Couverture de JDP_332

Article de revue

Problématique identitaire des adolescents « enfants de remplacement »

Cas du district de Huye, Rwanda

Pages 28 à 35

Notes

  • [1]
    Helen D., 2000, « L’enfant de remplacement ou quand l’une et l’autre », ixe Colloque de l’Appq.
  • [2]
    Boulanger L., 2000, « 3 siècles d’histoire pour une dramaturgie familiale », Apports théoriques, Année universitaire 1996-1997, Paris-Nice.
  • [3]
    Mukamana M. C., 2007, Représentation de la maternité chez les survivantes du génocide des Tutsi de 1994, Butare, Université nationale du Rwanda, inédit.
  • [4]
    Mutunge E., 2007, Analyse de la transmission des traumatismes psychiques chez les enfants des survivants du génocide des Tutsi de 1994, Butare, Université nationale du Rwanda, inédit.
  • [5]
    Gaulejac V. (de), 2008, « Nouvelles clés, comment notre famille et nos ancêtres nous lèguent une névrose de classe » sur http://www.nouvelescles.com/article.php3id-article=122-67k-
  • [6]
    Gaulejac V. (de), 2008, op. cit.

1La génération actuelle des jeunes Rwandais est issue de parents ayant subi les violences de la guerre, vécu l’exil ou encore perdu un ou des proches lors du génocide de 1994.

2Certains d’entre eux portent le fantôme de ces êtres chers en s’étant vu attribuer à leur naissance le nom d’un oncle, d’une grand-mère ou encore d’un père… Quelle place ces enfants dits « de remplacement » occupent-ils dans leur famille ? Comment envisagent-ils leur avenir ?

3Quels problèmes identitaires et psychologiques rencontrent-ils ? L’étude présentée ici s’est penchée sur ces questions.

4Ce qui a un commencement a une fin, et le contraire de la vie est certainement la mort. L’humanité est confrontée chaque jour à ces deux événements de la vie : la naissance et la mort. Cette dernière est douloureuse et frappe chaque individu à un moment particulier, plongeant les endeuillés dans les ténèbres sans espoirs, qui se dissipent de temps en temps ou deviennent davantage épaisses. Suit le deuil, dont la durée diffère d’un sujet à l’autre.

5La fin du xxe siècle fut marquée, pour le monde entier et pour le Rwanda en particulier, par des événements traumatiques dont les mots s’échappent de l’esprit humain pour les dépeindre : guerre, génocide, exil, retour massif des réfugiés, etc., entraînant un nombre considérable de pertes en vies humaines. À cela s’ajoute le fléau du sida. Le départ brusque et inattendu des êtres chers, les morts multiples, les circonstances ignominieuses et violentes de la mort, la disparition et la non-inhumation des corps ont rendu, chez certaines personnes, le deuil difficile à surmonter. Après ce déchirement, dans ce climat de deuil compliqué, le survivant essaie de se surpasser et de se reconstruire. L’investissement dans de nouveaux liens par la procréation a permis un enracinement dans son existence.

6Mais quels types d’enfant pour les parents ? Des enfants merveilleux et tout-puissants. La plupart de ces enfants sont ce que l’on appelle des « enfants de remplacement ». Ils comblent le chagrin et la solitude de leurs parents. Condamnés à être le mort-vivant ou le vivant-mort, ils ont reçu de la part de leurs parents une mission impossible « remplacer l’irremplaçable, immortaliser le mortel ». Ils ont reçu des noms évocateurs, des noms et-ou des prénoms des disparus qu’ils remplacent. Inconsolables de la perte de leurs êtres chers, les parents portent désormais toutes leurs attentes sur ces enfants et « le poids des attentes exprimées ou non des parents peuvent empêcher ces enfants de prendre en main leur vie, de découvrir eux-mêmes et pour eux-mêmes le sens de leur vie » (Hermenjat M., 2001).

7Bien qu’ils soient un moyen de guérison de la vive blessure narcissique de leurs parents, ils s’acheminent lentement, mais inéluctablement, vers le stade d’acquisition d’une autonomie qu’est l’adolescence, où les valeurs de leurs parents sont remises en cause et « la remise en question des valeurs des parents semble un élément indispensable à la formation de l’identité de l’adolescence » (Bee, Boyd, 2003). Ils révisent leurs histoires personnelle et familiale, se dégagent de leur identité de l’enfance pour en construire une, propre et originelle.

8À ce stade, l’adolescent « enfant de remplacement » se voit alors entreprendre une piste de faillite immanquable à la mission qui lui a été désignée avant même sa conception. « Il doit renoncer ou non à cette place qui lui a été désignée, portant ainsi un coup fatal au désir de ceux qui l’ont conçu […] [1]. » Pour l’adolescent enfant de remplacement, la tâche devient alors plus intenable, car il ne peut décevoir ses parents et tuer l’être merveilleux en lui, tuer une seconde fois l’être défunt. « Il cherche et doit trouver sa place dans sa famille, soit celle d’un porteur de fantôme ou celle de son identité propre[2]. »

9Le développement psychologique des enfants de remplacement a suscité de nombreuses études depuis une trentaine d’années. C’est en 1964 que A. Cain et B. Cain, repris par Benoît Bayle, rassemblent divers troubles psychologiques chez les enfants, notamment âgés de sept à douze ans : craintes multiples, immaturité, grande passivité et dépendance. Ces enfants sont convaincus d’être insuffisants et vulnérables. Leur sentiment d’identité apparaît troublé par des identifications aux morts qui leur sont imposées. Eux-mêmes se comparent au défunt, certains d’entre eux sont persuadés qu’ils ne vivraient pas au-delà de l’âge de leur frère ou sœur décédé(e) (Bayle, 2003).

