Couverture de DIFA_040

Article de revue

À propos de la subjectivation

Pages 129 à 140

« La possibilité pour l’individu d’être à la fois sujet et objet de sa propre connaissance, implique que soit inversé dans le savoir le jeu de la finitude »
M. Foucault, La naissance de la clinique, 1963.
« Il y a un temps pour chaque chose sous le ciel
Un temps pour naître et un temps pour mourir
Un temps pour semer et un temps pour récolter
Un temps pour pleurer et un temps pour rire
Un temps pour gémir et un temps pour danser… »
Qohelet V, traduction E. Renan, 1881.

1 La notion de subjectivation permet de rendre compte des capacités du sujet à se situer par rapport à autrui, à construire un espace psychique différencié, à tolérer ses propres mouvements internes et ceux des autres, à se situer dans l’intersubjectivité.

2 Il me semble que ce parcours de la constitution du sujet qui raconte toujours une histoire familiale est aussi celui de la formation, quand il s’agit de la clinique du psychanalyste. Kaës a montré que cette saisie du sujet par lui-même ne peut s’opérer que dans des espaces pluri-subjectifs : ce qu’il nomme « la matrice groupale de subjectivation » (Kaës, 2006). Il rappelle après Freud (1914) que l’espace du sujet singulier est celui « où il prend la place qui lui est assignée sur un double axe, synchronique avec les contemporains, diachronique dans la génération », dans l’espace des configurations de liens de groupe et de famille.

3 Le travail groupal et familial permet en effet au sujet de s’extraire des identifications aliénantes qui le figent dans une place, entravant ses capacités d’appropriation subjectives, comme nous allons l’évoquer.

4 Je vais en proposer deux exemples tirés de mes propres expériences formatives.

5 L’un, ancien, est celui d’une psychothérapie familiale qui donne lieu à l’écriture d’un mémoire de fin de formation. L’autre récent, celui d’une expérience d’observation dans un groupe de psychodrame de formation à la thérapie familiale psychanalytique.

6 Dans les deux cas, il s’agit de reconsidérer la relation au savoir et d’approcher la position subjectivante qui permet d’« apprendre de l’expérience » (Bion, 1962).

Quelques réflexions sur une thérapie familiale psychanalytique dans le cadre de la formation

7 Après avoir succinctement présenté la famille et sa demande, je vais donner quelques éléments du travail de la pensée et de ses difficultés pour montrer comment c’est dans la subjectivité de ma propre pensée, mise au travail dans ma formation, que je vais trouver avec la famille le chemin de relations moins aliénantes.

8 Il s’agit d’une famille, Monsieur, Madame et deux enfants, Mélodie (7 ans) et Séraphin (10 ans), famille aux modalités opératoires marquées par un registre narcissique ; la famille communique sur un mode paradoxal. Ils viennent pour Mélodie qui est suivie en rééducation pour des troubles du langage et de l’apprentissage de l’écriture à la suite d’une surdité non diagnostiquée jusqu’à l’âge de 5 ans. « Des otites mal soignées », dira Monsieur qui parle de bouchon dans l’oreille.

9 La famille, motivée, pleine d’énergie, conçoit le travail thérapeutique dans un rapport au savoir qui va révéler sa face la plus sombre. Madame est « une consœur » : la thérapie familiale, c’est nouveau pour elle et nous allons soigner sa fille « ensemble ».

10 Mon investissement, travaillé dans un groupe de supervision, s’engage autour de quelques métaphores. Ces questions, je les pense d’abord en termes d’enveloppes sensorielles, dans la réflexivité, quand écouter, c’est se laisser toucher ; « On ne s’écoute pas dans ma famille, dit Monsieur ; on est dur au mal. » Je vais donc entendre une première métaphore qui me permet de mettre en place un cadre contenant : est-ce que nous, ici, on va s’écouter ?

11 Il existe une mythologie familiale autour des secrets de famille : « On ne se cache rien dans la famille, on se dit tout, surtout les secrets. » Ainsi, dans nos séances, Mélodie ne doit-elle rien déposer de secret dans l’oreille de sa mère. La famille soutient un discours sur le trans-générationnel qui se présente comme une théorie clivante : chaque enfant a ses grands-parents « respectifs » ; Mélodie est identifié par ce fait à sa grand-mère paternelle porteuse d’un grave traumatisme. Cette théorie implique que nous allons soigner « le traumatisme paternel de Mélodie ».

