Note
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Depuis 2008, c’est désormais la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011, relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, qui régit les soins sans consentement.
1Si des passages à l’acte meurtrier de sujets connus pour leur schizophrénie paranoïde interviennent souvent après un élément déclenchant, savoir repérer les indicateurs psychopathologiques ou de dangerosité, entendre et travailler sur les délires de persécution ou de préjudice permettraient de mieux prendre en compte leur souffrance et d’empêcher certains drames. Les quelques cas présentés ici et les pistes de stratégies thérapeutiques visant ces distorsions cognitives à l’œuvre en font la démonstration.
2Connu et diagnostiqué pour sa schizophrénie paranoïde depuis des années, I. porte de multiples coups de poignard à sa mère et la tue avec acharnement. Sa volonté de commettre le matricide est si forte qu’il blesse aussi grièvement sa tante maternelle qui tente de défendre sa sœur. Cinq années auparavant, I. avait déjà gravement blessé son oncle à coups de couteau, persuadé que ce dernier « faisait de l’occultisme et voulait boire son sang ». C’est sur cette toile de fond persécutive que le délire de I. s’étend de manière plus diffuse à l’ensemble de sa famille. Il est persuadé que celle-ci veut le détruire. Le passage à l’acte matricide au domicile maternel s’inscrit dans ce contexte délirant et ce désir d’autodéfense consécutif à ses croyances pathologiques qu’il n’a cessé d’exprimer dans ses propos et dans son comportement. Sa mère, selon lui, « faisait de la magie noire, l’envoûtait et lui prenait toute son énergie pour le vider jusqu’à la mort ».
3Les délires de persécution et de préjudice sont les thèmes délirants les plus fréquents. Même si les mobiles pathologiques des auteurs d’infractions ne se réduisent pas à ces thèmes, ils semblent être les plus criminogènes. Ils induisent, chez les sujets psychotiques (schizophrènes ou paranoïaques) qui en souffrent, un climat émotionnel fait d’angoisse, de peur et, quelques fois, de rancœur et de haine, qui suscite, la plupart du temps, des réactions d’autodéfense pathologique. Ces réactions de défense sont faites de comportements d’évitement ou de fuite, voire, parfois, d’agressions contre les persécuteurs supposés. Dans ce cas, ces passages à l’acte violents sont destinés à maîtriser ou à anéantir la source de la persécution éprouvée. Ils peuvent donner lieu à des homicides à l’intérieur et-ou à l’extérieur de la famille. Des exemples l’attestent régulièrement.
4Ces homicides sont causés, dans la plupart des cas, par une activité délirante ancienne et connue de l’entourage personnel et sanitaire des futurs criminels. Au décours d’épisodes déclenchants (dispute avec la ou les futures victimes, éléments ou accès délirants, accès d’angoisse, de peur, de souffrance et-ou de haine lié au délire, etc.), cette autodéfense pathologique peut trouver son point culminant dans des passages à l’acte violents, archaïques et meurtriers. La non-prise en compte ou la sous-estimation par l’entourage personnel et-ou sanitaire des indicateurs psychopathologiques et de dangerosité est un facteur fréquent de facilitation de ces passages à l’acte. Après les agressions et les homicides, ces criminels, souvent désorganisés, se sentent en général soulagés, désertent les scènes de crime qui portent fréquemment les marques de leur psychisme délirant et ne sont pas très difficiles à retrouver.
5Ces homicides étant induits par des délires psychotiques plus ou moins florides, les meurtriers doivent être considérés après expertise(s) pénalement irresponsables de leurs actes criminels, comme le prévoit, depuis 1810, le code pénal. Ils doivent être hospitalisés sous contrainte en service classique de psychiatrie, en unité de soins intensifs psychiatriques (usip) ou en unité pour malades difficiles (umd) pour y être soignés et pour protéger d’éventuelles victimes.
