Notes
-
[1]
Les citations ultérieures du Coran dans ce texte seront faites simplement de l’annonce de la sourate et du verset : (96 : 1-5).
-
[2]
Odon Vallet, Petit Lexique des idées fausses sur les religions, Paris, Albin Michel, « Spiritualités », 2002.
-
[3]
Marcel André Boisard, L’Islam aujourd’hui, Paris, Éditions de l’Unesco, 1985.
-
[4]
Anne-Marie Delcambre, Mahomet, la parole d’Allah, Paris, Gallimard, « Découvertes » (n° 22. Série Religions), 1987.
-
[5]
Récemment traduits et commentés par Mahmoud Hussein, Al Sira (Le Prophète de l’islam raconté par ses compagnons), Paris, Grasset, 2005 (t. I) et 2007 (t. II).
-
[6]
Id., Penser le Coran, Paris, Grasset, 2009.
-
[7]
Encore que le débat ne soit pas clos sur cette question, comme le suggère D. Masson dans l’introduction de sa traduction du Coran (Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1967, p. XLV) : « (Le Coran s’attaque violemment à une sorte de “trithéisme” étranger au dogme chrétien de la Trinité mais que la Tradition musulmane a coutume de lui attribuer) ». voir aussi D. Masson, Monothéisme coranique et monothéisme biblique. Doctrines comparées, Paris, Desclée de Brouwer, 1976, 821 p.
-
[8]
Louis Massignon, Sur l’islam, Paris, L’Herne, « Collection Confidences », 1995.
-
[9]
Odon Vallet, Petit Lexique des idées fausses sur les religions, op. cit.
-
[10]
Henri Corbin, Histoire de la philosophie islamique, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1986.
-
[11]
Louis Massignon, Sur l’islam, op. cit.
-
[12]
Mohamed Arkoun, L’Islam. Approche critique, Paris, Éditions Jacques Grancher, « Ouverture », 1992.
-
[13]
Odon Vallet, Petit Lexique des idées fausses sur les religions, op. cit.
-
[14]
Tuhami Negra, Un équilibre fragile : droits, responsabilités, liberté. L’individu et la société en Islam, Paris, UNESCO, 1998.
-
[15]
Nadjm-oud-Dine Bammate, L’Islam et l’Occident, Dialogues, Paris, Éditions Christian Destremau, « Dialogue interculturel », UNESCO, 2000.
-
[16]
Henda el Fekih, Penser le social. L’Individu et la société en Islam, Paris, UNESCO, 1994.
-
[17]
Bernard Lewis, « The revolt of Islam », The New Yorker, 19 novembre 2001.
-
[18]
Makram Abbès, « Le milieu philosophique andalou », in Abdelwahab Meddeb et Benjamin Stora (dir.), Histoire des relations entre juifs et musulmans, des origines à nos jours, Paris, Albin Michel, 2013, p. 764-777.
-
[19]
La Bible, trad. André Chouraqui, Paris, Desclée de Brouwer, 2010.
-
[20]
William Montgomery Watt (Mahomet, Paris, Payot, 1989, p. 628) avance cette traduction du texte de Ibn Hashim :
« Le Messager de Dieu – SAW – rédigea un écrit ayant trait aux Émigrants et aux Ansârs (littéralement Partisans, Médinois nouvellement ralliés à l’islam), écrit par lequel il établissait un traité et une alliance avec les juifs, les confirmait dans leur religion et leurs possessions, leur donnant certains droits et les obligeant à certains devoirs :
“Au Nom de Dieu, le Miséricordieux, le Compatissant,
Ceci est un écrit de Mohammed le Prophète, concernant les croyants, les musulmans qurayshites (Tribu de La Mecque), ceux de Yathrib, ceux qui les suivent, qui leur sont attachés et qui guerroient avec eux.
1. Ils forment une communauté unique (Umma) (21 : 92) distincte des autres peuples.
9. Si quelqu’un parmi les juifs nous suit, il a droit à la même aide, au même appui, à condition que les croyants ne soient pas lésés par lui et qu’il n’aide pas d’autres gens contre eux…
12. Les juifs supportent les frais de la guerre en même temps que les croyants aussi longtemps qu’ils demeurent en guerre.
13. Les juifs de Banu Awf forment une communauté (Umma) semblable à celle des croyants. Que les juifs aient leur religion et que les croyants aient la leur (cela s’applique) aussi bien à leurs clients qu’à eux-mêmes, à l’exception de celui qui aurait mal agi ou qui se serait conduit en traître ; il n’attire le mal que sur lui-même et sur sa famille…
16. C’est aux juifs de supporter leurs dépenses et aux musulmans de payer les leurs. Entre eux, il y a de l’entraide contre quiconque entre en guerre avec le peuple de ce document. Entre eux existent une amitié sincère et une façon d’agir loyale et non la trahison. Un homme n’est pas coupable de trahison à cause (d’un acte) de son confédéré. Il y a de l’aide pour la personne lésée.” » -
[21]
Hichem Djaït, La Crise de la culture islamique, Paris, Fayard, 2004, p. 300.
-
[22]
Benjamin Stora, « Le décret Crémieux », in Abdelwahab Meddeb et Benjamin Stora (dir.), Histoire des relations entre juifs et musulmans, des origines à nos jours, op. cit., p. 286-291.
-
[23]
Mark R. Cohen, « L’antisémitisme musulman : phénomène ancien ou récent ? », in Abdelwahab Meddeb et Benjamin Stora (dir.), Histoire des relations entre juifs et musulmans, des origines à nos jours, op. cit.
-
[24]
Primo Levi, Si c’est un homme, Paris, Pocket, 1988.
-
[25]
Ibn ‘Arabi, Fusûs al-Hikam, « Les Gemmes de la Sagesse ».
-
[26]
Michaël Barry, « Les Juifs dans la mystique islamique », in Abdelwahab Meddeb et Benjamin Stora (dir.), Histoire des relations entre juifs et musulmans, des origines à nos jours, op. cit.
-
[27]
« Évangile de Jean », La Bible Bayard, trad. Florence Delay et Alain Marchadour, Paris, Bayard, 2009.
-
[28]
Henri Corbin, Histoire de la philosophie islamique, op. cit.
-
[29]
Ali Benmakhlouf, « Al-Fârâbî, la religion entre cosmologie et politique », in Jacqueline Lagrée et Philippe Portier (dir.), La Modernité contre la religion ? Pour une nouvelle approche de la laïcité, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
-
[30]
Jacques Berque, Relire le Coran, Paris, Albin Michel, 1993. p. 139.
Introduction
1Antisémitisme ou antijudaïsme, comme islamophobie, font poser la question des relations entre religion et politique du point de vue de l’islam. La quête vers un monothéisme absolu de ce dernier pourrait faire imaginer des tensions particulières, faisant craindre que les valeurs républicaines citoyennes ne risquent d’entrer en conflit avec sa pratique. Ailleurs, ce sont des manifestations prosélytes de contrainte – qui pourtant sont contraires à la lettre de l’islam dont la règle est l’absence de contrainte en religion – ou une lecture dévoyée, propre à certains zélotes de l’islam, qui interpellent le chrétien ou le juif qui peuvent alors légitimement se demander si « leur » Dieu est aussi le nôtre.
2Nous explorerons les éléments théoriques de la période musulmane classique et leurs influences sur le statut de l’individu en islam ainsi que leurs rôles de cohésion sociale. Nous tenterons de montrer qu’il n’y a pas d’antisémitisme en islam au sens « racial » (comme si les juifs étaient inférieurs), le statut de dhimmi étant très différent d’un ostracisme. Il s’inscrirait plutôt dans une logique de séparation d’essence politique de communautés différentes. Secondairement, nous analyserons la période coloniale et postcoloniale afin de tenter de dégager des lignes de force permettant d’espérer la constitution d’un nouveau rapport social apaisé entre la loi et la foi, pour et entre tous, juifs, chrétiens et musulmans.
