Couverture de DIFA_036

Article de revue

Les enjeux psychiques de la migration à travers le spectre du symptôme obésité

Pages 165 à 180

Notes

  • [1]
    Recherche longitudinale (menée sur 18 mois) intitulée « Obésité à l’adolescence et dynamique familiale » dirigée par le professeur Patrice Cuynet menée auprès de 43 familles.
  • [2]
    MECSS prenant en charge des adolescents obèses (IMC > 30) pour une année scolaire.
  • [3]
    Nous n’apportons que les éléments de ces deux entretiens mais cette famille a été suivie sur 18 mois.
  • [4]
    Approche bio-psycho-sensorielle. Cette approche combinant une intervention aux plans diététique, psychologique, éducatif et médical.

1 L’obésité est une maladie plurifactorielle qui a fait l’objet de nombreuses recherches pour la plupart à l’échelle individuelle. C’est pourquoi, dans le cadre d’une étude [1] menée dans une institution [2] nous avons fait le choix de nous attacher à ce symptôme à l’échelle familiale. Les résultats de cette recherche ont mis en avant une grande fragilité du contenant familial causée notamment par des manques de repères identitaires dans les lignées inter- et transgénérationnelles (M.-A. Schwailbold, 2014 a). Nous avons également remarqué que pour assurer son homéostasie, les familles recouraient de manière défensive à une omnipotence maternelle, à une prégnance du champ de l’oralité ainsi qu’à un surinvestissement de l’enveloppe familiale (M.-A. Schwailbold, 2014 b). Nous posons alors l’hypothèse selon laquelle l’expression somatique d’un membre d’une famille est à comprendre comme la résultante d’une problématique familiale. Au cours de cette étude, nous avons été amenés à rencontrer des familles dans lesquelles les parents avaient migré vers la France. Quitter son pays, sa culture, ses proches et ses repères n’est pas sans conséquences pour la psyché du sujet. Ce déracinement, outre l’aspect traumatique plus ou moins latent en fonction du contexte, est un élément qui, dans notre pratique clinique et de recherche, nous a interrogés. C’est pourquoi, dans cet article, nous souhaitons discriminer le facteur particulier de l’immigration. La perte des repères identitaires, ainsi que les difficultés d’ancrage dans un nouveau pays au niveau des parents peuvent avoir des répercussions sur les enfants. Nous avons repéré cliniquement que ces enfants avaient une fonction sémaphorique (R. Kaës, 1994) à travers une expression somatique, à savoir le corps obèse. Nous proposons donc d’envisager que le symptôme d’un membre d’une famille serait le reflet d’une problématique familiale à une étape particulière de son histoire : le tiraillement entre le souhait de s’intégrer et la crainte de perdre son identité. Si dans la culture d’origine (maghrébine ou africaine) le corps gros peut être perçu comme un signe de beauté, de bonne santé ou encore de richesse, ce n’est pas ce que véhicule la culture occidentale. Cette ambiguïté au niveau des repères identitaires semble devoir être interrogée sur le rôle qu’elle joue dans la construction de l’identité tant du sujet que de sa famille. Ainsi, dans ce contexte, comment se faire une place dans une nouvelle culture ?

