Couverture de LFA_173

Article de revue

Chronique « poésie ». Alain Helissen ou l'allumette du poème contre la goulangue

Pages 124 à 130

Notes

  • [1]
    http://www.voixeditions.com/
  • [2]
    Éditions Corps Puce, mars 2010.
  • [3]
    Livre d’artiste réalisé avec le plasticien Max Partezana au printemps 2010 : contacter alain.helissen@live.fr
  • [4]
    Livre boite d’allumettes chez VOIX éditions, 2010. Version digest du même titre co-écrit avec Jean-Pierre Verheggen aux éditions Voix en 2005.
  • [5]
    Éditions Les Deux-Siciles (8, avenue Hoch, 77330 Ozoir-la-Ferrière), 2008.
  • [6]
    La Narration vous change la vie, Éditions Comp’act, 2005.
  • [7]
    Voix-éditions, 2000.
figure im1
« Portrait du poète Helissen » par Durigneux (DR)

1 Né en 1954, Alain Helissen vit à Sarrebourg. Poète et performeur, il est surtout connu comme un infatigable chroniqueur des publications poétiques de langue française dans de nombreuses revues depuis plus de trente ans et maintenant sur les principaux sites poétiques dont Poézibao sans oublier son blog (http://alainhelissen.over-blog.com/). Il dirige depuis 2000 la collection de poésie « Vents Contraires » chez VOIX éditions[1] et co-anime le cycle de rencontres poétiques « Pontiffroy-Poésie » (médiathèque de Metz). Bref, ce poète-orchestre qui titre son dernier livre par antiphrase On joue tout seul[2] est un poète des Passages[3] (Metz in Japan – digest[4]) qui n’oublie jamais que la poésie active fait continuellement Le Rappel des titres[5] pour desserrer l’étau de toutes les « goulangues », pour multiplier les boites de poèmes pleine d’allumettes narratives qui vous changent la vie[6].

Figure 2
Extraits de On joue tout seul, éditions Cors puce, 2010, pp. 28 à 31.

2 SM- Depuis toujours tu es l’exemple même d’une singularité étonnante : je pense qu’il y a peu de poètes qui s’intéressent comme toi autant aux autres poètes. Ton écriture semble tous les digérer dans un exercice jubilatoire qui, de ce commun avalé par un gout prononcé pour toute la poésie – il y a peu de détestation chez toi alors même que tu as aussi des gouts prononcés (je pense bien évidemment à ton ami Jean-Pierre Verheggen), fait un singulier inimitable. Je vois bien chez toi la propension qui consiste à jouer mais à cent lieues des jeux de société alors même que le social en est tout l’enjeu, à cent lieues des jeux scolaires alors même que la transmission te taraude, à cent lieues des jeux de pouvoir alors même que tu as en ligne de mire tous les pouvoirs qu’ils soient médiatiques ou littéraires. Bref, vois-tu ce que je vois en te lisant ? Il y a de l’emporte-pièce dans ta poétique qui chavire la chanson en poème et la poésie en « cale-son »… Alors, il me semble que tu es à l’articulation d’une écriture qui tient ensemble sa performance et sa page, son burlesque et son tragique, sa modestie et sa prétention, sa narrativité et ses éclats…

3 AH- Passons sur les superlatifs… Oui, je n’ai jamais cessé de m’intéresser aux « autres poètes ». Mes premières chroniques remontent à la revue FAIX (1979-1983), que je co- animais. Elles se sont poursuivies ensuite dans différentes revues – et plus récemment sur des sites – à un rythme régulier. Quand tu écris « qu’il y a peu de détestation chez moi », je voudrais nuancer. Mes premières notes de lecture, à l’époque de FAIX, n’étaient pas très tendres avec bon nombre de poètes recensés. Au fil des années, j’en suis venu à considérer qu’il était préférable de mettre en valeur les publications que je jugeais intéressantes en faisant l’impasse sur les autres. Le travail de chroniqueur est suffisamment ingrat pour ne pas m’appesantir sur des productions à mes yeux « mineures ». Par ailleurs, pour en terminer sur ce pan de mon activité littéraire, je remarque que la poésie, face à l’indifférence quasi générale des médias, vit dans une économie souterraine qui contraint les poètes à assurer eux-mêmes toutes les étapes de sa transmission.

