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Article de revue

Lors du conflit conjugal, quelle affiliation pour l’enfant adopté ?

Pages 113 à 123

Notes

  • [1]
    La filiation adoptive ne peut jamais être déliée juridiquement, à la différence de la filiation biologique.
  • [2]
    Sans oublier le premier contrat narcissique qu’il a eu de sa première famille biologique (Granjon, 2004), par lequel il peut se trouver dans des conflits de loyauté.
  • [3]
    Depuis 2012, j’ai entrepris de rassembler dans un Réseau adoption-filiation des psychologues sensibilisés à ces questions ; il est maintenant connu des services d’adoption dans les Bouches-du-Rhône.

1 Récemment et de manière de plus en plus fréquente dans ma clinique, les demandes de consultation pour motif d’adoption recouvrent des crises conjugales non dites qui se révèlent en cours de thérapie. Aussi, au travers de la présentation clinique d’une thérapie familiale singulière, dont le couple semble au bord de la séparation, nous nous interrogerons, dans le jeu transféro-contretransférentiel, sur l’expression des liens de filiation et d’affiliation dans la famille adoptive au moment où l’enfant adolescent revisite le contrat narcissique de la famille. Nous questionnerons la manière dont l’enfant adopté opère pour concilier la transmission proposée par la famille, qui peut être chargée de traumatisme et faire écho à ses propres traumas d’enfant abandonné, et son propre développement. Notre hypothèse est que la séparation du couple parental et la rupture du lien conjugal viennent ébranler le contrat de filiation. L’enfant adopté tente avec force d’en porter la responsabilité dans le but de le maintenir le statu quo, car la peur de retrouver la violence de l’abandon est en jeu.

Préserver l’affiliation

2 Les travaux en thérapie familiale analytique (Granjon, 2004) ont montré que l’enfant, adopté ou non, figure l’inconnu. Les concepts de la psychanalyse familiale ont révélé que la question la plus fondamentale que pose l’enfant avec son symptôme porte sur la possibilité de préserver de l’affiliation dans sa filiation, de supporter le contrat narcissique (Aulagnier, 1975) tout en tentant de se dégager de la fonction phorique du pacte dénégatif (Kaës, 1993) qui lui a permis de s’inscrire dans la famille. En arrivant dans la famille, l’enfant est d’emblée dans le contrat narcissique qui sert de cadre à son développement, lui assigne une place dans le groupe, lui fournit des identifications. En partant du contrat narcissique de P. Aulagnier, R. Kaës a construit le concept de pacte dénégatif. Il a montré que l’enfant s’engage de manière inconsciente et implicite à ne pas aborder certains aspects de l’histoire familiale, dont la seule existence constitue une menace pour l’homéostasie du groupe, participant ainsi à la transmission de la vie psychique entre les générations.

3 En grandissant, l’enfant interroge la part active qu’il a dans cette histoire. D’une part, il questionne la filiation et la circulation des investissements narcissiques réciproques ; et d’autre part, il interroge la modalité affiliative à son groupe familial en sondant le rapport à la continuité.

Particularité de l’enfant adopté

4 En revisitant sa différence, l’enfant adopté (Grange-Segeral, 2004), particulièrement à l’adolescence, peut risquer de soulever des éléments transgénérationnels cachés et de fragiliser par là les alliances inconscientes du groupe familial. Il vient interroger le lien fondateur de la filiation, c’est-à-dire le pacte narcissique, mais aussi le mode d’affiliation dans sa famille. Si l’on considère que l’adoption est une filiation définitive [1] et qu’en ce sens elle est garantie, sur l’enfant adopté reposent les deux processus de la filiation : l’un où il est en demeure de remplir le contrat narcissique, manière pour lui de s’accrocher à sa famille, et l’autre où s’attache sur lui l’acceptation du pacte dénégatif qui le lie à cette même famille [2].

5 On peut souligner l’intensité que revêt cette problématique chez l’adolescent adopté, et particulièrement dans les adoptions tardives. Il semble qu’alors sa place soit questionnée en termes existentiels. L’enjeu fantasmatique pourrait être un nouvel abandon, il pourrait être à nouveau délié d’une famille.

