Note
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Philippe P., 2012, « Qu’est-ce que l’état de stress post-traumatique ? » Le Blog de la rédaction, e-santé.fr
« Quand on vit un événement traumatisant, il peut laisser des cicatrices, la cicatrice minimale, c’est le souvenir de cet événement, la cicatrice la plus grave, c’est un état de stress qui peut empêcher de vivre normalement pendant toute une vie [*]. »
1Accueillir des réfugiés syriens signifie aussi accueillir la souffrance psychologique de ces femmes et de ces hommes qui ont été confrontés à des événements traumatiques extrêmes, mais aussi celle des enfants, non moins exposés, et dont on sait que l’état de stress post-traumatique (espt) peut les affecter de manière durable. Une étude réalisée auprès de sujets âgés de huit à seize ans provenant de la région d’Al-Qalamoun, en Syrie, et réfugiés au Liban, nous fournit ici quelques éléments qu’il nous faut considérer dans la prise en charge de ces enfants qui arrivent en France.
2Depuis plus de trois ans, la Syrie est plongée dans une véritable guerre, qui a débuté par des manifestations pacifiques contre le régime en place, dès le 15 mars 2011, dans le contexte du Printemps arabe. Cette guerre a déjà fait plus de deux cent cinquante mille victimes, principalement civiles. Environ neuf millions et demi de réfugiés à l’intérieur du pays et plus de trois millions et demi de réfugiés à l’extérieur ont aujourd’hui besoin d’aide, s’agissant notamment d’alimentation et d’hébergement. Nous allons ici concentrer notre attention sur les enfants et adolescents syriens issus de la région d’Al-Qalamoun et réfugiés au Liban. Ils constituent une population particulièrement vulnérable en raison de leur immaturité physique et psychologique et nécessitent une aide spécifique.
3La guerre, entre autres violences, occasionne des changements économiques, sociaux et familiaux empêchant l’enfant et l’adolescent de vivre dans des conditions normales de développement. Cela a un impact sur leur santé mentale, menaçant et mettant en danger leur développement à long terme, ainsi que leur apprentissage. Considérant ainsi l’ensemble des épisodes stressants, cela provoque des troubles psychologiques, sociaux, comportementaux, cognitifs, etc. (McNally, 1991 ; Saight et al., 1999). De très nombreuses études traitent des violences psychologiques subies par les enfants et-ou adolescents en contexte de guerre, pointant spécifiquement la manifestation de stress post-traumatique, et ce, dans divers territoires en conflit tels la Palestine (Khamis, 2005 ; Punamäki et al., 2001 ; Qouta et al., 2003 ; 2007 ; 2008), le Soudan (Geltman et al., 2008), le Liban (Macksoud, Aber, 1996), le Koweit (Nader et al., 1993) ou encore le Rwanda (Neugebaeur et al., 2009).
L’état de stress post-traumatique
4L’état de stress post-traumatique (espt) est un trouble anxieux résultant d’un événement exceptionnellement violent (catastrophes naturelles, guerres, attentats, accidents graves, maladies graves) durant lequel l’intégrité physique et-ou psychologique du patient et-ou de son entourage a été menacée et-ou effectivement atteinte. Selon la quatrième édition du manuel de classification des troubles mentaux proposée par l’Association américaine de psychiatrie (Apa, 2000), trois symptômes principaux constituent la pathologie de l’espt :
5• La première est la répétition. L’événement traumatique est constamment revécu soit par des souvenirs répétitifs et envahissants de l’événement ayant provoqué un sentiment de détresse et comprenant des images, des pensées ou des perceptions, soit par des rêves répétitifs concernant cet événement, provoquant des impressions ou des agissements soudains, comme si l’événement traumatique allait se reproduire, entraînant un sentiment intense de détresse psychique lors de l’exposition à des indices internes ou externes évoquant ou ressemblant à un aspect de l’événement traumatique, ainsi qu’une réactivité physiologique lors de l’exposition à des indices, internes ou externes, pouvant évoquer ou ressembler à un aspect de l’événement traumatique.