Migration et trauma

2 Pour commencer, nous allons préciser des termes souvent utilisés comme synonymes, mais qui revêtent néanmoins des différences, notamment concernant leurs répercussions sur le plan psychique. En effet, exil ou plus génériquement migration ou expatriation sont des termes employés pour signifier le départ d’un individu de son pays d’origine. Or l’exil renvoie à une situation dans laquelle un sujet est contraint de quitter son pays. Ce départ peut avoir des raisons diverses, mais elles sont toujours associées à un danger du sujet à rester. L’expatriation, du grec « ex patrida » (en dehors de son pays) sous-entend que ce départ n’est pas définitif. On peut s’expatrier, par exemple, pour des raisons professionnelles. La migration, quant à elle, signifie le déplacement du lieu de vie d’un individu pour diverses raisons. Pour autant, quels que soient les motifs du départ, la migration sous-entend laisser en arrière pour partie sa famille, son pays, sa culture. Ce changement de vie induit ainsi chez les individus une « situation de rupture vitale » (G. Bar de Jones, 2001), une perte s’apparentant à un travail de deuil. La migration a donc des effets traumatiques (T. Nathan, 1986). Nous allons nous intéresser aux répercussions de ce tournant à l’échelle des enfants, nés dans un autre pays que celui de leurs parents. Dans ce cadre-là, l’enfant vit alors dans un univers double qu’il n’est pas évident de négocier tant cette dualité peut s’avérer complexe, voire paradoxale. En effet, s’entrechoquent alors deux mondes, celui de la famille et le monde extérieur. Cette double appartenance, qui peut sembler a priori source de richesse doit néanmoins être questionnée, le risque étant que l’enfant se construise sur « une logique du clivage, témoignant de la rupture qu’a introduite la migration dans l’histoire familiale » (T. Baubet, M.-R. Moro, 2000). Ce clivage du Moi, à l’œuvre dans le traumatisme du déracinement, amène à une scission entre deux parties du sujet qui se veulent incompatibles et conduit non seulement à une fragilité identitaire familiale mais, par un effet miroir, à une fragilité identitaire au niveau de l’enfant. Cet enfant devient alors le représentant de la coupure, faisant effraction dans la continuité historique familiale puisqu’il incarne le nouveau pays. Cette fissure dans la filiation est alors une remise en question du contrat narcissique (P. Aulagnier, 1975) et des alliances inconscientes (R. Kaës, 2009), pouvant amener rejet, stigmatisation ou encore manque de reconnaissance à l’égard de cet enfant porteur de la différence culturelle. Ceci s’incarne concrètement dans l’apprentissage d’une nouvelle langue qui génère un déséquilibre psychique chez le sujet pouvant aller jusqu’à mettre en péril son identité (L. Grinberg, R. Grinberg, 1986). De plus, adopter une autre langue signifie changer le référentiel permettant d’appréhender le monde qui nous entoure (L. Grinberg, R. Grinberg, 2013). Le vécu de la migration n’est pas toujours traité au niveau des parents, mais relégué sous forme d’inclusion à la génération suivante, à l’image d’une crypte (N. Abraham, M. Torök, 2009). Il y aurait alors une absence de transmission des moyens psychiques qui auraient permis un processus de métissage, qui aideraient l’enfant de migrant à se représenter non pas comme l’un ou l’autre mais comme l’un et l’autre (T. Baudet, 1999). Dans ce contexte, comment l’enfant peut-il se faire une place ? Quelle place lui accorde-t-on dans cette nouvelle configuration ? Ces questions, au fondement de la construction du sujet, viennent tout particulièrement se réactualiser au moment de l’adolescence, période pendant laquelle le jeune réinterroge le fonctionnement familial, ses valeurs, et les met à l’épreuve. La famille, elle-même aux prises avec la dualité culturelle, présente alors des difficultés à élaborer ces processus qui peuvent conduire à une altération des capacités à s’auto-représenter tant à l’échelle individuelle que groupale.

3 Eiguer (1999) a repéré trois mécanismes compensatoires du déracinement. Dans un premier temps, le sujet et sa famille passent par une phase de refusionnement au sein du groupe de manière autarcique afin de se rassurer. Dans un deuxième temps, les sujets vont développer un faux-self dans un effort de sur-adaptation mimétique au nouveau milieu, tout en tentant de maintenir un lien avec la culture d’origine (A. Eiguer, 2007). Enfin, lorsque cela est possible, ils parviennent à recourir à l’ancêtre, aux objets transgénérationnels, ce qui va leur permettre une récupération du self véritable. C’est dans cette troisième étape que les familles peuvent éprouver des difficultés. Ainsi, le Soi familial étant entaché de ce trauma, il n’assure plus sa fonction de soutènement, notamment au niveau de la génération suivante.

