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Article de revue

Le modelage comme médiation : le rôle des propriétés plastiques des matériaux dans le travail thérapeutique

Pages 66 à 70

1L’utilisation du modelage en psychothérapie d’enfant est une pratique répandue. Un seul médium est généralement choisi, sa consistance étant adaptée à la problématique et aux capacités du sujet. L’auteure de cet article analyse et illustre l’intérêt d’utiliser simultanément des médiums aux consistances et propriétés physiques différentes. Elle propose des pistes de compréhension des processus psychiques mis en jeu par cette évolution du dispositif clinique habituel.

2La pratique des médiations thérapeutiques est ancienne et largement répandue, que ce soit auprès d’adultes ou d’enfants. Dans notre pratique en pédopsychiatrie ambulatoire, le modelage est régulièrement proposé au sein de groupes thérapeutiques pour enfants, en adaptant la consistance du médium aux problématiques et capacités des sujets. Par exemple, des enfants très en difficulté au niveau identitaire se voient proposer de la pâte à sel presque liquide ; ce médium n’est pas accepté par certains enfants et de plus se conserve mal dans le temps. À la recherche de matériaux plus pertinents, nous avons donc introduit dans des psychothérapies individuelles différentes pâtes à modeler du commerce. La richesse clinique du travail psychique réalisé par le biais de ces médiations nous a conduite à vouloir partager notre expérience et à proposer quelques pistes de compréhension théorico-clinique, dans une perspective psychodynamique.

Le modelage comme médiation thérapeutique

Aspects théoriques

3Les travaux du Centre de recherche en psychopathologie et psychologie clinique (Crppc) de l’université Lumière Lyon-2 ont permis de proposer une théorisation référée à la théorie psychanalytique des dispositifs thérapeutiques à médiation, notamment des dispositifs groupaux (Brun, Chouvier et Roussillon, 2013), à partir du concept de travail de symbolisation.

4Ce processus complexe d’intégration consiste à passer, à partir des données issues de l’environnement, de l’originaire au primaire, des traces perceptives aux représentations-choses (symbolisation primaire) et des représentations-choses aux représentations de mot (symbolisation secondaire). En outre, les représentations psychiques doivent être reconnues comme telles (et non comme perceptions) ; la psyché par cette fonction réflexive est alors consciente d’elle-même, ce qui ouvre la porte au sentiment d’identité : en définitive, ce processus de symbolisation rend possible le processus d’intégration subjective ou d’appropriation de son expérience vécue (Roussillon, 2012).

5Le travail de symbolisation primaire, de passage des traces perceptives aux représentations-choses, s’étaye par la perception, la matérialisation et la motricité (Krauss, 2006). Il est tout particulièrement facilité par certains objets, dits « médiums malléables ». René Roussillon (1991) en a précisé les caractéristiques : indestructibilité, extrême sensibilité, indéfinie transformation, inconditionnelle disponibilité, animation propre. C’est pourquoi les médiations thérapeutiques sont particulièrement proposées aux patients qui sont en difficulté pour accéder au registre de la symbolisation verbale. On suppose chez ces patients qu’une part de symbolisation primaire est en faillite. Le sujet est comme amputé d’une partie de lui, ce qui menace son sentiment d’identité. Ce champ des souffrances narcissiques-identitaires (Roussillon, in Brun, Chouvier et Roussillon, 2013) recouvre notamment les états autistiques et psychotiques, les conduites antisociales, certains états psychosomatiques et certains états limites. « Les médiations doivent produire un effet de langage et, plus précisément, de parole, là où elle fait défaut, là où elle est en souffrance. Elles prennent leur valeur d’être proposées comme embrayeur de processus associatifs, de mise en marche de l’activité de liaison et de symbolisation. » (Kaës, 2002.) L’hypothèse théorico-clinique sous-jacente aux dispositifs thérapeutiques à médiation est que le médium, dans sa matérialité même, mobilise des expériences sensori-affectivo-motrices non symbolisées et que sa transformation permet de donner une forme à l’infiguré, à ce qui se trouvait en souffrance de représentation et de symbolisation.