6• Le deuxième est le symptôme de l’évitement persistant des stimuli associés au traumatisme et provenant de la réactivité générale, comme en témoigne la présence d’au moins trois des manifestations suivantes : efforts pour éviter les pensées, les sentiments ou les conversations associés au traumatisme, efforts pour éviter les activités, les lieux ou les gens qui éveillent des souvenirs liés au traumatisme, incapacité de se rappeler un aspect important du traumatisme, réduction nette de l’intérêt pour des activités importantes ou réduction de la participation à ces mêmes activités, sentiment de détachement d’autrui ou de devenir étranger par rapport aux autres, restriction des affects et sentiment d’un avenir fermé.
7• Le troisième est le symptôme d’hyperactivité neurovégétative, qui comprend des difficultés d’endormissement ou de sommeil interrompu, une irritabilité ou un accès de colère, des difficultés de concentration, une hypervigilance et une réaction de sursaut exagérée (Dsm-iv-tr, 2000 ; Cim-10, 1992).
8Les symptômes de l’espt débutent habituellement dans les trois premiers mois qui suivent le traumatisme, bien qu’il puisse exister un délai de plusieurs mois, voire de plusieurs années, avant que les symptômes n’apparaissent.
9La cessation du danger et de la violence n’empêche pas la survenue et la persistance du syndrome (Qouta et al., 2003). Il peut ainsi exister un temps entre l’événement stressant et la survenue de l’espt (Dsm-iv-tr, 2000). Ce dernier concerne 1 % à 10 % environ de la population générale sur une vie entière et affecte 9 % à 24 % des personnes ayant subi des événements traumatiques spécifiques (Dsm-iv-tr, 2000). Notre étude a donc pour objectif de décrire et de comparer les caractéristiques et l’intensité de la pathologie des enfants et adolescents présentant un état de stress post-traumatique, résultant de l’exposition aux violences en Syrie en nous appuyant sur l’étude des trois symptômes principaux de l’espt : la répétition, l’évitement et l’hyperactivité. Nous avons donc décidé de considérer quatre variables que sont l’âge, le genre, l’exposition à la violence et le niveau socio-économique.
10La plupart des travaux indiquent que l’espt se manifeste aussi bien chez les enfants et les adolescents que chez les adultes (Pynoos et al., 1987 ; Pynoos et al., 1993 ; La Greca et al., 1996 ; Sydor, Philippot, 1996 ; Stallard et al., 1998 ; McCloskey, Walker, 2000 ; Saigh, 1989), même si une étude de Vivian Khamis, en 1993, nous signale un espt significativement plus élevé chez les adolescents que chez les adultes. Anne-Cécile Dewulf (2006) nous rappelle à cet égard que l’âge de l’enfant au moment de l’exposition au traumatisme est une variable à considérer. Toutefois, il faut noter que les études prenant en compte cette variable ne s’accordent pas toujours. Certaines tendent ainsi à démontrer que l’âge n’a pas d’effet significatif (notons, par exemple, les travaux de Richard D. Goldstein et ses collaborateurs, en 1997, ou encore ceux de Richard Neugebauer et de son équipe en 2009), tandis que d’autres tendent à démontrer que les enfants les plus petits seraient davantage touchés (Garbarino, Kostelny, 1996) ou le seraient au contraire moins (Green et al., 1991 ; Khamis, 2005). Il nous a donc semblé important, dans cette présente étude, de considérer cette variable, même si la formulation d’une hypothèse semble aléatoire.