6L’évaluation clinique et le diagnostic objectifs de ces troubles sont essentiels pour prévenir les passages à l’acte dangereux en traitant de façon adaptée ces patients. Au-delà des contenus cognitifs délirants (préjudices, persécution, missions pathologiques à accomplir, etc.), une attention particulière doit être portée à l’analyse de l’intensité et des capacités de contrôle de la charge émotionnelle engendrée par les croyances erronées. Cette charge émotionnelle, si elle est importante et mal contrôlée, peut jouer un rôle déterminant dans la survenue des passages à l’acte dangereux.
Paranoïa, patricide et meurtres en série
7P. tue un de ses voisins « en lui vidant le chargeur d’un pistolet dans le corps » et blesse grièvement l’amie de ce dernier de plusieurs coups de couteau. « Il me provoquait, dit-il, il me faisait des choses indignes, ne respectait pas les limites de ma propriété. » P. est condamné à sept ans de réclusion criminelle. Durant cette détention, il poignarde mortellement son compagnon de cellule avec une cuillère qu’il a affûtée à cette intention, car « il mettait son poste de radio trop fort pour me rendre fou ». P. pense que ce meurtre a été « salutaire et nécessaire. » À sa levée d’écrou, il va vivre chez son père (également de caractère paranoïaque), avec lequel les relations deviennent très vite conflictuelles. Il le tue deux ans plus tard d’un coup de carabine, alors qu’il était lui-même menacé par ce dernier qui avait tiré le premier coup de feu. De nouveau responsabilisé et emprisonné, P., après deux ans de détention préventive, est acquitté par la cour d’assises. Sept années après le patricide, P., intimement convaincu d’être la victime d’un complot universel, tue de nouveau un couple de voisins qui, selon lui, « tent[ai]ent de l’empoisonner en [lui] envoyant des gaz mortels par un conduit de cheminée [qu’ils avaient] en commun ». Il rationalise ce double passage à l’acte meurtrier comme étant un acte de légitime défense lui paraissant tout à fait justifié. C’est aussi ce type de mobile qu’il donne pour expliquer les agressions et les homicides précédents qui ont fait de lui un authentique tueur en série à motivations et à mode opératoire paranoïaques.
Schizophrénie paranoïde et homicides
8Un jour, lassé de son amie, R. veut rompre la relation pour une autre fille. Mais son amie et la mère de celle-ci, Madame C. ne sont pas d’accord, car « elles attendent le mariage ». Madame C. invite alors R. « chez elle pour discuter de la situation ». R. se rend au rendez-vous et Madame C. lui propose un café qu’il accepte. Selon R., « ce café était froid, avait une couleur orange et le goût du sang ». Trois jours plus tard, il aurait « réalisé » que Madame C. lui avait « fait un coup vache ». Elle lui aurait « mis du sang contaminé par le virus du sida dans [son] café ». Elle aurait « prélevé ce sang sur son fils avec une seringue » au moment de leur visite commune à l’hôpital où celui-ci a été admis pour aggravation de son sida. L’idée d’être contaminé irradie l’univers mental de R., jusqu’à prendre des proportions qui vont absorber la totalité de sa vie psychique. Il devient déprimé, car il est persuadé qu’il va mourir du sida. Il s’isole, se replie sur lui-même, en proie à ses angoisses. Il est hospitalisé à deux reprises en psychiatrie pour des périodes de dix et douze jours. Ni les traitements psychotropes à visée essentiellement antidépressive, ni la prise en charge institutionnelle extrêmement brève et pauvre, ni les consultations libérales, pas plus que les examens biologiques prouvant sa séronégativité, ne parviennent à abraser sa conviction délirante. Cette conviction, totale et inébranlable, qu’il mourra de cette maladie fait naître progressivement en lui un désir de vengeance. Cette croyance l’habite pendant trois ans et dix mois. Au cours de la dernière année se développe l’idée d’homicide à l’encontre de Madame C. Ses pensées vindicatives prennent de plus en plus d’échos dans son psychisme et R. finit par entendre « comme des voix » : « J’ai le sida ! Je vais mourir ! Il faut qu’elle paye ! Il faut que je la tue ! Il n’y a rien à faire, il faut absolument que je la tue ! » À la suite d’un accès délirant nocturne particulièrement fécond, il finit par céder à cette impérieuse nécessité pathologique. Le lendemain matin, R., résolu, se munit d’un fusil de chasse qui se trouve dans son garage et sort de son domicile pour aller tuer Madame C. Il aperçoit devant son domicile, près de sa voiture, un couple dont la dame est de dos et ressemble à Madame C. L’homme est face à lui. R. « tire sur Madame C. », puis sur l’homme. Tous deux s’effondrent, mortellement blessés. R. prend la fuite pour aller mettre fin à ses jours ailleurs, convaincu de l’imminence de sa mort à cause de « l’évolution de [s]on sida ». Il téléphone à sa mère « pour lui dire adieu », elle le dissuade de se suicider. Il se rend alors aux forces de l’ordre. Il apprend que la dame qu’il vient de tuer n’est pas Madame C. Il s’agit d’un couple de personnes âgées qui sortaient de chez un cardiologue et qui se trouvaient là par hasard.
