarque de Monteforte était ingenio acutissimus (Historia Mediolanensis, p. 65). Sur l’intellectualisme de cette secte, VIOLANTE, La società milanese, p. 221-228.
  • [84]
    Dans une note à leur édition de Raoul Glaber, CAVALLO et ORLANDI affirment que l’usage du « simbolo delle api dimostra che Leutardo doveva essere tutt’altro che un villano incolto » (Cronache, p. 320 n. 107), position pareille à celle qui fut adoptée par VIOLANTE, La pauvreté dans les hérésies, t. 1, p. 361.
  • [85]
    Géorgiques, éd. et trad. H.G. GOELZER, Paris, 1935, p. 153-162.
  • [86]
    M. DETIENNE, Orphée au miel, Faire de l´histoire, sous la dir. de J. LE GOFF et P. NORA, t. 3, Paris, 1974, p. 56-75.
  • [87]
    B. MUNK OLSEN, L’étude des auteurs classiques latins aux XIe et XIIe siècles, t. 2, Paris, 1985, p. 701-796 ; t. 3,2, p. 142-153, comptabilise des centaines de manuscrits médiévaux de Virgile, dont le récit d’Orphée a été sans doute beaucoup plus répandu au Moyen Âge que la version synthétique utilisée par un recueil de mythes classiques réuni entre 875 et 1075 (duquel existe seulement un manuscrit) et qui omet le détail des abeilles : Le premier mythographe du Vatican, éd. N. ZORZETTI, trad. J. BERLIOZ, Paris, 1995, p. 47-48.
  • [88]
    Histoires, p. 136-139.
  • [89]
    Vita sancti Maioli auctore Syro monacho, P.L., t. 137, col. 752.
  • [90]
    Une autre source importante pour la connaissance que le Moyen Âge a eue du mythe d’Orphée a été Boèce, qui ne parle pas de l’épisode d’Aristée, toutefois récupéré par un commentateur, Remi d’Auxerre, qui écrivait au début du Xe siècle : J.B. FRIEDMAN, Orphée au Moyen Âge, trad. fr., Fribourg-Paris, 1999, p. 114-128. Sur l’évolution du mythe, Orpheus. The metamorphosis of a myth, éd. J. WARDEN, Toronto, 1985.
  • [91]
    Et encore postérieur, par exemple, au XIIIe siècle, le bestiaire d’Oxford (Le bestiaire, trad. M.F. DUPUIS et S. LOUIS, Paris, 1988, p. 142,144), un recueil moralisant du dominicain THOMAS DE CANTIMPRÉ (Les exemples du Livre des abeilles, trad. H. PLATELLE, Turnhout, 1997), une compilation du maître de Dante Alighieri, BRUNETO LATINI (Le livre du Trésor, éd. A. PAUPHILET, Paris, 1951, p. 794), des textes de Vincent de Beauvais et de Barthélemy l’Anglais (tous les deux cités par B. RIBÉMONT, Bestiaire d’amour et zoologie encyclopédique : le cas des abeilles, Revue des Langues romanes, t. 98,1994, p. 354-355).
  • [92]
    De hominis opificio, P.G., t. 44, col. 189 D (texte grecque)-190 D (texte latin).
  • [93]
    De Genesi ad litteram, éd. J. ZYCHA, trad. P. AGAËSSE et A. SOLIGNAC, t. 1, Paris, 1972, p. 264-265.
  • [94]
    Ibid., t. 2, p. 96-97.
  • [95]
    Historia Mediolanensis, p. 66.
  • [96]
    E. GILSON, La philosophie au Moyen Âge, 2e éd., Paris, 1952, p. 87-89 ; É. JEAUNEAU, La division des sexes chez Grégoire de Nysse et Jean Scot Érigène, Études érigéniennes, Paris, 1987, p. 361-364.
  • [97]
    Sur l’influence que Scot Érigène a reçue de Grégoire de Nysse, voir J. DRÄSEKE, Gregor von Nyssa in den Anführungen des Johannes Scotus Erigena, Theologisches Studien und Kritik, t. 82,1909, p. 530-576 ; JEAUNEAU, op. cit., p. 343-364 ; M. NALDINI, Gregorio Nisseno e Giovanni Scoto Eriugena. Note sull’idea di creazione e sull’antropologia, Studi Medievali, t. 20,1979, p. 501-533.
  • [98]
    Periphyseon (De divisione naturae), P.L., t. 122, col. 896 B.
  • [99]
    Ad similitudinem irrationabilium animalium (ibid., col. 777 B), in similitudine irrationabilium animalium (col. 845 D), etc.
  • [100]
    Ibid., col. 531-533,536 B, 540 AB, 799 BC; B. STOCK, The philosophical anthropology of Johannes Scottus Eriugena, Studi Medievali, t. 8,1967, p. 1-57.
  • [101]
    Ibid., col. 893 CD, et aussi col. 534 A.
  • [102]
    DUBY, Les trois ordres, p. 164 ; TAVIANI, Naissance d’une hérésie, p. 1243.
  • [103]
    H. TAVIANI, Le mariage dans l’hérésie de l’an mil, Annales E.S.C., t. 32,1977, p. 1082-1083.
  • [104]
    CAVALLO, Introduzione, p. XV, XXIII.
  • [105]
    M.C. GARAND, Un manuscrit d’auteur de Raoul Glaber ?, Scriptorium, t. 37, 1983, p. 22,26.
  • [106]
    CAVALLO, Introduzione, p. XXIV.
  • [107]
    JEAUNEAU, La bibliothèque de Cluny et les œuvres de l’Érigène, Études érigéniennes, p. 399-421 ; M.C. GARAND, Copistes de Cluny au temps de saint Maïeul (948-994), Bibliothèque de l’École de Chartes, t. 136,1978, p. 8. Bien que la pensée d’Érigène ait postérieurement posé des problèmes doctrinaux, à l’époque qui nous intéresse il était une autorité respectée et son œuvre était présente, par exemple dans la bibliothèque personnelle de Gerbert, donnée à l’empereur Otto III quand il devient pape en avril de 999 : F. MURTHERICH, The library of Oton III, Bibliologia, t. 4,1986, p. 11-26 ; P. RICHÉ, Gerbert d’Aurillac. Le pape de l’an mil, Paris, 1987, p. 257.
  • [108]
    J. FRANCE, The divine quaternity of Rodulfus Glaber, Studia Monastica, t. 18, 1975, p. 283-294; P.E. DUTTON, Raoul Glaber’s De divina quaternitate : an unnoticed reading of Eriugena’s translation of the Ambigua of Maximus the Confessor, Medieval Studies, t. 42,1980, p. 431-453 ; E. ORTIGUES et D. IOGNA-PRAT, Raoul Glaber et l’historiographie clunisienne, Studi Medievali, t. 26,1985, p. 537-572.
  • [109]
    TAVIANI, Le mariage dans l’hérésie, p. 1083.
  • [110]
    JEAUNEAU, Le thème du retour, Études érigéniennes, p. 367-394.
  • [111]
    Cette pratique avait étonné les inquisiteurs, mais à l’égard de la secte de Monteforte ce n’était pas un acte de violence, plutôt de piété, car il évitait les tourments éternels du martirisé : Nemo nostrum sine tormentis vitam finit, ut aeterna tormenta evadere possimus […] quando nos ad mortem natura perducit, proximus noster, antequam animam damus, quoquomodo interficit nos (Historia Mediolanensis, p. 65,66). Les hérétiques de Monteforte sacrifiaient seulement ceux qui étaient proches de la mort, contrairement à ceux d’Orléans qui sacrifiaient des enfants – si ce n’est pas un topos utilisé par les chroniqueurs dans ses discours antihérétiques (ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p. 180; PAUL DE CHARTRES, Vetus Agano, col. 266 A).
  • [112]
    Historia Mediolanensis, p. 65.
  • [113]
    CHENU, Orthodoxie et hérésie, Hérésies et sociétés, p. 9.
  • [114]
    R. MANSELLI, Discussion, dans Ibid., p. 17.
  • [115]
    R. BASTARDES I PARERA, Gilgamesh i els capitells romànics, Quaderns d’estudis medievals, t. 3,1982, p. 474-490.
  • [116]
    POLY et BOURNAZEL, op. cit., p. 416-423.
  • [117]
    ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p. 170 (Aquitaine); HÉRIBERT, Epistola, p. 441 (Périgord); LANDOLF, Historia Mediolanensis, p. 65 (Monteforte).
  • [118]
    Gn 2,16.
  • [119]
    Histoires, p. 250-251; La vie de saint Martial de Limoges, p. 76-77.
  • [120]
    Sacrorum Conciliorum, col. 425 D.
  • [121]
    ANSELME, Gesta, p. 227-228. POLY et BOURNAZEL, op. cit., p. 400-401, attribuent le rejet hérétique de la violence contre les animaux à la croyance en la métempsycose.
  • [122]
    J. LE GOFF, Introduction et programme, Hérésies et sociétés, p. 3.
  • [123]
    On a pensé que les adeptes de Leutard avaient influencé des commerçants italiens qui passaient par Châlons en direction des foires de Champagne, et que ce serait à cause de cela que l’hérésie était arrivée à Arras : J.N. NOIROUX, Les deux premiers documents concernant l’hérésie aux Pays-Bas, Revue d’Histoire ecclésiastique, t. 49,1954, p. 853. Contre cette position, J.B. RUSSELL, À propos du synode d’Arras en 1025, Revue d’Histoire ecclésiastique, t. 57,1962, p. 66-87.
  • [124]
    H. TAVIANI, Du refus au défi : essai sur la psychologie hérétique au début du XIe siècle en Occident, Actes du 102e Congrès National des Sociétés Savantes, t. 2, Paris, 1979, p. 175-186.
  • [125]
    H. FRANCO JÚNIOR, As utopias medievais, São Paulo, 1992, p. 81-89.
  • [126]
    Gn 9,3.
  • [127]
    P. BONNASSIE, Consommation d’aliments immondes et cannibalisme de survie dans l’Occident du haut Moyen Âge, Annales E.S.C., t. 44,1989, p. 1036-1038 (reproduit dans Les sociétés de l’an mil. Un monde entre deux âges, Bruxelles, 2001, p. 145-149).
  • [*]
    Nous remercions MM. J.L. KUPPER et A. MARCHANDISSE d’avoir eu la gentillesse de revoir notre texte français.
English version

1Il y a longtemps que l’attention des historiens est attirée par l’effervescence hérétique dans les décennies autour de l’an mille, ce qui contraste avec l’apparent vide d’hérésies de la première moitié du Xe siècle et de la dernière partie du XIe siècle : Ravenne (v. 970), Orléans (991 ?-1022), Vertus (997-1015), Sens (1009-1015), Mayence (1012), Aquitaine (1016-1028), Périgord (1017-1018), Toulouse (1018), Liège (1022), Arras (1025), Ravenne (1025), Charroux (1027), Monteforte (1028-1030), Châlons-sur-Marne (1043-1048). On a beaucoup discuté l’origine de ces hérésies – endogène (prise de conscience religieuse des laïcs) [1], exogène (influence du manichéisme oriental) [2] ou mixte [3] ? – et son caractère social (clérical, laïque, paysan ou urbain) [4] et doctrinaire (dualiste, manichéen, bogomile ou pré-cathare) [5], mais jusqu’ici on a peu étudié son imaginaire, ce qui pourrait jeter un nouveau regard sur la compréhension de cet important phénomène.