10En 1972, Orlow Poznanski, repris par Benoît Bayle (2003), publie la première observation d’enfant dit de « remplacement ». Celui-ci avertit les pédiatres des risques psychologiques possibles liés à ce concept particulier de la conception. Plus tard, c’est Nicole Alby qui introduit la notion en France. Cet auteur insiste sur les perturbations de la grossesse et du lien affectif avec le nouveau-né subséquent (Bayle, 2003). Cependant, ces situations ne doivent pas être l’objet d’une généralisation abusive.

11Au Rwanda, l’existence des enfants de remplacement a été soulignée dans les familles des survivants du génocide contre les Tutsi de 1994 par Marie Claudine Mukamana [3] et par Elyse Mutunge [4]. Bien que ces travaux aient dégagé quelques problèmes psychologiques auxquels font face ces enfants, aucun d’eux n’a pu étudier de manière aussi exhaustive que possible la construction de l’identité chez les adolescents « enfants de remplacement ». L’adolescence est une période de transition lors de laquelle l’enfant doit faire les adieux à l’enfance et inaugurer l’âge adulte. C’est au cours de ce stade que l’être humain acquiert l’autonomie, la compréhension de ce qu’il est et de ce qu’il va faire dans sa vie, donc l’indépendance et l’identité. Celle-ci doit être construite par les identifications choisies par le sujet lui-même et par l’autrui.

Méthodologie de l’étude réalisée

Le terrain d’enquête de cette étude est le district de Huye, plus précisément les secteurs de Ngoma, Tumba et Gishamvu, au Rwanda.
Les participants sont six adolescents qui portent le statut d’« enfant de remplacement », ainsi que leurs parents.
L’échantillon était soumis à des critères d’inclusion :
• Être né après la mort d’un enfant ou de quelqu’un d’autre dans la lignée du premier au troisième degré collatéral.
• Être âgé de douze à dix-huit ans.
• Porter le nom et-ou le prénom d’un enfant mort ou de quelqu’un d’autre décédé dans la lignée du premier au troisième degré collatéral.
• Vivre avec le(s) parent(s) biologiques(s).
Et à des critères d’exclusion :
• Être orphelins des deux parents biologiques.
• Présenter des troubles handicapant la communication fructueuse.
L’enquête documentaire a permis d’explorer les théories existantes sur l’identité, l’adolescence et l’enfant de remplacement, afin de dégager les questions de recherche et les axes d’entretien autour desquels la présente étude s’est articulée.
L’observation clinique a été utilisée pour décoder, mettre les mots et donner sens à toute information non verbale lors de l’entretien.
Des entretiens semi-directifs ont été menés à partir de thèmes proposés aux participants autour desquels ils pouvaient s’exprimer librement et d’une manière personnelle. Un guide d’entretien a été élaboré, prévoyant que soient abordés les thèmes de l’identité, du deuil, de la relation familiale et des implications psychologiques. Notons que ces thèmes sont les mêmes pour les enfants et pour les parents.
Cette recherche a privilégié l’analyse qualitative des données recueillies, et plus particulièrement l’analyse thématique de contenu des données du récit de chaque participant, et l’étude de cas centrée sur l’individu considéré dans sa singularité irréductible.
L’étude a été revue par le comité d’éthique de l’université du Rwanda. En présentant les informations reçues, l’observation des exigences déontologiques en psychologie, telle que la confidentialité, a été de mise. D’où le recours à l’anonymat pour ne pas dénoncer l’identité complète de l’individu. Ce faisant, les noms et les prénoms ont été remplacés par des lettres majuscules. Les entretiens se sont déroulés en Kinyarwanda et ont été traduits ensuite en français.

12Étant portés dans les corps et cœurs endeuillés, bercés dans le déni de la perte de l’autre, vivant dans des familles hantées par les fantômes, destinés à occuper la place de l’autre, l’identité des adolescents enfants de remplacement, est déjà construite, ils n’ont qu’à l’habiter, le chemin leur est déjà tracé, ils n’ont qu’à le suivre. Leurs nom et prénom agissent sur eux comme un aimant qui attire les identifications. Ils leur fixent le destin, le statut, la condition, les situent dans une hiérarchie et leur indiquent la place qu’ils doivent tenir. Ces enfants doivent s’identifier aux projections de leurs propres parents qui les ont nommés, d’où leur difficulté à se forger leur propre identité. C’est précisément à l’adolescence qu’ils inaugurent l’opération qui doit durer toute leur vie de médiation entre la contrainte qui s’exerce sur eux du projet familial et parental et la nécessité d’aménager les projets qui les ont constitués pour pouvoir exister à leur propre compte et définir leur propre projet.

