Couverture de LFA_212

Article de revue

Littéracie et démarches pédagogiques engageantes

Pages 5 à 13

Notes

  • [1]
    L’orthographe de ce terme est encore fluctuante. Dans les pages qui suivent, nous l’avons harmonisée en « littéracie », car les autres formes sont soit hors d’usage, soit peu productives morphologiquement. Ainsi, « litéracie » n’a pas été retenue car, bien qu’étant étymologiquement justifiée par rapport à l’origine anglo-américaine « literacy » des recherches anthropo- et ethnographiques (cf. Jaffré 2004), elle n’a pas vraiment été retenue dans l’usage actuel. De même, la forme « littératie », majoritairement utilisée dans les travaux québécois, a été écartée car elle ne permet pas la dérivation adjectivale en « littéracique ».

1Ce numéro propose une réflexion sur le développement de pratiques littéraciques chez les apprenants de tous niveaux en lien avec des démarches pédagogiques engageantes. La notion de littéracie[1] présentant une grande plasticité sémantique, il nous parait important de préciser d’emblée que nous abordons cette notion, à l’instar de M. Rispail, comme « l’aisance à circuler à travers les modes écrits, inscrits ou oraux » (2020 : 14), dans la perspective d’une « ethnolittéracie », dynamique et ouverte à l’altérité (et donc aussi à la variation). Par ailleurs, la notion d’engagement est entendue ici selon l’optique de la psychologie culturelle (Bruner 2008 ; Chauveau et alii 2011 ; Barth 1989) ou encore au sens de l’empowerment (Baqué et Biewener 2013), dans l’acception émancipatrice de cette notion conçue comme levier de la construction du sens en situation d’enseignement-apprentissage du français écrit.

Une réflexion qui articule contexte scolaire et sociétal

2Notre réflexion prend sa source dans une série de constats portant à la fois sur le contexte pédagogique (façon de travailler l’écrit en milieu scolaire et degré de maitrise de la compétence écrite en fin de scolarité obligatoire) et le contexte sociétal (inégalités d’accès à l’écrit) qui impactent directement l’école et le travail des enseignants. 

3Concernant le contexte pédagogique, la question d’un accès inégal à l’écrit est bien réelle et préoccupe depuis les années 1980 les didacticiens de l’écrit (cf. Dabène 1987 ; Reuter 1996 ; Barré-de-Miniac 2015 ; Delamotte-Legrand et alii 2000) et les sociologues (notamment Lahire 2008, 2019 ; Bonnery et Joigneaux 2015 ; Bautier, éd., 2006 ; Rochex et Crinon, éds, 2011). On questionne par exemple « les ratés de l’apprentissage de la lecture » (Nonnon et Goigoux, éds, 2007), en constatant des compétences littéraciques trop fragiles, des savoirs et des savoir-faire mal stabilisés du côté de l’écrit, un rapport à la lecture et à l’écriture problématique pour de nombreux élèves en fin de scolarité obligatoire. Les résultats des travaux des recherches en didactique de l’écrit ont du mal à pénétrer les pratiques dans l’ensemble des classes, comme le confirme la stagnation des résultats de l’enquête internationale PISA, depuis les années 2000 jusqu’à aujourd’hui (2018), notamment en compréhension de l’écrit. Ainsi, ces constats avérés qui se répercutent sur le terrain aux différents niveaux de la scolarité confortent l’idée de la nécessité d’une refondation de l’enseignement-apprentissage du lire-écrire (Bucheton 2014).

4Du côté sociétal, on observe deux phénomènes qui impactent directement l’école et le travail des enseignants.

5En premier lieu, les exigences en matière de littéracie connaissent une hausse régulière (Delarue-Breton et Bautier 2015) : tous nos actes de la vie quotidienne dépendent fortement d’un recours de plus en plus systématique à l’écrit, dans des situations littéraciques de plus en plus diversifiées et complexes. Dans un contexte largement transformé par la généralisation des technologies au service de l’information et de la communication, la maitrise de l’écrit demeure plus que jamais un gage de réussite scolaire, sociale et professionnelle (Boutet 2001 ; Fraenkel 2001) et apparait aussi comme un outil incontournable d’expression personnelle, de jugement critique et d’émancipation.