6Dans ce cadre, le modelage et en particulier la pâte à modeler représentent l’archétype du médium. En effet, si le dessin, fréquemment utilisé en psychothérapies d’enfant, engage le sujet du côté de la représentation imagée, le modelage déroute ces apprentissages visuels et engage du côté d’expériences sensori-motrices.

7De plus, le dessin nécessite le recours à un instrument qui s’intercale entre les doigts et la surface d’inscription, alors que le modelage met en jeu un contact direct entre la main et la pâte à modeler ou l’argile. Il implique en outre la troisième dimension. C’est pourquoi la technique du modelage est propice à mobiliser à la fois les enjeux de la relation fusionnelle primitive et ceux de son dégagement. Pour Serge Tisseron (1994), les modelages accompagnés d’images permettent particulièrement une représentation symbolique de la séparation de l’unité primitive mère-enfant, qui n’a été pensée par le psychotique que sur un mode sensitivo-affectivo-moteur, sans pouvoir être mise en représentation (défaut de la symbolisation primaire) et encore moins en symbolisation verbale (faillite de la symbolisation secondaire).

Notre dispositif clinique

8Dans le cadre de séances de thérapie individuelle avec des enfants, en nous appuyant sur les propositions cliniques relatives au travail du rêve éveillé (Fabre, 2008), nous proposons aux enfants, notamment à ceux en difficulté avec le langage verbal, de choisir librement une médiation : jeux de figurines, de construction ou de société, dessin, peinture, pâte à modeler, etc.

9Quand l’enfant a choisi la pâte à modeler, nous lui proposons d’explorer, c’est-à-dire de découvrir par la manipulation, brièvement, les trois types de pâte à modeler mis à disposition :

  • une pâte du commerce, qui tend à s’émietter et qui sèche à l’air libre, mais sans que le résultat puisse être gardé (productions cassantes et ayant tendance à moisir). Nous avons observé que cette pâte n’est pas choisie par les enfants, sauf éventuellement chez certains qui mettent en scène des scénarios élaborés pour constituer des éléments de décor qui ne sont pas investis ;
  • une pâte ©Patplume : cette pâte ne sèche pas et permet une reprise des productions d’une séance sur l’autre. C’est une pâte assez dense en main, que l’on a envie de poser sur un support. Peu malléable si on manipule un grand volume, nous constatons que les enfants ont tendance à la découper ;
  • une pâte ©Patarev : cette pâte, quand elle est neuve, est très élastique et collante. Formulée pour produire des petits objets de type bijoux ou décoration, c’est une pâte autodurcissante à l’air libre, qui a également tendance à perdre de son élasticité au fil des utilisations même si elle est conservée dans son récipient. Nous observons que les enfants ont davantage tendance à la garder en main et à la malaxer.

10Ces pâtes à modeler ont donc des consistances différentes, à la fois dans l’ici et maintenant de la séance, mais également dans le temps (d’une séance à l’autre). Elles ne sont pas miscibles entre elles.

11Nous invitons donc chaque enfant à tester chaque type de pâte à modeler, puis il est laissé libre, à partir de ces premiers éprouvés au contact de la matière, de choisir quel(s) type(s) de pâte il souhaite utiliser et ce qu’il souhaite en faire. Par exemple, la pâte très filante a pu être utilisée pour mettre en place d’un jeu d’étirement entre l’enfant et le clinicien et ainsi travailler le lien à l’autre.

12Nous souhaitons présenter ici deux situations cliniques où les enfants, malgré des problématiques et des capacités de symbolisation différentes, ont choisi pour une phase de leur travail psychothérapeutique la pâte à modeler. Les différences de consistance dans les pâtes choisies nous semblent avoir joué un rôle dans la figuration des problématiques ou des angoisses restées en suspens lors du développement précoce.

