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Article de revue

Le renforcement de la mémoire par les contes

Pages 72 à 76

1La recherche en neuropsychologie, portant sur les troubles cognitifs liés notamment à la maladie d’Alzheimer, abonde. Les protocoles de renforcement qui en découlent ne permettent pas toujours de prendre en compte les besoins spécifiques de chaque patient. Le dispositif proposé ici, à partir du récit de contes de fées, propose tout au contraire de s’appuyer sur les affects, les représentations et les capacités de rêverie de chacun pour soutenir le maintien de leurs fonctions cognitives.

2Depuis de nombreuses années, différents auteurs proposent des diverses interventions non médicamenteuses pour répondre à une demande croissante de la part de personnes ayant une plainte mnésique. Au début des années 1980, notamment, des programmes de stimulation cognitive (sc) sont apparus en France (De Rotrou, 1985). Ils sont adaptés et modulés selon le type de population ciblée, c’est-à-dire :

  • des personnes âgées ayant une plainte mnésique, mais dont les scores aux tests neuropsychologiques se trouvent dans la norme – désignées ci-après par « n » (Ball, Berch, Helmers et al., 2002) ;
  • des personnes souffrant de trouble cognitif léger (mci) qui présentent des performances au-dessous de la norme mais sont autonomes dans leur vie quotidienne (Belleville, Gilbert, Fontaine et al., 2006) ;
  • des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de démences apparentées aux stades léger, modéré et sévère (Spector, Woods, Orrell, 2008).

3Les programmes de sc comportent un ensemble de méthodes psychopédagogiques d’application pratique, découpées en séances et sollicitant à la fois les fonctions cognitives, psychoaffectives et sociales.

4La sc s’appuie sur le concept de plasticité cérébrale. En effet, des études récentes ont montré que même les sujets atteints d’une dégénérescence progressive et irréversible, comme celle de la maladie d’Alzheimer, ont un cerveau présentant un potentiel physiologique susceptible de modifier sa structure et son fonctionnement. Les neurones endommagés ont la capacité de se régénérer et d’établir de nouvelles connexions synaptiques (Baltes, Kliegl, 1992). Les activités cognitives et psychosociales contribueraient à retarder et-ou atténuer l’évolution des troubles cognitifs, ainsi que l’apparition des symptômes anxiodépressifs chez les personnes âgées n comme chez les personnes dont les troubles entrent dans le cadre d’un mci ou d’une maladie d’Alzheimer (De Sant’Anna, Morat, 2013).

5La recherche en neuropsychologie destinée à trouver de nouvelles méthodes efficaces pour les populations ciblées ci-dessus abonde. Leur impact dépend, entre autres, de leur pertinence par rapport à chaque individu ciblé. Les personnes sont différentes : elles ont des échelles de valeurs et des besoins divers, des centres d’intérêts variés, voire parfois opposés, des aptitudes spécifiques, des capacités de réserve mnésique différentes. Il ne faut pas non plus oublier que même un patient atteint d’Alzheimer reste un adulte à part entière, avec ses caractéristiques et des droits équivalents de ceux des autres adultes. C’est dans cette optique que le travail sur les contes a fait ses débuts.

Un lien entre passé et présent

6Auparavant envisagé d’un point de vue psychanalytique dans la prise en charge des enfants, le conte a petit à petit investi le secteur des personnes âgées. Le conte transporte l’individu dans un monde onirique où tout est possible. Il est inscrit chez tous les êtres, il tisse un lien entre le passé et le présent, évoquant ainsi des souvenirs autobiographiques. La richesse des contes implique nos cinq sens, mettant en relation les informations perceptives, linguistiques et les connaissances stockées en mémoire à long terme. Il a une composante sémantique stable, car il passe par le langage. La mémoire sémantique est un bon levier du renforcement cognitif, car elle est – même chez les patients soufrant de la maladie d’Alzheimer – plus tardivement touchée (Wenisch, Stoker, Bourrellis et al., 2005).

7Le conte offre un moyen d’aborder les épreuves et les changements de façon sereine. Il ajoute une dimension psychoaffective importante. Si bien que la méthode de renforcement de la mémoire et de l’ensemble des fonctions intellectuelles fondée sur les contes de fées stimule des processus de haut niveau et met en jeu les capacités de réserve cognitive du sujet (De Sant’Anna, Verguin, Heid et al., 2008).

