Pourquoi la création du PFF ?
1 Quand la STFPIF eut une dizaine d’années, en 2006, nous avons mis en place un groupe d’accompagnement des professionnels en formation (PEF) à la thérapie familiale psychanalytique (TFP) vers la fin de leur cursus appelé Pôle de fin de formation (PFF). Ce cursus se clôture par un mémoire écrit puis soutenu devant un jury de trois formateurs qui n’ont pas fait partie de l’équipe des formateurs du candidat. Celui-ci est invité, quand il se sent prêt, à présenter son mémoire composé de deux parties : le récit de la trajectoire de sa formation et l’exposé d’une TFP menée par lui, qu’elle soit en mono ou en co-thérapie. Des critères servant de guide pour la rédaction de l’écrit furent élaborés au fil des années par les formateurs et ont été discutés et agréés par le Conseil d’administration en janvier 2007.
2 Cet article a pour but de préciser le fonctionnement du PFF, les critères de rédaction du mémoire, les ressentis par rapport à cette étape singulière de la formation. La description de cette activité est accompagnée d’exemples, d’échanges lors des séances, d’une réflexion sur les enjeux de la clôture du processus de formation, et par là même des différentes étapes de celui-ci. L’écriture du mémoire se révèle une aire d’élaboration des vécus, des acquis dans un après-coup qui conduit à réviser les incertitudes expérimentées et les certitudes que l’on a pu configurer. Nous constaterons qu’une idée se dégage, celle de l’écart qui s’instaure d’une part entre le PFF et le reste des groupes du programme, et d’autre part chez le PEF, entre son expérience et son écrit, ou dans son vécu transférentiel par rapport au formateur, etc.
3 Ce fil rouge, l’écart, favorise et stimule la dynamique du PFF. Il est déjà implicite dans les indications sur le contenu du mémoire. Nous suggérons que le mémoire prenne en compte le travail effectué par le PEF sur son cas clinique à propos de :
- La groupalité familiale ;
- L’approche des niveaux archaïques du fonctionnement familial ;
- Le processus de la TFP et ses étapes ;
- Les interventions (interprétatives) énoncées ;
- L’élaboration du transfert et du contretransfert, ainsi que de l’intertransfert s’il s’agit d’une co-thérapie ;
- Le travail de post-séance des cothérapeutes.
4 Au cours de l’élaboration du mémoire, le PEF peut en discuter lors des réunions du PFF composées de formateurs et de PEF, et aussi avec son référent ou tout autre formateur.
5 Nous nous sommes réunis depuis 2006 environ 36 fois à raison de deux heures par séance ; y ont participé une cinquantaine de PEF et une quinzaine de formateurs. Ces derniers se réunissent après la séance pendant une heure pour discuter de la dynamique de ce groupe.
La convocation, la rythmicité des rencontres et leur fonctionnement
6 Ce pôle est animé par deux formateurs qui ont été désignés pour prendre en charge cette instance au sein de la STFPIF (les auteurs de ce texte). Ils adressent aux PEF du cycle 2 (voir plus loin) et aux formateurs, une invitation à cette réunion qui se déroule trois fois dans l’année. À ces réunions, chacun est libre de venir ou pas. Nous avons souhaité souligner ainsi que le PFF est un peu détaché de la formation instituée, la présence assidue aux groupes de celle-ci étant demandée et indiquée sur le programme.
7 Certains viennent pour s’imprégner de la démarche, d’autres sont prêts à écrire, ont fait le choix de la TFP à présenter, sont en cours ou en fin d’écriture. Un bon nombre s’interrogent sur ce que la fin de leur formation mobilise chez eux. C’est également l’occasion de réfléchir sur leurs transformations intérieures et leur progression au cours de la formation. En groupe, ils écoutent les autres PEF présents, se comparent, se confrontent à eux, ils échangent entre eux. La dynamique groupale les stimule et permet à chacun de prendre conscience de sa situation.
