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Article de revue

De l’utilisation du contre-transfert (CT) en thérapie familiale

Pages 153 à 181

Notes

  • [1]
    Ce texte reprend et met à jour le chapitre 3 du livre La parenté fantasmatique, Transfert et contre-transfert en thérapie familiale psychanalytique, Paris, Dunod, 1987, actuellement hors catalogue.
  • [2]
    Leporello est le valet du Don Giovanni de Mozart.
  • [3]
    Entre crochets : remarques d’Alberto Eiguer.
« On est parfois horrifié de se découvrir soi-même dans un autre. »
Julien Green, Journal, Plon

1 Au préalable, nous nous attarderons un instant sur le terme utilisation : terme très suggestif, évoquant l’utile et l’efficace et qui, en même temps, renvoie à la notion d’utilisation de la mère par l’enfant, de Winnicott (1971). Cet auteur propose deux manières de la considérer, restreinte et élargie. De manière restreinte, la mère permet à l’enfant de différencier une agression réelle dont elle pourrait être l’objet de sa part, et une agression fantasmée. De manière élargie, l’enfant utilise sa mère pour progresser, pour se construire psychiquement comme sujet. L’enfant comprend qu’il y a également une différence entre la mère fantasmée comme objet intérieur et la mère comme sujet indépendant, ayant une vie intérieure et d’autres attachements que celui qui les lie.

2 L’utilisation pose alors ces questions : comment une psyché peut-elle être utilisée par quelqu’un d’autre ? Plus précisément, comment une famille peut-elle se servir de nous, thérapeutes, pour changer ? Ces mots, utiliser, se servir de, sont présents dans l’esprit de la plupart des thérapeutes, même s’ils ne les emploient pas. Et ils utilisent l’« utilisation » d’une façon très différente les uns des autres.

3 En ce qui concerne le contre-transfert, nous repérons au moins deux formes d’utilisation. Une toute première serait celle qui renvoie à une réponse immédiate : dès qu’il éprouve un sentiment contretransférentiel, le thérapeute se croit obligé de restituer cette sensation ou ce fantasme sous forme d’intervention, d’interprétation, ou dans une prescription, avec l’idée sous-jacente que le contre-transfert nécessite d’être évacué au plus vite (Whitaker, 1981). Il existe aussi une autre forme de réponse, différée, où, sans donner lieu à une intervention immédiate, l’utilisation du contre-transfert s’inscrit dans une tentative plus vaste du thérapeute de mûrir à la fois sa perception de la famille et peut-être aussi sa propre connaissance de soi-même. Dans cette réponse différée, il y a donc le projet du thérapeute de se servir du contre-transfert pour le laisser évoluer. Et c’est bien cette deuxième possibilité qui nous semble la plus intéressante dans la mesure même où nous avons le sentiment que si la famille fait le nécessaire, inconsciemment parlant, pour que quelque chose se développe en nous, thérapeutes, c’est parce qu’elle ne peut elle-même le développer. Autrement dit, apparaît la possibilité au thérapeute de vivre le fantasme que la famille ne peut fantasmer, les désirs qu’elle ne peut désirer, les mots qu’elle ne peut trouver, à travers ce que le thérapeute pourra, lui, penser, fantasmer ou rêver les rêves que les membres de la famille ne peuvent rêver.

4 Que le thérapeute se serve de son contre-transfert pour approfondir sa compréhension de la famille, et que le contre-transfert lui ouvre une voie royale de compréhension sur ses propres mécanismes psychiques, sur sa technique, sur la nécessité de la modifier d’après les mouvements qui se dessinent en lui et au fur et à mesure, offre bien des perspectives. De plus, si nous sommes si nombreux à nous intéresser aujourd’hui au contre-transfert, c’est qu’il nous touche de près, nous renvoie à la fois à notre travail, à nos choix professionnels et à nos options de vie. Et il répond à notre préoccupation permanente de nous économiser, d’essayer par tous les moyens que notre travail soit à la fois le plus facile et le moins préjudiciable, pour nous et pour les familles. Ce thème soulève une remarque : quand tant d’ouvrages, de colloques, de symposiums et de congrès traitent de l’« autre », parlent de la famille, du couple et de l’individu, en revanche nous nous occupons ici de nous-mêmes. Et, comme Leporello [2], le thérapeute pourrait bien dire : « Je veux faire le gentilhomme, je ne veux plus servir ! »

Définition du contre-transfert

5 En thérapie familiale psychanalytique (TFP), le contre-transfert (CT) constitue l’ensemble des émotions et représentations, des gestes et des actes du thérapeute qui se manifestent en écho au transfert de la famille et généralement à son insu, autrement dit inconsciemment (cf. Eiguer, 1981, 1983).

Développement en dix temps

Premier temps : provenance

6 À partir de cette définition, nous pouvons déjà considérer comme une fausse question le fait de parler de la provenance du contre-transfert : vient-il de l’autre (ici la famille) ou surgit-il de nous ? C’est une conjoncture, une association, où se rencontrent, d’une part, les vécus qui sont déposés en nous pour qu’ils puissent être fantasmés et, d’autre part, certains affects et représentations qui nous concernent et tiennent à notre organisation psychique mise en mouvement par le déroulement de la séance.

7 Mais le contre-transfert en thérapie familiale signifie que nous sommes impliqués, et cela dans la mesure où il s’agit d’un groupe naturel qui utilise tout particulièrement des mécanismes projectifs et les émet avec une force expulsive qui dépasse les possibilités de contention par la famille elle-même. Cette forme projective parvient à déclencher chez le thérapeute ou dans l’équipe de thérapeutes, un certain nombre de productions psychiques, soit de consonance et de résonance, dans un processus d’analogie, soit de dissonance et de dissymétrie, dans un processus d’alternative.

8 Disons-le assez vite : si nous restons psychanalystes pour la compréhension de la thérapie familiale et si nous nous démarquons de l’esprit d’autres courants de la thérapie familiale et de la notion d’intentionnalité, c’est que, dans les interférences entre le processus transférentiel et le processus contretransférentiel, rien n’est motivé par un vouloir délibéré de la famille. C’est donc vers ce complexe, cette valse des inconscients, que nous allons orienter notre réflexion.

Deuxième temps : contours du contre-transfert

9 Le contre-transfert n’est pas tout ce qui se passe dans la tête du thérapeute, loin de là. Ni tout à fait ce qu’il fait. Dans la psyché du thérapeute, ce qui est de l’ordre du cognitif, et plus largement de son activité professionnelle, n’est pas forcément du contre-transfert. S’il est d’une part quelqu’un qui voit, qui observe, qui réfléchit, qui essaie d’y trouver des réponses, il est d’autre part quelqu’un qui éprouve. Nous touchons là du doigt son contre-transfert.

10 Pour mieux préciser ce point, nous aimerions proposer la distinction judicieuse de Racker (1960) à propos de ces éprouvés. Il différencie un contre-transfert large, où l’on introduit tout ce que vit le thérapeute dans le cadre de sa fonction professionnelle, et un contre-transfert restreint, qui renverrait essentiellement au vécu infantile du thérapeute – et qui dit infantile, dit ce qui se noue dans le réchauffement régressif à l’œuvre à l’intérieur de la thérapie et renvoie aux représentations de ses objets.

