1La période de Noël avec ses préparatifs, l’engouement qu’elle suscite, ses rites, ses offrandes, met en lumière des dons et des dettes, des liens générationnels, des sentiments et des émotions, des statuts et des rôles. Elle pose aussi la question de son ancienneté réelle et de ses usages sociaux et symboliques, par des groupes aux appartenances culturelles différentes.
2Derrière les paillettes et les guirlandes, la fête de Noël offre un intérêt anthropologique certain lorsque l’on s’intéresse à la famille et à la place occupée par l’enfant. Moment d’expression collective intense, elle met en lumière d’une façon exemplaire des dons et des dettes, des liens générationnels, des statuts et des rôles, des sentiments et des émotions.
3Qu’elle soit une tradition collective pose aussi la question de son ancienneté réelle et de ses usages sociaux et symboliques, par des groupes aux appartenances culturelles différentes.
Une tradition réinventée
4On entend souvent dire que les traditions se perdent et, en particulier, celle de Noël, qui n’aurait de sens aujourd’hui que celui que le commerce lui octroie. Cette appréciation n’est en fait pas nouvelle, puisqu’on la trouve dès le milieu du xixe siècle dans la presse féminine bourgeoise, comme Le Journal des jeunes filles en 1851 qui déplore déjà « que les Français ne savent plus fêter Noël ».
5À cette époque, pourtant, la « tradition » a déjà changé, Noël est devenu la grande fête de la famille bourgeoise, alors en pleine ascension. On assiste à un véritable transfert rituel de la sphère religieuse sur celle de la vie privée, cette privacy qui s’invente dans l’Angleterre victorienne. Le respect des traditions va, dès lors, autant concerner le rite religieux que le rituel familial, c’est-à-dire la réunion des parents proches autour d’un repas de fête et l’échange de cadeaux. Mais le rituel religieux n’est pas le seul à subir ce report sur la famille. C’est tout un ensemble de traditions païennes anciennes et collectives qui se trouvent, pourrait-on dire, privatisées ou, parfois même, abandonnées, car ce recentrage sur le foyer s’accompagne aussi d’un début d’uniformisation des pratiques et du décor. À cette période se généralise en effet la mode du sapin décoré, de la couronne de l’Avent, des chaussettes pendues à la cheminée.
6Il faut rappeler que cette « privatisation » de la fête est contemporaine de l’industrialisation brutale que connaît l’Angleterre. Elle est aussi contemporaine d’un certain « esprit de Noël » dont Charles Dickens sera le conteur le plus célèbre. Avec la publication en décembre 1843 de Christmas Carol, il en offre un modèle, qui est aussi un éloge de la famille à travers celle des Cratchit dont les membres, écrit-il, « sont pauvres, n’ont rien de remarquable, mais sont heureux d’être ensemble ». Et ce bonheur va trouver l’occasion d’une mise en scène privilégiée à Noël.
Refuser de le célébrer, comme l’usurier solitaire Scrooge qui exploite Bob Cratchit, devient désormais une preuve de misanthropie et presque une forme d’incivilité. Dickens, l’Anglican, croit en effet davantage à la vertu de la compassion et souhaite une « religion de cœur » qui transcende tout dogme sectaire. Il fit, pour la propager, des lectures publiques de ce conte en Angleterre mais aussi en France, aux États-Unis et remporta partout un énorme succès. La foule se pressait, par tous les temps, pour l’écouter et s’attendrir sur le sort de cette famille humble et vertueuse. L’un des biographes de Dickens raconte à ce propos que l’industriel américain M. Fairbanks, après avoir assisté à l’une de ces lectures à Boston, promit d’offrir un jour de congé à tous ses ouvriers pour Noël et, l’année d’après, ajouta une oie pour leur repas de réveillon.
