Notes
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[1]
Palais des Nations, Alger, samedi 13 mai 2000. Site Web de la présidence de la République : <www. el-mouradia. dz>.
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[2]
Le tamazight désigne l’ensemble des langues dites « berbères » en usage (kabyle, chaoui, mozabite, tamachek, etc.) ; son enseignement est actuellement assuré dans dix wilayas (départements) pilotes.
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[3]
L’enseignement secondaire a été restructuré. En première année, deux troncs communs : Lettres-Sciences humaines et Sciences de la nature et de la vie. Puis il se ramifie en neuf filières dont la nouvelle filière Langues étrangères.
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[4]
Source : ministère de l’Éducation nationale. À noter cette remarque du président Bouteflika : « (…) malgré les taux de scolarisation affichés, il est établi que les poches de non-scolarisation et les phénomènes de déscolarisation persistent et continuent de s’élargir, en particulier au détriment des filles et des catégories sociales à faible revenu (…). » Op. cit., en note (1).
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[5]
Source : ministère de l’Éducation nationale.
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[6]
Aujourd’hui remplacé par l’INRE (Institut national de recherche en éducation).
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[7]
La télévision algérienne dispose d’une chaine satellite, Canal Algérie, émettant en français. La chaine 3 de la radio algérienne émet en français sur plusieurs fréquences (GO, FM, OM). On estime à 6 000 le nombre de cybercafés en Algérie. Les panneaux indicateurs, enseignes et éléments de signalétiques sont généralement bilingues (arabe-français).
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[8]
Jusqu’à présent six nouveaux manuels scolaires de français ont été produits au fur et à mesure de la mise en place de la réforme : 2e et 3e années primaires, 1re, 2e et 3e années moyennes et 1re année secondaire.
1 L’enseignement-apprentissage de la langue française en Algérie a connu des changements importants liés à la mise en œuvre d’une réforme globale du système éducatif. Dès lors, pour situer les fondements de ces changements, en apprécier la pertinence et en mesurer l’ampleur, il est indispensable de considérer la discipline dans la dynamique générale qui anime actuellement l’École algérienne.
2 L’installation, en mai 2000, de la Commission nationale de réforme du système éducatif (CNRSE) a constitué le premier acte de la Réforme initiée par le président Bouteflika. Plus connue sous le nom de Commission Benzaghou, du nom de son président, mathématicien et recteur d’université, cette instance était composée d’universitaires, de pédagogues et de représentants de différents secteurs d’activités ou de la société civile. Contrairement à ce qui en a été souvent retenu, sa mission ne se limitait pas aux programmes et méthodes d’enseignement mais portait sur la totalité du monde scolaire : organisation des structures éducatives, architecture des cursus, statuts des enseignants, interactions avec l’université et la vie active, intégration au nouvel environnement économique, social et culturel, etc. La CNRSE s’appliqua dans un premier temps à dresser un état des lieux, aussi exhaustif que possible et fondé en grande partie sur des missions de terrain et des auditions des divers acteurs ou utilisateurs. Une fois avalisées, ses conclusions et recommandations ont été transmises à une nouvelle instance, la Commission nationale des programmes (CNP) dont dépendaient les Groupes spécialisés de disciplines (GSD) chargés de traduire les nouvelles orientations sous forme de programmes, d’outils pédagogiques et de manuels scolaires.
