Notes
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[1]
« Peut-on parler d’une seule didactique ou de plusieurs didactiques, spécifiques, selon leur objet (orthographe, langue, texte, lecture, écriture, littérature…) ? » (Chiss, David et Reuter, dir., 2008 : 10).
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[2]
M.-F. Bishop & L. Cadet (dir.) (2011), « Continuités, ruptures et contradictions dans l’enseignement de la langue », Le français aujourd’hui, 173 ; L. Cadet & E. Guerin (dir.) (2012), « FLM, FLE, FLS… au-delà des catégories », Le français aujourd’hui, 176.
Le mot est une sorte de pont entre moi et les autres. […] Le mot est le territoire commun du locuteur et de l’interlocuteur
1 Entre 1993 et 2004, plusieurs numéros de notre revue Le français aujourd’hui ont été consacrés à l’oral qu’ils ont considéré successivement, et de façon non exhaustive, selon le prisme de la question de la norme de et à l’oral (n° 101 : « Norme(s) et pratique(s) de l’oral » paru en mars 1993), selon celui des spécificités de la langue à et de l’école (n° 107 : « Questions de langue à l’école », publié en septembre 1994 et n° 141, « Enseigner la langue de l’école au lycée », en avril 2003), ou encore comme modalité de communication (n° 113 : « Interactions : dialoguer, communiquer », mars 1996 ; n° 146 : « Oral, le rapport à l’autre », 2004). Plus de dix ans après la parution du dernier numéro de la revue consacré à cet objet spécifique, et de façon consécutive à la parution des programmes d’enseignement de l’école maternelle (26 mars 2015) et de l’école élémentaire et du collège (26 novembre 2015), l’équipe de l’AFEF (Association française des enseignants de français) ainsi que le comité de rédaction de sa revue, Le français aujourd’hui, se saisissent à nouveau de cet objet et questionnent son enseignement. En effet, l’AFEF dédie à l’oral une année entière de réflexion en 2015-2016, un chantier prioritaire qui prend forme à travers deux manifestations dont les formats visent à favoriser le dialogue : un laboratoire d’idées tenu le 26 septembre 2015 « L’oral ça se travaille » et une rencontre-débat « Enseigner l’oral ? » organisée le 19 mars 2016. Le français aujourd’hui, pour sa part, lui consacre le dossier de ce numéro.
2 Protéiforme, l’oral apparait tout à la fois et parfois de façon concomitante, objet d’apprentissages langagiers, moyen d’apprentissages disciplinaires, ressort de l’activité réflexive et de l’élaboration cognitive, médium de la communication et de l’interaction à l’intérieur de la sphère scolaire et extrascolaire, support de l’entrée dans l’écrit. C’est sans doute la raison pour laquelle sa conceptualisation est difficile, que l’on se situe au niveau de l’objet lui-même et de sa définition, au niveau de son enseignement, comme au niveau de sa didactique.
3 De quoi parle-t-on lorsque l’on parle d’oral ? Comment le définir ? Selon des caractéristiques linguistiques et syntaxiques propres qui le déterminent comme code spécifique ? Selon une catégorisation en genres identifiés ? Si la modalité écrite ne semble pas poser de problème dans sa représentation et particulièrement à l’école, l’oral lui, apparait plus difficilement cernable en ce que la conception même de l’enseignement ne lui laisse pas ou peu de place. Ainsi, le même exercice fait à l’écrit est un travail tandis qu’à l’oral il n’est que la mise en route pour un futur travail écrit. Question de norme et de valeur accordée avec l’hyperscripturalité de la culture scolaire française. Quant à l’importance des interactions, soit d’enseignement soit de communication entre pairs, elle est souvent sous-évaluée dans son impact décisif quant à l’efficacité d’un dispositif pédagogique.
4 Parmi les cinq domaines de formation qui composent aujourd’hui le Socle commun de connaissances, de compétences et de culture, le premier, « les langages pour penser et communiquer […] vise l’apprentissage de la langue française, des langues étrangères et, le cas échéant, régionales, des langages scientifiques, des langages informatiques et des médias ainsi que des langages des arts et du corps », et invite sans doute pour la première fois les enseignants à une large réflexion sur toutes les formes de langage, y compris artistique, sous une même rubrique. Autre fait nouveau, la nouvelle répartition en « cinq domaines de formation qui définissent les grands enjeux de formation durant la scolarité obligatoire » et non plus en sept compétences, comme c’était le cas dans la première version du Socle commun de connaissances et de compétences (2005), réunit dans un même ensemble langue française, langue étrangère, langue régionale, effaçant la distinction posée entre maitrise de la langue française et pratique d’une langue étrangère, modifiant aussi et par conséquent la relation trop souvent établie entre FLM/maitrise/écrit/difficulté et LV/oral/facilité/ludique, pour inclure désormais un éveil à diverses formes de communication laissant une place non négligeable à l’enseignement de l’oral qu’ils développent tout au long des quatre cycles comme un « apprenable » (Halté 2005), et à des apprentissages à l’oral.