L’islam n’a pas de tension ou de rivalité théologique avec le judaïsme et le christianisme
1 – Les Écritures
3Lors de l’annonce de la révélation divine, la première sourate reçue par le Prophète Mohammed est : « Lis au nom de ton Seigneur qui a créé – qui a créé l’homme d’un grumeau de sang. Lis, car ton Seigneur est le plus généreux. Il est celui qui a instruit l’homme avec la plume. Il a instruit l’homme de ce qu’il ne savait pas [1] » (Coran, sourate 96, v. 1-5). Cette première sourate appelle immédiatement à l’indépendance et à la responsabilité de l’homme, en l’élevant.
4Nous retrouvons d’emblée trois constantes régulièrement affirmées et qui pourront expliquer certaines tensions politiques :
- le rapport immédiat à Dieu : pas d’intermédiaires, de régence, d’Église, ou de clergé (2 : 48), avec une forte injonction de responsabilisation directe de l’homme ;
- la transcendance de la Loi : le Coran est la parole inaltérable de Dieu ;
- et l’universalité et l’intemporalité du message : à la différence du judaïsme des origines et du christianisme, l’islam s’est d’emblée posé comme religion universaliste et comme transcendance, concernant sans distinction hommes, femmes, riches, pauvres, Blancs, Noirs, libres et esclaves (4 : 136) (4 : 171).
5« Il n’y a pas d’autre Divinité que Dieu et Mohammed est son Envoyé. » Telle est la profession de foi de tout musulman. Elle s’intègre dans une soumission totale au Créateur. « Islam veut dire soumission » est une des entrées du petit lexique des idées fausses sur les religions d’Odon Vallet [2]. En effet, le mot en arabe ne se réduit pas à ce seul terme de soumission, mais englobe aussi les notions d’unité, d’équilibre, de paix et d’harmonie [3] avec soi, les autres et le Cosmos tout entier. Bien qu’il soit inscrit de manière forte dans sa communauté, le croyant est engagé en une quête individuelle vers la voie droite le conduisant à son Créateur. Cette affirmation est également libératrice puisque, en niant toute autre soumission, en la prononçant, le musulman défie en quelque sorte le pouvoir temporel d’autres humains. Dans l’absolu, il n’est soumis qu’à Dieu, ce qu’il marque symboliquement dans sa prière rituelle, jusqu’à l’effacement…
6Mohammed est désigné en islam par deux termes, selon que l’on considère chacune de ses deux grandes missions ou fonctions : il est en même temps un prophète de Dieu, nabi, parmi la longue chaîne de ceux qui ont exhorté les hommes, et son messager, rasûl, le détenteur d’un message divin universel. Cette dualité est retrouvée dans la double étymologie du terme : le latin prophetia (ou prophétie), repris au grec prophêteia (ou interprétation de l’action des dieux). Il est de nombreux nabis ; le nabi est celui qui arrive pour éveiller les consciences, ramener à l’ordre les égarés, ou ceux qui s’écartent de la voie. Il est un éveilleur, inspiré de Dieu. Le rasûl a un statut bien supérieur. À la différence des nombreux autres prophètes (Noé-Nouh, Zacharie-Zaccariya, Jonas-Younès, Elie-Ilyas), seuls Moïse et Jésus (et bien sûr Mohammed) ont cette qualité de rasûl, Envoyé de Dieu, doté d’un message.
7Ce détenteur d’un message divin universel ne substitue pas le message divin par rapport à ce que Dieu a déjà choisi de révéler par Moïse et Jésus. L’islam n’a pas la prétention d’être une religion remplaçant les autres Révélations. Elle vient les compléter et parfaire ce qu’il y a de généreux dans l’âme humaine. Le Coran indique :
Il n’y a pas d’autre Dieu que Dieu, le Vivant. Il t’a envoyé le livre contenant la vérité et qui confirme les Écritures qui l’ont précédé. Avant lui Il fit descendre le Pentateuque et l’Évangile pour servir de direction aux hommes. Il a fait descendre le livre de la Distinction.
9Ou encore :
Dis aux hommes des Écritures : Vous ne vous appuierez sur rien de solide tant que vous n’observerez pas le Pentateuque, l’Évangile et ce que Dieu a fait descendre d’en haut. Le livre que tu as reçu du ciel, ô Mahomet, ne fera qu’accroître la rébellion et l’infidélité d’un grand nombre d’entre eux ; mais ne t’inquiète pas du sort des infidèles. Ceux qui croient, les juifs, les sabéens, les chrétiens qui croient en Dieu et au jour dernier, et ceux qui auront pratiqué la vertu, seront exempts de toute crainte et ne seront point affligés.
11Anne-Marie Delcambre, dans son livre Mahomet, la parole d’Allah [4], nous dit même :
Dans l’Évangile selon saint Jean, Jésus annonce qu’il enverra un paraclet, paracletos, « avocat » en grec. Les musulmans ont lu periclitos, « le plus loué », qui se dit mohamet en arabe. Le Coran affirme ainsi que la naissance de Mahomet a été annoncée par les prophètes antérieurs.
13Comment dans ces conditions d’annonce un musulman pourrait-il être antijuif ou antichrétien !
14Il existe donc une logique de continuité du message divin et l’on ne peut imaginer de discrimination ou de préjudice vis-à-vis de telle ou telle religion, que ce soit au nom d’un motif religieux ou même politique. Sur ce dernier aspect, en l’absence de position officielle d’un « clergé » (au sens hiérarchique du terme), il est habituel, pour analyser les courants de pensée communs aux musulmans, de faire appel aux trois sources qui les inspirent :
- le Coran, qui contient la parole divine et les prescriptions aux musulmans ;
- puis les hadiths, ou paroles et actes exemplaires du Prophète Mohammed (sira) [5] ;
- enfin les éléments de la jurisprudence.
15La démarche en différentes strates décisionnelles est illustrée par un hadith du Prophète sous forme de dialogue avec un de ses compagnons :
– Sur quoi baser mes jugements ?
– Sur le Coran.
– Et si le Coran n’a rien spécifié ?
– Sur la Sunna [la tradition].
– Et si la Sunna n’a rien spécifié ?
– Sur l’ijmâ’ [ou consensus] des compagnons.
– Et s’ils n’ont rien dit ?
– Sur ta propre raison.
17Il n’y a pas de limites à la connaissance. Ainsi, Mahmoud Hussein, dans le récent ouvrage de vulgarisation Penser le Coran [6], plaide en faveur d’une découverte du texte et d’une recherche de son interprétation, faute de quoi l’appauvrissement de l’esprit est majeur :
En se privant ainsi d’une compréhension personnelle, librement élaborée, de l’univers que le Coran leur offre, c’est une part intime de leur identité, de leur confiance en soi, qu’ils mutilent. Ils ont alors tendance à se replier sur eux-mêmes et à s’isoler du monde, plutôt qu’à se lancer, avec les autres composantes de l’humanité, dans l’aventure d’un destin commun.
19Cela n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres de l’importance de maintenir vivace la réflexion, et ce, pour toutes les traditions et cultures. Le travail, la recherche étendent la notion de spiritualité, la complètent.
20Les musulmans peuvent ressentir une tension théologique particulière avec les autres monothéismes. La proximité théologique entre juifs et musulmans est grande, sans parler du voisinage, voire de l’identité sociale, anthropologique, familiale ou culturelle. À ce titre, on sait que l’hébreu et l’arabe comportent de grandes similitudes, car leur langue mère, la langue de ‘Akkad (celle d’Abraham-Ibrahim), est commune à tous les Sémites (un peu comme l’italien et l’espagnol d’aujourd’hui par rapport au latin). Les autres langues de l’époque, comme l’araméen, le nabatéen, le syriaque, le palmyrien, le phénicien, le cananéen, procèdent également de cette même veine linguistique, commune à tous ces peuples sémites.