6Par ailleurs, face à l’arrivée massive de nouveaux publics relevant de l’inclusion scolaire (enfants en grande précarité sociale, allophones, jeunes réfugiés, élèves souffrant d’un handicap, etc.), le peu de moyens (humains et matériels) attribués à leur prise en charge effective complique considérablement la tâche des enseignants. Dans le domaine de l’accès à l’écrit, comment faire en effet pour donner les mêmes chances de réussite à des élèves dont les parents sont sans domicile fixe, à des élèves handicapés, ou encore à des élèves qui n’ont pas reçu au sein de leur famille les codes d’accès de la culture écrite et les comportements sociaux, valorisés scolairement, qui s’y rapportent ? Comment accueillir dignement ces élèves en leur permettant de trouver du sens à leur formation en tant que scripteurs-lecteurs ? Le dernier ouvrage de B. Lahire (2019) dénonce ce « grand scandale » consistant à oublier les inégalités scolaires qui apparaissent dès le plus jeune âge et constituent le ferment des inégalités d’accès à l’écrit.

7Ces constats révèlent ainsi le défi qui est donné aux enseignants et aux formateurs de former, dans ce contexte difficile, des élèves scripteurs-lecteurs suffisamment outillés pour faire face aux exigences littéraciques de la société contemporaine (Frier 2010 ; Guernier et Sautot 2017). Des enseignants épuisés et découragés, et par ailleurs soumis, au gré des réformes successives, à des injonctions contradictoires qui les éloignent souvent du sens de leur métier.

Explorer la face cachée de la didactique de l’écrit

8Nous pensons que si l’école ne peut pas tout, elle peut quand même beaucoup et que l’enseignant, en tant que « passeur », joue un rôle crucial dans le destin littéracique des élèves qu’il croisera sur sa route. C’est pourquoi ce numéro, à travers les différentes contributions proposées, tente d’aborder les choses différemment, d’abord en prenant le contrepoint des discours de déploration, ensuite en mettant la focale sur les pratiques pédagogiques qui favorisent le développement d’une « posture littéracique » (Rispail 2020).

9Nous avons cherché dans ce numéro à donner la parole aux acteurs de terrain. S’il existe de nombreux travaux de recherche portant sur ces pratiques (par exemple sous la forme de recherches-actions), ils sont peu valorisés ou médiatisés, car non nécessairement relayés par les canaux institutionnels. C’est pourquoi leur généralisation ainsi que leur diffusion institutionnelle (vers la formation des enseignants) ne vont pas de soi. Or nous considérons que ces travaux méritent plus de visibilité, car ils apportent souvent des réponses inédites et ouvrent des perspectives d’une grande richesse.

10Notre objectif ici a donc été d’évoquer la face cachée de la didactique de l’écrit, en présentant des pratiques pédagogiques ayant fait l’objet de travaux de recherche restés souvent confidentiels.

11Pour qualifier et déterminer ces pratiques pédagogiques relevant d’une vision renouvelée de la littéracie, nous avons choisi un dénominateur commun : l’engagement. Le numéro accueille donc des travaux explorant des dispositifs qui placent l’engagement (de l’élève mais aussi de l’enseignant et du formateur) au cœur des pratiques langagières de la classe et qui visent à agir sur l’engagement de l’élève comme levier didactique dans l’apprentissage du dire-lire-écrire. Ces démarches « engageantes » n’ont rien de commun avec une « recette pédagogique » ; elles se déclinent au contraire dans une variété de situations visant la construction d’un rapport à l’écrit articulant subjectivité et réflexivité, individuel et collectif, oral et écrit, dans un esprit de reliance (Morin 2004).

Présentation des contributions

12Les différents articles qui composent ce numéro illustrent, chacun à sa manière, comment mettre en œuvre concrètement une pédagogie contribuant au développement d’une posture littéracique dans des contextes et auprès de publics très variés (scolaires / non scolaires, adultes, adolescents, francophones, allophones, etc.).

