Couverture de LFA_HS01

Article de revue

Débats dans l'enseignement-apprentissage de la grammaire

Pages 129 à 138

1 Toute réflexion en didactique de la grammaire implique d’envisager conjointement la dimension de l’enseignement (relations entre théories et méthodologies) et celle de l’apprentissage (obstacles et réussites dans l’appropriation scolaire) ainsi que le rôle de cette discipline dans l’interaction enseignant/apprenant au sein de la classe de langue. Sur ces différents aspects, les travaux centrés sur la didactique de la grammaire en langues étrangères, particulièrement en français langue étrangère (FLE) (cf. Besse et Porquier 1984 ; Moirand, Porquier et Vivès 1989 ; Cuq 1996 ; Germain et Seguin 1998 ; Puren 2001) croisent certaines des préoccupations du français langue maternelle (Chartrand 1995 ; Grossmann et Vargas 1996 ; Chiss et Meleuc 2001). L’optique adoptée ici privilégiera la conception, le rôle et la place de la grammaire en FLE sans négliger l’apport du français langue maternelle (FLM), ne serait-ce que pour disposer d’éléments propres à envisager les relations entre langue étrangère et langue maternelle.

Situation actuelle de l’enseignement de la grammaire

2 Les avancées en didactique du français langue maternelle et langue étrangère peuvent aujourd’hui reposer sur un double consensus pour ce qui concerne la grammaire, étant entendu qu’on se prononce moins à partir des réalités empiriques des classes, toujours difficiles à appréhender, que des directions actuelles de la didactique comme discipline de réflexion et d’intervention.

3 Il s’agit d’abord de ne pas reconduire les catégories et modes de pensée de la grammaire traditionnelle qui se maintient, de fait, dans de nombreuses classes de langue maternelle malgré les instructions officielles du collège en France (1995-1998), en particulier la tripartition grammaire de phrase/grammaire de texte/grammaire de discours dont l’appropriation par les enseignants n’est pas évidente et qui ne règle pas, de toutes façons, la question des contenus de la grammaire de phrase (Chiss et Meleuc 2001). On pourrait même s’interroger, dans les programmes de l’école primaire française (2002), sur les orientations de la rubrique « Observation réfléchie de la langue française » qui conduisent, de notre point de vue, à une forme de régression vers les catégories de la grammaire traditionnelle en abandonnant la description en termes distributionnels de la phrase française.

4 En FLE, un examen de certaines méthodes s’inspirant de l’approche communicative montre une tendance à la marginalisation de la grammaire sous la forme d’appendices grammaticaux et s’il y a « retour de la grammaire », après une phase d’abandon, il s’agit le plus souvent du retour des « règles » de la grammaire traditionnelle. On peut voir ici le symptôme d’une croyance encore largement partagée : il y aurait une contradiction entre le but attribué aujourd’hui à l’enseignement d’une langue étrangère – à savoir la compétence de communication – et l’enseignement de la grammaire, alors que l’accent sur les formes et la relation forme/sens – qui est au centre du travail grammatical – est, en réalité, indispensable pour acter la production/réception des énoncés.

5 Il nous semble que l’éloignement de la grammaire dans l’optique communicative peut être, en premier lieu, attribué à la primauté de fait de l’oral alors que la grammaire était réputée centrée sur l’écrit et utile prioritairement pour la lecture-écriture. Dans ce dispositif, le manque de didactisation des travaux sur la grammaire du français parlé a joué un rôle négatif. Pourquoi, dans les grammaires pédagogiques et parfois dans certaines grammaires de référence, après un siècle de linguistique, la question de la différence des marques linguistiques à l’écrit et à l’oral n’est-elle pas intégrée ? Dès 1970, J. Peytard avait alerté les enseignants de français sur cette question en prenant pour exemples l’accord des adjectifs ou la présentation des conjugaisons… La seconde raison de la distance prise vis-à-vis de la grammaire tient sans doute à l’assimilation ancestrale de cette discipline à la connaissance des règles et à leur verbalisation : de ce point de vue, un débat oppose ceux qui (comme Cuq 2001) considèrent que les règles, à cause de leur caractère normatif, sont un facteur d’insécurité pour l’apprenant et ceux qui (comme Wilmet 2001) estiment au contraire que les règles sécurisent, donnent confiance aux apprenants de langue étrangère. Si l’on attribue d’autres rôles à la grammaire dans l’appropriation linguistique, alors la question de la règle normative se relativise au profit du raisonnement et de l’intériorisation des fonctionnements.