8 De fortes attentes sont de plus en plus explicitées par les PEF ; les formateurs s’interrogent de leur côté sur leur contribution à ce processus d’intériorisation, et à la fonction du collectif : les groupes de formation, le méta-cadre de la STFPIF, etc. Ce PFF a certainement infléchi la dynamique de celui-ci. Pour preuve : à la suite de la formalisation de cette instance, ont été aménagées des réunions de formateurs pour réfléchir sur la formation, la portée pédagogique et les moyens de la transmission. Un bon nombre de mois après, un comité des formateurs a vu le jour dont un des premiers buts a été l’accueil de nouveaux formateurs et plus tard la mise en place d’une procédure d’admission pour devenir formateur.
Le processus groupal du Pôle de fin de formation
9 La part personnelle inscrite dans l’écriture est évoquée par les PEF lors des séances, très précisément les angoisses éveillées, leurs difficultés, leurs inhibitions, leur approche en groupe et par le groupe, leur analyse. Si l’on a peur de se montrer, c’est qu’en effet écrire se révèle une forme d’engagement ; c’est différent que de parler d’un cas clinique en supervision ou de rédiger un article.
10 Il est utile de rappeler que le travail psychique du PEF se repose sur la groupalité psychique se déployant à plusieurs niveaux : dans l’interprétation du fonctionnement de la famille – essentielle pour comprendre son dysfonctionnement –, dans l’expression du travail psychanalytique entrepris avec elle, dans la co-thérapie éventuellement, dans le processus au cours de la formation où la personne du PEF a pu se déployer, interagir, jouer.
11 La façon dont le PEF s’est mis au travail reflète aussi son implication dans le processus de formation et notamment dans le groupe de perfectionnement (supervision) où il est question de mettre en relief une écoute intersubjective et intrapsychique du néo-groupe famille-thérapeutes. Cette écoute s’est peaufinée au fil du processus, entamé par le cycle 1 où le PEF participe à un groupe théorico-clinique et à un groupe de psychodrame psychanalytique. L’éprouvé de la groupalité psychique est à l’œuvre dans ces deux groupes mais de manière différente ; il est plutôt implicite dans le groupe théorico-clinique, et plus évident dans le psychodrame où il est parlé et interprété.
12 La question de la clôture du cursus implique la reconnaissance par la STFPIF d’un nouveau thérapeute familial psychanalytique. En entrant dans le cycle 2, le PEF s’est engagé à recevoir des familles, participe à un groupe de supervision, où le contretransfert est objet d’une attention particulière. Ce cycle comporte aussi un groupe de recherche. Le PEF va pouvoir peu à peu se détacher de la théorie pour jouer psychiquement avec sa groupalité interne, sollicitée en grande partie du fait que toutes les aires de formation se réalisent en petits groupes et que leur dynamique est soulignée, notamment dans le psychodrame.
Comment s’autoriser à jouer avec son écrit ?
13 Le PFF permet la réalisation d’un bilan de formation, d’une saisie de son sens, de ses buts, de sa spécificité, ceux-ci apparaissant déjà dans les premières interventions des PEF.
14 Nous allons restituer ici des questions qui nous ont été posées lors des séances du PFF. Elles sont parfois transcrites littéralement afin de conserver leur spontanéité. Un PEF : pour la rédaction du mémoire, quels sont les critères de durée de la thérapie ? Au niveau de l’évolution ? Est-il indispensable d’avoir obtenu un succès thérapeutique ? Nous notons que le PEF cherche à avoir des repères concrets alors qu’il est préférable de se pencher sur la mise au travail de son fonctionnement analytique au cours de la TFP.
15 Nous constatons par ailleurs que plus les PEF ont pu s’appuyer sur l’élaboration du processus de formation avec un membre de la STFPIF nommé « référent », plus la circulation psychique apparaît fluide. Malgré les avis franchement discordants que les formateurs peuvent exprimer dans le PFF, l’idée d’un fonctionnement collectif se développe, d’autant plus que la parole y est investie de façon privilégiée et le conflit reconnu comme l’indispensable moteur de la réflexion.