2Le point de départ de cette démarche se trouve dans deux épisodes racontés par deux chroniqueurs, presque contemporains mais très différents. D’un côté Raoul Glaber, né en Bourgogne, personnalité agitée et curieuse, qui, entre 1020 et 1040, a produit une histoire universelle, de l’autre côté Landolf le Vieux, originaire de Lombardie, plus conservateur, qui a élaboré aux environs de 1060 une histoire de Milan. Le premier, moine clunisien, était partisan de la réforme ecclésiastique, alors que le second, chanoine de la cathédrale milanaise, s’était opposé à la proposition soutenue par Cluny et Grégoire VII. Landolf a charpenté sa chronique de façon traditionnelle, en rassemblant toute la matière savante à sa portée. Raoul Glaber a écrit une chronique largement basée sur ses impressions personnelles, ce que lui a valu le mépris des historiens avant d’être plus récemment reconnu comme la source la plus intéressante que nous possédions sur l’an mille. L’épisode traduit ci-dessous est un exemple de son style, généralement relevé par les historiens plutôt en raison de son caractère anecdotique que pour les riches possibilités qu’il offre à l’histoire de la sensibilité collective [6].

3Ce texte dit :

4

« L’an mil touchait à sa fin [7] quand, au village de Vertus, dans la région de Châlons, apparut un homme du nom de Leutard, issu du peuple, probablement envoyé par Satan, comme la suite des événements le montra. Voici comment se manifesta sa folie incurable. Il se trouvait un jour seul aux champs, occupé à quelques travaux agricoles quand, s’endormant d’un coup, par épuisement, il lui sembla qu’un essaim d’abeilles pénétrait en son corps par un endroit dissimulé de sa personne et sortait de sa bouche avec un bourdonnement terrifiant, le tourmentait de piqûres multiples, lui parlait enfin, lui ordonnant d’accomplir des actions humainement impossibles. Il se réveilla épuisé et retourna chez lui, où il renvoya son épouse, prenant prétexte de l’Évangile pour justifier ce divorce. Il sortit ensuite, entra dans l’église comme pour prier, s’empara de la croix et détruisit l’image du Sauveur. Ceux qui le virent pensèrent, terrifiés, qu’il était devenu dément, ce qui était vrai. Mais lui les persuada – on sait combien les paysans ont l’esprit changeant – qu’il avait agi ainsi poussé par une admirable révélation divine. Il parlait facilement mais disait des choses vides de sens et, quoique désireux d’être reconnu savant, il s’opposait à l’enseignement des maîtres. Il affirmait en effet qu’il était inutile et vain de payer les dîmes […]. L’évêque, homme plein d’entendement, comprit que ces idées étaient scandaleuses, honteuses autant que condamnables et démontra que cet homme était devenu un dément hérétique. Arrachant ainsi le peuple à sa folie, il restaura en lui la plénitude de la foi catholique. Leutard, comprenant qu’il était vaincu et abandonné par le peuple, se tua en se jetant dans un puits [8]. »

5Notre deuxième chroniqueur, qui avait lu dans les archives de la cathédrale la transcription de l’interrogatoire de Gérard de Monteforte, organisé par l’archevêque Heribert quelques années auparavant, nous raconte les idées de l’hérésiarque issu de ce château situé au sud de Turin :

6

« Au-dessus de tout, nous louons la virginité. Nous avons des épouses qui conservent la virginité ou qui l’ayant perdue ont l’autorisation d’un de nos prêtres pour conserver perpétuellement leur chasteté. Aucune de nos épouses n’est utilisée charnellement, elles sont presque des mères et des sœurs que nous maintenons telles avec zèle. Jamais nous ne nous nourrissons de viande; nous faisons des jeûnes et des prières continus. Toujours, jour et nuit, les plus purs parmi nous (nostri maiores) prient; aucune heure n’est négligée, aucune ne reste sans oraison. Tous nos biens sont possédés en commun avec tous les hommes. […] Si l’espèce humaine cessait d’avoir des rapports sexuels (sese coniungeret), elle ne se serait plus corrompue, elle se reproduirait sans coït, comme les abeilles [9]. »

7Dans notre tentative de comprendre les implications de ces textes, nous devons initialement considérer leur contexte socio-psychologique et rappeler, comme le fait G. Duby, que les atmosphères qui enveloppent l’hérésie sont caractérisées par des

8

« attitudes latentes collectives qui favorisèrent d’ailleurs grandement la réception de la doctrine, ces attitudes anxieuses que les Églises appellent des superstitions, mais que nous pouvons, nous, définir comme des comportements religieux instinctifs, fondés sur des représentations extrêmement simples. C’est à ce niveau des consciences qu’il convient de rechercher en particulier les racines des interdits, des tabous, des “modes d’exclusion et de partage” qui peuvent revêtir des formes très tranchées, de schéma généralement dualiste. Le dualisme, dont on sent l’existence à ce niveau des consciences, participe à beaucoup de pulsions instinctives et notamment au sentiment de culpabilité sexuelle, ce qui explique la fréquence, au sein des groupes hérétiques, de l’exigence de pureté […] [10] ».

9Mais la sensibilité puritaine des alentours de l’an mille n’était pas seulement hétérodoxe [11]. Comme on le sait, elle apparut au cœur même de l’Église au début du Xe siècle, avec les réformes monastiques de Cluny, Gorze et Brogne. Cet esprit antinicolaïste et antisimoniaque a, peu a peu, touché le clergé séculier ouvrant le chemin à la Réforme grégorienne à partir du milieu du XIe siècle. Révélant la force du sentiment collectif puritain, sa face officielle a quelquefois pris des tonalités dangereusement radicales à l’égard de l’Institution, par exemple quand elle a nié le droit d’un évêque simoniaque d’ordonner des prêtres, ce qui empêchait ces derniers, même en étant personnellement dignes, d’administrer les sacrements. Écrivant entre 1028 et 1034, le moine Adémar de Chabannes a considéré la simonie comme une « hérésie [12] ». Plus symptomatique, quelques années plus tard, le cardinal Humbert de Silva Candida (v. 1000-1061) a soutenu le principe de la déposition de ces évêques et l’annulation de leurs ordinations, alors que son collègue Pierre Damien (1007-1072), bien qu’en désaccord avec cette proposition, considérait les simoniaques comme des « apôtres de l’Antéchrist [13] ». Ainsi, aux approches de l’an mille, la spiritualité moralisante imprégnait de larges portions de la société chrétienne, qui prétendaient combattre les péchés de la chair et les tentations de l’argent, interprétés, consciemment ou non, comme des produits des transformations globales de l’époque, ce qui les historiens ont appelé « révolution féodale ». Catholiques et hérétiques rêvaient d’une vie évangélique, d’un retour au passé, qui était à la fois une critique du présent et une attente eschatologique de l’avenir. Dans un opuscule écrit en 993, dans lequel il essaie de calmer les spéculations millénaristes, un abbé a défendu la primauté des moines sur le clergé séculier, en argumentant que ceux-là, isolés dans leurs cloîtres, n’étaient pas contaminés par les activités indignes de l’état clérical, comme la guerre et le sexe, tous les deux pratiqués par un grand nombre de prêtres et d’évêques [14]. Si les ecclésiastiques, autant que les laïcs, proposaient une vie puritaine, c’était en raison de l’aspiration à être mieux préparés pour la fin des temps qui approchait. Les invasions hongroises, par exemple, ont été considérées comme l’œuvre du démon rendue possible par l’existence de la « dureté des péchés » dans l’Europe occidentale du début du Xe siècle [15]. Les hérétiques étaient tenus pour des « messagers de l’Antéchrist [16] ». Si, d’une façon générale, la culture savante, de son côté, suivait l’interprétation augustinienne selon laquelle le moment de l’Apocalypse serait inconnu de l’homme, d’un autre côté la culture laïque, impressionnée par les signes de « nouveaux temps » (comètes, éclipses, épidémies, famines), était en proie à une forte tension eschatologique. Cette attente affligeante était la nourriture des hérésies. Bien qu’il critique la spiritualité hérétique, pratique de fou comme il le souligne dans le passage cité ci-dessus (insanum, vesanie pervicatia, hominem insanientem hereticum factum, insania populum) et à plusieurs reprises encore dans sa chronique, Raoul Glaber ne cesse pas de reconnaître comme juste la révolte des fidèles contre le clergé, parce que « ceux qui auraient dû alors implorer, du Dieu tout-puissant, aide et salut pour le troupeau dont ils avaient la garde se révèlent alors l’obstacle principal à l’administration régulière de ces bienfaits [17]. »

10Puritanisme et millénarisme marchaient ensemble et trouvaient leurs formes privilégiées d’expression dans l’hétérodoxie : « tous les hérétiques du Moyen Âge étaient convaincus qu’ils comprenaient et qu’ils réalisaient mieux le christianisme que l’Église qui les condamnait [18] ». Nier la matérialité (Incarnation, sacrements, sexe) et la violence (alimentation carnée, guerre) était une préparation pour le royaume terrestre du Christ et, par conséquent, un refus du présent de la société féodale alors en formation. D’où ce message de se révéler particulièrement séduisant pour les paysans « moyens » opprimés par le processus de seigneurisation. D’où sa forte pénétration dans les régions où la Paix et la Trêve de Dieu, instruments régulateurs de la destruction féodale, n’avaient pas connu de succès. Dès lors toute opposition au clergé, idéologue de cette société, était tenue pour hérésie, accusation qui, au XIe siècle, correspondait à celle de sorcellerie à partir du XIVe siècle [19]. En revanche, tout courant hérétique se considérait comme vraiment chrétien [20]. Dans les cas que nous examinons ici, les contestations centrales étaient au nombre de quatre. La première concernait l’inégalité matérielle. Le mouvement paysan de Leutard combattait le paiement de la dîme, impôt ecclésiastique que le pouvoir laïque avait rendu obligatoire depuis le VIIIe siècle, mais qui est devenu plus lourd vers l’an mil parce qu’il s’ajoutait aux nouvelles obligations imposées par la formation du pouvoir seigneurial, le ban, et que les progrès agricoles multipliaient les possibilités de vente de l’excédent productif [21]. Le mouvement nobiliaire [22] de Gérard de Monteforte attaquait, plus violemment encore, l’inégalité et proposait la possession commune de tous les biens, ce qui a sans doute contribué à ce que la secte, créée par des châtelains, ait rapidement obtenu l’adhésion des communautés rurales des alentours [23]. Le mouvement bourgeois d’Arras combattait, lui aussi, la possession privée des moyens de productions, en disant que chaque individu devait gagner le pain quotidien grâce à l’effort de son propre travail [24].