6 L’autre facette du consensus au sein de la recherche en didactique consiste désormais à refuser la reconduction des transpositions hâtives de certaines théories linguistiques. Ce point est particulièrement délicat car, au delà de la grammaire, il pose un problème central pour toute la didactique des langues. En langue maternelle, tout un courant a critiqué, à juste titre mais parfois de façon excessive ou incantatoire, l’applicationnisme, en particulier le transfert direct de procédures descriptives de la linguistique structurale et générative à l’enseignement du français (les fameuses descriptions sous forme d’« arbres » par exemple). En langue étrangère, la critique de la linguistique appliquée a touché les domaines de la phonétique, du lexique ou de la syntaxe mais, de manière en apparence curieuse, semble avoir épargné d’autres « applications », à notre sens tout aussi massives, par exemple celles de la théorie des actes de langage, pour le coup caricaturée dans de nombreuses méthodes de FLE où le concept s’est dilué par extension illimitée. La question, très générale, est sans doute d’inverser le mouvement en substituant une logique ascendante à la logique descendante : partir d’une difficulté, d’un problème didactique pour solliciter sur des bases précises, telle ou telle théorie linguistique.

Les contenus et la métalangue

7 C’est à partir de ce double présupposé (refus symétrique de la grammaire scolaire traditionnelle et de l’application des linguistiques) qu’il faut poser le problème des « contenus » grammaticaux à enseigner, toute grammaire d’enseignement devant réfléchir à la consistance de ses savoirs, à leur organisation, à leur disposition suivant une progression, ainsi qu’à l’efficacité de ses techniques. On peut, par souci d’exemplification, énumérer quelques difficultés classiques :

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  • Les frontières souvent discutables entre catégories grammaticales alors même que les grammaires se présentent depuis l’Antiquité comme des « typologies » de « parties du discours », par exemple celles entre adjectif et participe passé (Pierre est fatigué/C’est un homme fatigué), entre adverbe et conjonction (adverbe de liaison/conjonction de coordination). Le but pour l’apprenant est-il de typologiser avec sureté et avec le métalangage adéquat ou bien de comprendre les phénomènes de coordination/connexion ? Faut-il qu’il identifie les appositions ou qu’il sache reconnaitre et employer les constructions détachées ?
  • La question de la consistance de certaines catégorisations : le « temps », le « mode », l’« aspect » mais aussi les pronoms personnels, avec le problème de l’hétérogénéité interne de cette dernière catégorie (noms personnels-pronoms du dialogue, etc.).
  • La question de la pertinence relative des définitions : « partitif » comme partie d’un ensemble n’explique rien contrairement à la prise en compte des traits sémantiques des noms (par exemple, comptable vs non comptable).
  • La répartition et la dénomination souvent fossilisées dans la culture scolaire grammaticale : les tripartitions potentiel/irréel du présent/irréel du passé ; style direct/indirect/indirect libre ; les trois groupes de la conjugaison auxquels on pourrait substituer les bases morphologiques des verbes. Les solutions sont tout autant dans le regroupement d’éléments sous une catégorie générale (le déterminant) que dans le dégroupement d’éléments disparates homogénéisés à l’intérieur d’une catégorie, celle d’adverbe par exemple.