12 Clivage, paradoxalité, assignation, ces empêchements à penser justifient les inquiétudes autour de Mélodie qui pourrait être « une enfant débile » : nous éprouvons dans le groupe thérapeutique des effets de sidération. On en sait long, mais on n’y comprend rien.

13 Je me sens moi-même prise à partie dans ma propre formation clinique et théorique par cette approche du transgénérationnel. Percevant comment notre pratique ne peut jamais en vain se laisser infiltrer par nos théories, je décide de suivre ce fil : l’impact de nos théories sur notre pratique et notre clinique et d’en écrire quelque chose pour le mémoire.

14 La théorie du trangénérationnel comme transmission de ce qui restait non élaboré par les générations ayant précédé le sujet, et qui soutenait mon écoute, se trouvait mise en défaut par la famille. Étant appréhendée comme un fait, elle venait par là même clore la dimension de l’accès au sens dont elle est normalement porteuse dans l’espace transférentiel. La part des ancêtres est-elle moins prégnante parce qu’elle est connue de tous ? Ayant muté en idéologie, ce savoir subverti au service du désaveu va entraîner dans son sillage toute une pathologie de la pensée. Fonctionnement opératoire, emprise, disqualification viennent ainsi questionner ma position d’écoute. Ça fait bouchon et je constate que la famille tout entière souffre de « surdité » et bute sur certains énoncés.

15 Loin de pouvoir transformer les angoisses et les souffrances maternelles qui vont s’exprimer dans le travail groupal, l’assignation de Mélodie disait comment, dans une relation au savoir qui ne devait pas être remise en cause, elle était maintenue dans une place où elle devait subir cette disqualification qui la disait porteuse du mauvais objet familial.

16 Dans mon contretransfert, je me sens moi aussi immobilisée, « nunuche », comme Mélodie, alors que les choses s’arrangent pour elle avec le travail groupal familial. Il permet, à travers un fort investissement de l’espace figuratif, de relancer les mouvements d’identification dans les deux lignées, identification « à » et non plus « par ». La mère associe autour des dessins de Mélodie, le père dort et le garçonnet s’ennuie poliment.

17 Mais la famille maintient un fonctionnement dans le contrôle à travers une communication paradoxale. Il s’agit maintenant de permuter les places en chaque début de séance en créant une espèce de mouvement perpétuel dans lequel ce qui est agi peut être dénié : j’observe comment ce mouvement immobilise la pensée et empêche chacun de savoir là où il en est. Et si je le dis, la famille acquiesce, mais les choses en restent là. De même, au moment de prendre conscience de sa position de chroniqueuse de l’histoire familiale, Madame retourne la situation en me disant : « J’ai bien compris depuis la dernière séance la différence entre parler et écouter. » Mon intervention était : « Ce n’est pas parce qu’on ne parle pas qu’on n’écoute pas » alors même que le contraire est en train de se passer.

18 Bion puis Etchegoyen (2005) nomment renversement de la perspective cette défense qui consiste à maintenir statique (« splitting statique », Bion, 1963) la perception de l’autre pour éviter tout insight et connaissance intuitive et toute possibilité de subjectivation qui aurait impliqué de prendre en considération le point de vue de l’autre.

19 Pour Bion, le splitting statique consiste à se placer dans une position et à ne pas en changer. Enfermé dans une position de savoir omnipotent, le sujet ne peut jamais rien apprendre. Il ne peut reconnaître la trace de ses expériences dans ses effets d’après-coup et découvrir sa propre subjectivité.

20 Sous l’accord manifeste se cache un désaccord latent qui ne doit jamais être dévoilé. En maintenant la symétrie de nos positions, Madame évitait tout insight et remise en cause. Ainsi toutes mes interventions ne faisaient-elles que confirmer ce que pensait la famille.