Mécanismes à l’œuvre

8Ces récits schématiques, ces rôles préétablis, cette conjugaison et ce rythme propres au conte transportent l’individu dans un monde onirique où tout est possible et l’emportent vers un monde magique. Cela sollicite de façon très plaisante l’attention-concentration du lecteur. La cadence particulière du conte de fées favorise l’orientation dans le temps. En effet, les notions de début, de déroulement et de fin y sont très claires, dans un crescendo de défis et de solutions où la fin est en général heureuse.

9Le conte favorise aussi la mobilisation d’images mentales qui facilitent la mémorisation. Le fait de pouvoir imaginer et visualiser les scènes les rend très concrètes et, par conséquent, plus facilement mémorisables.

10Ces images mentales permettent, par ailleurs, l’ancrage du récit dans un contexte spatial bien précis, ce qui optimise l’orientation dans l’espace.

Tableau 1

Exemple de conte suivi d’exercices

Tableau 1
« Le roi grenouille » « Il était une fois une jeune princesse dont la beauté sans pareil réchauffait même les rayons du soleil. En été, la princesse avait pour habitude de se promener dans la forêt près du château et de se rafraîchir avec l’eau d’un vieux puits. Un jour, elle s’assit sur la margelle du puits et joua avec sa balle dorée, cadeau de son cher père. Malencontreusement, sa balle dorée lui échappa atterrissant au fond du puits. » I – Compréhension du texte. Répondez oralement aux questions suivantes : 1. Quel est le titre de l’histoire ? 2. Comment est la princesse ? 3. A-t-elle des frères et sœurs ? 4. Quel était son jouet préféré ? 5. Où est tombée la balle ? II – Cochez la(es) définition(s) des mots suivants. Si vous ne trouvez pas la(es) solution(s), vous avez le droit de chercher dans un dictionnaire. 1. Visqueuse : 2. Insoutenable : □ poisseuse □ insoupçonnable □ poissonneuse □ insociable □ collante □ inadmissible □ mielleuse □ insupportable III – Trouvez le maximum de mots de la même racine que les mots suivants : 1. Dorée : 2. Promettre : 3. Soleil : IV – Pourriez-vous épeler les mots suivants à l’envers ? peau jolie gluant château V – Pouvez-vous retrouver les mots que nous avons vus sur la page précédente ?

Exemple de conte suivi d’exercices

11Les exercices fondés sur les contes utilisent le vocabulaire contenu dans les textes, mais ils permettent aussi de recourir à des synonymes, des antonymes, des mots de la même racine, des jeux de mots, etc. De quoi encourager l’emploi de vocabulaire connu ainsi que la découverte de mots nouveaux (De Sant’Anna M., 2013). Ces exercices s’orientent de manière différente en fonction de l’appartenance du sujet à une population donnée. Cette dernière est déterminée au terme d’une évaluation clinique et neuropsychologique complète.

12• Pour les personnes qui s’inscrivent dans un vieillissement uniquement physiologique, dit « normal », associé à une plainte mnésique (n), la méthode s’oriente vers une mise en confiance du sujet par l’acquisition, le réapprentissage et-ou le renforcement des stratégies de mémorisation à partir de tâches ludiques fondées sur les contes entendus ou lus. L’objectif vise à atteindre le bon « encodage » et le rappel des informations. Pour ce faire, les fonctions attentionnelles, l’orientation dans le temps et dans l’espace, le langage écrit et oral et la créativité sont stimulés.

13• Les personnes qui présentent des troubles cognitifs mineurs (mci) ont des difficultés cognitives supérieures à la moyenne de leur âge et de leur niveau socioculturel. Elles peuvent évoluer de manière distincte : certaines ont des troubles réversibles et-ou stables ; d’autres encourent le risque d’évoluer vers une maladie d’Alzheimer. Aussi, les tâches proposées favorisent l’apprentissage de stratégies de mémorisation à la mesure du possible et s’attardent sur la mémoire sémantique (le stock lexical), les fonctions exécutives, le langage et la compréhension.

14• Pour les patients atteints de démence, la Haute autorité de santé a souligné, en 2011, l’importance de l’association d’une thérapie non médicamenteuse à un traitement médicamenteux spécifique. Pour ceux-ci, la méthode accroît le travail d’attention-concentration et des diverses fonctions cognitives, par la sollicitation méthodique des capacités préservées. Elle agit sur la composante psychoaffective afin de renforcer l’estime de soi, l’initiative et la motivation.