16 La place du formateur-référent mérite des précisions. Le PEF recourt au référent depuis le début de la formation pour lui parler de ses interrogations liées au processus pédagogique, à ses formateurs, aux autres participants dans les groupes, à la STFPIF, à la réalisation du programme et à l’intégration des concepts de la groupalité. Le référent cherche à adopter une position tierce. Les formateurs-référents, dira une formatrice en post-groupe, en écoutant le PEF parler des difficultés dans la rédaction du mémoire, favorisent la compréhension de leur signification, mais « c’est travailler avec, plus que travailler à la place de… ». Ils accompagnent le PEF tout en ayant un échange avec les formateurs. « Comment le référent se positionne-t-il ? Ce n’est pas un directeur de mémoire. Il n’est pas le superviseur ni l’animateur du PFF. » Mais il se trouve dans une bonne position pour que le PEF puisse associer sa relation entre les différents interlocuteurs avec ses malaises, ses inhibitions, ses résistances.
17 Ainsi la participation conjointe de différents formateurs à ce travail concourt à l’aménagement d’un méta-cadre sécurisant tant pour la STFPIF que pour ce groupe et les formateurs eux-mêmes. Signalons, à ce titre, que les PEF ne connaissent pas forcément les formateurs présents et que c’est souvent la première fois qu’ils les entendent parler de leurs attentes concernant la transmission. Cet écart favorise l’accueil de leurs impressions.
18 Nous sommes (formateurs et PEF) en plein travail de subjectivation : nous nous questionnons, essayons de découvrir comment l’expérience nous a touchés, bousculés, conduits à modifier nos idées, à déconstruire nos certitudes théoriques.
La rédaction du mémoire : un parcours parsemé d’embûches et de sorties de route ?
19 Quels écueils peuvent rencontrer les PEF dans la réalisation du mémoire ? Ils diffèrent selon le moment : a) avant de se lancer dans l’écriture et b) pendant sa rédaction ; c) pour le conclure.
20 Nous allons évoquer de nouvelles questions posées par les PEF. Nous repérerons les différents écueils selon les périodes, ainsi que le recours à un travail du deuil incontournable. Le choix du cas, par exemple, est déjà objet d’une démarche psychique singulière, ce cas est vécu comme un espace transitionnel d’adoption réciproque thérapeute-groupe familial, d’appropriation, et il sera intégré à l’identité. (« C’est ma famille », peut-on entendre dire.)
21 Un certain nombre de fois, le PEF se trouve confronté aux questions de légitimité dès lors que le mémoire est l’élément de passage entre son statut d’étudiant et celui de thérapeute reconnu, diverses questions de filiation se posent à lui. Elles sont souvent en résonance avec des problématiques similaires dans la famille qu’il a choisie pour son mémoire. En pensant à ces interrogations, nous pouvons nous demander : n’attend-on pas que l’étalement du cas serve de témoignage des acquis, alors que ce qui compte est la manière dont il est entendu ?
22 La dimension temporelle est à souligner : elle pointe le chemin de transformation des positions qui évoluent au fur et à mesure des prises de conscience du PEF, plus ou moins douloureuses. Mais l’écriture du mémoire peut le conduire à se reposer des questions qu’il a pourtant résolues. Il est ainsi confronté à l’angoisse de perdre des repères ou à la crainte du changement. S’accrocher au connu lui paraît l’attitude la plus rassurante. Le PEF reste parfois trop attaché au modèle de la psychologie et de la psychodynamique individuelles ou bien il assimile le mémoire à celui de fin d’année universitaire. Il est tenté d’écrire sur la théorie sans en noter la dimension défensive. Parfois, il choisit d’écrire sur une consultation familiale plutôt que sur une thérapie. Il peut avoir du mal à distinguer une thérapie mère-enfant et une TFP alors que cette question a été maintes fois traitée. Conscient de ce que cela représente, un autre, encore, redoute le transfert. Il se sent trop petit, trop inexpérimenté pour accueillir les préoccupations liées au sexuel ou pour entendre la précarité psychosociale, la violence du sevrage addictif, la délinquance, l’abandon d’enfant, l’inceste ou l’incestuel et proposer des interprétations.
