Couverture de JDP_256

Article de revue

Regards sur la vieillesse

Pages 22 à 26

1Comment la personne âgée perçoit-elle son vieillissement en tant qu’individu singulier mais aussi vis-à-vis du groupe social ? En retour, comment la société perçoit-elle ses vieux ? Ce sont ici les caractéristiques qui fondent cette étape de la vie, les difficultés qui y sont liées, tant personnelles que dans leurs implications sociales, qui seront abordées.

Les « vieux » et les « autres »

La société face au vieillissement

2La vieillesse et ce qu’elle représente se structurent dans une relation dialectique entre l’individu et le social. P. Bourdieu signifiait à ce propos que « la frontière entre jeunesse et vieillesse est dans toutes les sociétés un enjeu de lutte » (1984, p. 143). Cette lutte s’élabore socialement, de même que la construction sociale des notions de jeunesse et de vieillesse. Ce regard sur nos propres représentations quant au vieillissement nous invite aussi à réfléchir sur l’ampleur accordée dans notre société à la valorisation de la jeunesse dite « active ». Aussi, il paraît difficile de comprendre et d’appréhender dans toute sa complexité la personne âgée incarnant « les deux innommables de la modernité : le vieillissement et la mort » (D. Le Breton, in Reinhardt et Bouisson, 2001, p. 32).

3Notre société repousse les vieux et les condamne à la solitude et au désespoir. Le vieillard est considéré comme un autre, et non un semblable, et l’on comprendra les mots de S. de Beauvoir (in Pellissier, 2003, pp. 9-10) : « leur malheureux sort dénonce l’échec de toute notre civilisation » organisant ainsi ce qu’elle nomme l’« atomisation de la société ». Les personnes âgées se voient soumises par notre société à une triple forme de rejet : « la condamnation à vivre dans un statut qui dépossède l’individu de ses caractéristiques propres pour les remplacer par des stéréotypes » ; le fait de « reléguer matériellement le vieux pour pouvoir plus aisément l’oublier et oublier ce qu’il représente à nos yeux » ; et, enfin, « en la présence même du vieux, ne pas reconnaître cette expérience de la vieillesse qu’il est en train de vivre » (Pellissier, 2003, p. 74). En témoigne, par exemple, un dialogue (pris parmi d’autres) entre une personne âgée et un personnel soignant :

4– La personne âgée : « Je ne sers plus à rien, c’est même pas la peine que je vive encore ; de toute façon, il faut bien mourir, alors pourquoi pas aujourd’hui ? »

5– Le personnel soignant : « Eh bien oui, là, pour l’instant, vous ne servez pas à grand-chose, mais il ne faut pas dire ça, c’est pas bien de dire ça. »

Des stéréotypes et de leurs influences

6Il est étonnant de se heurter à l’extrême simplification des variables individuelles quant à la notion de vieillesse. Les stéréotypes conduisent à l’âgisme : les individus véhiculent des stéréotypes négatifs sur la personne âgée, mais adoptent également des réactions hostiles à l’égard de celle-ci et de la vieillesse. Le présupposé quant au vieillissement suppose le déficit et l’incurabilité de la personne âgée, et forme un stéréotype à visée régressive où la vie de la personne vieillissante est vue comme une détérioration continuelle. On reprendra les mots du fils d’une personne âgée, décontenancé par le fait que sa mère ne puisse se souvenir d’où elle a posé sa canne : « De toute façon, on n’y peut rien, elle est vieille, elle perd sa mémoire, et bientôt c’est moi qu’elle va oublier. »

7La représentation du vieillard relève principalement de la privation des moyens de maîtrise sur l’environnement, il se voit abandonné par la vie, mais également socialement, il suppose des dégradations physiques (fragilité physique, mauvaise santé, diminution des capacités intellectuelles et de la libido, incapacité d’apprendre de nouveaux éléments), et réactive chez l’individu l’angoisse face à sa propre mort. L’affirmation de ces stéréotypes relèverait des représentations individuelles et collectives attribuées aux changements inéluctables (ressentis comme délétères), à l’image qui nous est renvoyée par le biais de la personne âgée de sa propre finitude, la peur et les angoisses de la mort, de l’inachèvement. Aussi, la vieillesse d’autrui nous renvoie à notre propre mort. Telle résidente dira qu’elle fait partie des « vieux » et que, donc, « c’est normal que je ne sois pas trop bien, un vieux, ça va mal, ça se déboîte de partout, y’a plus grand-chose de bon en lui ».