11Les enfants et adolescents représentent, quoi qu’il en soit, des proies faciles pour toutes sortes de violences et font partie des nombreuses victimes de guerres et de crimes. Tristement, ils sont également les cibles immédiates d’une violence spécifique, compte tenu de leur position de dépendance vis-à-vis des adultes, victimes alors de maltraitances physiques et-ou psychiques. Toutes ces situations sont intimement liées aux contextes sociodémographiques, aux structures et aux valeurs sociales qui engendrent de telles agressions ou échouent à protéger les enfants. Nous souhaitons donc considérer également la question de l’exposition à la violence, puisque, en effet, il semble somme toute assez logique de penser que l’exposition directe a un plus grand impact sur la formation d’un espt. Dans de nombreuses recherches menées sur le territoire palestinien, notamment lors des Intifada, Samir Qouta et ses collaborateurs ont démontré combien l’espt prenait place de manière significative auprès des enfants et adolescents, et ce, a fortiori, lorsqu’ils avaient participé aux événements ou avaient été témoins directs des violences perpétrées (2003, 2007). Nous pensons donc que l’espt sera plus important chez les enfants / adolescents qui ont été directement témoins du conflit. Toutefois, et dans cette même veine, il faut également noter que les études faisant état du caractère direct de l’exposition au traumatisme lient celui-ci au genre des protagonistes. Ainsi, les garçons seraient significativement plus exposés que les filles (Burke et al., 1982 ; Khamis, 2005), cela dit, là encore, la variable genre est controversée, puisque, si certaines recherches démontrent un plus grand espt chez les filles (Green et al., 1991 ; Neugebauer et al., 2009 ; Qouta et al., 2003 ; Smith et al., 2002), d’autres, au contraire, tendent à démontrer l’inverse (Khamis, 2005). Andrew Dawes et ses collaborateurs (1989) ont pour leur part croisé les variables genre et âge et ont constaté que si l’espt était plus important chez les garçons plus petits, cette tendance s’inversait à l’adolescence. Nous pouvons donc penser que, dans nos propres résultats, cette variable de genre aura un effet sur l’espt.
12Enfin, nous souhaitons également prendre en considération le niveau socio-économique des enfants et adolescents. Il nous semblerait assez pertinent de considérer qu’un enfant / adolescent au niveau socio-économique élevé aura un espt moins important qu’un enfant / adolescent au niveau socio-économique plus faible, comme tendent à le démontrer les recherches de A. A. Thabet (Thabet et al., 2008) ou encore de Vivian Khamis en 2005. Nous pouvons, en effet, supposer que de plus grands moyens financiers donnent lieu à de meilleurs ajustements entre le traumatisme subi et le soin familial apporté. Nous allons donc procéder à la description de notre outil méthodologique et discuterons ensuite nos résultats.
Méthode
Participants
13L’échantillon de cette étude a été sélectionné au hasard à l’aide d’une équipe bénévole qui a travaillé sur place, au Liban, pendant deux mois, de juin à juillet 2014. Les participants souffrent d’un état de stress post-traumatique à la suite d’un événement exceptionnellement violent : leur fuite de la région d’Al-Qalamoun pour se réfugier au Liban. Sur 290 demandes d’autorisation de participation soumises aux parents, 151 ont reçu un accueil favorable et 139 n’ont pas souhaité participer à la recherche. La principale cause de refus a été la sécurité de leurs familles, en raison de la guerre que ces familles vivent en Syrie. L’échantillon est constitué de 151 enfants et adolescents, dont 72 garçons (48 %) et 79 filles (32 %). 75 sujets ont subi directement un événement traumatique (49,7 %), touchés ou blessés eux-mêmes, et 76 ont subi un événement traumatique de manière indirecte (50,3 %), témoins d’un acte de violence. En ce qui concerne le niveau socio-économique des parents, 100 sujets ont des parents dont le niveau socio-économique est faible (66,2 %) et 51 sujets ont des parents dont le niveau socio-économique est élevé (33,8 %).
14Pour ce qui est de la classe d’âge, notre échantillon est constitué de 76 enfants âgés de 8 à 11 ans (50,3 %) et 75 adolescents âgés de 12 à 14 ans (49,7 %) (voir tableau 1).