Deux exemples d’utilisation du modelage en psychothérapie individuelle

Gérald : bagarres et pièges à bébé

13Gérald est un garçon de huit ans à la présentation très immature. Il présente des difficultés multiples : difficultés d’apprentissage, troubles de l’oralité qui se traduisent par un net surpoids. Les moments de séparation matinale et vespérale (sommeil) sont difficiles ; il existe également des crises d’agressivité envers sa mère. Le bilan préalable à la mise en place d’un suivi psychothérapeutique témoigne d’une représentation humaine très indifférenciée en termes de génération ou de sexe. Le schéma corporel est très archaïque, de l’ordre du bonhomme têtard. Dans l’épreuve de dessin, sa production témoigne de l’absence de lien entre les quelques éléments représentés, qui sont simplement juxtaposés dans l’ordre de la consigne.

14La médiation dessin utilisée pendant le bilan ne permet pas à Gérald de contenir ses angoisses archaïques de liquéfaction, dévoration et chute. Le suivi individuel mis en place va dans un premier temps utiliser la médiation peinture. Cette phase va permettre un premier travail de différenciation fond-forme et l’émergence des premières représentations.

15La médiation pâte à modeler sera choisie dans un deuxième temps par Gérald. D’emblée, il choisit la Patarev pour confectionner des bonhommes primitifs, aux bras et jambes directement collés à la tête, avec lesquels il met en scène des bagarres sans fin où les personnages se transpercent à tour de rôle. Il accompagne ces premières ébauches de scénarios de râles et d’onomatopées. Cela va se répéter quasiment à l’identique pendant plusieurs séances sans que Gérald ne puisse se saisir d’aucune proposition du clinicien, effectuée il est vrai sur le mode verbal. Gérald semble osciller entre fascination et répulsion pour le matériau collant choisi et s’enfermer dans cette ébauche de scénario qui ne rencontre que la limite de la fin de la séance. De son côté, le clinicien se ressent de plus en plus comme complètement exclu de l’excitation qui gagne parfois le garçon. C’est gagné par l’ennui qu’il va à la fin d’une séance modeler en Patplume un bébé, puis, à la demande de Gérald, un bonhomme papa et un bonhomme maman qui seront démembrés de façon répétitive avant d’être gardés pour la prochaine rencontre.

16Cette séance va marquer une évolution notable dans les scénarios mis en scène par Gérald. Il va, en effet, figurer des combats entre un personnage informe en Patarev et les bonhommes façonnés à sa demande par les soins du thérapeute en Patplume. Gérald montre du plaisir à rencontrer la résistance de la Patplume, activité où il déploie beaucoup moins de bruits de bouche qu’avec la Patarev. Une évolution notable des scénarios ainsi figurés concerne leur historicisation : Gérald envisage désormais une fin à ses histoires, il définit un vainqueur, le personnage qui le figure sur le plan transférentiel : le bébé. Pour la première fois, ces productions incluent des éléments de son histoire personnelle, même s’ils sont encore peu liés.

17Cette utilisation conjointe de la Patarev et la Patplume va également lui permettre une variation du scénario précédemment décrit : il met en scène des personnages modelés en Patplume (mère, bébé) englués dans un piège-monstre en Patarev et joue à les récupérer, à les sortir de ce piège. Il utilise pour cela des pâtes de couleurs similaires.

18Cette première représentation d’une individuation s’accompagne d’un mouvement d’autonomie verbalisé : Gérald insiste pour la première fois pour améliorer lui-même ses modelages. À noter que ces mouvements psychiques majeurs ne se traduisent pas par une évolution du schéma corporel actualisé dans ses personnages, qui restent de l’ordre du bonhomme têtard.