8Le danger du stéréotype vient du fait de s’attribuer à soi-même les caractéristiques que nous accordent les autres, à se conforter et à se conformer dans cette situation. Pour reprendre les mots de D. Lagache (in Eleb-Vidal, 1982-1983, p. 736), « le Moi-sujet a tendance à se confondre avec le Moi-objet, avec son corps propre, son nom, son histoire, ses qualifications, ses rôles, ses prétentions ». Prenons pour exemple la réponse relativement courante des résidents en maison de retraite à la question : « Comment allez-vous ? », la réponse est : « Ça va comme un vieux. »
La capacité de faire face à la maladie et à la souffrance reste intimement liée à l’intégration des stéréotypes de l’âgisme. Par exemple, « l’équivalence entre vieillesse et maladie dans l’imaginaire collectif influence considérablement la façon dont les gens âgés vont vivre le déclin de leur santé » (Coudin et Paicheler, 2002). On pourra également rencontrer des phénomènes de « dévalorisation sociale » (Heckausen et Lang, 1996, in Coudin et Paicheler, 2002) du fait que les personnes âgées tenteront de se dissocier de leur groupe de référence pour ne pas en subir les stéréotypes négatifs.

Qu’est-ce que vieillir ?

Le vieillissement : une certaine relation au changement

Vieillir ou reconsidérer le temps

9Le vieillissement, qui ne peut se concevoir que comme un état, s’affirme en tant que processus inhérent à la conception de changement. Le changement relève à la fois du fait de changer et de son résultat, et se comprend donc comme un point d’arrivée et un point de départ. Changement, donc, qui nécessite une certaine forme d’adaptation, mais aussi de résistance. « Heureusement, quand on est jeune, on ne se rend pas compte de la vieillesse ; sinon, on ne vivrait pas, on se laisserait aller. Oh, pendant ma jeunesse, c’était tellement beau… on a envie de faire plein de choses quand on est jeune, parce que la vie, ça nous paraît pas important ; enfin, on ne se rend pas compte de son importance. Le plus dur, c’est de voir tous les projets non réalisés. C’est vrai, c’est dur. Et puis, maintenant, à quoi bon. J’suis bien trop vieille, j’peux plus rien faire, c’est fini pour moi tout ce temps… » (Extrait d’entretien.)

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L’expérience de la vieillesse nécessite des réajustements continuels dans l’affirmation de son identité.

10On le comprend bien, ce rapport au changement lié au vieillissement permet aussi à l’individu de se forger et de devenir, tout en y restant soumis. L’expérience de la vieillesse – car il faut bien l’entendre comme tel – nécessite des réajustements continuels dans l’affirmation de son identité. Le changement implique une certaine relation au temps qui passe. Nombreux sont les discours des personnes âgées relatant cet effilement du temps et sa relation au présent vécu, cette recherche identitaire : l’expression d’un nouveau sens accordé à l’existence. Cette expérience du vieillissement peut être une belle occasion d’exprimer, d’approfondir et de se repositionner par rapport à son interprétation de la vie. Expérience ô combien enrichissante, mais perturbante, car cet examen donné à sa propre existence et de son orientation ne va pas sans perte, peur et affirmation d’une finitude. C’est bien en cela que l’apport intergénérationnel peut jouer un rôle non négligeable dans le sentiment d’utilité et de transmission d’un savoir des personnes âgées envers les plus jeunes.

Le travail de vieillir

11Les peurs et angoisses liées à la mort supposent un travail profond sur le vécu de la vieillesse (ou le « travail de vieillir »), car « vieillir, ce n’est pas mourir, car l’homme n’a que deux possibilités : ou vivre et vieillir, ou mourir. Alors que la vie ne peut se définir sans la mort, le vieillissement peut apparaître comme une victoire sur la mort. Mais le problème de la finitude n’exclut nullement une meilleure maîtrise des circonstances qui y conduisent » (Richard et Dirkx, 1996, p. 12). Ce travail peut se rendre possible par une intégration de son identité passée et présente. Le temps de la vieillesse est reconnu comme un redoutable adversaire, qui signifie à tout moment la finitude de l’individu. Cependant, l’âge en tant que tel semble plus facile à accepter et à appréhender que ses effets. Le questionnement existentiel de la personne se confronte aux limites de la mort. La représentation du temps relève d’un travail de mémoire et d’appropriation du passé. Nombreuses sont les personnes âgées qui expriment des angoisses quant à la perte de leur mémoire et à l’incertitude de leur avenir. Aussi, les mots de J.-C. Henrard et J. Ankri (2003, p. 29) prendront tout leur sens : « L’articulation du temps et de la vieillesse est très difficile : on interdit aux vieux de parler de leur vieillesse comme expérience existentielle ; on les enferme dans un langage convenu, se référant à leurs vingt ans ou aux maladies de la vieillesse. Cela interdit à chacun d’entre nous de parler de la vieillesse à partir du temps éprouvé, pour se projeter dans un avenir inconnu qui fait peur. »