9 Sans doute l’effort de reconstruction et de rationalisation est-il à la mesure d’une situation marquée par l’inflation des fonctions grammaticales depuis le XIXe siècle et l’incroyable abondance du métalangage (Chervel 1977) qui perdure encore aujourd’hui. Une enquête menée par J.-P. Cuq (2001) sur les programmes officiels de FLM et les méthodes de FLE fait apparaitre en France la présence de 373 lexies, 252 au Québec, 186 en Belgique et seulement 66 en Suisse mais ce dernier résultat peut être relativisé si l’on admet qu’on y utilise souvent des méthodes de FLE françaises. Il faut aussi intégrer à cette réflexion la relation du français enseigné comme langue étrangère aux autres langues. D. Willems (1999), dans un article prônant une unification terminologique, met en évidence les non-recouvrements entre les terminologies linguistiques européennes : attribut dans la tradition grammaticale germanique serait notre épithète et notre attribut serait appelé prédicatif ; alors que la bipartition française entre objet indirect et objet direct repose sur la présence/absence de la préposition, la grammaire anglaise distinguerait complément direct, complément indirect et complément prépositionnel là où la préposition est obligatoire. Il semble qu’il s’agit là d’un point nodal dans la didactique scolaire des langues car il importe de savoir si l’on peut s’appuyer, au plan métalinguistique, sur la langue maternelle et selon quelles procédures.

10 Dans le processus de sélection des « contenus » précédemment évoqué et en particulier pour le FLE, il faut encore insister sur la prise en compte de la réelle diversité des structures de la langue. On attend évidemment d’une grammaire, comme d’un dictionnaire d’ailleurs, qu’ils rendent compte de l’attesté, c’est-à-dire de la pluralité des catégories grammaticales appelées à occuper la fonction sujet, de la diversité des constructions rompant avec l’ordre canonique SVO (sujet-verbe-objet) : les impersonnels, les présentatifs, les structures inversées (À cela s’ajoute quelque chose. Au milieu de la pièce trônait le sapin de Noël), les structures avec dislocation (la terre, c’est beau), avec détachement (Il fait beau, à Paris)… De ce point de vue, on fait l’hypothèse qu’un apprenant de FLE a plus besoin d’un inventaire des constructions verbales du français que d’un listing des compléments du verbe avec le raffinement de leurs dénominations (Supra). On pourrait d’ailleurs, à ce propos, extrapoler du domaine grammatical vers le domaine lexical en notant que la question des constructions ou des formulations est sans doute plus fondamentale que la notion de stock lexical, traduite dans l’enseignement par les listes de vocabulaire organisées thématiquement ou même morphologiquement. En FLE à l’évidence, mais aussi en FLM, tout ce qui est de l’ordre de la locution, de la collocation, du syntagme figé est particulièrement important, s’il est vrai que le passage de la compétence linguistique à la compétence de communication se fait à travers la maitrise – relative – de l’« idiomaticité ». Les associations ritualisées parfois devenues clichés ou quasi-citations font partie intégrante de la « grammaire » que l’apprenant doit intérioriser, qu’il s’agisse des associations verbes-adverbes (on disserte longuement, on applaudit frénétiquement) ou noms-adjectifs (de la défaite cinglante et du travail acharné au célibataire endurci). Prendre en compte ces éléments, c’est encore poser la question de l’enseignable, des choix à opérer dans les « contenus linguistiques ».