19Après quelques séances consacrées à ce type de scénarios, Gérald va délaisser la médiation pâte à modeler pendant deux séances avant de la redemander. Le clinicien observe alors un changement complet dans le type de productions, puisque Gérald va s’atteler à découper des formes dans la pâte à modeler, témoignant par là d’un travail sur le manque, l’absence. Parallèlement apparaîtront des mouvements agressifs à l’encontre du clinicien ainsi que des jeux de cache-cache. Ces indices de la différence entre présence et absence révèlent / indiquent un premier accès à l’individuation.

Valentine : les parents tués et dévorés

20Valentine est une enfant de dix ans, très inhibée dans ses rapports avec les autres, adultes ou pairs. Le lien à l’autre semble régi par la crainte de l’autre. Au sein de la relation clinique, Valentine évite pendant plusieurs séances le contact oculaire. Son discours est fluent avec un vocabulaire recherché, mais reste peu affectivé et marqué par un surinvestissement intellectuel défensif. Le bilan préalable à la mise en place d’un suivi psychothérapeutique montre une secondarisation des processus de pensée sans émergence archaïque ; contrairement à Gérald, Valentine est une enfant tout à fait capable d’organiser et de développer par elle-même une histoire sur plusieurs séances, avec des personnages riches et ambivalents. Les défenses sont cependant majoritairement de type obsessionnel et entravent le lien à l’autre. Les épreuves projectives montrent par ailleurs que l’individuation précoce semble avoir été difficile. Lors de l’anamnèse, Valentine est d’ailleurs décrite comme un bébé dormant très peu, n’ayant eu recours ni à une sucette ni à un objet transitionnel, mais n’ayant pu être sevrée complètement avant ses cinq ans.

21L’idée de la médiation pâte à modeler dans le suivi psychothérapeutique individuel va émerger après quelques séances de dessin à deux qui ont permis la mise en place d’une relation thérapeutique où les défenses obsessionnelles restent très prégnantes. Cette médiation va permettre de découvrir, par rapport aux rencontres précédentes ou même à la salle d’attente, une enfant plus vivante et beaucoup moins inhibée : elle s’amuse énormément à démembrer ses personnages et mettre en scène différents scénarios de meurtre, de parricide et de cannibalisme.

22Comme Gérald, Valentine utilise les différentes pâtes à modeler de façon différentielle. Elle choisit la Patarev pour figurer ses personnages du côté de l’informe, du monstrueux, personnages sans identité qui réalisent ses fantasmes de meurtre ou de cannibalisme. Pour figurer les personnages de la famille animale mise en scène, Valentine a choisi pour le personnage infantile qui la représente (et qui restera un personnage de ses histoires sur toute la durée du suivi psychothérapeutique) la Patplume et pour les personnages parentaux, selon les séances, soit la Patplume soit la Patarev, qu’elle laisse durcir entre les séances.

23Ce choix d’une consistance plus ferme pour la matière figurant les figures parentales autorise la mise en scène de leur meurtre et de leur démembrement. Valentine mélange les morceaux de corps ainsi représentés à la Patarev (figurant l’informe), les cachant et les retrouvant à plusieurs reprises. Ce travail semble lui permettre d’élaborer une limite : au sein de la médiation dessin qu’elle reprend ponctuellement, en introduction des séances thérapeutiques, Valentine verbalise son besoin de mettre une limite pour ne pas se perdre.

24Par ailleurs, on observe une évolution dans l’utilisation des pâtes à modeler au fil des séances. Valentine va en effet graduellement délaisser la Patarev neuve et collante, et ses personnages vont prendre consistance au sens sensoriel du terme. Le personnage principal de ses scénarios, personnage initialement animal et qui la représente, va devenir un humain après de multiples hésitations et allers-retours. Après plusieurs mois, Valentine va investir les Playmobil pour figurer ses histoires, qui peu à peu vont prendre une tournure œdipienne et témoigner d’une souplesse dans ses investissements.