S’adapter au temps qui passe

12Les processus de changement et de mobilité ne peuvent s’évaluer et se comprendre que par rapport à la stabilité et à la permanence. Aussi, les processus mis en place par le vieillissement s’intègrent par constantes comparaisons avec la perception de permanence de l’adulte. Vivre signifie disposer des capacités de changer et de réaménager son univers selon les contextes, conflits et crises. Les personnes âgées peuvent faire preuve d’une forme de résistance au changement qui ne leur permet pas de s’ajuster à leur environnement. Les phénomènes de « routinisation » peuvent être compris comme une fonction adaptative, principalement défensive contre les changements extérieurs et les craintes qui leur sont liées.

La crise du vieillissement

Vieillir : faire le deuil d’un passé et renouer avec le présent

13La crise identitaire sous-jacente au vieillissement implique un travail de deuil de soi-même, de ce que la personne âgée a pu être. De là se font ressentir une dévalorisation de l’image de soi et une blessure narcissique. En témoignent les interventions des personnes âgées qui nous rappellent cet autre qu’elles pouvaient être autrefois : « Avant, quand j’étais jeune, au moins je me sentais libre de faire ce que je voulais, mon corps ne me l’empêchait pas. Si vous saviez comme je dansais, j’étais douée, et puis j’apprenais aux autres. Maintenant, même si je pouvais danser ou chanter, eh bien, j’en aurais même pas envie, de toute façon, j’suis plus comme avant… » Or, si cette image souffre d’être écorchée et de se perdre, la vie dépend d’un minimum d’investissement narcissique. L’angoisse de l’abandon, liée à ce sentiment de dépossession, de perte, se fait ressentir et est parfois difficile à vivre face aux limites d’une réalité physiologique et à la menace oppressante de la mort.

Le vieillissement demande des ajustements

14Le décalage entre le corps de la personne âgée et son propre soi demande un ajustement parfois difficile à mettre en place. Les différentes aspirations de plaintes, de révolte, de refus ou même de déni de la part de la personne vieillissante explicitent ses confrontations difficiles avec son environnement qui peut se confondre à des formes de perte ou de dépossession. De même, l’ambivalence des sentiments relate une forme de dissolution de l’identité associée à des remaniements objectaux.

De la pulsion de mort

15Le vieillissement doit donc se comprendre comme l’acheminement intemporel d’une crise dans laquelle la mort n’est plus considérée comme un accident n’arrivant qu’aux autres, mais bien comme une fin réelle et plus proche. Si Freud faisait correspondre Éros à la pulsion de vie, chez la personne vieillissante, la pulsion de mort commence à prendre le dessus sur la pulsion de vie. La temporalité de l’homme se fait jour et la passivité devient œuvre de plaisir. Le travail du personnel soignant doit se pencher sur cette approche de la souffrance et de la mort. Aussi, nous suivrons les mots de J. Pellissier (2003, p. 251) : « […] comprendre leur angoisse de l’isolement et de la mort. La partager avec eux, ce n’est pas mourir. La refuser, c’est leur signifier qu’ils sont déjà morts pour nous [et], au prétexte d’empêcher la vieillesse et la mort de les emporter, nous les empêchons d’aller à la rencontre de leur vieillesse et de leur mort. »
Bien vieillir reviendrait à intégrer la perte de la jeunesse ainsi que les angoisses liées à la finitude, tout en conservant une certaine intégrité psychique. Il s’agit en cela de concevoir l’abandon d’une activité et d’un passé révolu, tout en investissant pleinement ce nouveau passage de l’existence. Vieillir constitue un véritable travail, notamment caractérisé par « un travail d’intégration du moment présent, la fin de vie, dans l’ensemble de la vie » (Quinodoz, in Reinhardt et Bouisson, 2001, p. 38).