13Qu’est-ce qui se passe quand l’enfant de remplacement arrive au stade d’adolescence ? Comment ces enfants se positionnent-ils par rapport aux projets parentaux ? Comment construisent-ils ce qui est déjà construit ? Qu’arrive-t-il lorsqu’ils acceptent de porter le statut d’enfant de remplacement ou lorsqu’ils le refusent ? Sont-ils capables d’assumer ce qu’ils ont été appelés à faire ?

Résultats de l’étude

14Les six cas cliniques de l’étude sont trois garçons et trois filles, d’âge variant entre quatorze et dix-sept ans, de niveau d’étude allant de la sixième année de primaire à la deuxième année de secondaire. Un participant est en sixième année de primaire, quatre sont en première année de secondaire, et un est en deuxième année de secondaire. Un garçon remplace son oncle paternel, une fille remplace sa grande sœur, une fille remplace sa grand-mère paternelle, une fille remplace son grand-père maternel, un garçon remplace son oncle maternel et un garçon remplace son père.

Tableau 1

Identification sommaire des cas étudiés

Tableau 1
Code Sexe Âge Niveau d’étude Relation avec la personne remplacée X M 17 ans 1 re année de secondaire Oncle paternel Y F 17 ans 2 e année de secondaire Grande sœur W F 15 ans 1 re année de secondaire Grand-mère paternelle Z F 15 ans 1 re année de secondaire Grand-père maternel Q M 14 ans 6 e année de primaire Oncle maternel P M 16 ans 1 re année de secondaire Père

Identification sommaire des cas étudiés

Présentation des cas cliniques

15• X est un garçon de dix-sept ans. Il est en première année de secondaire pour la troisième fois. Il est l’aîné d’une fratrie de cinq enfants. C’est un garçon résolu et de pensées mûres. Il est orphelin de père et vit dans sa famille avec sa mère et ses frères et sœurs. Son père est décédé récemment. Quand X est né, ses parents ont jugé bon qu’il porte le prénom de son feu oncle paternel, célibataire, mort dans un accident de véhicule dans le cadre de son travail. Au cours de son développement, son père l’entourait d’une grande attention, l’examinait minutieusement et se demandait pourquoi il ne grandissait pas vite. Il arrive que X pense à cet oncle qu’il remplace et il essaie alors de se débarrasser de ces idées envahissantes. Il pose des questions sur l’origine de son prénom, mais ses questions restent sans réponse.

16• Y est une fille de dix-sept ans. Elle est en deuxième année de secondaire et réussit difficilement. Elle est la sixième d’une fratrie de sept enfants issus de deux pères différents. Elle est une fille de visage pâle, qui ne laisse échapper aucun signe de joie. Elle est orpheline de père, et sa famille est une famille recomposée. Le père de Y est le second mari que la mère de Y a connu. Le premier est décédé, lui ayant laissé quatre enfants. Après le remariage avec le père de Y, sa mère a perdu sa fille à la suite d’une maladie, alors qu’elle n’avait que cinq ans. Quand Y naît, on lui donne le prénom de cette sœur qui venait de mourir. Y questionne sa mère sur son prénom, mais la mère n’est pas en mesure de lui fournir la moindre explication.

17• W est une fille de quinze ans. Elle est en première année de secondaire et réussit difficilement. Elle est la cinquième d’une fratrie de huit enfants. C’est une jeune fille accueillante, qui aime jouer au volley-ball pendant son temps libre. Elle est née en République démocratique du Congo (Rdc) où sa famille a résidé jusqu’en 1994. À sa naissance, elle a reçu le prénom de sa grand-mère paternelle qui était décédée à l’âge de vingt-neuf ans, alors que son fils (le père de W) n’avait que cinq ans. Cette mort a bouleversé tellement profondément le père de W qu’il décida de faire revivre sa mère par l’une de ses filles. W pose des questions au sujet de son prénom, elle interroge son père qui ne lui donne pas de réponse intelligible, disant seulement qu’il l’a voulu ainsi.

18• Z est une fille de quinze ans. Elle est en première année de secondaire. Elle est la cadette d’une fratrie de deux enfants. C’est une jeune fille d’expression masculine, courageuse et ferme dans ses décisions. Elle excelle au basket-ball. Z est une orpheline de père, mort à la bataille de la guerre de libération nationale de 1990. La mère de Z avait elle aussi perdu son père, c’est pourquoi quand elle mit sa fille au monde, elle décida de lui donner le prénom de son père décédé (grand-père de Z). Z n’apprécie pas ce prénom, dont elle a cherché à se dégager en s’attribuant un autre prénom pour les registres de son école. Mais ce prénom, donné par sa famille, reste inscrit sur la carte d’identité de sa mère. Elle est furieuse chaque fois que quelqu’un l’appelle par ce prénom qu’elle rejette catégoriquement. Sa mère, quant à elle, n’accepte pas bien le comportement de sa fille qui refuse le prénom qu’ils lui ont donné.