13Les trois premières contributions traitent de dispositifs axés sur l’engagement dans l’écriture :

14L’article de Pauline Sirois, Alice Vanlint et Anne-Sophie Gravel s’intéresse à l’écriture de récits à l’école primaire dans un contexte québécois. L’objectif est de rendre compte d’une expérimentation menée auprès de trente-quatre élèves scolarisés en classes ordinaires dans le cadre d’une étude longitudinale. Réalisée en collaboration avec les enseignants dans le cadre de séances d’écriture hebdomadaires ou bi-hebdomadaires ritualisées, l’expérimentation cherche à s’éloigner des modèles normatifs imposant une structure prédéfinie et linéaire du texte narratif. Elle est fondée au contraire sur une approche pédagogique développementale et constructiviste visant à développer un rapport positif à l’écriture, capable de prendre en compte non seulement le rapport à l’écriture de l’élève, mais aussi son insécurité scripturale, à valoriser ses compétences déjà installées, sa créativité. Du côté de l’enseignant, il s’agit de s’impliquer activement tout au long du processus d’écriture et de changer de regard face aux productions d’élèves en troquant une posture de lecteur ou d’éditeur de textes contre celle d’évaluateur. À l’issue de l’étude, l’effet engageant de ce dispositif est évalué à travers la perception qu’ont les élèves d’eux-mêmes en tant que scripteurs/trices (« J’écris bien ») et, d’autre part, leur motivation à écrire des textes (« J’aime écrire des textes »). Les analyses réalisées mettent en évidence l’élévation du niveau de motivation et du sentiment de compétence en écriture chez les élèves de l’étude (garçons et filles, en difficulté d’apprentissage ou non).

15Cindy De Amaral interroge l’engagement d’élèves de lycée professionnel dans un dispositif d’enseignement de l’écrit par ateliers. L’analyse des données recueillies lors de la mise en œuvre de ce dispositif a fait état d’une inversion des hiérarchies habituelles de la classe : il apparait que, pour certains élèves jugés par leurs enseignants comme de bons élèves, le dispositif n’a pas bien fonctionné. La notion d’engagement est ainsi mobilisée à postériori, à titre de facteur explicatif. L’auteure montre en quoi le dispositif répond à des critères jugés favorables à l’engagement des élèves. La notion d’engagement fait alors écho, pour le lecteur, à la notion de rapport à l’écrit ou au fait de placer les élèves en situation de résolution de problèmes. Le fait que certains élèves n’aient pas jugé le dispositif bénéfique est analysé en termes d’« engagement différencié » : à travers deux études de cas, l’auteure conclut que le problème tient notamment à la valeur que les élèves attribuent au dispositif. En retour, ces constats appellent à travailler sur la différenciation dans la conception de dispositifs qui se veulent novateurs et engageants, mais peuvent provoquer une forme de retrait de la part d’élèves dont l’engagement dans des dispositifs scolaires habituels semble davantage aller de soi.

16Ciblant des élèves bi- ou plurilingues dans des classes québécoises, Catherine Maynard conçoit et teste une démarche pédagogique axée sur l’orthographe grammaticale et s’inscrivant dans des contextes « d’empowerment » favorisant l’affirmation identitaire des élèves et par là même leur engagement cognitif et affectif. Dans cette perspective, le dispositif testé emprunte à différentes approches (approche intégrée, dictées métacognitives, approches plurilingues) supposées favoriser la reconnaissance des savoirs et savoir-faire linguistiques de ces élèves plurilingues. Les résultats de l’expérimentation ont permis d’identifier six critères auxquels a répondu (à des degrés divers) ce dispositif : l’articulation entre orthographe et écriture, la mise en œuvre d’une démarche de résolution de problèmes, le recours aux graphies des élèves, le fait d’encourager les interactions orales, et plus spécifiquement pour les élèves plurilingues, le soutien au travail métalinguistique et la mobilisation des langues des élèves dans toute leur diversité.

17L’article de Luce Lagrange et Françoise Boch est un compte-rendu d’expérience sur l’utilisation au collège de l’approche dénommée « Grammaire en couleurs ». Le fait que cette approche connaisse un engouement sur le terrain (et sans faire partie de celles préconisées par l’institution) interpelle. D’un point de vue didactique, il n’y a pas de raison à priori d’être dans la suspicion, pas plus que dans l’apologie. L’article nous donne à voir ce qui justifie l’intérêt pour cette approche chez les praticiens, en termes d’engagement des élèves dans les activités de grammaire. Il s’agit d’un texte écrit à deux voix : une enseignante de français en collège qui utilise l’approche tout en collaborant avec des chercheurs pour penser sa pratique, et une chercheuse didacticienne intéressée par les démarches pédagogiques portant sur l’analyse de la langue. Les auteures prennent comme point de départ l’importance de l’étude de la langue dans le cadre du développement des compétences littéraciques et proposent d’envisager la grammaire en classe comme une opération de grammatisation, consistant à partir des connaissances spontanées des élèves sur la langue pour aller vers une connaissance explicite. Elles mettent en évidence les caractéristiques potentiellement engageantes de la Grammaire en couleurs, pour rendre compte ensuite de son utilisation au collège sur plusieurs années et faire ressortir les verrous qu’il reste à lever notamment en termes de formalisation des savoirs. Le lecteur pourra donc conclure que si les praticiens adoptent cette approche c'est parce qu’elle répond à l’exigence de rendre les élèves actifs et de développer chez eux des capacités d’analyse. Des études complémentaires sont à espérer sur les acquisitions effectives des élèves et/ou sur les évolutions de l’approche en faveur de ces acquisitions.