11Bien qu’elles aient une ampleur différente selon le profil sociologique de chaque groupe hérétique, toutes ces propositions brisaient l’idéologie des ordines, qui surgissait précisément à ce moment-là et se basait sur la hiérarchie sociale et sur un échange de services supposé équilibré. Elles refusaient la spécialisation des fonctions et les efforts inégaux, celui du clergé dans la liturgie, celui de chevalerie dans la guerre, celui de la paysannerie dans l’agriculture. Elles n’acceptaient pas le monopole ecclésiastique du sacré qui limitait les possibilités du salut spirituel de chacun. Elles condamnaient le monopole aristocratique de la violence, qui laissait la plupart du peuple chrétien à la merci de quelques centaines de milites. Elles repoussaient, enfin, le fatalisme qui classait socialement chaque personne selon l’origine de ses parents et les différents degrés de pureté supposés transmis par le sang. La deuxième contestation, intimement articulée avec la précédente, c’était l’iconoclastie. Particulièrement la dénégation du crucifix, objet pendant tout le haut Moyen Âge de pratiques populaires et de paraliturgies superstitieuses [25] inacceptables pour le puritanisme hérétique, à qui répugnait l’idée d’une divinité charnelle saignant et mourant sur la croix, nouveauté dans le monde de l’iconographie [26]. Nouveauté en bonne partie stimulée, depuis la fin du Xe siècle, par Cluny, dont la liturgie était fondée sur la Crucifixion, et dont le rôle joué dans la féodalisation de la société occidentale était, par surcroît, indéniable. Donc, la destruction de l’image du Dieu charnel par Leutard – qui y voyait peut-être un emblème du pouvoir matériel de l’Église et une forme d’idolâtrie – n’était pas un acte isolé ni insensé, comme affirme Raoul Glaber. C’était, à la fois, une manifestation contraire à la « révolution féodale » et favorable au rigorisme religieux du temps, y compris l’orthodoxe, comme illustre quelques années plus tard, vers 1013, le clerc Odalric qui nie toute valeur accordée à l’image de sainte Foy [27]. En outre, l’hagiographe qui nous raconte cet événement, un maître de l’école épiscopale d’Angers, reconnaît que quand il est arrivé à Conques et qu’il a vu pour la première fois la statue-reliquaire de sainte Foy, il a blâmé le culte qui lui était consacré [28].

12Par conséquent, il n’est pas surprenant que quatre ou cinq années plus tard une pareille attitude iconoclaste soit née en Aquitaine [29] et au Périgord [30], et en 1025 dans la ville d’Arras [31]. Les hérétiques de Monteforte refusaient, eux aussi, d’adorer la croix, parce qu’ils voyaient l’Incarnation comme une allégorie de la vérité contenue dans l’Écriture, et non comme une réalité matérielle [32]. Comme presque tout dans la pensée hérétique de la première moitié du XIe siècle, l’iconoclasme dérivait d’une compréhension littérale du texte biblique. Étant donné la ressemblance entre certaines attitudes hérétiques et celles des juifs (iconoclasme, refus de la hiérarchie, valorisation du travail manuel), on a pensé que ces dernières communautés avaient peut-être influencé les premières. De ce point de vue, l’antijudaïsme du temps serait partie intégrante de la même critique et de la même répression ecclésiastique qui, pour la première fois, a conduit au bûcher des juifs, en 1010, et des hérétiques, en 1022, les deux événements se déroulant à Orléans [33].

13Le troisième élément contesté par les hérétiques découlait de la dénégation des images : la dénégation du ritualisme et, de cette façon, de la société basée sur les sacrements, considérés comme inefficaces par les hérétiques [34]. C’était peut-être en envisageant le danger de ce rigorisme à l’égard des images – ou même y reconnaissant déjà des traces hérétiques – que Bernard d’Angers, après avoir avoué son scepticisme initial, affirme sa foi dans l’image de sainte Foy quand il témoigne des miracles suscités par elle [35]. Comme Duby l’a remarqué, les hérétiques de l’an mille ont rêvé d’une autre société, « différemment ordonnée, fondée sur une autre conception du vrai, des rapports entre la chair et l’esprit, entre le visible et l’invisible [36] ». Société qui se prétendait égalitaire, qui proposait un contact direct avec Dieu, seulement à travers la prière, sans avoir recours aux images et aux sacrements. Si pour Leutard la dîme était « superflue et inutile », c’était à cause de l’absence de contrepartie, car la fonction ecclésiastique qui consistait à administrer les sacrements ne lui semblait pas avoir de sens. Si dans la secte de Gérard de Monteforte il n’y avait pas de prêtres comme chez les catholiques, c’était à cause de son acceptation comme sacrement de l’unique imposition de la main d’un des maiores sur le moribond [37].

14Un autre aspect du même sujet, c’était le pouvoir de communiquer les choses sacrées, exclusivité du clergé, seule catégorie « socioprofessionnelle » instruite et lettrée. Les hérétiques s’opposaient à cette situation. Il est significatif qu’immédiatement après la sortie des abeilles de la bouche de Leutard celui-ci ait commencé à parler « avec facilité » et à « persuader » son public de la validité de ses idées : ces insectes ont donc représenté, pour le paysan hétérodoxe, ce que le saint Esprit représentait pour les apôtres et, par extension, pour les prêtres catholiques [38]. Les hérétiques du Périgord pouvaient, en seulement huit jours, transformer n’importe quelle personne, même un rusticus, en orateur exceptionnel [39].

15La quatrième contestation, qui d’une certaine façon synthétisait et articulait les précédentes, c’était le refus du sexe, l’expression la plus importante et la plus aiguë de la dénégation de la matière qui caractérisait les hérésies du temps. Il est significatif que dans la parole de l’hérésiarque de Monteforte il y ait un évident parallélisme entre la prohibition de chair humaine (chasteté) et de la viande animale (végétarisme) et la prohibition d’adorer la chair supposée divine (dénégation de l’Incarnation) [40]. Pour Gérard, comme la chair est vile, on ne doit pas accepter la procréation, l’alimentation carnée, le culte des restes mortels des martyrs, ni la croyance dans le rite eucharistique qui transforme le pain en chair de Dieu et le vin en son sang.

16De ce point de vue, les hérésies de l’an mille révèlent les implications sociales du débat théologique et eucharistique entamé au siècle précédent et développé au suivant. Jusqu’au IXe siècle, l’eucharistie n’était qu’un rite communautaire et un symbole commémoratif, mais avec Pascase Radbert (v. 795-v. 865) et les nouveaux besoins de l’Église carolingienne, elle a acquis un caractère sacramentel qui annonçait une nouvelle conception de la prêtrise [41]. Il est significatif que les miracles eucharistiques, rares jusqu’à l’an mille, se soient multipliés à partir de ce moment. Il est important de remarquer que Pascase a été canonisé par Grégoire VII en 1073, au moment même où Bérenger de Tours (v. 999-1088) était condamné pour avoir vu dans l’eucharistie « réaliste », défendue par les réformistes grégoriens, un éloignement de la doctrine traditionnelle [42]. Même sans prétendre intervenir dans ce débat, faute de posséder les connaissances théologiques nécessaires, Leutard ne serait-il pas, finalement, un continuateur laïque et spontané de Ratranme et un Bérenger avant la lettre ?

17Élément central du puritanisme hérétique, le refus du sexe n’était pas une inquiétude spécifique de Leutard et de Gérard, puisqu’il était présent aussi en Aquitaine [43], à Orléans [44] et à Arras [45]. En plus, il n’était pas une manifestation exclusive de l’hérésie, il faisait partie de la logique culturelle du temps. En fait, la chasteté jouait un rôle central dans la conception du monachisme, qui l’imposait à ses membres et faisait d’elle le critère essentiel de classification sociale. En 998, l’abbé Abbon de Fleury avait divisé les êtres humains d’après leur condition sexuelle, les mariés constituant le premier ordre, les continents et les veufs le deuxième, les vierges le troisième [46]. La version monastique de Cluny, la plus influente du temps, se basait sur une moralité sexuelle encore plus rigoureuse, centrée sur l’idéal de virginité pour ses membres [47]. Contre les hérétiques d’Aquitaine qui, en 1017-1018, refusaient le baptême, le culte aux saints, la consommation de viande et le mariage [48], on a essayé d’établir dans la région un culte qui adoptait le même message rigoriste que celui qu’il prétendait combattre, affirmant que pour saint Martial de Limoges (dans la ligne déjà proposée par Abbon de Fleury) « la chasteté conjugale était bonne, meilleure la continence du veuvage, excellente et semblable aux anges l’intégrité virginale [49]. »

18Entre le puritanisme orthodoxe et l’hérétique la différence était de degré : les moines, « professionnels de la chasteté » selon l’expression employée par D. Iogna-Prat [50], se voyaient comme une élite morale dont l’abstinence rapprochait l’humanité de Dieu, alors que les hérétiques prétendaient faire de tous les chrétiens des sortes de moines, transformant le monde en un immense monastère, en un nouveau paradis [51]. Bien que seulement de degré, cette différence exprimait une rivalité entre deux visions du monde. En niant le mariage – sur lequel l’Église, malgré les difficultés, imposait peu à peu son contrôle – les hérésies entendaient soustraire au clergé la domination sur la reproduction de la société et l’inégalité structurelle qui en dérivait. La prétention des hommes et des femmes hérétiques de vivre côte à côte dans la pureté (quasi matrem aut sororem, disait Gérard de Monteforte [52]), menaçait l’essence même de la structure sociale : « l’hérésie échoua parce qu’elle fut perçue par les contemporains, présentée aux contemporains par ses adversaires, comme un mouvement féministe [53] ».

19Lentement, encore qu’avec des résistances, la morale sexuelle monastique a fini par s’imposer au clergé séculier, mais la différence de degré existant entre le puritanisme défendu par les deux segments du clergé a subsisté. Une bonne partie des séculiers voyait avec réticences l’enthousiasme religieux populaire, exprimé et nourri par les réguliers. Si d’un côté un tel enthousiasme permettait de penser à une efficace et définitive christianisation de l’Europe, avec la croissance du prestige, du pouvoir et de la richesse des oratores, de l’autre côté on craignait les excès susceptibles d’entraîner des résultats contraires. L’épanouissement des hérésies donnerait raison à cette dernière position et accentuerait les débats internes à l’Église, entre les réformistes et les conservateurs. Un bon exemple de cette effervescence sociale, institutionnelle et spirituelle propre au processus de formation de la société féodo-cléricale est l’Aquitaine de l’époque. La violence des châtelains contre le pouvoir ducal et les biens ecclésiastiques a eu pour conséquence la naissance de la Paix de Dieu aux conciles locaux de Charroux (989) et de Limoges (994).