Entrer dans la grammaire

11 Le problème des contenus ne peut être séparé du débat sur les « entrées » en grammaire et sur la relation formes/sens (Leeman 2001). On a coutume, surtout en FLE, d’opposer les entrées formelles aux entrées notionnelles (sémantiques). C’est là une approche méthodologique, didactique, qui ne porte pas sur le réel de la langue où sens et forme sont indissociables. On peut ainsi imaginer des « grammaires » à double entrée qui permettraient le va-et-vient entre les deux ordres de préoccupations. Il ne s’agit pas, pour l’instant, d’élargir radicalement le cadre de l’analyse au delà de la phrase vers le texte ou le discours. Certes les nécessités d’une cotextualisation et d’une contextualisation peuvent s’imposer et s’imposent de fait dans la démarche pédagogique. Mais il faut d’abord souligner qu’au sein même de la phrase – dans la variété de ses réalisations, les énoncés – existe la dimension énonciative et sémantique. C’est pourquoi on peut, pour les mêmes contenus, « entrer » par la notion de « type de phrase » où seront examinées les dimensions phonétiques, graphiques et syntaxiques pour aller vers le « sens » communicatif porté par chacun de ces types ou « entrer » par la notion de « modalité d’énonciation » spécifiant la nature de l’interaction entre le locuteur et l’allocutaire pour retrouver les marques linguistiques qui caractérisent les types. Pas l’un ou l’autre mais un va-et-vient entre les deux entrées. La démarche unilatérale de beaucoup de méthodes FLE entrant seulement par les « actes de langage » (avec le flou lié à cette notion, supra) nous semble inadéquate.

12 On peut aussi comprendre les obstacles qui s’attachent à des entrées notionnelles telles qu’elles ont été mises en œuvre par Un Niveau Seuil (Courtillon 1996) ou P. Charaudeau (1992) ou G.D. de Salins (1996). Évidemment, sur le plan théorique, on reconnaitra très volontiers, avec des auteurs comme M. Wilmet (dans la tradition de la grammaire philosophique du XVIIIe siècle, Beauzée par exemple) l’intérêt très heuristique de notions comme détermination ou quantification et la remise en cause que produisent ces notions de la bipartition entre les catégories, par exemple la différence entre déterminants et adjectifs. Mais, sur le terrain de l’enseignement, les entrées notionnelles se caractérisent paradoxalement par une abstraction très forte pour les apprenants (surtout quand ils ne sont pas ou peu grammaticalisés dans leur langue maternelle) et un éloignement du réel de la langue, de son empirique, de ses formes. Car soit l’on discute réellement la notion – et alors que de difficultés pour la détermination par exemple – soit l’on retombe dans une conception traditionnelle de l’approche grammaticale en termes d’expression de la « conséquence », du « but », de la « concession » etc., approche très caractéristique de la grammaire scolaire, celle de l’inflation des compléments et des propositions.

13 Il semble surtout essentiel, si l’on admet la nécessité d’une réflexion grammaticale, de prendre conscience de la diversité des niveaux d’analyse : l’analyse formelle d’une phrase en catégories grammaticales doit être distinguée de son analyse « logique » en sujet/prédicat avec la question des « arguments » du verbe (donc la dimension grammaticale du lexique), distinguée aussi de l’analyse fonctionnelle ou communicative en thème/rhème par exemple. Ce traitement pluriel d’un problème grammatical trouverait à s’illustrer avec de nombreux autres exemples, les déterminants ou les temps verbaux. Peut-être alors l’étude de la grammaire s’élargit-elle à l’étude de la langue puisqu’il faudrait prendre en compte ici les aspects textuels et discursifs. Il est évident que la production/réception des messages écrits et oraux nécessite une maitrise des phénomènes transphrastiques, ceux qui relèvent de la « grammaire textuelle », phénomènes de cohérence, cohésion, connexité, gestion de la progression nécessitant l’étude des reprises par les déterminants, les pronoms, les connecteurs, composante lexicale avec les reprises nominales, etc. Il est aussi évident que nous avons besoin d’une contextualisation dans la mesure où la situation de communication contraint à l’emploi de telle ou telle forme linguistique : travailler sur la différence entre le et un implique le contexte, en particulier le référent connu/inconnu.

