Notes
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[1]
Marquis S., 2016, « On est foutu, on pense trop ! », Communication présentée à l’université de Nantes, https://www.youtube.com/watch?v=MzvF3OVWgZM
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[2]
Gallup Organization, 2000, The Strengths Finder.
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[3]
Boniwell I., Ryan L., 2009-2010, Spark Resilience Curriculum (teacher and student materials), London, University of East London.
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[4]
Gallup Organization, 2000, The Strengths Finder.
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[5]
Marquis S., 2016, « On est foutu, on pense trop ! », Communication présentée à l’université de Nantes, https://www.youtube.com/watch?v=MzvF3OVWgZM
1Située dans l’interstice entre la psychologie et le monde du travail, la psychologie positive appliquée au travail vise le développement du bien-être au travail, en permettant au salarié, au management ou aux équipes, d’identifier et de développer leurs ressources intérieures, afin de pouvoir notamment dépasser des situations déstabilisantes ou de stress.
2Présentation des concepts phares qui guident cette discipline.
3Lors d’une journée classique, il est étudié que nous passons en moyenne sept à huit heures à dormir, une heure à nous préparer, une heure à faire tout ce qu’il faut pour la maison, que nous profitons de deux à quatre heures de temps libre et que nous passons tout le reste du temps, soit les neuf à onze heures restantes, au travail [1]. Certains conviennent, à tort, que les heures de temps libre sont les plus susceptibles de nous rendre heureux. Or, chaque heure peut être enrichissante, et il devient primordial de voir les nombreuses heures passées au travail comme des sources d’épanouissement. Imaginez trente-cinq heures de bonheur en plus !
4Mais comment s’y prendre ? Et comment comprendre, parmi la multitude d’informations autour de ce sujet, comment nous pouvons, de façon durable, nous sentir bien au travail ?
La psychologie dite « scientifique », « basée sur des preuves »
5La psychologie positive appliquée au travail est dite « scientifique », « basée sur des preuves », cela signifie qu’elle tire ses informations de multiples sources et disciplines, dont les plus probantes sont la psychologie positive (Positive Psychology), les études organisationnelles positives (Positive Organisational Scholarship), les comportements organisationnels positifs (Positive Organisational Behaviour) et le leadership positif (Positive Leadership).
6La psychologie positive, parfois appelée la « science du bonheur », née en 1998, part du postulat que l’épanouissement humain ne peut pas seulement venir du traitement de la pathologie et de l’élimination des problématiques comportementales et émotionnelles, mais demande aussi de construire et de capitaliser sur les forces et les capacités (Boniwell, 2012). Elle propose de reconsidérer les aspects positifs de la vie et propose de les optimiser grâce à des apports scientifiques autour des déterminants du bien-être, des émotions positives, de la résilience, de la créativité, de l’économie positive et des institutions positives.
7Les études organisationnelles positives enquêtent, quant à elles, sur la façon dont les entreprises et leurs membres s’épanouissent et progressent positivement. On s’intéresse ici aux processus et conditions qui permettent aux phénomènes positifs d’émerger (Martin-Krumm, Tarquino, Shaar, 2013). Le principe « héliotropique », à la base de ces études, démontre que tous les êtres humains ont tendance à aller naturellement vers une croissance positive et à mettre de côté ce qui est négatif (Cameron, Spreitzer, 2011). À partir de théories et de recherches rigoureuses, débutées à l’université du Michigan, cette discipline travaille sur la déviance positive, l’engagement et le sens au travail et aussi sur le leadership authentique et positif qui est devenu une discipline en elle-même (Quinn, 2015).
8Les comportements organisationnels positifs s’intéressent, pour leur part, à la façon dont les capacités psychologiques, les forces et les ressources de l’individu peuvent être mesurées, développées et efficacement gérées pour améliorer la performance dans les environnements de travail actuels (Bloom et al., 2015). Les études commencées à l’université du Nebraska (Institute for Innovative Leadership) travaillent sur la définition du capital psychologique avec les notions d’espoir, d’optimisme, de résilience, de sentiment d’efficacité personnelle et de bien-être psychologique lié au bien-être au travail.