21La filiation chrétienne par rapport au judaïsme est évidente, mais le musulman est troublé lorsqu’il observe que le judaïsme discute aisément avec le christianisme occidental (notamment depuis la Shoah), mais pas avec lui-même, alors qu’il se considère pourtant comme bien plus proche du juif que le chrétien ne l’est ! C’est sans doute l’un des fondements de la tension (politique bien plus que religieuse) observée. Plutôt que de parler de syncrétisme, il serait sans doute bien plus profitable à tous de mettre en commun le savoir accumulé par chacune des Traditions afin de tenter de comprendre l’Incommunicable.
22À partir d’un terreau polythéiste commun des Sémites, comme partout en Méditerranée, le judaïsme a fait un premier pas en concevant une divinité unique, mais sans pour autant cesser et refuser de reconnaître les autres divinités, devenant en quelque sorte monolâtre. Les juifs reconnaissent alors un seul Dieu – le Dieu d’Israël – mais tout en admettant l’existence de dieux « périphériques », qu’ils pouvaient aussi craindre. On arrive à ce paradoxe de Salomon le Sage qui construit le premier Temple consacré au Dieu d’Israël, tout en le dotant de chapelles périphériques consacrées aux ba’lim (divinités) de leurs voisins, afin de se concilier leurs faveurs. Cela explique secondairement l’exclusivisme du « Dieu d’Israël » par rapport aux autres dieux… La notion de peuple élu est ainsi comprise par certains non-juifs comme étant plus l’expression d’une forme de monolâtrisme persistant, maintenant une espèce de privilège d’exclusivité, que d’un « authentique » monothéisme d’expression universelle. La tension entre chrétiens (c’est-à-dire « juifs ouverts au monothéisme universel ») et juifs pourrait aussi être comprise selon une telle grille de lecture.
23Mohammed est initialement plus proche des juifs que des chrétiens, les premiers étant monolâtres alors que le triomphe chrétien se fait sur la base de la Sainte Trinité, dont la compréhension ne peut se réaliser pour un esprit musulman [7]. La Révélation mohammadienne prêche un retour à un monothéisme « pur », tel que celui prôné par Jésus dans les premiers temps avant l’intervention des discussions sur la nature humaine ou divine du Christ. Mohammed se situe donc dans la ligne des chrétiens ariens ayant refusé le dogme trinitaire imposé par le concile de Nicée. Pour certains musulmans même, une telle vision est l’apparition primitive d’une réforme du christianisme en Orient avant la lettre, avant Calvin et Luther, expliquant des points de convergence où se retrouvent musulmans et protestants. À la différence des protestants cependant, les musulmans gardent vive la référence au dogme de l’Immaculée Conception du Christ, et partant, la haute prééminence de la Vierge Marie (plus citée dans le Coran que dans la Bible…).
2 – La place du prophète Mohammed
24Dans ce qui aide à comprendre et à prendre les décisions, il faut distinguer un texte définitif (le Coran) de textes plus « ouverts », pouvant être interprétés de manière plurielle, et faisant intervenir la raison. Après le Coran, c’est l’exemplarité du Prophète qui est la plus notable. Le Coran indique : « Vous avez, dans le Prophète de Dieu, un bel exemple » (33 : 21). Sur un plan religieux, c’est l’exemplarité du Prophète qui est la plus notable, le croyant essayant de se rapprocher de lui, étant heureux par lui plutôt que pour lui. Cette distinction entre « par lui » plutôt que « pour lui » est la suite logique de la recherche d’un monothéisme absolu. Ce distinguo est fondamental pour comprendre la relation particulière des musulmans avec le Prophète de l’islam. Comme l’énonce bien Louis Massignon :
Le Prophète Mohammed, et tous les musulmans à sa suite vénèrent dans le Coran une forme parfaite de la Parole divine ; si la chrétienté est, fondamentalement, l’acceptation et l’imitation du Christ, avant l’acceptation de la Bible, en revanche l’islam est l’acceptation du Coran avant l’imitation du Prophète [8].
26Ainsi, dans le sillon du Prophète et pour le Créateur, le musulman se doit de s’élever en spiritualité et faire son ijtihad. Cet effort de découverte, de réflexion personnelle et de recherche vers Dieu est le véritable moteur de l’islam. En islam, la raison est le fondement de la religion. L’islam est la dernière Révélation : à la suite des Révélations du judaïsme et du christianisme, c’est maintenant la réflexion éclairée qui assurera la continuité du message divin. La raison est toutefois canalisée par la foi, la religion musulmane se présentant comme non seulement une foi, mais aussi une règle et une éthique de vie guidant les comportements du croyant [9], son but est de rendre l’homme majeur et libre.
27On comprend ainsi qu’une opposition théologique au judaïsme ou au christianisme est tout simplement impossible ! La volonté de construire une foi sur la base des enseignements de Moïse (Sidna Moussa) et de Jésus (Sidna Issa) aura également pour corollaire intéressant à la fois une appétence particulière pour la recherche mystique et une volonté de comprendre le pouvoir de l’exercice de la raison.
28Le Prophète est un homme de grande spiritualité, très au fait des strates, des couches successives que peut contenir le Coran, la parole divine qu’il retransmet. Le premier Imam ‘Alî ibn Abî Tâlib disait :
Il n’est point de verset qorânique qui n’ait quatre sens : l’exotérique (zâhir), l’ésotérique (bâtin), la limite (hadd), le projet divin (mottala’). L’exotérique est pour la récitation orale ; l’ésotérique est pour la compréhension intérieure ; la limite, ce sont les énoncés statuant le licite et l’illicite ; le projet divin, c’est ce que Dieu se propose de réaliser dans l’homme par chaque verset.
30Henri Corbin, qui rapporte ces paroles, cite plus loin un hadith qui représente pour lui la « Charte de tous les ésotéristes » en islam :
Le Qorân a une apparence extérieure et une profondeur cachée, un sens exotérique et un sens ésotérique ; à son tour ce sens ésotérique recèle un sens ésotérique (cette profondeur a une profondeur, à l’image des sphères célestes emboîtées les unes dans les autres) ; ainsi de suite, jusqu’à sept sens ésotériques (sept profondeurs de profondeur cachée) [10].
32Dans une telle logique de recherche vers Dieu, le mode particulier de progression mystique des soufis passe ainsi par l’accession successive de sept degrés (maqâmât) :
- Le repentir ;
- La crainte de Dieu ;
- La tempérance ;
- La pauvreté ;
- La patience ;
- La confiance absolue en Dieu ;
- Le consentement à la volonté divine.
33Cette recherche mystique évoque « la démarche dynamique de la vie du croyant sincère au Dieu unique, tendue vers cette réalisation de son unité mentale délivrée de la multiplicité des idoles des sensations ou des concepts, qui introduit au seuil de la Présence divine [11] ». Comment serait-elle différente de celle du juif sincère ou de celle du chrétien convaincu, en recherche d’absolu…
La société musulmane comporte des spécificités politiques, mais sans notion d’antagonisme religieux vis-à-vis des autres cultes
3 – L’organisation politique
34Si l’organisation politique de l’islam peut être distincte des Révélations précédentes, la filiation en est en revanche totalement acquise. L’orientaliste Bernard Lewis est fréquemment cité lorsque les rapports entre religion et politique sont évoqués pour l’islam. Il rappelle que, dans la Rome antique, César est Dieu. Pour le chrétien, il convient en revanche de rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu… Pour le musulman, Dieu est César. Il ne saurait y avoir d’autre source d’autorité que Dieu. Dans l’idéal, l’Église est l’État. En fait, outre la distinction entre « l’autorité et le pouvoir », il serait illusoire, comme l’enseigne Mohamed Arkoun [12], de réduire les rapports de la religion et de la laïcité à une simple séparation des pouvoirs. Ces rapports seraient encore plus délicats pour l’islam, qu’il définit comme « théologiquement protestant et politiquement catholique ».
35Mais également :
L’homme est appréhendé selon sa nature juridique et non philosophique, à condition d’entendre par droit la voix divine : chari’a. L’individu, ses droits et ses devoirs ne sont pas alors saisis « par rapport » à la société mais en tant que partie intégrante de la communauté des croyants. Il est personnalisé et s’identifie dans un tout social inéluctable qui le dépasse. Les droits de tous sont ainsi protégés par les obligations qu’impose la foi et qui s’identifient à la piété dans son acceptation la plus « religieuse » [13].