21 En voici un autre exemple : en réponse à une de mes remarques de la séance précédente : « Vous attendez quelque chose de votre mari », Madame s’empare de la parole qu’elle va garder pour associer autour de la venue au monde de sa fille. Elle coupe ainsi un fil associatif par lequel son époux commençait à prendre conscience que « Mélodie ne dessine pas seulement pour elle », pour raconter l’arrivée, rapide, de sa fille et dire la présence de Monsieur qui lui non plus ne s’est pas fait attendre. Monsieur exprime son sentiment d’étrangeté, dans le hic et nunc, avec l’évocation par son épouse de ce bébé resté pour une part étranger au couple, expulsé dans un fantasme qui confondait sa naissance et son accouchement. Les enfants sont fascinés, sidérés. Ce contenu sexualisé qui démétaphorise ma question court-circuite toute tentative d’élaboration.

22 Scène vide de l’expulsion du bébé bouchon en lieu de mettre au monde un enfant comme fantasme de naissance contenant la scène érotique, cette intervention appartient au processus de renversement de la perspective (Bion, op. cit. ; Etchegoyen, op. cit.). Ce fantasme est l’expression du vide psychique qui entrave les capacités réflexives et les mouvements d’intersubjectivité dans la famille. À travers sa manière d’entendre ma question et d’y répondre, Madame maintient statique dans le fonctionnement familial sa position de savoir omnipotent. Elle évite l’insight et la possibilité de subjectivation mis au travail par Monsieur autour de la figuration. Reconnaître son attente aurait-il réveillé trop de douleurs dans le couple et la famille ?

23 L’impossibilité d’accéder à une position subjectivante dans le contexte de cette défense impliquait qu’il n’y avait jamais de désaccord entre nous. La dissymétrie aurait restauré la mobilité psychique et avec elle la dynamique du transfert figée dans le splitting. La perception de l’autre, en effet, implique une perspective réversible. L’insight, qui représente la capacité d’intégrer le point de vue de l’autre comme expérience subjective, permet, en captant une situation réversible, de rendre dynamique une situation statique. La dynamique du transfert, qui ouvre à l’altérité, crée cette situation instable capable de mobiliser le changement en s’opposant aux finalités narcissiques poursuivie par la famille. Mais cette dissonance, qui introduit l’altérité au sein de la relation thérapeutique, menace de déloger chacun de sa place. Comme dans le rituel de permutation des places, en même temps qu’il devient agi, le conflit dans le transfert continue d’être dénié en tant qu’il pointe la différence dans notre écoute.

24 Nous sommes à la troisième année de notre travail et il y a un moment où ce que je vis comme une rivalité va se transformer dans mon écoute ; c’est quand je découvre avec le travail familial que je porte le nom de la sœur cadette de Madame, qu’elle surprotège et disqualifie comme sa fille. Ainsi mon contretransfert était-il en résonance avec un élément plus personnel que recelait et masquait son investissement professionnel : « Nous sommes consœurs. » Nantie de mon petit nom et de son histoire, je sors de ma propre surdité et je retrouve la mobilité de ma pensée. C’est dans ce moment que Mélodie dans un dessin nous emmène tous à l’école pour nous montrer comment elle devient la plus forte, s’emparant du signifiant maternel : formel, il avait désigné la corpulence de sa mère qui l’avait contrainte à sauter une classe « parce que j’étais trop forte ». Dans cette transformation, Mélodie trouve le chemin du sens et de la réversibilité de sa pensée. Ce changement de perspective rétablit la conflictualité de la polarité sujet/objet figé dans la factualité, levant l’assignation dans laquelle se trouvait prise la fillette.

25 J’évoquerai enfin une sortie théâtrale actée par la famille, dans la symétrie : après avoir mis la casquette de celui-ci sur sa tête, Mélodie va rejoindre son père dans le couloir, ils sortent ensemble, copains-copains. Pendant ce temps dans mon cabinet, Séraphin, dans un geste très viril aide sa mère à enfiler son manteau. Il sort et me salue, suivie par celle-ci. J’ai alors la vision de deux couples de voyageurs qui sortiraient d’un hôtel… devant le groom : à travers cette image de ma propre défaite, je comprends comment je suis mise au service du fantasme familial. Ce moment subjectif d’ouverture, entre-deux (entre eux deux) où je me figure à la charnière du dedans et du dehors, restaure une position œdipienne.