20Ce pacte social était cimenté et garanti par un serment prêté sur les reliques des saints, en particulier sur celles de saint Martial. Dans le monastère de Limoges, où elles étaient gardées et devenues objet de pèlerinage, une basilique plus grande avait été construite pour recevoir les foules [54], une nouvelle hagiographie avait été élaborée insistant sur la chasteté du saint et sur ses pouvoirs miraculeux [55]. Par-dessus de tout, on a essayé de faire de lui un apôtre, un des compagnons du Christ, ce qui établirait un lien entre Limoges et Jérusalem, entre l’époque des Évangiles et l’époque de la Paix. Le peuple d’Aquitaine passait pour être « adopté par Dieu à travers Martial », son pays était devenu une « terre promise [56] ». Cependant, les chanoines de la cathédrale, soucieux de la concurrence de ce culte, provoquèrent en 1029 un débat public dans lequel il fut prouvé que saint Martial n’avait pas pu être un apôtre. Comme R. Landes l’a bien démontré, l’échec du culte apostolique de saint Martial découlait de la transformation opérée au sein de la religiosité populaire pendant les dix années antérieures, période qui a vu les idées hérétiques s’emparer de l’espace. C’est dans cette large zone d’austérité morale, ecclésiastique et laïque, du mouvement de Paix, que devait surgir le groupe dont la rigueur comportementale conduirait à nier le monopole spirituel de l’Église [57].

21L’année même où le duc d’Aquitaine réunissait un nouveau concile à Charroux pour réaffirmer la Paix de Dieu et combattre les hérétiques locaux – à savoir en 1028 – le mouvement hérétique de Monteforte commençait. Le puritanisme de celui-ci était une réaction à l’ancienne tradition ambrosienne de l’Église de Milan (siège de la province ecclésiastique où le château de Monteforte était localisé), qui acceptait le mariage des prêtres et condamnait seulement leur concubinage [58]. L’enracinement de ce rigorisme a eu pour conséquence que la fin du mouvement de Monteforte n’a pas été aussi la fin des exigences morales laïques à l’égard du clergé : mélangées à de nouveaux intérêts économiques et politiques, elles ont été assumées quelques décennies plus tard par un nouveau groupe réformiste, appelé « patarin », qui a réactualisé les vieilles revendications et dont la forte pression [59] – acceptée par la papauté, qui n’était pas restée étrangère à l’esprit puritain du temps – amènerait le clergé milanais à finalement accepter, en 1057, le célibat clérical [60].

22Comme l’opposition orthodoxie-hérésie est toujours idéologique, chacun des deux champs éprouvait de la difficulté à reconnaître dans l’autre quelquesunes de ses propres idées, et avait tendance à projeter sur l’opposant l’inversion des valeurs communes à l’un comme à l’autre. Par exemple, Adémar de Chabannes, peut-être l’hagiographe qui a attribué à saint Martial de Limoges la prédication de la chasteté citée ci-dessus, affirme que les hérétiques d’Aquitaine « jeûnaient comme les moines et simulaient la chasteté, mais pratiquaient entre eux toutes sortes de luxures », de la même façon que ceux d’Orléans se livraient à plusieurs « abominations et crimes » même « s’ils feignaient d’être de vrais chrétiens [61] ». Raoul Glaber, également défenseur de la pureté sexuelle, croyait que dans les mouvements d’Orléans et de Monteforte la femme était un instrument du Diable pour l’accomplissement de sa tâche, l’hérésie [62]. Landolf aussi, en pensant aux hérétiques de Monteforte, critiquait tous ceux qui faisaient semblant d’avoir des mœurs pures [63].

23Les hérétiques voyaient le mariage comme une activité charnelle qu’on ne peut absolument pas sanctifier, tandis que les oratores acceptaient les mêmes prémisses de la négativité du sexe mais proposaient de minimiser la portée de ce mal tout en disciplinant sa pratique : il n’est pas possible de l’interdire parce que la reproduction de l’espèce humaine, jusqu’à la fin des temps, fait partie des desseins divins. Mais toute l’humanité ne se reproduit pas. Seuls les faibles d’esprit le font. Ceux-là peuvent satisfaire leurs instincts pourvu qu’ils soient contrôlés par la portion chaste de l’espèce humaine, c’est-à-dire les hommes de Dieu, les ecclésiastiques. Prétendre imposer la chasteté à tout le monde, ce serait ne pas respecter la loi divine qui a divisé l’humanité en différents groupes (ordines). En raison de cela, pour l’élite ecclésiastique, l’imposition du mariage chrétien aux laïcs et du célibat aux prêtres étaient des tâches complémentaires [64].

24Parmi les hérétiques, à vrai dire, seules les élites prétendaient vivre en chasteté. Les masses adoptaient un discours antimatrimonial parce qu’ils voyaient dans le sacrement du mariage une nouveauté qui restreignait leur liberté dans le choix de la compagne, ce qui posait des problèmes successoraux et patrimoniaux, autant pour les seigneurs (c’est le cas de Monteforte) que pour les paysans moyens (c’est le cas de Leutard). De toute façon, le corollaire de la dénégation des rapports sexuels était la dénégation de l’existence même de la distinction sexuelle. Bien qu’il y ait peu d’indications sûres à cet égard, il paraît que toutes ces hérésies avaient une conception eschatologique selon laquelle, parmi les différences sociales qui devaient être abolies, la première place revenait à celle qui sépare hommes et femmes. On rêvait du rétablissement de l’androgynie paradisiaque et donc de l’union entre les humains et Dieu. C’est une telle conception qui apparaît dans le discours de Leutard et de Gérard à travers la métaphore des abeilles.

25D’ailleurs, dans le cas de Leutard, ces insectes sont présents d’autres manières. Ils expliquent la soudaine et mystérieuse aisance verbale du paysan, suivant le modèle de Platon, dont la douce éloquence avait été présagée par les abeilles que s’étaient posées sur sa bouche, ainsi que nous le racontent Cicéron et Pline [65]. Si on accepte la thèse de l’influence orientale exercée sur les hérésies occidentales du XIe siècle, cette aisance verbale est à mettre en rapport avec le folklore slave selon lequel l’abeille est une messagère de Dieu, à qui elle raconte les secrets de Satan [66]. La folie que Raoul Glaber attribuait à Leutard était aussi associée aux abeilles, car Raoul était probablement influencé par Grégoire de Tours, qui parlait d’un faux prophète de Bourges lequel, un certain jour dans la forêt, « entouré par une ruche de mouches (muscarum eum circumdedit examen)», est devenu fou pendant deux années et s’est fait adorer comme Dieu [67].

26Mais pourquoi les abeilles ont-elles été le sujet de cette métaphore paradisiaque défendue par les hérétiques de la Champagne et de la Lombardie ? La raison est simple : c’est la valorisation morale attribuée à ces insectes dans le contexte puritain et millénariste du début du XIe siècle – basée sur une idée païenne [68] et un passage véterotestamentaire [69] – selon laquelle les abeilles se reproduisaient sine coitu. H. Taviani-Carozzi a suggéré que la comparaison accomplie par l’hérésiarque de Monteforte était due à l’influence de la description que saint Ambroise avait faite de la communauté des abeilles [70]. C’est probable, mais tant dans le cas de Leutard que dans celui de Gérard, il n’y avait pas qu’une seule source. La pureté de ces insectes était reconnue par plusieurs autorités, depuis les premiers temps du christianisme.

27Lactance et Prudence ont considéré l’abeille comme un insecte toujours vierge [71]; Jérôme a pensé que les monastères devraient suivre la « discipline monastique » des abeilles [72]; Augustin a accepté l’idée de la reproduction des abeilles sans le concours du sexe parce que chez elles il n’y aurait ni mâle ni femelle [73]; la Regula Magistri a comparé l’entrée des moines dans l’oratoire avec celle des abeilles dans la ruche [74]; Grégoire de Tours a vu en chaque monastère une « ruche heureuse [75] »; Aldelm a interprété la discipline des moines comme étant semblable à celle des abeilles [76]; Isidore de Séville a suivi la vieille idée des abeilles nées de cadavres pourris de veaux ou de bœufs [77]; Julien de Tolède a raconté que pendant la cérémonie d’onction royale de Wamba une abeille a survolé sa tête, « signe qui présageait le bonheur [78] »; Aimoin a surnommé l’abbé Abbon de Fleury, dont il voulait faire l’éloge, la « très sage abeille [79] »; Pierre Damien a répété l’idée répandue selon laquelle les abeilles se reproduisaient sans coït [80]; la formule de bénédiction de la bougie pascale liturgique a établi un parallèle entre la Vierge et l’abeille, appelant celle-ci la mère qui sans douleur et sans perdre la virginité, donne naissance à la bougie [81]; une enluminure du XIe siècle montre deux essaims d´abeilles dans une scène de la Nativité, l’un d’eux très proche de la tête de la Vierge [82].

28Bref, nombreuses étaient les sources disponibles. Mais les deux hérésies avaient-elles accès à cette riche production intellectuelle ? Directement ou indirectement, tout nous amène à penser que la réponse est affirmative, soit dans le cas de Gérard [83], soit dans celui de Leutard [84]. En plus, tous les deux ont dû avoir des contacts avec le thème de la reproduction asexuée des abeilles au moins grâce au mythe d’Orphée, bien connu à l’époque, surtout dans sa version virgilienne. Selon celle-ci, l’apiculteur Aristée aurait perdu ses abeilles parce qu’il avait essayé de violer Euridice, qui était morte dans la fuite. Après avoir identifié la cause de sa malchance grâce à Protée, divinité dotée de pouvoirs prophétiques, et avoir été conseillé par lui, l’apiculteur a essayé de calmer les dieux en sacrifiant en leur honneur quatre bœufs, dont les entrailles putréfiées produisirent de nouvelles ruches [85]. Récit apparemment simple, dont l’essence n’apparaîtrait pas si on ne considérait pas la cause pour laquelle les abeilles avaient abandonné Aristée. Comme M. Detienne l’a montré, depuis d’Aristote jusqu’aux traités byzantins, pendant plus de quinze siècles, l’abeille a été imaginée comme un insecte pur, chaste, végétarien, gêné par les parfums forts, indices de volupté et de séduction. Plutarque a comparé les abeilles aux femmes légitimes, fidèles et pleines de vertus domestiques, affirmant qu’elles piquent seulement les individus coupables d’activité sexuelle illicite, de telle sorte que les apiculteurs doivent avoir une vie conjugale irréprochable. De façon expressive, les participantes des Tesmophories, la fête de Deméter réservée aux épouses légitimes, étaient appelées melissai, « abeilles ». Or, Aristée, homme marié, a perdu ses abeilles à cause d’une faute sexuelle, son désir illimité et illicite pour la femme d’un autre homme. Il arrive qu’Euridice, récemment mariée (numphe, non pas kore, vierge célibataire, pas encore meter, femme qui était déjà mère), était presque une melissa, mais encore dans la dangereuse phase de la « lune-de-miel », période des plaisirs sexuels avant de devenir en effet une « abeille ». C’est pour exhaler cette odeur de plaisir qu’elle a involontairement conduit l’apiculteur à la faute [86].