37À côté de la notion d’équité directement issue de la justice, la concorde entre les hommes est indispensable et représente la condition de leur liberté.
38En islam, la religion a une vocation pratique ; elle se propose de traduire des principes moraux et de préserver la cohésion sociale, en « ordonnant ce qui est convenable et interdisant ce qui est blâmable » (3 : 110). Il s’agit par conséquent de définir les limites et de promouvoir la responsabilité de l’homme tout en lui rappelant ses devoirs fondamentaux.
39Pour le musulman, la succession des prophètes Moïse, Jésus et Mohammed et la réflexion éclairée assurent ainsi la continuité du message divin. Cette logique permet de concilier la vision d’un monothéisme absolu, prônant l’implication individuelle de l’homme, avec le concept ancestral de communauté des croyants. Il n’y a ainsi pas de tension ni de rivalité avec les autres monothéismes.
40« Pas de contrainte en religion » (2 : 256), verset souvent invoqué pour illustrer la tolérance obligée vis-à-vis des autres croyants et l’absence d’obligation de conversion, mais s’adressant également et au premier chef aux musulmans eux-mêmes. « Dieu veut la facilité pour vous, Il ne veut pas, pour vous, de contrainte » (2 : 185). À partir de ses fondements religieux, les applications politiques de la loi islamique, c’est-à-dire les principes énoncés par le Coran, illustrés par les hadiths et étendus par les éléments de la jurisprudence, s’articulent et s’appliquent à trois niveaux de responsabilité : individuelle, collective, et étatique [14].
41– Responsabilité individuelle : elle affirme la responsabilité propre de l’individu. « Nul homme ne portera le fardeau d’un autre » (25 : 18). Il existe de plus une coresponsabilité de l’acte et de l’intention. « L’intention de l’homme vaut plus que ses actes ; les actes se mesurent aux intentions » (hadith). L’effort de recherche est valorisé et considéré comme une expression d’adoration. Le sujet n’est pas condamnable si l’intention est pure, même s’il se trompe, la réflexion sur la finalité étant primordiale.
42– Responsabilité collective : « Les croyants et les croyantes sont en rapports mutuels de protection : ils commandent le convenable et proscrivent le mauvais » (9 : 71) ; « Celui d’entre vous qui assistera à un acte répréhensible, qu’il le répare de sa main ou, s’il ne le peut point, par ses paroles ; s’il ne le peut pas non plus, qu’il le condamne en son cœur : c’est là le minimum de la foi » (hadith). On voit ainsi comment la notion de justice déborde du simple cadre individuel pour englober une logique de compréhension sociale, s’adressant ainsi à toute la communauté des croyants, dont ne sauraient être exclus les « Gens du Livre ».
43– Responsabilité étatique : l’État (le califat) est au service du citoyen. Bammate [15] rappelle la définition du califat selon al-Mâwardi, auteur du xie siècle : « On appelle califat l’autorité dont a été investie la personne qui remplace le Prophète dans sa double mission de défendre la foi et de gouverner le monde. » Ce « remplaçant », qui défend la foi, c’est-à-dire qui guide la prière, est le vicaire du Prophète et non de Dieu. Il doit préserver la cohésion sociale en promouvant le bien et en condamnant le mal.
44En islam, la religion devient un concept politique : c’est le lien qui unit les hommes. Religion et morale sont donc deux concepts identiques, comme l’a affirmé le Prophète, qui, interrogé sur le sens de la religion, répondit que « la religion, c’était les bonnes mœurs » (hadith [16]). Pour le musulman, son attitude, le droit, la morale procèdent également de l’acte de foi. À partir de cette base politique « normative », on comprend que l’exercice du droit se doit d’être exempt de toute discrimination.
45La citoyenneté en islam classique ne se fait ni par droit du sol (le jus soli) ni par droit du sang (le jus sanguini), mais par l’appartenance à la communauté islamique. Cette appartenance à la religion étant une sorte de jus religionis, les musulmans ne se voyant alors pas comme une « nation subdivisée en groupes religieux, mais plutôt comme une religion subdivisée en nations [17] »… Il va de soi qu’une telle définition ou vision de la citoyenneté en islam médiéval exclut les personnes non musulmanes comme citoyens de plein droit, tout en reconnaissant aux juifs et chrétiens, parce qu’ils appartiennent à la communauté des « Gens du Livre », une protection et un statut particuliers, celui de « protégé », de dhimmi (les dhimmis étant les bénéficiaires d’un pacte, d’un contrat particulier : la dhimma). Sous couvert d’un impôt particulier (jizya), juifs et chrétiens étaient libres d’exercer leur foi, tout en étant placés sous la protection des autorités politiques et religieuses (9 : 29).
46Les dhimmis étaient ainsi protégés par le droit, leurs biens et terres garantis, ainsi que l’exercice de leur culte, leurs synagogues et leurs institutions propres comme les lieux d’enseignement ou de justice. En retour, ils devaient reconnaître la souveraineté politique des musulmans et porter des vêtements distinctifs. Un tel statut, qui visait à marquer la supériorité de l’islam et des musulmans, serait inacceptable de nos jours, mais il a été au début de l’islam et durant des siècles un exemple de tolérance permettant une cohabitation plurireligieuse harmonieuse. Des crises politiques graves par leurs conséquences pour la communauté juive dans le monde musulman sont cependant survenues, comme les massacres de Fès et de Marrakech au Maroc (en 1033 et 1232), de Cordoue et de Grenade en Espagne (1010 et 1066), ou de Kairouan et de Tunis en Tunisie (1016 et 1145).
47Le musulman, lui, à titre individuel ou en tant que membre de la communauté des croyants, doit promouvoir sur terre « les droits de Dieu et les droits des hommes » (huqûq Allah wa huqûq an-nâs). C’est dans la mesure où une société musulmane ou un groupement musulman seront fidèles au commandement de promouvoir le bien et d’interdire le mal qu’ils seront justes. La notion de justice (‘adl) et la référence à l’homme juste (le Siddîq) sont d’une importance majeure en islam, si bien que « monde de l’islam » devrait être traduit par « monde de justice ».
48La justice ne se conçoit qu’à l’aune de l’égalité. Le Coran insiste pour que la justice soit égale pour tous. Le principe fondamental en islam est un principe égalitaire : « Tous les croyants sont frères », quelle que soit la condition sociale où Dieu les a placés. Un hadith du Prophète dit : « Les hommes sont égaux entre eux comme les dents du peigne du tisserand. Pas de différence entre l’Arabe et le non-Arabe, entre le Blanc et le Noir, si ce n’est leur degré de crainte de Dieu. » Accompagnant ce principe d’égalité et de solidarité, les différences religieuses existent, ont été voulues par Dieu, et ce dessein sera un jour compris de l’homme. Cependant, la logique politique de considération et de justice doit être respectée. Le Coran indique ainsi : « Si Dieu avait voulu, Il aurait fait de vous une communauté unique. Mais Il voulait vous éprouver en ce qu’Il vous a octroyé. Devancez-vous donc mutuellement dans les bonnes actions » (5 : 48).
4 – Le rôle de la raison et la poursuite de la recherche
49Nos esprits modernes comprennent le débat fondamental entre raison et foi, entre philosophie et théologie. Pour le croyant, la responsabilité de ses engagements est à la hauteur de la confiance que Dieu a placée en lui et du respect qu’il a pour Lui. Son encouragement pousse à garder son autonomie, non au sens dévoyé moderne, mais véritablement au sens du respect dû, par reconnaissance, amour, et soumission en Dieu. Musulmans et juifs se retrouvent dans la défense et la célébration de l’âge d’or andalou, lorsque ces communautés religieuses vivaient en harmonie, en bénéficiant l’une l’autre des effets d’une stimulation intellectuelle féconde. Comme le rappelle le philosophe Makram Abbès dans un ouvrage ici plusieurs fois cité [18], Maïmonide (1135-1204) et Averroès (1126-1198) ne se sont pas rencontrés, mais font preuve d’une étrange proximité philosophique faite de connivence émouvante sur l’exercice même de la philosophie et les places respectives de la religion et de la politique dans l’espace public et social.