15Notons que certains patients ne peuvent pas bénéficier de prise en charge non pharmacologique pour des raisons diverses : soit parce que leurs symptômes associés les en empêchent (agressivité, dépression, désinhibition, apathie, agitation, anxiété, etc.) ; soit parce qu’ils ne peuvent pas se déplacer jusqu’à l’hôpital ou au cabinet privé pour les séances. Quoi qu’il en soit, les interventions non médicamenteuses sont, en général, proposées à raison d’une à deux fois par semaine pour une durée variant entre quarante-cinq minutes et une heure et demie, selon la population ciblée et la méthode choisie. En milieu institutionnel, elles s’effectuent plutôt en groupe. En cabinet privé, il est possible de mettre en place des séances individuelles. La standardisation des interventions ne permet pas toujours de tenir compte de l’hétérogénéité des déficits cognitifs d’une personne à l’autre, ni de l’individualité de leurs besoins. C’est pourquoi une approche individuelle et centrée sur le sujet peut parfois être préférable (Tarraga L., 1992).

Tableau 2

Activités proposées dans le cadre de la méthode de renforcement cognitif par les contes

Tableau 2
Activités Objectifs Reconstitution du texte (oral / écrit ; individuel / à deux) Renforcer l’attention-concentration Solliciter la mémoire auditive Renforcer la compréhension Inciter la prise de parole Créer une dynamique de communication orale/écrite Fabrication d’images mentales Optimiser l’encodage Solliciter les processus d’imagerie mentale Reconstitution des séquences Stimuler les fonctions exécutives : • capacité de jugement • prise de décision • planification • raisonnement logique Stimuler la mémoire épisodique Recherche de vocabulaire Reconstruction de la syntaxe Stimuler la mémoire sémantique Stimuler la mémoire de travail Renforcer la flexibilité mentale Exercer l’écriture Tâches de rappel avec traitement de l’information Faciliter l’encodage Stimuler la mémoire à long terme Création de textes Interroger le point de vue personnel Renforcer les capacités de raisonnement logique et d’abstraction Inciter à l’expression écrite Renforcer le stock lexical Solliciter la créativité Parcours visuo-spatial Analyse topographique Orientation dans l’espace Représentation de l’espace Tâches de logique associative Renforcer la flexibilité mentale Stimuler la mémoire associative

Activités proposées dans le cadre de la méthode de renforcement cognitif par les contes

Méthodologie

16La méthode de renforcement de la mémoire par les contes de fées est une prise en charge indiquée aussi bien aux groupes qu’en séance individuelle, en institution, en cabinet ou à domicile. Nous avons commencé ces prises en charge en 2006, après des résultats encourageants obtenus lors d’une étude randomisée à l’hôpital Broca-Paris xiii (De Sant’Anna M., Verguin M., Heid L. et al., 2008).

17Pour ce faire, nous avons travaillé sur les contes de Jacob et Wilhelm Grimm, en raison de leur caractère international. Même ceux qui ne sont pas forcément connus de tous procurent une sensation de familiarité. Quelques-uns ont été façonnés, de sorte qu’ils soient plus courts, mais conservent leur contenu et leurs messages (voir tableau 1). À chacun, une longue série d’activités objectivant l’optimisation des capacités cognitives a été associée (voir tableau 2).

Bénéfices cognitifs

18L’attention : la mémorisation dépend de la capacité de focaliser son attention. On a moins de mal à la mobiliser si l’information nous intéresse et nous motive. La féerie des contes stimule ce levier. Sont ainsi inclus des exercices pour épeler des mots du texte à l’envers afin de stimuler la concentration. Des activités d’observation soutenue et d’attention partagée (focalisation sur deux tâches simultanées), telles que les barrages, sont également proposées.

19La compréhension est un processus d’organisation et d’interprétation de ce qui est lu ou entendu. Dans ce travail, les questions portent sur des passages ciblés et simplifiés, afin de décortiquer le texte et faciliter sa compréhension et, par conséquent, son encodage.

20Le langage : pour communiquer aussi bien à l’oral qu’à l’écrit, le sujet se sert d’une base de connaissances stockées en mémoire. Cette base de données composée de mots, nous la construisons tout au long des années de façon systématique et organisée. Ces mots sont inscrits avec des règles et des tris qui aident le sujet à s’en servir quand il en a besoin : c’est son lexique.

21La lecture des contes permet d’activer la mémoire des sons des mots, de recruter des nouveaux mots et d’enrichir son lexique interne, de renforcer son vocabulaire. De plus, des exercices sur la définition des mots, sur leur signification, sur leurs racines et sur des textes à compléter optimisent ces acquisitions. La sollicitation de la créativité et de l’imagination, à d’autres moments, fluidifient le discours.