19• Q est un garçon de quatorze ans. Il est en sixième année de primaire. Il est l’aîné d’une fratrie de deux enfants. Ses résultats scolaires ne sont pas très bons. Il vit dans une famille monoparentale avec sa mère et sa sœur. Son père les a quittés sans explications. Q est né après la mort de son oncle maternel sur la route qui le menait en République démocratique du Congo (Rdc) lorsque sa mère s’exilait. Quand Q est né, sa mère n’avait pas encore accepté la disparition de ce frère bien-aimé et donna son prénom à son fils nouveau-né. Q n’est pas content de porter ce prénom.

20• P est un garçon de seize ans. Il est en première année de secondaire. C’est un garçon accueillant, de bonne humeur et courageux. Ses résultats scolaires sont moyens. Il est le troisième d’une fratrie de six enfants issus de deux pères différents. La famille de P est donc une famille recomposée. P est orphelin de père qu’il remplace par son prénom. P est très fier de porter ce prénom. Les questions sur ses origines ne lui manquent pas et sa mère essaie de lui fournir quelques explications non satisfaisantes.

Discussion

21Différents profils se sont dégagés dans cette étude.

Enfant de remplacement au dilemme identitaire : rester objet du désir qui l’a fait naître et devenir sujet

22L’arrivée de l’enfant dans la famille dont le deuil est figé, bloqué, a été reçue comme une réparation. Cet enfant est pour ses parents une œuvre de déni, le déni porté sur ce qui manque.

23Voyons ce que nous dit la mère de Y : « Umwana wanjye ndamubona, sinjya nibaza ko yanapfuye, sinkibabara kuko mubona, singuriya se (anyereka Y), nababazwa n’iki ? », « Mon enfant je la vois, je ne pense même pas qu’elle est morte, je ne souffre plus, parce que je la vois, la voilà (en me montrant Y), pourquoi souffrir ? » Ces enfants sont appelés à aider leurs parents à porter leur fardeau. À cet appel, ils y répondent différemment. Les uns, du fait d’une sensibilité psychologique singulière, s’offrent comme un agneau sacrificiel et disent : « Tu m’as voulu, tu m’as eu ! Alors assume-moi. J’accepte de devenir comme vous le voulez, c’est pourquoi je renonce finalement à prendre ma vie en mains. » (Hermenjat, 2001.)

24Ces enfants finissent par endosser une autre identité et se sont interdits eux-mêmes toute question sur le sens de leur vie. Ils construisent leur identité et leur mythe des origines autour d’un corps étranger que leurs parents ont déposé en eux (Goldbeter, 2000).

Tableau 2

Appréciation de la dénomination de l’enfant par lui-même

Tableau 2
Noms et prénoms X Y W Z Q P Total Sentiment de fierté ** * 3 Sentiment de dégoût et de honte** 2 Sentiment d’ambivalence *1 Refus* 1

Appréciation de la dénomination de l’enfant par lui-même

25Ce faisant, ils ont opéré une identification endocryptique au fantôme, une identification qui consiste à échanger leur propre identité contre une identification fantasmatique (Depierre, 1993). Écoutons ce qui est dit au sujet de P : « P iyo urebye, ubona ari se gusa, ari nk’umuntu umuzi (se wa P) yabona ariwe wigarukiye kw’isi », « Si on voit bien, on constate que P est complètement son père, s’il s’agissait d’une personne qui le connaît (le père de P), il dirait que c’est bien lui qui est revenu sur la Terre. » Ou encore au sujet de Q : « Ibyo yakoraga (nyirarume wa Q) n’ibyo akora (Q) usanga ari bimwe ku buryo yabikora ukaba wavuga uti ni we », « Ce qu’il faisait (oncle maternel de Q), et ce qu’il fait (Q), c’est bien le même, de sorte qu’on pourrait dire que c’est bien lui. »

26Leur identité originelle n’est plus, pis encore ils ont perdu leur propre personnalité. Ce chemin n’est pas aussi facile que l’on pourrait le penser, comme le déclare X, qui remplace son oncle paternel qui était chauffeur : « Numva nzatwara ikinyabiziga, ndabitekereza nkagira ubwoba, ndamutse mbigiyemo, bona n’ubwo mbikunze, ibyakoze ishyano ntabwo ari byiza. Iyo ndi mu muhanda, nkabitekereza cyangwa se ngiye gufata urugendo bintera ibibazo, numva ibyiza ari uko nagendesha amaguru. » Et il ajoute : « Sinzapfa ntagiye mu muhanda ngo ntware imodoka. » « Je pense que je conduirai un véhicule, je le pense et j’ai peur, une fois engagé, bien que je l’admire, ce qui a causé le malheur n’est pas bon. Quand je suis sur la route et que j’y pense, ou quand je vais faire un voyage, ça me pose des problèmes, le mieux, c’est de piétiner. » Et il ajoute : « Je ne mourrai pas sans avoir conduit un véhicule. » X se trouve face à une alternative, dont chacun des choix le trouble, face à un dilemme identificatoire. Comment être chauffeur, alors qu’il a peur des automobiles (compulsion de répétition de la catastrophe) ?