Compassion et moralisation
7C’est dans cet « esprit » fait de compassion et de charité que la bourgeoisie se soucie du sort de la classe ouvrière, mais encore davantage de la révolte que ses conditions de vie pourraient provoquer. L’enfant pauvre et orphelin est l’un des grands sujets d’intérêt des hygiénistes et réformateurs. Noël apparaît alors comme un moment de moralisation opportun. Les dames patronnesses se pressent dans les orphelinats et l’Angleterre pragmatique institue ces fameux « club de Noël » (Christmas club) et « club de l’oie », (goose club), sorte d’épargne populaire qui permettait aux indigents de fêter Noël avec dignité. Il suffisait en effet d’épargner quelques cents mensuels sur un compte particulier, pour recueillir la veille du réveillon l’oie ou la bouteille de brandy qui honorerait le dîner des plus pauvres. Avant la Première Guerre mondiale, Noël figurait en Angleterre « parmi les dates les plus importantes du calendrier pour la classe ouvrière britannique ».
8Cet esprit de Noël va progressivement s’étendre à toute l’Europe et outre-Atlantique, à New York, notamment, où les riches Anglicans auront à cœur, eux aussi, de donner à cette fête un caractère familial en se protégeant du désordre populaire qu’elle pouvait susciter. C’est dans ce contexte que l’enfant va jouer un rôle central.
L’enfant au centre
9Avant que l’industrialisation ne le jetât dans la rue, l’enfant avait déjà une fonction essentielle au temps de Noël, mais dans une relation à l’adulte presque inverse de celle que nous connaissons aujourd’hui.
10Dès le Moyen Âge, les enfants sont présents dans les tournées de quête, qui sont fréquentes au cours du cycle des douze jours, (de Noël à l’Épiphanie). Ils sont déguisés et appelés pour cette raison parfois des « guisarts », que l’on retrouve dans certaines régions jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, comme le montre la grande enquête d’Arnold Van Gennep, (Van Gennep A., 1988, p. 2001). On les suit, de maison en maison, chantant des cantiques et recevant en échange des friandises ou quelques sous. Ils ont alors le pouvoir de maudire celui qui refuse.
11Ils partageaient parfois ce rôle de quêteur avec les femmes et les mendiants, c’est-à-dire avec ceux qui sont « d’une certaine façon incomplètement incorporés au groupe », (Lévi-Strauss Cl., 1952, p. 1588). Cette « marginalité, ou cette incomplétude », leur permet d’être les passeurs symboliques de la vieille année à la nouvelle, cette transition dangereuse entre monde des morts et des vivants, qu’inaugure et que symbolise aussi le temps archaïque, préchrétien de Noël. Au xixe siècle, lorsque l’enfant devient l’espoir d’une bourgeoisie en pleine ascension, son statut change. Il est mis au centre de la réunion de famille, ce qui n’était pas le cas auparavant. Le cercle de famille se referme sur lui et l’aïeul, figure symétrique, joue désormais un rôle protecteur et éducateur important. L’imagerie victorienne témoigne de cette nouvelle place. On y découvre l’enfant pauvre, dehors sous la neige, regardant l’enfant riche, le soir de Noël, derrière les vitres des maisons cossues.
12Dans la littérature, cet enfant pauvre est devenu le héros emblématique et orphelin qui erre dans les rues et meurt cette nuit-là. C’est le cas de La Petite Marchande d’allumettes d’Andersen (1835) ou du Petit Joueur de violon de Camille Lemonnier (1873). Cependant Victor Hugo, dans Les Misérables (1862), laissera la vie sauve à Cosette qui rencontre Jean Valjean un jour de Noël, comme Dickens avait épargné Tim Cratchit, symbole de courage (il est infirme) et de générosité. C’est aussi à cette époque que les figures de distributeurs de cadeaux s’affirment. De saint Nicolas au Père Noël, c’est aussi la signification du don fait à l’enfant qui se précise.
Le Père Noël, dieu des enfants et de la consommation
13Au milieu du xiiie siècle, un motet écrit en picard par Adam de la Halle mentionnait déjà un certain sires Noeus au nom duquel les quêteurs venaient réclamer des paradis (friandises). Mais celui-ci ne semble pas être un distributeur de cadeaux et le Père Noël tel que nous le connaissons aujourd’hui est une création récente. C’est en 1897 que l’enquête de l’Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux fait son apparition en France, confortant A. Van Gennep dans les années cinquante dans l’idée qu’il s’agissait d’un cas de « folklore naissant ou vivant ».