4 Ma singularité ? Cette terminologie, tout d’abord, m’est chère, tant je crois qu’il faut creuser la langue de ce côté-là. Je ne sais pas si j’y parviens. Ton regard de lecteur attentif à ma création poétique me semble pertinent. Je vais essayer d’y répondre, n’étant pas sûr d’en mesurer moi-même tous les aspects. Le « jeu », oui, en est un élément moteur. Un jeu qui consisterait à prélever, dans la « langue de tous » et dans ses utilisations les plus courantes, des échantillons les plus divers pour un « mixage » singulier, sorte de « remise en jeu » du langage à laquelle la part d’intime ne se soustrait pas. Il y là de la résistance et de la révolte, un traitement sans concession de tous les discours formatés qui voudraient nous modeler l’esprit, un rejet de tout idéalisme.

5 Mon écriture s’inscrit dans une mise en scène tragi-comique. Elle ne se satisfait pas d’une linéarité « tranquille » mais subit des interférences, cède à des éclats intempestifs, rue volontiers dans les brancards. Elle essaie de mettre son lecteur en garde contre toute tentative de séduction. Elle tente l’affranchissement tout en pointant les limites infranchissables de ce que j’ai pu désigner par ce néologisme fortement connoté : « goulangue » ou l’enfermement dans une langue inapte à exprimer le réel.

6 Je relève encore, dans ta première question, le mot transmission. Il me parait, lui aussi, important. Il y aurait beaucoup à dire, et tu es depuis longtemps aux avants postes pour cela, sur la transmission de la poésie à l’école. Je l’ai vécue plutôt comme une « non-transmission », un exercice imposé qui m’a conduit cependant à aller chercher tout seul ce que je sentais manquer cruellement dans cette manière récitative d’aborder la poésie. C’est sans doute le souvenir de cette expérience scolaire qui m’a incité, à travers l’animation de rencontres poétiques et par mes propres lectures publiques, à vouloir rectifier l’image peu attirante héritée de cette première approche scolaire de la poésie. Et puis, il me semble que celle-ci, confinée qu’elle se trouve dans des livres et revues en mal de diffusion, se doit de passer, comme je l’ai écrit dans Les Poétrous[7], « l’oral de rattroupage ! »

7 SM- Cela fait bien longtemps que tu arpentes les revues. Pourrais-tu un peu raconter ton itinéraire revuistique et par là-même nous dire où en est le poème en revue aujourd’hui, à ton avis. Est-ce qu’on ne bascule pas d’une époque à l’autre avec l’Internet, les blogs ? Ou est-ce qu’au fond, l’aventure continue avec d’autres moyens ?

8 AH- Les revues constituent, à mon sens, le creuset de la création poétique, là où elle sème ses graines. Elles sont le reflet de tout ce qui se produit en la matière, du plus classique au plus moderne. Leur diversité est suffisamment importante pour que chaque poète, fut-il débutant, y trouve « vers à ses pieds. »

9 J’ai commencé mon « itinéraire revuistique » en participant activement à l’aventure de FAIX, revue créée avec quelques amis surtout plasticiens. J’avais auparavant publié déjà dans quelques revues. La première, ce fut Action Poétique (1976), encore présente aujourd’hui ! J’ai collaboré plus tard à Sapriphage puis rejoint, depuis quelques années, Diérèse. J’ai publié textes et poèmes dans plus de soixante revues. Aujourd’hui encore je continue d’utiliser cet espace, à mon sens incontournable, qui offre au poète la possibilité de publier des textes courts ou « autonomes » n’entrant pas dans la composition d’un livre, la possibilité aussi de participer à des dossiers thématiques, à des entretiens, celle encore de toucher un public plus large, notamment celui des abonnés.