23 Le PEF cherche parfois à trouver plusieurs interprétations qui expliquent la dynamique – il essaie de « ratisser large » – tandis qu’il peut y avoir une seule interprétation, centrale et relative au transfert. En vérité, les autres explications seraient celles que le PEF imagine qu’un formateur donnerait. Il semble ainsi vouloir l’imiter, mais s’identifier, c’est apposer sa propre signature à une idée, à une sensation… C’est ce qui fait possiblement le formateur-thérapeute : il trouve une interprétation à partir de son sentiment profond, par ce qui (le) touche. Il « plonge » dans son inconscient pour la chercher. S’identifier, n’est-ce pas faire comme autrui ? Il serait plus approprié que le PEF s’identifie à la façon dont le formateur procède, pas à ses explications intellectuelles. L’identification est ainsi paradoxale, car on s’identifie à un autre qui cherche à être au plus près de soi-même mais si possible en étant soi-même. La thématique de l’identification, essentielle dans le processus formateur, infiltre bien d’autres interrogations, comme nous verrons plus loin. Toutefois l’identification au formateur est d’autant plus difficile que tout analyste qui écoute un matériel en séance ou en supervision met au travail sa capacité négative (Bion, 1962), c’est-à-dire qui est dans le doute, l’incertitude, le vide, absorbé par l’énigme.
24 Des PEF ont l’intuition de ce processus. Ils s’interrogent indirectement par ces questions : « Comment aborde-t-on les angoisses archaïques ? » « Et l’indifférencié, le vide, la sidération ? Comment éviter de passer à côté ? » renchérit un autre.
25 Leurs réflexes étant davantage acquis à une écoute individuelle, certains doutent que la prise en compte du groupe puisse leur permettre d’analyser tous les émergents. Sauront-ils s’y prendre face aux violentes résistances de la famille ? Aux familles à fonctionnement narcissique ? Aux absences répétées et inexpliquées de membres de la famille ? Aux menaces d’abandon de la TFP ? Aux remises en question de leur savoir ? Voire aux progrès et à l’évolution psychique des membres de la famille ?
26 Un PEF se demande encore : « Faut-il revivre les transformations de la famille [dans son contretransfert] ? » Il semble redouter d’être envahi, voire aliéné par son cas. Et pourtant, cette question reflète la crainte qu’une telle implication ne risque de tout bousculer. Il n’est pourtant pas exclu ici que la famille désire vivre une véritable renaissance pour elle et que le thérapeute en devienne l’accoucheur ou encore le nouveau créateur.
27 Un deuxième ajoute : « [Convient-il de] s’essayer dans différents groupes pour avancer ? » Nous pensons à ce moment que ce regain d’avidité et cette dispersion répondent à une forte perplexité ; c’est comme si la lumière s’éteignait d’un coup et que le PEF partait dans toutes les directions afin de trouver un repère solide et connu, un mur, une porte. Au cours de cette séance, la discussion aboutit à « la métaphore du Lego ». Au départ, on est perdu face aux morceaux vécus comme impossibles à assembler. Puis, on trouve une première paire, plus tard une autre jusqu’à construire le jeu.
28 Dans le même registre, des PEF s’inquiètent de ne pas avoir de projet clair, de ne pas imaginer la trame de leur document et en désespèrent, se croyant incapables de l’écrire. Plus tard, ils pourront constater que la trame s’est développée à leur insu, sans qu’ils comprennent que celle-ci s’est forgée par la logique inhérente au processus de la TFP elle-même, dont l’évolution est pointée successivement par des climats, des thématiques, des variables de transfert-contretransfert articulées entre elles ; elles sont la conséquence de la résolution tour à tour de résistances et de crises. Par exemple, au début de la TFP, la famille se concentre sur la maladie du patient désigné et elle attend que le thérapeute réduise le symptôme. Plus tard, cela peut évoluer vers la prise en compte des conflits entre membres de la famille ; ceux-ci requérant désormais leur attention, les conflits deviennent l’objet du travail.