Un regard psychosocial sur la vieillesse

De la relation aux autres

16Le soutien social reste très important pour le maintien du bien-être et de la qualité de vie de la personne âgée. Ce soutien social favorisera un sentiment de sécurité et permettra d’amoindrir les effets du stress, les situations dépressogènes, tout en renforçant l’estime de soi. La maison de retraite doit être un lieu dans lequel le résident peut ressentir à la fois son appartenance à un groupe (et donc peut se situer par rapport aux autres) et exprimer sa différence, afin de conserver son individualité et reconnaître son maintien identitaire. « La qualité de vie s’articule autour de la qualité de la relation à l’environnement, celui-ci étant constitué de l’Autre et de la structure », spécifiaient R. Vercauteren et J. Chapeleau (1995, p. 32). Les personnes âgées expriment un fort besoin de parler et de se confier. Une seule présence, une écoute et un réconfort renforcent le sentiment d’avoir de l’importance, d’être considéré par une personne ; de fait, « raconter, c’est aussi construire et projeter une image de soi qui permet de se faire connaître par l’autre et de se reconnaître soi-même » (Pellissier, p. 289).

De la perte des rôles sociaux

Les autres et le sentiment d’utilité sociale

17L’entrée dans la vieillesse mais également l’entrée en maison de retraite constituent bien souvent une perte au niveau des rôles sociaux. Le rôle social est compris par M. Leyglene (1993, p. 37) comme le « médiateur de la relation sociale », qui conserve deux fonctions principales : « une fonction de protection qui régule les échanges entre la réalité intérieure du sujet et sa réalité extérieure ; et une fonction d’échange qui favorise la circulation d’informations réciproques entre l’individu et son entourage ». La privation de la personne âgée de son autonomie et de son identité sociale revient à la déresponsabiliser. La communication reste un moyen d’être reconnu dans sa spécificité, de se sentir compris et entendu, et de conserver un sentiment d’utilité sociale (en accompagnant, par le biais de l’interaction, l’autre personne dans l’acheminement de sa pensée).

Le manque des autres

18Le sentiment de solitude est un phénomène relativement fréquent chez les personnes âgées. Nombre de personnes âgées associent deux formes de réaction face au sentiment de solitude : une forme de combinaison entre une sensation d’impuissance face à la vie et une perte d’autoestime et de confiance en soi, d’une part, et l’affirmation et la revendication de l’envie d’être seul, d’autre part. Prenons pour exemple une partie du discours de madame B. : « Je suis seule, c’est dur. Mais j’aime bien aussi être seule, j’ai pris l’habitude d’être seule, et, quand vient du monde, ça me contrarie…Quand on est avec des gens, on ne peut pas tout faire. Alors que, quand j’ai envie de pleurer, je pleure, je ris. J’embête personne, vous comprenez ? Et puis, je suis tellement seule que ça ne me fait plus grand-chose, si, des fois, mais bon. Des fois, j’ai peur. C’est une autre affaire d’être seule, et puis j’ai l’habitude… Mais c’est vrai que j’aime bien quand même, quand je vous vois, au moins je peux raconter tout ça à quelqu’un, parce que sinon, j’ai personne à qui le dire… »

19On peut penser que cette manière ambivalente de parler du sentiment de solitude relèverait plus d’un désir d’être écoutée, comprise et entendue. Le sentiment de solitude sociale se voit apprécié par cette personne, dans le sens où cela lui apporte une certaine forme de liberté quant à ses pensées, ses réactions. Notons que cette personne s’approprie également cette liberté lorsqu’elle exprime son besoin de se sentir écoutée. Elle se défend peut-être aussi de la souffrance liée à la perte de son réseau social et à la crainte de mourir seule. Pour beaucoup de personnes âgées, la solitude se révèle plus par l’angoisse et les peurs qu’elle entraîne que par son effectivité.

Contrôle et adaptation

Représentation du contrôle

20D. Alaphilippe et G. Chasseigne (1993, p. 272) spécifiaient que « la représentation du contrôle constitue une dimension déterminante quant à l’adaptation d’un individu humain à son environnement, et tout particulièrement lorsqu’il s’agit de personnes vieillissantes » ; en témoignent les résultats de l’échelle de représentation du contrôle. J. Pellissier (2003, pp. 44-45) spécifiait à ce propos : « Quand la personne n’a plus aucune marge d’autonomie, quand elle ne peut plus choisir ou au moins s’exprimer sur son lieu de vie, son alimentation, son rythme, etc., elle n’a plus, souvent, qu’un seul choix : le corps devient le dernier champ de sa liberté. Un corps qui exprime alors, comme il peut, l’autonomie et la révolte. » Nous savons depuis J. B. Rotter (1966, in Alaphilippe, 2002) que le locus de contrôle d’un individu (ou représentation du contrôle, selon une dimension de la personnalité) peut être interne ou externe. L’internalité serait un bon témoin prédictif de la capacité adaptative du sujet. Des études ont pu montrer que les personnes âgées auraient tendance à privilégier un locus de contrôle externe. Le sentiment de contrôle contribue au maintien du sentiment de la permanence de l’individu et de la continuité de soi ; de même, il organise les stratégies de faire face ; c’est pourquoi, « un des paris de la vieillesse est de maintenir un sentiment de contrôle dans un équilibre mouvant de gains et de pertes » (Coudin et Paicheler, 2002, p. 129).