Pourquoi proposer des matériaux différents en même temps ?

25Chez ces deux enfants, il semble que ce qui s’est joué par le biais de la pâte à modeler a permis de remettre au travail la différenciation entre soi et autrui, qui avait connu des accrocs au cours de leur développement. Il nous semble que l’utilisation conjointe de pâtes à modeler de consistances différentes a pu être un facteur clé dans cet accès à l’individuation. Ces deux situations cliniques, malgré leurs différences, présentent des similitudes qui permettent d’émettre des hypothèses sur les processus en jeu.

figure im2

Possibilités perceptivo-motrices et limites

26En effet, malgré les différences dans leurs capacités de symbolisation, Gérald et Valentine ont tous deux utilisé la Patarev pour figurer l’informe, le monstrueux, en définitive l’angoissant. On peut penser ici, à la suite d’Anne Brun (2007), que les sensations réactivées au contact du médium malléable proviennent d’une sorte de spécularité entre l’enfant et le médium malléable, avec une indistinction entre l’enfant et le matériau travaillé, et que la manipulation de cette pâte a tout particulièrement réactivé des vécus archaïques dans ces deux situations. Par opposition, ils ont utilisé la Patplume pour figurer les personnages humains. Or, on observe que la consistance induit des actes perceptivo-moteurs différents, en raison des limites motrices qu’elle impose.

27La Patarev ne peut, par exemple, pas être morcelée ou découpée ; elle colle beaucoup et ne peut être qu’étirée. Gérald utilise ce médium, nous semble-t-il, pour déposer des vécus agonistiques non symbolisés, qui le fascinent et l’effraient à la fois, et dans lesquels il est enfermé de manière infinie et répétitive. Processus mortifère dans lequel le clinicien s’est à son tour trouvé englué, avant de s’en dégager de manière spontanée en introduisant la Patplume. Ce faisant, ce mouvement de différenciation clinicien-patient s’est appuyé sur le mode de symbolisation accessible à Gérald : le mode perceptivo-moteur.

28La Patplume a contrario offre beaucoup plus de résistance et nécessite d’être morcelée pour être utilisée. Beaucoup moins collante, la réunion de deux éléments oblige à exercer une pression pour les joindre. Les personnages utilisés par Gérald vont donc connaître des destins d’abord perceptivo-moteurs différents : les personnages en Patarev ne peuvent qu’être étirés, amalgamés ou transpercés alors que ceux en Patplume vont être morcelés, activité à laquelle Gérald va prendre beaucoup de plaisir avant de faire évoluer ses scénarios.

29Valentine utilise d’elle-même les pâtes à modeler selon le même principe, utilisant la pâte molle pour figurer les personnages inhumains et la pâte plus ferme pour les personnages vivants. Ayant accès à la temporalité, elle utilise en outre la Patarev durcie comme la Patplume, morcelant les personnages initialement mous à la séance suivante. La différence entre les actes perceptivo-moteurs induits par ce choix est pour elle plus subtile : comme pour Gérald, les personnages en Patplume ou Patarev durcie sont morcelés et meurent donc dans ses scénarios ; en revanche, les personnages en Patarev molle ne sont pas transformés, elle les refait à l’identique d’une séance à l’autre, selon les besoins de ses scénarios. Ils semblent renaître de leurs cendres comme le phoenix, de manière un peu analogue aux combats sans fin de Gérald où les monstres ne meurent jamais malgré les blessures qui leur sont infligées.

30Il semble donc que la différence de consistance entre médiums induit une différence perceptivo-motrice, elle-même susceptible de soutenir l’élaboration d’une limite interne entre soi et ses vécus archaïques angoissants. Chez Gérald, il semble que ce processus a pu en soutenir d’autres dans le sens de son individuation psychique et également dans l’accès à la temporalité et l’historicité.