L’héritage réversible

6 R. Kaës (2012) a présenté le paradoxe de la réversibilité de la transmission, dans lequel il montre que le sujet est à la fois héritier et fabricant d’héritage. Il y aurait un effet rétroactif, particulièrement chez les familles qui ont subi des traumas. « La transmission ne se limite pas à ce qui est transmis à l’enfant par ceux qui l’ont précédé. Elle interroge les rapports complexes et réciproques qui lient les générations » (Kaës, 2012, p. 208). Il y a les enfants qui, ayant été récepteurs des affects bruts des parents, peuvent leur offrir un appareil à penser les pensées non-pensées. En revanche, dans des familles trop marquées par des traumas, quand les contenus de l’histoire familiale ne peuvent être mentalisés, les enfants ne parviennent à maintenir le contact avec le trauma que par leurs symptômes comportementaux. Or, observée particulièrement à l’adolescence, cette « transmission réversible » inopérante peut avoir des conséquences brusques sur la vie du couple et de la famille. En effet, le couple, fondateur de l’existence des enfants, est structurant de leur psyché en étant garant de l’interdit de l’inceste et de la hiérarchie des générations. Les travaux sur le couple (Dupré Latour, 2004 ; Eiguer, 2010 ; Robert, 2011) ont montré l’intrication des liens narcissiques et objectaux dans la relation sexualisée du couple. Son enveloppe psychique est porteuse d’une sécurité identitaire. En cas de conflit conjugal, non seulement les enfants sont les enjeux du couple, pris soit dans la projection haineuse ou dépressive des parents entre eux, soit objet d’une demande d’étayage narcissique par l’un ou l’autre des parents (C. Leprince, 2010), mais ils en sont les otages au détriment de la transmission entre les générations.

L’enfant en place de faire tenir le lien conjugal

7 Certains enfants adoptés auraient particulièrement l’impression d’être chargés du maintien de l’illusion d’un couple conjugal, comme garant du lien de filiation adoptive. Il semble qu’ils éprouvent de la difficulté à accepter une pensée conflictuelle qui se présenterait comme trop destructrice, parfois en rapport avec leurs propres souvenirs de conflits antérieurs à l’abandon, et en raison de leur narcissisme fragile d’enfant adopté. Cela rejoindrait leur sentiment d’avoir déjà failli puisqu’ils ont été abandonnés. Ils sont alors aux prises tout à la fois avec la position narcissique où le conflit conjugal tente de les enfermer, et avec une position dépressive œdipienne qui ne s’installe pas. L’enjeu pour eux est de ne pas s’engager dans une tyrannie de lien exclusif avec le père ou la mère, excessivement narcissique, tout en ménageant les liens intergénérationnels qui leur permettent de préserver leur « affiliation adoptive » (Granjon, 2013). Cela leur laisse le choix entre réprimer l’expression de leur subjectivité pour continuer à porter le lien conjugal ou déplacer le conflit sur eux-mêmes avec des comportements évoquant des troubles de la personnalité, dans un agissement de rupture, ou encore alterner les deux. Pour l’enfant adopté, la question devient alors : comment faire pour advenir comme sujet dans des liens trop narcissiquement exacerbés, sans que les liens de filiation ne se défassent avec la rupture du lien d’alliance conjugale ? Pour un enfant adopté tardivement, et ayant une capacité d’élaboration adéquate, on conçoit que l’impossibilité de mentaliser les éléments de la transmission lui fait mettre en doute la possibilité de s’installer dans la famille. C’est sans doute pourquoi la menace de rupture est souvent brandie.

Une famille en tension

8 La famille S. vient en consultation pour des motifs d’agressivité en famille, particulièrement entre la mère et la fille. C’est la Maison de l’adoption [3] qui leur a donné l’adresse de mon cabinet, suite à leur demande de thérapie familiale. Leur fille unique Ouma, âgée de 13 ans, a été adoptée à 7 ans. C’est une adoption tardive. Ouma a été la seule de sa fratrie à être adoptée. Elle sait que des frères et sœurs sont restés au pays ; elle révélera ne pas comprendre la raison de son adoption.