11 Vraisemblablement, l’éprouvé infantile du thérapeute est au plus près du vécu familial latent au moment où résonnent les fantasmes des acteurs de la situation thérapique. L’idée de contre-transfert restreint nous intéresse, parce que celui-ci serait en condition de capter les aspects transférés : le contre-transfert est en résonance privilégiée avec le transfert.

Troisième temps : inhibition et fomentation

12 Distinguons maintenant inhibition et fomentation contretransférentielle. L’inhibition serait déjà du contre-transfert, dans le sens d’un blocage du vécu du thérapeute. Au pôle opposé, la fomentation, stimulation de fantasmes, fermentation d’idées, éclosion du vécu (même apparition d’actes symptomatiques), serait à première vue plus attirante. Mais, à l’analyse, l’une et l’autre représentent une des richesses de notre travail. Quelles sont les perturbations ainsi suscitées ?

Quatrième temps : circulation de la folie

13 L’une des caractéristiques de cette production contretransférentielle est qu’elle se passe à l’insu du thérapeute. Celui-ci se demande : « Comment se fait-il qu’habituellement je suis à l’heure et qu’aujourd’hui j’arrive en retard, qu’aujourd’hui j’ai envie de partir ? que j’oublie la séance ? » C’est quelque chose qui le dérange et qui provoque chez lui un sentiment d’étrangeté. Il peut même avoir l’impression de devenir fou, de perdre ses moyens cognitifs – et cela nous arrive assez fréquemment au contact des familles éprouvées, des familles de patients psychotiques ou narcissiques. Jadis nous disions que la famille essaie de faire du thérapeute un deuxième enfant psychotique : il lui arrive dans ce cas de se tromper de personne, d’appeler l’un du nom de l’autre, de confondre les places et de faire d’autres erreurs dans le registre du pensable et du dicible (Eiguer, 1978). Mais précisions que toutes les réactions du thérapeute ne revêtent pas de cette caractéristique affolée. Il peut également faire des lapsus ou réagir sur le mode d’actes symptomatiques comme nous en avons cité quelques-uns : arriver en retard, vouloir partir. Cet ordre de phénomènes, davantage lié au processus de refoulement et de retour du refoulé, est à rattacher à un fonctionnement névrotique.

14 Le thérapeute deviendrait-il vraiment fou ? Et pourquoi pas. C’est éventuellement une chance ! La situation thérapeutique le trouve parfois touché jusque dans ses identifications : il a des difficultés à rester lui-même ou à conserver l’intégrité de ses processus mentaux. Quoi qu’il en soit, le contre-transfert est un processus où l’identification est toujours présente, identification transformant l’identité de perception du transfert, qui, dans les cas heureux, débouche sur d’autres liaisons.

15 Il peut s’agir d’une réaction à la détresse des familles incapables de maîtriser leurs pensées et leurs émois. Et il serait faux de penser que ces familles ne souffrent pas de ce qu’il leur arrive. Lorsque le thérapeute « perd pied » tout en sentant comme inévitable, l’affolement et le déséquilibre mental, l’empathie procure du soulagement et déclenche de l’espoir ; le thérapeute proposera éventuellement une vue différente de la détresse. Ces familles ont soif de savoir dans quelle mesure elles sont atteintes de folie.

Cinquième temps : la mère fantasmante

16 Le contre-transfert doit être compris à partir de ce qu’on appelle un contretransfert de base (Donnet, 1973). Au contact de la famille, le thérapeute se trouve lui-même pris dans une régression. Le cadre, les horaires, l’évocation de sa propre analyse et aussi de sa propre famille, le renvoient à une situation régressive d’illusion plaisante. Nous nous sommes demandé pourquoi, au moment des vacances, éloigné de la famille, ou encore à la fin du traitement, le thérapeute arrive à des conclusions comme : « Je n’avais pas l’impression que cette personne possédait ces qualités, ou que de telle personne avait tel défaut. » Subitement, le voilà qui découvre que le patient en question a fait un choix d’existence très différent de celui qu’il s’était imaginé. Dans ces moments précis, qui constituent des charnières entre le dedans et le dehors, nous nous sommes demandé si ce n’était pas là qu’intervenait la désillusion du thérapeute qui, pendant tout le temps de la thérapie familiale, avait été submergé par une situation fantasmatique dont il ne distinguait pas tous les contours (Eiguer, 1984).

17 Et c’est bien cependant cette illusion qui nous semble la chose la plus extraordinaire qui nous arrive, à nous, thérapeutes. Nous voilà en train de revivre dans la relation thérapeutique avec la famille ces moments d’illusion des premières relations avec la mère, privilège de la prime enfance, où s’instaure ce mouvement de continuité entre mère et nourrisson, et que l’on peut traduire par la notion, nous semble-t-il, la plus forte, celle que nous appelons le lien à la mère fantasmante, une mère dotée de capacité de rêverie. La mère sait, elle, que l’enfant n’est pas le seul être au monde, elle « sait » qu’elle a une histoire, qu’elle vient d’un passé, qu’elle a vécu ; cependant elle peut faire croire à l’enfant que c’est lui le premier : son existence à elle a commencé avec lui. Elle « sait » qu’elle a des objets internes, qu’elle a un partenaire qui lui procure des satisfactions autres, riches et intéressantes ; pourtant elle « fait croire » à l’enfant qu’être avec lui est unique, exceptionnel, et que c’est lui « le seul objet » qui lui donne la satisfaction dont elle a besoin.

18 Il est vrai que l’enfant n’a pas le choix. L’enfant vit la mère pendant les premiers moments de la relation d’illusion sur le mode du narcissisme primaire. De cette illusion nécessaire, de cette situation fictive, il se nourrit pour se construire. De même, pour pouvoir concilier des choses inconciliables, la seule solution que nous ayons, devant ces contradictions insurmontables, c’est de fantasmer, de faire de l’humour.

19 C’est ainsi que l’enfant n’a plus peur de pousser sa curiosité infantile et de bâtir son propre fonctionnement mental. De là naît le plaisir de la découverte et le courage d’oser se poser des questions, même si elles sont difficiles et douloureuses. Or le thérapeute, par son attention flottante, se trouve dans la situation de la mère fantasmante. Il privilégie des situations que dans la vie courante il ne privilégie pas. Tout lui est important, tout lui paraît intéressant ; le thérapeute est dans une attente ouverte à tout ce qui va se passer entre la famille et lui-même. Cette capacité d’émerveillement déclenchée par la situation thérapeutique va permettre précisément l’instauration du contre-transfert de base. C’est la possibilité de réagir, d’être en consonance, ensuite de comprendre ce qui est en train de se passer.

Sixième temps : entre la crédibilité et le scepticisme

20 Le thérapeute est néanmoins « assis entre deux chaises ». D’une part, la situation d’attention « également » flottante, de l’autre, les interventions. Dans l’attention flottante, il est expectant, passif dans le sens d’une réceptivité, crédule, naïf ; tout lui semble important.

21 À l’opposé, lorsqu’il doit intervenir, soutenu par ce qu’il a pu entendre et réanalyser d’après son modèle théorique, le voilà sceptique ; il sélectionne, écarte ce qui n’est pas essentiel, met en valeur ce qui l’est, construit. L’attention flottante mobilise plus particulièrement le contre-transfert, alors que la situation d’intervention le freine.

22 Encore une illusion de notre travail qui doit tomber : nous pensons que nos interventions font tout. Mais l’intervention s’inscrit dans une attente de transfert, dans une situation qui la précède et la nourrit. La famille n’entendra que ce qu’elle veut entendre, et heureusement pour elle.