Tableau 3

Problèmes identitaires

Tableau 3
Problèmes identitaires X Y W Z Q P Total Perte de sa propre identité * * 2 Perte du sentiment d’existence* 1 Effort pour ressembler au défunt *** * 4

Problèmes identitaires

27Pour s’ajuster, ces enfants fonctionnent par le faux-self. Pour être vus, reconnus par leurs géniteurs et pour avoir grâce à leurs yeux, ils doivent être comme les personnes qu’ils remplacent. Cette tendance étant souvent considérée comme une bonne adaptation, alors que l’enfant n’a pas l’occasion d’être lui-même (Newton-Verier, 2006).

Tableau 4

Relation parentale

Tableau 4
Relation parentale X Y W Z Q P Total Relation anxieuse surprotectrice * * *3 Relation inversée ** * 3 Relation confusionnelle* 1

Relation parentale

28Ceux qui ne le font pas de leur propre volonté, ils le font sur injonction parentale. Examinons cette injonction du père de W à sa fille : « Namubwiye ko agomba gusa n’iryo zina, agahagarara mu mwanya wa nyiraryo, akaba ryo », « Je lui ai dit qu’elle doit ressembler à ce nom, se tenir à la place de celle qui le portait et le devenir. » Cela montre que le soi de W est dénié par le père, ce qui n’est pas exempt d’effets pernicieux, comme l’affirme Jack Doron (2001) : « Si le soi ne peut être reconnu, le sujet le dénie et fonctionne le plus souvent dans une adaptation superficielle au sujet de l’autre. »

29Les autres enfants ont pris de la distance à l’égard du modèle parental, un chemin plus difficile et douloureux, par ce sentiment de décevoir ou de tromper les attentes de leurs parents, et ce renoncement au projet parental a cristallisé un conflit latent (Pronovost, 2006).

« Je ne veux pas être ce que mes parents veulent que je sois. »

30Ces enfants sont à la recherche d’eux-mêmes et ont du mal à parfaire leur identité. Ils veulent acquérir leur autonomie, se dégager de l’emprise parentale et inscrire leur existence dans leur non-existence. L’histoire de leur famille semble être détestable, et ils ne sont pas fiers de s’inscrire dans cette lignée ni d’être ce que leurs parents voudraient qu’ils soient. Ils nagent alors dans l’impasse généalogique : je ne veux pas être ce que je suis.

31Le cas frappant est celui de Z qui porte un prénom masculin. La jeune fille a refusé de continuer à porter le prénom donné par sa famille et elle s’en est attribué un autre. Elle est à la recherche de son existence par cette opération langagière de « s’autonommer ». Le prénom qui lui a été attribué par sa famille ne lui assure pas la cohésion narcissique et ne lui permet pas d’habiter son corps comme étant d’un seul sexe. Elle tente de se trouver une place par elle-même. Elle cherche alors à s’autofonder, en s’attribuant un prénom qui lui donne l’impression d’exister, afin de pouvoir exister pour son propre compte, pour pouvoir définir un projet existentiel et pouvoir affronter sa liberté (Durif-Varembont, 2001).

Le déséquilibre relationnel

32Le statut d’enfant de remplacement a tant bouleversé la hiérarchie de la fratrie ou même l’ordre des générations chez ses porteurs que ces derniers sont en déséquilibre relationnel significatif. Ils ont acquis de lui le droit à une ascension générationnelle. Ils ne sont plus enfants pour leurs parents ni au même pied d’égalité que leurs frères et sœurs qui ne les considèrent pas comme tels. Les relations tant parentales que fraternelles sont contaminées. Le phénomène qui attire le plus notre attention est la parentification.

33Ce phénomène est observable chez W et Z. Prêtons une oreille attentive à ce témoignage du père de W : « W akimara kuvuka, numvise mbonye mama, W numva azahagaragara mu mwanya wa mama », « Après la naissance de W, je me suis senti que je retrouve ma mère, W, je pense qu’elle occupera la place de ma mère. » Ces enfants parentifiés sont compétents pour assurer des rôles de suppléances, mais aussi de soin et de protection vis-à-vis de leurs parents. Ils ont acquis très précocement des compétences de débrouillardise, d’organisation de gestion ménagère, de support affectif… comme l’affirme le père de W : « W agaragara nk’umuntu mukuru, kandi yabitangiye akiri muto, azi byose ; ari mu nzu, abamuruta n’abo aruta bose arabametiriza », « W semble avoir été adulte dès sa petite enfance, elle connaît tout ; à la maison, les plus grands et les plus petits qu’elle, elle les maîtrise tous. » Ces enfants sont au service de leurs parents, de leurs frères et sœurs, leur obéissant en s’oubliant complètement. On parle alors de « prématuration psychique », selon l’expression ferenczienne (Ferenczi, 1932). Leurs facultés psychiques sont préformées avant l’âge.

34D’un côté, cette parentification apparaît positive à court terme, mais elle révélera aussi des conséquences négatives sur la génération suivante. En effet, ces enfants auront du mal, adultes, à s’investir auprès de leurs enfants, parce qu’ils donnent déjà tant aujourd’hui de ce qu’ils seront censés donner à leurs propres enfants. Ils sont usés et exploités avant l’heure (Afirem, 1999).