Une forte volonté d’ouverture
3 Au plan des langues, le travail de ces structures ad hoc s’est inscrit directement dans les orientations du président de la République qui avait notamment déclaré, lors du discours d’installation de la Commission nationale de réforme du système éducatif que :
« (…) la maitrise des langues étrangères est devenue incontournable. Apprendre aux élèves, dès leur plus jeune âge, une ou deux autres langues de grande diffusion, c’est les doter des atouts indispensables pour réussir dans le monde de demain. Cette action passe, comme chacun peut le comprendre, aisément, par l’intégration de l’enseignement des langues étrangères dans les différents cycles du système éducatif pour, d’une part, permettre l’accès direct aux connaissances universelles et favoriser l’ouverture sur d’autres cultures et, d’autre part, assurer les articulations nécessaires entre les différents paliers et filières du secondaire, de la formation professionnelle et du supérieur. C’est à cette condition que notre pays pourra, à travers son système éducatif et ses institutions de formation et de recherche et grâce à ses élites, accéder rapidement aux nouvelles technologies, notamment dans les domaines de l’information, la communication et l’informatique qui sont en train de révolutionner le monde et d’y créer de nouveaux rapports de force [1]. »
5 Cette démarche a souvent été mise en relief par les médias. La focalisation sur les langues étrangères pouvait se justifier dans la mesure où la volonté d’ouverture ainsi exprimée constituait une rupture marquée avec le système éducatif précédent. Cela explique sans doute qu’elle ait été perçue et considérée comme un symbole de changement dépassant le seul cadre scolaire, au moment où l’Algérie, après une décennie tragique, revenait sur la scène diplomatique et s’engageait dans un processus d’intégration économique internationale (accord d’association avec l’Union européenne, entré en vigueur en 2005 ; poursuite des négociations en vue de l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce…).
6 Les langues étrangères étaient considérées jusque-là, comme les parents pauvres de l’enseignement. Cela se vérifiait dans les pratiques au sein des établissements où l’intégration de ces matières dans les emplois du temps se faisait en dernier lieu, au point que les enseignants les qualifiaient familièrement de « matières bouche-trous ». Par ailleurs, ces disciplines ne jouissaient d’aucun « prestige » auprès des élèves et de leurs parents. Ce n’est qu’en 1992, par exemple, que le français fut rétabli aux épreuves du baccalauréat des séries Sciences de la nature et Sciences exactes après une interruption de près de sept ans, d’autant plus dommageable qu’à l’université, de nombreuses filières dispensaient – et dispensent encore – leur enseignement en français (médecine, pharmacie, chirurgie dentaire, architecture, école vétérinaire, polytechnique, etc.).
7 Dans ces limites communes aux langues étrangères, nous signalerons que le français jouissait néanmoins, avant la réforme, d’un statut relativement privilégié. Son enseignement débutait alors en quatrième année primaire tandis que l’anglais n’était introduit qu’en deuxième année de collège et l’allemand ou l’espagnol, en deuxième année de lycée. La réforme a conservé au français ce statut de première langue étrangère, compte tenu du facteur historico-linguistique et de ses éléments les plus évidents : un usage répandu du français dans l’économie et la société algériennes, la présence en France d’une forte communauté algérienne, de nationalité ou d’origine, le volume et l’intensité des échanges bilatéraux de tous ordres.
8 Cette démarche s’est inscrite dans une reconsidération globale de l’apprentissage linguistique. Le français a été considéré au sein de l’ensemble des langues étrangères et ces dernières, en relation avec les langues nationales, objet bien entendu d’une attention particulière à travers la rénovation de l’enseignement de la langue arabe qui conserve son primat et l’introduction du tamazight [2] à l’école primaire. Ainsi, on notera que l’anglais a bénéficié avec la réforme d’une année supplémentaire d’apprentissage puisqu’il débute désormais en première année de collège au lieu de la deuxième.
9 Les changements introduits dans l’enseignement du français sont d’ordre quantitatif et qualitatif, mais il est remarquable que ce soit les premiers qui aient été mis en évidence, au détriment des aspects de contenu et de méthode, dont les changements nous paraissent fondamentaux et potentiellement porteurs d’une amélioration significative de l’enseignement et du niveau de maitrise de cette langue.
10 Pour autant, les aspects quantitatifs ne sont pas négligeables. À partir de la rentrée 2003, l’enseignement de cette langue qui débutait auparavant en quatrième année fondamentale (équivalent du CE2 en France) a été avancé de deux années. Cette disposition, entrée en vigueur depuis la rentrée 2003-2004, a vu ainsi le français enseigné à partir de la deuxième année (équivalent du CP2), à raison de trois heures par semaine. À partir de la prochaine année scolaire (2006-2007), ce volume passera à quatre heures hebdomadaires pour poursuivre son rythme de cinq heures par semaine jusqu’à la fin du collège.