Septième : aveux

23 Autre question : faut-il dévoiler son contre-transfert ou bien faut-il le taire ? Parmi ceux qui utilisent le contre-transfert d’une façon hyperactive, certains pensent que nous avons intérêt à en faire état, à dire ce que nous éprouvons, à parler de nos frustrations, de nos déceptions, de notre colère. Sur ce point, nous sommes plutôt réticents sur ce que nous appelons le « carnaval » du contre-transfert, en ayant dans l’esprit cette image, pendant le carnaval, du maître qui se déguise en esclave, et de l’esclave, en maître. Il s’agit souvent d’une situation, Pontalis (1977) l’a signalé, tout à fait hasardeuse. Car montre-t-on jamais ce qu’on éprouve ? Privilégions-nous le plus important ou ce qui nous arrange et nous convient le mieux ?

24 Cela voudrait dire également que nous favorisons à l’extrême un désir des patients sur lequel Searles (1979) attire notre attention : beaucoup de patients, de schizophrènes, de familles, se sentent profondément frustrés de ne pas avoir guéri le schizophrène sa famille, et la famille, son schizophrène. D’après Searles, cette frustration est très active pendant le processus transférentiel : le patient désire guérir le thérapeute. Alors, il propose comme solution que le thérapeute accède à ces désirs, en permettant au patient de devenir le thérapeute du thérapeute. Formule peut-être aléatoire, mais qui a le mérite d’être percutante. S’il nous semble intéressant de savoir qu’il y a toujours chez les patients et chez les familles ce désir frustré de devenir thérapeute, nous sommes plutôt sceptique en ce qui concerne les possibilités de transformer cela en mesure thérapeutique salutaire où le thérapeute exposerait son contre-transfert. Que cela soit implicite dans notre réflexion nous semble justifié et ouvre une perspective, notamment au niveau du « jeu sadomasochiste de la relation transférentielle ». Mais nous devons surtout comprendre que le patient ou la famille ont besoin de nous voir solides et entiers, capables de penser à eux sans nous laisser « agir » dans un aveu dont les conséquences renarcissisantes seraient par ailleurs aléatoires. Pourquoi ne pas imaginer d’interpréter cette volonté inassouvie de devenir thérapeute en termes de souhait, car de toute manière ce qui n’a pas été réalisé ne le sera qu’en fantasme ? Par exemple : « J’ai le sentiment que vous désirez vous occuper de moi, afin que je puisse mieux m’occuper de vous ». Autrement dit, nous préférons la passivité assumée à la passivité affichée, ce qui propose de surcroît le modèle du fantasmatique.

Huitième temps : le roc familial et le roc social du couple

25 En ce qui concerne la nature sadomasochiste du cadre et de la relation, n’oublions pas que toute situation de thérapie comporte un lien de domination, un déséquilibre entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Que le thérapeute soit aussi ignorant que la famille sur elle-même, c’est une autre question. La famille se vit dans une situation d’asymétrie. Ce n’est pas seulement qu’elle a besoin de nous mettre sur un piédestal ; la domination découle de la situation elle-même : la thérapie est vécue en quelque sorte comme « une humiliation » ; souffrir est ressenti dans la honte. Aucune réflexion sur le contre-transfert et sur notre travail en général ne peut esquiver cette question (Fedida, 1973). Ensuite, combien de thérapeutes se sentent dans l’« obligation » de corriger la famille, de l’enfanter à nouveau, de lui donner une nouvelle filiation moins détériorée, plus ferme, comme s’ils poussaient à l’extrême cette asymétrie propre à la situation thérapique ?

26 Sachons tout d’abord que bien de ces familles sont désorientées dans la mesure où elles n’ont pas toujours compris que toute filiation s’inscrit dans un double registre, l’un naturel, l’autre culturel. Ainsi vivent-elles le thérapeute comme quelqu’un qui veut les changer de fond en comble, les transformer.

27 Peut-être ont-elles alors raison de résister face à ce bouleversement imaginaire. Voulant conserver leur propre origine, elles ignorent que nous nous inscrivons tous dans une double identité, gérée et nourrie par le fantasme filial du roman familial. Elles ne savent pas jusqu’à quel point nous avons tous besoin de chercher d’autres géniteurs, de nous attribuer d’autres origines pour détendre les passions que suscite la relation avec les parents qui nous ont conçus. Autrement, elles se laisseraient inscrire dans le transfert beaucoup plus facilement d’après le prototype de la filiation parallèle (ce qui arrive dans un deuxième temps du processus).

28 Un autre facteur de résistance dérive des liens du sang, configurant ce que nous appelons le roc biologique de la filiation. Si la famille est différente des autres groupes humains, c’est que les rapports qui existent en son sein sont marqués par ces liens de sang, suscitant des mouvements de repli narcissique exceptionnels, et une particulière résistance au transfert.

29 Alors que le roc biologique de la filiation préserve contre la tentation incestueuse, l’adoption, le déracinement de l’enfant, la séparation enfant-parents, l’insémination artificielle avec donneur, par le défi qu’ils lancent à ce roc incontournable, posent bien des difficultés. Ainsi, toute famille se veut aristocratique, souhaite se sentir dotée par elle-même de qualités exceptionnelles héritées à travers les générations, et nous sommes là au cœur de la question du fantasme de scène primitive.

30 Beaucoup de ces essais plus ou moins réussis que font les familles de dépôt à l’intérieur de nous-mêmes de leurs contenus psychiques, pour que nous les pensions et aussi pour que nous les racontions éventuellement à l’intérieur de notre vie sexuelle, ne sont-ils pas étroitement liés à cette nécessité familiale d’inverser ce processus vécu autour d’une filiation unique et exceptionnelle ? Ces familles désirent effectivement que nous fonctionnions à l’intérieur d’un fantasme de scène primitive, et aussi que nous annulions ce qui pourrait être de l’ordre de notre propre organisation familiale en nous engendrant, en engendrant nos idées, nos sentiments, nos actes, voire notre propre identité.

31 Très différent est le problème du couple. Pourquoi beaucoup de couples en thérapie s’expriment-ils sur un registre si agressif et acrimonieux, révélant une telle hostilité réciproque ? On entend des choses affreuses, des soupçons qui nous sont pénibles. Bien des couples se vivent profondément frustrés de ne pas avoir atteint un idéal concernant leur vie conjugale. C’est comme s’ils pensaient que leurs propres parents attendaient d’eux qu’ils fassent quelque chose de leur couple. Le conflit est l’expression d’une culpabilité devant les parents qui, dans l’esprit de sacralisation de l’institution conjugale, attendraient une réussite parfaite. Chacun reproche alors à l’autre ce que les parents internes lui reprocheraient. Et dans la situation transférentielle, ils attendent du thérapeute qu’il leur donne une absolution ou les inscrive dans un deuxième mariage qui serait davantage réussi (Eiguer, 1984).

32 Ce désir transférentiel suscite chez le thérapeute des réactions diverses : soit une interprétation (s’il parvient à trouver une solution à l’énigme), soit un jugement moral (contre-transfert négatif dans le rôle des parents admonestant les partenaires), soit un comportement en dehors du champ psychique de la dyade. Dans ce dernier cas, le thérapeute peut essayer de trouver des éclaircissements en étudiant par exemple le problème de l’évolution actuelle du mariage, notamment en ce qui concerne les statistiques de divorce (en augmentation), de cohabitation juvénile (en augmentation), de nuptialité (en baisse), de naissances (en baisse), comme si le thérapeute voulait alimenter ses connaissances dans des sources sociologiques.