4 C’est à travers l’étude de l’image inconsciente du corps familial (P. Cuynet, 2005) par le biais d’outils spécifiques (Génographie projective et Spatiographie projective) que nous allons tenter d’apporter des réponses à cette clinique de la migration qui s’incarne dans le corporel : en effet, la migration est venue faire effraction dans le contenant familial. Ainsi, à travers l’élaboration de figures projectives spécifiquement groupales (P. Cuynet, A. Mariage, 2001), les familles obtiennent alors d’elles-mêmes une représentation enveloppante et identifiante par un processus de projection de leur image du corps familial (P. Cuynet, 2010).

Cas clinique

Cadre des rencontres

5 La famille que nous allons présenter a été rencontrée à l’occasion de deux entretiens familiaux de recherche au début de l’hospitalisation [3]. La première rencontre consistait en un entretien d’anamnèse suivi de l’épreuve de génographie projective. Le deuxième entretien était davantage axé sur la manière dont les familles vivent leur habitat avant de proposer l’épreuve de spatiographie projective familiale. Les outils projectifs nous permettent d’accéder à l’image inconsciente de la famille. En effet, l’épreuve de génographie projective (P. Cuynet, A. Mariage, 2004) nous informe sur le vécu ressenti par une famille concernant sa manière d’être ensemble, à la différence de la dimension sociocognitive du génogramme qui est seulement informative. L’épreuve de spatiographie projective (P. Cuynet, A. Mariage, 2001), quant à elle, nous renseigne sur la qualité de l’enveloppe groupale et sollicite les capacités de fantasmatisation de la famille puisqu’il s’agit d’une maison imaginaire. Les interprétations cliniques que nous apportons s’appuient sur une grille interprétative (P. Cuynet, 2015) élaborée à partir d’une population de référence. Les entretiens ont été réalisés par deux psychologues, l’un menant l’entretien, l’autre étant en position d’observateur. Parallèlement à cela, les adolescents bénéficiaient d’un suivi psychologique sur l’année scolaire dans le cadre d’une prise en charge globale [4] proposée par le centre.

6 Dans le cas de la famille que nous allons présenter, la migration ne s’est pas faite en réaction à un contexte de violence traumatique. Il s’agit d’une famille provenant d’Afrique du Nord.

Une peau familiale attaquée : le cas de la famille A

7 La famille se compose de cinq membres, les parents, Myriam, l’aînée de 16 ans qui est obèse, et ses deux sœurs de 13 et 6 ans. Plusieurs suivis auprès de nutritionnistes et de médecins avaient déjà été mis en place mais sans succès pour Myriam avant son hospitalisation. Les deux parents sont originaires d’Afrique du Nord. Le père, issu d’une fratrie de six enfants, est venu en France à l’âge de 9 ans, mais relate que l’arrivée et l’adaptation lui ont été très difficiles. La séparation avec le reste de la famille demeurée au pays a été aussi pour lui une réelle épreuve. La mère, issue d’une fratrie de trois enfants, est venue en France à l’âge de 25 ans. Elle a donc fait ses études dans son pays d’origine. Pour elle aussi la séparation a été extrêmement compliquée, à tel point qu’après la naissance de Myriam et de sa sœur elle est retournée dans sa famille avec ses deux filles, a repris son travail, et scolarisé Myriam qui avait 4 ans. Cette décision a été prise d’un commun accord au sein du couple. Mère et filles sont donc restées plusieurs mois au pays avant de revenir en France, car la séparation avec le père était trop difficile, tant pour Myriam que pour lui. Concernant l’obésité de Myriam, le papa souligne que sa fille a toujours été ronde. L’hospitalisation de Myriam a été difficilement vécue par tous les membres de la famille et en particulier par Myriam et sa maman. Au cours de l’entretien, le père soulignera que toutes deux entretiennent une relation qu’il qualifie de fusionnelle, en disant à sa femme « Tu la couves trop ! » Ces éléments, ainsi que la manière d’être de la mère et la fille (très collées l’une à l’autre, se regardant beaucoup), nous renseignent sur une problématique de séparation. Nous comprenons alors l’abondance de nourriture comme une manière de maintenir ce lien originel sous son versant nourricier. L’obésité de Myriam pourrait être une manière de rester dans ce lien des premiers temps de sa vie.