18Les deux contributions suivantes inscrivent leur propos dans l’engagement en lecture-compréhension.

19C’est l’engagement des élèves de Cours préparatoire (1ère primaire) dans la lecture personnelle qui interroge Anne Vadcar. Si la lecture autonome est favorisée par la fréquentation de la littérature de jeunesse dans le cadre des lectures partagées en contexte familial, les enseignants jouent un rôle décisif en termes de médiation culturelle à la pratique de la lecture. L’objectif de l’auteure est d’identifier les gestes professionnels permettant cette médiation culturelle, à partir des données issues de la recherche Lire-écrire CP. Les résultats de cette recherche concernant les séances de lecture offerte ont permis de faire l’hypothèse que la construction d’un espace de négociation collective de sens relève de gestes professionnels experts favorables à l’engagement de l’élève dans la lecture personnelle. L’auteure cherche alors à analyser ce qu’il en est dans les séances de découverte de texte, emblématiques du Cours préparatoire, qui consistent à travailler à la fois le déchiffrage et la construction du sens, dans un va-et-vient entre activité individuelle de chacun des élèves et étapes collectives. Elle s’appuie sur des vidéos centrées sur l’enseignant de sept classes parmi les quinze jugées les plus efficaces : les gestes professionnels y sont ceux qui permettent aux élèves de progresser dans les différents domaines du lire-écrire, et plus que dans les autres classes de la recherche, « toutes choses égales par ailleurs ». Les analyses permettent de cerner l’étayage apporté à la négociation collective de la lecture du texte lors des échanges oraux et de montrer comment il revient à modéliser une lecture personnelle experte dans le déroulement de l’action, par l’engagement corporel de l’enseignant et le fait de rendre visibles les procédures en jeu.

20Enseignante de français au collège, Éliane Giordano-Leclerq s’intéresse quant à elle à la lecture-compréhension d’une œuvre intégrale (ce qu’elle appelle une « lecture globale »), à savoir le roman de Sepulveda, Le Monde du bout du monde. La démarche qu’elle présente dans le détail et qu’elle expérimente en classe de Troisième (dernière année du collège en France, élèves de 14-15 ans) a pour double objectif de construire des habiletés de compréhension et d’engager l’investissement subjectif de l’élève lecteur. La pédagogie mise en œuvre se veut « engageante et émancipatrice », et se réalise à travers différentes activités qui permettent en premier lieu l’identification et la résolution des obstacles à la compréhension des ressorts de l’intrigue (impliquant des « retours sur texte », créant ainsi une intention de lecture). Les différentes verbalisations écrites constituent une autre série d’activités de rédaction guidée d’impressions de lecture (ce que l’auteure appelle une « subjectivité dirigée », impliquant cette fois des « retours sur lectures »). Suite à cette expérimentation, l’auteure observe en particulier deux axes de progression chez les élèves, d’une part en termes d’engagement cognitif, à travers le développement de compétences de compréhension, et d’autre part en termes d’engagement psycho-affectif, à travers la construction d’une communauté de lecteurs, accueillant des lectures plurielles.

21Les trois dernières contributions ont pour point commun de sortir de la classe de français à proprement parler, en rendant compte de dispositifs engageants mis au service de la littéracie dans d’autres contextes. Les compétences littéraciques y sont envisagées de manière transversale aux disciplines et/ou le dispositif proposé s’inscrit en dehors du contexte scolaire, ou construit un pont entre l’école et ses extérieurs.