Trajets de l’apprenant et progression d’enseignement

14 Il nous faut ici déplacer l’angle d’attaque pour aborder les dimensions liées à l’apprentissage dans la complémentarité qu’implique la conceptualisation didactique où les problèmes posés par la progression, celle que met en œuvre le savoir enseignant, s’articulent aux questionnements liés aux « progrès » de l’élève, à son trajet dans l’appropriation d’une compétence grammaticale en langue étrangère, dans l’« intériorisation » de cette grammaire si l’on veut dire autrement

15 Acquérir la « grammaire » d’une langue, au sens de sa structure, de son fonctionnement est un processus d’accommodation à des contraintes telles par exemple qu’une table sera désignée par it en anglais et par elle en français ; dans un sens plus large, c’est aussi connaitre l’espace de choix ouvert par l’emploi d’une forme linguistique, par exemple « merci » qui en français peut vouloir dire « non ». Insensiblement, nous passerions ainsi de la compétence linguistique stricto sensu à une compétence de communication impliquant un usage social et culturel des formes linguistiques. On ne peut envisager l’exercice de cette compétence de communication sans appui sur la compétence linguistique en tout cas si l’on poursuit l’objectif d’une véritable maitrise de la langue étrangère en production et compréhension. Toute la question est de savoir comment il s’agit de procéder dans l’espace didactique, c’est-à-dire la classe de langue.

16 Dans l’histoire de l’enseignement des langues existe un débat reformulé de différentes manières et qui en gros oppose, frontalement ou avec toutes sortes de nuances, les tenants de la pratique et les tenants de la réflexion, les tenants de la routine, de l’exercice et les tenants de la formulation des règles, débat proche de celui en langue maternelle entre grammaire implicite et grammaire explicite. On suivra le rappel par H. Besse (1998, 2001) de quelques principes simples : on ne peut pas inculquer à un débutant en langue étrangère une représentation grammaticale savante de cette langue-cible sinon en pure perte ; il faut que les apprenants aient déjà intériorisé certains microsystèmes de la langue étrangère pour qu’ils soient à même de « raisonner grammaticalement ». C’est dire que beaucoup de choses dépendent de leur degré de « grammaticalisation » scolaire antérieure en langue maternelle ou dans une autre langue étrangère. La « conceptualisation » qui peut les amener à une compréhension du système et pas forcément à l’énoncé d’une règle – seulement au constat de régularités – est un travail long qui dépend non seulement de cette « grammaticalisation » antérieure mais d’éléments pédagogiques comme le temps imparti, le type de pédagogie mis en œuvre (pas frontale mais coopérative par exemple). Il est évident que, sans ce travail spécifique, la compétence linguistique reste une potentialité.

17 S. Krashen fait remarquer que tout dépend des finalités poursuivies : l’analyse des résultats obtenus en immersion montre que la centration sur la compréhension du français comme langue des disciplines implique une attention réduite à la correction grammaticale stricto sensu, ce qui peut affecter les performances en production écrite et orale. Certains spécialistes de l’acquisition (Pienemann 1989) insistent sur les contraintes de l’ordre d’acquisition dans la langue étrangère. Il s’agit de montrer que l’apprenant, quelle que soit sa langue d’origine, suit le même ordre d’acquisition, par exemple pour acquérir la négation en anglais. S’il résiste à l’appropriation de certaines formes linguistiques alors qu’il en a appris d’autres facilement, c’est qu’il n’a pas atteint le stade requis. D’où la théorie de l’« enseignabilité » ou de la « non enseignabilité » de toutes les formes grammaticales en langue étrangère. Évidemment, cette direction plutôt orientée vers la conception de la grammaire universelle (peu argumentée dans le cadre francophone) se heurte à une conception de la progression et des obstacles fondée sur la dimension contrastive (par exemple sur l’idée de zone de plus ou moins grande vulnérabilité entre les systèmes linguistiques pour tel ou tel apprenant, cf. D. Bailly 1989). Il est vrai que le professeur de FLE peut à bon droit s’interroger à propos de tel sous-système, les relatifs par exemple, sur certains faits : on peut rapporter les erreurs de choix entre que et qui et leur caractère extrêmement résistant à des dimensions interférentielles qui se sont fossilisées par exemple chez des hispanophones, lusophones, italophones ; on peut aussi penser que, pour tous les apprenants de FLE, la maitrise de dont est un problème comme elle l’est aussi pour de nombreux natifs.