Répartition de l’échantillon
Répartition de l’échantillon
Mesure
15Pour évaluer l’intensité de la pathologie de l’espt et aider à la diagnostiquer, nous utilisons la Cptsd-ri (The Child Post-Traumatic Stress Disorder Reaction Index) de Robert S. Pynoos et son équipe (1987). Cette échelle est composée de vingt items liés aux trois symptômes définissant l’espt dans le Dsm-iii-r : la répétition, l’évitement et l’hyperactivité neurovégétative.
16Cette échelle a été traduite en arabe, afin de tenir compte de la société palestinienne et de la culture arabe. Les résultats ont montré que cette échelle possédait une bonne validité empirique et discriminante après avoir fait des modifications sur les items 12, 15 et 20 pour être plus facile à comprendre dans la culture arabe. Il s’agit d’un outil psychométrique simple et facile à utiliser, notamment dans le dépistage de l’espt en clinique et dans les associations d’aide aux victimes. Cette échelle est destinée aux enfants âgés de six ans à seize ans. Elle évalue la gravité des symptômes de l’espt, selon les critères figurant dans le Dsm-iii-r, à la suite d’un épisode de vie stressant. On a obtenu le score total en additionnant vingt items ; et ceux-ci peuvent être regroupés en trois sous-scores correspondant aux trois syndromes de l’espt : la répétition (items 1 à 7), l’évitement (items 13 à 20) et l’hyperactivité neurovégétative (items 8 à 12). Le sujet évalue l’intensité de chaque item par rapport à l’événement traumatique sur une échelle de Lickert allant de « pas du tout » à « très souvent ». Les données ont été analysées à l’aide du Statistical Package for Social Sciences (Spss 20.0) pour Windows. Les réponses, entre les garçons et les filles, les enfants et les adolescents, les sujets ayant subi des violences directes et ceux ayant subi des violences indirectes, le niveau socio-économique des parents, ont été analysées à l’aide d’Anova.
Résultats
17Les résultats concernant l’ensemble de l’échantillon sont présentés dans le tableau 2. Ils montrent que les participants présentent un espt très élevé (m = 54,424), que l’intensité des symptômes d’évitement est très élevée (m = 21,172), qu’ils sont suivis de symptômes de répétition (m = 19,470), puis d’hyperactivité (m = 13,781).
Moyenne et écart-type de l’échantillon
Moyenne et écart-type de l’échantillon
Âge
18Quant aux résultats sur l’ensemble des classes d’âge, le tableau 3 ne montre pas de différence significative entre les résultats obtenus par les adolescents et les enfants à la valeur et l’espt qu’ils ont pour eux-mêmes (F= 1,758, P= 0,187). Les enfants ont un espt moins élevé (m = 53,33) que les adolescents (m = 55,53). La comparaison de moyennes des sous-scores de la Cptsd-ri ne montre pas de différence significative entre les résultats obtenus. Pour les symptômes de l’évitement (F= 0,636, P= 0,426), la répétition (F= 2,470, P= 0,118) et l’hyperactivité (F= 0,403, P= 0,527). En d’autres termes, il n’y a pas de différence entre les enfants et les adolescents au niveau de l’espt et de ses échelles.