10 Si la poésie utilise abondamment l’Internet, à travers l’ouverture de blogs et sites permettant sa « mise en ligne », je ne crois pas à un basculement radical dans une nouvelle ère. Certes, la poésie sur la Toile offre des avantages indéniables : accessibilité immédiate, gratuité, rapidité des mises en ligne, diffusion élargie… Pour autant, revues et recueils/papiers continuent de paraitre. Peut-être ont-ils plus de peine, économiquement, à exister ? Mais ces différents supports cohabiteront, il me semble, encore longtemps. Et les revues, qu’elles soient en ligne ou sur papier, continueront de jouer leur rôle de découvreur et transmetteur des multiples chantiers poétiques contemporains.

Figure 3
Figure 4
(extraits de Le Rappel des titres, Éditions des Deux-Siciles, 2008, pp. 34 à 36)

11 SM- Tu es édité très variablement : d’un petit éditeur à l’autre et surtout tu inventes toi-même des micro-éditions très étonnantes (je pense à tes boites d’allumettes) en multipliant les collaborations artistiques. Est-ce que l’aventure éditoriale dont celle que tu mènes à « vents contraires » est décisive pour le poème que tu écris, que tu lis, que tu vis ?

12 AH- Il est plus difficile, pour un poète, de faire paraitre un livre que de publier dans une revue. Il ne reste guère que deux ou trois grands éditeurs à garder une collection de poésie. Y accéder relève de l’exploit. J’y ai renoncé depuis longtemps, préférant jouer dans la cour des « petits éditeurs », animés d’une réelle passion. Par ailleurs, je ne me sens pas soucieux de publier des livres, du moins de ceux représentant un travail de longue haleine comme Les Poétrous ou On joue tout seul, à une cadence soutenue. Je n’écris pas de la poésie de manière régulière ni ne suis animé d’un désir obstiné d’allonger ma bibliographie. Je préfère laisser murir, fusse longtemps, tout nouveau projet de livre. Ma production comprend, c’est vrai, d’assez nombreux « livres d’artiste », réalisés en collaboration avec des amis plasticiens ou bien tout seul, pour ce qui concerne mes quatre « livres-boites d’allumettes », une « invention », je tiens à rectifier tes propos, qui n’est pas de mon fait mais de Richard Meier, éditeur de ces boites – il semblerait, du reste, que d’autres l’avaient devancé. J’aime particulièrement ces livres à deux, nés souvent d’une rencontre impromptue. Ils permettent d’établir une relation (amoureuse ?) d’une création à une autre, de tisser une toile commune.

13 La collection de poésie « Vents Contraires » – 29 ouvrages publiés à ce jour – que je dirige chez VOIX éditions/Richard Meier depuis 2000 me permet, et j’en reviens ici à mon désir de transmission, de donner à lire des poètes d’aujourd’hui dont les travaux me paraissent, là aussi, singuliers. Ils ne sont pas, pour autant, à inscrire dans quelque nouveau courant et s’aventurent dans des directions multiples. Ces textes, comme d’autres découverts au hasard de mes lectures, agissent certainement sur ma propre écriture, de façon plus ou moins consciente. Si j’ai titré mon dernier opus poétique On joue tout seul, c’était plus une provocation qu’une affirmation. Histoire d’ameuter la tribu pour mieux jouer ensemble !

Notes

  • [1]
    http://www.voixeditions.com/
  • [2]
    Éditions Corps Puce, mars 2010.
  • [3]
    Livre d’artiste réalisé avec le plasticien Max Partezana au printemps 2010 : contacter alain.helissen@live.fr
  • [4]
    Livre boite d’allumettes chez VOIX éditions, 2010. Version digest du même titre co-écrit avec Jean-Pierre Verheggen aux éditions Voix en 2005.
  • [5]
    Éditions Les Deux-Siciles (8, avenue Hoch, 77330 Ozoir-la-Ferrière), 2008.
  • [6]
    La Narration vous change la vie, Éditions Comp’act, 2005.
  • [7]
    Voix-éditions, 2000.
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