De naissance, pour ainsi dire, le journalisme a représenté un défi pour la conception du pouvoir et des pouvoirs. C’est très tôt, en tout cas, qu’il a perturbé la belle tripartition arrêtée par Montesquieu, puisque c’est dès 1787 que Burke l’a intronisé comme un « quatrième pouvoir » destiné à flanquer le législatif, l’exécutif et le judiciaire, sans qu’on sache trop ni comment le nommer, ni quelle place lui reconnaître. En deux siècles, si l’idée a été plébiscitée, la clarification de la nature et du rôle de ce singulier « pouvoir » n’a pas beaucoup avancé. L’excitation actuelle autour du « pouvoir médiatique » ne déroge pas à la règle. Elle s’accommode d’un flou remarquable quant à son objet. La conviction qu’il existe un tel pouvoir ne nous renseigne guère sur ce en quoi il consiste, ni sur la fonction qu’il remplit, en dehors du fait qu’il se prête à tous les fantasmes. On peut même dire que le point est plus obscur que jamais.
Devant un trou noir de ce genre, il est tentant de se débarrasser du problème comme d’un faux problème, en excipant, justement, du brouillard fantasmagorique qui l’environne. Existe-t-il véritablement un tel pouvoir ? N’est-on pas typiquement en présence d’un fantôme verbal, sans autre réalité que celle qui naît de la suggestion des mots, de telle sorte qu’il n’y a pas lieu de s’étonner ensuite que ses propriétés demeurent insaisissables ? La purge serait salvatrice, n’était qu’on ne vient pas si facilement à bout du problème. Il résiste à la dissolution…