L’institution ou la perte de contrôle

21Les institutions structurées selon des normes, des règles et une certaine organisation, contribuent fortement à limiter les capacités de contrôle et de décision des résidents. De même, la déresponsabilisation des personnes âgées dans leurs propres milieux de vie. Aussi, pour reprendre les mots de J. Pellissier (2003, p. 221), « le vieux perd son pouvoir d’agir et le sentiment d’être utile : il est celui dont on s’occupe ». Le sentiment de satisfaction et de bien-être lié à une situation pourrait être relatif au sentiment de maîtrise de cette situation. L’expérience menée par R. Schultz (1976) a pu montrer les effets de la capacité d’organiser, anticiper et planifier les visites sur l’état psychologique des résidents d’une institution. Les sujets ayant la possibilité de déterminer la fréquence, la durée et le moment de la visite (sur une durée de deux mois) observent un déclin moindre de leur état de santé général associé à un accroissement de leur activité psychologique.

Libre choix

22Le contexte institutionnel dans lequel se situe la personne âgée discrimine quelque peu la notion de libre choix ; les maisons de retraite conservent une importante emprise sur les éléments de vie de leurs résidents et les démobilisent de leurs propres capacités de maîtrise. L’accent doit donc être mis autant que possible sur la liberté de choix des personnes âgées. Les sujets dépressifs, relativement nombreux en maison de retraite, expriment facilement leur sentiment de perte de capacité de maîtriser leur environnement ; la dépossession des personnes âgées de leurs capacités d’action et de maîtrise contribue à les déresponsabiliser quant à leur propre santé. Face à cette perte de contrôle, on retrouvera des personnes âgées constamment demandeuses de soins et d’attention, ou encore adoptant des comportements critiques ou contestataires face à l’organisation institutionnelle, ce qui, pour elles, reste une manière d’exercer un contrôle sur leur environnement ainsi qu’une certaine maîtrise sur leur entourage social. Le négativisme adopté par certaines personnes âgées, ou le refus délibéré d’adopter des comportements relatifs à l’institutionnalisation, révèlent leur demande et leur besoin incessant de conserver un sentiment d’autonomie et de maîtrise. Le seul fait de demander des soins ou de faire appel à l’équipe soignante pour une aide à l’habillement, ou à d’autres comportements de dépendance, peuvent être entendus comme une prise de contrôle indirecte sur l’environnement social de la personne âgée.

23Plusieurs expériences ont pu montrer l’efficacité d’une restauration du sentiment de contrôle. On comprendra D. Alaphilippe (2002) lorsqu’il affirme qu’un « vieillissement réussi, garant d’efficacité et de bien-être, repose pour une bonne part sur les capacités du sujet de maîtriser son environnement et la conscience qu’il en a ». Le fait de redonner un espace de décision et de contrôle à la personne âgée demeure primordial quant à l’affirmation de son bien-être.

24L’expérience menée par E. J. Langer et J. Rodin (1976) témoigne de l’influence non négligeable du choix et de l’attribution d’une responsabilité pour la personne âgée. Ici, dans le groupe expérimental, les sujets étaient soumis à une communication renforçant leur niveau de responsabilité ; à cela étaient ajoutées la liberté d’établir des choix et la responsabilité de s’occuper d’une plante. Les résultats – en termes de questionnaire et de mesures comportementales – ont pu montrer une plus grande vigilance, une meilleure participation et un tempérament général de bien-être pour les sujets expérimentaux comparativement aux sujets contrôlés.

25Pour conclure, nous emprunterons les mots de E. J. Langer et J. Rodin (1976, p. 197, traduction de l’anglais) spécifiant que « certaines conséquences négatives du vieillissement peuvent être retardées, réversibles ou faire l’objet de prévention, et ce, en permettant au sujet âgé la possibilité de prendre lui-même des décisions, et en lui attribuant un sentiment de compétence ».

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