Les scores de la lpc-s selon l’âge
Les scores de la lpc-s selon l’âge
Type de traumatisme subi
19Les résultats du tableau 4 concernant le type de traumatisme montrent une différence significative entre les sujets ayant subi un événement traumatique direct et ceux ayant subi un événement traumatique indirect (F= 207,434, P= 0,000). Les sujets ayant subi un événement traumatique direct ont un espt plus élevé (m = 62,16) que ceux ayant subi un événement traumatique indirect (m = 46,59). La comparaison sous-scores de la Cptsd-ri révèle une différence significative : en ce qui concerne les symptômes de l’évitement, les sujets ayant subi un événement traumatique direct ont un moyen plus élevé (m = 23,61) que les sujets ayant subi un événement traumatique indirect (m = 18,71). Ainsi que les symptômes de la répétition, le moyen des sujets ayant subi un événement direct est (m = 22,41) contre (m = 16,49) pour ceux ayant subi un événement traumatique indirect. Enfin, les symptômes de l’hyperactivité, le moyen des sujets ayant subi un événement direct est (m = 16,14) et le moyen des sujets ayant subi un événement indirect est (m = 11,39). Ainsi, nous relevons une différence importante entre les groupes dont le traumatisme a été direct ou indirect, les sujets qui ont subi directement un événement traumatique sont plus traumatisés que ceux qui ont subi un événement traumatique indirect.
Les scores de la lpc-s selon le type d’événement traumatique
Les scores de la lpc-s selon le type d’événement traumatique
Genre
20S’agissant du genre des participants, les résultats dans le tableau 5 montrent qu’il n’y a pas de différences significatives entre les deux groupes, la compression des moyennes de la Cptsd-ri étant homogènes, les garçons ont un moyen de (m = 54,08) et les filles ont un moyen de (m = 54,73). La valeur (F= 0,151) et la valeur (P= 0,698). La comparaison des sous-scores de la Cptsd-ri ne révèle pas de différences significatives : l’évitement (M/F= 20,60/21,70 : F 2,488, P= 0,117), la répétition (M/F= 19,85/19,13 : F= 0,792, P = 0,375), l’hyperactivité (M/F= 13,64/13,91 : F= 0,205, P= 0,651). Autrement dit, les différences significatives ne sont pas considérables pour la pcl-s et ses sous-échelles. Nous n’observons donc aucune différence entre les sujets masculins et les sujets féminins au niveau de l’espt.
Les scores de la lpc-s selon le genre
Les scores de la lpc-s selon le genre
Niveau socio-économique
21En ce qui concerne le niveau socio-économique des parents, les résultats de la Cptsd-ri dans le tableau 6 montrent une différence significative entre les sujets ayant des parents possédant un niveau socio-économique faible (m = 59,34) et ceux dont les parents ont un niveau socio-économique élevé (m = 44,78), la valeur (F= 124,397, P= 0,000). La comparaison des sous-scores de la Cptsd-ri révèle également une différence significative : l’évitement (faible/élevé = 22,66/18,25 : F= 45,191, P= 0,000), la répétition (faible/élevé = 21,60/15,29 : F= 84,844, P= 0,000), l’hyperactivité (faible/élevé = 15,08/11,24 : F= 48,476, P= 0,000). Au niveau de la Cptsd-ri et de ses échelles, on observe que l’intensité des symptômes d’espt est plus élevée chez les sujets qui ont des parents ayant un faible niveau socio-économique que chez ceux ayant des parents d’un niveau socio-économique supérieur.