29Que Leutard et Gérard aient eu connaissance littéraire ou orale de Virgile c’était assez probable, celui-ci étant le poète classique le plus admiré au Moyen Âge [87]. Cette possibilité est renforcée par le fait que, juste après son récit sur Leutard, Raoul Glaber parle de l’hérésie de Ravenne, dans laquelle le clerc Vilgard a été conduit à des erreurs dogmatiques par des démons qui, sous l’apparence de Virgile, Horace et Juvénal, sont allés le remercier d’avoir étudié davantage les vieux poètes que les textes sacrés. De même que les abeilles ont rendu Leutard fou (insanum), la poésie a fait de Vilgard un homme stupide (stultior) [88]. L’indéniable popularité de Virgile est confirmée par les critiques dirigées contre son œuvre par des rigoristes comme Raoul Glaber mais aussi par un contemporain anonyme qui a considéré le poète romain comme un « dangereux séducteur des imaginations [89] ».

30Ainsi, tous les deux, le mythe gréco-romain (et ses interprétations médiévales [90]) et la pensée théologique et scientifique du haut Moyen Âge  [91], ont fait des abeilles des êtres vierges et chastes, épargnés par la luxure. Grâce à cela, à plusieurs reprises elles ont servi de métonymie de vertus et, dans cette fonction, elles ont été associées à la notion de multiplication humaine paradisiaque définie par quelques penseurs. Pour Grégoire de Nysse, la reproduction des êtres humains sans le péché originel serait comme celle des anges, spirituelle, absolument pure [92]. Pour saint Augustin, ante peccatum, « les enfants seraient nés de la seule affection des parents, pure de toute concupiscence [93] ». En effet, poursuit-il, « je ne vois pas ce qui aurait pu empêcher qu’il y ait eu pour eux, même au paradis, un mariage honoré et un lit nuptial sans souillure. Dieu leur aurait accordé […] d’engendrer des enfants sans ressentir les ardeurs inquiètes de la concupiscence, sans connaître le travail et la douleur de l’enfantement [94] ». À la recherche d’une société parfaite, les hérétiques de Monteforte croyaient qu’il serait possible de transformer la Terre en Éden si on respectait la chasteté absolue dans le mariage, de telle façon que les couples se reproduisent sicut apes sine coitu[95]. Pour Jean Scot Érigène, influencé par Origène, Maxime le Confesseur (de qui il a traduit Ambigua et Quaestiones ad Thalassium) [96] et surtout par Grégoire de Nysse (de qui il a traduit De hominis opificio) [97], le plan de Dieu pour l’espèce humaine serait identique à celui des anges, duquel elle est restée éloignée à cause du Péché. La division de la nature, acte divin par excellence – soit, la création d’une série infinie d’êtres hiérarchiquement ordonnés – aurait comme sommet l’être humain, synthèse de toutes les créatures. En lui se seraient fondus le monde et le paradis, dans la mesure où la nature terrestre serait chez lui une nature spirituelle, lui permettant de se multiplier angéliquement. Cependant, ayant prévu la Chute, Dieu a doté l’être humain de la possibilité de se diviser en sexes, comme les animaux, ce qui se concrétisa lorsque l’homme céda à la tentation de la désobéissance et de la superbe. S’il n’avait pas péché, la division des sexes ne se serait pas produite, car la sexualité nie le concept même d’image divine qui « n’est pas ni masculine ni féminine [98] ».

31Plus encore, sans la faute primordiale le monde ne se serait pas écarté du paradis, il continuerait à former un tout. Mais le péché est arrivé et, après l’expulsion, la procréation humaine est devenue animale [99], sexuelle, ex corruptibile semine[100]. Par conséquent si, dans le processus de division de la nature, la dernière étape avait été la séparation de l’être humain en deux sexes, dans le processus inverse, celui de la Résurrection ou du retour de toutes les choses à son commencement, le premier pas sera la réunification sexuelle [101]. Bien que formulées plus qu’un siècle auparavant, de telles idées n’étaient pas ignorées au début du XIe siècle. L’hérésiarque de Monteforte paraît avoir médité sur ces questions [102]. L’évêque Gérard de Cambrai, qui a interrogé les hérétiques d’Arras, connaissait bien ces idées [103]. Elles étaient répandues dans le nord de la France, spécialement dans la région comprise entre Laon, Auxerre et Chartres, là même où se trouvait le village de Leutard. Raoul Glaber, lui aussi, ne devait pas les méconnaître. Dans la bibliothèque de Saint-Germain d’Auxerre, monastère où il a commencé et a terminé sa carrière, il y avait probablement des ouvrages d’Érigène [104]. Dans la bibliothèque de Cluny – où il a écrit [105] ou corrigé [106] le livre II de ses Historiae, qui contient le passage sur les abeilles – il y avait aussi des manuscrits d’Érigène [107] dont les idées ont été utilisées dans l’élaboration du concept de « quaternité divine », élément central de sa chronique [108]. Donc, nous ne sommes pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle Raoul Glaber aurait introduit dans son texte l’image des abeilles à titre de « dérision [109] ». Le fait que le chroniqueur tienne Leutard à plusieurs reprises pour un fou ne signifie pas qu’il n’ait pas compris ou qu’il ait méprisé le symbolisme présent dans l’histoire de l’hérétique. Il lui paraissait juste que ce soit œuvre démoniaque qu’un paysan puisse arriver à des conclusions pratiques et dangereuses, à partir de simples fragments théologiques.

32Concrètement, c’est la conception érigénienne d’exitus-reditus (c’est-à-dire, de division et réunification de la nature) [110] qui paraît être à la base du rôle que les abeilles ont joué dans la pensée de Leutard de Vertus et de Gérard de Monteforte. Dans le discours de celui-ci, par exemple, il y a deux enchaînements d’idées très importants. Dans le premier, la valorisation de la virginité est immédiatement suivie par la prohibition de manger de la viande, ensuite par l’éloge de la prière continue et de la possession commune des biens, et finalement par la pratique du sacrifice rituel de ceux qui étaient près de la mort. Dans la seconde chaîne d’idées, le passage sur les abeilles est suivi par la réfutation de l’absolution sacerdotale et, encore une fois, par le sacrifice rituel des moribonds. C’est-à-dire que de la même façon que les incessantes prières des maiores et la possession commune des biens matériels étaient vus par tous les hérétiques comme favorables, la mort sacrificielle n’était pas conçue comme un bénéfice pour l’individu, mais pour toute la communauté [111].

33Ces déclarations de l’hérésiarque de Monteforte sont apparues comme magna ac terribilia à l’archevêque milanais Héribert [112], cependant elles avaient indiscutablement une logique propre qui doit être prise en considération si nous voulons comprendre la question. Cette logique, toutefois, ne se révèle pas facilement, puisque chaque hérésie est un « phénomène mental très complexe [113] », c’est la prise de conscience d’un choix dont « l’origine psycho-logique » doit être recherchée [114]. Dans cette ligne, nous proposons comme point de départ un aspect apparemment peu important (mais presque toujours révélateur dans ce type d’analyse), l’abstinence de viande.

34Nous avons déjà indiqué qu’elle était une expression du puritanisme typique de l’époque, mais il manque à l’analyse l’essentiel : comprendre les motivations du phénomène. Une explication culturelle est pertinente – le rejet des représentations artistiques du combat entre les hommes et les animaux, basées sur les thèmes mythiques de Gilgamesh, Samson et Hercule [115] – mais pas concluante. Une explication sociale est importante – la société aristocratique était essentiellement « carnivore », et les hérésies avaient une forte composante de contestation de la société féodale [116] – mais pas suffisante. La dénégation du présent était plus radicale : elle entraînait une attitude utopique. Une fois qu’elles interdisaient complètement la consommation de viande [117], les hérésies de la fin du Xe siècle et du début du XIe rendaient à nouveau présente la vie paradisiaque antérieure au Péché, le temps d’alimentation végétarienne [118].

35Quand ils ont insisté sur la prohibition de manger de la viande quelques jours par semaine, les conciles de la Paix de Dieu [119] se sont placés dans la même perspective d’un rétablissement symbolique de l’harmonie paradisiaque entre l’homme et la nature, présupposition de la vie paisible entre les êtres humains. Si l’hérésie d’Arras n’explicite pas ce tabou alimentaire, elle prêche néanmoins la non-violence absolue [120], ce qui devait condamner la violence contre les animaux, de la même façon que le feraient un peu plus tard, en 1043-1048, les hérétiques d’un diocèse proche de ChâlonssurMarne [121], ce diocèse de Châlons où était le village de Leutard. D’ailleurs, comme la mort de ce dernier, en 1004, n’avait pas mis fin à ses idées – il n’y a pas d’hérétique isolé, le phénomène est toujours social [122], ou, si l’on veut, socio-psychologique – contre lesquelles on devait, en 1015 encore, réunir un synode à Châlons [123], on peut imaginer que parmi ses idées il y avait peut-être le végétarisme, malgré le silence de Raoul Glaber à ce propos.

36Le cas de Monteforte est encore plus révélateur de cet aspect. Le rite des tormenta, pratiqué par cette communauté, établissait un rapport structurel entre le fait que les abeilles soient nées, toujours vierges, de viande morte et le fait que la chair humaine puisse atteindre la virginité éternelle seulement après sa mort volontaire. Cette pratique a déjà été interprétée comme une manifestation du pessimisme hérétique [124]. Mais si elle était, en effet, une dénégation de son présent, elle était surtout une expression d’espoir : l’imposition de la double abstinence, charnelle et « carnivore », récupérait symboliquement l’unité primordiale d’Adam avant la chute, d’un être androgyne, donc vierge [125], qui avait vécu harmonieusement avec les animaux, sans consommer de la viande, habitude postdiluvienne [126]. Si l’idéal alimentaire du haut Moyen Âge a vraiment été végétarien [127], peut-être la cause en fut-elle, précisément, l’identification inconsciente avec l’être humain entier et intègre, tel qu’il avait vécu dans l’Éden.