22L’orientation dans le temps s’appuie sur la capacité de s’orienter par rapport au cours des années, des étapes de la vie, du jour et de la nuit. Pour renforcer ces notions, les exercices qui exigent une organisation chronologique des étapes et des saisons sont efficaces.

23L’orientation dans l’espace repose sur la capacité de se repérer dans des endroits plus ou moins familiers. À cet effet, le sujet est soumis à des jeux de labyrinthes, des parcours visuo-spaciaux ainsi qu’à un ancrage dans l’espace lieu du conte.

24Les praxies représentent la capacité de réaliser des gestes (abstraits ou ayant un sens) en l’absence de déficit moteur. Dans ce travail, les exercices consistent à mimer des gestes, réaliser des tracés, des barrages et des tâches d’écriture qui aident à soutenir l’action.

25Les gnosies / prosopagnosies, qui révèlent la capacité de reconnaître les objets et les personnes visuellement et-ou par le toucher, nécessitent des activités imagées.

26Les fonctions exécutives permettent de faire face à des imprévus, de s’adapter, de juger, de décider, d’abstraire, d’être logique. Pour les éveiller, les exercices proposés consistent à reconstituer des séquences, reconstruire la syntaxe, interroger un point de vue personnel ou encore à réaliser des tâches de logique associative.

27La mémorisation est facilitée par deux sens utilisés en même temps (mémoire sensorielle), soit le fait que vous lisiez le texte et que vous entendiez votre propre voix. En plus de ce double encodage, la lecture du conte favorise la création d’images mentales. On crée spontanément des images qui correspondent à sa propre perception du texte. À cela s’ajoutent aussi des activités de reconstitution du texte, de classement, d’association et d’« indiçage », afin de maximiser la mémorisation.

28La mémoire à court terme s’occupe du maintien temporaire de l’information en mémoire, juste le temps de la réalisation d’une tâche précise. Plusieurs activités proposées font appel à cette mémoire. Néanmoins, à la fin d’une série d’activités portant sur le même conte, du fait que le traitement de l’information ait été fait en profondeur, l’histoire peut s’inscrire dans la mémoire à long terme du binôme lecteur-auditeur. Elle sera conservée en mémoire de manière durable.

29La mémoire épisodique ou autobiographique : les faits y sont conservés dans leurs contextes bien précis et datés. Cette mémoire est très sensible. La cadence, les repères et le rythme du conte l’aident à fonctionner. Un autre élément facilitateur du conte, en ce qui concerne ce type de mémoire, est l’appel affectif suscité par les concepts de bien et de mal, de justice et d’injustice, etc.

30La mémoire sémantique est celle du savoir et de la culture acquis au long de la vie. Cette mémoire est plus résistante au vieillissement physiologique dit « normal ». Afin de solliciter son fonctionnement, le travail proposé consiste en des mots à compléter, des mots mêlés, des synonymes et contraires, des tâches d’organisation et de repérage des intrus.

31La mémoire procédurale relève du savoir-faire accumulé tout au long de la vie. Tout comme la mémoire sémantique, elle résiste plus au fil du temps. Néanmoins, la pratique permet le perfectionnement, donc, l’écriture et les tracés proposés gardent ces gestes en bonne forme.

Bénéfice psychoaffectif

32La solitude et l’isolement participent au déclin de la mémoire. Certaines personnes, à la suite de l’arrêt de leur activité professionnelle, d’un veuvage, de l’éloignement de leurs enfants ou d’une baisse des capacités auditives et-ou visuelles, se voient contraintes – ou ne trouvent plus la motivation – à entrer en lien avec l’autre, à communiquer. Cela implique une perte immense non seulement affective, mais également intellectuelle.

Étude de cas

33Madame Y n’a jamais travaillé, car elle a élevé cinq enfants. Elle a vécu en province, puis déménagé à Paris il y a quarante ans. Elle a toujours beaucoup lu. Très douée en orthographe, elle était littéraire et grande connaisseuse d’art, de politique et de géographie. En avril 2009, son médecin de famille diagnostique une maladie d’Alzheimer débutante. On lui prescrit alors un traitement anticholinestérasique. Elle nous est aussi adressée pour un suivi non pharmacologique.

34Cette prise en charge a été envisagée à travers une approche globale :

  • formation et accompagnement des aidants familiaux, notamment une fille qui réside avec elle (madame Y est veuve depuis quelques années) ;
  • renforcement cognitif et stimulation psychoaffective de la patiente par les contes de fées.