Les scores de la lpc-s selon le niveau socio-économique des parents
Les scores de la lpc-s selon le niveau socio-économique des parents
Discussion
22Les différents éléments de notre analyse peuvent nous apporter diverses réflexions. Tout d’abord, nous constatons d’une manière générale un espt important auprès de notre population. Ainsi, la révolution syrienne tient ses victimes collatérales représentées ici par des enfants / adolescents visiblement en souffrance. Néanmoins, nous constatons, d’après nos résultats, un score plus élevé s’agissant du symptôme de l’évitement. Nous sommes donc face à une population qui présente des caractéristiques tels des « efforts pour éviter les pensées, les sentiments ou les conversations associés au traumatisme » ou « pour éviter les activités, les endroits ou les gens qui éveillent des souvenirs du traumatisme » qui, de plus, présente une « incapacité de se rappeler d’un aspect important du traumatisme » ou encore une « réduction nette de l’intérêt pour des activités importantes ou bien [une] réduction de la participation à ces mêmes activités » (Dewulf, 2006 ; Apa, 2000). De plus, le symptôme d’évitement se traduit également par un « sentiment de détachement d’autrui ou bien de devenir étranger par rapport aux autres », une « restriction des affects » ainsi qu’un « sentiment d’avenir bouché » (Dewulf, 2006 ; Apa, 2000). La prédominance de ce symptôme dans nos résultats implique une inquiétude certaine quant à nos jeunes sujets qui, pour ainsi dire, préfèrent de manière consciente ou pas nier ou oublier l’événement subi. Il est important de signaler ici les difficultés que nous avons rencontrées pour faire accepter et parler les enfants / adolescents et leur famille. En effet, ceux-ci se montraient particulièrement anxieux et confus, inquiets, par exemple, à l’idée d’être cités, mais aussi sceptiques à l’idée d’avoir été « choisis ». De plus, ce questionnaire étant un peu long, nous avons noté chez nos sujets des difficultés de concentration. Au vu des résultats, ce scepticisme ne paraît pas surprenant, puisque la démarche même de participation à cette étude impliquait de questionner / nier / considérer son espt et, par extension, questionner / nier / (re)considérer ce symptôme d’évitement. Ensuite, concentrant notre attention de nouveau sur l’ensemble des résultats, nous constatons que deux variables impactent particulièrement l’espt (la nature du traumatisme et le niveau socio-économique), tandis que deux autres ne semblent pas avoir d’effet (l’âge et le genre). Nous reviendrons plus précisément sur ces résultats, mais notons toutefois que, s’il n’existe pas de différences significatives entre petits et grands ou entre garçons et filles, le symptôme de l’évitement reste sur toutes les variables particulièrement élevé. Nous pouvons donc nous demander si ce symptôme n’agit pas indépendamment des particularités de notre échantillon. Nous pourrions lier cela aux problématiques sociales quant à la gestion des événements traumatisants, pressentant comment un événement peut tomber dans l’oubli non volontairement, mais par évitement, puis par déni. Le symptôme de l’évitement pourrait ainsi être relié, de manière individuelle, aux stratégies qui peuvent être mises en œuvre collectivement pour faire face aux mémoires violentes (nous pensons, par exemple, aux écrits de Paul Ricœur [2000] quant aux mémoires et oublis). On peut donc, par extension, s’interroger sur la sélection des souvenirs opérée par les individus lors de certains conflits.
23Par ailleurs, si nous nous attachons maintenant à observer les différentes variables, comme nous le pressentions, il semblerait que les variables âge et genre n’aient pas d’impact flagrant sur l’espt. Nous avons souligné plus haut les litiges existant entre différents auteurs quant à ces deux variables, nous constatons à notre tour des différences peu ou pas significatives. S’agissant tout d’abord de l’âge, différentes recherches discutaient son effet, considérant pour l’essentiel des auteurs que si l’espt était bien présent chez les enfants, voire plus signifiant que chez les adultes (Khamis, 1993), il n’y avait pour autant pas de différences significatives nettes en fonction de celui-ci. Aussi, s’il peut avoir un effet notamment au regard des stades développementaux, et donc au regard de la compréhension et interprétation des scènes vécues, il semblerait que celui-ci ne soit pas systématique et que d’autres variables soient bien plus prédictives. D’autre part, bien que les critères diagnostiques de l’espt établis par le dsm-iv (Apa, 2000) aient été identifiés chez les jeunes de diverses tranches d’âge, de différentes cultures et à la suite d’une variété d’événements (Fletcher, 2003 ; Saigh et al., 1999), il semblerait que les classes d’âge pour lesquelles nous avons opté ici puissent ne pas suffire pour une comparaison. Aussi, nous pouvons également interroger la taille de notre échantillon considérant, en tout cas, cette variable-ci.