Mots-clés éditeurs : Landolf, abeilles, millénarisme, hérésies, Raoul Glaber

https://doi.org/10.3917/rma.111.0071

Notes

  • [1]
    R. MORGHEN, Medioevo cristiano, Bari, 1951, p. 212-286; ID., Le problème sur l’origine de l’hérésie au Moyen Âge, Hérésies et sociétés dans l’Europe pré-industrielle, XIe-XVIIIe siècles, éd. J. LE GOFF, Paris-La Haye, 1968, p. 121-138; H. TAVIANI, Naissance d’une hérésie en Italie du Nord au XIe siècle, Annales E.S.C., t. 32,1974, p. 1224-1252.
  • [2]
    P. DONDAINE, L’origine de l’hérésie médiévale, Rivista di Storia della Chiesa, t. 6,1952, p. 47-78; C. THOUZELLIER, Tradition et résurgence dans l’hérésie médiévale, Hérésies et sociétés, p. 105-116 ; M. FRASSETTO, The sermon of Ademar of Chabannes and the letter of Heribert. New sources concerning the origins of medieval heresy, Revue bénédictine, t. 109,1999, p. 324-340.
  • [3]
    A. BORST, Die Katharer, Stuttgart, 1953.
  • [4]
    R. FOSSIER, Les mouvements populaires en Occident au XIe siècle, Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1971, p. 257-269 ; C. VIOLANTE, La pauvreté dans les hérésies du XIe siècle en Occident, Études sur l’histoire de la pauvreté (Moyen Âge-XVIe siècle), sous la dir. de M. MOLLAT, t. 1, Paris, 1974, p. 347-369 ; J. MUSY, Mouvements populaires et hérésies au XIe siècle en France, Revue historique, t. 99,1975, p. 33-76 ; G. GRACCO, Le eresie del mille, fenomeno di regetto delle strutture feudale ?, Structures féodales et féodalisme dans l’Occident méditerranéen, Rome, 1978, p. 345-361.
  • [5]
    St. RUNCIMAN, The medieval manichee. A study of the christian dualist heresy, Cambridge, 1947 ; J.B. RUSSELL, Interpretations of the origins of medieval heresy, Medieval Studies, t. 25,1963, p. 26-53; M.D. CHENU, Orthodoxie et hérésie. Le point de vue du théologien, Hérésies et sociétés, p. 9-17; A. BRENON, Les hérésies en l’an mil : nouvelles perspectives sur les origines du catharisme, Heresis, t. 24,1995, p. 21-36 ; C. TAYLOR, The letter of Héribert of Périgord as a source for dualist heresy in the society of early eleventh-century Aquitaine, Journal of medieval History, t. 26,2000, p. 313-349.
  • [6]
    À propos de ces chroniqueurs, voir G. CAVALLO, Introduzione, RAOUL GLABER, Cronache dell’anno mille, éd. et trad. G. CAVALLO et G. ORLANDI, 5e éd., Milan, 1998, p. IX-XLIX ; J. FRANCE, The life and works of Rodulfus Glaber, RAOUL GLABER, The five books of the Histories, éd. et trad. J. FRANCE, Oxford, 1989, p. XIX-XXXIV ; L.A. FERRAI, I fonti di Landolfo Seniore, Bullettino dell’Istituto storico italiano per il Medio Evo, t. 14,1895, p. 7-70; J.W. BUSCH, Landulfi Senioris Historia Mediolanensis. Überlieferung, Datierung und Intention, Deutsches Archiv, t. 45,1989, p. 1-30.
  • [7]
    Selon J.P. POLY et É. BOURNAZEL, La mutation féodale, Paris, 1980, p. 388,421,425, Leutard défendait ses idées hérétiques depuis 997.
  • [8]
    RAOUL GLABER, Histoires, éd. G. CAVALLO et G. ORLANDI, trad. M. ARNOUX, Turnhout, 1996, p. 134-137 (Cronache dell’anno mille, p. 104-107; The five books, p. 88-91).
  • [9]
    LANDOLF SENIOR, Historia Mediolanensis, éd. L.C. BETHMANN et W. WATTENBACH, M.G.H., SS., t. 8, p. 65,66. Les maiores cités par l’hérésiarque de Montefort sont des « prêtres (pontificem) sans tonsure ni mystère » (p. 66), semblables à ceux qui seraient les « parfaits » de l’hérésie cathare, quelques décennies plus tard. Il est aussi intéressant de remarquer que très proche du village de Leutard se trouvait le château de Mont-Guimer, devenu ultérieurement le centre d’un évêché cathare : POLY et BOURNA-ZEL, op. cit., p. 389.
  • [10]
    G. DUBY, Conclusion, Hérésies et sociétés, p. 403.
  • [11]
    G. CRACCO, Riforma ed eresia in momenti della cultura europea tra X e XI secolo, Rivista di Storia e Letteratura religiosa, t. 7,1971, p. 411-477.
  • [12]
    Chronicon, éd. P. BOURGAIN, R. LANDES, G. PON, Turnhout, 1999, p. 178-179. Un peu plus tard, en 1049, le pape condamnait « l’hérésie simoniaque » : La vie du pape Léon X, éd. M. PARISSE, trad. M. GOULLET, Paris, 1997, p. 86-87. Voir aussi J. LECLERCQ, Simoniaca heresis, Studi Gregoriani, t. 1,1947, p. 523-530.
  • [13]
    HUMBERTO DA SILVA CANDIDA, Adversus simoniacos, éd. F. THANER, M.G.H., Libelli de lite imperatorum et pontificum, t. 1, Hanovre, 1891, p. 161-162 ; PIERRE DAMIEN, Opuscula varia, P.L., t. 145, col. 153.
  • [14]
    ABBON DE FLEURY, Apologeticus ad Hugonem et Rodbertus reges francorum, P.L., t. 139, col. 464.
  • [15]
    Un témoin de la crainte de l’an 1000. La lettre sur les Hongrois, éd. R.B.C. HUYGENS, Latomus, t. 15,1956, p. 234.
  • [16]
    ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p. 170,180 ; O.F. CALLAHAN, The Manichaeans and the Antichrist in the writings of Ademar of Chabannes : « the terrors of the year 1000’ and the origins of popular heresy in the medieval West, Studies in Medieval and Renaissance History, t. 15,1995, p. 163-223.
  • [17]
    Histoires, p. 110-117. L’insistance de Raoul Glaber sur l’insanité de Leutard (hominem insanientem) a fait que J.B. RUSSELL, Disent and reform in the early Middle Ages, Berkeley, 1965, p. 111, a considéré cet hérétique comme « excentrique », sans avoir bien compris son rôle.
  • [18]
    H. GRUNDMANN, Hérésies savantes et hérésies populaires au Moyen Âge, Hérésies et sociétés, p. 213.
  • [19]
    A. VAUCHEZ, Diables et hérétiques : les réactions de l’Église et de la société en Occident face aux mouvements religieux dissidents, de la fin du Xe au début du XIIe siècle, Santi e demoni nell’Alto Medioevo (secoli V-XI), t. 2, Spolète, 1989, p. 586. Par exemple, BERNARD D’ANGERS appelle « hérétique » un homme que n’a pas cru à sa narration sur les miracles de sainte Foy : Liber miraculorum Sancte Fides, éd. L. ROBERTINI, Spolète, 1994, p. 99.
  • [20]
    Ainsi pensait l’hérésie d’Orléans (ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p. 180), celle de Leutard, qui expulse son épouse ex precepto evangelico (RAOUL GLABER, Histoires, p. 134), celle du Périgord, dont les adeptes prétendaient pratiquer une apostolica uita (HERIBERT, Epistola, éd. G. LOBRICHON, Le clair-obscur de l’hérésie au début du XIe siècle en Aquitaine, Historical reflexions-Réflexions historiques, t. 14,1987, p. 441).
  • [21]
    Le mécontentement, c’est évident, n’était pas privilège de la Champagne : J.G. GOUTTEBROZE, Le duc, le comte et le peuple. Remarques sur une sédition des paysans en Normandie, autour de l’an mil, Le Moyen Âge, t. 101,1995, p. 407-423.
  • [22]
    Si Landolf ne dit rien de la condition sociale des hérétiques de Monteforte, les identifiant seulement comme castro hominem (Historia Mediolanensis, p. 65) – ce qui peut être interprété soit dans un sens restreint (« hommes du château », donc nobles), soit au sens large (« hommes placés sous la juridiction du château », c’est-à-dire l’ensemble des nobles qui l’habitaient et les villageois qui vivaient autour de lui) – Raoul Glaber, qui avait voyagé dans la région au moment de l’apparition de l’hérésie, dit que les hérétiques étaient « parmi les plus nobles de ce peuple » (Histoires, p. 231), et parmi eux vraisemblablement se trouvait la comtesse de Monteforte, elle-même.
  • [23]
    C. VIOLANTE, La società milanese nell’età precomunale, Bari, 1974, p. 228-229.
  • [24]
    Sacrorum Conciliorum Nova et Amplissima Collectio, éd. J.D. MANSI, t. 19, Venise, 1774, col. 425 D.
  • [25]
    O. GIORDANO, Religiosidad popular en la Alta Edad Media, trad. esp., Madrid, 1983, p. 59-75.
  • [26]
    Avant le VIIIe siècle, les croix ne portaient presque jamais l’image du Christ, devenues ensuite fréquentes, quoique les représentations grandeur nature soient apparues seulement au XIe siècle, quand « pour la première fois, si l’on peut dire, le Christ est présent de manière visible dans l’église »: É. DELARUELLE, Le crucifix dans la piété populaire et dans l’art, du VIe au XIe siècle, dans ID., La piété populaire au Moyen Âge, Turin, 1975, p. 36. On doit voir aussi P. THOBY, Le crucifix des origines au concile de Trente, Nantes, 1959; M.C. SEPIERE, L’image d’un Dieu souffrant (IXe-Xe siècle). Aux origines du crucifix, Paris, 1994.
  • [27]
    Liber miraculorum, p. 113-114.
  • [28]
    Ibid., p. 112-113. A.G. REMENSNYDER, Un problème de cultures ou de culture ? La statue-reliquaire et les joca de sainte Foy de Conques dans le Liber Miraculorum de Bernard d’Angers, Cahiers de Civilisation médiévale, t. 33,1990, p. 351-379.
  • [29]
    ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p. 170. Si apparemment les hérétiques d’Orléans ne sont pas arrivés à la pratique iconoclaste, sans doute ont-ils ridiculisé la théologie trinitaire et christocentrique : PAUL DE CHARTRES, Vetus Agano, P.L., t. 155, col. 267AB.
  • [30]
    HERIBERT, Epistola, p. 442.
  • [31]