9C’est dans un contexte d’insécurité et de fragilité émotionnelle que R. a développé sa conviction délirante, parce que des distorsions cognitives importantes ne lui ont pas permis de traiter, de façon adaptée, la situation affective et émotionnelle stressante occasionnée par un bouleversement existentiel important (décompensation schizophrénique en cours, fragilité affective, désir de rupture avec son amie…) dans laquelle il se trouvait. R. a ainsi intégré « la menace ambiante sida » pour cristalliser son malaise grandissant. La pérennité de ces mécanismes a favorisé un repli autistique et un rétrécissement du champ critique, par focalisation exclusive sur lui-même et sur sa conviction. R. a pu « obéir » à ses idées délirantes anciennes au cours d’un moment fécond de sa psychose désinhibant la réaction pathologique de vengeance (double homicide avec erreur cognitive dans la sélection des victimes).
10Si les thèmes délirants peuvent être intriqués (mystiques, messianiques, de filiation, etc.) ou principalement centrés sur des idées de persécution, de préjudice, de menace et d’influence, les mécanismes délirants peuvent tous être observés. L’intuition, l’interprétation sont, avec les hallucinations, les plus fréquents, se combinant parfois dans l’automatisme mental.
11Ainsi, A. tue un couple de voisins, chez eux, avec une carabine vingt-deux long riffle à lunette. Il explique : « J’ai pris mon voisin pour une tête de la maffia… Avec sa femme, ils m’humiliaient dans mes pensées et voulaient me pousser au suicide en utilisant la sorcellerie… Je sentais mon énergie disparaître peu à peu… À la fin, je tenais à peine debout… Un jour, j’ai chargé ma carabine et j’ai attendu, quand il a ouvert sa fenêtre, je lui ai tiré une balle dans la tête… Alors sa femme s’est approchée, pendant qu’elle regardait son mari mort je l’ai tuée aussi… Quand elle est morte, une aura s’est dégagée d’elle, comme un brouillard jaune qui m’a enveloppé… J’avais la trouille, j’ai pris la voiture pour fuir, mais j’étais trop affaibli, alors je suis revenu chez moi et la police est venue me chercher quand leur fille a découvert les corps cinq jours plus tard… J’étais malade, je délirais, j’inventais des scènes et j’y croyais. » Lors de son arrestation, la police découvre dans l’appartement où il vit reclus depuis quelque temps six armes à feu (carabines, fusils et revolvers). En fait, A. est délirant depuis plusieurs années. Enfant d’un couple de médecins tous deux spécialistes, il est en plein cursus universitaire d’études de médecine quand il commet le double homicide. Deux ans plus tôt, il avait agressé une interne au cours d’un stage hospitalier. Il justifie ce passage à l’acte comme étant une réaction de défense aux menaces qui pesaient sur lui depuis longtemps. Cette agression lui aurait ainsi « permis d’échapper à une tentative de meurtre commise sur [lui] par l’interne », alliée, selon lui, à « la Grande Loge de France qui [le] persécutait ». « Elle m’a testé et je n’étais pas prêt à sacrifier ma vie pour la Loge maçonnique… Ça a mal tourné, car j’en savais trop sur eux, ils voulaient me supprimer… Elle m’a pris à la gorge en me disant : “Tu vas mourir, tu vas finir dans les bocaux…” Elle m’a fait une prise qui entraîne une congestion cérébrale… Je suis resté inerte, attendant la mort, résigné… J’ai vu la mort de près, alors j’ai pris le dessus et je lui ai fait la même prise… On est restés dans le couloir, abasourdis, ensuite on s’est réconciliés… À partir de là, ça n’allait plus, j’étais obligé de m’échapper, je pensais qu’ils allaient me poursuivre et me prendre. » Ce délire de persécution très floride, intuitif, interprétatif, hallucinatoire, va s’étendre « au milieu et à la maffia en général », dont il voit une incarnation de premier plan dans le couple de voisins qu’il a abattu. Malgré ses troubles schizophréniques importants, récurrents, connus et anciens, A. n’a jamais été hospitalisé en psychiatrie avant le double meurtre.