Discussion

26 Il me semble que l’écriture du mémoire de fin de formation à la thérapie familiale psychanalytique aura été une réponse à la manière dont cette famille m’interpellait sur le registre de mon identité professionnelle. Sur son versant défensif, cette réponse aura contribué à me dégager du dogmatisme familial, à me restaurer dans mes capacités à penser et à comprendre, à m’ancrer dans mes propres filiations et affiliations symboliques.

27 Cependant, c’est sur un plan personnel et depuis mon propre inconscient que les remises en cause de mes références identitaires, les questionnements sur la fiabilité de mes propres objets internes pouvaient signer une reprise des processus de subjectivation dans le groupe familial.

Sur l’observation d’un groupe de psychodrame

28 Il s’agit d’une expérience, récente, d’observatrice dans un groupe de psychodrame composé de 13 professionnels en formation à la thérapie familiale psychanalytique dans la Société de thérapie familiale psychanalytique d’Île-de-France.

29 Nous sommes en septembre. Je fais ma rentrée en même temps que les participants, nantie de l’article de Béjarano (1972) : « Résistance et transfert dans les groupes », dans Le travail psychanalytique dans les groupes. Je vais très vite, embarquée dans l’histoire de ce groupe, passer de la compagnie livresque, des ancêtres, à l’élaboration d’une expérience vécue, processus de subjectivation dont je vais donner quelques passages pour en rendre compte.

30 Le psychodrame : à partir des associations de séance certains participants choisissent un scénario qu’ils vont jouer. Les animateurs, Anne-Marie Blanchard et Philippe Castry peuvent venir jouer aussi. Après le jeu le groupe élabore autour de ces vécus. Les effets de ma présence, observés dans le groupe, découlent du cadre proposé : silence, pas d’interactions verbales avec les participants, je suis légèrement en retrait du cercle formé par le groupe et les animateurs, je prends des notes que j’adresse aux animateurs ; ce que nous en faisons n’est pas dit. J’observe les résistances et le transfert (Béjarano, op. cit.) ; les résonances entre le processus dans le groupe des participants et les jeux.

31 Je pourrai constater que la manière dont les participants s’expriment sur ma place d’observatrice est toujours en résonance avec les mouvements qui traversent le groupe. Persécution/abandon : je suis une intruse, ma présence n’est-elle pas contraire aux règles ? Qu’est-ce que je fais des notes ? Moments œdipiens : je vais remplacer l’animatrice ou bien suis-je en formation ? D’emblée ; je me sens au cœur des mouvements transférentiels. Si je suis récipiendaire, par ma position énigmatique, des premières angoisses, l’adresse est pour les animateurs – les participants ne s’adressent pas à moi. Ils parlent de moi à la troisième personne ; je me sens alors assignée.

32 Je provoque dans le groupe des sentiments d’inquiétante étrangeté qui entrent en résonance avec l’anxiété autour des nouveaux arrivés : il y a du connu-inconnu. Je reçois en dépôt les éléments les plus projectifs : un jeu organise la question des mauvais objets, que faire des déchets ?

33 Dans les fantasmes qui s’expriment, le voir, l’entendre sont d’emblée mobilisés par mon regard sans paroles qui pourrait faire effraction ; comme dans les jeux de mère hyper-contrôlante, d’objet intrusif, dans un retournement de ma présence passive. Prise dans un entre-deux, je suis une enfant comme les participants, mais je suis dans les secrets des animateurs : je parle avec eux pendant les pauses. Quelle est donc ma place ?

34 Ma tâche d’écriture convoque la nature du travail psychique : symbolisme de ce processus pour les participants, mémoire, inscriptions et traces mémorielles me renvoient aux « Notes sur le bloc-notes magique » de Freud (1925) et à cette inscription qui fait sens et produit en nous la perception du temps.

35 La pulsionnalité, le plaisir immédiat du jeu, entrent en conflit avec le travail élaboratif : à travers les résistances et l’ambivalence se constitue un étayage. Quand le groupe assure mieux sa propre contenance, soutenue par les interventions des animateurs, les participants accueillent les moments régressifs ; les histoires, les souffrances personnelles peuvent se dire, en résonance avec les préoccupations cliniques et donnent lieu à de nouveaux jeux. Dans ces moments d’intériorisation, je suis oubliée.