24Il en va de même avec la variable genre qui, quoique a priori sensée, s’est révélée ici peu significative. L’essentiel des études soulignent pourtant une plus grande exposition au traumatisme chez les garçons, notamment celle de Muhammad M. Haj-Yahia et ses collaborateurs, en 2013, avec une étude auprès d’un échantillon très important (n=1 930) de jeunes Palestiniens et Palestiniennes. James Garbarino et Kathleen Kostelny (1996), sans évoquer l’espt, ont démontré combien les jeunes garçons étaient davantage susceptibles de développer des problèmes comportementaux.
25Néanmoins, nous avons souligné en introduction l’aspect problématique de ces résultats loin d’être unanimes. Là aussi, nous pouvons questionner la taille de notre échantillon, celui-ci ne nous permettant pas de rejoindre ces hypothèses. En revanche, nous avons pu attester que deux de nos variables étaient particulièrement signifiantes : la qualité de l’exposition au trauma et le niveau socio-économique. En effet, le fait d’avoir assisté de manière directe ou non à un événement traumatique influence grandement l’importance de l’espt. La qualité de l’exposition au traumatisme semble être une variable prédictive de l’espt, puisque nous constatons, d’une manière générale, des différences importantes entre les sujets ayant vécu directement un traumatisme et ceux l’ayant vécu indirectement. Là aussi, nous constatons que le symptôme de l’évitement est au plus haut. Ce sont essentiellement les travaux de Samir Qouta et de ses collaborateurs qui vont dans ce sens (Qouta et al., 1995 ; Qouta et al., 2003, 2007). En effet, ceux-ci ont particulièrement travaillé auprès d’enfants palestiniens ayant participé de manière active ou passive (en qualité de témoins) aux deux Intifada. Ces études démontrent combien la participation active aux faits conflictuels accroît l’espt, mais aussi combien le symptôme de l’évitement est davantage marqué quand la participation a été active (Qouta et al., 2003). Samir Qouta démontre également qu’au-delà d’un espt sévère, ces enfants présentent des difficultés de concentration, d’attention et de mémoire. Il remarque aussi un haut degré de névrose et une faible estime de soi chez les plus participatifs (1995). Nous pouvons sans doute nous attendre à ce même type de traumatisme considérant notre population, exilée de leur ville d’origine, qui, rappelons-le, avait pour 76 % d’entre eux déclaré avoir vécu un traumatisme direct. Ils ont donc non seulement été les premières victimes de cette violence, mais présentent également un espt significativement plus élevé que ceux qui n’ont pas été directement impliqués. En outre, si l’enfant ou l’adolescent a vécu l’événement de manière collective, et si d’autres personnes ont été blessées ou tuées, l’enfant peut ressentir un fort sentiment de culpabilité d’en être sorti physiquement indemne, compliquant d’autant plus le tableau clinique (Sadlier, 2001).
26Enfin, le niveau socio-économique semble jouer un rôle important dans l’apparition et la gestion de l’espt. Les scores obtenus autour de nos trois symptômes sont tout à fait révélateurs des capacités de gérer un vécu traumatique en fonction de ses moyens. Vivian Khamis (2005), autour d’une étude auprès d’enfants également palestiniens, démontre de manière évidente combien le niveau socio-économique impacte de manière flagrante un espt, notamment parce que les familles les plus démunies sont aussi celles qui rencontrent le plus de conséquences directes, tels la maladie, le chômage ou encore la pauvreté, sources de stress évidentes. Rappelons une nouvelle fois que nous nous adressions ici à une population d’enfants et d’adolescents réfugiés dans la ville de Yabroûd. Ces familles ont donc tout laissé, et cela ne peut pas être sans conséquences sur l’état psychique des ces enfants. De plus, Vivian Khamis (2005) note que des familles aux meilleures ressources sont également plus à même de gérer le traumatisme. Il nous semble important d’appuyer ces résultats non pas sur les avantages pécuniaires en tant que tels, mais bien aussi sur ce que cela peut supposer en termes de recours. Aussi, la plupart des recherches considérant le niveau socio-économique analysent essentiellement les moyens socio-éducatifs liés. La séparation des parents a un impact plus élevé sur l’espt (Macksoud, Aber, 1996). De même, l’atmosphère familiale (irritable ou consternée) a un effet important sur l’espt (Green et al., 1991), comme le souligne également Vivian Khamis (2005) considérant cette atmosphère comme une des variables les plus prédictives. En effet, un enfant évoluant dans une ambiance de peur et d’angoisse est plus à même de développer un espt, et ce, donc, a fortiori s’il a vécu un traumatisme direct. De plus, les enfants les plus touchés sont aussi ceux dont l’espt des parents, et notamment de la mère, est également élevé (Qouta et al., 2003). D’autres études démontrent ainsi le lien entre les facteurs socio-économiques, la santé mentale et le bien-être des populations, aussi, la réaction parentale face à l’événement traumatique joue-t-elle un rôle primordial (Amaya-Jackson, March, 1995 ; Davis, Siegel, 2000). Ainsi, lorsque les parents semblent contrôler l’événement, l’enfant aura plus de facilités à utiliser des stratégies d’adaptation efficaces et subira donc moins de traumatismes (Pfefferbaum, 1997).