9Enfin, le leadership positif s’intéresse à l’état d’esprit nécessaire aux leaders (directeur, manager…) pour qu’ils puissent faire face aux demandes complexes politiques et économiques du monde du travail. On étudie les facteurs qui « tirent vers le haut » les individus et les organisations, ce qui fonctionne dans ces organisations, ce qu’elles apportent aux individus qui y travaillent, ce qui est vécu positivement, ce qui est identifié comme « sortant du lot » et qui s’avère alors inspirant face au monde du travail parfois difficile (Cameron, Caza, 2008). S’il maîtrise les clés d’un leadership positif (leadership basé sur les forces, signes de reconnaissance et encouragements fréquents, garant d’une perspective positive [Arakawa, Greenberg, 2007]), le leader (directeur, manager ou autre) peut augmenter l’engagement et la performance de ses salariés. Pour Kim Cameron (2012), quatre stratégies permettent le leadership positif comme le fait d’instaurer un climat positif, des relations positives, la communication positive et le sens positif.
10Le socle de la psychologie positive appliquée au travail relève donc de références théoriques issues d’études rigoureuses. Parfois galvaudée par sa simplification, cette discipline est plus complexe qu’elle n’y paraît. Elle se développe de plus en plus en France (Lecomte, 2016 ; Martin-Krumm, Tarquino, Shaar, 2013) et a pour enjeu de réunir l’ensemble de ces données dans des concepts et modèles clairs, ainsi que dans des applications pratiques.
Les concepts phares
11La présentation des disciplines étant faite, il revient de définir plus précisément les concepts clés utilisés.
12Le bien-être au travail, appelé parfois « bonheur au travail », a bien du mal à trouver un consensus pour sa définition. Nous le définirons comme une association entre le bien-être hédonique (celui des sensations plaisantes ressenties, des émotions positives et des évolutions cognitives) et le bien-être eudémonique (celui que l’on ressent lors de la réalisation d’une tâche qui a du sens et qui suit nos valeurs). Ce bien-être influence l’engagement et la performance et est lui-même influencé par la performance. Cependant, ce lien doit être évalué pour chaque entreprise. Les déterminants sont chaque fois différents, et il arrive aussi que le bonheur des salariés ne soit pas synonyme de « performance ». Par exemple, les coiffeurs ayant le plus d’émotions négatives ont un chiffre d’affaires plus élevé (Van Dyne, Jehn, Cummings, 2002). Le bien-être est-il prédicteur de la performance ou, comme les dernières études tendent à le prouver, une conséquence de la performance ? Ce positionnement du bien-être est encore en cours de recherche.
13L’engagement est défini par William A. Kahn (1990) comme « l’emploi et l’expression simultanée du soi préféré de la personne dans des comportements qui favorisent les connexions avec le travail et les autres, le fait d’être présent et actif, ainsi que le fait d’être pleinement performant dans son rôle ». Pour arriver à cet état, l’individu au travail doit avoir accès à la signification psychologique, à la sûreté psychologique et à la disponibilité psychologique.
14Pour Wilmar Schaufeli et al. (2002), l’engagement est l’opposé du burn-out. Il est l’état d’esprit positif, enrichissant et relatif au travail caractérisé par la vigueur (haut niveau d’énergie et de résilience mentale au travail), l’absorption (être complètement concentré et profondément captivé par le travail, le temps passe vite et les difficultés sont détachées du travail, proche de l’état du flow de Mihaly Csikszentmihalyi, 1996) et le dévouement (sens de la signification, de l’enthousiasme, de la fierté, d’inspiration et de challenge).
15L’engagement est un concept clé qui est souvent sujet à controverse. L’étude du Gallup [2], la plus utilisée pour parler d’engagement, a pu illustrer cela. Son questionnaire Q12 confond l’étude de l’état d’engagement et celle des déterminants d’engagement. Les résultats sont alors perçus de façon erronée, comme l’est le taux alarmant de l’engagement français (9 % contre 30 % aux États-Unis, par exemple). Il faut être clair sur ce que l’entreprise veut évaluer. S’intéresse-t-elle à l’état d’engagement actuel de ses salariés ou aux déterminants qu’elle peut activer pour améliorer l’engagement de ses salariés ?