11 À l’issue de la réforme, selon notre projection, un élève de « terminale » série Lettres étrangères devrait capitaliser durant tout son cursus 1 456 heures de français contre 1 176 heures auparavant. Ce gain de 280 heures supplémentaires peut être différemment apprécié. De fait, certains le trouvent insuffisant et d’autres excessif. Vain débat, à notre sens, si l’on considère que le volume horaire n’exprime ni la part la plus importante, ni surtout la plus décisive, d’un enseignement.
12 Ainsi, dans le cas de l’école algérienne, il nous semble que ce n’est pas tant le fait que l’on enseigne plus ou moins d’heures de français que celui de les enseigner plus tôt qui fera la différence. Il n’est pas besoin ici de rappeler les bienfaits prouvés et universellement reconnus de l’apprentissage précoce d’une langue étrangère, de même que ceux d’un apprentissage simultané de plusieurs langues. Désormais, les écoliers algériens se voient offrir la possibilité de passer, dès la seconde année, à une situation de diglossie (arabe et français) puis, de triglossie en quatrième année (arabe, français et tamazight) pour aboutir à une polyglossie au collège avec l’introduction de l’anglais. En outre, dès l’année prochaine, la deuxième année de lycée, verra l’introduction de la filière « Langues étrangères » qui bénéficiera de l’enseignement d’une langue supplémentaire, l’allemand ou l’espagnol au choix de l’élève [3].
Une transition de taille
13 La progressivité de l’accroissement horaire du français au cycle primaire a été essentiellement motivée par la nécessité de gérer la transition : recrutement, formation et affectation des enseignants ; changement des emplois du temps ; nouvelles répartitions des effectifs et des salles et, d’une manière générale, organisation en conséquence des établissements par rapport à une réforme qui concerne, nous le rappelons, l’ensemble des matières enseignées. L’adaptation du « terrain » était indispensable et les décideurs ont veillé en l’occurrence à ne pas bousculer la mise en œuvre de la réforme pour lui assurer les meilleures chances de succès.
14 Les dimensions considérables de l’École algérienne et sa répartition sur un territoire de plus de 2 400 000 kilomètres carrés (environ cinq fois la superficie de la France) attestent de l’ampleur de la tâche. Avec un taux de scolarisation de 96 % [4], ce sont près de huit millions d’élèves qui prennent chaque matin le chemin des 17 000 écoles primaires, 5 000 collèges et 1 500 lycées du pays, sans compter les centaines d’établissements en construction. Le ministère de l’Éducation nationale emploie un demi million de personnes, tous corps confondus, et dispose du deuxième budget de l’État avec 264 milliards de dinars. Dans un corps aussi imposant, l’ajout d’une seule heure de cours prend un cours exponentiel.
15 À ces enjeux, disons physiques, de la réforme, s’ajoute le fait que l’école algérienne n’a pas connu de changement important depuis vingt-deux ans, le dernier ayant été celui de l’introduction en 1981 de l’École fondamentale, considérée par d’aucuns comme la source de tous les maux. Alors que l’Algérie connaissait durant ces deux dernières décennies des modifications radicales et une période pour le moins difficile de son histoire, et que le monde évoluait à une vitesse surprenante, cet immobilisme s’est traduit par une sclérose certaine de l’école, au plan des programmes et des méthodes, un encroutement des habitudes chez ses différents acteurs et, en conséquence, une difficulté objective à injecter massivement du changement.
16 Ceux qui reprochent à la réforme de ne pas avancer plus vite devraient à la fois considérer le poids considérable du passé et l’envergure des changements attendus, et mesurer, à titre d’illustration, le gap à combler entre le vécu étriqué de l’élève au sein de l’école et son ouverture débridée au monde dans le cybercafé de la même rue.
17 Nous ajouterons qu’il ne s’agissait pas seulement de réformer, au sens de changer, mais également de remettre à niveau un enseignement dont la vertu légitime de démocratisation s’est traduite par des concessions trop larges à la qualité et notamment au niveau du recrutement des enseignants. Ainsi, l’enseignement du français ne peut être dissocié de celui de l’ensemble des matières, les contraintes et les faiblesses étant bien partagées du point de vue de la surcharge des classes (en moyenne 40 élèves) et des moyens pédagogiques. On pourrait même raisonnablement supposer que les besoins en effectifs étant moindres que pour d’autres matières, les effets négatifs d’un recrutement massif et hâtif auraient moins sévi pour le français.
