La première fois que j’ai reçu ce petit garçon âgé de huit ans et demi, amené en consultation par sa mère pour des angoisses, m’est venue l’image d’un oiseau tombé de son nid.
Le contraste est fort entre l’allure chétive de l’enfant et la corpulence de sa mère.
Pas un mot ne sort de la bouche de Sinan durant tout l’entretien. Il dessine très discrètement sur la table réservée aux enfants où se trouve le matériel (feuilles, crayons de couleur, feutres, pâte à modeler, figurines…) et jette des coups d’œil de temps en temps, restant résolument le dos tourné. Sa mère raconte les raisons de leur venue : il pleure pour un rien et ne peut jamais rester seul. Il est très angoissé à l’idée de se coucher, s’inquiète que toutes les portes et fenêtres aient bien été fermées. À l’école, il pleure sans bruit. D’emblée, sa mère me précise que s’en faire pour cet enfant-là, le dernier de la fratrie, est une constante pour elle, car, dès sa naissance, il a failli mourir. Il avait comme un trou dans le ventre et a été opéré en urgence. Elle ne comprenait rien alors, on ne lui expliquait rien, sauf, un jour, la chirurgienne qui avait opéré son nouveau-né qui lui annonce brutalement qu’on avait ouvert le ventre de son bébé. L’hospitalisation a duré un temps durant lequel la mère ne savait pas, à chaque visite, si Sinan serait encore vivant à son arrivée. La maman pleure beaucoup lors de cette évocation, et Sinan, toujours dans le silence, regarde sa mère pleurer, comme intrigué.
Ces ventres ouverts et déchirés sont les plaies que l’on me donne à voir…