36 Pour ce groupe, l’intolérable frustration de ne pas savoir qui je suis, dans quel but je suis là, va se transformer, être prise dans d’autres frustrations et d’autres angoisses à élaborer : va-t-on chuter dans le groupe (il faut descendre des marches pour accéder à l’espace de la rencontre groupale) ? se perdre dans l’autre ? Question identitaire. Ces angoisses archaïques s’apaisent : est-ce qu’on est obligé de jouer la montre ou bien peut-on prendre le temps d’arriver, de papoter un peu entre soi en s’attendant aux toilettes ? Entre circuit court et court-circuit, le groupe transforme sa pulsionnalité dans les espaces intermédiaires.

37 Ce temps long, celui de la pensée, ne s’arrête pas à la porte de la séance groupale. Au retour de la pause, une participante évoque « un jeu » qui se déroule hors groupe, au café, dans une forte résonance avec ce qui se passe dans le groupe : « Avec le barman, c’était un vrai sketch, un jeu qui se passe à l’extérieur. » Elle commande un thé vert avec un glaçon, « sinon je me brûle », et ne reçoit qu’une infusion à la menthe sans thé. La tension qui monte avec l’obstination du serveur qui lui apporte au lieu de thé toujours plus de menthe (l’amante ?) finalement se convertit en éclats de rire. « Tu es le chef », lui souffle une participante. Avec le sens, l’humour et le plaisir ont gagné la partie.

38 Il y a de nombreux jeux de naissance, de bébés mal accueillis, de parents insuffisants : c’est alors depuis l’inconscient que la question de l’altérité se pose ; repris dans le manifeste du jeu, il dit le latent du groupe. Le fantasme originaire est-il le signe d’un travail de naissance du thérapeute ?

39 De mon côté, je me sens prise dans le vécu des participants, dans leurs jeux – je pourrais y participer – et dans leurs associations : je m’identifie facilement ou au contraire je reste en position d’écoute. Rarement à la place des animateurs, j’imagine intervenir dans un jeu ou proposer une interprétation. Mes pensées circulent ainsi dans la résonance fantasmatique groupale. Effets de ma présence silencieuse qui me permet d’être en contact avec mes pensées, mes émotions, mes fantasmes.

40 Parfois je suis prise dans l’illusion groupale : quand les participants préparent, pour le départ en retraite de l’animatrice, une fête bien transgressive, je cherche en vain les jeux qui m’auraient mise sur la voie de leur fantasme ; je n’ai rien compris, rien vu venir. J’observe ainsi le lent travail d’élaboration, la prise de conscience par chacun et chacune de sa propre subjectivité : les participants sont plus à l’écoute de ce qu’ils disent, des effets de l’inconscient, et moins dans l’attente de réponses.

41 Ces effets de subjectivation, je les ressens aussi dans le différé : ce qui est déposé dans le temps de l’observation et de la prise de notes, dans une forme de passivité, donne lieu à des effets d’après-coup quand je reprends ces notes pour les adresser aux animateurs. Les perceptions peuvent devenir différentes, comme dans le récit du rêve, qui n’est pas tout à fait le vécu du rêve. Cette transformation évoque les deux qualités de la pensée dans la fonction alpha de l’appareil à penser les pensées : la rêverie et la contenance (Bion, 1962).

42 Ce que Balint (1961) nommait « un changement limité mais considérable » et qui conduit à entrer en contact avec des parties de soi inanalysées, ses propres points non élaborés, dans des allers et retours entre des positions personnelles et professionnelles : la clinique.

43 Il me semble que l’observateur participe par sa présence silencieuse, active/passive, au travail d’élaboration qui concerne les animateurs et les participants. À ce titre, il fait partie du groupe.

44 Dans cette position attentive, d’écoute, d’observation et de rêveries participatives reprises et élaborées dans les inter-séances, je me suis sentie vivre la place du psychanalyste quand il porte l’énigme du sujet.