18 En 2003, pour un effectif total de 7 895 000 élèves des trois paliers, on comptait 36 280 enseignants de français pour le fondamental (primaire et moyen), soit 13,3 % du corps enseignant, tandis qu’au secondaire général et technique, on comptait 5 630 professeurs de français, soit 9,7 % du corps enseignant de ce niveau [5]. Ces chiffres indiquaient dans le premier cas, une moyenne de 187 élèves par enseignant de français du fondamental et de 195 élèves par professeur de français au lycée. On notera qu’à l’école primaire, l’enseignant de français assure hebdomadairement 24 heures de cours et 6 heures d’animation culturelle. Au collège, il assure 22 heures de cours tandis qu’au lycée, cette charge hebdomadaire est de 18 heures.
19 Si les données quantitatives demeurent importantes, les aspects pédagogiques de la réforme demeurent souvent méconnus en dehors des cercles professionnels. Sa grande nouveauté est d’avoir introduit pour l’ensemble des matières une entrée dans les programmes par les compétences. Ainsi, après avoir pratiqué l’entrée par contenus puis l’entrée par objectifs, l’Algérie rejoint le mouvement mondial en faveur d’une approche par compétences. L’ambition de la réforme consiste donc en une véritable révolution pédagogique, notamment au regard du retard accumulé au plan des méthodes et des pratiques d’enseignement et de certification. L’École algérienne découvre ainsi de nouveaux concepts et outils avec l’introduction de l’organisation du travail en projets, l’adoption de la démarche inductive, l’intégration de l’évaluation et des technologies de l’information et de la communication éducatives et, pour les langues, la réhabilitation de l’oral.
Des changements profonds
20 Ces innovations se sont traduites pour l’enseignement du français par de nouvelles implications didactiques et pédagogiques. La relation enseignant-enseigné qui, depuis toujours, avait fonctionné selon une relation frontale de type cours magistral-application, cohabite désormais avec des interactions de type élèves-enseignant et élèves-élèves.
21 Le programme encourage ainsi la mise en place d’une pédagogie différenciée. La centration sur l’apprenant permet à celui-ci de construire de manière consciente ses savoirs et savoir-faire par le biais d’une démarche s’appuyant sur l’observation, l’analyse, l’interaction et l’évaluation.
22 Auparavant, dans une routine aussi implacable pour les élèves que pour les enseignants, la pédagogie du modèle imposait son sempiternel parcours : observation d’un texte modèle, étude des points de langues et enfin restitution par les élèves du modèle au travers d’une rédaction. Jusqu’en 1992, année des premiers réaménagements de programmes, les enseignants étaient tenus de se conformer strictement aux fiches de l’Institut pédagogique national [6]. À propos de ces fiches, un ancien inspecteur avait lancé cette boutade : « Aujourd’hui, à cette même heure, à cette minute, partout sur le territoire national, d’Alger à Tamanrasset et de La Calle à Marsat Ben M’hidi, tous nos enfants lisent le même texte et, nonobstant quelques décalages horaires, ils doivent en être au même paragraphe. »
23 Il n’y avait effectivement pas ou peu de place à la recherche, à l’innovation, à l’adaptation environnementale et encore moins à la découverte et à la surprise. Ni la curiosité des élèves, ni la participation créative des enseignants n’étaient sollicitées. Les textes eux-mêmes étaient soit « fabriqués » par les auteurs des manuels, soit repris de diverses sources (littérature algérienne et universelle, articles de presse…) et adaptés, réaménagés, tronqués, parfois au point d’en faire oublier l’original. Le manuel apprenait essentiellement à lire dans le manuel et non pas à aller vers une pratique autonome et extrascolaire de la lecture.
24 La réhabilitation de l’oral pour l’ensemble des apprentissages linguistiques prend un poids particulier pour les langues présentes dans l’environnement social et culturel du fait des passerelles et interactions entre l’enseignement et la pratique en situation authentique de communication. Cela concerne bien entendu la langue arabe et la langue tamazight. Même si leurs variantes parlées ne sont pas rigoureusement identiques à leurs versions académiques, elles partagent un fonds important avec celles-ci, au plan des structures lexico-syntaxiques et de l’habitus phonique.