Responsabilité ou irresponsabilité pénale, que dit le code pénal français ?
• Article 64 de l’ancien code pénal français en vigueur de février 1810 à février 1994 : « Il n’y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action, ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister. »
• Article 122-1 du nouveau code pénal français en vigueur depuis le 1er mars 1994 :
1er alinéa : « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. »
2e alinéa : « La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable : toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. »
Diagnostic clinique, nouvelles indications et nouvelles stratégies thérapeutiques
12Il existe un parallélisme dans l’étiologie psychodynamique de ce type de passage à l’acte paranoïaque ou paranoïde. Dans les deux types d’organisation pathologique de la personnalité, les vécus délirants de persécution engendrent un climat émotionnel d’intensité croissante (peur, angoisse, souffrance, rancœur…) qui provoque des comportements d’évitement, de repli, de fuite ou même d’agression, pour maîtriser ou éliminer la source de la persécution éprouvée. La différence réside essentiellement dans le traitement de l’information et dans les mécanismes d’expression de l’activité délirante. Sous le sceau de la psychorigidité paranoïaque, ces délires sont paralogiques, systématisés et cohérents en apparence, alors que, dans la schizophrénie, ils sont marqués par la dissociation mentale et peuvent donc être polymorphes, flous et beaucoup moins structurés, moins systématisés, voire très incohérents.
13Devant la constance des processus pathologiques criminogènes qui viennent d’être décrits, il paraît essentiel de pouvoir intervenir à leur source. Il faut donc agir au niveau des distorsions cognitives, génératrices des idées délirantes, des climats émotionnels perturbés par ces idées erronées et des comportements agressifs qui peuvent en résulter. La finalité du traitement et de la prise en charge doit être la restructuration de l’univers cognitif et émotionnel perturbé qui peut parfois devenir criminogène.
L’admission en soins sans consentement
• L’admission en soins à la demande d’un tiers ou en cas de péril imminent (sdt, ancien hdt), effectuée lorsque le malade ne peut exprimer son consentement et que son état mental impose des soins immédiats et une surveillance constante en milieu hospitalier, ces deux conditions sont préalables et obligatoires pour l’admission. Il existe trois possibilités pour admettre une personne en sdt :
- l’admission classique : une demande de tiers manuscrite (par un membre de la famille du malade ou par une personne justifiant de l’existence de relations avec le malade antérieures à la demande de soins et lui donnant qualité pour agir dans l’intérêt de celui-ci, à l’exclusion des personnels soignants exerçant dans l’établissement prenant en charge la personne malade) et deux certificats médicaux à l’appui dont un au moins est établi par un médecin extérieur à l’établissement d’accueil ;
- l’admission en cas de péril imminent : lorsqu’il n’existe aucun tiers et que l’état du malade présente un péril imminent pour sa santé, un seul certificat médical établi par un médecin extérieur à l’établissement suffira pour admettre cette personne ;
- l’admission en cas d’urgence : lorsqu’il existe un cas d’urgence à admettre cette personne en soins psychiatriques, il suffira d’une demande de tiers manuscrite et d’un certificat médical.