16L’engagement est souvent confondu avec la motivation. En psychologie positive, c’est la motivation intrinsèque qui est prônée. C’est elle qui nous donne envie de faire les choses, parce qu’elles nous importent, que nous les aimons et qu’elles sont intéressantes. La motivation extrinsèque (pour la récompense matérielle que l’on pourrait en tirer) est quant à elle souvent improductive. En effet, Karl Duncker et Lynne S. Lees (1945) ont montré avec le « problème de la bougie » que, tant que l’on réalise une tâche simple, la récompense financière (ou motivation extrinsèque) conduit à de meilleures performances, mais dès qu’il s’agit de réaliser une tâche qui demande un plus haut niveau cognitif, alors la récompense financière induit une baisse de performance. L’engagement est une notion qui comprend la motivation intrinsèque, mais aussi l’adhésion aux valeurs de l’entreprise. On peut la comprendre comme une motivation dans un contexte et des tâches particulières.
17L’engagement et le bonheur au travail conduisent vers ce que l’on nomme la « performance optimale ». Là encore, la définition de la performance doit être clairement identifiée : s’agit-il de la performance de la valeur de marché ? des résultats financiers ? des résultats organisationnels ? des résultats liés au domaine des ressources humaines (niveau d’engagement…) ? des résultats de la responsabilité sociale des entreprises ? ou de la performance du collaborateur (Gaucher, 2016) ?
Les moteurs, des déterminants essentiels de la psychologie positive au travail
18Nous pensons que ces notions répandues sont aussi alimentées par différents moteurs qui sont de deux types, personnels et organisationnels.
19Les moteurs personnels correspondent à tout ce qui dépend de l’individu, à savoir ses émotions, sa flexibilité mentale, et qui lui permettent de sortir gagnant des épreuves en tout genre, de parvenir à un équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle, ou encore de trouver dans son poste le moyen d’appliquer quotidiennement ses forces ainsi que sa résilience (Robertson, Cooper, 2011 ; Warr, 2007). Non réservé à l’unique domaine de la croissance post-traumatique, cette dernière notion sous-tend que chacun a la capacité de développer des ressources qui lui permettent d’affronter les situations de stress ou déroutantes. Le programme Sparc Résilience [3] permet de travailler sur une prise de conscience des mécanismes cognitifs et émotionnels qui se déclenchent face à ce type de situation. En apprenant à apaiser les états de tension qui se mettent en place automatiquement dans ces situations, nous pouvons modifier nos interprétations des situations et stopper la mise en place des comportements inappropriés.
20Les moteurs organisationnels sont ceux qui traitent de la tâche de travail et des relations au travail (Deci, Ryan, 2000 ; Martel et Dupuis, 2006 ; Warr, 2007). On s’intéresse à l’importance des tâches de travail variées et challengeantes (plus susceptibles de déclencher facilement les situations de flow), à l’importance de l’autonomie et de la confiance au travail (autonomie financière, règles de bon fonctionnement, buts à atteindre), à l’importance de l’environnement de travail (lumière naturelle, espaces silencieux…), à l’importance des relations au travail et de la communication, à l’adéquation entre le sens du travail et la vision que nous en avons, ainsi que l’importance de mettre en place un leadership positif, dont une des applications est celle des 3R (relecture, reconnaissance et respect) (Warr, 2007).
Une tentative d’organisation des concepts de la psychologie positive au travail
21Nous proposons l’articulation ci-contre des principaux concepts qui définissent la psychologie positive appliquée au travail. Chacun d’entre nous a des moteurs personnels qu’il faut savoir reconnaître et qui s’articulent avec les moteurs organisationnels d’une entreprise pour influencer notre bien-être au travail. Ces trois notions s’associent pour influencer ensemble l’engagement de chacun envers son travail.
22Ce dernier aboutissant alors, associé à des moteurs organisationnels spécifiques, à une augmentation de la performance en entreprise qui, à son tour, alimente le bien-être au travail.
Une position à défendre
23Dans l’interstice entre la psychologie et le monde du travail, qu’elle partage avec d’autres (psychologie du travail, psychologie des organisations, psychologie des ressources humaines…), la psychologie positive appliquée au travail tente de se faire une place qui répond aux impératifs des deux courants. Proche du courant des thérapies comportementales et cognitives et des études sur la croissance post-traumatique, elle se doit aussi d’adapter son langage au monde du travail.