33 Une conséquence est l’installation d’un malentendu permanent entre le couple qui souhaite être sacralisé et le thérapeute qui, oubliant les fondements sentimentaux du lien, « veut » sacraliser le couple. Tout un courant d’élaboration du contre-transfert dérive vers une activité parallèle, instructive, certes, mais escamotant le fait que beaucoup de ces couples attendent un jugement, une absolution ou la consécration d’une nouvelle union maritale. D’autres espèrent saisir pourquoi ils ne s’entendent plus ? Une conclusion générale s’impose alors : si la famille imprègne le transfert-contre-transfert du roc biologique de la filiation, le couple l’imprègne du roc sociologique.

34 Nous nous sommes également demandé : pourquoi toujours la révolte ? Pourquoi tellement de résistances de la part des familles qui nous consultent ? Nombre de ces résistances sont dues au fait que les familles ne veulent pas se laisser envahir par les valeurs du thérapeute. Elles ont l’impression de tout perdre, leur histoire, leur filiation ancestrale, leur identité, et craignent d’être obligées de recommencer à zéro. Cela peut être aussi lié à l’énorme frustration qu’elles ressentent de n’avoir pu s’auto-guérir. Elles n’ont pas été capables de guérir leur enfant malade et se vivent en dette devant la représentation idyllique des aïeux, rattachée éventuellement au thérapeute. Cette souffrance narcissique est coûteuse et nous devons y être attentifs, notamment dans nos interventions. Avec ces familles profondément blessées, nous n’avons pas, dans un bel élan de perfectionnisme, à vouloir tout vérifier, tout comprendre.

35 Nous sommes prêts à reconnaître que, dans des cas où nous avions le sentiment d’avoir trouvé des mécanismes de fonctionnement qui nous apparaissaient très justes, en prenant des initiatives techniques que nous considérions comme originales, nous n’avons pas du tout obtenu le résultat attendu.

36 L’omniscience est souvent un facteur négatif : elle renforce le sentiment d’humiliation plus qu’elle ne permet d’enrichir l’insight et de consolider le soi familial. Ainsi, en y allant doucement eu égard à notre savoir, autorisons-nous éventuellement à rester dans une relative ignorance ; elle est nécessaire pour que le travail se fasse en temps et en lieu, et selon les possibilités de la famille elle-même.

Neuvième temps : du désenchantement au masochisme

37 Nous passons par des moments d’incertitude et de difficulté par rapport à notre travail. Si la thérapie est assez longue, arrive presque toujours ce moment où le thérapeute a l’impression qu’il s’est trompé « et que tout est à recommencer ». En premier lieu, ces moments nous semblent féconds, car le thérapeute se démarque de sa position arrogante, de son « tout savoir » : il se met en question pour orienter différemment la thérapie. En deuxième lieu, de telles réactions nous semblent liées à la déception des familles qui essaient de provoquer à l’intérieur du thérapeute la même déception, pour renverser la situation de domination qu’elles imaginent être à l’œuvre à l’intérieur du lien. Ayant besoin de mitiger leur douleur, les membres de la famille attendent du thérapeute une « automutilation ».

38 Mais la situation risque de se compliquer s’il est question d’un véritable éveil des pulsions masochistes chez le thérapeute : « des réactions contretransférentielles négatives », lorsque, par exemple, ce dernier, une fois qu’il a trouvé une intervention efficace ou qu’il a remporté un succès, commence à avoir très peur de ce qui se passe et recule, se pose de fausses questions et se culpabilise, comme si ses interventions étaient des tentatives de castrer le père (Grunberger, 1954). Ainsi le thérapeute a-t-il le sentiment de dépasser la mesure.

39 Dans d’autres cas, la réaction contretransférentielle masochiste prend une allure plus complexe. Le masochisme ne se présente jamais d’une façon directe, de telle sorte qu’on peut le trouver dans des tentatives pour susciter un mouvement de résistance : par exemple, par des actes provocateurs qui visent à déclencher un processus de désengagement de la famille envers le thérapeute discrédité. Le masochisme est également actif lors des craintes injustifiées de rupture du contrat du cadre, ce qui peut se traduire par une dépendance anxieuse du thérapeute craignant l’abandon de la famille. Tout cela est à analyser dans le contexte plus général dont nous avons parlé plus haut, celui de la domination. Soulignons que la provocation masochiste a une efficacité inductrice certaine, peut-être la plus forte parmi les tendances perverses : rejet, mépris, désinvestissement de la part de l’autre, en sont le produit.

Dixième temps : surmoi, exhibition, curiosité

40 Certains thérapeutes délèguent à la famille une fonction surmoïque. Dans le contexte des thérapies instaurées en institution psychiatrique, l’équipe des thérapeutes se sentira éventuellement investie d’une grande responsabilité ou d’une mission de prestige, soit par rapport à l’institution soignante, soit par rapport à l’image publicitaire de l’institution ou de la technique. « Il faut que ça marche », « il faut qu’il n’y ait pas de rechute », « il faut que les patients racontent que leur thérapeute est formidable », peut se dire ce dernier. Résistance contretransférentielle qui n’est pas rare, surtout lorsqu’il est question d’une technique nouvelle, dans une institution qui y est plus ou moins réticente : « Il faut que tout se passe à la perfection. » Ainsi, nous attribuons à la famille un pouvoir de jugement tout à fait extraordinaire… et parfois cela « marche ». Dans certains cas, le processus thérapique est marqué par un faux-self de fonctionnement où la famille va de mieux en mieux, comme pour s’accorder avec ce souhait contretransférentiel. Nous y voyons le poids des pulsions exhibitionnistes et voyeuristes. Dans notre travail, la tentation du voyeurisme nous guette en tant que pervertisation de notre quête de recherche et de notre désir de savoir.

41 Dans cette quête et ce désir, le thérapeute fonctionne habituellement avec des pulsions voyeuristes désérotisées. Si, par contre, leur désexualisation n’est pas accomplie, cette curiosité se transforme éventuellement en curiosité maladive, risque encouru notamment dans les situations de secret : lorsque planent des silences, des choses dites à moitié, le thérapeute est amené à vouloir savoir à tout prix ; il peut se mettre à suivre la trace de tel ou tel personnage dont la famille parle à peine, dans l’espoir de trouver un fantôme, un objet ancestral d’un deuil inaccompli et irreprésentable. Cette situation contretransférentielle de curiosité est vécue souvent avec fébrilité : « Si je découvre ce qui est en train de se cacher, cela risque d’exploser. » Bien sûr, cela ne va pas exploser… Pourtant la famille peut avoir l’impression qu’elle ne peut dévoiler son secret, par crainte de déclencher des mouvements pulsionnels de nature anale. À d’autres reprises, l’érotisation secondaire de la politique familiale du secret voit exprimer des sentiments contretransférentiel exaltants : « Si je découvre ce qui est caché – se dira le thérapeute – tout sera résolu. » En fait, la réserve est, en de nombreux cas, un style de fonctionnement familial comme réponse au voyeurisme propre à l’activité de recherche. À vrai dire, l’important n’est pas ce que l’on cache, mais le plaisir de rétention que l’on éprouve à (se) cacher. Autrement, par la sur-érotisation du voyeurisme du thérapeute, le fantôme aurait gagné encore une fois dans sa tentative d’attirer vers lui toute l’énergie psychique.