14Fréquemment, les sujets psychotiques, avant de passer à l’acte violemment, ont exprimé (verbalement, par leur comportement, etc.) leurs préoccupations délirantes dans leur famille, à leurs proches ou auprès de professionnels de la santé, depuis des jours, des semaines, des mois ou depuis des années. Des indicateurs psychopathologiques clairs, verbaux, émotionnels et-ou comportementaux sont donc souvent présents et récurrents. Il ne faut pas les minimiser ou les sous-estimer. La nécessité d’intensifier les prises en charge libérales, institutionnelles, psychothérapiques et-ou chimiothérapiques de ces patients potentiellement ou manifestement dangereux pendant leurs périodes fécondes, s’impose. Pendant les périodes intercritiques, un suivi thérapeutique adapté doit le plus souvent être maintenu, afin d’entretenir l’amélioration ou afin d’évaluer les éventuels risques d’aggravation ou de rechute délirante. Les psychotiques qui sont passés à l’acte ont, en général, été suivis dans le champ sanitaire avec ou sans périodes de rupture de traitement. Ces traitements « traditionnels » se sont révélés, dans bon nombre de ces cas, limités dans leurs effets, voire inefficaces. Ces échecs se sont traduits, entre autres, par des passages à l’acte violents souvent graves, débouchant parfois sur des homicides intra et-ou extrafamiliaux.
15Il est actuellement possible, dans certains cas, d’abraser la puissance de la conviction délirante, voire de résoudre le processus délirant comme cela a été fait chez le sujet se croyant contaminé par le virus du sida.
16Les distorsions cognitives peuvent, dans certains cas, être restructurées par le biais de thérapies cognitives et comportementales. Ces thérapies ont été initialement conçues pour remettre en question la forme négative du mode de pensée dans la dépression. Elles sont aussi aujourd’hui applicables, entre autres, aux troubles de la pensée, aux idées délirantes, aux hallucinations et aux troubles affectifs rencontrés chez les sujets psychotiques. Les troubles psychotiques peuvent être considérés comme des biais du traitement de l’information. Le sujet développe sa conviction délirante, car des distorsions cognitives (inférences arbitraires par lesquelles le sujet tire des conclusions hâtives ou sans preuves, abstractions sélectives dans lesquelles seul un détail est retenu au détriment du sens global, personnalisations avec internalisation des échecs et externalisation des réussites, etc.) ne lui ont pas permis d’analyser la situation émotionnelle stressante et d’y réagir de façon adaptée. L’atténuation, voire la disparition, de ces convictions et de la symptomatologie associée est donc le but recherché dans ce type de prise en charge.
17Ces traitements, en modifiant ou, dans le meilleur des cas, en tarissant les croyances erronées et, par là même, en abrasant la dynamique criminogène, semblent donc avoir une forte valeur préventive et curative par rapport aux risques de passages à l’acte violents. Ces thérapies paraissent d’autant plus efficaces qu’elles sont appliquées le plus tôt possible dans la genèse et le développement des distorsions cognitives et semblent donc s’adresser en priorité aux idées délirantes récentes. Avec les thérapies cognitives et comportementales des psychoses, thérapies qui n’excluent pas, bien au contraire, les traitements biologiques adaptés et les hospitalisations sous contrainte si nécessaire, des techniques nouvelles viennent donc enrichir l’arsenal thérapeutique traditionnel. Ainsi, R., bénéficiant de ce type de traitement, a réalisé, après dix séances de thérapie cognitive et comportementale (faisant suite à cinq séances d’analyse fonctionnelle), le caractère aberrant de sa conviction d’avoir le sida. On peut regretter que cette extinction délirante n’ait pas été provoquée pendant les trois ans et dix mois de manifestations pathologiques abondantes et récurrentes qui ont précédé le double homicide.
Ce que disent le bon sens et la loi à propos des malades mentaux dangereux
18L’évaluation clinique et la prise en compte, le plus tôt possible, des indicateurs psychopathologiques et de dangerosité de ces sujets psychotiques, le contrôle de leur assiduité au traitement psychothérapeutique et psychotrope, ainsi que l’hospitalisation sous contrainte si nécessaire sont des mesures préventives et curatives incontournables à mettre en place systématiquement pour éviter les passages à l’acte dangereux.