9 À la première rencontre, personne ne veut parler en premier. Les parents disent qu’ils peuvent laisser la jeune fille seule avec moi. Ce qui a pour effet de créer une sorte de panique chez moi que je ressens comme étant celle d’Ouma devant cette offre de rencontre avec une inconnue, comme cela se produit lors de la présentation de parents adoptifs. Dès cet instant, le fantasme d’abandon me semble à l’œuvre et se rejouer. Si la tentation pour moi est d’aller vers une identification à l’enfant, au vu du contexte de l’adoption, je m’inquiète immédiatement du phénomène de répétition éventuelle d’un double traumatisme, qui serait à la fois celui de l’abandon et celui de la rencontre des parents adoptifs.

10 Quelque chose de la nature du lien se dépose très vite en séance dans le groupe. Je supporte la tension qui est palpable entre les membres de la famille. Je ne parviens pas à savoir s’il y a une tension entre les membres de la famille relative à une résistance à la venue en consultation. Je suis perplexe sur la position de Monsieur, car il me semble hostile. Pour preuve, il n’a pas enlevé son manteau. Dans mon contre-transfert, cette hostilité me fait supposer une tension dans le couple. Je vais effectuer une sorte d’effacement de cette question. Or cela pèse dans le contact, et il semble que c’est comme une rétention à l’œuvre dans le groupe. La famille vit vraisemblablement dans une grande tension et cherche un soulagement économique dans cette première consultation.

11 La mère d’Ouma, sportive de haut niveau, avait proposé à sa fille de faire un sport de combat ; Ouma avait fait un essai, mais elle ne pratique plus parce qu’elle préfère la course. Elle raconte que dans son pays, on ne marche pas, on court. Elle a toujours pratiqué ce sport. À cet instant, je pense qu’elle tente de faire migrer ici quelque chose qu’elle connaît de là-bas. « Vous avez ramené ça de là-bas. » Ouma étonnée : « Oui, je n’avais pas pensé à ça comme ça. » Vraisemblablement, à cet endroit, ma remarque a une valeur interprétative pour elle, ce qui va l’inciter à s’engager plus avant dans la parole.

12 Au fil des séances, tout en conservant un haut niveau de tension, la famille a accès à des échanges intrafamiliaux et peut aborder des éléments non-dits jusqu’à présent concernant la formation de leur famille. La résistance au travail groupal manifestée par la possibilité qu’Ouma soit seule en séance s’estompe. Des mises en récit vont se faire par bribes. Le père inscrit son discours dans un repérage de sa lignée, laquelle est marquée du sceau de l’intransigeance scolaire. Cela a pour effet de détendre et de refaire le lien affectif, de revivifier le lien de filiation. C’est ainsi qu’apparaît une organisation plus œdipienne, mais très chargée de narcissisme. Un moment de détente se produit quand ils me font comprendre que le père est fils de professeurs. C’est dit dans un élan de rire du groupe. Outre ce double renforcement générationnel de la position de parent qui éduque et se montre exigeant sur le travail scolaire, j’entends aussi l’impossibilité pour l’enfant de décevoir et un renforcement narcissique chez Monsieur. Que reconnaît-il de lui-même dans cette transmission à sa fille du caractère narcissique de la réussite dans les études ? Dans le récit de la construction de sa filiation à ses parents enseignants, le père les rejoint à travers la valeur accordée à la réussite scolaire. Il a dû être un bon élève et donc un bon fils. L’insistance qu’il déploie sur la scolarité de sa fille serait un reste de son propre attachement au versant narcissique de sa filiation. Mais dans cette consolidation, les référents symboliques auraient disparu ; il ne resterait que l’inflation narcissique. On peut se demander si la perte des référents symboliques n’est pas déjà à l’œuvre chez Monsieur, dans la chute de son statut en raison d’un chômage prolongé.