18 Ces obstacles et ces résistances une fois reconnus, se pose alors le problème de la progression d’enseignement à élaborer et celui de la nature du travail à faire effectuer par les apprenants de FLE. Où l’on voit revenir le débat entre règles et routines, préceptes et usages, réflexion et pratique. Certaines des réponses à ces difficultés peuvent être rappelées :

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  • la répétition/imprégnation de structures grammaticales dont on attend l’intériorisation par conditionnement (le tout renvoyant à une conception behavioriste de l’apprentissage) ;
  • le passage par l’explication grammaticale de l’enseignant qui repose la question du recours à une grammaire de référence d’origine scolaire ou savante : traiter le relatif avec la problématique de la grammaire traditionnelle, celle des fonctions et de la notion d’antécédent ; le traiter en recourant à un concept théorique dont le potentiel didactique peut s’avérer opératoire (par exemple la notion de « transformation » dans la première version de la GGT) mais avec tous les problèmes de transposition didactique que nous connaissons.

20 Si le problème du métalangage revient, c’est qu’il est précisément indissociable du mode de traitement grammatical. L’enseignant va définir, expliquer non dans la métalangue du linguiste mais dans un « langage paragrammatical » (selon l’expression de Germain et Seguin 1998). Nous avons explicité (Chiss et David 2001, et infra), à propos de notre grammaire (Chiss et David 2000), des choix terminologiques qui s’inscrivent dans cette direction. On sait que c’est à cette grammaire interactive (faite de simplifications, de conventions, de répétitions, d’adaptations, parfois de métaphores) qu’est exposé l’apprenant dans la classe plus qu’aux grammaires de référence ou aux grammaires pédagogiques, même si l’enseignant s’est, lui, appuyé sur elles pour construire sa démarche. Il est vrai que nous manquons aussi de travaux dans le domaine des conduites langagières mises en œuvre dans les classes à propos du traitement des notions grammaticales – en tout cas en langue étrangère.

De la grammaire à la culture grammaticale

21 La réflexion sur l’enseignement-apprentissage de la grammaire ne saurait se limiter au domaine traditionnellement circonscrit par certains faits de langue, ceux que le découpage intradisciplinaire range sous l’étiquette « morphosyntaxe ». Toutes les dimensions de l’enseignement d’une langue étrangère se trouvent affectées par la « culture grammaticale » qui accompagne cette langue, surtout quand il s’agit de langues dont la grammatisation est ancienne et qui s’offrent donc à l’enseignement avec leurs conventions et distinctions allant du découpage en mots aux clichés linguistiques que nous avons évoqués. Cette question de la « culture grammaticale » et des finalités de l’enseignement de la grammaire fait toujours en langue maternelle, comme en langue étrangère, l’objet de débats récurrents dans lesquels on se situera, pour conclure, de quadruple manière.