50À la différence d’Averroès, rationaliste pour qui la raison est l’instrument qui sert à distinguer le bien du mal, on comprend la tension d’un saint Thomas d’Aquin, reprenant une conception déiste plus classique, pour qui la raison est confortée par la foi (ratio confortata fide), suggérant une intervention du divin dans l’acte même de penser. Le recul de l’histoire des idées nous a appris que ces deux notions ne sont pas deux contraires opposés, raison et foi ne s’excluant pas mutuellement. Là encore, nulle opposition d’essence partisane ou discriminatoire, si ce n’est une compréhension différente de l’Unique, à l’aune de la perception de sa propre croyance.
51Dominique Moïsi, chercheur à l’Institut français des relations internationales, soulève une distinction intéressante entre christianisme et judaïsme. Si pour lui le christianisme est une religion de la charité, le judaïsme est une religion de la justice, au sens du respect de la Loi. À sa suite, et dans une telle optique, on pourrait alors interpréter l’islam comme une religion de la raison…
52Pourtant, certaines tensions ont pu naître d’une différence de compréhension de certaines logiques philosophiques issues de ce fameux débat entre la raison et la foi, au sens d’une différence de perception des relations entre la personne, l’individu et sa communauté en Occident et en Orient. Certaines de ces dissensions ont pu secondairement faire l’objet de divergences politiques au nom de difficultés à réconcilier la valence spirituelle et la valence éthique des relations entre les hommes. Si tous comprennent la dimension de transcendance, qu’on la dénomme spiritualité, religion ou foi, la dimension philosophique – ou éthique – fait l’objet de divergences d’interprétation.
53La philosophie occidentale utilise la raison et le pouvoir formidable du Cogito de Descartes pour revendiquer : « Je pense donc je suis », ou plutôt cogito ergo sum, in arcem meum – « Je pense donc je suis, dans la forteresse de mon esprit », comme le rappelle opportunément Michel Maffesoli, insistant sur l’émergence d’une pensée individuelle, alors qu’elle n’était auparavant que collective. La philosophie orientale, elle, fait un détour par l’autre. Mille ans avant Levinas et Ricœur et leur découverte que, en éthique, l’homme couché « oblige » l’homme debout, elle affirme plutôt : « Tu es, donc je suis »… Nous sommes dans l’essence de la tension entre individu et communauté, au sens de l’Oumma, la communauté des croyants.
54Pour le théologien, la foi crée une dépendance vis-à-vis de Dieu, mais qui nous rend plus libres. Pour le philosophe, la liberté fait évoquer la raison. Mais les deux se rejoignent pour s’accorder sur le fait que l’homme a été créé pour être libre. La question des limites de sa liberté, de sa responsabilité renvoie une fois de plus à l’interaction entre l’individu et le groupe, à la différence entre la liberté intérieure et la liberté politique. Dans une vision sécularisée, la notion de liberté a plutôt évolué vers une notion de liberté politique que de liberté individuelle. Mais l’homme libre est celui qui peut se dominer, se maîtriser.
55Si j’ai besoin de l’autre, il reste cependant du domaine de mon libre arbitre de me conformer ou pas à l’idée d’un plan supérieur. Nous sommes à la limite de la croyance, question centrale qui n’est pas uniquement d’ordre religieux. Elle est en fait à la frontière entre le spirituel et l’éthique, la distinction étant sans doute une tension entre le fameux « Je » introspectif et philosophique et le « Nous » de l’éthique, de la justice ou de la sociologie.
Des tensions récentes, d’essence politique, et non théologique, sont apparues à la suite des bouleversements postcoloniaux du xxe siècle
56Les liens entre islam et judaïsme sont anciens et profonds ; ils ont été dès le début teintés d’ambiguïtés, les juifs étant tantôt loués, tantôt critiqués.
57Isaac et Ismaël, les deux fils d’Abraham, sont cités dans le Coran à plusieurs reprises comme prophètes (2 : 136) (3 : 84) (19 : 49). Ismaël et sa mère Hagar auraient été contraints d’émigrer vers le site de La Mecque, où ils furent rejoints par Abraham (2 : 125) (2 : 127-128). Abraham et son fils Ismaël y construisirent alors le sanctuaire de la Kaaba. Les arabes, très fiers de leur lignage abrahamique, Ismaël ancêtre des arabes et Isaac celui des juifs, vivent mal les doutes émis par les juifs sur leurs origines, en faisant un sujet de tensions entre les deux communautés. Une récente traduction de la Bible annonçant que l’Éternel a demandé à Abraham de sacrifier ce qu’il avait de plus cher, son fils unique, irait dans le sens d’une logique revendiquée par les musulmans [19]… Cette demande faite par Dieu à Abraham de sacrifier son fils concerne-t-elle Isaac, fils de Sarah, ou Ismaël, fils d’Hagar ? Il est remarquable qu’à aucun moment le Coran ne précise lequel des deux a été choisi par Dieu, l’essentiel étant le caractère exorbitant de la demande. Mais les hommes ont occulté la valeur réelle et la dimension du test de fidélité et d’amour exigé par Dieu, oubliant donc l’universalité voulue par ce message, et aujourd’hui chaque communauté défend sa version au détriment de l’autre, ce qui pourtant n’a vraiment aucune importance.
58Sur le fond, les similitudes entre les obligations des juifs (Mitsva) et celles des musulmans (Fardh) sont frappantes. Les interdits imposés aux juifs par Dieu (4 : 160) (6 : 146) sont aussi reproduits mais dans une version atténuée par l’islam. Ce fut d’ailleurs un des sujets de discorde entre les premiers musulmans et les juifs (6 : 145) (16 : 115).
59Au viie siècle après J.-C., vers 610, au début de l’islam, le judaïsme était très présent dans la péninsule arabique, bien plus que le christianisme. Les Lakhmides au nord de la péninsule étaient juifs tout comme les Himyarites au sud (actuel Yémen) ainsi qu’à Yathrib et ses environs. En 622, Mohammed, persécuté par les siens, quitte avec les premiers fidèles La Mecque pour Yathrib (qui deviendra Médine, la ville), épisode commémoré comme l’Hégire (Hijra). Dans cette oasis, située à six cents kilomètres au nord de La Mecque, vivait une importante communauté juive constituée de trois tribus en conflit entre elles et avec les autres communautés.
60L’arrivée du Prophète et de ses compagnons va être perçue comme une chance par certaines tribus juives. De fait, Mohammed y proclame la « Constitution de Médine » ou « Règlement de la Communauté de Médine », faite de raisons politiques qui l’emportent sur les considérations religieuses. D’après la Sîra d’Ibn Ishâq (premier biographe du Prophète, mort en 767), transmise par son disciple Ibn Hashim (mort en 834), cette constitution intégrait les juifs à la communauté des croyants (Oumma) (21 : 92) : « Aux juifs leur religion et aux musulmans la leur », mais ils appartiennent cependant à la même communauté (Oumma) des habitants de Yathrib [20].
61Cette constitution eut une courte existence d’à peine deux ans. Malgré les efforts de Mohammed, les tensions s’exacerbent et aboutissent rapidement à la rupture avec les juifs. Les promesses initiales faites aux croyants, peuples du Livre (chrétiens et juifs), de « recevoir leur rétribution auprès de leur Seigneur, sur eux nulle crainte et ils ne seront pas attristés » (2 : 62) (4 : 162) (5 : 69), tombent les unes après les autres.