29 Étant trop aspiré par le processus de transfert-contretransfert, sans quoi il deviendrait inopérant, le thérapeute risque de ne pas percevoir la direction prise. Ces dérives affectent la rédaction du document. Le moment d’écriture peine à se dégager du processus thérapeutique ou de formation.
Le PEF aux prises avec trois régressions : au niveau de son contretransfert, de sa formation et de son institution de soins psychiatriques
30 Il est utile de rappeler ici que, durant la cure, le thérapeute lui-même est en régression. Il l’est aussi en tant que PEF. Dans ce dernier cas, sa régression se manifeste aux niveaux du temps et de l’espace.
31 Au niveau du temps, par exemple, il s’installe dans un « comme si la formation allait durer une éternité » (Eiguer, 2017). Cela peut se vivre dans la béatitude ou dans la gêne claustrophobe : une éternité qui permet de se sentir pour longtemps porté, porté et accompagné dans son travail thérapeutique. Au niveau de l’espace et des objets intérieurs, par effet de la régression, celui-ci se déforme : le lieu se réduit au groupe restreint animé par un formateur déterminé venant à représenter toute la STFPIF. Cet « endroit étroit » désigne « ma formation ». Le PEF peut sentir qu’il doit tout réapprendre tellement la formation lui semble apporter de savoirs jamais appris. La régression évolue, certes, mais elle continue à produire des déformations. Elle va évoluer encore avec la saisie intérieure de la situation. La rédaction du mémoire tend à favoriser la résolution de ces régressions ; on tarde néanmoins à comprendre leur nature ; elles s’entremêlent avec la régression du contretransfert face au cas à l’étude.
32 Proposons quelques éclaircissements apportés par des formateurs : À un moment donné de l’écriture, il apparaît une « colonne vertébrale », une « verticalité » s’esquisse ; de relecture en relecture, dans l’après-coup encore, nous le découvrons. En effet, le PEF va relire son écrit et il se vivra comme s’il était un autre, avec moins de passion et plus de sens critique. L’écart entre celui qui écrit et celui qui révise son écrit devient ici un levier.
33 Parmi d’autres résistances se manifestant chez le PEF, les plus inquiétantes sont liées à sa relation avec l’institution de soin psychiatrique où il travaille. Elles ont une incidence sur la thérapie et par extension sur la rédaction du mémoire. On y retrouve les angoisses rattachées à la légitimation soulignée plus haut. Le PEF est même confronté à des fidélités contraires, souvent fantasmées et bien entendu en résonance avec des rivalités entre lui et ses objets intérieurs ou entre ceux-ci. Il n’en reste pas moins que les positions institutionnelles, les soutiens de la hiérarchie, des collègues des équipes, sont autant de facteurs bonifiant la disponibilité psychique du PEF et l’introjection de modalités de penser ses cas familiaux. C’est en toute vraisemblance la dimension tierce sous l’emprise d’un surmoi plus ou moins sévère qui s’y manifeste.
34 Le contexte institutionnel peut intervenir sous forme de résistance à l’évolution de la formation au sein de la STFPIF. Elle se manifeste par des difficultés au niveau de la tenue du dispositif ou se traduit par des impasses d’écriture. C’est encore la notion d’écart qui nous instruit : se représenter à l’écart de l’institution soignante et saisir que l’on est l’objet d’un transfert singulier et a fortiori groupal contribue à l’élaboration des rapports conflictuels avec l’institution.
35 D’autres réflexions, moins inquiétantes, cette fois : le mémoire suscite parfois un blocage chez un PEF saisi par son implication, mais il reconnaît que le PFF l’accompagne, libérant sa faculté d’écrire. Il est intéressant de citer ici une autre séance ; un PEF dit : « Je cherche [à construire en moi] un moi thérapeutique idéal. »
Une post-séance du Pôle de fin de formation
36 À titre d’illustration, voici quelques réflexions à la suite d’une soirée (séance de formateurs avec des PEF et post-séance entre formateurs). Lors de la post-séance, un formateur dit : « On ne peut être ‘‘juge et partie”. » Le formateur se dit gêné par le fait qu’étant le superviseur de certains PEF présents à la séance, il s’est senti trop sollicité pour évaluer le travail de ces derniers, alors qu’il pense que ces commentaires altèrent le fonctionnement de la supervision. Il estime que celle-ci se développe dans un tissage pas à pas, coup par coup, selon l’évolution de la thérapie et les associations rapportées par le PEF ; elles sont singulièrement infléchies par la groupalité dans la supervision. Le formateur dit avoir été manipulé pour se positionner directement sur un travail qui est, de surcroît, encore incomplet.