13 Dans une filiation narcissique, selon J. Guyotat : « Il y a une sorte de transmission, en direct, qui n’est plus modélisée par le symbolique de la filiation instituée. Des choses qui ont eu lieu dans les générations antérieures, notamment la génération précédente, traversent le psychisme du sujet sans être, en quelque sorte, assimilées… C’est une inclusion, une incorporation, par la génération, d’une sorte d’enclave psychique » (Guyotat, 2005). L’inclusion serait ici la réussite obligée dans les études et la valorisation narcissique corrélative. Entre la mère et le père, l’opposition est nette sur les moyens d’y parvenir, mais pas sur l’idée de base qu’il faut être excellent.

14 Petit à petit au cours de la thérapie, la mère tient un discours plus ambivalent sur cette question. Elle souligne la dureté d’Ouma envers elle-même et s’en dit inquiète, car elle en connaît les conséquences sur le corps. Elle met en avant les entraînements trop intensifs et les restrictions alimentaires qu’Ouma s’inflige. En effet, Ouma présente une tension corporelle, comme une carapace musculaire, qui ne se relâche jamais. Curieusement, Ouma reproche à sa mère d’être exigeante, tout en appliquant cette caractéristique à elle-même. Elles ont le même discours.

15 La transmission des valeurs familiales (être bonne élève et excellente sportive) s’est retournée contre les parents. Il n’en est plus resté qu’un mode opératoire. Sans transmission, il n’y a pas de filiation. Mais l’équilibre est fragile entre une transmission « à toute force » et l’offre de développement du potentiel du jeune. Dans l’adoption, la volonté de réduire l’écart dû à l’absence de lien biologique semble souvent renforcer cet appel à la filiation narcissique.

Le couple en rupture annoncée

16 L’opposition dans le couple va se révéler de plus en plus nette sur des consignes éducatives précises, jusqu’à envisager la rupture conjugale. C’est alors qu’Ouma attire systématiquement l’attention sur elle. Des séances vont porter uniquement sur sa famille biologique et les souvenirs qu’il lui en reste, notamment de sa fratrie. Le groupe va traverser des moments de sidération, lorsque Ouma révèle qu’elle n’avait pas compris qu’elle partait définitivement et qu’elle envisage de retourner dans son pays. Par ailleurs, à plusieurs reprises et dès l’arrivée en séance, Ouma déclare, en me regardant : « Ça n’avance pas, c’est insupportable à la maison. » Cette manière d’imposer ce préambule me fait penser une résistance délibérée manifestant un transfert négatif figeant toute évolution. Ouma barre d’entrée toute possibilité de concorde. De la colère est déposée à mon endroit. L’attaque dans le transfert me conduit à m’interroger sur ce qu’elle localise de la mauvaise mère en moi. Je suis à cette place et je ne sers à rien. On est sans doute à un endroit du négatif, de ce qui ne se dit pas, ne s’est jamais dit.

17 Je ne peux que faire des hypothèses, car l’histoire de la famille n’est quasiment pas dite et celle de la famille d’origine d’Ouma est noyée dans le flou. Cette absence d’éléments générationnels fait penser au blanc de l’adoption, à la construction de la famille dans la rupture, et donc au trauma toujours présent, qui, en séance, rejouerait l’absence d’origine. Je suis placée face à cette impossibilité de pouvoir mentaliser les éléments transgénérationnels, sans doute comme l’est Ouma, puisqu’aucun événement n’est diffusé en séance. La famille me fait vivre sa propre modalité du lien, ainsi, coupée de toute historicisation.

18 Paradoxalement, Ouma s’accroche à cette double exigence de réussite que formulent ses parents. Est-elle à la recherche du sens de cet héritage et de la violence qui va de pair, quitte à l’amplifier, ce qui lui laisse peu d’espace pour développer d’autres identifications ? La violence de cet acharnement maintiendrait son propre état traumatique, en écho vraisemblablement avec des noyaux traumatiques chez ses parents. La « transmission réversible » semble impossible.