Analyse des figures projectives

8 Au moment de l’élaboration de ces dessins sont présents Myriam et ses parents.

9 C’est la mère qui réalise le dessin, puis Myriam viendra faire les modifications (notamment remettre le père et la mère à la bonne place dans le dessin) et commenter le dessin de manière modératrice (fig. 1). À travers ces interventions, l’adolescente tente d’apporter du sens à cette tâche difficile pour le groupe. La mère débute le dessin par les grands-parents (paternels et maternels) de l’adolescente qui sont représentés comme une même entité par le symbole « Gprts » donnant l’idée d’une figure ancestrale commune. Nous pouvons interpréter cette fusion comme un processus réactionnel de lissage des différences entre les deux branches qui s’allient pour rassurer le groupe face à sa culture d’adoption, source d’apparente inquiétude et d’incompréhension. À travers ce dessin, la famille nous signifie sa difficulté à penser les étages générationnels soulignant par là-même une difficulté d’élaboration de la généalogie et des liens de filiation (il y a par exemple des décalages générationnels puisque les grands-parents de Myriam (papa, maman) ne sont pas au même niveau). Nous notons une limitation dans le nombre des strates générationnelles, réduites à la génération des parents de l’adolescente et de ses grands-parents. Or, comparativement à des dessins de familles issues d’un échantillon témoin (P. Cuynet, 2014), le nombre de strates générationnelles est significativement plus important. Dans une optique défensive, l’enveloppe généalogique (E. Granjon, 2005) de cette famille ne se trouve-t-elle contractée afin d’assurer une sécurité de base familiale fragilisée ?

Figure 1

Dessin de l’arbre généalogique

Figure 1

Dessin de l’arbre généalogique

10 La représentation de ce dessin de maison (fig. 2) est très rudimentaire et nous indique que l’imaginaire n’a pas pu se déployer (maison phallique ou anthropomorphique). Les seules espaces intérieurs nommés sont des espaces de vie commune marquant le besoin de la famille de faire corps tous ensemble, pour assurer là encore une sécurité de base défaillante. Ainsi, de manière défensive face au déracinement vécu par les parents et à la deuxième séparation lorsque la mère et ses filles sont reparties au Maghreb, la famille lutte et compense par un besoin de co-présence permanente des membres. Ils ont davantage pu investir l’extérieur comme si les qualités de contenance de la maison ne permettaient pas d’investir une intériorité : « L’endroit le plus important, là où on se retrouve ça serait dans le jardin. » De plus, la maison a été construite par agglomérat de matière, témoignant d’un besoin du groupe de panser une peau familiale mise à mal. En effet, « la perte de l’enveloppe culturelle va donc provoquer des modifications de l’enveloppe psychique » (M.-R. Moro, 1994) tant à l’échelle individuelle que familiale.

Figure 2

Dessin de la maison de rêve

Figure 2

Dessin de la maison de rêve

11 À la lumière de ces éléments, nous pouvons envisager l’obésité de Myriam comme une manière de signifier la problématique de contenance à l’œuvre dans la sphère familiale, le phénomène migratoire étant venu faire effraction dans le Moi-peau familial (D. Anzieu, 1993). L’obésité pourrait alors être comprise comme une tentative de réparation d’une enveloppe groupale trouée par un surinvestissement du pourtour du corps d’un membre. En effet, le père évoque l’attitude de sa femme à l’égard de sa fille : « Il faut dire qu’il y a eu un moment où elle a été gavée, c’était “mange, mange, mange”. » L’alimentation semblait être pour cette mère une manière de pallier un vide psychique. Ainsi, le surinvestissement du champ de l’oralité peut être vu comme une position régressive à l’image de la régression familiale.