Non-miscibilité

31Valentine comme Gérald ont mis à profit la non-miscibilité des pâtes à modeler proposées pour mettre en scène, au sein de leurs scénarios, une version de « caché-coucou » correspondant à leurs angoisses. Gérald peut ainsi s’assurer que bébé et mère sont à même de survivre au piège gluant dans lequel il les enferme ; de même, Valentine vérifie que les morceaux de corps parentaux peuvent être retrouvés une fois dévorés par les personnages monstrueux de ses histoires. Les scénarios cannibaliques mis en scène comprennent donc un jeu qui évoque le trouvé-créé winnicottien, qui permet de s’assurer de la survie de l’objet confronté aux pulsions agressives du sujet.

32L’importance de ce type de jeu est bien connu dans les psychothérapies d’enfants. Nous voulons surtout souligner l’importance des propriétés physiques des médiations proposées afin de soutenir au plus près de leurs besoins les enfants dans leurs tentatives de symbolisation.

Conclusion

33Nous espérons avoir pu montrer, sur le plan des pratiques cliniques, la richesse qui peut résulter de l’introduction dans le cadre psychothérapeutique de matériaux de modelage aux propriétés plastiques et physiques différentes. Le psychisme de l’enfant se construit dans l’interaction avec l’environnement et le cadre thérapeutique proposé ; cette expérience nous a incitée à renouveler notre cadre et nos pratiques et à expérimenter d’autres matériaux et textures pour le modelage, avec des résultats parfois inattendus et surprenants.

34Sur le plan théorique, cette expérience conduit à réinterroger le lien entre le travail de symbolisation réalisé par l’enfant, les composantes sensori-perceptivo-motrices mises en jeu, et les qualités symboligènes propres à la matérialité des médiums proposés. Elle s’intègre, nous semble-t-il, dans le mouvement actuel de (re)découverte du corps comme élément premier de la vie psychique, que ce soit dans une perspective psychanalytique (par exemple : Dejours, 2008 ; Dumet, 2011) ou non : développement de la méditation de pleine conscience, psychotraumatologie (Levine, 2014).

Bibliographie

  • Brun A., 2007, Médiations thérapeutiques et psychose infantile, Paris, Dunod.
  • Brun A., Chouvier B. et Roussillon R., 2013, Manuel des médiations thérapeutiques, Paris, Dunod.
  • Dejours C., 2008, « Psychosomatique et troisième topique », Le Carnet Psy, 126 : 38-40.
  • Desoille R., 1945, Le Rêve éveillé en psychothérapie, Paris, Puf.
  • Dumet N., 2011, « Corps et contre-transfert en psychanalyse : quelles idéologies à l’œuvre ? La théorie à l’épreuve de la clinique », Cahiers de psychologie clinique, 36 : 167-189.
  • Fabre N., 2008, Psychothérapie de l’enfant. Imaginaire et rêve éveillé, Le Bouscat, L’Esprit du Temps.
  • Kaës R., 2002, « Médiation, analyse transitionnelle et formations intermédiaires », in Chouvier B. et al., Les Processus psychiques de la médiation, Paris, Dunod.
  • Krauss S., 2006, L’Enfant autiste et le modelage, Toulouse, Érès.
  • Levine P., 2014, Guérir par-delà les mots. Comment le corps dissipe le traumatisme et restaure le bien-être, Paris, InterÉditions.
  • Roussillon R., 1991, Paradoxes et situations limites de la psychanalyse, Paris, Puf.
  • Roussillon R., 2012, Manuel de la pratique clinique en psychologie et psychopathologie, Issy-les-Moulineaux, Elsevier Masson.
  • Tisseron S., 1994, « Réflexions et hypothèses autour de la technique du modelage chez Gisela Pankow », in Anzieu D. et al., Émergences et troubles de la pensée, Paris, Dunod.

Date de mise en ligne : 10/07/2017

https://doi.org/10.3917/jdp.348.0066

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