35Il serait néanmoins réconfortant pour ces enfants que leurs parents et leurs frères et sœurs reconnaissent qu’ils sont pour eux, reconnaissent leur dévouement, voire leur sacrifice, au lieu de leur faire des reproches. Ce qui n’est pas toujours observable dans ces familles. Les propos des frères du père de W en témoignent (W portant le nom du grand-père paternel) : « Iryo zina tuzarikwambura, ubwo wumva uzahagararara mu mwanya wa papa koko ? », « Nous allons t’ôter ce nom, te sens-tu réellement digne de tenir la place de notre père ? »

36De cette estime de soi dépréciée par autrui naît un sentiment d’incompétence, d’indignité, et l’estime de soi tend vers le négatif. Un grand sentiment de culpabilité apparaît aussi lorsque l’enfant n’arrive pas à répondre aux besoins de ses parents (Michard, 2006).

37Sandor Ferenczi explique que ces enfants sont en quête d’amour et de reconnaissance vis-à-vis de leurs propres parents, mais un amour au sens de « tendresse ». À côté de cet amour passionné et des punitions passionnelles, leurs parents s’attachent à eux par « le terrorisme de la souffrance », obligeant ces enfants à aplanir toutes sortes de conflits familiaux et à porter sur leurs frêles épaules le fardeau de tous les autres membres de la famille (Ferenczi, 1932). Les paroles de cette mère qui a parentifié son fils en lui faisant porter le prénom de son feu grand-père maternel en témoignent : « Ubona ari papa wanjye, no mu bandi bana niwe ubabwiriza, akabaha urugero, niwe umpana nkamwumvira, numva ari nka papa umpanye », « Ça se voit que c’est mon père, c’est lui qui donne des ordres et directives à ses frères et sœurs, il leur donne l’exemple, c’est bien lui qui me remet en ordre et me corrige et je me soumets directement, c’est comme si c’était mon père qui me remettait en ordre. » La parentification les empêche de vivre leur vie et les met souvent au service de l’autre. S’y ajoute l’angoisse identitaire qui naît de ce vacillement de places comme le dit Irène Thery, repris par de Gaulejac : « Jamais l’angoisse identitaire n’est si forte qu’au moment où vacillent toutes les places[5]. »

Descendre de son arbre généalogique pour explorer ses racines

38La question des origines est au cœur de la quête et de la construction identitaires. Elle apparaît d’autant plus cruciale chez les enfants de remplacement, mais les réponses portant sur ce sujet restent confuses. Ils veulent ainsi revisiter leur passé pour lui donner un sens et s’inscrire dans une continuité, pouvoir tisser de nouveaux liens entre le passé et le présent et construire ou reconstruire leur histoire. Ils sont animés par une certaine forme de nostalgie qui les conduit à souhaiter pouvoir rencontrer et voir les personnes qu’ils remplacent. Les voir non seulement parce qu’ils les idéalisent, mais aussi pour faire chuter leur image terrifiante qu’ils ont internalisée et qui les menace intérieurement (Berger, 1999). Aux questions émises par ces enfants, deux types inquiétants de comportement nous interpellent : le non-dit et le silence.

Tableau 5

Missions et attentes de l’enfant

Tableau 5
Mission et attentes PX PY PW PZ PQ PP Total Soulagement * * ** * 5 Consolation * * ** * 5 Compensation * * ** * 5 Incarnation ** * 3

Missions et attentes de l’enfant

39• Le non-dit : Les mots pour exprimer l’histoire du ou de la mort(e) sont absents chez les parents, et la mort a acquis le caractère de l’indicible, voire de l’impensé. Ainsi, ce qui n’est qu’un « non-dit », innommable, pour ces parents est devenu secret pour leur enfant, comme le dit Serge Tisseron cité par Miren Arambourou-Mélèse : « Ce qui est “indicible” pour une génération peut devenir “irreprésentable” pour les suivantes […] c’est ainsi qu’“un non-dit” pour un parent devient un “secret” pour un enfant. » (Arambourou-Mélèse, 2002.)

40Soyons attentif à ces propos du père de X : « Lyo abimbajije mwima amatwi nkigira mu byanjye, biba binyobeye », « Quand il me pose des questions à ce sujet, je ne lui prête pas une oreille attentive et je m’occupe de mes affaires, parce que ça dépasse mon entendement. » Pour ces enfants, le passé pèse, le présent est lourd, le futur est bouché. Vivre le présent leur est très difficile, car, pour pouvoir vivre le présent, il faut qu’ils puissent sortir de leur passé, et le seul moyen de s’en sortir passe par le retrouver.

41Basé sur le bon sens commun des parents, ces secrets de famille qui sont censés protéger ses membres de la honte, du désespoir ou du déshonneur, produisent en fin de compte l’inverse. Loin d’épargner les descendants, ils semblent les marquer profondément au point de structurer leur existence. Ce qui explique bien le comportement de Q, comme le signale sa mère : « Simbimubwira. Ubona ahindutse, akimyoza », « Je ne lui parle pas de ça. Son visage change et il exprime mécontentement et regret. »

42À ce sujet, Vincent de Gaulejac informe que chaque fois qu’un secret est à l’œuvre quant aux origines, ou lorsque des soupçons pèsent sur le comportement de l’un des parents, les descendants sont aux prises avec des conflits qui les taraudent sans qu’ils n’en comprennent le sens [6]. Et Manu Keirse (2000) ajoute que les sentiments et les émotions qui ne s’expriment pas ne disparaissent pas pour autant. Ils cheminent au plus profond de nous-mêmes et poursuivent un travail destructeur.