62Nous devons ici citer plusieurs passages du Coran (4 : 54) (5 : 32) qui évoquent les descendants d’Israël (Banî Isrâ’îl) selon trois phases chronologiques :
63– Dans une première phase favorable, les juifs (Al-Yahûd) sont, d’après la généalogie, les cousins des arabes, descendants du Prophète Abraham à travers son fils Isaac et son petit-fils Jacob. Ils ont été choisis (élus) par Dieu pour remplir une mission. Dieu leur donna la préférence sur les autres peuples et leur accorda des avantages qu’il n’accorda à aucun autre peuple (5 : 20) (2 : 47). Les premières révélations coraniques manifestent une nette sympathie pour les « élus, en pleine connaissance sur le monde » (26 : 197) (19 : 58) (17 : 2) (32 : 23) (44 : 32) (45 : 16). Il est affirmé que le Dieu des juifs et des musulmans est le même (29 : 46). Il est aussi dit que le Prophète tenta en vain de les convaincre (2 : 41, 49), avant de se rendre à l’évidence du refus des juifs de le suivre, répondant même à ses prêches par une certaine moquerie. Les versets du Coran deviennent alors menaçants, traduisant la colère des musulmans de l’époque (2 : 75, 78, 79, 83, 85, 88, 93, 96) (3 : 75, 160, 161).
64– Puis le ton du Coran devient clairement véhément à l’égard des juifs, les traitant d’hypocrites. On apprend que les enfants d’Israël se sont détournés du message authentique qui leur avait été révélé, désobéissant à Dieu et se montrant ingrats face aux faveurs divines accordées par Lui (4 : 44, 46, 51,155, 157, 158, 160, 161) (5 : 13, 18, 41, 43, 51, 63, 64, 68, 70, 78, 79) (9 : 29, 35) (5 : 82). Enfin la rupture est consommée quand les musulmans se détournent de Jérusalem pour prier en direction de La Mecque (2 : 144).
65– Dernière phase, le Coran parle de certains juifs et chrétiens qui feignent d’ignorer l’annonce faite de façon explicite dans la Torah de la venue de Mohammed (7 : 157). Les juifs savaient mais ne voulaient pas en tenir compte (3 : 71). L’accusation suit alors que les juifs ont travesti le message de Dieu, et ridiculisé le Prophète et ses compagnons (4 : 54) (2 : 109) (5 : 64-64) tout en prenant toujours grand soin de distinguer les fautifs de l’ensemble de la communauté (3 : 113-115). La guerre doit être menée puisque la persuasion n’est plus de mise (2 : 256) (16 : 125).
66Mohammed finira par opposer les juifs aux chrétiens :
Les Détenteurs de l’Écriture ne sont pas à égalité. Parmi eux il est une communauté droite dont les membres, durant la nuit, récitent les louanges d’Allah, se prosternent, croient en Allah et au jour dernier, ordonnent le Convenable et interdisent le Blâmable, qui se hâtent dans les bonnes œuvres. Ceux-là sont parmi les Saints.
68Le Coran parle bien évidemment des chrétiens à l’exclusion des juifs et dira même :
Tu trouveras certes que les gens les plus hostiles à ceux qui croient sont les Juifs et les Associateurs et tu trouveras que les plus proches de ceux qui croient, par l’amitié, sont ceux qui disent : « Nous sommes chrétiens. » C’est que parmi ceux-ci se trouvent des prêtres et des moines et que ces gens ne s’enflent point d’orgueil.
70Historiquement, sur un plan pratique, la tribu juive des Banu Qainuqa, une des trois grandes tribus juives de Yathrib (Médine), est expulsée. « Assurément, Prophète ! Tu craindras une trahison de la part de certains. Rejette leur alliance, tout uniment ! Allah n’aime pas les traîtres » (8 : 58). Puis vint le tour de la deuxième tribu juive de Médine, les Banu Nadir, avec le meurtre du poète juif Kaab ibn Ashraf qui se serait moqué du Prophète. Certains juifs auraient même tenté d’empoisonner le Prophète (59 : 4). Il leur fut intimé de quitter la ville avec leurs biens, mais ils refusèrent dans un premier temps. Quand ils se décidèrent à accepter, ils n’eurent plus le droit que d’emporter le minimum. Ils se liguèrent et prirent alors les armes avec les Mecquois non musulmans contre le Prophète.
71Enfin, troisième et dernière tribu de Médine, les Banu Quraiza furent massacrés. Lorsque Médine fut assiégée par les Mecquois, le Prophète découvrit une conspiration ourdie par cette tribu, dont les membres furent tous éliminés à l’exception de trois hommes et une femme. À l’évidence, le politique a pris le dessus sur le spirituel. La logique de pacification des rapports humains, élevant les humains et intercédant avec Dieu [21], a cédé le terrain à une logique politique et conquérante altérant l’universalité et la portée du premier message.
72Hichem Djaït aide notre compréhension de ces faits. Pour lui, il y aurait deux systèmes de valeurs en islam :
73– Un premier qui vise à pacifier les rapports humains et les élève à un plus haut degré d’humanité. L’Homo islamicus est un homme responsable (4 : 85) qui intercède d’une bonne intercession et en obtiendra une part.
74– Le second est plus politique et social. Il couvre la majeure partie du comportement des hommes et répond à des recommandations coraniques aux contours plus flous. Il a fallu y adjoindre les hadiths (paroles du Prophète) et la Sunna (conduite du Prophète), sujets parfois à controverse et toujours à interprétation, ce qui complexifie et en même temps humanise le message du Prophète. La tentation est grande pour le pouvoir politique et religieux de s’approprier le message de Mohammed pour imposer une éthique temporelle politiquement correcte et éviter aux humains de s’écarter du droit chemin. Mais cela ne peut bien évidemment qu’altérer l’universalité et la portée du premier message.
75À Médine se trouvaient donc ceux qui sont alliés avec Mohammed (les musulmans, ses alliés médinois convertis), ses alliés médinois non convertis, et les juifs de Médine représentés par les trois tribus juives de Yathrib. Ces derniers, d’après le pacte de Médine, étaient authentiquement inclus dans la Oumma, la communauté des croyants. De nombreux juifs de Médine sont même devenus musulmans. C’est la distinction entre monolâtres et monothéistes qui a fait que la majorité des juifs est restée juive, les chrétiens, trinitaires, demeurant de facto extérieurs à ce débat théologique. Du point de vue musulman, ces « monolâtres » et ces « trinitaires » sont cependant considérés comme d’authentiques croyants, « Gens du Livre » devant être traités avec tous les égards dus à cet état.
76Comment comprendre qu’une telle proximité théologique, culturelle, sociale et humaine ait pu conduire aux temps modernes aux dissensions que l’on sait ? Sans les expliquer, deux réponses viennent à l’esprit : l’histoire nous a appris que les conflits les plus « durs » surviennent entre frères ; secondement, les tensions actuelles sont plus d’essence politique, circonstancielle, que vraiment théologique ou religieuse. On pense ainsi, dès le début de l’islam, à l’alliance secrète de deux des trois tribus juives de Médine avec les Koraïchites hostiles à Mohammed, par crainte de perdre leur spécificité et leurs intérêts en se fondant dans la Oumma. Plus que d’antijudaïsme ou d’antisémitisme (car si les arabes musulmans, comme les juifs, sont sémites, la grande majorité des musulmans non sémites n’est pas antisémite par déférence au Prophète et aux premiers musulmans), il existe une forme de méfiance, ou plutôt de défiance née d’une perte de confiance commencée après une parole non tenue.
77Après la Shoah, au lieu de se rapprocher des musulmans, ce qui aurait été naturel étant donné la protection active, notamment contre le régime de Vichy, organisée en Afrique du Nord par les musulmans, est apparu un phénomène de rejet des Arabes, qu’ils soient chrétiens ou palestiniens. La réconciliation objective actuelle des juifs avec les bourreaux d’hier devrait en toute logique être accompagnée d’une meilleure compréhension des revendications politiques de leurs frères sémites.