Conclusion

45 Expériences vécues, réélaborées dans un temps de secondarisation qui est celui de la réécriture, les mouvements d’identification décrits, propres au processus de formation, témoignent de l’accès à des positions de subjectivation. Elles s’inscrivent dans une forme de temporalité psychique.

46 Dans l’exemple de la psychothérapie familiale supervisée, la dynamique du transfert rétablit l’altérité : la petite patiente (re)trouve sa position de sujet en se dégageant de l’histoire portée par le récit familial, pour inscrire sa propre histoire grâce au travail de figuration (les dessins). Pour la thérapeute en formation, l’élaboration de son contretransfert lui révèle l’élément personnel d’identification dans cette histoire et fait chuter son rapport au savoir. Plutôt que mettre la thérapeute en situation d’observation de son processus psychique, il me semble que la supervision aura permis la saisie de sa position subjective, expérience propre à la groupalité.

47 Dans l’expérience de l’observation groupale, l’observatrice découvre, dans le même mouvement que les participants, sa position subjective, là aussi dégagée de l’assignation où la maintenaient les mécanismes projectifs. C’est aussi le cas dans le travail de secondarisation de la réécriture des notes de séances adressées aux animateurs et dans l’intertransfert. En prenant conscience de sa position subjective dans la relation à l’autre, le sujet sort de la contrainte de répétition et change sa perception du temps, qui s’intériorise et devient subjectif. Cette expérience de la temporalité comme indice de la subjectivation, repérable dans le travail thérapeutique, peut être partagée dans l’espace groupal de la séance.

48 Le texte de Foucault mis en exergue de ce travail, et qui figure sur la page de couverture de La naissance de la clinique (1963), répond à la question : qu’en est-il du sujet quand il se présente comme l’objet d’un savoir ? Foucault y désigne les conditions de possibilité d’une connaissance subjective : elle implique d’assumer la limite dans notre corps. Cette conflictualité sujet /objet engage un renversement qui fait du devenir sujet le principal agent de la connaissance, dans une relation au savoir qui renouvelle le rapport au corps, à la mort, à la castration. Cette expérience subjective, la conscience de nos limites corporelles et temporelles, notre finitude, est aussi un changement de regard qui est ici, dans l’ouvrage cité, ce regard qui cherche les signes. La précarité, le caractère fini, limité de la vie, font de l’individu un sujet.

49 Foucault ouvre là une réflexion sur un changement de paradigme qui dépasse largement le champ du savoir médical et fonde la clinique : dans cette mutation du regard, il pose la question de la subjectivation. Question particulièrement sensible quand il s’agit de la formation.

Bibliographie

Bibliographie

  • Balint M. (1961), Techniques psychothérapeutiques en médecine, Paris, Payot.
  • Béjarano A. (1972), Résistance et transfert dans les groupes, in Anzieu D. et al., Le travail psychanalytique dans les groupes, Paris, Dunod, 67-140.
  • Bion W. R. (1962), Aux sources de l’expérience, Paris, PUF, 1991.
  • Bion W. R. (1963), Éléments de la psychanalyse, Paris, PUF, 1979.
  • Etchegoyen R. H. (2005), Fondements de la technique psychanalytique, trad. fr. Paris, Hermann.
  • Fischhof C. (2010), Le corridor. Une traversée aux enfers dans une psychothérapie familiale psychanalytique, Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, 54, 141-153.
  • Foucault M. (1963), La naissance de la clinique, Paris, PUF.
  • Freud S. (1914), Pour introduire le narcissisme, trad. fr. in La vie sexuelle, Paris, PUF, 1989, 81-105.
  • Freud S. (1925), Notes sur le « Bloc-notes magique », Résultats, idées, problèmes 2, Paris, PUF, 1992, 119-124.
  • Kaës R. (2006), La matrice groupale de la subjectivation, in Richard F. et al., La subjectivation, Paris, Dunod.
  • Renan E. (1881), l’Ecclésiaste : un temps pour tout, Paris, Arléa.

Mots-clés éditeurs : mobilité psychique, subjectivation, expérience, écoute

Date de mise en ligne : 15/06/2018.

https://doi.org/10.3917/difa.040.0129

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