19 L’opposition entre le père conciliant et la mère opposante va être grandissante. Le conflit s’est officiellement déclaré au sein du couple au cours d’une séance où ils relatent que Monsieur a donné son accord pour qu’Ouma fasse encore plus de sport, tandis que Madame s’y est farouchement opposée. C’est alors que je me demande quelles sont les alliances de ce couple. Sont-ils un couple dans le sens où l’accueil de l’enfant signe bien un acte de mariage de leurs deux lignées et un mouvement de transmission ?

Les contenus négatifs révélés par l’enfant adopté

20 Je m’interroge sur la position d’Ouma dans la psyché familiale en reprenant ce que dit R. Kaës : « Le porte-symptôme n’est pas évacué de sa position de sujet de l’inconscient et de sujet du groupe : il tient à son symptôme et le fait tenir dans l’ensemble, par ceux qui trouvent leur intérêt et à le partager et à le représenter dans un autre » (Kaës, 2010). Je suis embarrassée par une pensée que je réalise binaire et que je ne parviens pas à concilier : ou bien Ouma tiendrait le processus de filiation à distance, car la transmission narcissique est trop lourde, ou bien elle serait inscrite dans la filiation adoptive et en présenterait la forme propre à cette famille. Par son comportement, elle en manifesterait les éléments de contenus négatifs.

21 C’est alors que Monsieur et Madame me font comprendre qu’ils se demandent quelle suite donner à la thérapie. Tout en sachant qu’il s’agit d’une thérapie familiale, Madame a pensé que sa fille pourrait « aussi » venir seule. Le retour sur le dispositif m’indique que les liens transférentiels ne se sont pas établis, que l’implication de la famille dans le travail psychique ne parvient pas à s’installer. La solitude de leur fille, que je ressens comme effroyable à ce moment-là, m’apparaît comme une impossibilité d’installer un complexe d’Œdipe, au sein d’un couple parental peu fiable, car aux prises lui-même avec trop de conflits internes. La conflictualité dans cette famille tourne autour d’un idéal narcissique, présent chez chacun des parents dont l’enfant s’est saisie pour installer son lien de filiation, cependant que les deux parents sont en rivalité pour imposer chacun le leur. L’alliance conjugale ne fonctionnant pas, l’enfant ne parvient pas à se loger dans le pacte dénégatif. Ses symptômes font qu’elle amène le couple en consultation.

22 Cela me conduit à penser que l’ombre portée de la rupture est tombée sur le néogroupe (Granjon, 1987), comme elle l’est sur Ouma. Le groupe lutte contre cela. Mais de quelle rupture s’agit-il ? De celle du couple conjugal ? Ou de celle de l’installation des liens d’affiliation de l’adoption ? L’alliance fragile du couple a-t-elle représenté un enjeu pour Ouma ? S’est-elle sentie engagée à être le ciment du couple ? Et n’y parvenant pas, cela aurait rencontré son narcissisme fragile d’enfant adopté à l’endroit où elle pense avoir failli puisqu’elle a été abandonnée ? Se pense-t-elle décevante ? Son refus de continuer la thérapie, paradoxalement, désignet-il son acceptation d’être le porte-symptôme de cette famille ? Serait-elle dans cette opposition qu’évoque A. Konicheckis (2009) ? « Les symptômes des enfants manifestent une opposition à l’assimilation sans restes des négatifs familiaux. » Quelle part Ouma accepte-t-elle de porter du contrat narcissique et du pacte dénégatif ? Car, d’après R. Kaës, « le porte-symptôme n’est pas considéré comme le “point faible” du système, mais comme un sujet qui prend sa part propre dans la division qu’il représente et qu’il agit auprès d’un ensemble d’autres qui, par-là, soutiennent ce symptôme et en sont parties prenantes » (Konicheckis, ibid.). Est-elle à la place de faire soudure pour ce couple et non à celle d’héritière des deux lignées ? Et en cela, elle donne peut-être à voir les modalités particulières d’alliance et d’affiliation de ce couple.