    Sacrorum Conciliorum, col. 453-454 (crucifix), 454-455 (images du Christ), 455 AC (images des saints). Contre l’iconoclastie des hérétiques locaux, le synode d’Arras a répété, en lignes générales, les anciens arguments de GRÉGOIRE LE GRAND (Epistolarum, P.L., t. 77, col. 1128-1129) selon lesquels les images visuelles étaient les livres des illettrés : illiterati quod per Scripturas non possunt intueri, hoc per quaedam picturae lineamenta contemplantur (col. 454 E).
  • [32]
    Historia Mediolanensis, p. 66.
  • [33]
    RAOUL GLABER, Histoires, p. 182-201; ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p.180; R. LANDES, La vie apostolique en Aquitaine en l’an mil. Paix de Dieu, culte des reliques et communautés hérétiques, Annales E.S.C., t. 46,1991, p. 585-586.
  • [34]
    ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p. 170 (Aquitaine) et p. 180 (Orléans); HÉRIBERT, Epistola, p. 442 (Périgord); Sacrorum Conciliorum, col. 424 D, 425-430,440, 442-444 (Arras).
  • [35]
    Liber miraculorum, p. 113-114.
  • [36]
    G. DUBY, Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris, 1978, p. 164-165.
  • [37]
    Historia Mediolanensis, p. 66 : pontificem habemus non illum Romanum, sed alium […] sine tonsura capitis, nec misterium. Voir aussi RAOUL GLABER, Histoires, p. 230-233.
  • [38]
    Jn 14,26 ; Ac 2,1-4.
  • [39]
    Sit sapiens, litteris, uerbis et exemplis, ut nec superari a quoquam ulterius ullomodo possit : HÉRIBERT, Epistola, p. 442. De même, les hérétiques de Liège, en 1048, pouvaient faire d’un ignorant quelqu’un « plus éloquent que le plus savant des catholiques », selon ANSELME, Gesta episcoporum Tungrensium, Traiectensium et Leodiensium, éd. R. KOEPKE, M.G.H., SS., t. 7, p. 227-228.
  • [40]
    Historia Mediolanensis, p. 65,66. TAVIANI, Naissance d’une hérésie, p. 1231, propose une lecture du manuscrit que rend ce parallélisme encore plus intense : nemo nostrum exore carnaliter utitur […] carnibus nunquam utimur [au lieu de vescimur, comme apparaît dans l’édition des M.G.H., SS.].
  • [41]
    De corpore et sanguine Dei, éd. B. PAULUS, Turnhout, 1969. Contre cette nouveauté sont apparues des manifestations d’hérésie eucharistique même parmi les hautes autorités ecclésiastiques, ainsi l’exemple (peut-être Léoteric de Sens, archevêque entre 999 et 1032) cité par HELGAUD, Vie de Robert le Pieux, éd. et trad. R.H. BAUTIER et G. LABORY, Paris, 1965, p. 64-65.
  • [42]
    Bérenger s’est basé sur un texte de Ratramne de Corbie (v. 800-v. 870), attribué par lui à Scot Érigène, définissant l’hostie et le vin comme semblables au corps et au sang du Christ (RATRAMNE DE CORBIE, De corpore et sanguine Domini, éd. J.N. BAKHUIZEN VAN DEN BRINK, dans Verhandelingen der koninklijke nederlandse Akademie van Wetenschappen, Afd. Letterkunde, t. 87,1974, p. 39-70; J.P. BOUHOT, Ratramne de Corbie, Paris, 1976). La position de Bérenger était une évidente réaction à la tendance de l’Église de matérialiser la présence du Christ lors du sacrement, car le concile de 1059 avait parlé de sensualiter et le concile de 1079 de substantialiter. Sur tout cela, J. DE MONTCLOS, Lanfranc et Bérenger. La controverse eucharistique du XIe siècle, Louvain, 1971.
  • [43]
    ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p. 170.
  • [44]
    Ibid., p. 180. Parce que le discours clérical inverse le discours hérétique, au milieu du XIe siècle, ANDRÉ DE FLEURY, Vie de Gauzlin, abbé de Fleury, éd. et trad. R.H. BAUTIER et G. LABORY, Paris, 1969, p. 98-99, affirme que pour les hérétiques d’Orléans le mariage ne doit pas être fait avec bénédiction car chacun peut prendre la femme qu’il veut, d’où, peut-être, RAOUL GLABER qui les appelle d’« hérétiques épicuriens » (Histoires, p. 191).
  • [45]
    Sacrorum Conciliorum, col. 425 D, 447-448 AB.
  • [46]
    Apologeticus ad Hugonem et Rotbertus, P.L., t. 139, col. 463 B.
  • [47]
    D. IOGNA-PRAT, Continence et virginité dans la conception clunisienne de l’ordre du monde autour de l’an mil, Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1985, p. 127-146.
  • [48]
    ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p. 170.
  • [49]
    La vie de saint Martial de Limoges. Un apocryphe de l’an mil, prés. R. LANDES, trad. C. PAUPERT, Turnhout, 1991, p. 94, et aussi p. 89.
  • [50]
    Entre anges et hommes : les moines « doctrinaires » de l’an mil, La France de l’an mil, éd. R. DELORT, Paris, 1990, p. 249.
  • [51]
    DUBY, Les trois ordres, p. 166-167.
  • [52]
    Historia Mediolanensis, p. 65.
  • [53]
    G. DUBY, Le chevalier, la femme et le prêtre, Paris, 1981, p. 119.
  • [54]
    La multitude est si grande que plus de 50 pèlerins se marchent les uns sur les autres et expirent dans l’église au Carême de 1018, d’après ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p. 169. C’est pour cette raison qu’une nouvelle église a été consacrée dix années plus tard.
  • [55]
    Citée n. 49.
  • [56]
    Cité par D.F. CALLAHAN, The sermons of Ademar of Chabannes and the cult of Saint Martial of Limoges, Revue bénédictine, t. 86,1976, p. 284 n. 5.
  • [57]
    LANDES, La vie apostolique, p. 573-593.
  • [58]
    Historia Mediolanensis, p. 70,78-79.
  • [59]
    Ibid., p. 77,81.
  • [60]
    ARNULF, Gesta archiepiscoporum Mediolanensium, éd. L.C. BETHMANN et W. WATTERBACH, M.G.H., SS., t. 8, p. 20; G. MICCOLI, Per la storia della pataria milanese, Bullettino dell’Istituto storico italiano per il Medio Evo, t. 70,1958, p. 43-123.
  • [61]
    Chronicon, p. 170,180. Aux environs de 1080, un autre chroniqueur accusait les hérétiques d’Orléans de pratiquer le sexe libre dans des réunions nocturnes : PAUL DE CHARTRES, Vetus Agano, P.L., t. 155, col. 266 A.
  • [62]
    Histoires, p. 186-189,230-233; J. FRANCE, Glaber as reformer, Studia Monastica, t. 34,1992, p. 41-49.
  • [63]
    Historia Mediolanensis, p. 45.
  • [64]
    DUBY, Le chevalier, la femme et le prêtre, p. 120-131.
  • [65]
    Respectivement, De divinatione, éd. O. PLASBERG, Leipzig, 1938, p. 38,92; Histoire Naturelle, éd. et trad. A. ERNOUT, t.11, Paris, 1947, p. 46. L’éditeur de ce dernier texte informe que le même événement a été attribué à d’autres païens célèbres, comme Homère et Virgile, et plus tard à quelques saints (p. 139). La capacité rhétorique octroyée par les abeilles était associée à leur intelligence : G. GULDENTOPS, The sagacity of the bees. An aristotelian topos in the thirteenth century philosophy, Aristotle’s animals in the Middle Ages and Renaissance, éd. C. STEEL, G. GULDENTOPS et P. BEULLENS, Louvain, 1999, p. 275-296.
  • [66]
    Cité par RUNCIMAN, The Medieval manichee, p. 87.
  • [67]
    Historia francorum, éd. B. KRUSCH, M.G.H., Scriptores Rerum Merovingicarum, t. 1, Hanovre, 1885, p. 437 ; POLY et BOURNAZEL, op. cit., p. 426, pensent qu’elles étaient des « mouches à miel ».
  • [68]
    Par exemple, VARRON, Res rusticae/Economie rurale, éd. et trad. C. GUIRAUD, t. 2, Paris, 1985, p. 45 ; OVIDE, Metamorphose, éd. et trad. G. LAFAYE, 5e éd., Paris, 1972, p. 133; PLINE, Histoire naturelle, t. 11, p. 50. Un riche recueil de citations sur l’abeille dans la littérature classique est celui de W. ROBERT-TORNOW, De Apium mellique apud veteres : significatione et symbolica et mythologica, Berlin, 1893.
  • [69]
    Jg 14,8-9.
  • [70]
    TAVIANI, Naissance d’une hérésie, p. 1232, en citant Hexameron, P.L., t. 14, col. 234B. À propos de cette comparaison, M. MISCH, Apis est animal. Apis est Ecclesia. Ein Beitrag zum Verhältnis von Naturkunde und Theologie in Spätmittelalter und mittelalterlichen Literatur, Berne-Francfort, 1974.
  • [71]
    LACTANCE, Divinarum Institutiones, P.L., t. 6, col. 155 ; PRUDENCE, Cathemerinon Liber, éd. et trad. M. LAVARENNE, t. 1, Paris, 1972, p. 14.
  • [72]
    SAINT JÉRÔME, Lettres, éd. et trad. J. LABOURT, t. 7, Paris, 1961, p. 124.
  • [73]
    De Trinitate, éd. et trad. esp. L. ARIAS, 3e éd., Madrid, 1968, p. 242 ; De civitate Dei, éd. MIGNE, trad. S. SANTAMARTA DEL RIO et M. FUERTES LANERO, 3e éd., t. 2, Madrid, 1978, p. 223.
  • [74]
    Regula Magistri, éd. et trad. A. DE VOGÜÉ, t. 2, Paris, 1964, p. 258-259.
  • [75]
    Vita patrum, éd. KRUSCH, p. 665.
  • [76]
    De laudibus virginitatis, P.L., t. 89, col. 107 A.
  • [77]
    Etimologias, éd. W.M. LINDSAY, trad. J. OROZ RETA et M.A. MARCOS CASQUERO, t. 2, Madrid, 1983, p. 54-55,120-121.
  • [78]
    Historia Wamba, éd. W. LEVISON, Turnhout, 1976, p. 220; Crónica de Alfonso III, éd. J. GIL FERNÁNDEZ, trad. J.L. MORALEJO, Oviedo, 1985, version A Sebastián, p. 197, version Rotense, p. 196. Nous devons ces indications à deux amis et collègues, que nous remercions vivement, R. DE OLIVEIRA ANDRADE FILHO (Universidade Estadual Paulista) et M. NUÑEZ RODRIGUEZ (Universidade de Santiago de Compostela). Selon ERNOUT, éditeur et traducteur de PLINE, dans l’Antiquité classique la croyance aux présages annoncés par les abeilles était fort répandue : op. cit., p. 139 n. 2. Un exemple de ceci est VALÈRE MAXIME, Factorum et dictorum memorabilium libri XI, éd. C. KEMPF, Leipzig, 1888, cité par J. VOISENET, Bestiaire chrétien. L’imagerie animale des auteurs du haut Moyen Âge (Ve-XIe siècle), Toulouse, 1994, p. 88.