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  • Apprendre la grammaire d’une langue étrangère, enseigner la grammaire d’une langue à des étrangers, des non-natifs est une tâche cognitivement et culturellement intéressante. La fonction de « dénaturalisation » par rapport à la langue maternelle est primordiale, c’est-à-dire l’attention aux pseudo-évidences, à l’idée que ce qui a été acquis « naturellement » doit être enseigné. D’où la question d’une sélection ou d’une insistance sur des problèmes qui ne font pas l’objet de la même attention en langue maternelle (les prépositions ou l’ordre des mots). Il est important aussi dans cette grammaire d’apprentissage d’ausculter la nature des erreurs commises par les apprenants, de les analyser eu égard à la langue maternelle, aux difficultés spécifiques de la langue-cible, à la conception qu’on se fait des trajets des apprenants (problème de l’ordre des acquisitions, etc.).
  • La vocation d’une grammaire en langue étrangère est de permettre l’accès à une compétence de communication où se trouvent associées les structures grammaticales et les tâches communicatives (d’où la proposition de grammaires à « double entrée »). La reconnaissance et la production des marques et des fonctionnements linguistiques à l’écrit et à l’oral sont indispensables. Elles passent par un effort de réflexivité qui, en tant que tel, a une valeur cognitive et intellectuelle générale mais qui est surtout indispensable pour surmonter les obstacles et permettre une « intériorisation » de la structure de la langue-cible.
  • Cette méthodologie réflexive fondée sur le raisonnement grammatical plus que sur l’énoncé des règles, sur l’attention à la dialectique du système et des variations, participe d’une fonction éducative globale en interrogeant la relation entre contraintes et relativité. La réflexion et les exercices sur un couple comme grammaticalité/acceptabilité ouvrent sur l’appréciation de sa propre parole et de celle des autres, élément de la sociabilité langagière.
  • Enfin, cette conception de la grammaire s’inscrit dans ce que B. Combettes (1982) a appelé « un nouvel esprit grammatical » reprenant des perspectives linguistiques et psychopédagogiques que des réformateurs avaient initiées au début du XXe siècle, contre la sclérose de l’enseignement grammatical du XIXe. On pense à F. Brunot ou C. Bally qui, tous deux, parlaient de la nécessité non pas tant d’apprendre la grammaire que d’éveiller le « sentiment grammatical », une perception reprise aussi par les tenants contemporains du language awareness, c’est-à-dire la prise de conscience du fonctionnement du langage à travers l’ouverture à la multiplicité des langues.

Des ouvertures vers la pluralité et la complexité

23 Parmi d’autres productions, le n162 (2008) du Français aujourd’hui « Descriptions de la langue et enseignement » atteste de ces déplacements : la pensée du « système » linguistique qui, dès avant l’ère structuraliste, se donne pour synonyme de « langue » s’ouvre vers les sociolinguistiques, une attention à la diversité francophone, une prise en compte des enracinements historiques, une relation à la méthodologie du travail linguistique qui, sans sacrifier les formes de la rationalité, accorde un primat à l’empirique complexité des données langagières. La « prise » sur les problèmes de l’enseignement de la grammaire fait résonner les termes de language awareness, de répertoire linguistique, de folk linguistics, de « grammaires francophones », de « construction identitaire », de « dynamique variationnelle », plus familiers aux spécialistes de didactique des langues et cultures (étrangères) qu’aux didacticiens de la langue maternelle.