Discussion

12 Au travers de l’analyse des productions graphiques de ce cas clinique, nous pouvons appréhender la fragilité du contenant familial (M.-A. Schwailbold, 2014 b) tant dans sa dimension synchronique que dans sa dimension diachronique. En effet, le traumatisme de la séparation à la fois pour les membres qui partent, mais aussi pour ceux restés au pays, impacte l’identité filiative. C’est pourquoi les familles que nous avons rencontrées ont témoigné de leur besoin d’un retour aux sources (contacts téléphoniques quotidiens pour la mère d’Adam et retour pendant plusieurs mois au pays pour la mère de Myriam) afin de ne pas se perdre et d’être toujours reconnu des autres. Perte d’ailleurs réciproque pour les personnes qu’ils ont dû quitter. Nous avons, au travers de cette situation, perçu comment le phénomène migratoire a endommagé l’enveloppe familiale qui éprouve alors des difficultés dans ses fonctions contenante et pare-excitante. Le phénomène migratoire a ainsi généré chez cette famille une image du corps familial aplatie ancrée dans la synchronie (M.-A. Schwailbold, 2014 a) rendant compte de la difficulté à dépasser le déracinement. Nous avons pu repérer la marque d’une indifférenciation interindividuelle que nous comprenons comme un besoin de symbiose face à cette nouvelle vie. Dans cette perspective, nous pouvons nous demander si l’obésité d’un des membres ne peut pas être entendue comme l’incarnation de la différence du groupe qui se trouve engluée dans le corporel, faute d’élaboration sur la scène familiale. C’est pourquoi, cette famille a pallié ses fragilités en sollicitant inconsciemment l’aînée de la fratrie pour qu’elle contienne, à travers son obésité, le corps familial. L’expression corporelle de cette massivité visible peut donc être comprise, dans ce contexte de migration, comme un processus défensif réactionnel à ce qui a pu faire rupture dans l’histoire familiale en raison du processus migratoire. En effet, en changeant de pays, les sujets vont adopter de nouvelles valeurs, de nouvelles mœurs. Ce n’est pas tant un bousculement radical qu’une déformation de leur Moi et de leur Self qui conduit à l’établissement d’une structure en faux-Self apte à se répercuter à la génération suivante (A. Eiguer, 2007) et à affaiblir le sentiment d’appartenance. La nouvelle génération ne peut alors plus s’étayer sur les figures ancestrales. Le déracinement ne peut alors s’élaborer et s’enkyste dans le corps de l’aînée de la fratrie, qui incarne tout à la fois la coupure avec la culture d’origine et le pont dans cette acculturation. Par ailleurs, la famille a dû faire face à la désillusion au moment de la confrontation à la réalité en arrivant en France, ce qui les a fragilisés davantage. En effet, ils ont été confrontés au décalage entre la société occidentale hyper-individualiste et la société maghrébine où l’esprit de famille très développé assure la sécurité. Ainsi, le contrat narcissique (P. Aulagnier, 1975) familial les a donc poussés à investir spécifiquement le premier enfant qui a aménagé une partie de sa structure psychique afin de maintenir un lien intime avec leur culture d’origine. C’est à l’aîné qu’incombe la lourde tâche de faire perpétuer ou non le système culturel d’origine (M.R. Moro, 1994). Compte tenu de la fragilité de l’enveloppe psychique familiale, les liens intersubjectifs se trouvent également attaqués, ce qui amène les membres à une indifférenciation interindividuelle, à s’agglutiner pour se sécuriser ; le phénomène étant d’autant plus prégnant à l’adolescence où le besoin d’autonomie du jeune peut être vécu par la famille comme une attaque supplémentaire. Cette famille a donc vécu une véritable métamorphose familiale qui peut avoir deux issues possibles de croissance ou de défense (R. Losso et al., 2005) en fonction de la manière dont le phénomène migratoire a été élaboré. Ici l’obésité de l’adolescente traduit, par ce symptôme corporel, des éléments transsubjectifs appartenant à l’histoire transgénérationnelle des familles.