  • [79]
    Vita Abonnis, P.L., t. 139, col. 394 A.
  • [80]
    PIERRE DAMIEN, Die Briefe, éd. K. REINDEL, M.G.H., Die Briefe der deutschen Kaiserzeit, t. 4, vol. 3, Munich, 1989, p. 59.
  • [81]
    G. MALHERBE, Les abeilles de l’Exsultet, Questions liturgiques et paroissiales, t. 15,1930, p. 64-69.
  • [82]
    Exultet 1, Bibliothèque de Mont-Cassin, image reproduite dans l’Enciclopedia dell’Arte Medievale, t. 6, Rome, 1995, p. 65.
  • [83]
    Pour Landolf, l’hérésiarque de Monteforte était ingenio acutissimus (Historia Mediolanensis, p. 65). Sur l’intellectualisme de cette secte, VIOLANTE, La società milanese, p. 221-228.
  • [84]
    Dans une note à leur édition de Raoul Glaber, CAVALLO et ORLANDI affirment que l’usage du « simbolo delle api dimostra che Leutardo doveva essere tutt’altro che un villano incolto » (Cronache, p. 320 n. 107), position pareille à celle qui fut adoptée par VIOLANTE, La pauvreté dans les hérésies, t. 1, p. 361.
  • [85]
    Géorgiques, éd. et trad. H.G. GOELZER, Paris, 1935, p. 153-162.
  • [86]
    M. DETIENNE, Orphée au miel, Faire de l´histoire, sous la dir. de J. LE GOFF et P. NORA, t. 3, Paris, 1974, p. 56-75.
  • [87]
    B. MUNK OLSEN, L’étude des auteurs classiques latins aux XIe et XIIe siècles, t. 2, Paris, 1985, p. 701-796 ; t. 3,2, p. 142-153, comptabilise des centaines de manuscrits médiévaux de Virgile, dont le récit d’Orphée a été sans doute beaucoup plus répandu au Moyen Âge que la version synthétique utilisée par un recueil de mythes classiques réuni entre 875 et 1075 (duquel existe seulement un manuscrit) et qui omet le détail des abeilles : Le premier mythographe du Vatican, éd. N. ZORZETTI, trad. J. BERLIOZ, Paris, 1995, p. 47-48.
  • [88]
    Histoires, p. 136-139.
  • [89]
    Vita sancti Maioli auctore Syro monacho, P.L., t. 137, col. 752.
  • [90]
    Une autre source importante pour la connaissance que le Moyen Âge a eue du mythe d’Orphée a été Boèce, qui ne parle pas de l’épisode d’Aristée, toutefois récupéré par un commentateur, Remi d’Auxerre, qui écrivait au début du Xe siècle : J.B. FRIEDMAN, Orphée au Moyen Âge, trad. fr., Fribourg-Paris, 1999, p. 114-128. Sur l’évolution du mythe, Orpheus. The metamorphosis of a myth, éd. J. WARDEN, Toronto, 1985.
  • [91]
    Et encore postérieur, par exemple, au XIIIe siècle, le bestiaire d’Oxford (Le bestiaire, trad. M.F. DUPUIS et S. LOUIS, Paris, 1988, p. 142,144), un recueil moralisant du dominicain THOMAS DE CANTIMPRÉ (Les exemples du Livre des abeilles, trad. H. PLATELLE, Turnhout, 1997), une compilation du maître de Dante Alighieri, BRUNETO LATINI (Le livre du Trésor, éd. A. PAUPHILET, Paris, 1951, p. 794), des textes de Vincent de Beauvais et de Barthélemy l’Anglais (tous les deux cités par B. RIBÉMONT, Bestiaire d’amour et zoologie encyclopédique : le cas des abeilles, Revue des Langues romanes, t. 98,1994, p. 354-355).
  • [92]
    De hominis opificio, P.G., t. 44, col. 189 D (texte grecque)-190 D (texte latin).
  • [93]
    De Genesi ad litteram, éd. J. ZYCHA, trad. P. AGAËSSE et A. SOLIGNAC, t. 1, Paris, 1972, p. 264-265.
  • [94]
    Ibid., t. 2, p. 96-97.
  • [95]
    Historia Mediolanensis, p. 66.
  • [96]
    E. GILSON, La philosophie au Moyen Âge, 2e éd., Paris, 1952, p. 87-89 ; É. JEAUNEAU, La division des sexes chez Grégoire de Nysse et Jean Scot Érigène, Études érigéniennes, Paris, 1987, p. 361-364.
  • [97]
    Sur l’influence que Scot Érigène a reçue de Grégoire de Nysse, voir J. DRÄSEKE, Gregor von Nyssa in den Anführungen des Johannes Scotus Erigena, Theologisches Studien und Kritik, t. 82,1909, p. 530-576 ; JEAUNEAU, op. cit., p. 343-364 ; M. NALDINI, Gregorio Nisseno e Giovanni Scoto Eriugena. Note sull’idea di creazione e sull’antropologia, Studi Medievali, t. 20,1979, p. 501-533.
  • [98]
    Periphyseon (De divisione naturae), P.L., t. 122, col. 896 B.
  • [99]
    Ad similitudinem irrationabilium animalium (ibid., col. 777 B), in similitudine irrationabilium animalium (col. 845 D), etc.
  • [100]
    Ibid., col. 531-533,536 B, 540 AB, 799 BC; B. STOCK, The philosophical anthropology of Johannes Scottus Eriugena, Studi Medievali, t. 8,1967, p. 1-57.
  • [101]
    Ibid., col. 893 CD, et aussi col. 534 A.
  • [102]
    DUBY, Les trois ordres, p. 164 ; TAVIANI, Naissance d’une hérésie, p. 1243.
  • [103]
    H. TAVIANI, Le mariage dans l’hérésie de l’an mil, Annales E.S.C., t. 32,1977, p. 1082-1083.
  • [104]
    CAVALLO, Introduzione, p. XV, XXIII.
  • [105]
    M.C. GARAND, Un manuscrit d’auteur de Raoul Glaber ?, Scriptorium, t. 37, 1983, p. 22,26.
  • [106]
    CAVALLO, Introduzione, p. XXIV.
  • [107]
    JEAUNEAU, La bibliothèque de Cluny et les œuvres de l’Érigène, Études érigéniennes, p. 399-421 ; M.C. GARAND, Copistes de Cluny au temps de saint Maïeul (948-994), Bibliothèque de l’École de Chartes, t. 136,1978, p. 8. Bien que la pensée d’Érigène ait postérieurement posé des problèmes doctrinaux, à l’époque qui nous intéresse il était une autorité respectée et son œuvre était présente, par exemple dans la bibliothèque personnelle de Gerbert, donnée à l’empereur Otto III quand il devient pape en avril de 999 : F. MURTHERICH, The library of Oton III, Bibliologia, t. 4,1986, p. 11-26 ; P. RICHÉ, Gerbert d’Aurillac. Le pape de l’an mil, Paris, 1987, p. 257.
  • [108]
    J. FRANCE, The divine quaternity of Rodulfus Glaber, Studia Monastica, t. 18, 1975, p. 283-294; P.E. DUTTON, Raoul Glaber’s De divina quaternitate : an unnoticed reading of Eriugena’s translation of the Ambigua of Maximus the Confessor, Medieval Studies, t. 42,1980, p. 431-453 ; E. ORTIGUES et D. IOGNA-PRAT, Raoul Glaber et l’historiographie clunisienne, Studi Medievali, t. 26,1985, p. 537-572.
  • [109]
    TAVIANI, Le mariage dans l’hérésie, p. 1083.
  • [110]
    JEAUNEAU, Le thème du retour, Études érigéniennes, p. 367-394.
  • [111]
    Cette pratique avait étonné les inquisiteurs, mais à l’égard de la secte de Monteforte ce n’était pas un acte de violence, plutôt de piété, car il évitait les tourments éternels du martirisé : Nemo nostrum sine tormentis vitam finit, ut aeterna tormenta evadere possimus […] quando nos ad mortem natura perducit, proximus noster, antequam animam damus, quoquomodo interficit nos (Historia Mediolanensis, p. 65,66). Les hérétiques de Monteforte sacrifiaient seulement ceux qui étaient proches de la mort, contrairement à ceux d’Orléans qui sacrifiaient des enfants – si ce n’est pas un topos utilisé par les chroniqueurs dans ses discours antihérétiques (ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p. 180; PAUL DE CHARTRES, Vetus Agano, col. 266 A).
  • [112]
    Historia Mediolanensis, p. 65.
  • [113]
    CHENU, Orthodoxie et hérésie, Hérésies et sociétés, p. 9.
  • [114]
    R. MANSELLI, Discussion, dans Ibid., p. 17.
  • [115]
    R. BASTARDES I PARERA, Gilgamesh i els capitells romànics, Quaderns d’estudis medievals, t. 3,1982, p. 474-490.
  • [116]
    POLY et BOURNAZEL, op. cit., p. 416-423.
  • [117]
    ADÉMAR DE CHABANNES, Chronicon, p. 170 (Aquitaine); HÉRIBERT, Epistola, p. 441 (Périgord); LANDOLF, Historia Mediolanensis, p. 65 (Monteforte).
  • [118]
    Gn 2,16.
  • [119]
    Histoires, p. 250-251; La vie de saint Martial de Limoges, p. 76-77.
  • [120]
    Sacrorum Conciliorum, col. 425 D.
  • [121]
    ANSELME, Gesta, p. 227-228. POLY et BOURNAZEL, op. cit., p. 400-401, attribuent le rejet hérétique de la violence contre les animaux à la croyance en la métempsycose.
  • [122]
    J. LE GOFF, Introduction et programme, Hérésies et sociétés, p. 3.
  • [123]
    On a pensé que les adeptes de Leutard avaient influencé des commerçants italiens qui passaient par Châlons en direction des foires de Champagne, et que ce serait à cause de cela que l’hérésie était arrivée à Arras : J.N. NOIROUX, Les deux premiers documents concernant l’hérésie aux Pays-Bas, Revue d’Histoire ecclésiastique, t. 49,1954, p. 853. Contre cette position, J.B. RUSSELL, À propos du synode d’Arras en 1025, Revue d’Histoire ecclésiastique, t. 57,1962, p. 66-87.
  • [124]
    H. TAVIANI, Du refus au défi : essai sur la psychologie hérétique au début du XIe siècle en Occident, Actes du 102e Congrès National des Sociétés Savantes, t. 2, Paris, 1979, p. 175-186.
  • [125]
    H. FRANCO JÚNIOR, As utopias medievais, São Paulo, 1992, p. 81-89.
  • [126]
    Gn 9,3.
  • [127]
    P. BONNASSIE, Consommation d’aliments immondes et cannibalisme de survie dans l’Occident du haut Moyen Âge, Annales E.S.C., t. 44,1989, p. 1036-1038 (reproduit dans Les sociétés de l’an mil. Un monde entre deux âges, Bruxelles, 2001, p. 145-149).
  • [*]
    Nous remercions MM. J.L. KUPPER et A. MARCHANDISSE d’avoir eu la gentillesse de revoir notre texte français.

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