5 Comment définir les termes qui sont souvent associés à l’oral et/ou que l’on utilise de façon synonymique : oralité, oralisation, parler, langue ? système, modalité ? Quelle est la spécificité du langage oral à l’école ? Qu’est-ce qu’enseigner l’oral à l’école maternelle, à l’école élémentaire, au collège, au lycée ? Sur quoi travaille-t-on ? En fonction de quelles progressions ? L’oral peut-il être considéré comme un objet didactique ? Comme une discipline à part entière ou au service d’une discipline ? Quelles sont les résistances de l’oral à la didactisation ? Comment les didactiques, qu’elles s’intéressent aux langues dites maternelle ou régionale ou étrangère, l’envisagent-elles ? Quelles évaluations en proposent-elles ? En effet, si ce numéro a pour objectif premier de mieux appréhender un des objets de la langue [1] (id. l’oral ici), transversal aux didactiques, il doit aussi nous permettre de poursuivre un questionnement déjà engagé dans de précédents numéros [2] et auquel nous sommes particulièrement attachées, celui qui interroge les convergences, divergences, interrelations entre didactiques des langues (DDLE), didactique du français langue maternelle (DFLM), didactique du français langue étrangère (DFLE), didactique du français langue seconde (DFLS), et qui développe l’idée d’une didactique du français transversale ou en contexte permettant de créer de véritables espaces d’échanges interdidactiques et de dépasser les cloisonnements disciplinaires.
6 Puisque l’oral, protéiforme, offre une multitude d’acceptions et de représentations, une première partie propose d’explorer les différentes définitions didactiques et linguistiques qui lui ont été associées au cours du temps. Ainsi Lucile Cadet et Anne Pégaz Paquet présentent l’introduction de la notion d’oral dans les programmes de l’école primaire et la façon dont il s’est construit en tant qu’objet d’enseignement, au travers des instructions et programmes officiels depuis 1945 à aujourd’hui. Elles montrent comment la définition que l’institution lui a donnée a évolué sous l’influence des autres disciplines des sciences sociales et comment cette notion cherche à répondre aux besoins que l’évolution sociologique de ces dernières décennies a fait apparaitre pour l’école. Paul Cappeau aborde sous forme de discussion la frontière oral/écrit qui semble mise à mal avec l’arrivée de formes et de lieux d’écriture nouveaux liés au développement des technologies de l’information et de la communication. Il conduit sa réflexion en croisant les travaux de P. Koch et W. Œsterreicher (2001) avec l’opposition médium/conception, et ceux de S. Branca-Rosoff (2007) et de D. Maingueneau (2004), qui portent sur la notion de genres tout en rappelant, à l’instar de C. Blanche-Benveniste (1993), que l’oral présente des qualités syntaxiques tout aussi élaborées que l’écrit.
7 La seconde partie ouvre sur les fonctions de l’oral et l’enseignement de la langue avec le texte de Lizanne Lafontaine qui introduit un chapitre nouveau à la notion de littératie habituellement envisagée autour de l’écrit. Elle présente des recherches dans lesquelles l’intégration de ce concept est au service du développement des compétences orales des élèves de tous les milieux socioéconomiques, grâce à l’apport des nouvelles technologies et propose des activités d’oral pour illustrer son propos. La contribution de Séverine Behra, Rita Carol et Dominique Macaire, en apportant une attention particulière aux élèves allophones et dans une perspective inclusive de l’enseignement, s’intéresse quant à elle, à la façon dont l’enseignement de la langue peut prendre en compte l’hétérogénéité/diversité langagière des élèves à l’école maternelle.
8 La troisième partie aborde la production de l’oral dans les classes. Roxane Gagnon et Joaquim Dolz proposent une théorisation novatrice qui introduit les dimensions corporelle et vocale de l’oral comme des éléments pertinents dans l’apprentissage de l’oral et de l’oralité dans la classe au niveau des collèges. Hiba El Abed Gravouil et Jacques David, de leur côté, exposent une expérimentation lors de laquelle des apprenants allophones nouvèlement arrivés en France racontent une histoire en français et dans leur langue maternelle. Les résultats de leur analyse montrent que les compétences discursives ne sont pas dépendantes des compétences linguistiques ; ce qu’il convient de montrer aux enseignants. Enfin, Natacha Espinosa et Emmanuelle Canut, partant d’une expérimentation menée auprès d’enfants de la maternelle et adossant leur démonstration sur les travaux menés dans le domaine de l’acquisition, illustrent les postures langagières de l’enseignant et les modalités d’interactions qu’elles envisagent comme les plus favorables à la production de discours explicatifs et narratifs par les élèves.
9 Les questionnements mis à l’œuvre ici, tout comme l’ensemble des contributions qui portent sur l’oral un regard singulier, sont mis en perspective dans la postface rédigée par Claudine Garcia-Debanc « Enseigner l’oral ou enseigner des oraux ? » qui repose la dichotomie de l’oral, entre le un et le pluriel.
Notes
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[1]
« Peut-on parler d’une seule didactique ou de plusieurs didactiques, spécifiques, selon leur objet (orthographe, langue, texte, lecture, écriture, littérature…) ? » (Chiss, David et Reuter, dir., 2008 : 10).
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[2]
M.-F. Bishop & L. Cadet (dir.) (2011), « Continuités, ruptures et contradictions dans l’enseignement de la langue », Le français aujourd’hui, 173 ; L. Cadet & E. Guerin (dir.) (2012), « FLM, FLE, FLS… au-delà des catégories », Le français aujourd’hui, 176.