Conclusion

23 La rupture du lien conjugal vient ébranler la part d’affiliation dans le contrat de filiation de l’enfant. Récepteur du transgénérationnel des parents, et de leur angoisse, l’adolescent, en raison de la temporalité de son développement, se place à deux endroits : tout en ayant soulevé des contenus négatifs, il se met en devoir de porter la responsabilité du contrat fondateur de la filiation, vraisemblablement dans l’espoir de ménager une partie de sa constitution psychique qui repose sur ce dernier.

24 Par son comportement agressif, Ouma, enfant adoptée tardivement, maintient des marques de trauma que l’on peut penser en écho avec des contenus négatifs dans sa famille d’adoption et avec ceux venus de sa filiation première. Ouma tente de lutter contre un effondrement dû à la faillite du couple, laquelle se superpose à la sienne supposée, sur la base de son narcissisme fragile d’enfant abandonnée.

25 Dans l’économie psychique de la famille, au détriment de sa singularisation, et tout en brandissant paradoxalement la menace de la rupture, l’enfant phorique du lien groupal familial serait en passe de devenir à toute force phorique du lien conjugal, montrant par-là combien il est porté par la nécessité de préserver des liens de filiation. Chez l’enfant adopté, la violence de cette responsabilité semble à son comble, comme si, dans sa tentative pour maintenir des liens d’affiliation, il essayait d’échapper à l’effroyable terreur d’un nouvel l’abandon.

26 Conflits d’intérêts : aucun

Bibliographie

Bibliographie

  • Castoriadis-Aulagnier P. (1975), La Violence de l’interprétation. Du pictogramme à l’énoncé, Paris, PUF.
  • Dupré Latour M. (2004), Les processus de la thérapie analytique en couple, Dialogue, 166, 3-14.
  • Eiguer A. (2010), Liens narcissiques et objectaux du couple et leur articulation avec la différence des genres, Le Divan familial, 1 (24), 147-165.
  • Granjon É. (2004), L’enfant qui vient ou l’enfant qui revient d’ailleurs, Le Divan familial, 12, 11-26.
  • Granjon É. (2007), Le néogroupe, lieu d’élaboration du transgénérationnel, Le Divan familial, 18, 93-104.
  • Granjon E. (2013), L’adoption, une affiliation-filiative, Journal Funzione Gamma.
  • Grange-Segeral E. (2004), Le travail du négatif dans le lien adoptif, Le Divan familial, 12, 27-38.
  • Guyotat J. (2005), Traumatisme et lien de filiation, Dialogue, 168, 15-24.
  • Kaës R. (1993), Le groupe et le sujet du groupe, Paris, Dunod.
  • Kaës R. (2010), La parole et le lien, Paris, Dunod.
  • Kaës R. (2012), Le Malêtre, Paris, Dunod.
  • Konicheckis, A. (2009), Filiations sensorielles et processus de subjectivation, Le Divan familial, 22, 33-45.
  • Konicheckis A. (2011) L’amour universel dans le roman affiliatif, Tempo psicanalitico, 43, 1, Rio de Janeiro. < http://pepsic.bvsalud.org/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0101-48382011000100001 >.
  • Leprince C. (2010), Le divorce : ses conséquences psychiques dans les liens familiaux, Le Divan familial, 24, 109-122.
  • Robert P. (2001), La constitution du couple, Le Journal des psychologues, 284, 31-33.

Notes

  • [1]
    La filiation adoptive ne peut jamais être déliée juridiquement, à la différence de la filiation biologique.
  • [2]
    Sans oublier le premier contrat narcissique qu’il a eu de sa première famille biologique (Granjon, 2004), par lequel il peut se trouver dans des conflits de loyauté.
  • [3]
    Depuis 2012, j’ai entrepris de rassembler dans un Réseau adoption-filiation des psychologues sensibilisés à ces questions ; il est maintenant connu des services d’adoption dans les Bouches-du-Rhône.
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