37 La tentation est alors grande parmi les formateurs de se demander si le cadre de ce premier temps de réunion avec les PEF n’est pas à reconsidérer dans la mesure où nombre d’étudiants, et ce fut flagrant ce soir-là, s’étaient trouvés en présence de leurs formateurs.
38 A. Eiguer pense que « les formateurs sont assez expérimentés pour modérer et élaborer leur contretransfert ». On souligne ensuite lors de cette post-séance qu’il s’agit de s’engager et de créer, aussi bien pour les formateurs que pour les PEF. Pour ceux-ci, la supervision et plus encore l’écriture du mémoire sont un travail de reconstruction assortie d’une réappropriation des connaissances acquises en groupe théorico-clinique et ailleurs. Dans le cas de l’écriture, le plaisir d’écrire ajoute une note singulière en consonance avec ce remodelage des acquis ; la subjectivation s’enrichit et l’identité du sujet gagne en affirmation.
39 En analysant le contenu de cette séance, nous pouvons penser que la dynamique du PFF contribue à déconstruire les rumeurs et même à démythifier le savoir supposé des formateurs, dans la mesure où ceux-ci s’exposent, débattent, s’émeuvent. Mais cela n’est pas suffisant : le travail du deuil à la suite de la séparation, vécue de surcroît comme un abandon, est plein d’embûches. Combien de fois a-t-on entendu le PEF dire, accablé, que le mémoire lui paraît inachevé ou qu’il s’en veut d’avoir laissé passer une « interprétation essentielle » ?
40 Le détail paraît ici défigurer le tout. Un formateur s’exprimera : il y a deux mouvements dans cette écriture, elle permet la construction d’un roman familial, avec une part éminente de subjectivité… C’est un travail de reconstruction avec une appropriation des connaissances, mais pour les intégrer il faut peut-être les déconstruire. Les hésitations, les doutes… font partie du travail et à la lecture du manuscrit ; ils seront reçus favorablement dès lors qu’ils suscitent une analyse : « Nous avons été pris dans ces mouvements… et voici comment nous avons essayé de les élaborer. »
La représentation transformée de la STFPIF chez le thérapeute familial qui termine son cursus
41 Un PEF s’interroge. Après la soutenance, y a-t-il une suite ? Une mise au point est faite sur la confusion parfois entre le fait de finir sa formation, d’être reconnu par la STFPIF comme thérapeute familial psychanalytique et de demander à devenir membre de la STFPIF, ce qui est une tout autre démarche. On pressent chez ce PEF une difficulté à se séparer. C’est aussi la difficulté à intégrer l’écart entre formation et exercice professionnel. Quoi qu’il en soit, comme nous l’avons entrevu plus haut, la question de l’identification au formateur est délicate, notamment si elle entraîne l’imitation massive de celui-ci avec des éléments d’incorporation sans métabolisation.
42 À ce titre, il convient de rappeler que les PEF vont progressivement évoluer dans leur représentation concernant les formateurs et la société formatrice.
43 1. Par rapport aux formateurs, au début, les PEF s’attachent fortement au formateur qui s’occupe du groupe théorico-clinique avec des composantes transférentielles positives, voire idéalisées (cf. Anzieu, 1975). Ce transfert est contemporain de l’illusion groupale et il sert à l’établissement d’un attachement rassurant. Il comporte certes une dose de fascination, voire de séduction narcissique. Mais, au fur et à mesure que d’autres groupes sont investis, le transfert initial se déploie, des affinités conflictuelles peuvent se manifester, puis la STFPIF est davantage reconnue comme celle qui aménage l’espace-lieu de formation. Ses mythes, son éthique, ses orientations, ses ancêtres formateurs sont objet d’un transfert groupal qui développe une certaine adhésivité vouée également à évoluer au fur et à mesure que le PEF l’élabore selon ses propres vécus et principes, et qu’il s’affirme.