L’apprenti sorcier : la famille Agavé

42 Les cas des familles Agavé et Borée nous invitent à réfléchir sur les raisons des réactions contretransférentielles contrastées devant une crise analogue.

43 Le jeune adolescent Agavé a présenté deux épisodes psychotiques aigus. Il est le troisième enfant d’une fratrie nombreuse, le premier des garçons. Mme Agavé a dû consacrer beaucoup de temps et énergie à l’éducation des enfants, principalement avec l’une des filles souffrant d’un handicap physique depuis la naissance. Un an et demi après le début de la thérapie familiale à laquelle sont présents les deux parents et le jeune patient, M. Agavé annonce son désir de quitter le foyer : il n’aime plus sa femme – dit-il –, il s’est investi dans une autre relation. Puis il se défend en disant qu’il est « trop peu solide » pour aller habiter seul : il a préféré avoir la possibilité de récréer une autre famille avec son amie et le fils de celle-ci. Il n’insistera pas sur cette liaison qui semble durer depuis quelque temps. La réaction de madame Agavé est plutôt terne (sans reproches, sans souffrance apparente), réaction un peu surprenante quand on sait que son attachement envers son mari est intense. Quelques mois plus tard et après une période où sont réglées les affaires courantes, Mme Agavé devient angoissée et en peu de temps elle se désorganise, elle perd sa maîtrise : les tâches de la maison sont délaissées ; elle fait des déplacements inutiles, dans la fébrilité, dans l’agitation même. Je découvre une Mme Agavé inconnue, peut-être décompensée. À son tour, le jeune patient devient confus, il a des accès de violence paroxystique, il casse des vitres, fait irruption dans l’étage où dorment ses frères et sœurs en les menaçant avec un couteau. C’est alors que surgit en moi une interrogation quant à l’effet de la thérapie. Je me demande si le couple, par sa stabilité, ne permettait pas un équilibre à la femme, désormais rompu. Me sentant fautif, je me suis vu comme un « apprenti sorcier ».

44 La séparation m’apparaissant comme une nouvelle difficulté, je n’avais pas du tout vu que ma réaction contretransférentielle venait en écho à l’impossibilité pour Mme Agavé d’exprimer la douleur de son abandon, difficulté renforcée par le fait que j’étais le seul thérapeute et un homme de surcroît ! (« le mari qui restait »). Six mois plus tard, l’évolution favorable de la situation donnera raison à cette idée.

Enthousiasme et espoir : la famille Borée

45 Dans le cas de la famille Borée, nous avons rencontré (le couple thérapeutique, A. E et Mme Aubert), le sentiment opposé devant un cas semblable.

46 Participaient aux séances M. et Mme Borée et leurs deux garçons adolescents, l’un d’eux présentant une anorexie compliquée d’une phobie du contact, et une fille. Deux ans après le début du traitement, le symptôme anorexique avait disparu au prix d’une obsessionnalisation avec rituels d’évitement, de vérification qui donnaient une impression d’immobilisme. Il est opportun de signaler que l’interfantasmatisation inconscience oscillait entre une représentation d’incomplétude et des angoisses de mort, dont l’une des expressions conscientes consistait en des sentiments négatifs concernant l’avenir. Le conflit parental était marqué par une hostilité ouverte de Mme Borée, qui traitant son mari d’incapable, d’inefficace, critiquant sa méticulosité et l’attachement à sa sœur. Les séances étaient assez semblables les unes aux autres : tantôt les membres de la famille exprimaient leur pessimisme concernant le rétablissement du patient, pessimisme plus lié à l’obstination opposante de ce dernier (à « sa désobéissance ») qu’à une aggravation des troubles ; tantôt le père était pris à partie, la mère conduisant une dure et désagréable série de reproches. Les thérapeutes étaient à leur tour saturés et « immobilisés » : ils sentaient qu’ils avaient utilisé plusieurs moyens interprétatifs, sans résultat. Brusquement, le mot n’est pas excessif, comme un éclair dans un ciel serein, le père a fait basculer le climat en annonçant sa détermination de quitter son épouse. Surprise, cette dernière a réagi vivement, entre pleurs et cris, puis, tout à tour, elle deviendra méprisante (« Tu es trop imbécile pour avoir une telle idée, quelqu’un a dû te la suggérer »), compréhensive (« Tu es mieux sans nous »), méfiante (« Tu as certainement une autre femme »), carrément jalouse (« Tu déjeunes trop souvent avec Mlle X, c’est elle alors ! ») Le mari s’explique, il apparaît en enfant honteux, mais décidé : « Je n’ai personne d’autre, je veux rester seul, notre vie est insupportable, vous (femme et enfants) ne m’aimez pas. » Sous le regard méfiant de Mme Borée et le fou rire des enfants, le mari ajoute qu’ils n’aiment pas son jardin dans la maison de campagne, là où lui se plaît tellement ! La fin de la séance est plus paisible, l’épouse montre son chagrin, elle ne semble plus revendicative mais résignée (« Tu me laisses tomber comme une vieille chaussette que l’on jette »).

47 La réaction contretransférentielle des thérapeutes (une femme et un homme) a été de soulagement, voire d’enthousiasme. Un mouvement se produisait enfin, cette séparation montrait la détermination du père, se sont-ils dit, le désir d’assumer une position plus ferme, plus en accord avec l’état de ses sentiments. Ne voyant que le côté positif de cet acte, les thérapeutes pensaient que le père, s’étant débarrassé de la carcasse masochiste, avait fait un pas contribuant à la génitalisation des rapports intrafamiliaux. Pris par l’engouement découlant de leurs conclusions, ils ont commencé à se flatter mutuellement. Le thérapeute homme : « Vous aviez raison d’insister sur le changement du rôle du père comme étant essentiel pour sortir de l’impasse, vous aviez bien vu. » La thérapeute femme : « Non, mais c’est vous qui par l’insistance dans vos interventions… etc. » Le thérapeute homme : « Mais, non, c’est vous qui… » La thérapeute femme : « Votre rôle est indiscutable, car… »

48 Quelque temps après son départ, M. Borée décide de retourner à la maison et le couple se réconcilie. C’était presque une fausse sortie, presque : en fait, le retour a marqué des progrès dans la relation du couple, puis, au niveau de la relation parents-enfants, Mme Borée a reconnu sa jalousie et des qualités chez son mari. Elle est devenue plus agréable à son égard. M. Borée a admis n’être pas décidé à quitter sa femme mais, voulant se retrouver seul, il a préféré présenter son départ comme une séparation. Il croit à la nécessité de rencontrer des amis, il demande à sa femme d’être moins exclusive. Il explique ensuite la teneur des discussions avec deux de ses collègues, dont une femme connue également de son épouse avec laquelle M. Borée entretien des relations « exclusivement » amicales, bien que très intimes. Mme Borée : « Je ne peux pas ne pas être jalouse, mais je ne t’ai pas donné assez de place », dira-t-elle tout en avouant sa souffrance.