22L’article de Jean-François Bourdet, Élodie Clayette et Pierre Salam s’intéresse à la question de l’engagement en interrogeant les effets d’un dispositif expérimenté depuis sept ans à Le Mans Université en tout début de licence et destiné à développer les compétences rédactionnelles des primo étudiants. Ce dispositif vise à renforcer la maitrise de l’écrit via la mise en place d’ateliers d’écriture créative dans le cadre d’un espace de production partagée en ligne (travail collaboratif, adossé à des pratiques numériques). Ce contexte spécifique de production écrite, outillé, collaboratif, encourageant et bienveillant, implique une adaptation de la part des enseignants participant à cette expérience. C’est justement en interrogeant cette capacité d’adaptation et d’implication des enseignants, à partir de données principalement qualitatives, que les auteurs interrogent les effets « engageants » du dispositif, à la fois pour les enseignants eux-mêmes mais aussi, par ricochet, pour les étudiants. Le texte met notamment en évidence des facettes inédites et les transformations progressives de la relation pédagogique induites par le dispositif. C’est donc la question du co-engagement et de ses effets qui est au cœur de cette étude.

23La contribution de Marie Wibrin se situe dans un contexte associatif, extérieur à la classe. Son texte rend compte d’une expérience singulière menée depuis plusieurs années en Belgique par un collectif de parents d’élèves d’une école primaire dans un quartier populaire. Regroupant des mères au capital culturel divers, et dans certains cas éloigné de la culture scolaire, ce collectif a imaginé et mis en œuvre des ateliers de soutien à la lecture visant l’acculturation écrite. L’auteure montre comment cette action culturelle a pu se maintenir au fil du temps, en ce qu’elle permet chaque année aux enfants de milieux populaires et à leur mère de s’émanciper ensemble, de trouver du sens et de construire des souvenirs positifs autour des pratiques de lecture (à travers notamment une panoplie d’activités ludiques et des lectures à voix haute). Fondé spontanément sur une « logique d’empowerment communautaire » (entendue ici comme la prise en charge du milieu par et pour le milieu), le fonctionnement de l’association a rendu possible les discussions et échanges de bonnes pratiques, favorisant ainsi une plus grande confiance dans les ressources collectives du groupe. Pour l’auteure, ce dispositif, conjuguant l’engagement des enfants et des mères et accueillant pleinement les initiatives de chacun, a un caractère potentiellement émancipateur, expliquant ainsi son succès et son inscription dans le temps.

24Enfin, le texte d’Aude Fabulet et Camille Vorger explore les enjeux et les effets d’ateliers d’écriture dans des contextes et auprès de publics très divers (élèves « dys », allophones, ateliers philo en maternelle, ateliers slam, etc.). Cette exploration est menée dans un riche dialogue entre l’animatrice d’ateliers et l’enseignante-chercheuse. Ces deux voix mêlées et qui alternent de façon habile nous permettent de revenir de façon précise sur les principaux « piliers » de ces ateliers permettant l’engagement conjoint de tous les acteurs (animateurs-participants) : l’aspect collectif et « colludique », le climat de bienveillance, l’étayage, l’engagement du corps, la matérialité, la créativité. Trois de ces piliers sont particulièrement mis en valeur et analysés de manière inédite comme participant concrètement à l’émergence du sujet écrivant : la dimension matérielle (ou « matière langagière ») de l’écriture, la présence du corps, l’articulation féconde entre dire, lire, écrire, faire, montrer. L’exploration de cet acte de « reliance » met en avant « ce que le corps fait à la littéracie » et trace les contours d’un passage à l’écriture « engagée ».

25En somme, ce numéro s’inscrit dans la continuité des interrogations sur les littéracies scolaires (Marin et Morin, éds. 2015) et la manière de faire évoluer les pratiques d’enseignement de la lecture, de l’écriture et du français écrit. Il aborde la construction des compétences littéraciques dans la classe et en dehors, sous l’effet de dispositifs centrés sur les besoins du public cible. Ces dispositifs donnent matière à réfléchir aux situations à mettre en place et aux gestes professionnels à même de favoriser un engagement des élèves et participants, d’une part, dans les activités proposées et, d’autre part, plus fondamentalement, dans les apprentissages qu’elles visent. Réciproquement, c’est aussi l’engagement des enseignants ou animateurs qui est en jeu. Enfin, le numéro est également l’occasion de voir comment la construction de compétences de lecture et d’écriture repose pour beaucoup sur l’oral et sur le corps.