78Lors de la période coloniale, dans la plupart des pays musulmans, l’individu a dû subir un nouveau statut. On lui a permis de continuer à suivre les règles de la chari’a pour les éléments du statut personnel comme le mariage, le divorce ou les règles de succession. Mais il a perdu ses droits de citoyen, même s’ils étaient archaïques, pour devenir le sujet d’un État et d’un droit qui lui étaient étrangers. Il a ainsi été privé d’une série de droits et de devoirs (huqûq wa fudûl) qui étaient les siens en tant que membre et citoyen de la Oumma, jusqu’à la chute du califat Ottoman (1924) qui en était le garant.
79Des tensions vont naître entre juifs et musulmans en Algérie après la promulgation du décret Crémieux de 1870 octroyant la citoyenneté française aux juifs d’Algérie. Mû par des motifs humanistes, rationalistes et universalistes, Adolphe Crémieux modifie le cadre traditionnel des relations entre « indigènes » (juifs et musulmans étant au début de la colonisation française d’authentiques « co-indigènes »), ce qui conduira secondairement à des tensions entre les communautés, et également à un regain d’antisémitisme des Européens derrière lequel « se profile la peur du “péril arabe” » [22].
80Ce sont ici des logiques de relations politiques (comme celles aiguisées depuis le 11 septembre 2001), bien plus que des considérations religieuses, entre et avec juifs (et chrétiens) qui conduisent à des expressions d’extrémismes encore inconnus il y a peu et toujours choquants pour qui veut bien se souvenir [23].
81La période coloniale est importante car elle met en présence aussi bien les musulmans colonisés que les musulmans encore citoyens de l’État ottoman (comme la Libye, province ottomane jusqu’en 1912 et même turque jusqu’en 1927, ou la Syro-Palestine) à travers les règles de droit étranger qui leur sont appliquées directement ou qu’ils sont incités à adopter avec une nouvelle vision, une nouvelle réalité, une nouvelle approche des droits de l’homme et du citoyen. Ce fut par exemple la période des Tanzimât (ou réformes) dans l’Empire ottoman.
82Ces principes, bien élaborés et souvent assez bien appliqués après les grandes révolutions européennes, ont été des modèles que de nombreux réformistes (Muhammad ‘Abduh en Égypte, Ahmad Reza et Jamal Eddine Al-Afghani en Afghanistan-Turquie et Muhammad Iqbal en Inde) ont souhaité introduire dans le Dar al-Islam, la « maison commune de l’Islam ». Al-Afghani, en visitant la France, a dit haut et fort : « J’ai trouvé en France et en Europe des institutions et des droits islamiques [ce qui correspond aux mu’âmalat] sans Islam », ou encore : « J’ai trouvé des musulmans sans Islam alors qu’en Orient il y a un Islam sans musulmans », c’est-à-dire que, pour lui, les principes qui régissent les relations entre l’individu et l’État, voire les relations entre les individus, n’existent plus ni dans la forme ni dans l’esprit.
Ces tensions devraient s’effacer derrière un dialogue interreligieux fructueux, une même quête d’absolu
83Descartes, Pascal ou Montaigne nous ont permis de mieux comprendre l’importance de la méthode de réflexion pour réaliser la recherche de vérité, en s’imposant un absolu qu’on ne saurait trouver du côté du moindre mal ou du compromis trop facile. À leur suite, des auteurs plus modernes, Rousseau, Machiavel, Habermas ou Jonas, nous ont appris l’importance de garder ses convictions tout en étant conscient des réalités. Réalité n’est pas vérité, même si le réel est vrai… Ces auteurs nous ont montré que le dissensus peut être un acte de courage, que le pouvoir de dire « non », de ne pas consentir [24], peut être tout ce qui reste face à la violence et à la barbarie, fût-ce au prix de sa propre vie.
84Sur un plan mystique, l’alliance de la transcendance et de l’immanence, essentielle en islam, peut nous donner des pistes intéressantes. Reprenons un fameux poème soufi d’Ibn ‘Arabi :
86Michaël Barry [26] explicite les relations de tensions théologiques entre musulmans, juifs et chrétiens. Résumant la pensée de Farid al-Din ‘Attar, poète persan du xiie siècle, il indique :
Pour ‘Attar, cependant, judaïsme, christianisme et islam représentent, avant tout, trois étapes spirituelles successives dans la perception du Divin : le juif maintient la Transcendance de Dieu sans reconnaître Son Immanence ; le chrétien, trop abîmé dans la contemplation de l’Immanence divine en Jésus, en oublie la Transcendance divine ; seul le musulman accompli, correctement guidé par Muhammad, perçoit à la fois un Dieu unique et Transcendant, mais aussi un Dieu manifeste et Immanent à travers toute Sa Création.
88Théoriquement, la transcendance représente des rapports de droit ou de vérité immuables, indépendants des faits, qui s’élèvent au-dessus du niveau moyen. En philosophie, la transcendance désigne les termes qui sont d’une signification si universelle qu’ils dépassent toutes les catégories (comme Un, Être, ou Vrai). Par extension, ces éléments qui dépassent un ordre de réalités déterminées supposent l’intervention d’un principe extérieur ou supérieur. L’immanent, en revanche, est ce qui réside dans le sujet agissant. C’est le contraire de la transcendance car il définirait le principe selon lequel tout est intérieur à tout, où un « au-delà » de la pensée serait impensable. Certes, la réconciliation de ces deux valences apparaît (ou est ?) une tâche impossible. Le christianisme le tente, le symbole de la Croix pouvant être interprété comme l’alliance entre la Transcendance, verticale, et l’Immanence, horizontale. De fait, il est de notre devoir de tenter cet impensé, de se frotter à la compréhension de l’autre en mettant en commun nos mutuelles découvertes…
89À titre d’exemple, en suivant une telle démarche, le Prologue de saint Jean pourrait se retrouver en belle correspondance avec la sourate Al-Nour, la Lumière. Le Prologue annonce :
91Il est saisissant de noter la correspondance du premier verset de l’avant-dernière sourate du Coran (113 : 1) : « Je prends refuge auprès de Celui qui fait éclater l’aurore. » Corbin [28] rapporte le début du commentaire qu’en fait le philosophe et médecin Avicenne :
« Je prends refuge auprès de Celui qui fait éclater l’aurore », c’est-à-dire auprès de celui qui fait éclater la ténèbre du non-être par la lumière de l’être, et qui est le Principe primordial, l’Être nécessaire par soi-même. Et cela (cet éclatement de lumière), comme inhérent à sa bonté absolue, est en son ipséité même par intention première. Le premier des Êtres qui émanent de lui (la première Intelligence) est son Émanation. Le Mal n’existe pas en elle, hormis ce qui se trouve occulté sous l’expansion de la lumière du Premier Être, c’est-à-dire cette opacité qui est inhérente à la quiddité qui procède de son essence.
93Et Corbin de conclure :
Ces quelques lignes suffiraient à montrer comment et pourquoi l’exégèse spirituelle du Qorân doit figurer parmi les sources de la méditation philosophique en Islam.
95On comprend l’importance, la valeur et la grandeur de ce que serait un authentique dialogue entre religieux (plus qu’interreligieux…) si tant est qu’en suivant Teilhard de Chardin « tout ce qui s’élève converge »…
96Entre universel et culturel, nous devons avoir une volonté « éthique » au sein d’une société d’ouverture et de dialogue pour élever la réflexion et permettre de reconnaître des éléments consensuels au sein des grands principes, au sein de chacun des universels moraux du monde. Les hommes, quoique différents, n’en restent pas moins égaux ! L’équité de la formule « égaux en droits » de la Déclaration universelle des droits de l’homme ne doit pas nous faire oublier notre impératif moral de justice et de lutte contre les inégalités (comme assurer la promotion du plus pauvre, du plus fragile, du plus vulnérable) et en même temps de l’élévation spirituelle de tous. Non contents d’être égaux (quoique différents), nous devons de surcroît, chacun, être meilleurs encore.