25 Ce que nous pouvons ainsi désigner comme un atout de pratique extrascolaire, rendu possible par la réhabilitation de l’oral, fait que la langue française devient la seule langue étrangère à en profiter, en raison de sa forte présence dans l’environnement. Elle demeure en Algérie la langue des échanges économiques et commerciaux, celle des filières scientifiques de l’université, celle des médias, à travers la presse écrite francophone, les chaines de radio et de télévision nationale ou captées via les satellites, la pratique de la navigation Internet extrêmement répandue chez les jeunes [7]. Par ailleurs, certains éléments du français se voient largement utilisés par l’arabe dialectal et tamazight, sous le mode de code-switching ou alternance de codes.
26 À l’école, les prescriptions du nouveau programme se traduisent par la quasi-équivalence en volume et en activités de l’oral et de l’écrit et permettent aujourd’hui d’exposer l’apprenant à des documents sonores authentiques (enregistrements audio d’émissions, chansons, discussions…), ouvrant à la découverte des variantes orales de la langue, à la meilleure compréhension des accents, etc. Par ailleurs, l’apprentissage du français – comme des autres langues, nous le rappelons – n’est plus figé dans la monopolisation de la parole par l’enseignant, qu’il ne concédait que pour des réponses à ses questions. La prise de parole spontanée ou sollicitée, les échanges au sein de binômes ou de groupes, l’exposé, les jeux de rôles et, d’une manière générale, l’expression des élèves et entre élèves sont préconisés.
27 Les diverses activités de lecture sont menées sur des supports authentiques (extraits d’œuvres littéraires, articles de presse, publicités, iconographies commentées…). Grande nouveauté, la bande dessinée fait son entrée à l’école tandis que l’abandon des textes dits « adaptés de » marque l’émergence d’une immersion de l’élève dans les pratiques réelles de la langue. Dès le primaire, les enfants sont exposés à tous les types de discours et de textes. Et pour la première fois, y compris chez les tout-petits, l’œuvre complète entre dans le programme sous toutes ses formes (conte, poème, nouvelle, roman, pièce théâtrale), l’objectif étant d’amener l’élève à découvrir la cohérence interne d’un texte, à se familiariser avec les différents genres et, in fine, à conquérir une capacité autonome de lecture.
28 Les activités de langue ne sont plus enseignées pour elles-mêmes. Ainsi, la grammaire, la conjugaison, le vocabulaire et l’orthographe sont désormais liés à des objectifs définis. Ils deviennent, à l’oral comme à l’écrit, les outils d’une finalité qui les rend non seulement opportuns, mais visibles et utilisables par les élèves en situations scolaires ou en situations authentiques de communication.
29 Sur le plan de l’écriture, les nouveaux programmes ont sonné le glas des clichés sur le « don d’écriture ». L’écriture est rétablie en tant que processus de construction : essai-erreur, erreur-remédiation, remédiation-réécriture, etc. Les élèves, qui pastichaient maladroitement des modèles, découvrent aujourd’hui plusieurs types d’écritures : l’écriture de reformulation (résumé, synthèse), l’écriture utilitaire (listes, modes d’emplois…) et l’écriture d’invention (créations littéraires ou autres). De même, les programmes introduisent l’écriture collective sous forme de projets de groupes.
30 Même si les évaluations diagnostique et sommative conservent leurs places, la réforme donne plus de poids à l’évaluation formative. En français, cela se vérifie dans l’expression écrite où la consigne d’écriture s’enrichit des critères d’évaluation et des seuils d’exigence. Alors qu’auparavant l’orthographe déterminait quasi-exclusivement la note attribuée, aujourd’hui, les idées, l’argumentation et la structure des textes produits deviennent des indicateurs d’intégration des apprentissages en mesure de déboucher sur des séances de remédiation.
31 Enfin, nous signalerons que l’introduction des technologies de l’information et de la communication éducatives (TICE) apporte un souffle nouveau à l’apprentissage du français, notamment dans un pays où la navigation Internet constitue un véritable phénomène de société, aussi bien en milieu urbain que rural.