35La maladie d’Alzheimer retentit sur l’entourage familial et augmente le risque de mortalité lié au stress de l’aidant familial. Ainsi, nous sommes intervenus sur l’entourage proche afin de lui permettre de mieux comprendre la pathologie et de développer des compétences vis-à-vis de Madame Y.

36Comment le programme de renforcement cognitif par les contes de fées s’est-il déroulé ? Tout d’abord, Madame Y a toujours beaucoup aimé la lecture et les contes lui sont très chers. Ainsi, ce matériel entre dans son champ d’intérêts et de motivations. Nous avons consulté son dossier et nous l’avons testée afin d’avoir un solide point de départ. Cela est impératif afin de moduler la difficulté des exercices proposés. Lesquels sont en constante évolution et s’adaptent à l’avancée de la maladie. Ce programme vise à privilégier la communication orale et écrite, l’interaction avec la patiente, l’orientation temporo-spatiale, l’attention-concentration, la mémoire autobiographique et sémantique.

37Au début de la prise en charge, Madame Y obtient un score de 27/30 au Mini-Mental State Examination (mmse) de Folstein. En 2013, son gériatre lui prescrit un antagoniste des récepteurs nmda (Ebixa) et nous avons augmenté les séances à raison de deux par semaine.

38La pente du déclin s’est faite tout en douceur. Si bien qu’à la fin 2014 son mmse était de 23/30. Malgré un état de santé général un peu fragile, avec des chutes et des rhinopharyngites à répétition, son Adas-Cog (Alzheimer’s Disease Assessment Scale cognitive subscale) est resté assez stable pendant ces cinq années, variant entre 17 et 20/70.

39Tant que sa santé globale et ses capacités de réserve cognitive le lui permettront, nous continuerons la prise en charge. Il faudra nécessairement l’arrêter, car cette méthode ne peut être indiquée qu’à des patients atteints de démence débutante à modérée.

40Cette année, Madame Y a perdu une partie de son autonomie, mais elle est toujours coopérante et d’humeur égale. Au niveau de la communication, sa compréhension reste assez bonne, son discours intelligible (même s’il est moins abondant). L’écriture et la lecture sont possibles, mais elle commence à perdre le sens de quelques mots et les fautes d’orthographe apparaissent. La mémoire épisodique n’est plus opérante. La mémoire sémantique est perturbée, mais encore accessible.

41Elle éprouve toujours du plaisir au travail que nous menons. Même si elle commence à montrer des signes d’apathie, on peut percevoir une réelle motivation à manier les mots et la créativité. Elle n’est pas à l’origine de l’action, mais elle répond et participe quand elle est sollicitée.

42Maintenant, nous découpons les contes en tout petits passages et simplifions les exercices en accord avec ses possibilités. Les tracés et les gestes impliqués dans les tâches l’aident à faire travailler ses praxies.

43Cette prise en charge a permis à Madame Y de conserver une certaine qualité de vie avec dignité. Elle ne sort plus de chez elle, mais la famille reçoit toujours chez elle, et madame mange à table. En mon absence, la fille de Madame Y lui propose aussi de travailler sur les contes, à petites doses, selon son rythme. Elle a participé à de nombreuses séances afin de prendre le relais.

En conclusion

44Le renforcement par les contes de fées est une activité qui a du sens pour Madame Y et mobilise ainsi plus facilement sa motivation. Cette activité a possiblement eu un impact positif sur son état thymique. Il semble que le fait d’avoir maintenu cette constante activité pendant toutes ces années lui a permis de retarder l’apparition précoce de bien d’autres symptômes. De plus, la prise en charge globale a facilité une intervention efficace et bienveillante envers Madame Y de la part de son entourage familial et professionnel. Ce qui a probablement amélioré la qualité de vie de toutes les parties impliquées et retardé le placement en institution de la patiente. Il est vrai, cependant, qu’une simple étude de cas ne nous autorise pas à comparer les effets de la prise en charge, et encore moins d’affirmer la reproductibilité des observations.

Bibliographie

Bibliographie

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  • Spector A., Woods B., Orrell M., 2008, « Cognitive Stimulation For the Treatment of Alzheimer’s Disease », Expert Review of Neurotherapeutics, 8 : 751-757.
  • Tarraga L., 1992, « La stimulation cognitive, intérêt et limites », Gérontologie et société, 62 : 91-101.
  • Wenisch E., Stoker A., Bourrellis C. et al., 2005, « Méthode de prise en charge globale non médicamenteuse des patients déments institutionnalisés », Revue Neurol, 161 (3) : 290-298.

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