49 « Le huis clos » familial s’est ainsi entrouvert. L’attente à l’égard des thérapeutes, vus comme les seuls détenteurs d’une issue, contribuait à la lourdeur, alors que ces derniers étaient, de par l’inflexibilité familiale, confrontés à une totale impuissance. L’image de rétention anale ou d’enfant enfermé dans l’utérus nous est venue à l’esprit, ce qui explique que le départ de monsieur a déclenché une impression de délivrance et de soulagement, avec le sentiment que tout devenait désormais possible. Lorsque Mme Borée dit que c’est « une autre » qui aurait suggéré au père de partir, elle nous renvoie à ce héros (ou cette héroïne) brisant la paroi que s’accomplisse la geste libératrice : le couple famille-thérapeutes était voué à la même impasse que le couple parental (transfert central).

50 Dans le but d’éclaircir la question des raisons pour lesquelles ces deux situations ont éveillé un mouvement contretransférentiel si différent (dans un cas, crainte excessive et regret et, dans un autre, enthousiasme et espoir), nous devrions étudier la nature des fantasmes en jeu. Pour la famille Agavé, la réaction modérée de madame devant la séparation (en réaction peut-être à la façon extrêmement défensive dont monsieur a présenté son départ) a créé les conditions d’un étouffement émotionnel susceptible de produire chez elle malaise et induction : je me suis senti coupable de mes initiatives, de mon action, de ma force, alors que M. Agavé n’a pas pu se sentir responsable face à son désir sexuel. J’ai joué en moi le conflit entre désir et censure, conflit que le couple n’avait pas assumé. Le désir transférentiel était celui de la recherche d’un tiers assumant la faute. En revanche, Mme Borée a réagi vivement au projet de départ de son mari. Sa jalousie, sa blessure ont posé le problème en termes émotionnels d’emblée, la mise en avant de la castration favorisant le re-lancement des représentations. Cependant, l’engouement des thérapeutes ne s’explique que par rapport à la « paralysie » du traitement : il éclaire par la même occasion la portée du sentiment d’inutilité partagé par les membres de la famille, et auquel les thérapeutes se refusaient d’adhérer. Parallèlement, la mobilité instaurée par l’« affermissement » du père peut expliquer le soulagement des thérapeutes, auxquels était adressée une demande d’assumer seuls la loi sexuelle. Bien qu’empreint d’illusion, le contretransfert a été un point d’appui dans une tentative de ré-introduction de la différence de genres, de l’aventure de la castration et de ses aléas : jalousie, exclusion, rivalité, que l’on sentait nécessaire pour redonner vie au processus. Le(s) thérapeute(s) prend (prennent) en charge par leur vécu et par leurs représentations, des chaînons associatifs indispensables pour la poursuite du travail de liaison. […]

Cothérapeutes, diversification du transfert et du contre-transfert

51 La pratique de la co-thérapie nous a montré que la définition du transfert s’applique à l’ensemble du groupe de thérapeutes (deux ou plus), bien que ses formes diffractées ou dissociées en compliquent habituellement la compréhension.

52 Il arrive que l’un des cothérapeutes soit accepté, même idéalisé, et l’autre rejeté ; l’un est mis dans une position de distance et de pouvoir paternel, l’autre traité avec proximité et extrême familiarité ; l’un est craint, l’autre est ressenti comme réassurant ; l’un est adulé, l’autre déprécié ; l’un est vécu comme écrasant son collègue, l’autre le subissant. L’un est vécu comme spontané et dynamique, l’autre taciturne, retenu, inhibé. L’un toujours triomphant, l’autre, maladroit, recevant des coups…

53 Un thérapeute sera imaginé comme accaparant la famille, volant le rôle à son collègue, ou volant l’amour des enfants. Dans d’autres cas, un des thérapeutes est investi plus particulièrement comme un objet transgénérationnel, un grand-oncle idéalisé, par exemple, alors que ses coéquipiers sont investis sur un mode plus neutre.

54 Fréquemment, l’ensemble des cothérapeutes peut jouer le rôle d’écran et de support pour un groupe secondaire : des enseignants bienfaisants, des expérimentateurs froids et inquisiteurs (cas de la famille d’Agnès Y. in Eiguer, 1983). Le transfert peut aussi relever d’un esprit groupal, c’est le « transfert idéologique » décrit à propos des groupes qui trouve un équivalent dans la famille en thérapie (Kaës, 1982). Les représentations familiales collectives rattachées aux cothérapeutes ne sont pas rares : ils seront « la bonne famille » ; « la famille sacrifiée et ascétique » ; le couple qui s’ennuie en thérapie et qui est impatient de s’adonner au plaisir sexuel après la séance ou, encore plus insouciant, pendant les vacances.

55 Après l’évolution du processus, les figures dissociées changent, mutent, s’intervertissent ou se neutralisent. Chaque élément figuré est important, car traduisant une représentation particulière par rapport à une autre représentation et par rapport à l’ensemble. La co-thérapie prédispose à l’ouverture de cet éventail. Dans la mesure où le processus vise à la modification des affects rattachés à ces objets inconscients, nous admettons l’intérêt de maintenir stable l’équipe des cothérapeutes tout au long de la cure.

56 Les différences professionnelles, la disparité hiérarchique, les particularismes de caractère ou de culture, la différence de sexe notamment, risquent d’étayer l’expression d’un transfert direct dissocié, dont nous rappelons l’aspect défensif. Des désaccords techniques sont imaginés et exploités éventuellement dans un désir de recherche d’alliances et d’exclusion. Pour la famille, la post-séance est le lien d’échanges imaginaires aussi divers que des variantes de scène primitive existantes.

57 L’« indice de réalité », du fait de la pluralité de thérapeutes (Kaës, 1982) est facteur de cristallisation du transfert direct, mais avec l’évolution de l’expérience analytique, les traits personnels des cothérapeutes ou leur interaction sont submergés par l’importance du déplacement d’objets inconscients et de leurs inter-fonctionnements.

58 Quoi qu’il en soit, le transfert adopte toujours une dimension groupale. À la base, nous trouvons le fantasme d’une continuité psychique famille-cothérapeutes. Les différentes représentations rattachées aux thérapeutes, toutes disparates qu’elles apparaissent, correspondent souvent au même univers d’émotions et de pensées : amour-haine, attachement-détachement, dépouillement-possessivité, soumission-domination, soumission-révolte. Il s’agit moins d’un transfert individuel et isolé que d’un transfert en correspondance avec un autre transfert. Derrière l’opposition et la disparité, gît le même complexe d’affects et de fantasmes.

59 Qu’il y ait diversité, cela ne doit pas nous étonner, car tout fantasme évoque généralement son contraire. Toutefois, les variations ou les oppositions sont elles-mêmes fondamentales. Si la représentation déplacée sur l’un des thérapeutes d’un grand-père idéalisé se double de la représentation déplacée sur l’autre thérapeute de la fille inhibée de son grand-père, cela est différent d’une représentation semblable du grand-père doublée de la représentation d’une femme possessive et tyrannique que celui-ci supporte avec stoïcisme. Le transfert groupalise une totalité relationnelle avant toute chose. C’est la représentation d’une interaction entre deux ou plusieurs personnes. Habituellement, cela demande un travail d’éclaircissement en trois étapes :

60 1. Repérage de l’élément transféré sur chacun des thérapeutes.

61 2. Recherche des correspondances et des interactions entre les transferts. Trouvaille de l’univers fantasmatique commun.