24 Ce n’est pas, tant s’en faut, que soient évitées les questions typiquement didactiques de l’enseignement de la grammaire (par exemple les terminologies, les progressions et les exercices). On doit même constater la reprise de débats canoniques comme l’opposition démarche déductive vs démarche inductive, grammaire de phrase vs « grammaire » de texte, grammaire pour la réflexion métalinguistique vs grammaire pour le lecture/écriture. La question essentielle de la pertinence des contenus grammaticaux enseignés revient aussi sous la forme codée du « décalage » entre les recherches en linguistique et les contraintes de la scolarisation des savoirs, espace que les problématiques de la transposition didactique ou de la didactisation avaient essayé de théoriser. La nécessité de l’appropriation d’un « français standard », celui de la norme écrite, fait consensus et met en cause toute démarche qui « partirait » des langues et pratiques langagières des élèves et exposerait à une variation impossible à gérer dans les situations pédagogiques. Mais la définition du « français standard » requiert effectivement de repenser la dichotomie oral/écrit, d’introduire d’autres variables comme distance/proximité et surtout de délimiter l’enseignable par un travail d’explicitation des opérations de restriction au sein de la « dynamique variationnelle ». La démarche didactique est solidaire de la conceptualisation linguistique pour aboutir à l’identification d’« une variété scolaire » du français ou d’un « français de l’école ». À ceci près que l’accord sur la méthode ne peut dissimuler les difficultés portant sur l’éventuelle consistance de cette variété linguistique. C’est encore cette question du périmètre de l’« enseignable » qui fait toujours débat : une position classique de l’institution scolaire consistait dans le repérage de la diversité des « niveaux de langue » pour faire acquérir le français standard. La sensibilisation était dévolue à la pluralité, l’instruction était réservée à la norme. Doit-on soutenir que le « marquage social de la langue » peut s’enseigner ? Il faudrait sans doute, dans cette optique, que la formation des enseignants sorte du face à face entre la linguistique savante et les traditions scolaires pour explorer la richesse des linguistiques « spontanées », la complexité des idéologies linguistiques comme le « purisme » et ressaisisse ainsi des dimensions langagières occultées (les « voix », les accents…). Mais comment, dans les classes, se centrer, sans dommages collatéraux, sur les classes (sociales) ? Il est clair, en tout cas, que la fonction d’alerte remplie par une « sociolinguistique plus radicale » n’est pas à négliger dans la mesure où il s’agit de déconstruire la notion de « langue » en montrant que les langues sont précisément « construites » dans un ordre qui ne relève pas seulement d’une scientificité abstraite mais implique des dimensions politiques et idéologiques. L’ébranlement de la tradition monolingue (en particulier française) par les problématiques du plurilinguisme et ses diverses modalités dont l’« éveil aux langues » devrait affecter le procès de constitution des grammaires tout autant que les programmes officiels. Il s’agit de promouvoir une conception différenciée et non irénique du plurilinguisme et de substituer la réalité d’une conflictualité à l’œuvre dans les contacts de langues et de cultures à une vision consensuelle d’une coexistence entre des « langues-systèmes » qu’une épistémologie positiviste aurait aseptisées.

25 Dans ces conditions, on ne peut donc pas séparer ces questions de conceptions de la langue/des langues des problèmes d’organisation et de présentation des grammaires. L’histoire de la « grammatisation » et de l’« élémentation » du français montre l’amalgame entre langue maternelle et langue nationale et amène à revisiter les points saillants de la grammaire de l’oral face à la grammaire de l’écrit. L’examen des ouvrages de grammaires produits dans les quatre pays où le français a ce double statut de langue « maternelle » et « nationale » permet de mesurer les formes différenciées de prise en compte des « variétés » de français, parfois plus ou moins intégrées à la description du système, parfois placées de façon diffuse dans des chapitres du type « Communication » ou « Énonciation ». La dialectique système/variations s’inscrit dans une réflexion d’ensemble sur la structuration des grammaires : départ morphosyntaxique vers appréhension du sens et du contexte ou départ communicatif (actes de parole) vers découverte des formes et fonctions. L’idée d’une « grammaire de l’usage » met évidemment aussi en cause l’image d’une langue « homogène » et conteste à juste titre la « vocation » des grammaires à constituer des inventaires stables de catégories. L’appui sur de gros corpus permet de complexifier les données : vision pertinente sans doute de la réalité linguistique mais qui peut conduire à une antinomie didactique et pédagogique (quelle forme de stabilisation du savoir scolaire à transmettre ?) tout en reposant le problème épistémologique chomskyen – et néanmoins incontournable – de la prédictibilité.

26 Ces interrogations conjointes sur les politiques linguistiques et éducatives qui font l’actualité des « réformes » et sur l’élargissement du champ des investigations en didactique de la grammaire s’inscrivent dans une réflexion générale sur la « culture du langage », domaine qu’ont en partage les linguistes et les didacticiens du français et des langues.

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