24L’important étant de rester congruent avec les fondements psychologiques qui prennent chaque situation pour ce qu’elle est. En effet, toute approche, bien que scientifique, ne veut pas dire « vérité applicable à tout individu ou à toute organisation ». Chaque nouvelle demande d’action en entreprise doit être précédée d’une véritable démarche diagnostique à l’instar de toute psychothérapie. Chaque organisation doit être étudiée, afin de définir la demande latente.
25Travailler sur l’engagement ou la performance est souvent un axe d’approche, mais que faut-il réellement travailler dans cette entreprise ? Que pensent les individus qui vont être touchés par cette approche ? Comment proposer une approche qui respecte alors chaque individualité ? Comment assurer des approches qui dépassent une simple présentation académique des concepts de la psychologie positive ?
Un exemple de mise en pratique en entreprise : les forces de caractère
26Angle favori du courant de la psychologie positive, les forces de caractère (Seligman et al., 2005) sont un outil pertinent pour l’accompagnement des entreprises. Définies pour chaque individu à l’aide de tests psychométriques, ainsi que des échanges qualitatifs, les forces représentent, d’après P. Alex Linley (2008), « une capacité préexistante consistant en une manière particulière de se comporter, de réfléchir ou de ressentir, qui est authentique et énergisante pour l’utilisateur et qui permet le fonctionnement optimal, le développement et la performance ». Peu de personnes ont pris le temps d’identifier leurs forces, car nous avons culturellement plus l’habitude de nous concentrer sur l’amélioration de nos faiblesses. Pourtant, les études montrent qu’une personne qui utilise quotidiennement ses forces a six fois plus de chance d’être engagée et d’être épanouie dans son travail. Les équipes qui se concentrent sur leurs forces sont 12,5 % plus productives [4]. Une méta-analyse sur plus de trois cent mille employés dans cinquante et une entreprises a démontré que les employés qui utilisaient leurs principales forces quotidiennement étaient 38 % plus performants, alors que ceux qui restaient focalisés sur leurs faiblesses perdaient 27 % de performance (Corporate Leadership Council, 2002) et étaient 44 % plus loyaux envers les entreprises (moins de turn over) (Harter et al., 2010). Toutes ces notions arguent pour une meilleure prise en considération de ces forces au travail. Nous conseillons alors cinq actions à suivre pour construire des organisations basées sur les forces : se concentrer sur les forces au lieu de vouloir améliorer les faiblesses, associer les tâches de travail aux forces individuelles adaptées pour favoriser l’engagement, sélectionner et recruter les nouveaux talents sur les forces, « marteler » les forces pour motiver le changement de comportement et développer un langage partagé autour des forces pour améliorer le travail en équipe.
Conclusion
27À cheval entre deux mondes, la psychologie traditionnelle et l’entreprise, la psychologie positive appliquée au travail se pense, s’étudie et surtout se vit. C’est principalement par la mise en pratique, scientifiquement rigoureuse et personnalisée, que l’on découvre la portée de ces différentes approches. Le bien-être dépasse alors le cadre de la performance et « compte pour lui-même et pour lui-même uniquement » (Gaucher, 2016). Le ressenti est signe d’accomplissement, tout comme lorsque l’on ressent, lors d’un transfert-contre-transfert en psychanalyse, l’agréable sensation d’être là au bon endroit au bon moment dans une relation d’aide établie. Nous terminerons sur les mots de Serge Marquis, médecin et expert de la gestion du stress : « Ne croyez rien de ce que je vous dis, faites-le ! [5] »
Notes
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[1]
Marquis S., 2016, « On est foutu, on pense trop ! », Communication présentée à l’université de Nantes, https://www.youtube.com/watch?v=MzvF3OVWgZM
-
[2]
Gallup Organization, 2000, The Strengths Finder.
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[3]
Boniwell I., Ryan L., 2009-2010, Spark Resilience Curriculum (teacher and student materials), London, University of East London.
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[4]
Gallup Organization, 2000, The Strengths Finder.
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[5]
Marquis S., 2016, « On est foutu, on pense trop ! », Communication présentée à l’université de Nantes, https://www.youtube.com/watch?v=MzvF3OVWgZM