62 La diversification du transfert groupal suscite une diversification du contre-transfert à l’intérieur de l’équipe de thérapeutes, chacun allant éventuellement jusqu’à s’identifier au désir transférentiel. Se trouvant d’habitude à l’aise et solidaire avec son collègue, un des thérapeutes peut se sentir choqué par les propos de ce dernier. Il se demande : « Qu’est-ce qu’il fait ? » ou « Pourquoi m’abandonne-t-il ? », ou il se découvre le jugeant : « Qu’il est impatient… Il ne sait pas attendre l’effet de “mes” interprétations » (Granjon, 1986). Parfois l’un verra l’autre en rival ou il le trouvera jaloux. Il sera, le cas échéant, tenté de le contredire, voire de l’attaquer. À l’opposé, une équipe qui ne présente pas de frictions internes, surtout si elle éprouve une forte illusion, voire un sentiment mégalomane d’infaillibilité, nous interroge sur son fonctionnement comme défensif. Dans d’autres situations, l’un des coéquipiers restera dans une position d’écoute, pensant que l’autre réagira si le besoin s’en fait sentir.

63 Toute équipe vit un travail de maturation progressive du lien, les modalités personnelles sont comprises et respectées avec l’évolution, ainsi que son style et ses choix interprétatifs. La coopération conduit au sentiment de contenance et à l’impression d’un travail en écho, chacun « prêtant » à son cothérapeute une partie de son propre fonctionnement psychique et de sa capacité de rêverie et d’élaboration (Bion, 1959, 1962).

64 Quoi qu’il en soit, la régression propre à l’écoute fait émerger les noyaux infantiles et les fantasmes primitifs de la représentation familiale. En thérapie familiale, l’interaction familiale se répercute sur l’interaction entre thérapeutes : les sentiments, pensées et gestes de l’un par rapport à l’autre. C’est ce que Kaës (1982) nomme pour la groupe-analyse « l’inter-transfert ». « Dans la situation psychanalytique groupale et pour chaque analyste travaillant en équipe, l’inter-transfert d’un analyste est composé de son contre-transfert en situation de groupe [mobilisant le transfert collectif et comme réponse au transfert du groupe sur lui] [3] et de son transfert sur son ou ses partenaires, sur l’équipe elle-même, sur l’institution instituante » (ibid., p. 154). Véritable métabolisation des éléments projectifs non dicibles, l’élaboration de ces phénomènes est appelée « l’analyse inter-transférentielle ». Cette dernière « vise à restaurer la fonction conteneur des analystes et, pour y parvenir, il n’y a pas d’autre voie que celle qui assure la fluidité et l’échange des pensées et des affects chez chacun des analystes et entre eux. Ce qui importe ici, c’est pour les analystes de l’équipe interprétante d’exister personnellement et en équipe » (ibid., p. 170).

65 Il n’est pas rare que la rivalité phallique éclate à l’intérieur de l’équipe de cothérapeutes. Pour son collègue, l’un parlerait de trop ou il édulcorerait souvent ses propos. Se montrant plus éclatant ou sympathique, il essaierait de séduire la famille ou l’un de ses membres ; il éviterait ainsi d’éveiller le rejet ou la résistance. Dans d’autres cas, un coéquipier a peur pour l’autre, il le trouve fragile devant les projections. Dans un élan de protection maternelle, il peut penser qu’il l’a trop délaissé, ou qu’il n’a pas assez compris ses qualités humaines et professionnelles, tout cela coïncidant avec d’autres sentiments chez le(s) coéquipier(s). Il peut se sentir surveillé, critiqué par l’autre ou le groupe institutionnel, dans une position que l’on reconnaîtra aisément comme surmoïque. L’ambivalence s’exprimera dans des actes ou des paroles mais, elle est fréquemment l’effet à distance de la propre ambivalence de la famille ou de son clivage entre bons et mauvais objets.

66 Le travail de co-thérapie a un intérêt grandissant si l’on parvient à réutiliser ces éléments de la relation d’inter-contretransfert après leur analyse. Dans notre pratique, nous sommes attentif aux réactions, attitudes, mimiques, style du discours de nos cothérapeutes pendant la séance, en ayant à l’esprit l’idée qu’ils contiennent éventuellement des émotions transférées par la famille. Ces réactions en écho ouvrent une perspective souvent inattendue (contre-transfert concordant). Par exemple, si le cothérapeute est enthousiaste ou morose, dynamique ou confus, s’il se sent obligé d’expliciter ses interprétations avec un luxe de détails. Dans ces cas, si le cothérapeute est enthousiaste, nous nous interrogeons sur la possibilité d’apparition d’une défense maniaque au niveau familial, ou s’il est morose, sur la mise en latence de prises de conscience douloureuses. Si les interprétations de notre cothérapeute sont trop explicatives, nous nous demandons si sa rationalisation défensive ne répond pas à une résistance par le doute obsédant chez tel ou tel membre de la famille (les figures sont multiples).

67 Le plus important est de comprendre que le transfert-contretransfert est un mouvement dynamisant la situation avec des jeux identificatoires, de telle sorte que toute expression est à saisir comme l’émergence d’un élément nouveau à partir d’un ensemble : le « familial » exprime ces inter-fantasmatisations particulières et le système de parenté avec ses rôles et ses liens. Celui-ci peut déclencher des vécus contretransférentiels en dyade filiale, fraternelle, de couple ou transgénérationnels.

68 Par contraste avec le « familial », un des thérapeutes peut se vivre comme « l’étranger ». Distribuées sur l’un et l’autre des cothérapeutes, les figures de l’étranger et du familial (familier) sont toutefois les héritières du roman familial. Comme objet de transfert ou de contre-transfert, l’étranger présente des variantes d’après le type d’organisation familiale. Il s’agit éventuellement de la représentation d’un étranger vécu :

  1. Comme objet inquiétant et non humain : fauve, monstre, robot (autoengendrement, scène primitive psychotique ou anti-scène primitive).
  2. Comme parent ou enfant d’un roman familial de l’enfant trouvé et adopté par les deux parents (scène primitive prégénitale).
  3. Comme parent ou enfant d’un roman familial de l’enfant adultérin ; seul un des parents est géniteur ; l’autre parent serait « l’étranger » (scène primitive génitale).
  4. Comme un objet du monde extra-familial à fonction éducative désérotisée (scène primitive post-génitale ; cf. A. Eiguer, 1987 d).

69 Ces figures de transfert et de contre-transfert sont en fait spécifiques à la famille et déterminées par les vicissitudes du roc biologique de la filiation. L’« adoption culturelle » de la famille est un des buts des thérapeutes. Avant d’y parvenir, leur contre-transfert traverse l’axe familier (familial) – étranger, en s’identifiant alternativement aux différentes figures.

70 Les thérapeutes oscillent donc entre l’appropriation totale, absolue, quasi-biologique, et l’appropriation mitigée, souple, plus amplement psychique, transférable à un ailleurs où s’exercerait de l’autonomie. L’un et l’autre des coéquipiers peuvent alternativement assumer ces deux positions avant de reconnaître que leur emprise sur la famille est bien relative… De son côté, la relation entre cothérapeutes ouverte par la perspective de l’« inter-contretransfert » permet de construire un lien d’amitié intense et appréciable dont nous saluons ici la valeur souvent exceptionnelle.