14À partir de cette époque, le vieillard à barbe blanche coiffé d’un bonnet de fourrure et vêtu d’une vaste houppelande bordée d’hermine a rapidement conquis les villes et les bourgs et aussi certaines campagnes, remplaçant les figures locales comme le père Janvier (Saône-et-Loire) ou la tante Arie (Franche-Comté) de la même manière que l’arbre de Noël (Van Gennep, 1988, p. 2875). Cette conquête douce mais irréversible inquiète à l’époque beaucoup de gens, et notamment les représentants du clergé, tel l’abbé Jean Garneret en 1955, pour lequel il ne s’agit que d’une « mythologie factice, due à l’école, au monde anglo-saxon, à la radio, aux grands magasins, au commerce et à la publicité » (Van Gennep, 1988, p. 2874).
15La presse et en particulier les magazines féminins désignent à leur tour, mais sur un ton plus positif cette fois, l’auteur de ce Noël rénové, à savoir l’Amérique !
16Mais attribuer aux Américains « la grande vogue », en France, du Père Noël laissait entière la question des origines, tant le brassage des populations rend difficile l’attribution précise de certains caractères locaux, aux uns et aux autres. S’agit-il des Hollando-Franco-Anglo-Germano-Italo-Hispano-Scandinavo-Polono-Russes qui vivent ensemble aujourd’hui à New York ?, se demandait A. Van Gennep.
17Le Père Noël est l’héritier, en effet, de tout un ensemble de traditions que ces communautés emportaient avec elles en émigrant au Nouveau Monde. En cela, le personnage est une construction syncrétique exemplaire.
18Une certaine élite new-yorkaise fit beaucoup pour lui, en transformant saint Nicolas en Santa Claus, au début du xixe siècle. Cette métamorphose est due, en grande partie, à deux personnages lettrés et à un mouvement plus général, qui voulait rompre avec le Noël de la monarchie coloniale britannique. Il y eut d’abord l’écrivain Washington Irving (1984) qui, dans une fiction relatant l’histoire de la fondation de New York (Knickerbocker’s History, 1809), a fait de Santa Claus (Sinter-Klaas en néerlandais) la figure de proue du bateau d’un équipage hollandais, quittant Amsterdam au xviie siècle, pour rejoindre l’Amérique. Dans cette épopée, Sinter Klass apparaît en rêve à l’un des marins, lui indique le lieu de la fondation de New Amsterdam (ancienne New York) et promet de venir, chaque année, rendre visite aux enfants sur son char céleste et de descendre par la cheminée pour distribuer ses cadeaux. Il y eut aussi un professeur d’hébreu, épiscopalien, Clement Clarke Moore, qui écrivit un poème pour ses propres enfants : The Night Before Christmas. Publié à son insu le 23 décembre 1823, dans Sentinel (le journal de Troy), celui-ci connut un succès immédiat. Dans ce poème, Santa Claus apparaît, pour la première fois, comme une sorte de « petit vieux gaillard », un « lutin joufflu, dodu et joyeux », conduisant un char mené par huit rennes. Il est vêtu de fourrure de la tête aux pieds, porte un ballot rempli de jouets, jeté sur son épaule et descend par la cheminée. Il souhaite à tous, en partant, « un joyeux Noël ». Or, fêter saint Nicolas, un 24 décembre, n’était pas dans les habitudes, mais progressivement les États-Unis l’adoptèrent. Entre 1861 et 1865, la plupart en firent un jour férié.