44 2. Par rapport à la STFPIF, au début, les PEF ont une vision assez générale et floue de son fonctionnement et de ses fondements. Progressivement, ses contours se définissent ; elle est identifiée comme le méta-cadre et le contexte dans lequel d’autres cadres ont été instaurés. Le groupe PFF se révèle être un porte-parole, un haut-parleur de la société. Il joue un rôle de régulateur qui travaille au niveau des frontières et veille à l’accomplissement des objectifs de formation. Il rappelle les visées pédagogiques, les limites temporelles et autres. À ce titre, il permet d’élaborer les transferts envers les formateurs ou les groupes singuliers et les résoudre. Le travail du PFF y apparaît – les exemples le confirment – dans son rôle de tiers et de témoin (Eiguer, 2013).
Conclusion
45 Le PFF est un groupe qui, par sa position, ses règles et son fonctionnement, remplit une fonction singulière : l’accompagnement dans la rédaction du mémoire devient une fonction de sas entre la formation et le monde professionnel du thérapeute. Tout TFP reconnaîtra que sa formation n’est jamais terminée ; la fin du cursus marque une borne qui lui permet de se sentir légitimé sans oublier que ce qui singularise toute activité apparentée à la psychanalyse est qu’elle demeure inachevée. Et faire le deuil de ses formateurs est une tout autre histoire, plus longue sans doute.
46 Le PFF revient sur le passé et annonce un avenir. Il remplit à la fois une fonction d’intermédiaire et de tiers-témoin. Intermédiaire entre le méta-cadre de la société formatrice et le PEF, il assure la transmission, alors que comme tiers il évite que le désir de celui-ci ne soit étouffé par un attachement idéalisé au formateur, par un lien trop adhésif et dépendant. Il témoigne que quelque chose de nouveau est advenu lors du processus pédagogique. Les balises que nous venons d’expliciter sont construites en fonction de nos conceptions de la formation (Baruch et coll., 2013). Citons R. Kaës (2002) : « Une approche paradoxale de la formation : la formation met en opposition, en essayant de les lier, le processus de construction d’une nouvelle forme et le processus de désorganisation qui travaille cette mise en forme. C’est seulement lorsque ces deux processus de formation et de déformation s’articulent l’un à l’autre que l’on peut espérer réunir les conditions d’une transformation. »
47 Le PFF permet ainsi de jouer avec l’écrit du mémoire devenu objet de médiation, favorisant la distinction entre celui qui a vécu une expérience et celui qui la met en récit. En vérité, c’est un même sujet, toujours un PEF. De cette dichotomie naît la possibilité qu’émerge un thérapeute pouvant désormais se livrer à une autoanalyse suffisamment distancée de lui-même lorsqu’il sera question de surmonter les difficultés du métier.
Bibliographie
Bibliographie
- Anzieu A. (1975), Le groupe et l’inconscient, Paris, Dunod.
- Baruch F. et coll. (2013), Table ronde sur la formation au colloque de la SFPPG, Paris, R. Jaitin, D. Lhotellier, J.-F. Reboul, N. Vander Elst.
- Bion W. R. (1962), Transformations, trad. fr. Paris, PUF, 1965.
- Eiguer A. (2013), Le tiers, Paris, Dunod.
- Eiguer A. (2017), Pourquoi un entretien voire plusieurs ne sont pas suffisants pour configurer une thérapie, in Travaux scientifiques, < http://alberto-eiguer-psy.fr >.
- Kaës R. (2002), Les groupes de formation : perspective psychanalytique, Le Journal des psychologues, 203.
- Nicolle O. (2011), Destins de la perte, forme(s) et formation, Le travail psychique de la formation, Dunod.