43• Le silence : L’histoire des origines des enfants de remplacement comprend un chaînon manquant qu’ils souhaitent combler en interrogeant leurs parents. Ils veulent leur parler pour lever une forme de pesanteur, pour se délivrer du passé. Y l’exprime en ces termes : « Ababyeyi banjye ndabibabaza ntibabimbwire », « Je pose ces questions à mes parents, mais ils ne me répondent pas. » Dans ces familles, ces moments de silence sont des moments intenses, mais, du fait de cette attitude défensive des parents qui ne sortent jamais de leur silence, une intolérable sensation de solitude apparaît chez ces enfants, une sensation de vide ou de manque. Cette solitude des enfants est celle des affamés, qualifiée magnifiquement par François Duykaerts de solitude par « inanition mentale » (Duykaerts, 1999). Luis Eduardo Prado De Oliveira emboîtant le pas de François Duykayerts ajoute que « ne pas pouvoir se représenter ce qui se passe en soi, engendre une solitude, l’enfant sur qui ses parents ont reporté leur propre identification narcissique à un mort dont ils n’ont pas fait le deuil, l’ombre de mort tombe sur le moi de l’enfant » (Prado De Oliveira, 1995). Le silence qui s’est fait sur ces morts a créé une zone d’ombre dans la mémoire de ces enfants et il a clivé leur personnalité.

Tableau 6

Problèmes psychologiques

Tableau 6
Problèmes psychologiques X Y W Z Q P Total Perte de sa propre personnalité ** * 3 Échec scolaire **2 Sentiment de peur * ** 3 Perte de sa propre identité * * * 3 Prématuration psychique ** * 3 Distanciation ** * 3

Problèmes psychologiques

Enfant réel et enfant désiré

44Lorsqu’un enfant remplace un membre disparu de même sexe que lui, le remplacement peut être total et invisible, même s’il enferme pour l’enfant. Mais, chez les familles des enfants de remplacement, force est de constater que, même dans le cas d’un sexe de l’enfant différent de celui du membre de la famille décédé, le prénom sera quand même donné à l’enfant : le féminin remplace le masculin et inversement ; le remplacement sera effectif par défaut. Ce fait trahit le sexe désiré inconsciemment par les parents avant la conception et la naissance de l’enfant.

45Cela est observable dans la famille de Z, où cette jeune fille tient la place de son grand-père maternel, portant ainsi sur elle le sentiment de déception provoquée à sa naissance ; elle s’est par la suite investie du désir de ses parents et est devenue un « garçon manqué ». Z endosse le rôle qui lui est attribué en s’investissant dans des métiers ou filières réservés culturellement au sexe masculin, dans la police ou l’armée comme l’était son père. Elle nous dit : « Nzaba umusirikari cyangwa umuporisi ndwanirire igihugu cyanjye », « Je serai un militaire ou un policier pour défendre ma patrie. » Elle renonce à l’identification à la mère, en s’écartant des rôles féminins et souhaite s’identifier à son père en choisissant de faire une carrière militaire.

46Dans la culture rwandaise, il y a des prénoms réservés exclusivement au sexe masculin, d’autres au sexe féminin. Lorsque cela n’est pas respecté, un état de malaise domine, résultant du décalage entre le sexe représenté par le prénom et le sexe biologique de la personne qui le porte. La nomination marque le sceau de la division sexuelle fille / garçon et inscrit le sujet dans un genre ; il efface l’illusion d’être de deux sexes à la fois, de deux générations en même temps (Durif-Varembont, 2001). Z n’a pas pu accepter d’intégrer ce prénom ni s’accepter comme vivante, sexuée et mortelle. Son sentiment d’existence est en jeu. Elle vit son prénom comme un terreau qui la nourrit, un poids trop lourd à porter, une crainte insupportable. Elle s’exprime en ces termes : « Mfite ubwoba ko ibizimu byabo byazankurikirana », « Je redoute que leurs esprits mauvais ne me poursuivent. »

47Pour s’opposer à l’idéal de sa mère, Z refuse de se marier : « Sinzashaka umugabo », « Je ne me marierai point. » Ces paroles revêtent une autre dimension significative : elle se prive du droit d’avoir des enfants, et cette privation, c’est aussi renoncer à toute transmission, prix à payer pour ne pas détruire l’idéal parental. Et, dans le même temps, son choix de rompre cet intergénérationnel est une volonté de mettre un terme à la transmission de sa lignée matriarcale. Elle refuse de s’inscrire dans cette filiation.

48Ce refus de se marier interroge sur ce que deviendra la dette de vie dont Z refuse ainsi de s’acquitter. Monique Bydlwoski, sous la plume de Jean-Pierre Durif-Varembont (2001), affirme que l’enfantement est conçu comme une dette de vie et que l’amour, l’affection, la fatigue et les égards, la manière de s’acquitter de cette dette sont transgénérationnelles. Non réglée, elle risque de grever l’enfant à peine né.