19Cette métamorphose de saint Nicolas réalisée par les nouveaux Américains, héritiers de traditions diverses, s’accompagne, on l’aura noté, de la disparition d’un personnage clef, celui du père Fouettard, ce sombre et hirsute compagnon du Saint qui punissait les enfants désobéissants. Plus de valet Ruprecht, (Allemagne), plus de Piet le Noir (Pays-Bas), plus de Hans Trapp, (Alsace). Santa Claus a laissé, en traversant l’Atlantique, toute ambiguïté et toute ambivalence. Si sa parenté, avec les elfes et les lutins, le reliait encore à une ancienne mythologie germanique, il a perdu en austérité et en dignité, il a été en quelque sorte « défroqué » et est voué désormais à la bonhomie et à la réjouissance populaire. Les dessinateurs contribuèrent aussi à sa popularisation. L’illustrateur Thomas Nast qui couvrait la guerre de Sécession pour Harper’s Weekly lui offrit ses meilleurs portraits. Il en fit une incarnation débonnaire et rassurante du capitalisme américain. Dans ses dessins, Santa Claus figure souvent, en effet, entouré par les enfants des riches familles nordistes, qu’il gâte alors sans condition. Dans ce contexte, on comprend qu’il fut très vite récupéré par les grands magasins qui se créent à la fin du xixe siècle, notamment à New York où il sera sommé d’écouter les désirs enfantins. La publicité comprit, elle aussi, le profit qu’elle pouvait en tirer. L’entreprise Coca-Cola, en 1930, le détournera pour qu’il vante cette boisson auprès des plus jeunes. Haddon Sublom, le dessinateur suédois, convoqué pour imaginer de nouvelles affiches a ainsi codifié pour longtemps son apparence et les couleurs rouges et blanches de son habit.
20En France à la fin du xixe siècle, le Père Noël encore appelé « Bonhomme Noël » ressemble à un pauvre hère, havre et vêtu de bleu, de vert, plus rarement de rouge. Sur les cartes postales et les chromos du début du siècle, on le voit cheminer dans la neige, allant de hameaux en hameaux, portant une hotte d’où dépassent polichinelles et tambourins. Il ressemble encore parfois à saint Nicolas, et pendant un certain temps occupe une position intermédiaire entre un évêque, un moine et un colporteur. En Lorraine et en Alsace, il n’a en revanche jamais détrôné saint Nicolas qui le précède toujours le 6 décembre.
21À Paris et en région parisienne, il faut attendre les lendemains de la Seconde Guerre mondiale pour que le Bonhomme Noël commence lui aussi à subir l’influence américaine. Dans l’euphorie de la relève, ce personnage prospère, et récompensant tous les enfants sans distinction, était le bienvenu. Il entra à son tour dans les grands magasins parisiens et bientôt arpenta les trottoirs pour offrir son portrait photographié en compagnie d’enfants, souvent apeurés. Ce succès ample et rapide fit craindre que la fête religieuse ne fût oubliée derrière cette mise en scène, qui s’inspirait davantage des fastes hollywoodiens que du recueillement propre à la célébration de la Nativité. En 1951, le clergé de Dijon alla même jusqu’à franchir un pas symbolique important. Devant les enfants des patronages réunis, il brûla l’effigie du Père Noël, qui, tel un sorcier, fut installé sur un bûcher, dressé sur le parvis de la cathédrale. L’évènement fit scandale et la réaction fut immédiate, car le soir même le Père Noël arpentait le toit de l’Hôtel de Ville, sous le feu des projecteurs, rassurant les enfants mais aussi les parents, qui n’avaient pas toléré cet acte inquisiteur. La presse rapporta le fait divers, comme s’il s’agissait d’un événement national. Si cet incident est révélateur de l’importance prise par le Père Noël, il l’est aussi de celle que l’enfant occupe désormais.
Noël est devenu une fête de famille célébrant ses enfants, et les valeurs dont ils vont devenir les récipiendaires. Il n’est pas étonnant, alors, que le moment fort de ce rituel soit désormais celui de l’échange de cadeaux.
Le prix des liens de famille
22L’excès consumériste, qui marque cette période et attire son lot de critiques et de dénégations, masque la dimension symbolique profonde de ces dons.
23 En 1890, le Dictionnaire de la vie pratique de Bélèze donnait cette définition des étrennes offertes aux « petits métiers ». « Ce tribut annuel, écrivait-il, était comme une dette contractée envers eux, dont le 1er janvier marquait l’échéance ». C’est bien, en effet, cette dette, notion centrale dans les analyses du don, qui va prendre une signification toute particulière en famille, et met dans l’obligation de recevoir et de rendre ceux qui ont des liens. À Noël, ceux-ci vont être mis en lumière « bien plus crûment que d’habitude ». C’est la raison pour laquelle les solitaires fuient cette fête ou la vivent si douloureusement (Godbout J., 1992, p. 541).