97La Justice appelle la construction d’un idéal en une démarche proche de celle de la recherche de la vérité. Le philosophe Ali Benmakhlouf, dans sa contribution à un ouvrage collectif [29], souligne l’enjeu de la réinterprétation de la loi divine en loi d’excellence :
La loi divine perd en quelque sorte son caractère anhistorique pour apparaître dans un horizon humain : une loi divine est ce que l’homme, dans sa recherche d’excellence, appelle « loi divine ». Celle-ci n’est pas l’inconditionné qui intervient dans le conditionné ; c’est une excellence liée à des actions bonnes. L’activité juridique relative à la position ou à la reconnaissance des principes du droit ne peut être déconnectée ni de la réalité extérieure en général, ni, en particulier, des circonstances humaines concrètes.
99Le musulman sincère ne saurait donc faire preuve de racisme ou de discrimination. En considérant, selon un point de vue musulman, la religion comme égale de la morale, alors les deux hadiths suivants (cités par Jacques Berque [30], professeur honoraire au Collège de France) ont une résonance particulière : « Lorsque tu n’éprouves pas de sentiment de honte, agis à ta guise. » Berque rappelle que « ce hadith est le pivot autour duquel tourne l’Islam tout entier ». C’est exactement la même logique que celle de Pascal, pour qui la vraie morale se moque de la morale…
100Un dernier hadith est tiré du même livre :
Comme j’allais trouver un jour l’Envoyé de Dieu, il me dit : « Tu es venu me demander en quoi consistait la vertu. » – « Oui », lui répondis-je. – « Consulte ton cœur », me dit-il alors. « En effet, la vertu, c’est ce qui met ton âme en paix. Le mal, au contraire, c’est ce qui s’établit en toi et revient sans cesse à ta conscience, même si les gens que tu consultes à ce sujet t’autorisent à le faire. »
Notes
-
[1]
Les citations ultérieures du Coran dans ce texte seront faites simplement de l’annonce de la sourate et du verset : (96 : 1-5).
-
[2]
Odon Vallet, Petit Lexique des idées fausses sur les religions, Paris, Albin Michel, « Spiritualités », 2002.
-
[3]
Marcel André Boisard, L’Islam aujourd’hui, Paris, Éditions de l’Unesco, 1985.
-
[4]
Anne-Marie Delcambre, Mahomet, la parole d’Allah, Paris, Gallimard, « Découvertes » (n° 22. Série Religions), 1987.
-
[5]
Récemment traduits et commentés par Mahmoud Hussein, Al Sira (Le Prophète de l’islam raconté par ses compagnons), Paris, Grasset, 2005 (t. I) et 2007 (t. II).
-
[6]
Id., Penser le Coran, Paris, Grasset, 2009.
-
[7]
Encore que le débat ne soit pas clos sur cette question, comme le suggère D. Masson dans l’introduction de sa traduction du Coran (Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1967, p. XLV) : « (Le Coran s’attaque violemment à une sorte de “trithéisme” étranger au dogme chrétien de la Trinité mais que la Tradition musulmane a coutume de lui attribuer) ». voir aussi D. Masson, Monothéisme coranique et monothéisme biblique. Doctrines comparées, Paris, Desclée de Brouwer, 1976, 821 p.
-
[8]
Louis Massignon, Sur l’islam, Paris, L’Herne, « Collection Confidences », 1995.
-
[9]
Odon Vallet, Petit Lexique des idées fausses sur les religions, op. cit.
-
[10]
Henri Corbin, Histoire de la philosophie islamique, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1986.
-
[11]
Louis Massignon, Sur l’islam, op. cit.
-
[12]
Mohamed Arkoun, L’Islam. Approche critique, Paris, Éditions Jacques Grancher, « Ouverture », 1992.
-
[13]
Odon Vallet, Petit Lexique des idées fausses sur les religions, op. cit.
-
[14]
Tuhami Negra, Un équilibre fragile : droits, responsabilités, liberté. L’individu et la société en Islam, Paris, UNESCO, 1998.
-
[15]
Nadjm-oud-Dine Bammate, L’Islam et l’Occident, Dialogues, Paris, Éditions Christian Destremau, « Dialogue interculturel », UNESCO, 2000.
-
[16]
Henda el Fekih, Penser le social. L’Individu et la société en Islam, Paris, UNESCO, 1994.
-
[17]
Bernard Lewis, « The revolt of Islam », The New Yorker, 19 novembre 2001.
-
[18]
Makram Abbès, « Le milieu philosophique andalou », in Abdelwahab Meddeb et Benjamin Stora (dir.), Histoire des relations entre juifs et musulmans, des origines à nos jours, Paris, Albin Michel, 2013, p. 764-777.
-
[19]
La Bible, trad. André Chouraqui, Paris, Desclée de Brouwer, 2010.
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[20]
William Montgomery Watt (Mahomet, Paris, Payot, 1989, p. 628) avance cette traduction du texte de Ibn Hashim :
« Le Messager de Dieu – SAW – rédigea un écrit ayant trait aux Émigrants et aux Ansârs (littéralement Partisans, Médinois nouvellement ralliés à l’islam), écrit par lequel il établissait un traité et une alliance avec les juifs, les confirmait dans leur religion et leurs possessions, leur donnant certains droits et les obligeant à certains devoirs :
“Au Nom de Dieu, le Miséricordieux, le Compatissant,
Ceci est un écrit de Mohammed le Prophète, concernant les croyants, les musulmans qurayshites (Tribu de La Mecque), ceux de Yathrib, ceux qui les suivent, qui leur sont attachés et qui guerroient avec eux.
1. Ils forment une communauté unique (Umma) (21 : 92) distincte des autres peuples.
9. Si quelqu’un parmi les juifs nous suit, il a droit à la même aide, au même appui, à condition que les croyants ne soient pas lésés par lui et qu’il n’aide pas d’autres gens contre eux…
12. Les juifs supportent les frais de la guerre en même temps que les croyants aussi longtemps qu’ils demeurent en guerre.
13. Les juifs de Banu Awf forment une communauté (Umma) semblable à celle des croyants. Que les juifs aient leur religion et que les croyants aient la leur (cela s’applique) aussi bien à leurs clients qu’à eux-mêmes, à l’exception de celui qui aurait mal agi ou qui se serait conduit en traître ; il n’attire le mal que sur lui-même et sur sa famille…
16. C’est aux juifs de supporter leurs dépenses et aux musulmans de payer les leurs. Entre eux, il y a de l’entraide contre quiconque entre en guerre avec le peuple de ce document. Entre eux existent une amitié sincère et une façon d’agir loyale et non la trahison. Un homme n’est pas coupable de trahison à cause (d’un acte) de son confédéré. Il y a de l’aide pour la personne lésée.” » -
[21]
Hichem Djaït, La Crise de la culture islamique, Paris, Fayard, 2004, p. 300.
-
[22]
Benjamin Stora, « Le décret Crémieux », in Abdelwahab Meddeb et Benjamin Stora (dir.), Histoire des relations entre juifs et musulmans, des origines à nos jours, op. cit., p. 286-291.
-
[23]
Mark R. Cohen, « L’antisémitisme musulman : phénomène ancien ou récent ? », in Abdelwahab Meddeb et Benjamin Stora (dir.), Histoire des relations entre juifs et musulmans, des origines à nos jours, op. cit.
-
[24]
Primo Levi, Si c’est un homme, Paris, Pocket, 1988.
-
[25]
Ibn ‘Arabi, Fusûs al-Hikam, « Les Gemmes de la Sagesse ».
-
[26]
Michaël Barry, « Les Juifs dans la mystique islamique », in Abdelwahab Meddeb et Benjamin Stora (dir.), Histoire des relations entre juifs et musulmans, des origines à nos jours, op. cit.
-
[27]
« Évangile de Jean », La Bible Bayard, trad. Florence Delay et Alain Marchadour, Paris, Bayard, 2009.
-
[28]
Henri Corbin, Histoire de la philosophie islamique, op. cit.
-
[29]
Ali Benmakhlouf, « Al-Fârâbî, la religion entre cosmologie et politique », in Jacqueline Lagrée et Philippe Portier (dir.), La Modernité contre la religion ? Pour une nouvelle approche de la laïcité, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
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[30]
Jacques Berque, Relire le Coran, Paris, Albin Michel, 1993. p. 139.