Conclusion

13 À la lumière de cette clinique de la migration, il nous semble essentiel d’aménager des perspectives thérapeutiques spécifiques. En effet, nous pouvons envisager l’investissement du champ de l’oralité comme un processus régressif. Dans cette perspective, il s’agit du seul moyen à disposition pour créer et maintenir le lien aux autres membres, à la culture, à la langue maternelle. Il s’agirait donc, par le biais de médiations thérapeutiques, comme la génographie projective et la spatiographie projective familiale, de mettre en perspective l’histoire et l’enveloppe familiale. L’outil de génographie projective pourrait offrir à ces familles l’opportunité de revisiter et penser leur filiation dans un cadre sécurisé à travers le pouvoir contenant des thérapeutes. C’est par ce travail d’élaboration de la perte qu’ils pourront sortir de la sidération traumatique liée à la rupture filiative que la migration a occasionnée. En mobilisant les processus d’interfantasmatisation et de liaison des représentations, il leur serait possible d’envisager de nouvelles configurations à l’échelle des liens intersubjectifs. Ceci leur permettra alors de sortir des liens isomorphiques associés à l’étape de refusionnement qu’à décrite Eiguer pour tendre davantage vers une différenciation salvatrice. Le travail de contenance familiale pourrait, quant à lui, s’envisager au travers de l’épreuve de spatiographie projective qui permettrait l’élaboration d’une seconde peau psychique du corps familial en appui au groupe des thérapeutes.

14 Une autre piste thérapeutique pourrait être, au-delà même du symptôme de l’obésité, de travailler sur la reconstruction du Soi familial qui puisse intégrer la dualité culturelle. En effet, le manque de symbolisation, du fait du caractère traumatique du déracinement, conduit les familles à une précarité en termes de sentiment de sécurité et d’identité. Dans cette perspective, l’obésité peut être une manière corporéisée de réaliser un pont psychique entre les deux cultures. Cela pourrait correspondre à la résistance à l’amaigrissement chez ce type de familles. Il s’agit donc de proposer un travail sur les vécus primitifs liés au trauma de la migration qui n’a pas pu s’inscrire dans le symbolique. Ainsi, en expérimentant des moyens de symbolisation, ces familles pourront alors amorcer le travail de deuil et permettre le déploiement des capacités d’élaboration psychique familiale. Du même coup, il serait envisageable de questionner la place de chaque sujet dans l’histoire familiale, et surtout celle de l’adolescent obèse, signifiant de la rupture impensable au moyen d’un corps constamment présent par sa massivité. La constellation familiale, par le biais de l’interfantasmatisation groupale, gagnera alors en sécurité de soi et évitera de se rechercher à travers des épreuves qu’elle fait subir au corps d’un de ces membres.

Bibliographie

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : image inconsciente du corps familial, migration, obésité, famille

Date de mise en ligne : 27/06/2016.

https://doi.org/10.3917/difa.036.0165

Notes

  • [1]
    Recherche longitudinale (menée sur 18 mois) intitulée « Obésité à l’adolescence et dynamique familiale » dirigée par le professeur Patrice Cuynet menée auprès de 43 familles.
  • [2]
    MECSS prenant en charge des adolescents obèses (IMC > 30) pour une année scolaire.
  • [3]
    Nous n’apportons que les éléments de ces deux entretiens mais cette famille a été suivie sur 18 mois.
  • [4]
    Approche bio-psycho-sensorielle. Cette approche combinant une intervention aux plans diététique, psychologique, éducatif et médical.
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