19Quelques éléments fondamentaux connus des acteurs de santé, et notamment de tous les acteurs de santé mentale en France, sont à rappeler. Leur mise en place permet de prévenir la survenue de ces dramatiques épisodes pathologiques et dangereux.
20S’il y a une indication de traitement et un refus de collaboration du patient, il faut recourir aux modalités d’hospitalisation sans le consentement du sujet, modalités régies par la loi du 27 juin 1990 (parue au Journal officiel du 30 juin 1990) qui a remplacé celle du 30 juin 1838 (qui permettait déjà ces placements psychiatriques sous contrainte). Il s’agit de l’hospitalisation sur demande d’un tiers (hdt) lorsque l’état de santé du patient « rend impossible son consentement » et « impose des soins immédiats, assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier » ou de l’hospitalisation d’office (ho) « si les troubles mentaux compromettent l’ordre public ou la sûreté des personnes ». En cas de nécessité, l’hospitalisation sur demande d’un tiers est transformable en hospitalisation d’office. Ainsi, ce dispositif légal permet, en particulier avec l’hospitalisation d’office, de traiter les sujets potentiellement ou manifestement dangereux pour eux-mêmes et-ou pour autrui [*]. Une des qualités majeures de ce dispositif est de permettre l’anticipation et la prévention des passages à l’acte dangereux en évitant des situations dramatiques aux victimes potentielles, ainsi qu’à leurs proches et de permettre également le traitement des patients concernés en leur évitant de commettre des infractions graves, dont ils porteraient souvent (ainsi que leurs proches) les stigmates sociaux leur vie durant, même en cas de rémission de leurs troubles.
21Il est classiquement admis que ces prises en charge s’organisent autour de deux axes cliniques principaux : celui des traitements psychotropes indiqués par rapport aux troubles concernés et celui des psychothérapies adaptées à ces troubles pratiquées par des cliniciens (psychologues ou psychiatres) formés à l’exercice de ces psychothérapies. Des moyens thérapeutiques complémentaires peuvent éventuellement être également mis en place s’ils sont indiqués et possibles (ergothérapie, psychomotricité, ect…).
22Ces hospitalisations sous contrainte peuvent être réalisées dans tous les services traditionnels de psychiatrie publique (ou dans les services de psychiatrie privée équivalents) français (dont c’est une des missions importantes et prioritaires), dans les unités pour malades difficiles (umd) de Villejuif (Val-de-Marne), de Montfavet (Vaucluse), de Sarreguemines (Moselle), de Cadillac (Gironde) et de Plouguernevel (Côtes-d’Armor), dans les unités fermées des hôpitaux psychiatriques de Pau (Pyrénées-Atlantiques), de Lyon-Bron (Rhône) et de Prémontré (Aisne), dans l’unité psychiatrique intersectorielle départementale (upid) de Cadillac-sur-Garonne en Gironde ou dans les unités pour malades agités et perturbateurs (umap) de Nice dans les Alpes-Maritimes et d’Eygurande en Corrèze. Ces unités fermées, cette upid et ces umap ont été rebaptisées, en 2005, « unités de soins intensifs psychiatriques » (usip). Avec les usip de Paris et de Sarreguemines en Moselle, elles se sont regroupées sous forme associative : l’Association nationale des usip (Andusip). Quelles que soient les structures où ils sont mis en place, les soins sans consentement doivent durer tant que les sujets relevant de ce régime sont porteurs d’un potentiel de dangerosité contre eux mêmes et-ou contre autrui. Les manquements à ces soins sans consentement peuvent faire l’objet de poursuites judiciaires.
23Ces éléments capitaux brièvement résumés font l’objet d’un consensus depuis très longtemps en France quant aux moyens à mettre en place pour traiter les malades mentaux potentiellement ou manifestement dangereux. ?
Note
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Depuis 2008, c’est désormais la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011, relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, qui régit les soins sans consentement.