L’échec scolaire

49Plusieurs facteurs concourent pour expliquer l’échec scolaire, parmi lesquels il y a l’estime de soi (Martinot, 2001). La connaissance de soi et l’estime de soi sont des composantes de la réussite scolaire. Les soi possibles, à savoir ce que les individus pourraient devenir, aimeraient devenir ou ont peur de devenir, agissent aussi sur la motivation. Chez certains de nos sujets, nous avons constaté la tendance à l’estime de soi négative, considérée par les psychanalystes comme une façon d’attaquer l’idéalisation de l’enfant mort et qui serait peut-être à la base de l’échec scolaire observable chez certains enfants, comme c’est le cas pour X et pour W.

50X nous affirme : « Ntabwo byanejeje kuza kwiga hano, numvaga nshaka kwiga imyuga », « Je n’ai pas eu plaisir à venir étudier ici, je souhaitais apprendre les métiers. » En plus de l’estime de soi négative observée chez ces enfants s’y ajoute l’élément généalogique. Vincent de Gaulejac démontre à quel point il est difficile pour un bon fils ou une bonne fille de dépasser le niveau d’études de son père ; la fidélité aux ancêtres, devenue inconsciente ou invisible, gouverne ces enfants (Gaulejac de, 2007). Toutes les personnes disparues que ces enfants remplacent n’ont pas fait l’école secondaire, certains n’étant même pas arrivés à la porte de l’école primaire.

51Selon le même auteur, subir l’échec scolaire chez ces enfants serait une manière pour eux d’honorer leurs ancêtres, les fantômes qui les habitent, et de vivre en loyauté avec eux. C’est cette loyauté qui les pousse à échouer, dans le désir inconscient de ne pas s’élever socialement au-dessus de leurs grands-parents, oncles… ou de rester luthier de père en fils (Gaulejac de, 2007), comme l’explique ce proverbe bantou : « Le fils ne doit pas aspirer à être mieux que son père. » (Offroy, 2001.)

Conclusion

52L’humanité est inéluctablement marquée par les pertes et les séparations. La perte d’une personne inflige à celui qui la vit une cruelle épreuve objectale et narcissique. Accepter cette expérience universelle, les souffrances et remaniements irréversibles qu’elle occasionne, revient à tout le monde. Il arrive que l’endeuillé n’accepte pas cet inacceptable et choisisse inconsciemment un enfant prédestiné pour l’aider à porter ce fardeau. Cet enfant est utilisé comme remplaçant pour masquer le vide. Il n’est pas pris pour lui-même. Bien que son identité soit bâtie avant sa conception, cet enfant la reconstruit à travers des processus complexes. Il est probable que cette construction soit entravée par ce poids du passé des parents. Ce problème a été amorcé dans le sens d’étudier la construction de l’identité des enfants de remplacement à l’âge de l’adolescence.

53Les résultats de cette étude ont montré que certains adolescents enfants de remplacement s’identifiaient aux fantômes qui les habitent, perdant alors leur identité originelle et leur propre personnalité. D’autres se baignent dans l’impasse généalogique, se dégagent du modèle parental et choisissent leur propre modèle, mais à quel prix ? Le statut d’enfant de remplacement a renversé la hiérarchie tant fraternelle que parentale et a fait monter les enfants de remplacement dans l’ascension générationnelle. La reviviscence du deuil bloqué, l’angoisse identitaire, l’échec scolaire, la peur, la parentification, la prématuration psychique sont des problèmes psychologiques qu’ont les enfants de remplacement. Les rituels funéraires doivent être organisés pour relancer la dynamique du deuil originaire bloqué, afin de libérer l’enfant porte-fardeau du poids du fantôme, de donner l’occasion au parent qui n’a pas pu faire le deuil de régler ce qui reste à régler avec le ou la mort(e), de le / la libérer du monde des vivants et lui permettre de rejoindre le monde des morts, de le / la loger parmi les ancêtres, afin de réinvestir l’enfant pour lui-même.


Date de mise en ligne : 04/11/2015

https://doi.org/10.3917/jdp.332.0028

Notes

  • [1]
    Helen D., 2000, « L’enfant de remplacement ou quand l’une et l’autre », ixe Colloque de l’Appq.
  • [2]
    Boulanger L., 2000, « 3 siècles d’histoire pour une dramaturgie familiale », Apports théoriques, Année universitaire 1996-1997, Paris-Nice.
  • [3]
    Mukamana M. C., 2007, Représentation de la maternité chez les survivantes du génocide des Tutsi de 1994, Butare, Université nationale du Rwanda, inédit.
  • [4]
    Mutunge E., 2007, Analyse de la transmission des traumatismes psychiques chez les enfants des survivants du génocide des Tutsi de 1994, Butare, Université nationale du Rwanda, inédit.
  • [5]
    Gaulejac V. (de), 2008, « Nouvelles clés, comment notre famille et nos ancêtres nous lèguent une névrose de classe » sur http://www.nouvelescles.com/article.php3id-article=122-67k-
  • [6]
    Gaulejac V. (de), 2008, op. cit.

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