32 Les nouveaux manuels scolaires de français reflètent cette nouvelle approche de l’enseignement-apprentissage. En dépit de quelques maladresses, dues à l’inexpérience et au caractère radicalement nouveau des programmes, ils se distinguent des anciens par leur richesse de contenu et une meilleure qualité graphique [8].
Et demain ?
33 L’ampleur des changements introduits par la Réforme nécessite l’ouverture d’un énorme chantier. L’enjeu le plus important réside dans la préparation des enseignants, tant dans l’adaptation des formations initiales, relevant de l’enseignement supérieur (Écoles normales supérieures) que des formations continues, relevant du ministère de l’Éducation nationale. Celui-ci a lancé dans ce sens un programme de mise à niveau de 120 000 enseignants du primaire et du moyen, sous le mode d’une formation à distance. Parallèlement, les critères de recrutement ont été relevés à Bac + 3 pour les instituteurs, à Bac + 3 pour les professeurs de collèges et à Bac + 5 pour ceux des lycées.
34 La grande avancée des programmes, imprégnés des dernières recherches en didactique, introduit un autre enjeu, celui de leur faisabilité dans une réalité scolaire marquée par de lourdes contraintes dont le poids des effectifs n’est pas le moindre. Cela pourrait sembler une gageure et plus que jamais, s’impose la précaution exprimée au départ d’une « nouvelle politique éducative pour une période couvrant celle d’une génération » et de la nécessité d’un « échéancier de mise en œuvre graduelle ».
35 Comme tout changement, la réforme suscite des résistances, mais celles-ci paraissent plus liées à des appréhensions qu’à des rejets manifestes de son contenu par les acteurs du monde de l’éducation. Sur le terrain, si les choses ont commencé à évoluer, il est encore trop tôt pour en apprécier les résultats concrets.
36 Aujourd’hui, le français est enseigné plus qu’auparavant. Il devrait surtout être différemment et mieux enseigné. En l’occurrence, ce n’est pas tant le volume horaire qui compte mais la qualité des méthodes et la performance des enseignants. En outre, faisant bénéficier le français d’un apprentissage plus précoce, la Réforme l’a doté d’un atout loin d’être négligeable.
37 Les nouveaux programmes mettent fin à l’ambivalence jusque là existante entre une méthodologie de langue maternelle et une méthodologie de langue seconde. Considéré désormais sous l’angle du FLE (français langue étrangère), la réforme lui ouvre le champ d’une meilleure adéquation avec la réalité linguistique globale de la société algérienne et l’aspiration de celle-ci à une plus grande ouverture sur le monde.
Notes
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[1]
Palais des Nations, Alger, samedi 13 mai 2000. Site Web de la présidence de la République : <www. el-mouradia. dz>.
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[2]
Le tamazight désigne l’ensemble des langues dites « berbères » en usage (kabyle, chaoui, mozabite, tamachek, etc.) ; son enseignement est actuellement assuré dans dix wilayas (départements) pilotes.
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[3]
L’enseignement secondaire a été restructuré. En première année, deux troncs communs : Lettres-Sciences humaines et Sciences de la nature et de la vie. Puis il se ramifie en neuf filières dont la nouvelle filière Langues étrangères.
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[4]
Source : ministère de l’Éducation nationale. À noter cette remarque du président Bouteflika : « (…) malgré les taux de scolarisation affichés, il est établi que les poches de non-scolarisation et les phénomènes de déscolarisation persistent et continuent de s’élargir, en particulier au détriment des filles et des catégories sociales à faible revenu (…). » Op. cit., en note (1).
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[5]
Source : ministère de l’Éducation nationale.
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[6]
Aujourd’hui remplacé par l’INRE (Institut national de recherche en éducation).
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[7]
La télévision algérienne dispose d’une chaine satellite, Canal Algérie, émettant en français. La chaine 3 de la radio algérienne émet en français sur plusieurs fréquences (GO, FM, OM). On estime à 6 000 le nombre de cybercafés en Algérie. Les panneaux indicateurs, enseignes et éléments de signalétiques sont généralement bilingues (arabe-français).
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[8]
Jusqu’à présent six nouveaux manuels scolaires de français ont été produits au fur et à mesure de la mise en place de la réforme : 2e et 3e années primaires, 1re, 2e et 3e années moyennes et 1re année secondaire.