Conclusion
27Nous avons donc concentré notre attention sur le vécu de l’espt chez des enfants et adolescents réfugiés syriens. Nous souhaitions comprendre les caractéristiques et l’intensité de la pathologie des enfants et adolescents présentant un état de stress post-traumatique, résultant de l’exposition aux violences en Syrie en nous appuyant sur l’étude des trois symptômes principaux de l’espt : la répétition, l’évitement et l’hyperactivité. Nous avons considéré différentes variables qui nous semblaient pouvoir caractériser l’importance et les propriétés de l’espt : âge, genre, niveau d’exposition au traumatisme et niveau socio-économique. Les deux premières variables ne présentent pas d’impacts évidents, même si nous ne pouvons pas négliger ni la plus grande exposition directe des garçons ni les représentations différemment perçues du traumatisme en fonction des stades de développement de l’enfant. En revanche, le niveau d’exposition et le niveau socio-économique sont des variables impactant directement le développement d’un espt. Cette étude, bien que de portée limitée par le nombre de sujets étudiés, appelle ainsi à développer davantage ces deux variables, puisque, si nous pouvons difficilement éviter la nature du traumatisme, il est intéressant de constater qu’à travers la considération du niveau socio-économique, c’est également la santé mentale, et pour ainsi dire familiale, qui semble avoir un effet non seulement sur la présence de l’espt, mais également sur sa durée. Ainsi, A. A. Thabet et ses collaborateurs (2008) se sont interrogés sur la non-présence de l’espt. Ils ont ainsi démontré que les enfants qui ne développaient pas d’espt étaient les enfants qui présentaient une sorte de matrice environnementale faite de repères sociaux, culturels, familiaux et personnels diminuant le stress. Nous pouvons donc nous interroger sur le soin à apporter, puisqu’il ne s’agirait pas alors de considérer seulement l’espt de l’enfant, mais aussi celui éventuel des parents ainsi que l’atmosphère familiale, comme nous l’avons suggéré dans notre discussion.
28Enfin, il serait souhaitable de poursuivre cette réflexion par une étude longitudinale, puisque, si la cessation du danger n’empêche pas l’espt ni d’apparaître ni de perdurer, certaines recherches, notamment celle de Atle Dyregrov (1993) menée auprès d’enfants irakiens, ont démontré que si l’espt pouvait même s’empirer les premiers mois après l’événement, celui-ci se réduisait significativement après deux ans. Nous pouvons donc, là encore, questionner les soins à considérer lors d’apparition d’espt chez des enfants et adolescents ayant vécu des traumatismes (a fortiori directs) sur le long terme.
Note
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[*]
Philippe P., 2012, « Qu’est-ce que l’état de stress post-traumatique ? » Le Blog de la rédaction, e-santé.fr