Bibliographie

Références bibliographiques

  • Baqué, M.-H. & Biewener, C. (2013). L’empowerment, un nouveau vocabulaire pour parler de participation ? Idées économiques et sociales, 73, 25-32.
  • Bautier, É. (éd.) (2006). Apprendre à l’école, apprendre l’école : des risques de construction d’inégalités dès la maternelle. Lyon : éditions Chronique sociale.
  • Barth, B.-M. ([1989] 2004). L’Apprentissage de l’abstraction. Paris : Retz.
  • Barré-de-Miniac, C. (2015). Le Rapport à l’écriture. Aspects théoriques et didactiques. Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion.
  • Bonnery, S. & Joigneaux, C. (2015). « Des littératies familiales inégalement rentables scolairement ». Le français aujourd’hui, 190, 23-34.
  • Boutet, J. (2001). « La part langagière du travail : bilan et évolution ». Langage & société, 98, 17-42.
  • Bruner, J. (2008). L’Éducation, entrée dans la culture. Les problèmes de l’école à la lumière de la psychologie culturelle. Paris : Retz.
  • Bucheton, D. (2014). Refonder l’enseignement de l’écriture. Paris : Retz.
  • Chauveau, G., Alves-Martin, M. & Rogovas-Chauveau, É. (2011). Comment l’enfant devient lecteur : pour une psychologie culturelle de la lecture. Paris : Retz.
  • Dabène, M. (1987). L’Adulte et l’écriture : contribution à une didactique de l’écrit en langue maternelle. Bruxelles : De Boeck.
  • Delarue-Breton, C. & Bautier, É. (2015). « Nouvelle littératie scolaire et inégalités des élèves : une production de significations différenciée ». Le français aujourd’hui, 190, 51-60.
  • Delamotte, R., Gippet, F., Jorro, A. & Penloup, M.-C. (2000). Passages à l’écriture, un défi pour les apprenants et les formateurs. Paris : Presses universitaires de France.
  • Fraenkel, B. (2001). « La résistible ascension de l’écrit au travail ». Dans A. Borzeix & B. Fraenkel (éds), Langage et travail. Communication, cognition, action (pp. 113-134). Paris : CNRS Éditions.
  • Frier, C. (2010). « Être formateur d’adultes aujourd’hui : un équilibre fragile entre idéal et processus de construction de l’identité professionnelle ». Savoirs et formation : Recherches et pratiques, 1, 79-92.
  • Guernier, M.-C., & Sautot, J.-P. (2017). Former des adultes à l’écrit. Questions didactiques pour la professionnalisation des formateurs. Dijon : éditions Raison et Passions.
  • Lahire, B. (2008). La Raison scolaire, école et pratiques d’écriture, entre savoir et pouvoir. Rennes : Presses universitaires de Rennes.
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  • MARIN, B. & MORIN, M.-F. (éds) (2015). « Littéracies scolaires ». Le français aujourd’hui, 190. Paris : Armand Colin.
  • MORIN, E. (2004). La Méthode, VI. « Éthique ». Paris : Le Seuil.
  • Nonnon, É. & Goigoux, R. (éds) (2007). « Les Ratés de l’apprentissage de la lecture à l’école et au collège », Repères, 35. Lyon : IFÉ & ENS de Lyon.
  • Reuter, Y. (1996). Enseigner et apprendre à écrire. Paris : E.S.F.
  • Rispail, M. (2020). « La posture littéracique : Une école de modestie et d’étonnement ». forumlecture.ch, 2, Plate-forme internet sur la littératie.
  • Rochex, J.-Y. & Crinon, J. (éds) (2011). Construction des inégalités scolaires. Rennes : Presses universitaires de Rennes.

Date de mise en ligne : 16/03/2021.

https://doi.org/10.3917/lfa.212.0005

Notes

  • [1]
    L’orthographe de ce terme est encore fluctuante. Dans les pages qui suivent, nous l’avons harmonisée en « littéracie », car les autres formes sont soit hors d’usage, soit peu productives morphologiquement. Ainsi, « litéracie » n’a pas été retenue car, bien qu’étant étymologiquement justifiée par rapport à l’origine anglo-américaine « literacy » des recherches anthropo- et ethnographiques (cf. Jaffré 2004), elle n’a pas vraiment été retenue dans l’usage actuel. De même, la forme « littératie », majoritairement utilisée dans les travaux québécois, a été écartée car elle ne permet pas la dérivation adjectivale en « littéracique ».
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