Conséquences théoriques

71 Les familles Agavé et Borée conduisent à réfléchir sur le contre-transfert en tant que figuration d’une représentation refoulée. Nous avons exposé les figures multiples, les ouvertures et également les résistances dont le contretransfert est à la fois acteur et témoin. L’aspect le plus primitif de la psyché familiale (le contretransfert de base, la fusion), les pulsions partielles, puis l’activité des fantasmes phalliques et génitaux, nous montrent ces diverses figures. On devrait ajouter (et la liste est loin d’être épuisée) :

  • l’idée de M. Neyraut (1974) quant à la précession de tout contretransfert sur le transfert (la disponibilité à l’écoute préexiste à tout fonctionnement associatif) ;
  • l’idée de M. Fain (1968) concernant l’analyste comme agent du sexuel, donc en quelque sorte comme séducteur ;
  • l’idée de B. Grunberger (1978) sur l’inclusion narcissique de l’inconscient de l’analyste pendant la séance, donc répondant à une réceptivité où représentations de l’analysant et de l’analyste seront en résonance.

72 Il ne reste pas moins que trouver une spécificité au contre-transfert en thérapie familiale n’est pas chose facile. Il a certes été question ici du caractère particulier des fantasmes familiaux autour de ce que nous appelons le roc biologique de la filiation ou des fantasmes du couple autour du roc sociologique. Pourtant la spécificité de la famille est à préciser par rapport au groupe ou à toute autre organisation psychique. Une théorie du contre-transfert en thérapie familiale doit se distinguer de la théorie du fantôme, où le sujet reste passif à la merci d’une économie étrangère ; elle se différencie également de la théorie du traumatisme ressuscité par un certain courant de thérapie de famille, ainsi que d’une théorie du sujet isolé de l’environnement. Nous devons respecter autant que possible la théorie des pulsions et donner toute sa place à la génitalité, pierre d’achoppement de toute théorie de groupe, non par négligence, mais parce qu’il y a peu de concepts aussi marqués par l’individuel que la pulsion ou la génitalité. Nos théories du groupe familial, celle de Ruffiot (1981) sur l’originaire et l’appareil psychique familial, celle de Caillot et Decherf (1982) sur l’objet-groupe familial, pêchent par leur insistance sur les aspects les plus archaïques du psychisme qui se mettent à la disposition du fonctionnement psychique du groupe. Notre contribution au problème passe par la réutilisation du concept de contre-transfert familial comme activateur pulsionnel et sur sa nature narcissique : la famille « cherche » à susciter le même chez le thérapeute ; ce que Racker (1960) appelle le contre-transfert concordant – de moi à moi. Nous devons considérer aussi sa nature objectale : la famille essaie de créer la différence, ce que Racker appelle le contre-transfert discordant – de l’objet à moi. Dans le cas des Agavé, notre contre-transfert a été discordant : « le mari en faute ». Dans la famille Borée le couple de thérapeutes se vit comme des « accoucheurs enthousiastes », plutôt dans un contretransfert-inter-transfert concordant.

73 La conception théorique du mythe familial ou celui de la temporalité familiale (écoulement du temps, représentation du cycle de vie familiale avec ses crises et ses phases) ne sont guère imaginables sans le partage de fantasmes génitaux entre les différents membres d’une famille. À ce titre, nous employons le concept d’interfantasmatisation dans le sens d’une activité en mouvement : d’une part, une tendance à agir et à réagir en consonance de fantasmes, au point d’utiliser ces derniers dans un sens de création, d’humour, de récits, de loisirs partagés et, d’autre part, un contenu fantasmatique commun entre les sujets.

74 Le premier aspect de l’interfantasmatisation est le plus lié à l’archaïsme de la psyché-pure-non-personnalisée dont parle Ruffiot (1981), alors que le deuxième aspect traduit la similitude ou la complémentarité de désirs rattachés à un objet que nous pensons toujours présents et indispensables pour que les liens intersubjectifs existent.

75 Le contre-transfert est ainsi le produit de l’inclusion familiale dans l’interfantasmatisation. Le groupe absorbe le(s) thérapeute(s) pour former une nouvelle unité. S’il y a précession du contre-transfert par rapport au transfert, il y a parallèlement préexistence de l’interfantasmatisation par rapport au contre-transfert. Cela explique les phases successives de ce dernier : au départ, c’est une potentialité fantasmante, qui reprise par le transfert inclura secondairement le(s) thérapeute(s) dans le monde imaginaire offert par la famille (son contre-transfert préexistant).

Pour conclure, trois idées…

76 1. Les pulsions cherchent nécessairement autrui, l’objet, dans le but de la décharge et encore : il y va de la logique propre à la pulsion et même dans le cas d’une pulsion narcissique dont l’objet serait paradoxalement le sujet lui-même : le narcissisme trouve en fait sa propre subversion en confondant l’autre et soi-même (le transnarcissisme). Parallèlement, les pulsions ne peuvent escamoter les instances psychiques structurées, et c’est par l’association topique, comme cela a été démontré à propos de l’idéal du moi, que le groupe participera au travail de rassemblement, puis de déplacement sur le thérapeute (transfert familial).

77 2. La discordance nous explique la fréquente sollicitation des objets des grands-parents et des ancêtres dans le jeu transféro-contretransférentiel familial. Nous y trouvons une des spécificités du travail familial.

78 3. Nous avons insisté sur le fait que le contre-transfert familial est le lieu de lutte des pulsions partielles. Nous ajouterons ceci : ces pulsions sont elles-mêmes soumises à la pression de l’éternel combat entre Éros et Thanatos. Si nous donnons une bonne place au masochisme du thérapeute, c’est pour insister sur la résonance qu’y trouvent les pulsions autodestructrices des membres de la famille. L’automutilation, la déliaison, la sidération, invitent au mouvement analogue chez l’interlocuteur, qui serait tenté de préférer la soumission, l’anéantissement, au plaisir de fonctionner.

79 Toutefois, le thérapeute saura se servir de sa passivité pour infiltrer de sa disponibilité et pensée créatrice la sourde tendance vers l’apaisement de toute excitation, à condition peut-être d’admettre sa régression. « Se laisser dominer » par une vie et une structure familiales qui le précèdent constitue cet autre penchant, celui du masochisme érogène. Celui-ci n’est que le dernier refuge de la sexualité, qui trouve paradoxalement toute sa substance dans son compromis avec la pulsion de mort.

80 Bien des concepts ont déjà été étudiés, mais nombre de questions restent encore ouvertes. Suffit-il d’affirmer la référence de la théorie familiale à la théorie groupaliste pour résoudre la question de la spécificité de la famille, de ses fonctions sexuels et de ses liens ? Quelle est la part du sadomasochisme dans la constitution des liens humains et quel est son sens par rapport à l’interaction ? Quelle est la place de la théorie des pulsions dans la réflexion sur la famille ? Et celle du narcissisme ? Quels sont les rapports conceptuels entre l’intersubjectivité et l’interfantasmatisation ? Quelles sont les sources anthropologiques de la notion d’organisateur familial ?

81 Et comme dit Blanchot : « La réponse est le malheur de la question. »

82 Conflits d’intérêts : aucun

Bibliographie

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : contre-transfert en TFP, inclusion narcissique, contre-transferts concordant et discordant, roc sociologique du couple, roc biologique de la filiation, résistances singulières

Mise en ligne 11/12/2018

https://doi.org/10.3917/difa.041.0153

Notes

  • [1]
    Ce texte reprend et met à jour le chapitre 3 du livre La parenté fantasmatique, Transfert et contre-transfert en thérapie familiale psychanalytique, Paris, Dunod, 1987, actuellement hors catalogue.
  • [2]
    Leporello est le valet du Don Giovanni de Mozart.
  • [3]
    Entre crochets : remarques d’Alberto Eiguer.
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