24Pour tous les autres, il reste cependant un paradoxe étrange à s’intégrer dans cet échange rituel, celui qui consiste à combler les siens tout en participant à la plus grande dépense collective de l’année. Cette consommation, que l’on a parfois qualifiée de « sentimentale », est le prix des liens pour qu’ils soient visibles à tous, une sorte de sacrifice annuellement renouvelé sur l’autel de la famille. L’enfant est aussi celui pour lequel on va « dépenser sans compter ». On sait à ce propos que les familles les plus modestes font pour lui l’effort financier le plus grand. À cette occasion, les parents font preuve d’une grande imagination pour maintenir le secret et deviennent des sortes d’intercesseurs entre le Père Noël qui « descend du ciel » et leur enfant qui attend son dû, au pied du sapin.
25Quelle signification revêt alors cette cérémonie à laquelle la plupart participe avec beaucoup de ferveur pour que le mystère s’accomplisse et que l’enfant soit comblé ?
26La nécessaire « croyance au merveilleux » avec le « secret de la naissance » dont l’arrivée du Père Noël serait « une métaphore » font partie des interprétations psychologiques et psychanalytiques les plus courantes. Françoise Dolto participa elle-même à l’entretien de l’illusion enfantine, en créant « le courrier du Père Noël » à Libourne, en 1962, et rédigea la première réponse du Père Noël aux lettres innombrables envoyées par les enfants.
27L’anthropologie est en revanche moins diserte. C’est pourtant l’un de ses plus célèbres représentants qui allait soumettre cette séquence rituelle à l’analyse structurale. À la suite de l’holocauste du Père Noël, à Dijon, Claude Lévi-Strauss publiait, en 1952, un bel article dans les Temps Modernes, intitulé « Le Père Noël supplicié », où il établissait une relation avec les katchinas des Indiens du Sud-Ouest des États-Unis. Ces personnages incarnent, en effet, des dieux et des ancêtres qui reviennent à date fixe visiter leurs villages pour y danser, mais aussi pour punir, enlever, récompenser les enfants, car eux-mêmes sont les âmes des premiers enfants morts noyés. Comme pour le Père Noël, ce sont les pères, les oncles, ou les parents proches qui se cachent sous ces déguisements destinés à masquer leur véritable identité. Révéler la vraie nature des katchinas reviendrait en effet à exposer l’enfant au risque de la mort ou de l’enlèvement, que ce rituel va permettre de neutraliser. Ce que le Père Noël comme les katchinas mettent derrière l’opposition entre enfants et adultes, « c’est une opposition plus profonde entre morts et vivants » (Lévi-Strauss Cl., op. cit., p. 1583). La croyance et la révélation du secret sont, dans cette approche synchronique, comparables à un rite d’initiation. Celui-ci exclut un temps les non-initiés que sont les enfants pour mieux les agréger ensuite à la communauté. Et, comme dans toute initiation, ces novices sont en danger de mort. Beaucoup de superstitions et de légendes sont révélatrices de cette crainte. La nuit de Noël surtout est un temps où l’enfant cour t de grands risques, comme celui d’être enlevé, étouffé en Gascogne. En Seine-et-Oise, un mauvais génie se promène et jette les enfants du berceau pendant que les mères assistent à la messe de minuit. Les exemples de cette menace abondent. Le cadeau va jouer un rôle conjuratoire et le moment de la distribution est la seule période où, dit Lévi-Strauss, « les enfants sont en position de marchandage », au terme duquel le cadeau va permettre de neutraliser le danger qui les menace. Dans cette perspective anthropologique, on comprend mieux l’importance et l’enjeu de cette véritable offrande qui leur est faite, car ces enfants incarnent les générations futures et leur intégrité physique et morale est la condition de la pérennisation de la famille.
Peut-on alors induire qu’au-delà de ses paradoxes manifestes, la fonction essentielle de Noël serait de permettre, par la dépense excessive et par le jeu de la dette et du don, la reproduction et la préservation des alliances et de la filiation. De cette efficacité symbolique, Noël tire son incroyable pouvoir d’adaptation qui explique aujourd’hui son don d’ubiquité géographique et culturelle, au-delà de ses lumières mercantiles.